<p>Marchandisation du fran&ccedil;ais en milieu rural en Colombie</p> <p>Cette &eacute;tude cherche &agrave; comprendre les processus de diffusion et d&rsquo;appropriation langagi&egrave;re auxquels participent les sujets qui restent attach&eacute;s &agrave; l&rsquo;espace rural. Un espace expos&eacute;, au m&ecirc;me titre que l&rsquo;espace urbain, &agrave; des logiques socio-&eacute;conomiques anim&eacute;es par les discours sur la globalisation capitaliste. L&rsquo;individu doit assurer son acc&egrave;s &agrave; la formation, son insertion professionnelle et son investissement dans les dynamiques du d&eacute;veloppement &eacute;conomique, tel qu&rsquo;il est pens&eacute; dans le mod&egrave;le n&eacute;olib&eacute;ral. En ce sens, la langue constitue pour lui une strat&eacute;gie de comp&eacute;titivit&eacute;. Duch&ecirc;ne et Heller (2012) notent que la langue et la culture sont de plus en plus trait&eacute;es en des termes &eacute;conomiques. Cette &eacute;volution s&rsquo;expliquerait par la n&eacute;cessit&eacute; des &Eacute;tats-nations de l&eacute;gitimer leurs modes de r&eacute;gulation du capital en promouvant des valeurs qui jouent sur l&rsquo;identit&eacute; du sujet et sur ses rapports au territoire : la langue comme un tr&eacute;sor culturel, comme un moyen de gagner sa vie et comme une valeur ajout&eacute;e.</p> <p>Comment s&rsquo;articule cette vision utilitariste de la langue &agrave; la volont&eacute; de se l&rsquo;approprier notamment chez le sujet en contexte p&eacute;riph&eacute;rique ? A-t-il acc&egrave;s &agrave; la ressource langagi&egrave;re ? Quelles sont les conditions de son parcours d&rsquo;appropriation ?</p> <p>J&rsquo;analyse ici la d&eacute;marche d&rsquo;un groupe de futurs enseignants de langues &eacute;trang&egrave;res qui ont cr&eacute;&eacute; un march&eacute; pour la langue fran&ccedil;aise dans la zone rurale colombienne de l&rsquo;Oriente d&rsquo;Antioquia. Pendant deux ans, je les ai accompagn&eacute;s dans la mise en oeuvre d&rsquo;un dispositif didactique adress&eacute; &agrave; deux groupes locaux : des producteurs agricoles et des artisans c&eacute;ramistes. Ici le sujet est envisag&eacute; dans son double r&ocirc;le d&rsquo;apprenant et d&rsquo;acteur social, notamment parce qu&rsquo;il se retrouve confront&eacute; &agrave; l&rsquo;acc&egrave;s asym&eacute;trique aux ressources et il doit tant bien que mal, faire face &agrave; un ensemble de changements sociaux plus profonds qui concernent des domaines de la vie sociale comme le rapport au pouvoir, la reconnaissance et la justice sociale (Blommaert, 2010).</p> <p>L&rsquo;ouverture d&rsquo;un cursus universitaire en didactique de langues &eacute;trang&egrave;res dans la r&eacute;gion rurale Oriente d&rsquo;Antioquia en Colombie, sous ma responsabilit&eacute;, m&rsquo;am&egrave;ne &agrave; m&rsquo;int&eacute;resser aux habitants et aux dynamiques locales (Villa, 2014). Le choix de la d&eacute;marche ethnographique est justifi&eacute; par sa capacit&eacute; &agrave; rendre compte de la complexit&eacute; et de l&rsquo;aspect multidimensionnel et multisite : la famille, l&rsquo;association, le march&eacute;, l&rsquo;atelier de fran&ccedil;ais, l&rsquo;atelier de fabrication fromag&egrave;re, la ferme, la boutique et le village. Les donn&eacute;es r&eacute;colt&eacute;es sont issues d&rsquo;observations directes, d&rsquo;entretiens semi guid&eacute;s, d&rsquo;observations participatives et de questionnaires.</p> <p>La premi&egrave;re partie de ce travail porte sur les politiques &eacute;conomiques, &eacute;ducatives et linguistiques qui encadrent la vie sociale dans ce milieu rural. La deuxi&egrave;me partie analyse les valeurs de la langue fran&ccedil;aise et les impacts de ces valeurs sur les logiques d&rsquo;action et les modes d&rsquo;appropriation de la langue. L&rsquo;exp&eacute;rience de diffusion de la langue fran&ccedil;aise est de courte dur&eacute;e pour le groupe des producteurs agricoles. Il convient alors d&rsquo;interroger, en troisi&egrave;me partie, les facteurs qui jouent sur leur d&eacute;sengagement : la configuration sociale collective sur laquelle ils sont habitu&eacute;s &agrave; fonctionner ? la d&eacute;valorisation de leur m&eacute;tier ? le manque de pratique scolaire autour de l&rsquo;objet langue &eacute;trang&egrave;re ? les d&eacute;marches d&rsquo;enseignement/apprentissage peu adapt&eacute;es pour ce public ? &agrave; partir des obstacles rencontr&eacute;s dans le cadre du dispositif didactique mis en oeuvre, je mettrai en lumi&egrave;re la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;une &eacute;ducation &agrave; l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; au sein des processus d&rsquo;appropriation langagi&egrave;re. Si le sujet accepte le pari de la rencontre avec un autre sujet, qui l&rsquo;am&egrave;ne &agrave; s&rsquo;ouvrir &agrave; d&rsquo;autres fa&ccedil;ons de communiquer, la vision de la langue comme ressource, instrument ou capital, peut &eacute;voluer et donner lieu &agrave; une exp&eacute;rience d&rsquo;appropriation r&eacute;ussie.</p> <p>1. Cadre politique du d&eacute;veloppement rural</p> <p>1.1 Politiques &eacute;conomiques</p> <p>La prise en compte des contextes politique et &eacute;conomique dans lesquels s&rsquo;ins&egrave;rent les groupes socioprofessionnels qui sont au coeur de cette &eacute;tude, permet de mieux comprendre leurs choix et leurs actions. Deux visions du d&eacute;veloppement rural &eacute;voluent simultan&eacute;ment en Colombie. La premi&egrave;re &eacute;merge &agrave; partir de la d&eacute;cennie 1990-2000 avec un mod&egrave;le d&rsquo;ouverture &eacute;conomique qui s&rsquo;impose sur celui de l&rsquo;auto-approvisionnement. C&rsquo;est la panac&eacute;e du libre commerce, de l&rsquo;&eacute;limination de barri&egrave;res commerciales et des opportunit&eacute;s d&rsquo;investissement. La deuxi&egrave;me vision politique et &eacute;conomique du d&eacute;veloppement du milieu rural est celle d&rsquo;une agriculture &laquo; &eacute;cologiquement responsable &raquo; et &laquo; socialement forte &raquo;, au sein de laquelle on valorise les territoires et les savoir-faire traditionnels, avec un r&ocirc;le central &agrave; jouer par les acteurs sociaux.<br /> Depuis les ann&eacute;es 1970 le gouvernement fait des efforts pour r&eacute;duire la pauvret&eacute; rurale dans le pays, en faisant appel &agrave; des investisseurs ext&eacute;rieurs. Merklen (2013 : 176, 178) voit dans la coop&eacute;ration internationale un changement de politique sociale, et dans la lutte contre la pauvret&eacute;, la mise en place d&rsquo;un nouveau syst&egrave;me d&rsquo;acteurs. Dans ses termes, &laquo;&nbsp;L&agrave; o&ugrave; on pensait auparavant au travailleur, on pense d&eacute;sormais au pauvre ou &agrave; l&rsquo;habitant. [&hellip;] L&agrave; o&ugrave; la politique sociale tentait de prot&eacute;ger les individus des dynamiques d&rsquo;appauvrissement, les nouveaux acteurs (les ONG et les organismes internationaux) tentent d&rsquo;agir par une logique de &laquo;&nbsp;projets&nbsp;&raquo; qui cherche une sortie de la pauvret&eacute; au cas par cas en &laquo;&nbsp;mobilisant&nbsp;&raquo; ou en &laquo;&nbsp;activant&nbsp;&raquo; les &laquo;&nbsp;pauvres&nbsp;&raquo;. Ils sont amen&eacute;s &agrave; s&rsquo;associer afin de pouvoir profiter des ressources financi&egrave;res et techniques allou&eacute;es aux projets de d&eacute;veloppement rural. Dans ce sens, la consolidation des associations locales et le travail par projet r&eacute;pond avant tout &agrave; un objectif politique et &agrave; un int&eacute;r&ecirc;t &eacute;conomique plut&ocirc;t qu&rsquo;&agrave; une v&eacute;ritable initiative des acteurs.</p> <p>L&rsquo;observation du mode de fonctionnement des groupes concern&eacute;s par la diffusion de la langue fran&ccedil;aise r&eacute;v&egrave;le deux tendances&nbsp;: d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, les producteurs agricoles sont organis&eacute;s en tant qu&rsquo;association depuis 1998 et cette structure leur permet de mettre en commun le travail, les techniques, les produits, la vente, les formations (dont le cours de fran&ccedil;ais), etc. ; d&rsquo;un autre c&ocirc;t&eacute;, les artisans c&eacute;ramistes d&eacute;cident d&rsquo;&eacute;voluer individuellement d&eacute;non&ccedil;ant l&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;go&iuml;sme de leur milieu&nbsp;&raquo;, autant au niveau de la production artisanale que de la circulation d&rsquo;informations sur les projets subventionn&eacute;s par les organismes qui op&egrave;rent localement. Deux tentatives d&rsquo;organisation collective, une association et une coop&eacute;rative, ont vu le jour dans ce dernier groupe, mais les deux ont d&eacute;bouch&eacute; sur des exp&eacute;riences difficiles (rapports de concurrence, sentiments d&rsquo;injustice et de jalousie). En bref, la modalit&eacute; d&rsquo;action collective et par projet, constitue pour les uns, une mani&egrave;re de s&rsquo;informer sur les programmes en cours ou &agrave; venir, afin d&rsquo;y participer et d&rsquo;en b&eacute;n&eacute;ficier. Et pour les autres, il s&rsquo;agit d&rsquo;un mode op&eacute;ratoire artificiel dont le seul but est de s&rsquo;assurer l&rsquo;acc&egrave;s aux aides g&eacute;r&eacute;es localement par des organismes internationaux.<br /> &nbsp;<br /> 1.2 Politiques linguistiques</p> <p>Le programme national &laquo;&nbsp;Colombia biling&uuml;e 2004-2019&nbsp;&raquo; s&rsquo;aligne sur les travaux du Conseil de l&rsquo;Europe. Le programme de bilinguisme en Colombie ne va pas dans le sens d&rsquo;une valorisation des langues et des cultures indig&egrave;nes, comme dans la Bolivie d&rsquo;Evo Morales o&ugrave; le quechua et l&rsquo;aymara sont d&eacute;cr&eacute;t&eacute;es langues officielles &agrave; partir de 2006. En Colombie, la politique linguistique p&eacute;rennise une &eacute;conomie coloniale (Galeano, 1971) structur&eacute;e au service et en fonction des march&eacute;s ext&eacute;rieurs. Son objectif principal est de renforcer la comp&eacute;titivit&eacute; nationale et toutes les institutions &eacute;ducatives, de la maternelle jusqu&rsquo;au sup&eacute;rieur, doivent &ecirc;tre concern&eacute;e par le bilinguisme. Le programme met en avant l&rsquo;id&eacute;e que ceux qui maitrisent une langue &eacute;trang&egrave;re seront reconnus par le march&eacute;. L&rsquo;appropriation d&rsquo;une nouvelle langue apparait comme n&eacute;cessaire et obligatoire.<br /> La &laquo; mobilit&eacute; &raquo; et la &laquo; flexibilit&eacute; &raquo; sur le march&eacute; du travail font partie de l&rsquo;argumentaire du Minist&egrave;re de l&rsquo;&eacute;ducation. Ainsi, les travailleurs &laquo; innovateurs &raquo; sont les mieux pr&eacute;par&eacute;s pour s&rsquo;int&eacute;grer &agrave; l&rsquo;&eacute;conomie globale, car ils s&rsquo;adaptent aux changements et aux besoins de leur contexte r&eacute;el. De plus, le changement d&rsquo;image du pays au niveau mondial est possible gr&acirc;ce &agrave; la capacit&eacute; des Colombiens de &laquo; recevoir les visiteurs dans la langue universelle &raquo;. Le programme reconnait &eacute;galement le fait qu&rsquo;une langue &eacute;trang&egrave;re facilite la communication, permet de d&eacute;couvrir des r&eacute;alit&eacute;s diff&eacute;rentes et d&rsquo;approfondir la connaissance d&rsquo;autres cultures.<br /> En 1998, l&rsquo;universit&eacute; publique s&rsquo;installe dans la zone rurale Oriente d&rsquo;Antioquia, et &agrave; partir de 2005 propose un cursus en didactique de langues &eacute;trang&egrave;res. Celui-ci accueille une centaine de futurs enseignants, &acirc;g&eacute;s entre 18 et 25 ans. Ce cursus se donne pour but la formation d&rsquo;enseignants autonomes, critiques et avec des comp&eacute;tences de communication tr&egrave;s d&eacute;velopp&eacute;es (1 800 heures d&rsquo;anglais et 900 heures de fran&ccedil;ais).<br /> Dans le cadre d&rsquo;un entretien collectif semi-dirig&eacute;, j&rsquo;ai questionn&eacute; ces futurs enseignants de langues &eacute;trang&egrave;res &agrave; propos de leur r&ocirc;le dans la r&eacute;alit&eacute; &eacute;ducative et sociale de leur r&eacute;gion rurale. Cette r&eacute;flexion a pos&eacute; les bases d&rsquo;une enqu&ecirc;te de terrain (le march&eacute; et le voisinage) tendant &agrave; les renseigner sur les personnes potentiellement int&eacute;ress&eacute;es par l&rsquo;apprentissage de l&rsquo;anglais et du fran&ccedil;ais. Ils ont rep&eacute;r&eacute; les deux groupes dont il est question ici, particuli&egrave;rement int&eacute;ress&eacute;s par la langue fran&ccedil;aise, et non pas par l&rsquo;anglais car d&rsquo;apr&egrave;s eux, l&rsquo;offre de cours d&rsquo;anglais est davantage accessible.<br /> Sous mon &eacute;gide, les futurs enseignants ont con&ccedil;u un dispositif didactique leur permettant d&rsquo;am&eacute;liorer leur niveau dans la langue &eacute;trang&egrave;re, d&eacute;couvrir leur futur m&eacute;tier dans la pratique et promouvoir les langues &eacute;trang&egrave;res aupr&egrave;s de la population de leur r&eacute;gion rurale.</p> <p>2. La langue fran&ccedil;aise en Colombie</p> <p>La langue fran&ccedil;aise &eacute;chappe-t-elle &agrave; l&rsquo;injonction utilitaire de la ressource langagi&egrave;re ? Un survol historique montre que depuis la fin du XVIII si&egrave;cle, le fran&ccedil;ais est une langue valoris&eacute;e en Colombie, puisqu&rsquo;elle repr&eacute;sente la diplomatie, l&rsquo;Encyclop&eacute;die et d&eacute;note un certain &eacute;litisme. Elle n&rsquo;est surpass&eacute;e par l&rsquo;anglais que lorsque des &eacute;v&eacute;nements marquants surviennent et d&eacute;terminent un nouvel ordre mondial (la premi&egrave;re guerre mondiale et le choc p&eacute;trolier en 1973). D&rsquo;ailleurs, la r&eacute;insertion syst&eacute;matique du fran&ccedil;ais dans l&rsquo;&eacute;ducation secondaire apr&egrave;s la visite d&rsquo;un premier ministre fran&ccedil;ais (Val&eacute;ry Giscard d&rsquo;Estaing en 1979 et Fran&ccedil;ois Mitterrand en 1985), constitue une preuve manifeste du fait que la promotion de la langue r&eacute;sulte d&rsquo;une politique interventionniste. Depuis 1993, d&eacute;cennie marqu&eacute;e par le mod&egrave;le d&rsquo;ouverture &eacute;conomique et de globalisation, la libert&eacute; de choix de la langue &eacute;trang&egrave;re est possible &agrave; l&rsquo;universit&eacute;, car &agrave; l&rsquo;&eacute;cole publique l&rsquo;anglais est encore la seule langue propos&eacute;e.</p> <p>2.1 Valeurs de la langue fran&ccedil;aise en milieu rural : liens entre universit&eacute; publique et r&eacute;gion</p> <p>Deux groupes socioprofessionnels ont manifest&eacute; un int&eacute;r&ecirc;t particulier pour le fran&ccedil;ais. Un simple calcul &eacute;conomique justifie ce choix : le cout de l&rsquo;inscription et du transport jusqu&rsquo;&agrave; la ville de Medellin pour suivre un cours de fran&ccedil;ais est de 60 euros, un prix prohibitif compte tenu d&rsquo;un salaire mensuel moyen de 190 euros. Le choix du fran&ccedil;ais dans le cadre d&rsquo;un dispositif d&rsquo;apprentissage gratuit semble alors normal. Cependant, ce choix ne s&rsquo;arr&ecirc;te pas &agrave; la valeur marchande de la langue. Des valeurs symboliques assign&eacute;es &agrave; la langue et &agrave; la culture fran&ccedil;aise rayonnent jusqu&rsquo;&agrave; cette contr&eacute;e rurale : le fromage et le tourisme. Les producteurs agricoles envisagent la poursuite d&rsquo;un projet autour de la transformation du lait de ch&egrave;vre et souhaitent d&eacute;couvrir la fabrication fromag&egrave;re fran&ccedil;aise. Les artisans c&eacute;ramistes mettent en avant la valorisation des savoir-faire artisanaux et du tourisme en France. Ces savoirs techniques les incitent &agrave; privil&eacute;gier la langue fran&ccedil;aise et &agrave; entreprendre des cours hebdomadaires de 1h30 pendant, au minimum, six mois.</p> <p>2.1.1 La langue &eacute;trang&egrave;re au service d&rsquo;une innovation productive<br /> Les producteurs agricoles explicitent le besoin de relier l&rsquo;apprentissage du fran&ccedil;ais aux processus de promotion du lait de ch&egrave;vre. Ce volet pratique du cours de fran&ccedil;ais est d&eacute;crit par un membre de l&rsquo;association paysanne comme &laquo;&nbsp;el anzuelo&nbsp;&raquo; (l&rsquo;hame&ccedil;on) pour assurer la motivation des petits producteurs agricoles. Leur engagement tient &agrave; d&rsquo;autres raisons, &agrave; savoir : la possibilit&eacute; de rattacher le groupe familial au cours de fran&ccedil;ais et la pr&eacute;vision d&rsquo;une phase pilote de six mois afin de pouvoir tester l&rsquo;exp&eacute;rience et consid&eacute;rer sa poursuite. Ces pr&eacute;-requis explicites conditionnant l&rsquo;investissement des producteurs agricoles dans un cours de fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re, prouvent qu&rsquo;ils ont de l&rsquo;exp&eacute;rience dans la dynamique de/par projet.<br /> Un technicien fromager et v&eacute;t&eacute;rinaire venu de France gr&acirc;ce au soutien du Conseil g&eacute;n&eacute;ral de l&rsquo;Is&egrave;re, r&eacute;alise un s&eacute;jour de sept mois (simultan&eacute; aux cours de langue) pendant lesquels il fait d&eacute;couvrir diff&eacute;rents modes de fabrication de fromages fran&ccedil;ais et participe avec le groupe &agrave; la r&eacute;flexion sur leur d&eacute;veloppement technique, &eacute;conomique et associatif, dans un cadre d&#39;agriculture &eacute;cologique. Sa contribution au dispositif didactique permet aux producteurs agricoles d&#39;initier des &eacute;changes culturels et techniques avec des paysans fran&ccedil;ais, via internet. Dans ce cadre, la langue fran&ccedil;aise est consid&eacute;r&eacute;e &agrave; la fois comme une valeur ajout&eacute;, par la r&eacute;ussite des produits&nbsp; &laquo; bio &raquo; ou&nbsp; &laquo; artisanaux &raquo; sur le march&eacute;, et comme une valeur symbolique car elle devient un moyen de gestion des r&eacute;seaux d&rsquo;&eacute;change.<br /> Les attentes individuelles des douze petits producteurs agricoles participant activement aux ateliers linguistiques (9 femmes et 3 hommes), vis-&agrave;-vis de l&rsquo;apprentissage de la langue fran&ccedil;aise sont :<br /> diversifier les activit&eacute;s quotidiennes (5 fois),<br /> rencontrer des Fran&ccedil;ais (4 fois),<br /> am&eacute;liorer les produits de la ferme (3 fois),<br /> rencontrer des &eacute;trangers et d&rsquo;autres personnes de la r&eacute;gion (2 fois),<br /> lire et comprendre des documents techniques (1 fois) et exporter certains produits locaux et connaitre d&rsquo;autres pays (1 fois)</p> <p>2.1.2 La langue &eacute;trang&egrave;re au service d&rsquo;un projet personnel de mobilit&eacute;<br /> Le deuxi&egrave;me groupe int&eacute;ress&eacute; par la langue fran&ccedil;aise est celui des artisans c&eacute;ramistes. Ils demandent &eacute;galement de pouvoir assister aux cours de fran&ccedil;ais avec leurs enfants. Dans ce groupe, la nouvelle langue est reli&eacute;e &agrave; l&rsquo;activit&eacute; productive, mais sa valeur principale repose sur l&rsquo;expectative d&rsquo;une ouverture personnelle pour un projet de formation ou d&rsquo;activit&eacute; professionnelle dans d&rsquo;autres pays. La mobilit&eacute; est aussi symbolique car gr&acirc;ce &agrave; la nouvelle langue, les artisans c&eacute;ramistes peuvent contribuer au d&eacute;veloppement du tourisme local et consolider ainsi le statut social de leur m&eacute;tier. Le changement de routine occupe une place importante dans les motivations, mais les produits sont mis au premier plan avec le souhait d&rsquo;avoir acc&egrave;s &agrave; des march&eacute;s internationaux. Les attentes des quatorze artisans c&eacute;ramistes (8 femmes et 6 hommes) concernant leur participation &agrave; un cours de fran&ccedil;ais sont :<br /> exporter ses produits (6 fois),<br /> changer sa routine (4 fois),<br /> am&eacute;liorer ses produits (3 fois),<br /> visiter la France et rencontrer des Fran&ccedil;ais (2 fois),<br /> visiter d&rsquo;autres pays (1 fois), int&eacute;grer les Arts et les langues (1 fois), lire et interpr&eacute;ter des textes en fran&ccedil;ais (1 fois).</p> <p>2.2 Logiques d&rsquo;action</p> <p>Les interactions au sein des ateliers de fran&ccedil;ais montrent des mani&egrave;res distinctes de participer aux activit&eacute;s didactiques. La configuration interg&eacute;n&eacute;rationnelle &laquo;&nbsp;enfants/parents&nbsp;&raquo; est pr&eacute;sente dans les deux groupes. Cependant, dans chaque groupe la d&eacute;marche est diff&eacute;rente : les petits producteurs agricoles sont pr&eacute;sents au cours de fran&ccedil;ais &agrave; tour de r&ocirc;le pour les membres d&rsquo;une m&ecirc;me famille, tandis que les artisans c&eacute;ramistes y assistent ensemble.</p> <p>2.2.1 Optimisation chez les producteurs agricoles<br /> Dans ce groupe, les membres de la m&ecirc;me famille se relaient pour participer aux ateliers de langue. Leur assiduit&eacute; est li&eacute;e au calendrier agricole et aux imp&eacute;ratifs climatiques. La pr&eacute;sence en cours et la prise de notes font partie des r&ocirc;les distribu&eacute;s dans la famille. Par cons&eacute;quent, une logique d&rsquo;optimisation prime dans ce groupe. Ce mode op&eacute;ratoire est impos&eacute; par le m&eacute;tier de la production agricole lui-m&ecirc;me. Dans cette r&eacute;gion rurale, tous les membres de la famille doivent participer aux travaux de la ferme ou de la maison, afin d&rsquo;assurer leur subsistance. Dans la majorit&eacute; des cas, les enfants d&rsquo;agriculteur sont vou&eacute;s &agrave; devenir eux-m&ecirc;mes agriculteurs et sont souvent priv&eacute;s d&rsquo;&eacute;tudes secondaires et presque syst&eacute;matiquement n&rsquo;atteignent pas le niveau de formation sup&eacute;rieure. Ce m&eacute;tier n&rsquo;est donc pas socialement valoris&eacute;. Le cours de fran&ccedil;ais constitue ainsi un moyen d&rsquo;acqu&eacute;rir un savoir valorisant.</p> <p>2.2.2 Rentabilisation chez les artisans c&eacute;ramistes<br /> Parents et enfants assistent ensemble aux ateliers de fran&ccedil;ais. Le volet technique apparait comme un th&egrave;me pr&eacute;texte pour apprendre la nouvelle langue et non pas comme l&rsquo;objectif central du dispositif didactique. Dans ce groupe, c&rsquo;est la langue fran&ccedil;aise qui mobilise les efforts et la pers&eacute;v&eacute;rance des apprenants. Le calcul &eacute;conomique par rapport &agrave; la valeur marchande de l&rsquo;apprentissage de la langue fran&ccedil;aise, per&ccedil;ue comme prestigieuse &eacute;tant donn&eacute; qu&rsquo;elle est moins facile d&rsquo;acc&egrave;s que l&rsquo;anglais, est saillant. Une logique de rentabilisation guide les actions dans ce groupe.</p> <p>2.3 Processus d&rsquo;appropriation langagi&egrave;re</p> <p>Chaque semaine l&rsquo;atelier de fran&ccedil;ais est anim&eacute; par deux intervenants qui changent d&rsquo;une semaine &agrave; l&rsquo;autre : un enseignant et un observateur. Ce dernier est responsable de compl&eacute;ter un journal de bord collectif, destin&eacute; &agrave; l&rsquo;usage de l&rsquo;&eacute;quipe enseignante. La semaine suivante, l&rsquo;observateur devient enseignant et un nouvel observateur se charge de remplir le journal. Ce fonctionnement permet aux membres de l&rsquo;&eacute;quipe porteuse du projet (20 futurs enseignants) d&rsquo;avoir l&rsquo;occasion d&rsquo;enseigner dans les deux groupes. Le journal de bord collectif et une r&eacute;union hebdomadaire permettent aux membres de l&rsquo;&eacute;quipe des enseignants de suivre pas &agrave; pas le d&eacute;roulement du cours de fran&ccedil;ais et pouvoir se relayer de mani&egrave;re coh&eacute;rente d&rsquo;une semaine &agrave; l&rsquo;autre.<br /> Le groupe apprenant des artisans c&eacute;ramistes affirme que le fait d&rsquo;avoir un enseignant et un observateur diff&eacute;rents chaque semaine rend plus dynamiques les s&eacute;ances de cours de langue fran&ccedil;aise. En revanche, cette rotation des enseignants, ajout&eacute;e &agrave; la distribution des r&ocirc;les entre les membres de la famille, y compris pour assister au cours et prendre des notes en classe de fran&ccedil;ais, complexifient les processus d&rsquo;enseignement/apprentissage pour le groupe apprenant des producteurs agricoles.</p> <p>2.3.1 Groupe des producteurs agricoles<br /> Les apprentissages sont caract&eacute;ris&eacute;s par la sollicitation fr&eacute;quente de l&rsquo;aide de l&rsquo;enseignant, lui laissant une place importante au niveau du contr&ocirc;le de la parole. La centration sur le recadrage de l&rsquo;activit&eacute; plut&ocirc;t que sur la langue &eacute;trang&egrave;re est fr&eacute;quente. Dans la m&ecirc;me logique, les passages d&rsquo;une s&eacute;quence conversationnelle portant sur le monde, &agrave; une s&eacute;quence didactique portant sur l&rsquo;activit&eacute; de cours sont r&eacute;guliers. Enfin, l&rsquo;adaptation aux rythmes et aux activit&eacute;s propos&eacute;es s&rsquo;av&egrave;re moins &eacute;vidente.<br /> Le corpus suivant , collect&eacute; apr&egrave;s 25 heures de cours de fran&ccedil;ais, rapporte la mise en oeuvre des conduites didactiques prototypiques chez l&rsquo;enseignant, bas&eacute;es sur le contr&ocirc;le de la parole, de l&rsquo;activit&eacute; et des acquisitions. L&rsquo;apprenante (M) doit fournir des informations qui manquent &agrave; l&rsquo;enseignante (E). Les questions ouvertes sugg&eacute;rant des r&eacute;ponses plus ou moins complexes sont utilis&eacute;es (1E, 3D), mais la s&eacute;quence bascule vers des &eacute;changes hautement guid&eacute;s (5E, 15E, 19E, 23E, 27E) &agrave; des fins acquisitionnelles. Les strat&eacute;gies (&eacute;crire au tableau, changer de langue, faire emphase sur certains mots) et les &eacute;valuations (3E, 7E, 13E, 23E) de l&rsquo;enseignante montrent qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;une s&eacute;quence didactique et non d&rsquo;une s&eacute;quence conversationnelle.</p> <p>Extrait 1</p> <p>Signes de transcription</p> <p>E&nbsp;&nbsp; &nbsp;animatrice de l&rsquo;atelier<br /> M&nbsp;&nbsp; &nbsp;apprenante<br /> Cl&nbsp;&nbsp; &nbsp;toute la classe<br /> /&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;intonation montante<br /> &nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;intonation descendante<br /> &amp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;r&eacute;p&eacute;tition<br /> :&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;allongement du son<br /> &hellip;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;pause<br /> (&nbsp; )&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;commentaire<br /> [ ]&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;prononciation<br /> Italiques&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;changement de langue<br /> Majuscules&nbsp;&nbsp; &nbsp;emphase du locuteur<br /> Soulignement&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; chevauchements</p> <p>1E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;et M euh QUEL est ton m&eacute;tier quelle EST ta profession<br /> 2M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;&eacute;h je suis&amp;je suis &eacute;h:: un agricultrice<br /> 3E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;agricultrice/ tr&egrave;s bien et qu&#39;est-ce que tu produis/ quels produits/ ...tomates/ oui/<br /> 4M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;oui<br /> 5E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;des tomates des carottes carottes/ est-ce que vous comprenez/ carottes/ non/<br /> 6Cl&nbsp;: &nbsp;&nbsp; <em>zanahoria</em><br /> 7E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;oui bravo est-ce que tu produis des carottes/<br /> 8M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;oui<br /> 9E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;oui euh: est-ce que tu produis:: enfin est-ce que tu as:: du lait du lait<br /> 10M&nbsp;&nbsp; &nbsp;le lait<br /> 11E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;c&rsquo;est quoi le lait<br /> 12M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>leche</em><br /> 13E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;oui<br /> 14M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;&eacute;h: oui<br /> 15E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;oui combien de litres par jour/ combien de LITRES aujourd&rsquo;hui/ <em>hoy</em> combien de litres/ un LITRE/... (en &eacute;crivant au tableau) deux litres/ de lait<br /> 16M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;&eacute;h:: [dou:: dou&amp;dou:: dou] lait<br /> 17E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;deux litres<br /> 18M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;oui<br /> 19E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;deux litres de lait (en &eacute;crivant au tableau) ah::<br /> 20M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;de vache<br /> 21E&nbsp;: &nbsp;&nbsp; &nbsp;de vache tu as:<br /> 22M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;de&amp;de&amp;de&amp;de ch&egrave;vre<br /> 23E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;ah lait de ch&egrave;vre:: ok tr&egrave;s bien combien de ch&egrave;vres est-ce que tu as/ combien/ une/ deux/ trois/<br /> 24M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;&eacute;h: un<br /> 25E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;UNE ch&egrave;vre/<br /> 26M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;oui<br /> 27E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;alors UNE ch&egrave;vre... &eacute;gale... deux litres... de lait/... (en &eacute;crivant) par jour/ oui/<br /> 28M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;oui</p> <p>Tr&egrave;s rapidement apr&egrave;s le d&eacute;marrage du projet, une baisse de la participation g&eacute;n&eacute;rale du groupe est observ&eacute;e. Les producteurs agricoles justifient l&rsquo;&eacute;chec de la diffusion linguistique et technique, et la d&eacute;mission massive des participants par des facteurs divers&nbsp;tels que :<br /> la difficult&eacute; de la langue fran&ccedil;aise,<br /> le fiasco de la fabrication de fromages de ch&egrave;vre (volet technique),<br /> les conditions climatiques (p&eacute;riode de pluie) li&eacute;es aux les imp&eacute;ratifs de la production agricole<br /> et les rapports tendus avec le technicien fromager. &nbsp;<br /> Ces raisons les am&egrave;nent &agrave; conclure que la langue fran&ccedil;aise ne contribue pas &agrave; leurs objectifs d&rsquo;innovation productive, comme il est exprim&eacute; par un membre du groupe apprenant des producteurs agricoles, dans l&rsquo;extrait d&rsquo;entretien qui suit.<br /> Extrait 2<br /> &laquo;&nbsp;L&rsquo;id&eacute;e c&rsquo;&eacute;tait de voir la fabrication de fromage parce que nous &eacute;tions attir&eacute;s par le fromage n&rsquo;est-ce pas, des fromages secs et tout le reste, des fromages affin&eacute;s mais bon [&hellip;] pourquoi des fromages affin&eacute;s ici si l&rsquo;on peut avoir du fromage frais tout le temps ? Ici nous ne sommes pas contraints &agrave; faire des provisions. C&rsquo;est-&agrave;-dire que tout le temps nous produisons et quand nous voulons consommer il suffit de se d&eacute;placer au jardin potager, chez le primeur et le produit est frais. Il ne faut pas stocker. Alors bon &ccedil;a a &eacute;t&eacute; quelque chose que bon c&rsquo;est super qu&rsquo;ici nous ne soyons pas oblig&eacute;s de faire ce genre de choses. M&ecirc;me si l&rsquo;exp&eacute;rience a &eacute;t&eacute; tr&egrave;s int&eacute;ressante nous voulions la faire ? Mais apr&egrave;s nous nous sommes rendu compte bon si vous voulez faites-le mais le faire pour notre plaisir parce que nous voulons manger quelque chose comme &ccedil;a ? Ou pour une pratique mais non pas r&eacute;ellement parce que nous avions besoin. Alors nous nous sommes rendu compte que bon nous sommes dans un petit coin de ciel comme on dit et nous nous consid&eacute;rons favoris&eacute;s dans ce sens-l&agrave;&nbsp;&raquo;. (Entretien aupr&egrave;s de I, ma traduction)</p> <p>A partir de cette exp&eacute;rience d&rsquo;apprentissage langagier et technique, la fabrication de fromage de ch&egrave;vre est finalement consid&eacute;r&eacute;e comme inadapt&eacute;e pour leur contexte, &eacute;tant donn&eacute; qu&rsquo;au niveau climatique, dans un pays tropical comme la Colombie, le produit frais est toujours disponible. Les usages alimentaires locaux sont &eacute;galement pris en compte, car les habitants de cette r&eacute;gion andine ne sont pas habitu&eacute;s &agrave; appr&eacute;cier le go&ucirc;t prononc&eacute; du fromage de ch&egrave;vre affin&eacute;. D&rsquo;autant plus que la plupart des exp&eacute;riences de fabrication r&eacute;alis&eacute;es avec le technicien fromager, ont donn&eacute; des r&eacute;sultats peu encourageants. Sur un total de 12 essais de fabrication, dont 10 en conditions r&eacute;elles dans les fermes, avec du lait de vache et de ch&egrave;vre et 2 pendant l&rsquo;atelier de langue fran&ccedil;aise, les r&eacute;sultats se sont souvent av&eacute;r&eacute;s d&eacute;cevants : acidit&eacute;, manque de fermet&eacute;, gonflement, amertume, humidit&eacute;, etc.<br /> Extrait 3<br /> A Marinilla et dans la r&eacute;gion, la transformation fromag&egrave;re ne r&eacute;pond pas aux m&ecirc;mes principes qu&rsquo;en France. Rien ne justifie la fabrication de fromages affin&eacute;s vu que la production laiti&egrave;re est g&eacute;n&eacute;ralement r&eacute;partie sur l&rsquo;ann&eacute;e, donc il n&rsquo;y a pas de n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;avoir du fromage pendant les p&eacute;riodes s&egrave;ches. D&rsquo;autre part, dans certaines fermes la capacit&eacute; maximale de production est rarement sup&eacute;rieure &agrave; la consommation. (Paroles du technicien fromager fran&ccedil;ais)</p> <p>Selon le technicien fromager, le projet d&rsquo;apprentissage du fran&ccedil;ais et de la fabrication fromag&egrave;re &agrave; partir du lait de ch&egrave;vre r&eacute;pondait &agrave; la curiosit&eacute; des membres de l&rsquo;association paysanne, mais il ne correspondait pas &agrave; des n&eacute;cessit&eacute;s, et ne pouvait donc pas prendre trop de place dans leur quotidien.</p> <p>2.3.2 Groupe des artisans c&eacute;ramistes<br /> L&rsquo;extrait 4 rend compte d&rsquo;une s&eacute;ance ayant lieu au bout de 25 heures de cours rapportant une s&eacute;quence au fil de laquelle l&rsquo;enseignant pr&eacute;sente les mots interrogatifs &agrave; toute la classe . Les artisans c&eacute;ramistes participent &agrave; l&rsquo;&eacute;tablissement des r&eacute;seaux de communication (M, N, L, O, Cl), op&egrave;rent des choix vis-&agrave;-vis de la pr&eacute;sentation des formes lexicales et aident l&rsquo;enseignant lorsque celui-ci rencontre une panne lexicale (32L, 34L). Certaines conduites didactiques prototypiques de l&rsquo;enseignant, comme le contr&ocirc;le de la parole, de la situation et des acquisitions sont pr&eacute;sentes. Cependant, la participation des apprenants est fr&eacute;quente (28 tours de parole sur un total de 51), aussi bien lorsque l&rsquo;enseignant pose des questions &agrave; toute la classe, que spontan&eacute;ment (40N, 50L).</p> <p>Extrait 4</p> <p>Signes de transcription</p> <p>E&nbsp;&nbsp; &nbsp;animateur de l&rsquo;atelier<br /> E1&nbsp;&nbsp; &nbsp;observateur de l&rsquo;atelier<br /> M&nbsp;&nbsp; &nbsp;apprenante 1<br /> N&nbsp;&nbsp; &nbsp;apprenant 2<br /> L&nbsp;&nbsp; &nbsp;apprenante 3<br /> O&nbsp;&nbsp; &nbsp;apprenante 4<br /> Cl&nbsp;&nbsp; &nbsp;toute la classe<br /> xxx&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;segment incompr&eacute;hensible<br /> /&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;intonation montante<br /> &nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;intonation descendante<br /> &amp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;r&eacute;p&eacute;tition<br /> :&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;allongement du son<br /> &hellip;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;pause<br /> (&nbsp; )&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;commentaire<br /> [ ]&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;prononciation<br /> Italiques&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;changement de langue<br /> Majuscules&nbsp;&nbsp; &nbsp;emphase du locuteur<br /> Soulignement&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; chevauchements</p> <p>1E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;l&rsquo;interrogation quel est le signe de l&rsquo;interrogation le signe/<br /> 2M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; <em>&nbsp;as&iacute; lo mismo</em> (en dessinant une interrogation en l&rsquo;air) (rires)<br /> 3E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;ha:: c&rsquo;est &ccedil;a oui .. c&rsquo;est pour poser des questions alors: en fran&ccedil;ais/ il y a beaucoup&amp;beaucoup de mots qu&rsquo;on utilise: pour poser des questions mais aujourd&rsquo;hui on va commencer/ &agrave;:: regarder quelques-uns oui/ on va commencer avec O&Ugrave; oui/ ... O&Ugrave;.. O&Ugrave; (en &eacute;crivant au tableau) qu&rsquo;est-ce que c&rsquo;est O&Ugrave;<br /> 4M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>d&oacute;nde</em><br /> 5E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;alors c&rsquo;est pour:: un lieu ... oui/ ... si vous voulez/ poser des questions &agrave; propos un lieu/ qu&rsquo;est-ce que c&rsquo;est lieu/<br /> 6M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>lugar</em><br /> 7E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>lugar</em> oui/ alors on pose la question avec O&Ugrave; par exemple .. &eacute;h:: si je veux dire en fran&ccedil;ais: d&oacute;nde estamos/ comment est-ce qu&rsquo;on dirait &ccedil;a<br /> 8L&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;ser o estar<br /> 9E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;ah&amp;ah ... si esto es d&oacute;nde:: alors comment est-ce qu&rsquo;on fait la&amp;la&amp;la question pose la question<br /> 10M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;o&ugrave; sommes-nous/<br /> 11N&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;o&ugrave; sommes::<br /> 12L&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;o&ugrave; sommes<br /> 13N&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;o&ugrave; sommes/<br /> 14E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;o&ugrave; sommes-nous/ (en &eacute;crivant)<br /> 15N&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;hum:: <em>ser&iacute;a</em>:: o&ugrave; sommes<br /> 16L&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;sommes&amp;sommes<br /> 17E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>c&oacute;mo</em>/<br /> 18L&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;nous sommes<br /> 19E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;o&ugrave;<br /> 20L&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;o&ugrave; sommes-nous/<br /> 21N&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;o&ugrave; sommes-nous/<br /> 22E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;qu&rsquo;est-ce que vous/ regardez de diff&eacute;rent entre cette phrase et ce::&amp;celle-l&agrave;/<br /> 23O&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>la interrogaci&oacute;n se cambia el verbo</em><br /> 24E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;ah&amp;ah .. nous sommes... par exemple nous sommes:: &agrave; l&rsquo;&eacute;cole<br /> 25N&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;hum::<br /> 26E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;alors ici on a le sujet nous&amp;nous et le verbe c&rsquo;est le verbe/ &ecirc;tre oui/<br /> 27M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;hum&amp;hum<br /> 28L&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;&ecirc;tre<br /> 29E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;alors nous sommes/ et dans/ pour poser la question/ on met:: le mot/ de question o&ugrave;/ <em>d&oacute;nde</em>/ et on hum:: comment est-ce qu&rsquo;on dit::<br /> 30E1 :&nbsp;&nbsp; inverse/<br /> 31E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;inverse:<br /> 32L&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>reversa</em><br /> 33N :&nbsp;&nbsp; &nbsp;inverse<br /> 34L&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>al contrario</em><br /> 35E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;ah oui on fait: une: inversion/<br /> 36N&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>inversi&oacute;n</em>/<br /> 37E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;inversion oui du sujet/ et&amp;et de la conjugaison oui/<br /> 38N&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;hum&amp;hum d&rsquo;accord<br /> 39E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;alors ici on a<br /> 40N&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>se cambia la conjugaci&oacute;n/ se invierte se invierte la conjugaci&oacute;n/</em><br /> 41E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;ha&amp;ha<br /> 42M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;ah xxx<br /> 43E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;tout le monde comprend/<br /> 44Cl&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;(rires)<br /> 45E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;il m&rsquo;a dit <em>como en ingl&eacute;s</em> et j&rsquo;ai dit <em>yes</em><br /> 46Cl&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;(rires)<br /> 47E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;ok alors:: je vais vous donner une r&eacute;ponse et vous allez faire la question oui/<br /> 48M&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;oui<br /> 49E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;vous allez faire la question<br /> 50L&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;<em>vamos a ver</em><br /> 51E&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &nbsp;et je vais vous donner la r&eacute;ponse</p> <p><br /> Dans ce groupe, l&rsquo;objet langue occupe la premi&egrave;re place et les th&eacute;matiques portant sur les techniques c&eacute;ramistes et le d&eacute;veloppement touristique sont moins importants. Le fait que les apprenants s&rsquo;assignent un statut d&rsquo;artistes cr&eacute;ateurs, donc connaisseurs des techniques, ou que quelques-uns assistent au cours de fran&ccedil;ais s&rsquo;&eacute;tant faussement d&eacute;clar&eacute;s comme des artisans c&eacute;ramistes, rend secondaire le volet technique du dispositif. Ici, c&rsquo;est la valeur instrumentale de la langue qui compte, car elle constitue un moyen et un outil pour se doter d&rsquo;une nouvelle ressource professionnelle. Pendant plus de deux ans ils s&rsquo;investissent dans cet apprentissage et le dispositif d&eacute;bouche sur la configuration d&rsquo;une Communaut&eacute; de pratique (Wenger, 1998) autour de la langue fran&ccedil;aise. Le projet de diffusion linguistique est couronn&eacute; de succ&egrave;s dans ce groupe, avec l&rsquo;organisation d&rsquo;une c&eacute;r&eacute;monie de cl&ocirc;ture ouverte au public o&ugrave; chacun propose une expression artistique en fran&ccedil;ais. Cette r&eacute;ussite s&rsquo;explique par les m&eacute;rites personnels des participants (Dubois, 1996). Suivant Matthey (2012), la norme d&rsquo;internalit&eacute; caract&eacute;rise le comportement de l&rsquo;individu de la soci&eacute;t&eacute; n&eacute;olib&eacute;rale qui tend &agrave; mettre en valeur le soi et les int&eacute;r&ecirc;ts personnels. Lorsqu&rsquo;ils &eacute;valuent &agrave; posteriori le projet de diffusion linguistique, ils estiment s&rsquo;&ecirc;tre investis dans le projet, avoir appris les bases de la langue fran-&ccedil;aise et manifestent le souhait de continuer &agrave; l&rsquo;apprendre. L&rsquo;absence de la dimension collective, c&rsquo;est-&agrave;-dire, la difficult&eacute; &agrave; travailler ensemble en tant que corps de m&eacute;tier chez les artisans c&eacute;ramistes, met en avant les efforts individuels. Il semblerait donc normal que les artisans c&eacute;ramistes dont la d&eacute;marche professionnelle reste individuelle, trouvent les bonnes raisons d&rsquo;apprendre la langue fran&ccedil;aise et aspirent &agrave; atteindre le niveau de &laquo;&nbsp;comp&eacute;titivit&eacute;&nbsp;&raquo; exig&eacute; par le monde globalis&eacute;. C&rsquo;est-&agrave;-dire que gr&acirc;ce &agrave; la nouvelle langue ils pourront d&eacute;velopper un projet personnel de formation ou d&rsquo;exercice professionnel &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger.</p> <p>3. Les obstacles de l&rsquo;appropriation langagi&egrave;re</p> <p>La vitalit&eacute; de la langue fran&ccedil;aise dans ce milieu rural colombien t&eacute;moigne de la valeur marchande et symbolique assign&eacute;e &agrave; la diversification de son r&eacute;pertoire langagier, et particuli&egrave;rement &agrave; la langue fran&ccedil;aise. Cette exp&eacute;rience de diffusion linguistique permet surtout d&rsquo;observer les strat&eacute;gies et les efforts mis en oeuvre par les acteurs sociaux, dans un contexte qui les exhorte &agrave; s&rsquo;approprier une ressource indispensable dans le contexte global actuel.<br /> Au d&eacute;part, pour les groupes, la langue fran&ccedil;aise repr&eacute;sente l&rsquo;espoir d&rsquo;am&eacute;liorer leurs conditions de vie, gr&acirc;ce &agrave; une potentielle innovation productive chez les producteurs agricoles et &agrave; la possibilit&eacute; de devenir comp&eacute;tent en mati&egrave;re de tourisme local chez les artisans c&eacute;ramistes. Par ailleurs, le dispositif didactique avan&ccedil;ant, les modes de participation &eacute;voluent et des diff&eacute;rences se marquent entre les groupes.<br /> L&rsquo;implication des producteurs agricoles est de courte dur&eacute;e, avec 30 heures de fran&ccedil;ais au total. Ils constatent que la langue fran&ccedil;aise ne contribue pas directement aux objectifs d&rsquo;autonomie &eacute;conomique et alimentaire qu&rsquo;ils poursuivent en tant qu&rsquo;association paysanne. De leur c&ocirc;t&eacute;, les artisans c&eacute;ramistes s&rsquo;investissent sur un total de 120 heures de fran&ccedil;ais. Pour les membres de ce groupe, la langue &eacute;trang&egrave;re est une ressource qui &eacute;largit l&rsquo;&eacute;ventail des opportunit&eacute;s professionnelles. Cependant, le volet des techniques c&eacute;ramiques qu&rsquo;offre cet apprentissage n&rsquo;apparait pas comme essentiel. M&ecirc;me si les deux groupes apprenant consid&egrave;rent la langue comme n&eacute;cessaire, les processus observ&eacute;s portent &agrave; croire que plus le m&eacute;tier est socialement valoris&eacute; plus le sujet s&rsquo;investit dans un processus d&rsquo;appropriation langagi&egrave;re. Suivant le m&ecirc;me raisonnement, moins le m&eacute;tier est valoris&eacute;, moins le sujet est pr&ecirc;t &agrave; s&rsquo;investir dans un processus long et couteux. C&rsquo;est ce que nous allons interroger maintenant.</p> <p>3.1 La nature du m&eacute;tier</p> <p>Dans ce milieu rural, la c&eacute;ramique artisanale b&eacute;n&eacute;ficie d&rsquo;une image particuli&egrave;rement favorable car elle repr&eacute;sente une tradition culturelle et un patrimoine r&eacute;gional. L&rsquo;artisan c&eacute;ramiste se consid&egrave;re comme un artiste cr&eacute;ateur, form&eacute; sous l&rsquo;&eacute;gide d&rsquo;un &laquo;&nbsp;maitre&nbsp;&raquo; qui l&rsquo;a initi&eacute; et qui lui a inculqu&eacute; des valeurs comme la confiance et la discipline. Gr&acirc;ce &agrave; ce processus de&nbsp; &laquo;&nbsp;nourrissage&nbsp;&raquo;, il cr&eacute;e son propre atelier. La base de ce m&eacute;tier est le talent et celui-ci s&rsquo;exerce de fa&ccedil;on individuelle. L&rsquo;apprentissage, l&rsquo;am&eacute;lioration ou l&rsquo;innovation artisanale semblent &ecirc;tre des processus qui se r&eacute;alisent de mani&egrave;re individuelle. Cette posture professionnelle justifie, en quelque sorte, le fait que les artisans c&eacute;ramistes de cette r&eacute;gion rurale ne r&eacute;ussissent pas &agrave; s&rsquo;associer.<br /> Dans la mesure o&ugrave; le m&eacute;tier ritualise certains sch&eacute;mas de transmission des savoirs, il influe sur les processus d&rsquo;appropriation. L&rsquo;individualisme forg&eacute; par le m&eacute;tier de la cr&eacute;ation artisanale semblerait donc favoriser les acquisitions langagi&egrave;res. Suivant cette logique, les artisans c&eacute;ramistes con&ccedil;oivent l&rsquo;apprentissage de la langue comme un processus qui exige de soi-m&ecirc;me. Ils travaillent souvent de mani&egrave;re autonome. Leurs comportements didactiques dans les ateliers hebdomadaires de langue fran&ccedil;aise font preuve de leur investissement dans les processus d&rsquo;apprentissage&nbsp;: centration sur la langue, nombre et volume de prise de parole &eacute;lev&eacute;s, &eacute;puisement de leurs propres ressources avant de faire appel &agrave; l&rsquo;enseignant, n&eacute;gociation de la construction de l&rsquo;activit&eacute;, non besoin d&rsquo;un meneur dans le groupe et adaptabilit&eacute; aux activit&eacute;s propos&eacute;es par les jeunes enseignants.</p> <p>3.2 La relation &agrave; un d&eacute;veloppement productif</p> <p>Lorsque j&rsquo;ai interrog&eacute; les producteurs agricoles sur la cause de leur d&eacute;crochage par rapport au dispositif didactique, ils &eacute;voquent deux raisons majeures. La premi&egrave;re a trait aux conditions naturelles. Ils invoquent la difficult&eacute; de la mise en oeuvre de processus de fabrication fromag&egrave;re similaires dans des conditions climatiques aussi diff&eacute;rentes par rapport aux saisons en France. La deuxi&egrave;me raison &eacute;voqu&eacute;e concerne les usages alimentaires locaux qui privil&eacute;gient la consommation de fromage frais au lait de vache et non de ch&egrave;vre. Ils distinguent la mission de leur association paysanne, consistant &agrave; produire et diffuser des aliments biologiques, de la mission culturelle qu&rsquo;impliquerait l&rsquo;&eacute;ducation &agrave; la consommation de nouveaux produits. Op&eacute;rer un changement de ce type n&eacute;cessiterait un travail sur plusieurs g&eacute;n&eacute;rations.<br /> Cette impasse d&rsquo;ordre culturel est r&eacute;v&eacute;latrice de la confrontation entre leur propre dynamique ancr&eacute;e dans un rayon spatio-temporel limit&eacute; &agrave; leur capacit&eacute; d&rsquo;action, alors que l&rsquo;&Eacute;tat-nation leur assigne un objectif de d&eacute;passement des fronti&egrave;res g&eacute;ographiques et g&eacute;n&eacute;rationnelles, par sa volont&eacute; formelle d&rsquo; &laquo;&nbsp;innovation&nbsp;&raquo; dans le cadre des projets qui sont financ&eacute;s. Dans la mesure o&ugrave; les ateliers techniques ne leur offrent pas d&rsquo;&eacute;volution productive concr&egrave;te et que le d&eacute;veloppement local ne profite pas de la culture &eacute;trang&egrave;re, ils se d&eacute;sengagent de l&rsquo;apprentissage technique et linguistique.</p> <p>3.2.1 D&eacute;t&eacute;rioration progressive du rapport &agrave; l&rsquo;intervenant &eacute;tranger<br /> Il a fallu attendre deux ans pour connaitre d&rsquo;autres raisons jusqu&rsquo;alors occult&eacute;es, expliquant leur d&eacute;crochage. Lors d&rsquo;une visite dominicale du point de vente, un membre de l&rsquo;association paysanne m&rsquo;explique que les producteurs agricoles ayant particip&eacute; au projet linguistique et technique, avaient &eacute;t&eacute; particuli&egrave;rement frapp&eacute;s par un geste du technicien, qui &laquo;&nbsp;testait la temp&eacute;rature du lait en plongeant la pointe de son auriculaire dans le r&eacute;cipient contenant le lait chaud et le mettait ensuite dans sa bouche&nbsp;&raquo;. D&rsquo;apr&egrave;s mon interlocutrice, ce geste &eacute;tait renouvel&eacute; sans se laver les mains entre chaque essai. Des gestes anodins pour le technicien fromager, &eacute;taient suivis et interpr&eacute;t&eacute;s comme un comportement non hygi&eacute;nique par les producteurs agricoles. Pendant le d&eacute;roulement du dispositif, le technicien fran&ccedil;ais avait lui aussi mis en cause l&#39;hygi&egrave;ne de la traite, des bassines et la qualit&eacute; de l&#39;eau du robinet. Du point de vue des producteurs agricoles, les ustensiles rinc&eacute;s avant et apr&egrave;s leur utilisation avec de l&rsquo;eau en abondance, &eacute;taient consid&eacute;r&eacute;s comme propres et aptes au traitement du lait.<br /> Il apparait alors que le sentiment de &laquo;&nbsp;manque d&rsquo;hygi&egrave;ne&nbsp;&raquo; chez l&rsquo;autre est r&eacute;ciproque. Levine et Campbell (&nbsp;1972&nbsp;:&nbsp;183&nbsp;), cit&eacute;s par Doise, Deschamps et Mugny (1978, 1991&nbsp;:&nbsp;18), ont montr&eacute; que les traits de l&rsquo;autost&eacute;r&eacute;otype d&rsquo;un groupe social trouvent des correspondances syst&eacute;matiquement distorsionn&eacute;es lorsque ces m&ecirc;mes traits sont &eacute;valu&eacute;s chez un autre groupe social. En g&eacute;n&eacute;ral, les &eacute;valuations favorisent le groupe d&rsquo;appartenance et refl&egrave;tent les relations socio-&eacute;conomiques existantes entre les groupes (Peabody, 1968). Les &eacute;checs de la fabrication fromag&egrave;re ajout&eacute;s donc &agrave; ces gestes &laquo;&nbsp;pas propres&nbsp;&raquo;, ont d&eacute;mystifi&eacute; le savoir-faire du technicien fromager et ont affaibli sa l&eacute;gitime place d&rsquo;expert. La langue et la culture qu&rsquo;il repr&eacute;sentait se sont aussi dissoutes dans ces h&eacute;t&eacute;ro-&eacute;valuations n&eacute;gatives. Les rapports entre le technicien fromager et les producteurs agricoles se sont d&eacute;grad&eacute;s progressivement.</p> <p>3.2.2 N&eacute;gociation de la r&eacute;ciprocit&eacute; et rupture<br /> Tandis que le d&eacute;sint&eacute;r&ecirc;t de la part des producteurs agricoles grandissait, le technicien fromager subissait la pression des comptes qu&rsquo;il devait rendre &agrave; ses financeurs en France et &agrave; leurs objectifs de coop&eacute;ration internationale.&nbsp;Il incarnait des donateurs invisibles et devenait leur porte-parole. Il a fait appel aux engagements de chacun &agrave; plusieurs reprises (&laquo; qui donne quoi ? &agrave; qui ? &raquo;) pendant son s&eacute;jour. Cette remise en cause des engagements mat&eacute;riels et moraux a instaur&eacute; une r&eacute;ciprocit&eacute; n&eacute;goci&eacute;e qui au lieu d&rsquo;&eacute;galiser les rapports, les a d&eacute;grad&eacute;s. En effet, les producteurs agricoles ont pris une posture de plus en plus d&eacute;sengag&eacute;e par rapport aux besoins du technicien fromager. La coop&eacute;ration et la solidarit&eacute; ont &eacute;t&eacute; affect&eacute;es et un syt&egrave;me d&rsquo;attributions n&eacute;gatives r&eacute;ciproques s&rsquo;est d&eacute;velopp&eacute;, jusqu&rsquo;&agrave; la rupture. Les diktat de d&eacute;veloppement, dont la &laquo; diversification du r&eacute;pertoire langagier&nbsp;&raquo; ou l&rsquo;&laquo;&nbsp;innovation&nbsp;&raquo; font partie, est donc pass&eacute; &agrave; la trappe. La &laquo;&nbsp;fiert&eacute;&nbsp;&raquo; des producteurs agricoles s&rsquo;est nourrie de leur souhait de s&rsquo;approprier leur territoire en tant que projet socio-politique, cherchant de formes alternatives d&rsquo;organisation, avec une vision du d&eacute;veloppement d&eacute;tach&eacute;e d&rsquo;une centralit&eacute; de pouvoir politique et &eacute;conomique. Sous cet angle d&rsquo;action, la langue fran&ccedil;aise et les savoir-faire techniques auxquels elle donne acc&egrave;s, mettent en circulation des valeurs et des usages bas&eacute;s sur la n&eacute;gociation ou encore la domination. Alors qu&rsquo;&agrave; contrario, les producteurs agricoles aspirent au d&eacute;veloppement d&rsquo;une dynamique bas&eacute;e sur l&rsquo;autonomie.<br /> L&rsquo;intervenant &eacute;tranger, technicien fromager, est d&eacute;pass&eacute; par un effort d&rsquo;adaptation &agrave; une apparente qui&eacute;tude locale vis-&agrave;-vis du projet et par la pression des r&eacute;sultats qu&rsquo;il est cens&eacute; rapporter &agrave; ses partenaires institutionnels. Le hiatus qu&rsquo;il incarne ne favorise pas son image face &agrave; ses partenaires locaux dont la totalit&eacute; opte pour la d&eacute;crochage. Tandis que l&rsquo;intervenant &eacute;tranger exprime ses exigences et calcule le cout de ses actions, les producteurs agricoles se livrent &agrave; une exp&eacute;rience nouvelle et libre, dont les couts sont assum&eacute;s par l&rsquo;association paysanne et non pas individuellement. Les positions et les dispositions r&eacute;ciproques g&eacute;n&egrave;rent des discordances et la situation s&rsquo;ach&egrave;ve par l&rsquo;interruption des actions formatives autour de la fabrication fromag&egrave;re et de la langue fran&ccedil;aise.</p> <p>3.3 L&rsquo;&eacute;ducation &agrave; l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;</p> <p>Cette exp&eacute;rience montre que le risque de conflit augmente quand les participants sont conscients de la valeur des objets qu&rsquo;ils &eacute;changent. Ainsi, la r&eacute;ciprocit&eacute; doit &ecirc;tre un choix de libre arbitre et non pas une dette &agrave; solder. Cependant, si au centre de l&rsquo;action se trouvent des individus dot&eacute;s de sympathie, ayant le pouvoir de se mettre &agrave; la place des autres, car &laquo;&nbsp;tout le processus d&eacute;pend de l&rsquo;identification d&rsquo;un soi &agrave; un autrui&nbsp;&raquo; (Mead, 1934, cit&eacute; par Boltanski &amp; Th&eacute;venot, 1991 : 82), il faut pouvoir se former &agrave; ce processus d&rsquo;identification r&eacute;ciproque. L&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; et le renouvellement continu des rapports entre les hommes sont possibles si les &laquo;&nbsp;partenaires rivalisent de g&eacute;n&eacute;rosit&eacute;&nbsp;&raquo; (Mauss, 1923). Cette pratique de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; permettrait de d&eacute;velopper des dimensions telles que la confiance, le regard affectif, l&rsquo;unit&eacute; sociale et les sentiments d&rsquo;engagement (Molm, Collett &amp; Schaefer, 2007 : 207).</p> <p>Conclusion</p> <p>Dans ce milieu rural colombien, deux attitudes contradictoires vis-&agrave;-vis du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re se sont r&eacute;v&eacute;l&eacute;es. Il semblerait que la nature du m&eacute;tier d&eacute;termine les rapports que chaque groupe entretient avec la nouvelle langue, &agrave; partir de deux constituants : la modalit&eacute; de transmission des savoirs (nourrissage ou de p&egrave;re en fils) et la logique de l&rsquo;agir social (individuelle ou collective). La premi&egrave;re influe sur la hi&eacute;rarchisation des statuts sociaux et la seconde sur l&rsquo;engagement et les strat&eacute;gies de r&eacute;ussite.<br /> Dans le groupe des artisans c&eacute;ramistes, les processus d&rsquo;appropriation langagi&egrave;re sont compris comme n&eacute;cessitant un effort et un travail autonome soutenu. La valeur marchande du fran&ccedil;ais et la gratuit&eacute; du dispositif didactique propos&eacute; incitent les artisans c&eacute;ramistes &agrave; s&rsquo;engager dans un processus d&rsquo;appropriation de longue haleine, qui les aide d&rsquo;ailleurs &agrave; surmonter des rivalit&eacute;s issues des tentatives de collaboration coll&eacute;giale dans le cadre de projets productifs ou artistiques ant&eacute;rieurs. La langue fran&ccedil;aise suscite leur d&eacute;sir individuel d&rsquo;appropriation et les pousse &agrave; se r&eacute;unir en dehors des cours, pour augmenter les occasions de pratique. Dans ce groupe, l&rsquo;imp&eacute;ratif de d&eacute;veloppement &eacute;conomique et d&rsquo;ouverture culturelle trouve un public motiv&eacute;.<br /> Pour le groupe des producteurs agricoles, la langue devient une ressource certes int&eacute;ressante mais les efforts en temps et en processus d&rsquo;appropriation sont trop importants. Ils se d&eacute;sint&eacute;ressent progressivement des valeurs associ&eacute;s au fran&ccedil;ais et collectivement ils portent les actions vers de nouveaux objectifs comme la commercialisation de leurs produits dans des r&eacute;seaux locaux. M&ecirc;me si cette ren&eacute;gociation des valeurs associ&eacute;es &agrave; la langue fran&ccedil;aise, les &eacute;loigne des objectifs initiaux du projet, ils r&eacute;ussissent &agrave; r&eacute;affirmer leur autonomie et leur pouvoir &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle locale. De cette sorte, ils deviennent plus conscients de leurs propres ressources et prennent de la distance par rapport &agrave; l&rsquo;intervenant &eacute;tranger.<br /> Du c&ocirc;t&eacute; des futurs enseignants de langues &eacute;trang&egrave;res, la tentative de cr&eacute;ation d&rsquo;un march&eacute; pour la langue fran&ccedil;aise dans ce contexte rural r&eacute;v&egrave;le la primaut&eacute; de se former &agrave; la rencontre de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. En effet, dans un milieu certes p&eacute;riph&eacute;rique mais impact&eacute; par une dynamique &eacute;conomique globalis&eacute;e, les habitants sont au coeur des pratiques sociales nouvelles, s&rsquo;ouvrant sur des identit&eacute;s diversifi&eacute;es qui exigent, au-del&agrave; des savoirs linguistiques et des savoir-faire techniques, des savoir-&ecirc;tre form&eacute;s et conscients. Il apparait donc que le d&eacute;sir d&rsquo;apprendre ou l&rsquo;utilit&eacute; suppos&eacute;e de la langue fran&ccedil;aise dans bien des cas comme dans celui-ci, ne se suffit pas &agrave; lui-m&ecirc;me, et doit &ecirc;tre accompagn&eacute; d&rsquo;une &eacute;ducation interculturelle r&eacute;flexive et structur&eacute;e.</p> <p>Bibliographie</p> <p>BOLTANSKI, L. &amp; TH&Eacute;VENOT, L., De la justification, les &eacute;conomies de la grandeur, &Eacute;ditions Gallimard, Paris, 1991.<br /> BLOMMAERT, J., The sociolinguistics of globalization, Cambridge University Press, UK, 2010.<br /> Cadre europ&eacute;en commun de r&eacute;f&eacute;rence pour les langues&nbsp;: Apprendre, enseigner, &eacute;valuer, Conseil de l&rsquo;Europe, Les &Eacute;ditions Didier, Paris, 2005.<br /> DOISE, W., DESCHAMPS, J.-C. &amp; MUGNY, G., Psychologie sociale exp&eacute;rimentale, Armand Colin, Paris, 1978.<br /> DUBOIS, N., Le locus of control, Dans Deschamps et Beauvois (dir.), Des attitudes aux attributions. Sur la construction de la r&eacute;alit&eacute; sociale, Grenoble, PUG, 1996.<br /> DUCHENE, A. &amp; HELLER, M., &laquo; Pride and Profit&nbsp;: Changing Discourses of Language, Capital and Nation-State &raquo;, In Language in Late Capitalism, Pride and Profit, Duch&ecirc;ne and Heller (Ed.). Sabon, IBT Global, 2012, p. 1-21.<br /> GALEANO, E., Las venas abiertas de Am&eacute;rica latina, Siglo XXI de Espa&ntilde;a Editores, S.A. Madrid, [&nbsp;1971&nbsp;] 2005.<br /> LEVINE, R.A. &amp; CAMPBELL, D.T., Ethnocentricism, Theories of conflict, Ethnic attitudes and Group Behavior, London, John Willey &amp; Sons, 1972.<br /> MATTHEY, M., &laquo;&nbsp;Rapports intergroupes, exolinguisme et didactique des langues &raquo;, Cours en partenariat Cned - Universit&eacute; Stendhal Grenoble 3, Master mention Sciences du langage, sp&eacute;cialit&eacute; Fle, 1re ann&eacute;e, 2012.<br /> MAUSS, &laquo;&nbsp;Essais sur le don. Forme et raison de l&rsquo;&eacute;change dans les soci&eacute;t&eacute;s archa&iuml;ques &raquo;, Ann&eacute;e sociologique, Dans Sociologie et anthropologie, PUF, [&nbsp;1923-1924&nbsp;] 1997, p. 143-280.<br /> MEAD, G. H., L&rsquo;esprit, le soi et la soci&eacute;t&eacute;, Paris, PUF, [&nbsp;1934&nbsp;] 1963.<br /> MERKLEN, D., &laquo;&nbsp;Les effets de la coop&eacute;ration&nbsp;: quel lien g&eacute;n&egrave;re la solidarit&eacute; internationale&nbsp;? &raquo; Dans Pinet, N. (&nbsp;dir.&nbsp;) &Ecirc;tre comme eux&nbsp;? Perspectives critiques sur le d&eacute;veloppement en Am&eacute;rique latine, Parangon/VS Editions, Lyon, 2013, p. 169-184.<br /> MOLM, L., COLLETT, J. &amp; SCHAEFER, D., &laquo;&nbsp;Building solidarity through Generalized Exchange : A Theory of Reciprocity &raquo;, In American Journal of Sociology, By The University of Chicago, Volume 113, No. 1, July, 2007, p. 205-242.<br /> PEABODY, D., &laquo;&nbsp;Group judgments in the Philippines : Evaluative and descriptive aspects &raquo;, Journal of Personnality and Social Psychology, Vol 10(3), November, 1968, p. 290- 300.<br /> VILLA, B., Les enjeux socio-&eacute;conomiques de l&rsquo;enseignement plurilingue en milieu rural en Colombie: le cas de l&rsquo;Oriente d&rsquo;Antioquia. Th&egrave;se de doctorat en Lettres et Arts, Sp&eacute;cialit&eacute; Linguistique, Sociolinguistique et Acquisition du langage. Travaux dirig&eacute;s par Marinette Matthey. Universit&eacute; de Grenoble, 2014.<br /> WENGER, E., Communities of Practice, New York, Cambridge University Press, 1998.</p>