<h2>1. Le probl&egrave;me de la &laquo;&nbsp;conceptualisation utilitariste &raquo; des langues &eacute;trang&egrave;res</h2> <p>En Europe mais aussi dans le reste du monde, la didactique des langues &eacute;trang&egrave;res et du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re s&rsquo;appuie principalement sur l&rsquo;utilisation de cadres communs de r&eacute;f&eacute;rences, dont le Cadre europ&eacute;en commun de r&eacute;f&eacute;rences pour les langues (CECR). Outil de l&rsquo;harmonisation des formations en langues &eacute;trang&egrave;res, celui-ci sert &agrave; privil&eacute;gier l&rsquo;orientation communicative-actionnelle dans les formations. De nombreuses critiques concernent le CECR mais nous nous int&eacute;ressons plus particuli&egrave;rement &agrave; celles qui portent sur sa &laquo;&nbsp;conceptualisation pragmatiste voire utilitariste de la langue&nbsp;&raquo; (Huver, 2017&nbsp;: 30) et qui s&rsquo;expriment dans les &eacute;crits de Prieur et Volle (2016&nbsp;: 84)&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Le discours du cadre ne vise qu&rsquo;&agrave; enseigner, &agrave; travers des &laquo;savoir-faire&raquo; et des &laquo;savoir &ecirc;tre&raquo;, un code communicatif et comportemental adapt&eacute; aux r&eacute;alit&eacute;s professionnelles et &eacute;conomiques de notre &eacute;poque. L&rsquo;oubli de la langue, de sa mat&eacute;rialit&eacute;, de son inad&eacute;quation fonci&egrave;re au r&eacute;el, de ses lieux d&rsquo;&eacute;quivoques revient &agrave; occulter l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; de la langue, celle-l&agrave; m&ecirc;me qui est &agrave; l&rsquo;origine du d&eacute;sir que l&rsquo;on peut avoir de l&rsquo;apprendre.</p> </blockquote> <p>S&rsquo;impose la repr&eacute;sentation que toute langue doit &ecirc;tre utile et s&rsquo;apprend d&rsquo;une fa&ccedil;on organis&eacute;e, d&rsquo;apr&egrave;s des &eacute;tapes et des proc&eacute;dures standardis&eacute;es, qui renie les relations intersubjectives entre enseignants et apprenants et, ainsi, l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; qui se pr&eacute;sente dans et par la langue. &nbsp;Cela remet en cause &nbsp;les notions d&rsquo;enseignement et d&rsquo;apprentissage car le risque est important de d&eacute;responsabiliser &agrave; la fois les enseignants et les apprenants dans la co-construction des savoirs en donnant la priorit&eacute; &agrave; l&rsquo;assimilation d&rsquo;un code linguistique format&eacute; dans des dispositifs semblables partout. Le travail en classe ne s&rsquo;&eacute;tablit alors plus dans la relation humaine, dans une interaction aliment&eacute;e par l&rsquo;impr&eacute;vu et l&rsquo;impr&eacute;visible. La langue assimil&eacute;e est pauvre, d&eacute;tach&eacute;e de toute relation &agrave; une culture ou une autre, et incapable de permettre aux apprenants de se confronter v&eacute;ritablement &agrave; une langue-culture pour d&eacute;couvrir autrui et soi-m&ecirc;me. Enfin, le travail propos&eacute; ne permet alors pas aux apprenants de vivre &laquo; une exp&eacute;rience radicalement subjective, affective, relationnelle, qui mobilise int&eacute;gralement le sujet, son d&eacute;sir, son corps, son imaginaire, ses relations aux autres&nbsp;&raquo; (Prieur et Volle, <i>ibid</i>.&nbsp;: 85).</p> <p>Le r&ocirc;le et le statut de chacun des acteurs de la relation p&eacute;dagogique se trouvent tr&egrave;s limit&eacute;s, la puissance de d&eacute;couverte qui r&eacute;side dans toute langue est d&eacute;ni&eacute;e. Nous consid&eacute;rons que le travail en classe entre enseignants et apprenants perd alors tout son sens, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; la fois sa signification dans le contexte socioculturel dans lequel s&rsquo;inscrit la classe et son influence sur ce contexte. On n&rsquo;oublie alors de se demander ce que la r&eacute;union des uns et des autres apporte ou change pour chacun, mais aussi pour l&rsquo;environnement et comment chacun peut participer &agrave; cette dynamique.</p> <p>Ce ph&eacute;nom&egrave;ne affecte de plus en plus les formations en langue en Europe, ce qui nous semble pr&eacute;occupant. Travailler au niveau sup&eacute;rieur &agrave; partir d&rsquo;une repr&eacute;sentation des langues en tant qu&rsquo;outils de communication peut &eacute;ventuellement aller dans le sens de l&rsquo;employabilit&eacute; des &eacute;tudiants attendue des instances gouvernementales et communautaires. N&eacute;anmoins, cela va assur&eacute;ment &agrave; l&rsquo;encontre de vis&eacute;es sociales bas&eacute;es sur le d&eacute;veloppement personnel et l&rsquo;am&eacute;lioration de la compr&eacute;hension interculturelle, pourtant rappel&eacute;es r&eacute;guli&egrave;rement dans les textes officiels<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>. Par ailleurs, il nous semble que proposer aux &eacute;tudiants une v&eacute;ritable exp&eacute;rience personnelle qui entretienne leur &laquo;&nbsp;d&eacute;sir de langue&nbsp;&raquo; devrait permettre d&rsquo;entretenir leur dynamique d&rsquo;apprentissage. Cela peut avoir une influence sur la fr&eacute;quentation des formations et sur leur maintien, selon des consid&eacute;rations &eacute;conomiques de plus en plus importantes pour les &eacute;tablissements d&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur.</p> <h2>2. Vers une p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative</h2> <p>Pour les raisons que nous venons d&rsquo;&eacute;voquer, il nous semble primordial de proposer une alternative &agrave; cette didactique appauvrie. Pour cela, nous tenons compte de ce qui constitue une part essentielle de la r&eacute;alit&eacute; de la classe, de ce qui lui donne sens&nbsp;: les relations des individus entre eux, induites, notamment, par leurs rapports avec leur environnement et par ceux qu&rsquo;ils ont dans et avec la langue &eacute;trang&egrave;re ou d&rsquo;autres langues. Cela nous am&egrave;ne &agrave; appuyer notre r&eacute;flexion sur des travaux de linguistique &eacute;nonciative.</p> <h3>2.1.&nbsp;La cr&eacute;ativit&eacute; dans l&rsquo;&eacute;nonciation</h3> <p>Nous savons de Benveniste (1966&nbsp;: 78) que &laquo;&nbsp;la parole asservit la langue &agrave; des fins individuelles et intersubjectives, lui ajoutant ainsi un dessin nouveau et strictement personnel&nbsp;&raquo; dans un processus d&rsquo;&eacute;nonciation qui est par essence dialogique et cr&eacute;atif. En effet, rappelons que &laquo;&nbsp;tout homme invente sa langue et l&rsquo;invente toute sa vie. Et tous les hommes inventent leur propre langue sur l&rsquo;instant et chacun d&rsquo;une fa&ccedil;on distinctive, et chaque fois d&rsquo;une fa&ccedil;on nouvelle&nbsp;&raquo; (Benveniste, 1974&nbsp;: 18-19). En outre, gr&acirc;ce &laquo;&nbsp;&agrave; la fois &agrave; la signifiance des signes et &agrave; la signifiance de l&rsquo;&eacute;nonciation&nbsp;&raquo; (Benveniste, 1974&nbsp;: 65), chaque interlocuteur produit le monde et lui donne un sens gr&acirc;ce &agrave; la co-r&eacute;f&eacute;rence avec autrui. C&rsquo;est ce potentiel cr&eacute;atif de la langue actualis&eacute; dans l&rsquo;&eacute;nonciation qui devrait &ecirc;tre encourag&eacute;e dans la classe de langue &eacute;trang&egrave;re et ainsi lui donner sens.</p> <p>Par ailleurs, nous retenons que Bakthine (1977&nbsp;: 134-136) insiste particuli&egrave;rement sur la &laquo; nature sociale &raquo; de l&rsquo;&eacute;nonciation. Les interlocuteurs sont influenc&eacute;s par les milieux sociaux dans lesquels s&rsquo;ins&egrave;re la situation d&rsquo;&eacute;nonciation qu&rsquo;ils d&eacute;veloppent et dans le m&ecirc;me temps ils participent &agrave; un ph&eacute;nom&egrave;ne plus large que cette situation. En effet, Bakhtine indique que &laquo;&nbsp;toute &eacute;nonciation (&hellip;) ne constitue qu&rsquo;une fraction d&rsquo;un courant de communication ininterrompu &nbsp;(touchant &agrave; la vie quotidienne, la litt&eacute;rature, la connaissance, la politique, etc.)&nbsp;&raquo;. Les interlocuteurs interviennent plus largement dans plusieurs r&eacute;seaux de co-r&eacute;f&eacute;rence, ils participent &agrave; une polyphonie, un entrem&ecirc;lement de voix qui alimente l&rsquo;&eacute;nonciation pour r&eacute;pondre &agrave; d&rsquo;autres &eacute;nonciations, en engendrer de nouvelles.</p> <p>Ajoutons que ce processus d&rsquo;&eacute;nonciation engage les interlocuteurs dans une relation imm&eacute;diate, intime. C&rsquo;est ce que nous comprenons de Merleau-Ponty (1945&nbsp;: 407)&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Dans l&rsquo;exp&eacute;rience du dialogue, il se construit entre autrui et moi un terrain commun, ma pens&eacute;e et la sienne ne font qu&rsquo;un seul tissu, mes propos et ceux de l&rsquo;interlocuteur sont appel&eacute;s par l&rsquo;&eacute;tat de la discussion, ils s&rsquo;ins&egrave;rent dans une op&eacute;ration commune dont aucun de nous n&rsquo;est le cr&eacute;ateur. Il y a l&agrave; un &ecirc;tre &agrave; deux, et autrui n&rsquo;est plus ici pour moi un simple comportement dans mon champ transcendantal, ni d&rsquo;ailleurs moi dans le sien, nous sommes l&rsquo;un pour l&rsquo;autre collaborateurs dans une r&eacute;ciprocit&eacute; parfaite, nos perspectives glissent l&rsquo;une dans l&rsquo;autre, nous coexistons &agrave; travers un m&ecirc;me monde.</p> </blockquote> <p>Se conclut alors &laquo;&nbsp;un pacte avec autrui&nbsp;&raquo;, par lequel chacun vit &laquo;&nbsp;dans un intermonde&nbsp;&raquo;. Il ne s&rsquo;agit pas toutefois de s&rsquo;illusionner d&rsquo;un partage altruiste et n&eacute;cessairement &eacute;quilibr&eacute; entre les deux interlocuteurs. Merleau-Ponty remarque bien que l&rsquo;intermonde cr&eacute;&eacute; est d&rsquo;abord &laquo;&nbsp;un projet mien&nbsp;&raquo; et que les engagements des interlocuteurs peuvent &ecirc;tre de niveaux diff&eacute;rents. N&eacute;anmoins, pour que le dialogue ait vraiment lieu, il doit y avoir &laquo;&nbsp;r&eacute;ciprocit&eacute;&nbsp;&raquo; entre les deux interlocuteurs ou &laquo;&nbsp;la coexistence doit &ecirc;tre en tout cas v&eacute;cue par chacun&nbsp;&raquo; sous peine de ne pas trouver un &laquo;&nbsp;monde commun&nbsp;&raquo; (<i>ibid</i>.&nbsp;: 409-410).</p> <p>La cr&eacute;ativit&eacute; &eacute;nonciative peut induire, s&rsquo;accompagner ou se nourrir de la cr&eacute;ativit&eacute; g&eacute;n&eacute;rale des interlocuteurs car elles ont des aspects similaires. C&rsquo;est ce que nous retenons des travaux en psychologie sociale de Baerveldt et Cresswell (2015&nbsp;: 93-108) lorsqu&rsquo;ils discutent, entre autres, les &eacute;crits de linguistes tels que Herder, Von Humbolt, Chomsky ou Bakhtine pour &eacute;clairer la notion de cr&eacute;ativit&eacute;. Ils en arrivent &agrave; la conclusion que la cr&eacute;ativit&eacute; est un processus social et culturel&nbsp;: il implique une relation intersubjective et les actions qu&rsquo;il induit &laquo;&nbsp;restent connect&eacute;es aux tensions sociales et aux polarit&eacute;s qui les ont initialement provoqu&eacute;s&nbsp;&raquo; (<i>ibid</i>.&nbsp;: 107). D&rsquo;apr&egrave;s Csikszentmihalyi (2014&nbsp;: 78), la cr&eacute;ativit&eacute; est un processus interne &agrave; la personne qui se joue dans l&rsquo;interaction avec le contexte socioculturel. L&rsquo;auteur propose un mod&egrave;le syst&eacute;mique de la cr&eacute;ativit&eacute; qui la pr&eacute;sente comme un processus interactif entre les personnes, les domaines et les champs (2014.&nbsp;: 165). Selon lui (<i>ibid</i>.&nbsp;: 167), il y a cr&eacute;ativit&eacute; lorsque plusieurs personnes agissent sur un domaine particulier, c&rsquo;est-&agrave;-dire des connaissances, des repr&eacute;sentations, des symboles constitutifs d&rsquo;une culture, dans un champ donn&eacute;, autrement dit un groupe social pr&eacute;cis. La cr&eacute;ativit&eacute; est &laquo;&nbsp;un changement dans un syst&egrave;me symbolique&nbsp;&raquo; qui va faire &eacute;voluer &laquo;&nbsp;les pens&eacute;es et les sentiments des autres membres d&rsquo;une culture&nbsp;&raquo;. N&eacute;anmoins, ce changement n&rsquo;est possible que par la reconnaissance de &laquo;&nbsp;la variation&nbsp;&raquo; propos&eacute;e dans le domaine par les membres constituant le groupe social int&eacute;ress&eacute; par ce domaine et cette variation.</p> <p>Cette id&eacute;e de variation met en lumi&egrave;re ce qui incite et permet effectivement le d&eacute;veloppement de la cr&eacute;ativit&eacute;. C&rsquo;est ce que Glăveanu et Gillespie (2015&nbsp;: 11-12) pr&eacute;sentent comme &laquo;&nbsp;la n&eacute;gociation des diff&eacute;rences&nbsp;&raquo; qui a lieu &laquo;&nbsp;dans la relation entre soi-m&ecirc;me, autrui, l&rsquo;objet et le signe&nbsp;&raquo; et qui permet &agrave; l&rsquo;humain de partager diff&eacute;rentes repr&eacute;sentations et de transformer &laquo;&nbsp;des diff&eacute;rences int&eacute;rioris&eacute;es en des tensions productives et cr&eacute;atives&nbsp;&raquo;. Ce traitement de la diff&eacute;rence se d&eacute;roule soit dans une tendance &agrave; &laquo;&nbsp;r&eacute;duire l&rsquo;&eacute;cart&nbsp;&raquo; entre un &eacute;l&eacute;ment et un autre pour atteindre une forme de compr&eacute;hension partag&eacute;e, soit, &agrave; l&rsquo;inverse, dans un mouvement &laquo;&nbsp;d&rsquo;ouverture des diff&eacute;rences&nbsp;&raquo; qui &laquo;&nbsp;encourage l&rsquo;&eacute;mergence de nouvelles perspectives dans un espace intersubjectif&nbsp;&raquo;. D&rsquo;apr&egrave;s les auteurs, Ric&oelig;ur donne des exemples de ces deux tendances dans sa discussion sur la cr&eacute;ativit&eacute; du langage (1973). La polys&eacute;mie &eacute;tant caract&eacute;ristique de toute langue, il existe des usages d&rsquo;une langue qui vont chercher &agrave; r&eacute;duire cette polys&eacute;mie, comme les versions canoniques du discours scientifique, ou &agrave; la maintenir, permettant l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; des significations, comme les arch&eacute;types du discours po&eacute;tique. Nous consid&eacute;rons que les deux modes de traitement de la diff&eacute;rence appliqu&eacute;e &agrave; la langue renvoient plus globalement &agrave; un positionnement par rapport &agrave; la norme. Dans les &eacute;nonciations, les interlocuteurs &eacute;voluent continuellement entre r&eacute;duction ou ouverture de l&rsquo;&eacute;cart par rapport &agrave; la norme du code linguistique mais aussi par d&rsquo;autres normes sociolinguistiques ou socioculturelles impos&eacute;es par le contexte d&rsquo;&eacute;nonciation.</p> <p>Il nous semble finalement que pour mettre en &oelig;uvre une p&eacute;dagogie qui incite la cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re, il est n&eacute;cessaire de permettre aux &eacute;tudiants et aux enseignants de s&rsquo;engager pleinement dans les situations d&rsquo;&eacute;nonciation en tant que personnes appartenant &agrave; des groupes socioculturels divers, tout en respectant les statuts impos&eacute;s par la situation p&eacute;dagogique dans un cadre institutionnel souvent contraignant. Cela est possible en encourageant chez les interlocuteurs la mise en &oelig;uvre du potentiel de cr&eacute;ativit&eacute; de la langue lors des &eacute;nonciations mais aussi leur cr&eacute;ativit&eacute; dans son acception g&eacute;n&eacute;rale, ce qui leur permet de donner sens, c&rsquo;est-&agrave;-dire une signification et une orientation, &agrave; leurs actes dans l&rsquo;environnement. Cette dynamique cr&eacute;ative se d&eacute;veloppe selon un jeu de fermeture ou d&rsquo;ouverture en rapport avec les normes de la langue &eacute;trang&egrave;re et des contextes socioculturels auxquels participent les apprenants et les enseignants. Nous arrivons ainsi &agrave; formuler quelques principes pour la mise en &oelig;uvre d&rsquo;un mod&egrave;le de p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative.</p> <h3>2.2. Une relation p&eacute;dagogique souple pour des&nbsp;&eacute;tudiants-auteurs sociaux&nbsp;</h3> <p>Ce mod&egrave;le devrait permettre l&rsquo;actualisation et la singularisation de la norme de la langue &eacute;trang&egrave;re par les apprenants et les enseignants dans des situations d&rsquo;&eacute;nonciation non standardis&eacute;es pour qu&rsquo;ils donnent sens &agrave; un ph&eacute;nom&egrave;ne donn&eacute;, &agrave; la fois linguistique, culturel et social, dans et en dehors de la classe. D&rsquo;apr&egrave;s nous, cela n&rsquo;est possible qu&rsquo;en incitant l&rsquo;interrogation du connu, la d&eacute;couverte de l&rsquo;inconnu ou du m&eacute;connu &agrave; travers des activit&eacute;s d&rsquo;&eacute;change, de confrontation, de construction d&rsquo;objets concrets ou abstraits bas&eacute;es sur un jeu d&rsquo;ouverture/fermeture par rapport &agrave; des normes. Pour cela, il nous semble n&eacute;cessaire que la relation p&eacute;dagogique soit souple, &eacute;volutive.</p> <p>Expliquons-nous en reprenant Berchoud (2015&nbsp;: 240-241) qui valorise le fait que l&rsquo;enseignant peut permettre aux &eacute;tudiants de &laquo;&nbsp;transgresser pour apprendre&nbsp;&raquo; en testant les normes. Cette notion de transgression &eacute;tablit &laquo;&nbsp;un partage entre apprentissage dans le cadre de l&rsquo;institution scolaire qui contient et contraint les corps (pour ne rien dire encore des esprits), et apprentissage par l&rsquo;exp&eacute;rience, qui alors engage l&rsquo;ensemble de l&rsquo;&ecirc;tre humain dans l&rsquo;aventure&nbsp;&raquo;. Pour Berchoud, la relation p&eacute;dagogique devrait permettre aux &eacute;tudiants de vivre ces deux modes d&rsquo;apprentissage pour permettre la transgression des normes. Elle devrait &eacute;galement permettre &agrave; la fois l&rsquo;enseignement et &laquo;&nbsp;l&rsquo;individualisation des apprentissages&nbsp;&raquo;. En effet, la norme &eacute;tant &laquo;&nbsp;commune, elle serait la condition d&rsquo;un enseignement&nbsp;&raquo;, alors que l&rsquo;apprentissage &laquo;&nbsp;ne peut &ecirc;tre qu&rsquo;individuel&nbsp;&raquo; parce qu&rsquo;il s&rsquo;appuie sur des recherches personnelles. Cette individualisation des apprentissages se d&eacute;roule dans &laquo;&nbsp;une temporalit&eacute; de l&rsquo;ordre de la dur&eacute;e v&eacute;cue, du rythme personnel&nbsp;&raquo; (<i>ibid</i>.). Dans la m&ecirc;me logique, entre enseignement et apprentissages, la relation p&eacute;dagogique devrait permettre des activit&eacute;s selon diff&eacute;rentes configurations&nbsp;: avec ou sans guidage pr&eacute;cis, en groupe ou individuelles, avec des corps contraints ou non, dans des espaces flexibles ou non. La relation p&eacute;dagogique s&rsquo;inscrivant dans diff&eacute;rentes configurations, la difficult&eacute; r&eacute;siderait pour les enseignants et les apprenants dans le fait de vivre des relations diff&eacute;rentes.</p> <p>La relation p&eacute;dagogique qui se dessine ici peut sembler correspondre &agrave; ce que pr&ocirc;ne l&rsquo;approche communicative-actionnelle, &agrave; savoir interactions entre les apprenants et les enseignants et centration sur l&rsquo;apprenant coupl&eacute; au travail de projet. Ce n&rsquo;est pas le cas. Rappelons que la relation dialogique et intersubjective entre les enseignants et les apprenants prime pour non pas faire valoir des comp&eacute;tences communicatives dans des projets souvent artificiels, mais plut&ocirc;t pour d&eacute;velopper des comp&eacute;tences cr&eacute;atives, donnant sens au monde.&nbsp; La langue en discours permet de cr&eacute;er en commun un objet qui &eacute;claire un ph&eacute;nom&egrave;ne ou une situation donn&eacute;e. En nous inspirant de la &laquo;&nbsp;perspective auctoriale&nbsp;&raquo; &eacute;voqu&eacute;e par Berchoud (2017), nous pourrions dire que les interlocuteurs de la classe sont d&rsquo;abord des auteurs sociaux avant d&rsquo;&ecirc;tre des acteurs sociaux, aussi bien dans la classe que dans l&rsquo;environnement social plus large. Il s&rsquo;agit de valoriser l&rsquo;&eacute;volution personnelle des enseignants et des apprenants, il s&rsquo;agit de donner la priorit&eacute; au changement des statuts ou des r&ocirc;les, au partage des &eacute;motions et des pens&eacute;es, &agrave; la d&eacute;couverte de l&rsquo;inconnu et de soi-m&ecirc;me, pour donner un sens commun aux ph&eacute;nom&egrave;nes abord&eacute;s. Cette perspective demande de faire &eacute;voluer sensiblement le paradigme g&eacute;n&eacute;ralement en place, notamment au niveau universitaire.</p> <h3>2.3.&nbsp; S&rsquo;inspirer des principes de la cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale&nbsp;?</h3> <p>Pour pr&eacute;ciser ce que pourrait &ecirc;tre cette &eacute;volution, nous pensons pouvoir nourrir notre r&eacute;flexion du travail de cr&eacute;ation th&eacute;&acirc;trale. En effet, nous constatons dans les &eacute;crits de Pierra (2001&nbsp;: 22) que le travail th&eacute;&acirc;tral en langue &eacute;trang&egrave;re correspond aux fondements th&eacute;oriques de la perspective cr&eacute;ative que nous venons de pr&eacute;senter. Dans le travail dramatique &laquo;&nbsp;se joue une p&eacute;dagogie qui s&#39;exc&egrave;de pour aller vers une pratique de la parole, cr&eacute;ative et spontan&eacute;e, qui engage chaque &eacute;tudiant dans tout son &ecirc;tre, dans son dire et dans son faire de sujet, dans une socialit&eacute; incarn&eacute;e par le groupe, enseignante incluse&nbsp;&raquo;. Acc&eacute;der &agrave; une &oelig;uvre th&eacute;&acirc;trale et la pr&eacute;senter demande de cr&eacute;er &laquo;&nbsp;un espace relationnel (&hellip;) ouvrant la possibilit&eacute; d&#39;&eacute;changer, de ressentir et de critiquer&nbsp;&raquo; dans lequel &laquo;&nbsp;peuvent se d&eacute;livrer les paroles qui agissent pour construire l&#39;objet de la mise en sc&egrave;ne du texte, mis en voix dans le mouvement des &eacute;tudiants-acteurs qui l&#39;&eacute;prouvent et s&#39;&eacute;prouvent &agrave; lui&nbsp;&raquo;. Ainsi, se d&eacute;veloppe un &laquo;&nbsp;travail cons&eacute;quent, un faire individuel et collectif qui donne leur sens profond aux &eacute;changes langagiers, dans une libert&eacute; d&#39;expression totale, permise par les limites du projet ou contrat accept&eacute; au d&eacute;part&nbsp;&raquo;.</p> <p>Notre exp&eacute;rience d&rsquo;acteur et d&rsquo;animateur d&rsquo;atelier th&eacute;&acirc;tre en FLE nous laisse penser que le processus de cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale plus particuli&egrave;rement ouvre des pistes de r&eacute;flexion pour la mise en &oelig;uvre d&rsquo;une p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative. Rappelons les principes de la cr&eacute;ation collective, en nous r&eacute;f&eacute;rant &agrave; des sp&eacute;cialistes qu&eacute;b&eacute;cois de ce genre de th&eacute;&acirc;tre (H&eacute;bert, 1977&nbsp;; Rousseau, 1982&nbsp;; Villemure, 1977). La cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale se construit sur un rapport particulier des acteurs avec le public et avec le metteur en sc&egrave;ne. Les com&eacute;diens sont cens&eacute;s traiter de probl&egrave;mes ou de sujets qui concernent directement le public auquel ils s&rsquo;adressent. G&eacute;n&eacute;ralement, cette &laquo;&nbsp;centration sur le public&nbsp;&raquo; am&egrave;ne les com&eacute;diens &agrave; s&rsquo;adresser &agrave; un public restreint. De ce premier principe d&eacute;coule un deuxi&egrave;me qui red&eacute;finit la fonction de l&rsquo;acteur. Celui-ci n&rsquo;est plus simplement un interpr&egrave;te mais devient acteur-cr&eacute;ateur du spectacle, ce qui implique le changement du statut des autres participants &agrave; la cr&eacute;ation d&rsquo;une pi&egrave;ce. Pour permettre aux com&eacute;diens de collaborer pleinement &agrave; la cr&eacute;ation collective, au m&ecirc;me titre qu&rsquo;un auteur ou un metteur en sc&egrave;ne, ce sont les techniques d&rsquo;improvisation th&eacute;&acirc;trale qui sont privil&eacute;gi&eacute;es durant le travail. Finalement, la cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale ne se construit g&eacute;n&eacute;ralement pas &agrave; partir d&rsquo;un texte pr&eacute;&eacute;tabli, mais s&rsquo;appuie sur l&rsquo;&eacute;criture d&rsquo;un texte collectif &agrave; partir d&rsquo;improvisations, ce qui n&rsquo;exclut pas d&rsquo;utiliser des textes d&eacute;j&agrave; existants.</p> <p>A l&rsquo;acad&eacute;mie de la Culture de Lettonie (l&rsquo;acad&eacute;mie), nous appliquons ces principes depuis 2010 dans le cadre d&rsquo;un atelier optionnel en parall&egrave;le de cours obligatoires de et en fran&ccedil;ais propos&eacute;s durant les 4 ann&eacute;es d&rsquo;une formation en licence pour sp&eacute;cialistes. En g&eacute;n&eacute;ral, pour cr&eacute;er des spectacles, nous menons des activit&eacute;s de technique th&eacute;&acirc;trale et jouons le r&ocirc;le de metteur en sc&egrave;ne, mais le travail sur les personnages et leurs relations, la sc&eacute;nographie et la mise en sc&egrave;ne se construit &agrave; partir des improvisations et des propositions des &eacute;tudiants-acteurs. L&rsquo;atelier se d&eacute;roule sur 6 semestres durant lesquels les participants peuvent cr&eacute;er des spectacles selon un volume horaire de 24h &agrave; une soixantaine d&rsquo;heures selon le type de cr&eacute;ation. Deux cr&eacute;ations collectives sont mont&eacute;es dans les trois premi&egrave;res ann&eacute;es alors qu&rsquo;il est propos&eacute; en quatri&egrave;me ann&eacute;e d&rsquo;adapter un ou plusieurs textes de th&eacute;&acirc;tre ou d&rsquo;autres genres litt&eacute;raires en fonction des caract&eacute;ristiques du groupe de travail et des publics vis&eacute;s. Chaque spectacle est pr&eacute;sent&eacute; au cours d&rsquo;une &agrave; trois repr&eacute;sentations g&eacute;n&eacute;ralement pour les francophones de Riga ou des publics plus cibl&eacute;s comme par exemple les enfants d&rsquo;une &eacute;cole, ou d&rsquo;autres &eacute;tudiants, francophones ou non francophones en Lettonie ou ailleurs.</p> <p>L&rsquo;atelier th&eacute;&acirc;tre en FLE mis en &oelig;uvre selon les principes de la cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale permet apparemment de d&eacute;velopper une p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative, telle que nous l&rsquo;avons d&eacute;finie auparavant. En effet, durant les r&eacute;p&eacute;titions s&rsquo;op&egrave;re une v&eacute;ritable relation dialogique et intersubjective entre les &eacute;tudiants-acteurs mais aussi entre ceux-ci et l&rsquo;enseignant-animateur gr&acirc;ce &agrave; une red&eacute;finition progressive des statuts et des r&ocirc;les de tous. Ainsi, gr&acirc;ce au partage des &eacute;motions et des id&eacute;es, gr&acirc;ce &agrave; la d&eacute;couverte de soi-m&ecirc;me et de l&rsquo;autre, le travail en commun donne sens &agrave; des signes, le texte de la pi&egrave;ce &eacute;crite mais aussi jou&eacute;e ou repr&eacute;sent&eacute;e, dans plusieurs contextes, ceux propres aux r&eacute;p&eacute;titions et aux repr&eacute;sentations. Ce travail s&rsquo;effectue en mettant tous les cr&eacute;ateurs dans l&rsquo;obligation de jouer avec les normes de la langue, du contact relationnel avec autrui et celles du th&eacute;&acirc;tre. Sans tout cela, il est impossible de cr&eacute;er une pi&egrave;ce et de la pr&eacute;senter au public&nbsp;: les acteurs en restent au niveau de la r&eacute;citation de texte, technique et sans signification pour qui que ce soit. Cependant, des doutes persistent puisque certains &eacute;tudiants-acteurs semblent ne pas comprendre le travail de cr&eacute;ation en commun et ne d&eacute;passent finalement pas le stade de la r&eacute;citation. Il semblerait que le travail de cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale ne permette pas de d&eacute;velopper la cr&eacute;ativit&eacute; en fran&ccedil;ais de ces personnes. Peut-&ecirc;tre ne permet-elle pas non plus ce d&eacute;veloppement en classe de FLE.</p> <h2>3.&nbsp; L&rsquo;apport du terrain&nbsp;: une recherche sur la repr&eacute;sentation sociale (RS) de la cr&eacute;ativit&eacute; chez des &eacute;tudiants-acteurs lettons</h2> <p>En tenant compte des consid&eacute;rations th&eacute;oriques pr&eacute;c&eacute;dentes mais aussi de nos observations de terrain, nous cherchons &agrave; &eacute;valuer dans quelle mesure les principes de la cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale peuvent participer au d&eacute;veloppement d&rsquo;une p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative en FLE et plus largement en langue &eacute;trang&egrave;re. Pour lancer cette recherche, nous nous int&eacute;ressons tout d&rsquo;abord aux repr&eacute;sentations sociales (RS) de la cr&eacute;ativit&eacute; chez les &eacute;tudiants-acteurs qui participent &agrave; l&rsquo;atelier th&eacute;&acirc;tre de l&rsquo;acad&eacute;mie. Nous cherchons &agrave; rep&eacute;rer ce que leurs RS ont de commun avec les &eacute;l&eacute;ments constitutifs de la p&eacute;dagogie intersubjective en langue &eacute;trang&egrave;re que nous avons mis en &eacute;vidence plus t&ocirc;t et des principes de la cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale. En tenant compte de ces correspondances ou de l&rsquo;absence de correspondances, nous tentons de comprendre si les principes de la cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale en FLE, pratiqu&eacute;s par ces personnes, ont influenc&eacute; leurs RS et peuvent contribuer &agrave; d&eacute;velopper une p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative. Si c&rsquo;est le cas, nous tentons d&rsquo;&eacute;valuer dans quelle mesure cela est faisable.&nbsp;</p> <h3>3.1. Huit entretiens pour un travail d&rsquo;analyse de discours</h3> <p>Cette premi&egrave;re &eacute;tape de recherche se base sur la notion de RS qui est &laquo;&nbsp;une forme de connaissance, socialement &eacute;labor&eacute;e et partag&eacute;e, ayant une vis&eacute;e pratique et concourant &agrave; la construction d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; commune &agrave; un ensemble social&nbsp;&raquo; (Jodelet, 2003&nbsp;: 53). Cette connaissance est &laquo;&nbsp;un ensemble organis&eacute; d&rsquo;opinions, d&rsquo;attitudes, de croyance et d&rsquo;informations se r&eacute;f&eacute;rant &agrave; un objet ou une situation&nbsp;&raquo; (Abric, 2003&nbsp;: 206). &nbsp;En s&rsquo;int&eacute;ressant &agrave; la RS d&rsquo;un objet, nous pouvons donc comprendre principalement comment les membres d&rsquo;un groupe social vivent leur rapport &agrave; cet objet et comment ils se construisent par rapport &agrave; cela. Nous cherchons les caract&eacute;ristiques que les membres de ce groupe social donnent &agrave; l&rsquo;objet en question, selon &laquo;&nbsp;la th&eacute;orie du noyau central&nbsp;&raquo; d&eacute;velopp&eacute;e par Abric. Le noyau &laquo;&nbsp;est un sous-ensemble de la repr&eacute;sentation, compos&eacute; d&rsquo;un ou de quelques &eacute;l&eacute;ments, dont l&rsquo;absence d&eacute;structurerait ou donnerait une signification radicalement diff&eacute;rente &agrave; la repr&eacute;sentation dans son ensemble&nbsp;&raquo; (Abric, 2003&nbsp;: 215). En identifiant les caract&eacute;ristiques principales d&rsquo;une RS, nous pouvons tenter de comprendre ce qui a particip&eacute; &agrave; la construction de cette repr&eacute;sentation dans le v&eacute;cu des personnes qui la partagent. Nous cherchons &agrave; identifier les caract&eacute;ristiques que les &eacute;tudiants-acteurs de l&rsquo;acad&eacute;mie donnent &agrave; la cr&eacute;ativit&eacute; et &agrave; comprendre ce qui a influenc&eacute; ou influence chez eux le d&eacute;veloppement de cette RS, notamment dans leurs exp&eacute;riences &agrave; l&rsquo;atelier th&eacute;&acirc;tre en fran&ccedil;ais. Nous arrivons &agrave; cela en effectuant un travail d&rsquo;analyse de discours &agrave; partir de transcriptions d&rsquo;entretiens semi-directifs &agrave; propos de la notion de cr&eacute;ativit&eacute; dans son acception g&eacute;n&eacute;rale mais aussi dans le contexte th&eacute;&acirc;tral et dans celui de l&rsquo;usage ou de l&rsquo;apprentissage du fran&ccedil;ais ou d&rsquo;autres langues &eacute;trang&egrave;res.</p> <p>Huit personnes ont &eacute;t&eacute; interview&eacute;es en fran&ccedil;ais, sept femmes (Agija, Elvija, Ilva, Liana, Marija, Margita et Smaida) et un homme (Juris). Le d&eacute;ficit de repr&eacute;sentation du genre masculin s&rsquo;explique par le fait que tr&egrave;s peu d&rsquo;hommes suivent le cursus de fran&ccedil;ais &agrave; l&rsquo;acad&eacute;mie. Les personnes rencontr&eacute;es ont particip&eacute; au travail de cr&eacute;ation collective pour au moins un spectacle et ont pr&eacute;sent&eacute; plusieurs fois leurs pi&egrave;ces. Au moment des entretiens, elles avaient g&eacute;n&eacute;ralement termin&eacute; leur cursus de fran&ccedil;ais depuis un &agrave; trois ans et elles menaient des activit&eacute;s professionnelles, certaines plusieurs en parall&egrave;le, li&eacute;es &agrave; la communication interculturelle (3 personnes), &agrave; la formation ou &agrave; l&rsquo;enseignement (4 personnes), &agrave; l&rsquo;ing&eacute;nierie culturelle (3 personnes) ou au service aux personnes (2 personnes). Des conditions d&rsquo;entretiens favorables ainsi qu&rsquo;une relation de confiance &eacute;tablie durant les semestres de cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale entre l&rsquo;intervieweur, ancien enseignant-animateur, et chaque interview&eacute;, ancien &eacute;tudiant-acteur, ont permis aux personnes interview&eacute;es de pr&eacute;senter librement et en d&eacute;tails leurs positions sur les th&egrave;mes abord&eacute;s et d&rsquo;obtenir ainsi un mat&eacute;riau riche et nuanc&eacute;.</p> <h3>3.2. R&eacute;sultats de la recherche</h3> <p>L&rsquo;analyse des transcriptions des entretiens effectu&eacute;s permet d&rsquo;identifier pr&eacute;cis&eacute;ment les RS que les anciens &eacute;tudiants-acteurs de l&rsquo;atelier th&eacute;&acirc;tre en fran&ccedil;ais de l&rsquo;acad&eacute;mie ont de la cr&eacute;ativit&eacute;, de la cr&eacute;ativit&eacute; au th&eacute;&acirc;tre et de la cr&eacute;ativit&eacute; en langues &eacute;trang&egrave;res mais aussi du d&eacute;veloppement de la cr&eacute;ativit&eacute; en g&eacute;n&eacute;ral ou dans le contexte universitaire. Pour arriver &agrave; ces r&eacute;sultats, nous avons rep&eacute;r&eacute; les &eacute;l&eacute;ments constitutifs des noyaux centraux des repr&eacute;sentations en faisant la part des &eacute;l&eacute;ments communs &agrave; plus de 70% des interview&eacute;s (6 &agrave; 8 personnes) et ceux qui sont &eacute;voqu&eacute;s dans un peu plus de 50% des entretiens (4 &agrave; 5 personnes). Dans le m&ecirc;me temps, nous avons tenu compte du positionnement de chaque interlocuteur par rapport &agrave; un &eacute;l&eacute;ment ou un autre.</p> <h4>3.2.1. La RS de la cr&eacute;ativit&eacute;</h4> <p>Nous remarquons que la RS de la cr&eacute;ativit&eacute; chez les personnes interview&eacute;es se compose de nombreuses caract&eacute;ristiques communes qui forment un noyau apparemment cons&eacute;quent. D&rsquo;apr&egrave;s les entretiens, la cr&eacute;ativit&eacute; ne correspond pas &agrave; un domaine d&rsquo;emploi ou de d&eacute;veloppement particulier.&nbsp; Elle est spontan&eacute;ment rattach&eacute;e au domaine artistique mais elle peut s&rsquo;exprimer dans les situations de la vie quotidienne (cuisiner, s&rsquo;habiller, etc.) ou dans des domaines professionnels vari&eacute;s hormis l&rsquo;administration. Nous notons que seules les personnes qui travaillent dans les domaines de l&rsquo;&eacute;ducation ou de la formation estiment que la cr&eacute;ativit&eacute; peut ais&eacute;ment investir ces domaines. Les autres, influenc&eacute;s par leurs exp&eacute;riences dans le syst&egrave;me &eacute;ducatif letton, consid&egrave;rent que cela est peu probable.</p> <p>La cr&eacute;ativit&eacute; est pour presque tous principalement un processus cognitif individuel qui am&egrave;ne l&rsquo;individu &agrave; penser et agir hors de la norme, &laquo;&nbsp;hors du cadre&nbsp;&raquo; d&rsquo;apr&egrave;s les mots d&rsquo;Elvija ou de Juris, et &agrave; cr&eacute;er un objet in&eacute;dit et unique. La personne cr&eacute;ative n&rsquo;est g&eacute;n&eacute;ralement pas vue comme extravagante, mais elle se d&eacute;marque de la norme sociale d&rsquo;apr&egrave;s certains traits nuanc&eacute;s, ce que Juris exprime par &laquo;&nbsp;une petite chose qui te diff&eacute;rencie des autres&nbsp;&raquo; ou Ilva par &laquo;&nbsp;il y a quelque chose d&rsquo;un petit peu diff&eacute;rent dans cette personne&nbsp;&raquo;. Nous rapprochons cette image d&rsquo;une id&eacute;e partag&eacute;e par quasiment tous les interview&eacute;s&nbsp;: la cr&eacute;ativit&eacute; se d&eacute;veloppe &agrave; partir de ce qui existe d&eacute;j&agrave;. Agija pr&eacute;sente cela de deux fa&ccedil;ons diff&eacute;rentes. Il s&rsquo;agit soit de &laquo;&nbsp;lier des &eacute;l&eacute;ments que tu as pour cr&eacute;er&nbsp;&raquo;, soit de s&rsquo;inspirer d&rsquo;objets ou d&rsquo;actions faits par d&rsquo;autres personnes. Nous remarquons que cette id&eacute;e que la cr&eacute;ativit&eacute; s&rsquo;appuie sur l&rsquo;existant se r&eacute;v&egrave;le plus particuli&egrave;rement quand ces anciens &eacute;tudiants justifient l&rsquo;utilit&eacute; de leurs parcours &agrave; l&rsquo;acad&eacute;mie tout en valorisant leurs parcours de vie, leurs exp&eacute;riences. Smaida, tout comme les autres, con&ccedil;oit que les &eacute;tudes, m&ecirc;me si elles n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; cr&eacute;atives, donnent &laquo;&nbsp;l&rsquo;inspiration&nbsp;&raquo;. Le fait d&rsquo;apprendre &laquo;&nbsp;toutes ces histoires, toutes ces biographies&nbsp;&raquo; n&rsquo;est pas cr&eacute;atif en soi, mais &laquo;&nbsp;&ccedil;a &eacute;largit ta vue, ton point de vue sur le monde. Ton point de vue, il devient diff&eacute;rent (&hellip;)&nbsp;&raquo;.</p> <p>Chez toutes les personnes rencontr&eacute;es, la cr&eacute;ativit&eacute; demande une activit&eacute; importante, un engagement personnel fort qui s&rsquo;exprime comme une passion ou comme une volont&eacute; marqu&eacute;e par &laquo;&nbsp;une obstination &eacute;norme&nbsp;&raquo;, selon les mots de Margita. D&rsquo;apr&egrave;s plusieurs interview&eacute;s, cet engagement se d&eacute;veloppe dans un rapport libre et lucide &agrave; soi-m&ecirc;me et &agrave; ses &eacute;motions. Ilva &eacute;voque, elle, la n&eacute;cessit&eacute; de &laquo;&nbsp;se laisser aller&nbsp;&raquo; c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;accepter de vivre ses &eacute;motions pour pouvoir cr&eacute;er. Pour Liana, la cl&eacute; de l&rsquo;engagement cr&eacute;atif&nbsp;r&eacute;side dans l&rsquo;acceptation de ses &eacute;motions&nbsp;: elle d&eacute;clare &laquo;&nbsp;tu dois &ecirc;tre en connexion avec tes &eacute;motions pour &ecirc;tre cr&eacute;atif&nbsp;&raquo; ou encore &laquo;&nbsp;une personne qui a peur de ce qu&rsquo;il se passe &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;elle-m&ecirc;me, elle aura du mal &agrave; &ecirc;tre cr&eacute;ative, ce sera impossible en fait&nbsp;&raquo;. Nous remarquons que ces consid&eacute;rations sur la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;accepter ou de g&eacute;rer la peur pour permettre l&rsquo;engagement cr&eacute;atif est pr&eacute;sente dans tous les t&eacute;moignages. Il s&rsquo;agit de la peur de ses propres &eacute;motions mais &eacute;galement de celle suscit&eacute;e par le regard que chacun peut porter sur soi-m&ecirc;me. Margita explique que &laquo;&nbsp;cette peur de ce jugement que je pose envers moi-m&ecirc;me&nbsp;&raquo; repr&eacute;sente &laquo;&nbsp;un obstacle qui, qui n&rsquo;est pas surmontable&nbsp;&raquo;. En effet, se dire &laquo;&nbsp;Voil&agrave;, tu ne seras pas suffisamment assez bonne, donc &ccedil;a vaut pas, &ccedil;a vaut pas la peine de m&ecirc;me essayer&nbsp;&raquo;, emp&ecirc;che de faire un &laquo;&nbsp;essai&nbsp;&raquo;, un &laquo;&nbsp;premier pas&nbsp;&raquo; qui lancerait le processus cr&eacute;atif.&nbsp; Pour certaines personnes, cette peur de se tromper ou de constater un &eacute;chec s&rsquo;alimente ou correspond en fait avec celle d&rsquo;affronter l&rsquo;inconnu. Assur&eacute;ment, ces peurs relatives &agrave; soi-m&ecirc;me s&rsquo;accompagnent d&rsquo;une peur suscit&eacute;e par autrui, son regard qui juge et enferme. Nous remarquons que cette derni&egrave;re peur est souvent &eacute;voqu&eacute;e lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;aborder le sujet de l&rsquo;&eacute;ducation scolaire ou universitaire et, surtout des activit&eacute;s d&rsquo;&eacute;valuation impos&eacute;es par les enseignants.</p> <p>Cela nous am&egrave;ne &agrave; parler de l&rsquo;influence du rapport &agrave; autrui sur la cr&eacute;ativit&eacute;, ce qui appara&icirc;t dans tous les entretiens. Les interview&eacute;s consid&egrave;rent qu&rsquo;autrui peut inciter &agrave; cr&eacute;er, comme Juris qui remarque que &laquo;&nbsp;ce n&rsquo;est pas (son) parcours qui (lui) a permis d&rsquo;&ecirc;tre cr&eacute;atif mais c&rsquo;est plut&ocirc;t les gens (&hellip;) rencontr&eacute;s&nbsp;&raquo;. Ainsi, la seule pr&eacute;sence d&rsquo;autrui engage, incite chacun &agrave; agir, r&eacute;agir ou collaborer (ou pas). Selon certaines personnes, cela peut se d&eacute;rouler dans un rapport conflictuel avec autrui mais quasiment toutes d&eacute;clarent que c&rsquo;est un rapport positif inspirant ou collaboratif qui permet de d&eacute;velopper la cr&eacute;ativit&eacute;. Marija explique que l&rsquo;autrui cr&eacute;atif donne l&rsquo;impulsion pour le devenir soi-m&ecirc;me&nbsp;: &laquo;&nbsp;les gens avec qui j&rsquo;&eacute;tudiais, le milieu qui incite &agrave; &ecirc;tre cr&eacute;atif, parce que t&rsquo;es entre des gens cr&eacute;atifs qui r&eacute;fl&eacute;chissent de diff&eacute;rentes mani&egrave;res et qui t&rsquo;influencent &agrave; vouloir voir &ccedil;a, &ccedil;a, &agrave; faire &ccedil;a, &ccedil;a, &ccedil;a&nbsp;&raquo;. Cependant, quelques personnes insistent sur le fait que, comme Smaida le dit, &laquo;&nbsp;&ccedil;a d&eacute;pend (des) attitudes&nbsp;&raquo; des personnes en contact. Pour Elvija, qui utilise l&rsquo;exemple du travail d&rsquo;un orchestre, pour &ecirc;tre cr&eacute;atif &laquo;&nbsp;en grand groupe&nbsp;(&hellip;) il faut &ecirc;tre sur la m&ecirc;me vague&nbsp;&raquo;, il est n&eacute;cessaire &laquo;&nbsp;d&rsquo;avoir une id&eacute;e commune&nbsp;&raquo; pour pouvoir cr&eacute;er quelque chose. Dans le t&eacute;moignage d&rsquo;Elvija est pr&eacute;sente de fa&ccedil;on sous-jacente l&rsquo;id&eacute;e que la cr&eacute;ativit&eacute; ne se d&eacute;veloppe pas seulement dans le contact avec autrui mais dans une activit&eacute; interpersonnelle. Cela est bien plus explicite dans la plupart des autres t&eacute;moignages, comme dans celui de Margita lorsqu&rsquo;elle &eacute;voque une situation v&eacute;cue durant les r&eacute;p&eacute;titions de cr&eacute;ation collective de l&rsquo;atelier th&eacute;&acirc;tre en fran&ccedil;ais avec une partenaire de jeu&nbsp;: &laquo;&nbsp;On a travaill&eacute; ensemble avec Marija, on &eacute;tait deux, oui, et je crois que c&rsquo;est bien parce qu&rsquo;on a pu travailler avec le partenaire. Donc, on a pu &eacute;changer des id&eacute;es, on a pu cr&eacute;er des dialogues, oui, et on a pu cr&eacute;er notre monde &agrave; nous&nbsp;&raquo;.&nbsp; Nous remarquons que dans la plupart des cas, le d&eacute;veloppement de la cr&eacute;ativit&eacute; est repr&eacute;sent&eacute; dans une relation interpersonnelle, duale, et non pas dans des interactions au sein d&rsquo;un groupe.</p> <p>D&rsquo;autres caract&eacute;ristiques de la cr&eacute;ativit&eacute; sont &eacute;voqu&eacute;es dans un peu plus de la moiti&eacute; des entretiens. La cr&eacute;ativit&eacute; n&rsquo;est pas qu&rsquo;une activit&eacute; cognitive, c&rsquo;est aussi une activit&eacute; d&rsquo;expression du v&eacute;cu, des sentiments, des id&eacute;es. Elle a g&eacute;n&eacute;ralement pour support ou r&eacute;sultat de produire un objet concret. Marija, par exemple, &laquo;&nbsp;pense que la cr&eacute;ativit&eacute;, elle ne doit pas toujours passer par une cr&eacute;ativit&eacute; intellectuelle (et qu&rsquo;)elle peut &ecirc;tre une cr&eacute;ativit&eacute; manuelle, une cr&eacute;ativit&eacute; pratique&nbsp;&raquo;. L&rsquo;objet porteur ou r&eacute;sultat de cette cr&eacute;ativit&eacute; le plus souvent &eacute;voqu&eacute; est celui de l&rsquo;&oelig;uvre artistique. Lorsqu&rsquo;elle se rem&eacute;more son parcours scolaire, Liana en parle : &laquo;&nbsp;On avait la chance par exemple de peindre quelque chose mais pour moi, c&rsquo;est pas une fa&ccedil;on de m&rsquo;exprimer du tout. On pouvait &eacute;crire des choses, de la litt&eacute;rature&nbsp;&raquo;. Pour Juris, l&rsquo;aspect expressif de la cr&eacute;ativit&eacute; se d&eacute;voile dans le maniement des id&eacute;es et de la parole. Pour lui, &laquo;&nbsp;une connaissance&nbsp;&raquo; peut &ecirc;tre utilis&eacute;e &laquo;&nbsp;d&rsquo;une mani&egrave;re cr&eacute;ative pour d&eacute;velopper plus de choses, des id&eacute;es ou une conversation avec des amis ou des, ou avec d&rsquo;autres gens&nbsp;&raquo;. Marija nous permet de faire la synth&egrave;se des points de vue en faisant appel au concept d&rsquo;interpr&eacute;tation qui permet de mettre en relation les aspects r&eacute;ceptifs, expressifs et cognitifs de la cr&eacute;ativit&eacute; &nbsp;: &laquo;&nbsp;C&rsquo;est que pour la cr&eacute;ativit&eacute;, il faut une interpr&eacute;tation. Une cr&eacute;ativit&eacute; ne peut pas commencer du fait de r&eacute;p&eacute;ter quelque chose qui a d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; fait ou dit. Donc, si je r&eacute;p&egrave;te quelque chose que quelqu&rsquo;un m&rsquo;a racont&eacute;, &ccedil;a ne m&egrave;ne pas &agrave; la cr&eacute;ativit&eacute;. Il faut qu&rsquo;il y ait une interpr&eacute;tation physique, sensorielle ou consciente, enfin r&eacute;fl&eacute;chie, par moi&nbsp;&raquo;.</p> <p>Il nous semble que la RS de la cr&eacute;ativit&eacute; chez les anciens &eacute;tudiants-acteurs de l&rsquo;atelier th&eacute;&acirc;tre comporte de nombreuses caract&eacute;ristiques qui correspondent aux fondements de la p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative que nous avons pr&eacute;sent&eacute;s auparavant&nbsp;: conna&icirc;tre les normes et les d&eacute;passer pour cr&eacute;er un objet qui &eacute;claire un ph&eacute;nom&egrave;ne ou une situation, mettre en place une relation p&eacute;dagogique souple et &eacute;volutive, accorder la priorit&eacute; &agrave; une relation intersubjective pour donner sens au monde.</p> <h4>3.2.2. La RS de la cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re</h4> <p>La RS de la cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re ne semble pas aussi pr&eacute;cise que la pr&eacute;c&eacute;dente. Tr&egrave;s peu d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments caract&eacute;ristiques sont partag&eacute;s par une majorit&eacute; des interview&eacute;s. Par ailleurs, m&ecirc;me si tous consid&egrave;rent qu&rsquo;il est possible d&rsquo;&ecirc;tre cr&eacute;atif en langue &eacute;trang&egrave;re, la plupart des &eacute;l&eacute;ments concernant cette cr&eacute;ativit&eacute; sont pr&eacute;sent&eacute;s de fa&ccedil;on vague.</p> <p>C&rsquo;est le cas pour la premi&egrave;re caract&eacute;ristique rep&eacute;r&eacute;e, &agrave; savoir que la cr&eacute;ativit&eacute; en langue, c&rsquo;est produire &agrave; l&rsquo;oral plut&ocirc;t qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&eacute;crit, ce que Smaida exprime nettement ici&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Si on parle de la langue, comme telle, de mani&egrave;re linguistique, quoi, la cr&eacute;ativit&eacute;, c&rsquo;est de... de d&eacute;j&agrave; de parler. Le processus de parler, &ccedil;a demande de la cr&eacute;ativit&eacute;, quand tu apprends une langue &eacute;trang&egrave;re. Surtout au d&eacute;part. Il faut &ecirc;tre... faut, donc, connecter, lier toutes ces connaissances que tu as &agrave; apprendre et &ccedil;a demande une sorte de cr&eacute;ativit&eacute; de tout mettre ensemble et de commencer &agrave; parler.</p> </blockquote> <p>Elle nous donne par ailleurs l&rsquo;explication &agrave; cela. Apprendre une langue, c&rsquo;est de l&rsquo;ordre de la &laquo;&nbsp;collecte des savoirs, de l&rsquo;information&nbsp;&raquo; alors qu&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;ensuite, la cr&eacute;ativit&eacute;, c&rsquo;est de l&rsquo;utiliser&nbsp;&raquo;. Agija explique qu&rsquo;&laquo;&nbsp;en fait, au d&eacute;but quand t&rsquo;as pas&hellip; assez de mots pour t&rsquo;exprimer d&rsquo;une mani&egrave;re propre, il faut que tu trouves une solution pour dire ce que tu veux. Donc, forc&eacute;ment, c&rsquo;est une sorte de cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;&raquo;. Comme pour Agija, la plupart des interview&eacute;s indique que cette n&eacute;cessit&eacute; et ce processus de cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re sont particuli&egrave;rement ressentis &laquo;&nbsp;au d&eacute;but&nbsp;&raquo; de l&rsquo;apprentissage, m&ecirc;me si cela est &eacute;voqu&eacute; &eacute;galement parfois pour la suite de leur parcours. En outre, ce qui appara&icirc;t encore dans la citation d&rsquo;Agija, la cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re se repr&eacute;sente dans un rapport au mot plut&ocirc;t qu&rsquo;&agrave; la phrase ou au texte, ceci valant pour une petite majorit&eacute; des interview&eacute;s. Ainsi, &ecirc;tre &laquo;&nbsp;cr&eacute;atif en langue &eacute;trang&egrave;re&nbsp;&raquo;, pour Liana, &laquo;&nbsp;&ccedil;a veut dire inventer de nouveaux mots&nbsp;&raquo;. La repr&eacute;sentation de la cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re pour les anciens &eacute;tudiants-acteurs se construit sur leur exp&eacute;rience d&rsquo;apprenant d&eacute;butant avec une attention particuli&egrave;re port&eacute;e sur la cr&eacute;ativit&eacute; lexicale dans la production orale.&nbsp;</p> <p>M&ecirc;me g&eacute;n&eacute;ralement limit&eacute;e &agrave; l&rsquo;aspect lexical de la langue, cette cr&eacute;ativit&eacute; semble suffire &agrave; chacun pour atteindre son objectif d&eacute;clar&eacute; : &laquo;&nbsp;s&rsquo;exprimer&nbsp;&raquo;. Dans ce contexte, cela signifie principalement pr&eacute;senter des id&eacute;es, des informations et non pas en &eacute;changer avec un interlocuteur ou lui faire part de ses sentiments ou de ses sensations.&nbsp; En g&eacute;n&eacute;ral, les personnes interview&eacute;es se pr&eacute;sentent seules en train de manier la langue pour exprimer leurs pens&eacute;es, autrui est alors compl&egrave;tement inexistant. Cela est renforc&eacute; par le discours, rep&eacute;r&eacute; d&eacute;j&agrave; auparavant, que la cr&eacute;ativit&eacute; se joue d&rsquo;abord dans le rapport que chacun entretient avec soi-m&ecirc;me.</p> <p>&nbsp;Cependant, nous remarquons dans les t&eacute;moignages que le locuteur n&rsquo;est pas toujours isol&eacute; et que la cr&eacute;ativit&eacute; peut parfois se jouer aussi dans le rapport au contexte et &agrave; autrui, alors pr&eacute;sent&eacute;s comme des supports. Juris insiste sur la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;avoir un soutien bienveillant&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il faut avoir une personne qui t&rsquo;&eacute;coute, avec qui, avec laquelle tu te sens bien, qui te&hellip; qui te g&ecirc;ne pas, qui te laisse partir dans ce trip de langage, enfin, dans la cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;&raquo;. Agija voit en autrui un mod&egrave;le : &laquo;&nbsp;(&hellip;) tu vas essayer de recopier ce que les autres sont en train de dire, de t&rsquo;inspirer, de dire des petits mots, des phrases, les lier ensemble&nbsp;&raquo;. La RS de la cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re que nous rep&eacute;rons ici &eacute;vacue globalement l&rsquo;importance d&rsquo;une dynamique &nbsp;et dialogique engageante que la RS de la cr&eacute;ativit&eacute; dans son acception g&eacute;n&eacute;rale pouvait laisser attendre.</p> <p>Finalement, la RS de la cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re chez les personnes rencontr&eacute;es semble beaucoup moins correspondre aux fondements de la p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative en langue &eacute;trang&egrave;re que nous avons pr&eacute;sent&eacute;s plus haut que leur RS de la cr&eacute;ativit&eacute; dans son acception g&eacute;n&eacute;rale. La cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re est globalement consid&eacute;r&eacute;e comme un processus int&eacute;rieur portant sur l&rsquo;aspect lexical de la langue et se d&eacute;veloppant dans l&rsquo;activit&eacute; de production orale. Elle est loin de la cr&eacute;ativit&eacute; en langue que nous avons &eacute;voqu&eacute;e plus haut, c&rsquo;est-&agrave;-dire une activit&eacute; dialogique, intersubjective et engageante entre des interlocuteurs-partenaires ancr&eacute;s culturellement et socialement cens&eacute;s donner sens &agrave; des combinaisons de signes dans un contexte donn&eacute; &agrave; partir d&rsquo;un jeu de variations sur des normes. Qu&rsquo;en est-il alors de la RS de la cr&eacute;ativit&eacute; au th&eacute;&acirc;tre et au th&eacute;&acirc;tre en langue &eacute;trang&egrave;re que ces anciens &eacute;tudiants-acteurs partagent&nbsp;? D&eacute;vie-t-elle &eacute;galement de leur RS de la cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp; ou leur permet-elle de mettre en relation les deux RS &eacute;voqu&eacute;es&nbsp;jusqu&rsquo;ici&nbsp;?</p> <h4>3.2.3. La RS de la cr&eacute;ativit&eacute; au th&eacute;&acirc;tre et dans l&rsquo;atelier de cr&eacute;ation collective de l&rsquo;acad&eacute;mie de la Culture de Lettonie</h4> <p>Quand il est question de la relation entre cr&eacute;ativit&eacute; et th&eacute;&acirc;tre ou entre cr&eacute;ativit&eacute; et atelier th&eacute;&acirc;tre auquel elles ont particip&eacute;, il est remarquable que toutes les personnes rencontr&eacute;es consid&egrave;rent que le th&eacute;&acirc;tre et encore davantage l&rsquo;atelier de cr&eacute;ation collective, permet de stimuler ou de d&eacute;velopper la cr&eacute;ativit&eacute; dans son acception g&eacute;n&eacute;rale. Parmi elles, une petite majorit&eacute; insiste sur le fait que le travail th&eacute;&acirc;tral, notamment celui de cr&eacute;ation collective, exerce la cr&eacute;ativit&eacute; car il consiste &agrave; mettre en relation diff&eacute;rents &eacute;l&eacute;ments pour s&rsquo;exprimer, c&rsquo;est-&agrave;-dire, en l&rsquo;occurrence, fournir une interpr&eacute;tation singuli&egrave;re d&rsquo;un objet ou d&rsquo;une situation, dans la cr&eacute;ation d&rsquo;un personnage ou d&rsquo;une sc&egrave;ne. D&rsquo;autres t&eacute;moignages montrent que le th&eacute;&acirc;tre est consid&eacute;r&eacute; comme un moyen de se pr&eacute;parer &agrave; &ecirc;tre cr&eacute;atif, par exemple gr&acirc;ce aux activit&eacute;s de mise en condition g&eacute;n&eacute;ralement utilis&eacute;es dans l&rsquo;atelier avant le travail d&rsquo;improvisation ou de r&eacute;p&eacute;tition. Liana consid&egrave;re que l&rsquo;expression th&eacute;&acirc;trale permet d&rsquo;effectuer un travail sur soi-m&ecirc;me pour &laquo;&nbsp;l&acirc;cher prise&nbsp;&raquo; et ne pas avoir peur de s&rsquo;exprimer. Elle d&eacute;clare&nbsp;: &laquo;&nbsp;Si on parle de l&rsquo;improvisation, par exemple, ou d&rsquo;une cr&eacute;ation qu&rsquo;on a faite (&hellip;) dans l&rsquo;atelier, &ccedil;a, &ccedil;a d&eacute;veloppe pas la cr&eacute;ativit&eacute;, &ccedil;a d&eacute;veloppe le courage de faire sortir ce qui se passe en toi&nbsp;&raquo;. Plus loin, elle explique que &laquo;&nbsp;quand tu te connais toi-m&ecirc;me et quand tu peux l&acirc;cher prise avec la peur, ton vrai toi va sortir, et tu pourras &ecirc;tre cr&eacute;atif, tu pourras faire beaucoup de choses et tu n&rsquo;auras pas peur de faire des erreurs&nbsp;&raquo;.</p> <p>Nous remarquons que dans toutes les activit&eacute;s th&eacute;&acirc;trales qui permettent le d&eacute;veloppement cr&eacute;atif,&nbsp; les personnes sont g&eacute;n&eacute;ralement pr&eacute;sent&eacute;es dans un processus interne. Symbolique de cela, Juris se rem&eacute;more une activit&eacute; de mise en condition qui permet &laquo;&nbsp;d&rsquo;acc&eacute;der&nbsp;&raquo; &agrave; la cr&eacute;ativit&eacute; qui &laquo;est en nous, &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je me souviens tr&egrave;s bien de ce ballon invent&eacute; qu&rsquo;on a d&ucirc; lancer en l&rsquo;air pendant une heure, je ne sais pas. Donc, c&rsquo;est un ballon qui n&rsquo;existe pas, tu l&rsquo;inventes, tu le cr&eacute;es et tu le fais, enfin d&rsquo;une mani&egrave;re, comme tu veux, enfin, voil&agrave;&nbsp;&raquo;. Margita pense &laquo;&nbsp;qu&rsquo;au th&eacute;&acirc;tre, la base, c&rsquo;est que tu travailles avec toi-m&ecirc;me&nbsp;&raquo;. Cela dit, lorsqu&rsquo;il est question du processus de cr&eacute;ation collective, les t&eacute;moignages font appara&icirc;tre d&rsquo;autres personnes qui entrent en relation avec celle qui cr&eacute;e&nbsp;: le partenaire ou le metteur en sc&egrave;ne. Dans les deux cas, ces personnes sont pr&eacute;sentes en tant qu&rsquo;&eacute;l&eacute;ments facilitateurs ou inhibiteurs de l&rsquo;activit&eacute; cr&eacute;ative, en fonction du regard qu&rsquo;ils portent sur ce que fait celui qui cr&eacute;e. La relation au metteur en sc&egrave;ne plus particuli&egrave;rement est &eacute;voqu&eacute;e dans plusieurs entretiens. Liana insiste sur le fait que la cr&eacute;ativit&eacute; de l&rsquo;acteur d&eacute;pend de la &laquo;&nbsp;libert&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre cr&eacute;atif&nbsp;&raquo; que lui laisse le metteur en sc&egrave;ne. Elle consid&egrave;re qu&rsquo;il est important d&rsquo;&eacute;tablir une relation de &laquo;&nbsp;soutien&nbsp;&raquo; avec chaque acteur dans un rapport individuel pour que celui-ci puisse &ecirc;tre cr&eacute;atif. Pour Smaida, cela &laquo;&nbsp;d&eacute;pend du metteur en sc&egrave;ne&nbsp;&raquo;, de son &laquo;&nbsp;attitude&nbsp;&raquo; et de &laquo;&nbsp;ce qu&rsquo;il veut de ses acteurs&nbsp;&raquo;. Quelques personnes valorisent davantage le fait que la cr&eacute;ativit&eacute; de l&rsquo;acteur se d&eacute;veloppe dans une relation de coop&eacute;ration avec le metteur en sc&egrave;ne. Margita est la seule &agrave; pr&eacute;senter explicitement le processus de travail au th&eacute;&acirc;tre et dans l&rsquo;atelier comme un v&eacute;ritable &eacute;change avec le metteur en sc&egrave;ne mais surtout&nbsp; avec les autres com&eacute;diens. Elle est &eacute;galement la seule &agrave; &eacute;voquer la relation singuli&egrave;re et imm&eacute;diate qui se joue entre l&rsquo;acteur et le public pendant la repr&eacute;sentation comme un aspect de la cr&eacute;ativit&eacute; au th&eacute;&acirc;tre.</p> <p>Nous notons pour terminer que la question du rapport au texte dans le d&eacute;veloppement de la cr&eacute;ativit&eacute; au th&eacute;&acirc;tre en langue &eacute;trang&egrave;re est abord&eacute;e par cinq personnes qui consid&egrave;rent que travailler &agrave; partir d&rsquo;un texte initial facilite la cr&eacute;ativit&eacute; en tant que base de travail. Cependant, aucune personne ne traite du rapport de l&rsquo;acteur et de l&rsquo;&eacute;quipe de cr&eacute;ation avec la polyphonie qui participe de toute &eacute;nonciation, mise en &eacute;vidence par Bakthine. Par ailleurs, nous remarquons que la question de la cr&eacute;ativit&eacute; en langue n&rsquo;est pas reli&eacute;e spontan&eacute;ment &agrave; celle de la cr&eacute;ativit&eacute; au th&eacute;&acirc;tre ou dans l&rsquo;atelier en fran&ccedil;ais. Nous consid&eacute;rons m&ecirc;me que les personnes interview&eacute;es &eacute;vitent cette mise en relation ou l&rsquo;&eacute;voque de fa&ccedil;on tr&egrave;s peu pr&eacute;cise.</p> <p>Nous estimons finalement que contrairement &agrave; la RS de la cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re, celle de la cr&eacute;ativit&eacute; au th&eacute;&acirc;tre ne d&eacute;vie pas de la RS de la cr&eacute;ativit&eacute; g&eacute;n&eacute;rale. Cependant, elle comporte peu d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments stables qui reprennent seulement quelques caract&eacute;ristiques de la RS de la cr&eacute;ativit&eacute; prise dans son sens g&eacute;n&eacute;ral. La cr&eacute;ativit&eacute; est la mise en relation d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments existants afin d&rsquo;exprimer des sentiments, d&rsquo;interpr&eacute;ter le monde. Elle se joue d&rsquo;abord dans le rapport que l&rsquo;acteur vit avec lui-m&ecirc;me. Autrui stimule ou inhibe la cr&eacute;ativit&eacute; de l&rsquo;acteur par son jugement ou le rapport qu&rsquo;il institue avec l&rsquo;acteur mais&nbsp; ne participe pas au processus cr&eacute;atif.</p> <h3>3.3.&nbsp; Pourquoi les RS ne correspondent-elles pas entre elles&nbsp;?</h3> <p>Nous constatons finalement que les caract&eacute;ristiques communes aux RS de la cr&eacute;ativit&eacute; dans les contextes &eacute;voqu&eacute;s sont peu nombreuses. Il s&rsquo;agit :</p> <blockquote> <ul> <li>de la valorisation d&rsquo;un processus interne &agrave; la personne, &eacute;tudiant de langue ou com&eacute;dien ou cr&eacute;ateur lui-m&ecirc;me&nbsp;;</li> <li>de la conscience que la relation &agrave; autrui influence la cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;: elle d&eacute;pend de son jugement ou de son attitude. Autrui peut aussi &ecirc;tre un mod&egrave;le, une r&eacute;f&eacute;rence. Autrui n&rsquo;est pas co-cr&eacute;ateur, co-&eacute;nonciateur.</li> </ul> </blockquote> <p>Il nous semble que les principes de la cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale en FLE, pratiqu&eacute;s par ces personnes, peuvent avoir influenc&eacute; ou renforc&eacute; leur RS de la cr&eacute;ativit&eacute; en g&eacute;n&eacute;ral. Cela reste cependant &agrave; v&eacute;rifier. Etonnamment, elles ont peu influenc&eacute; les RS de la cr&eacute;ativit&eacute; au th&eacute;&acirc;tre et pas du tout celle de la cr&eacute;ativit&eacute; en langue &eacute;trang&egrave;re. Par ailleurs, nous constatons que parmi les RS des anciens &eacute;tudiants, seulement celle de la cr&eacute;ativit&eacute; dans son acception g&eacute;n&eacute;rale entre en correspondance avec les fondements d&rsquo;une p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative en langue &eacute;trang&egrave;re&nbsp;: conna&icirc;tre les normes et les d&eacute;passer pour cr&eacute;er un objet qui &eacute;claire un ph&eacute;nom&egrave;ne ou une situation, mettre en place une relation p&eacute;dagogique souple et &eacute;volutive, donner la priorit&eacute; &agrave; une relation intersubjective pour donner sens au monde.</p> <p>Nous supposons que pour les &eacute;tudiants,&nbsp; il est impossible de lier des objets qui sont en fait abord&eacute;s dans des contextes compl&egrave;tement diff&eacute;rents, la classe et l&rsquo;atelier. Le seul point commun entre ces contextes, c&rsquo;est justement le travail individuel (sur la langue-code ou sur l&rsquo;expression th&eacute;&acirc;trale) dans un questionnement sur la relation &agrave; autrui, principalement l&rsquo;enseignant et accessoirement les autres &eacute;tudiants dans la classe, les autres acteurs et l&rsquo;animateur-metteur en sc&egrave;ne dans l&rsquo;atelier. Cette diff&eacute;rence entre les situations v&eacute;cues entra&icirc;ne la non-correspondance entre les RS. C&rsquo;est vraisemblablement pour la m&ecirc;me raison que la RS de la cr&eacute;ativit&eacute; dans son acception g&eacute;n&eacute;rale est beaucoup plus d&eacute;velopp&eacute;e que les autres. Elle se construit sur d&rsquo;autres exp&eacute;riences et discours dans des contextes sociaux diff&eacute;rents de celui de la formation en FLE &agrave; l&rsquo;acad&eacute;mie. Nous constatons finalement que pour les interview&eacute;s, leur parcours d&rsquo;apprentissage (en fran&ccedil;ais, au th&eacute;&acirc;tre) est conditionn&eacute; d&rsquo;abord par les rapports que l&rsquo;&eacute;tudiant-com&eacute;dien entretient avec lui-m&ecirc;me, ses propres difficult&eacute;s, ses propres sentiments ou pens&eacute;es puis avec autrui, essentiellement l&rsquo;enseignant-animateur. Il semble que ce parcours est accessoirement fonction du rapport que l&rsquo;&eacute;tudiant-acteur entretient avec la langue &eacute;trang&egrave;re. Cela para&icirc;t logique lorsque nous savons que cette langue est abord&eacute;e en classe seulement en tant que code &agrave; ma&icirc;triser et non&nbsp; en tenant compte de la mise en &oelig;uvre de son potentiel cr&eacute;atif dans les co-&eacute;nonciations entre &eacute;tudiants et avec les enseignants.</p> <h2>4. Pour conclure, quelques propositions</h2> <p>Nous constatons que la cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale en langue &eacute;trang&egrave;re telle qu&rsquo;elle est pratiqu&eacute;e &agrave; l&rsquo;acad&eacute;mie semble pouvoir participer &agrave; d&eacute;velopper une p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative en langue &eacute;trang&egrave;re seulement ou principalement sur quelques points propres &agrave; la relation p&eacute;dagogique et &agrave; la relation &agrave; autrui, en tant que soutien ou obstacle &agrave; la cr&eacute;ativit&eacute; de chacun. Afin de favoriser v&eacute;ritablement une p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative au sein de l&rsquo;atelier, il s&rsquo;agirait de faire valoir tous les principes de la cr&eacute;ation collective. Le principe valoris&eacute; d&egrave;s la premi&egrave;re ann&eacute;e est celui de l&rsquo;acteur-cr&eacute;ateur du spectacle&nbsp;qui travaille en collaboration avec le metteur en sc&egrave;ne sur la base d&rsquo;improvisations. Par contre, le principe du rapport direct au public n&rsquo;est pas explicit&eacute; clairement et il ne s&rsquo;impose qu&rsquo;en fin de parcours, dans les derniers semestres de l&rsquo;atelier. Le travail sur le texte n&rsquo;est pas explicitement pr&eacute;sent&eacute; comme un processus de co-&eacute;nonciation mettant en jeu plusieurs voix. Nous estimons qu&rsquo;il est n&eacute;cessaire d&rsquo;amener les &eacute;tudiants-acteurs &agrave; prendre la mesure du processus co-&eacute;nonciatif qui se joue dans les r&eacute;p&eacute;titions et dans les repr&eacute;sentations, notamment dans la mise en sc&egrave;ne de textes choisis en compl&eacute;ment des improvisations.&nbsp; Pour cela, il faudrait inciter tout d&rsquo;abord les &eacute;tudiants-com&eacute;diens &agrave; choisir leurs publics ou, en tout cas, &agrave; en tenir compte concr&egrave;tement aussi bien dans le travail d&rsquo;improvisation-r&eacute;p&eacute;tition que durant les repr&eacute;sentations. En outre, il nous semble n&eacute;cessaire d&rsquo;engager plus avant une politique de diffusion des spectacles aupr&egrave;s de publics qui peuvent &ecirc;tre int&eacute;ress&eacute;s par les pi&egrave;ces elles-m&ecirc;mes et non seulement par la &laquo;&nbsp;langue en spectacle&nbsp;&raquo;.</p> <p>En ce qui concerne la promotion d&rsquo;une p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative &agrave; l&rsquo;acad&eacute;mie dans les cours obligatoires de FLE, il nous semble opportun de porter l&rsquo;attention sur ce qui importe le plus aux &eacute;tudiants-com&eacute;diens que nous avons rencontr&eacute;s&nbsp;: la relation &agrave; autrui, notamment &agrave; l&rsquo;enseignant. Pour la faire &eacute;voluer et engager la mise en &oelig;uvre d&rsquo;un nouveau paradigme, les enseignants pourraient s&rsquo;inspirer du principe de coop&eacute;ration entre l&rsquo;acteur-cr&eacute;ateur et le metteur en sc&egrave;ne propre &agrave; la cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale. Pour qu&rsquo;il puisse appr&eacute;hender ce principe, il serait n&eacute;cessaire de mettre en place un travail de cr&eacute;ation collective entre enseignants puis avec les &eacute;tudiants. Comme cela para&icirc;t peu envisageable,&nbsp; il s&rsquo;agirait donc plut&ocirc;t de travailler directement sur les situations p&eacute;dagogiques m&ecirc;mes, en&nbsp; s&rsquo;appuyant&nbsp; par exemple sur la notion de &laquo;&nbsp;relation d&rsquo;aide&nbsp;&raquo;&nbsp; d&eacute;velopp&eacute;e par Rogers &laquo;&nbsp;pour promouvoir l&rsquo;apprentissage&nbsp;&raquo; (1972&nbsp;: 125-126).</p> <p>Pour une p&eacute;dagogie intersubjective-cr&eacute;ative en classe de FLE au niveau sup&eacute;rieur, la recherche effectu&eacute;e incite &agrave; explorer de pistes de r&eacute;flexion et de travail sur des activit&eacute;s p&eacute;dagogiques qui s&rsquo;inspireraient de la cr&eacute;ation collective th&eacute;&acirc;trale mais porteraient sur d&rsquo;autres domaines. Il s&rsquo;agirait vraisemblablement de porter attention &agrave; la mise en relation serr&eacute;e entre les activit&eacute;s de cr&eacute;ations collectives en direction d&rsquo;un public donn&eacute; et les activit&eacute;s d&rsquo;enseignement/apprentissage tout en mettant les &eacute;tudiants en relation avec leur environnement socioculturel. Il s&rsquo;agirait alors de s&rsquo;int&eacute;resser notamment aux moyens de d&eacute;passer les limites physiques et id&eacute;ologiques de la classe dessin&eacute;es jusqu&rsquo;&agrave; pr&eacute;sent, rappelons-le, par des cadres d&rsquo;harmonisation sans doute trop valoris&eacute;s par les instances administratives et p&eacute;dagogiques mais aussi par les enseignants eux-m&ecirc;mes.</p> <p>&nbsp;</p> <h2>R&eacute;f&eacute;rences bibliographiques</h2> <p>ABRIC, Jean-Claude, &laquo;&nbsp;L&rsquo;&eacute;tude exp&eacute;rimentale des repr&eacute;sentations sociales&nbsp;&raquo;, dans Denise Jodelet (dir.), <i>Les repr&eacute;sentations sociales</i>, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, p. 205-223.</p> <p>BAERVELDT, Car &amp; CRESSWELL, James, &ldquo;Creativity and the generative approach to culture and meaning&rdquo;, in Vlad Petre Glăveanu, Alex Gillespie &amp; Jaan Valsiner (eds.), <i>Rethinking Creativity. 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Disponible sur&nbsp;&lt; <a href="http://revue-tdfle.fr/les-numeros/numero-70/22-apprendre-enseigner-selon-le-cecr-sos-cadre-vide-on-demande-des-auteurs">http://revue-tdfle.fr/les-numeros/numero-70/22-apprendre-enseigner-selon-le-cecr-sos-cadre-vide-on-demande-des-auteurs</a> &gt;</p> <p>BERCHOUD, Marie, &laquo;&nbsp;De la transgression dans les apprentissages&nbsp;: usages et limites&nbsp;&raquo;, <i>Voix plurielle</i>, 12.-1, 2015, p. 241-251.</p> <p>CSIKSZENTMIHALYI, Mihaly, <i>The Systems Model of Creativity</i>, Dordrecht, Springer Science+Business Media, 2014.</p> <p>GLăVEANU, Vlad Petre &amp; GILLESPIE, Alex, &ldquo;Creativity out of difference: theorising the semiotic, social and temporal origin of creative arts&rdquo; in Vlad Petre Glăveanu, Alex Gillespie &amp; Jaan Valsiner (eds.), <i>Rethinking Creativity. 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Disponible sur &lt; <a href="http://www.atilf.fr/IMG/pdf/3_huver.pdf">http://www.atilf.fr/IMG/pdf/3_huver.pdf</a> &gt;</p> <p>JODELET, Denise, &laquo;&nbsp;Repr&eacute;sentations sociales : un domaine en expansion&nbsp;&raquo; dans Denise Jodelet (dir.), <i>Les repr&eacute;sentations sociales</i>, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, p. 47-78.</p> <p>MERLEAU-PONTY, Maurice, <i>Ph&eacute;nom&eacute;nologie de la perception</i>, Paris, Gallimard, 1945.</p> <p>PIERRA, Gis&egrave;le, <i>Une esth&eacute;tique th&eacute;&acirc;trale en langue &eacute;trang&egrave;re</i>, Paris, L&rsquo;Harmattan, 2001.</p> <p>PRIEUR, Jean-Marie, VOLLE, Rose-Marie, &laquo;&nbsp;Le cadre europ&eacute;en commun de r&eacute;f&eacute;rence&nbsp;: une technologie politique de l&rsquo;enseignement des langues&nbsp;&raquo;,&nbsp;<i>Education et soci&eacute;t&eacute;s plurilingues</i>, n&deg; 41, D&eacute;cembre 2016, 2016, p. 75-87.</p> <p>RICOEUR, Paul, &ldquo;Creativity in language&rdquo;, <i>Philosophy Today</i>, 17(2), 1973, p. 97-141.</p> <p>ROGERS, Carl, <i>Le d&eacute;veloppement de la personne</i>, Paris, Dunod-InterEditions, 2005.</p> <p>ROUSSEAU, Pierre, &laquo;&nbsp;La mise en sc&egrave;ne en collectif&nbsp;&raquo;, <i>Jeu&nbsp;: revue de th&eacute;&acirc;tre,</i> n&deg;25 (4) , [en ligne], 1982,&nbsp; p.92-99. Disponible sur &lt; <a href="http://id.erudit.org/iderudit/28267ac">http://id.erudit.org/iderudit/28267ac</a> &gt;</p> <p>VILLEMURE, Fernand, &laquo;&nbsp;Aspects de la cr&eacute;ation collective au Qu&eacute;bec&nbsp;&raquo;, J<i>eu&nbsp;: revue de th&eacute;&acirc;tre</i>, n&deg;4, hiver 1977, [en ligne] 1977, p.57-71. Disponible sur&nbsp; &lt; <a href="http://id.erudit.org/iderudit/28548ac">http://id.erudit.org/iderudit/28548ac</a> &gt;</p> <div> <hr /> <div id="ftn1"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm"><small><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:Calibri,sans-serif"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" style="text-decoration:underline" title=""><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[1]</span></span></span></a><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> Cf. par exemple le communiqu&eacute; de la Conf&eacute;rence minist&eacute;rielle europ&eacute;enne pour l&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur de Paris 2018.</span></span></span></small></p> </div> </div>