<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Nous n’habitons plus un univers, mais un « multivers », selon l’expression de Henry Adams (Adams, 1907 : 229). Cet auteur et historien américain développe dans son roman autobiographique <em>The Education of Henry Adams, </em>un questionnement sur l’évolution de la culture contemporaine au début du XXème siècle où il critique, d’un point de vue plutôt conservateur, une société qui évoluerait « mal » et un système éducatif qui ne nous préparerait pas à vivre dans un monde sans unité, sans un système de valeurs digne de ce nom, un monde qui serait noyé dans l’anonymat de sa multiplicité et qui exploserait à l’ère moderne dans l’incertitude de son avenir. Cet appel au secours et le panorama obscur peint par Adams – confronté comme beaucoup à une mutation sociale qui le dépasse – pose une question intéressante un siècle plus tard : comment nos systèmes éducatifs intègrent-ils une formation consciemment et explicitement pensée vers l’avenir ? D’ailleurs, sont-ils censés le faire ? Quel est précisément le rôle que l’on attribue à l’École ? Quelles attentes plaçons-nous en elle ? À quoi (ou à qui) sert-elle ? </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">La question de l’utilité de l’apprentissage est au cœur même de la conception du système éducatif. Tiraillé entre sa mission humaniste de partage du savoir – celle pensée comme héritière de l’esprit des Lumières –, et celle utilitariste de contrôle, d’uniformisation et de formation de main d’œuvre en vue de son intégration au marché du travail, le système éducatif peine toujours à concilier ces deux versants. Quelle est « l’utilité » de ce qui est « à (ap)prendre » ? Quelle est sa « valeur » ? Sur quels critères détermine-t-on ce qui doit être enseigné et appris dans les programmes scolaires ? Pourquoi apprend-on ? À quoi ça sert ? Tant de questions qui sont souvent passées sous silence comme des évidences ou des tabous trop dangereux pour être énoncés, et qui touchent directement au domaine de la didactique des langues-cultures.</span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">À l’ère de la globalisation et sous la pression montante d’acteurs (parents, autorités, employeurs, corps enseignant, élèves) dont les besoins et attentes évoluent à un rythme effréné et souvent chaotique, l’École moderne essaye de s’adapter sans toutefois remettre en cause dans son essence un modèle vieux de plus de deux siècles et soumis à des pressions et des exigences de rentabilité.</span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">L’apprentissage des langues nous est souvent « vendu » comme une potion magique pour le développement cognitif des enfants, comme un remède miracle pour la prévention de maladies mentales liées au vieillissement, comme une garantie d’accès à des revenus élevés. Il nous est aussi présenté comme un gage de curiosité, d’adaptabilité, de mobilité internationale. Certains diront même qu’il s’agit de la voie d’accès privilégiée à l’altérité, au respect de l’autre, à l’intégration, à la construction européenne, au <em>vivre ensemble</em> harmonieux dans le meilleur des mondes possibles. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Aujourd’hui, la bilingualité en tant que compétence se réactualise dans le marché éducatif global et (re)devient une denrée rare qui se commercialise fort bien. En effet, les langues étrangères bénéficient d’un intérêt renouvelé, plaçant cette « discipline » parmi d’autres réputées prestigieuses, comme les sciences (STEM)<sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote1sym" name="sdfootnote1anc" style="font-size:57%"><sup>1</sup></a></span></span></sup> ou plus récemment, le codage ou la programmation<sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote2sym" name="sdfootnote2anc" style="font-size:57%"><sup>2</sup></a></span></span></sup>.</span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Ce phénomène est d’autant plus apparent dans l’enseignement privé américain où les compétences et les acquis se monnayent au prix fort. Dans ce marché des langues (Calvet, 2002), la maîtrise d’une ou de plusieurs langues « étrangères » constitue aujourd’hui un atout, un bien, un capital d’une valeur non-négligeable.</span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">D’un point de vue sociolinguistique, le modèle gravitationnel proposé par L.-J. Calvet (1999) nous permet d’illustrer les enjeux et tensions présents dans le système éducatif : </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-size:small"><strong><span style="font-family:Times New Roman,serif"><img alt="" src="/img/6/images/baidal_1.jpg" style="height:340px; width:800px" />Figure : Modèle Gravitationnel (Calvet, 1999)</span></strong></span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">D’autres modèles, comme la classification gnoséologique de Pierre Frath (2018), permettraient également d’apprécier ce phénomène. Or, la modélisation de Calvet, aussi réductrice soit-elle, a tout de même le mérite de signifier l’attrait qu’exercent les langues dominantes au niveau local, national ou international sur les langues dominées ou minoritaires dans le système diglossique, et donne une idée des enjeux et des rapports de force inégaux qu’affrontent les communautés correspondantes représentées en milieu scolaire. Conçue dans une logique de marché, la modélisation de Calvet se présente sous la forme d’une constellation de catégories de langues où les usagers des langues périphériques sont soumis à la gravité qu’exercent les langues centrales, et particulièrement une langue hypercentrale qui, comme un trou noir, aspirerait tout autour d’elle. On y trouve représentées quatre catégories de langues : </span></p>
<ul>
<li>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">1. Hypercentrale : anglais.</span></p>
</li>
<li>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">2. Supercentrales : espagnol, français, portugais, chinois, arabe...</span></p>
</li>
<li>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">3. Centrales : 100-200 langues.</span></p>
</li>
<li>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">4. Périphériques : 4000-5000 langues.</span></p>
</li>
</ul>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Certes, cette vision mercantile de la configuration linguistique mondiale simplifie au maximum les rapports entre les communautés linguistiques en les subordonnant à des impératifs purement économiques, concevant la mondialisation linguistique comme un effet, comme un dérivé de la globalisation tout court. Ici, les normes industrielles et les réseaux de distribution détermineraient la valeur ajoutée d’une langue, variable selon les bénéfices qu’elles rapportent en fonction d’une logique de l’offre et de la demande, de la concurrence. On pourra aisément reprocher à Calvet de faire un amalgame sous prétexte que certains produits culturels sont soumis à la loi du marché, et d’appliquer ce principe aux langues. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Toujours est-il que ce modèle, perçu dans sa dimension dynamique et adaptative, nous semble opérationnel en milieu scolaire notamment pour décrire les enjeux qui affectent l’enseignement des langues étrangères du point de vue institutionnel (par exemple, les pressions et l’attrait qu’exerce l’espagnol comme langue hypercentrale dans le contexte éducatif de la DLE aux États-Unis, ce qui nous force, hélas, jusqu’à fermer des programmes de français langue vivante). Ce modèle pose aussi une problématique à ne pas perdre de vue : les forces économiques et sociales et les systèmes de représentations liés à la valeur ajoutée et à la notion <em>d’utilité</em> d’une langue déterminent en grande partie l’offre éducative de nos établissements. Ce phénomène est surtout visible dans le marché éducatif aux États-Unis mais nous ne pouvons pas l’exclure ou l’ignorer dans d’autres contextes, comme celui de la France ou du public.</span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Par ailleurs, le modèle gravitationnel offre une application intéressante à la sphère individuelle dans le cadre de l’école :</span></p>
<p style="margin-left:1.25cm; text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"><em>« Chaque individu se [trouve] au centre de différents réseaux que nous pourrions représenter par une série de cercles concentriques correspondant diachroniquement à l’acquisition de différents registres, variétés ou langues, et synchroniquement à l’usage de ces variétés en fonction du contexte. Le premier cercle est celui de la communication la plus intime, la plus grégaire, la communication de type familial. Puis l’on passe à la communication de voisinage, de quartier. Un troisième cercle pourrait correspondre à la communication plus formelle dans le milieu scolaire ou du travail, un quatrième à la communication publique à l’échelle nationale, etc. » </em>(Calvet, 2002 : 96-97).</span></span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Dans cette optique de mondialisation, Calvet va même plus loin et, tout en critiquant l’interventionnisme, il propose un modèle individuel moyen et trifonctionnel dans lequel chaque citoyen devrait pratiquer au moins trois types de langues :</span></p>
<ul>
<li>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Une langue internationale pour ses rapports extérieurs.</span></p>
</li>
<li>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Une langue d’État, normée et standardisée qui lui permettrait de s’insérer dans la vie publique de son pays.</span></p>
</li>
<li>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Une langue grégaire ou communautaire qui peut être une forme locale de la langue nationale (français de Marseille, espagnol de République Dominicaine, un sociolecte, etc.) ou une langue différente (catalan, hébreu, alsacien, corse, basque...).</span></p>
</li>
</ul>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Et le sujet-apprenant dans tout cela ? </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">L’objectivation tant des acteurs (apprenants, enseignants) comme de la langue elle-même s’aggrave dans ce contexte de globalisation où l’utilitaire l’emporte. En DLE, le dogme fonctionnel du tout-communicationnel et l’instrumentalisation de la langue-culture (prônée dans le cadre de l’approche communicative et la perspective actionnelle centrée sur l’apprenant) opèrent comme « une sorte de glissement en direction du sujet qui apprend » (Holtzer, 1995 : 37). Ce « glissement » reflète une évolution sociétale et culturelle qui doit se lire sous le prisme du contexte social, politique, voire économique dans le cadre de la mondialisation et, dans nos sociétés de consommation, en fonction d’un clientélisme et d’un individualisme qui touchent à même le cœur de l’institution éducative. Mais, à la fois, cette centration sur l’apprenant l’objectivise, l’anonymise, le réduit à une donnée quantifiable.</span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Aux États-Unis en particulier, l’approche actionnelle en DLE ne passe pas par les autorités mais plutôt par l’idéologique. Il faut rappeler que dans ce pays les politiques éducatives, les programmes, les contenus et les approches ne sont pas dictés par une entité gouvernementale ; ils ne sont pas centralisés au niveau fédéral. Chaque état de l’Union décide de ses propres prérogatives en matière éducative, le Secrétariat d’Éducation (Secretary of Education, très différent du Ministère de l’Éducation Nationale français) se limitant uniquement à définir et à superviser le respect d’un certain nombre d’exigences au niveau du fonctionnement administratif des établissements éducatifs. Les établissements privés ou indépendants, eux, bénéficient d’une liberté et d’une autonomie presque totales pour définir leurs programmes, les standards étant définis souvent dans le cadre de chartes, d’accords ou d’associations, comme c’est le cas des établissements affiliés à la NAIS (National Association of Independent Schools) qui regroupe un grand nombre d’établissements de ce type qui s’engagent à suivre un certain nombre de lignes directrices. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">En matière d’enseignement de langues étrangères, chaque état définit donc les programmes à mettre en place de la maternelle à la Terminale (PreK-12th grade). Comme la plupart des états de l’Union, les états de New York, Massachusetts et Californie – où nous avons mené nos recherches – définissent d’eux-mêmes un certain nombre de critères, un <em>cadre</em> pour l’enseignement des langues étrangères. Ce cadre, daté de 1996<sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote3sym" name="sdfootnote3anc" style="font-size:57%"><sup>3</sup></a></span></span></sup>, est connu sous le nom de « Learning Standards for Languages Other Than English »<sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote4sym" name="sdfootnote4anc" style="font-size:57%"><sup>4</sup></a></span></span></sup>. Il se décline dans une série de standards ou niveaux seuils pour les langues modernes, le latin et les langues amérindiennes. Il est intégré dans un document cadre plus récent appelé « National World Readiness Standards for Learning Languages », créé par l’ACTFL. L’ACTFL, the American Council on the Teaching of Foreign Languages, ou Conseil Américain pour l’Enseignement des Langues Étrangères est un organisme indépendant financé par des fonds privés. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Voici la traduction<sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote5sym" name="sdfootnote5anc" style="font-size:57%"><sup>5</sup></a></span></span></sup> intégrale de la transcription d’une vidéo institutionnelle de l’ACTFL présentée dans leur site internet<sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote6sym" name="sdfootnote6anc" style="font-size:57%"><sup>6</sup></a></span></span></sup> :</span></p>
<p style="margin-left:1.25cm; text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"><em>« Apprendre des langues nous prépare à nous <strong>connecter</strong> dans le monde multilingue et multiculturel que nous partageons. ACTFL et seize autres organisations ont collaboré pour créer le World Readiness Standards for Learning Languages. Récemment, ces standards ont été modifiés pour se focaliser sur le lettrisme ou le maniement des structures de la langue, les applications des langues dans le <strong>monde réel</strong> et les <strong>savoir-faire</strong> ou <strong>compétences</strong> du XXIème siècle. Ces standards servent comme une feuille de route pour guider les apprenants à <strong>communiquer de manière efficace et interagir</strong> avec une <strong>compétence globale </strong>tout en participant dans les communautés au niveau local et international. À l’appui de cette vision il y a cinq domaines principaux, aussi connus comme les 5C : <strong>communication</strong>, cultures, connexions, comparaisons et communautés. Intégrer ces 5 domaines dans les programmes d’instruction permet aux élèves de <strong>se préparer au monde</strong> et de devenir des citoyens éduqués. Dans chaque catégorie des 5C on trouve les 11 standards de contenu qui décrivent les savoirs et les compétences que les élèves devront avoir acquis à la fin de leur processus d’apprentissage de la langue. </em></span></span></p>
<p style="margin-left:1.25cm; text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"><em>Regardons les domaines des contenus et les standards. L’objectif communicationnel est divisé en 3 standards de contenu décrivant les trois modes ou <strong>fonctions</strong> de la communication : le mode interpersonnel pour interagir avec autrui et <strong>négocier le sens</strong>, le mode interprétatif pour comprendre et analyser ce qui entendu, lu ou regardé, et le mode de présentation pour formuler des messages, pour informer, expliquer, persuader ou raconter des faits (narration). Chaque mode adresse la façon dont chaque apprenant parle, écrit, écoute, regarde et utilise les <strong>médias</strong> n’importe quand, n’importe où, avec n’importe qui. </em></span></span></p>
<p style="margin-left:1.25cm; text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"><em>Comment pouvons-nous mesurer les progrès des élèves pour atteindre ces objectifs ? Le World Readiness Standards inclut des exemples d’indicateurs de la performance qui permettent aux apprenants et aux enseignants de <strong>réfléchir</strong> et suivre leurs progrès dans les trois modes de communication en utilisant des énoncés de style <strong>« Je peux ! »</strong>. Ces énoncés décrivent des <strong>applications de la langue dans le monde réel</strong>, montrant ce que les apprenants peuvent <strong>faire </strong>dans chaque niveau, débutant (<strong>je peux</strong> répondre à des questions par oui ou non), intermédiaire (<strong>je peux </strong>demander de l’aide à l’école) et avancé (<strong>je peux </strong>interviewer quelqu’un). </em></span></span></p>
<p style="margin-left:1.25cm; text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"><em>Parlons maintenant des autres 4C. Elles montrent <strong>ce que les élèves font avec la langue</strong> et <strong>comment ils s’en servent dans une grande variété de contextes</strong>. Dans les domaines culturels et de comparaisons, les élèves utilisent la langue cible pour chercher des informations, expliquer et réfléchir sur des aspects de la langue et <strong>réfléchir sur comment les perspectives culturelles influent sur nos pratiques et productions</strong>. Dans le domaine des connexions, les élèves construisent et développent des compétences liées à la <strong>pensée critique</strong> et à la <strong>résolution de problèmes</strong>, et aussi ont accès et évaluent des perspectives diverses. Dans le domaine des communautés, les élèves emploient la langue cible dans et à l’extérieur de la salle de cours. Ils définissent aussi des objectifs et réfléchissent sur leur progrès. Et comment pouvons-nous apprécier les progrès des élèves dans ces domaines ? Le World Readiness Standards inclut des exemples d’indicateurs de progrès. Ces indicateurs sont spécifiques en fonction de l’âge et du niveau des élèves, reconnaissant que le développement cognitif et la maturité des élèves peuvent ne pas correspondre à leurs habiletés dans le maniement de la langue. Cela veut dire que même si deux apprenants de même niveau de maîtrise peuvent faire preuve de compétences similaires, les <strong>tâches</strong> qu’ils effectuent changent en fonction de leur âge, expérience et intérêts. </em></span></span></p>
<p style="margin-left:1.25cm; text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"><em>En résumé, les World Readiness Standards sont organisés autour des 5C, avec des exemples d’indicateurs de performance pour pouvoir identifier <strong>ce que les apprenants peuvent faire en termes de communication</strong>, et des exemples d’indicateurs de progrès démontrant une grande variété d’<strong>applications de la langue</strong>. La combinaison de ces éléments nous montre ce que les apprenants doivent savoir, <strong>ce qu’ils sont capables de faire et comment ils le font</strong>. Ces standards aident les apprenants à comprendre le développement de leurs habiletés pour <strong>communiquer de manière efficace </strong>et <strong>interagir avec compétence globale. Aussi, </strong>ils offrent aux enseignants de langue de tout niveau une feuille de route ou plan d’action à suivre pour pouvoir <strong>guider leurs élèves à se préparer au monde</strong></em><sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><span style="font-size:small"><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote7sym" name="sdfootnote7anc" style="font-size:57%"><sup>7</sup></a></span></span></span></sup><em><strong>. </strong>» </em>(ACTFL : <u><a href="https://www.actfl.org/publications/all/world-readiness-standards-learning-languages">https://www.actfl.org/publications/all/world-readiness-standards-learning-languages</a></u>)</span></span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Les points de convergence entre l’ACTFL et le CECRL sont évidents : tous deux sont fondés sur la même logique transactionnelle de l’Approche Par Compétences (APC), celle de l’apprentissage fonctionnel et reproductible de la communication. Il est fort aisé de noter des termes qui nous sont martelés et qui sont symptomatiques d’une doxa axée sur la mécanisation du langage (<em>communication, connecter, interagir</em>), l’actionnel (<em>savoir-faire, compétence, faire, je peux !, tâches, être capable de faire</em>) et l’utilitaire (<em>communiquer de manière efficace, négocier du sens, se servir de la langue, pouvoir faire, être capable de faire, comment les élèves le font, applications de la langue</em>). Le tout est bien entendu emballé dans un éloge assumé et sans complexe de la mondialisation (<em>compétence globale, se préparer au monde, le monde réel, les médias</em>) placée au cœur du dispositif.</span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">Dans cette vidéo institutionnelle et dans l’ensemble des matériaux de l’ACTFL consultés à ce jour, nous n’avons trouvé aucune référence au sujet-apprenant ou à la subjectivité, et pour cause : le sujet est expressément oublié, effacé. « L’acquisition » d’une langue étrangère est ici présentée et conçue comme une transaction marchande, la langue étant réduite à un code à maîtriser, qui peut servir, que l’on peut systématiser, emballer, prendre. Pire qu’un oubli : on ignore, on refuse dans ce paradigme la complexité de l’expérience du sujet passant entre les langues, dans le sens défini par J.-M. Prieur, qui qualifie d’ailleurs ce genre de modèles comme exemples d’une « technologie politique de gouvernement et de contrôle des individus » (Prieur, 2017, en ligne). Nous sommes, comme l’ont dit Bruno Maurer et Mohammed Berkaine<sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote8sym" name="sdfootnote8anc" style="font-size:57%"><sup>8</sup></a></span></span></sup> à propos du CECR, devant des « modèle(s) d’uniformisation supranationale » qui ignorent tout ce que le passage entre les langues implique en termes d’intersubjectivité, de construction et de déconstruction identitaire. Bref, tout ce que fait d’un individu un être complexe, ses affects, ses peurs, ses rêves, ses différences, ses désirs. Comment le sujet est ici conçu nous rappelle, hélas, que la praxis en éducation et en DLE est trop souvent marquée par la centration sur un apprenant interchangeable parce que prévisible, celle de la langue comme bien à acquérir, à consommer, à prendre, de la langue comme produit, celle du faire et de l’action, celle de l’immédiateté et de l’anonymat.</span></p>
<p style="text-align:left"> </p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif"><strong>Bibliographie</strong></span></p>
<p style="text-align:left"> </p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">ADAMS, Henry</span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>The Education of Henry Adams, </em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">Boston, Massachusetts Historical Society, University of Virginia Press, 1907.</span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">ANDERSON, Patrick, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>La didactique des langues étrangères à l’épreuve du sujet</em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, Besançon, Presses universitaires Franc-Comtoises, 1999. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">CALVET, Louis-Jean, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>La guerre des langues et les politiques linguistiques</em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, Paris, Hachette Littératures, 1999. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">CALVET, Louis-Jean, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>Le marché aux langues : essai de politologie linguistique sur la mondialisation</em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, Paris, Plon, 2002. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">FISHMAN, Joshua A., « Bilingualism With and Without Diglossia; Diglossia With and Without Bilingualism », </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>Journal of Social Issues</em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, vol. 23 / 2, avril 1967, p. 29-38. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">FISHMAN, Joshua A., COOPER, Robert Leon et NEWMAN, Roxana Ma, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>Bilingualism in the barrio</em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, Bloomington, États-Unis d’Amérique, Indiana University, 1971. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">FRATH, Pierre, « Une classification gnoséologique des langues au service de la politique linguistique », dans </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>Diversité linguistique, progrès scientifique et développement durable</em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, Repères DoRif n.17, Université de Rome, décembre 2018.</span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">HOLTZER, Gisèle, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>Autonomie et didactique des langues: le Conseil de l’Europe et les langues étrangères (1970-1990)</em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, Paris, Les Belles-Lettres, 1995.</span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">« Is Bilingualism Really an Advantage? » </span><span style="font-family:Times New Roman,serif">[En ligne : http://www.newyorker.com/science/maria-konnikova/bilingual-advantage-aging- brain]. Consulté le 19 mars 2017. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">LEGENDRE, Jacques et FRANCE, SÉNAT, COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, « </span><span style="font-family:Times New Roman,serif">Rapport d’information fait au nom de la Commission des affaires culturelles sur l’enseignement des langues étrangères en France</span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif">ISSN 1240-8425</span><span style="font-family:Times New Roman,serif"> », Paris, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif">Impressions</span><span style="font-family:Times New Roman,serif"> Sénat, 2003. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">MARTINEZ, Pierre, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>La didactique des langues étrangères</em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, Presses Universitaires de France, 1998. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">MAURER, Bruno, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>Enseignement des langues et construction européenne: le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante</em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, Paris, Éd. des Archives Contemporaines, 2011. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">PIERRA, Gisèle, </span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><em>Une esthétique théâtrale en langue étrangère</em></span><span style="font-family:Times New Roman,serif">, Editions L’Harmattan, 2001. </span></p>
<p style="text-align:left"><span style="font-family:Times New Roman,serif">PRIEUR, Jean-Marie, « L’empire des mots morts. Lisons le CECR comme un cauchemar », Revue TDFLE, n°70, [En ligne : </span><u><a href="http://revue-tdfle.fr/revue_publi.id_publi-31.html"><span style="font-family:Times New Roman,serif">http://revue-tdfle.fr/revue_publi.id_publi-31.html</span></a></u><span style="font-family:Times New Roman,serif">], 2017. Consulté le 18 juillet 2019. </span></p>
<div id="sdfootnote1">
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote1anc" name="sdfootnote1sym">1</a><sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"></span></span></sup> Acronyme de Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques (américanisme, STIM en français).</span></span></p>
</div>
<div id="sdfootnote2">
<p style="text-align:left"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote2anc" name="sdfootnote2sym">2</a><sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><span style="font-size:small"></span></span></span></sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"> </span><a href="https://medium.com/@TransparentLanguage/sorry-stem-google-just-made-the-case-for-more-foreign-language-education-a4b9e0f0f9c3"><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"><em>https://medium.com/@TransparentLanguage/sorry-stem-google-just-made-the-case-for-more-foreign-language-education-a4b9e0f0f9c3</em></span></span></a><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small">. Cet article fait référence aux conclusions de l’étude </span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"><em>Oxygen</em></span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"> effectuée par Google en 2013. Voir aussi : </span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"><em>The New Education</em></span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small">, Cathy N. Davidson, Basic Books, New York, 2017. </span></span></p>
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<div id="sdfootnote3">
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote3anc" name="sdfootnote3sym">3</a><sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"></span></span></sup> <a href="http://www.nysed.gov/world-languages/schools/languages-other-english-publications">http://www.nysed.gov/world-languages/schools/languages-other-english-publications</a></span></span></p>
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<div id="sdfootnote4">
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote4anc" name="sdfootnote4sym">4</a><sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"></span></span></sup> <a href="http://www.nysed.gov/common/nysed/files/programs/world-languages/lotelea.pdf">http://www.nysed.gov/common/nysed/files/programs/world-languages/lotelea.pdf</a></span></span></p>
</div>
<div id="sdfootnote5">
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote5anc" name="sdfootnote5sym">5</a><sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"></span></span></sup> C’est moi qui traduis et qui souligne. À noter que même si l’ensemble des produits et matériels publiés par l’ACTFL sont surtout destinés à des enseignants de langue étrangère, ils sont tous publiés en une seule langue : l’anglais.</span></span></p>
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<div id="sdfootnote6">
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote6anc" name="sdfootnote6sym">6</a><sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"></span></span></sup> <a href="https://www.actfl.org/publications/all/world-readiness-standards-learning-languages">https://www.actfl.org/publications/all/world-readiness-standards-learning-languages</a>, aussi disponible en version sous-titrée : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GQq1OT-b9hU">https://www.youtube.com/watch?v=GQq1OT-b9hU</a> </span></span></p>
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<div id="sdfootnote7">
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote7anc" name="sdfootnote7sym">7</a><sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"></span></span></sup> N. du Trad. : Je paraphrase ici l’expression « <em>world readiness</em> » dans le texte original. </span></span></p>
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<div id="sdfootnote8">
<p style="text-align:left"><a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote8anc" name="sdfootnote8sym">8</a><sup><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><span style="font-size:small"></span></span></span></sup> <span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small">BERKAINE, Mohamed, </span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small">« L’École confrontée au(x) modèle(s) d’uniformisation supranationaux : quelle politique éducative, quels enjeux, quelle(s) marge(s) et perspective(s) ? », conférence dans le cadre du IIIème Congrès International du Réseau Francophone de Sociolinguistique (RFS) intitulé « Identités, Conflits et Interventions Sociolinguistiques », 14-16 juin 2017, Université Paul-Valéry, Montpellier III (publication des actes à venir).</span></span></p>
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