<h2>Introduction</h2> <p>La formule &laquo;&nbsp;d&eacute;sir de langues &raquo; a tout de suite &eacute;veill&eacute; un souvenir. Il nous est revenu en m&eacute;moire le propos d&rsquo;un professeur de fran&ccedil;ais &eacute;gyptien &agrave; qui nous avons demand&eacute;, lors d&rsquo;un entretien, pourquoi il avait choisi ce m&eacute;tier. Ce professeur, se plongeant dans une &eacute;vocation po&eacute;tique du &laquo;&nbsp;monde de l&rsquo;enfance&nbsp;&raquo;, nous avait racont&eacute; que ses voisins cairotes, en lui parlant de la France,&nbsp;avaient suscit&eacute; une curiosit&eacute; enfantine pour ces mots d&rsquo;une langue inconnue. Tout en r&eacute;fl&eacute;chissant, il nous avait ensuite avou&eacute; avec une petite h&eacute;sitation &nbsp;: &laquo;&nbsp;choisir d&rsquo; &ecirc;tre professeur de fran&ccedil;ais &eacute;tait &eacute;tait <hésitation> un d&eacute;sir peut-&ecirc;tre de mon enfance parce que je voulais... apprendre la langue&nbsp;&raquo;. Ensuite, </hésitation>son d&eacute;bit s&rsquo;acc&eacute;l&eacute;rant, il avait chang&eacute; de sujet de mani&egrave;re assez abrupte.</p> <p>Cette belle expression, &laquo;&nbsp;un d&eacute;sir de mon enfance&nbsp;&raquo;, a trouv&eacute; dans les travaux de Patrick Anderson (1999, 2003, 2015), un champ th&eacute;orique &eacute;clairant. L&rsquo;auteur, &agrave; la fois linguiste, didacticien et f&eacute;ru de psychanalyse, s&rsquo;interrogeant sur la fa&ccedil;on dont survient le d&eacute;sir d&rsquo;une langue inconnue, constate que la didactique des langues &eacute;trang&egrave;re (DLE) laisse de c&ocirc;t&eacute; cette question&nbsp;:</p> <blockquote> <p>D&rsquo;autre part, et c&rsquo;est sans doute le point o&ugrave; la DLE est le plus &eacute;loign&eacute; de la psychanalyse, la d&eacute;limitation et la valorisation des objectifs, des strat&eacute;gies pour apprendre et des besoins qui sous l&rsquo;apparence de rationalit&eacute; de l&rsquo;organisation de l&rsquo;acte p&eacute;dagogique se double de la construction d&rsquo;un ersatz de sujet &agrave; qui il faut faire acqu&eacute;rir des savoirs dire, des savoirs faire et un savoir &ecirc;tre sont radicalement &agrave; l&rsquo;oppos&eacute; de ce qui tend &agrave; rep&eacute;rer le d&eacute;sir ! (2003&nbsp;: 346).</p> <p>(&hellip;) je m&rsquo;&eacute;tais attach&eacute; &agrave; interroger ce que devenaient dans le champ de la didactique des langues, le savoir et la langue plac&eacute;e en position d&rsquo;objet de savoir, la place de l&rsquo;enseignant et la d&eacute;limitation du sujet. Le constat dress&eacute; relevait (&hellip;) l&rsquo;absence totale d&rsquo;une probl&eacute;matique du d&eacute;sir du sujet, puisque le champ &eacute;tait totalement domin&eacute; par les perspectives constructivistes et les mod&egrave;les directement issus des cognisciences.&nbsp;&raquo; (2015&nbsp;:29)</p> </blockquote> <p>Nous proposons dans cet article, d&rsquo;explorer la relation avec le fran&ccedil;ais d&rsquo;enseignants &eacute;gyptiens de cette langue en laissant r&eacute;sonner les propos de l&rsquo;auteur d&rsquo;<i>Une langue &agrave; venir </i>avec ceux de nos enqu&ecirc;t&eacute;s. Pourquoi ont-ils choisi d&rsquo;&eacute;tudier le fran&ccedil;ais puis de l&rsquo;enseigner&nbsp;? Comment vivent-ils leur m&eacute;tier de professeur de fran&ccedil;ais en &Eacute;gypte aujourd&rsquo;hui&nbsp;? Ces deux questions ont guid&eacute; l&rsquo;analyse des entretiens que nous avons men&eacute;s avec ces professeurs, alors en stage &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Rouen.</p> <h2>Contexte, enqu&ecirc;t&eacute;s et m&eacute;thodologie</h2> <p>Ce groupe de vingt professeurs, accueilli par la Formation Continue de l&rsquo;Universit&eacute;, participait &agrave; un stage de trois mois<a href="#sdfootnote1sym" name="sdfootnote1anc">1</a>, d&eacute;di&eacute; au &laquo;&nbsp;perfectionnement linguistique et aux d&eacute;couvertes culturelles&nbsp;&raquo;. Il s&rsquo;agissait pour la quasi totalit&eacute; de ces enseignants, cependant exp&eacute;riment&eacute;s, de leur premier voyage en France. Obtenir un visa, r&eacute;unir les moyens n&eacute;cessaires &agrave; un voyage &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger n&rsquo;est, en &Eacute;gypte, pas chose facile. J&rsquo;avais men&eacute; ces entretiens pour mieux conna&icirc;tre le v&eacute;cu de cette premi&egrave;re exp&eacute;rience en France, ainsi que les motivations des professeurs pour suivre ce stage, dans lequel j&rsquo;&eacute;tais &eacute;galement enseignante de prononciation et phon&eacute;tique. Les entretiens, individuels, d&rsquo;une dur&eacute;e moyenne d&rsquo;une heure environ, se sont d&eacute;roul&eacute;s &agrave; l&rsquo;universit&eacute;, en f&eacute;vrier-mars 2016, dans un bureau agr&eacute;able, autour d&rsquo;un th&eacute;. Les professeurs &eacute;gyptiens que je connaissais d&eacute;j&agrave; ont facilement accept&eacute; de faire ces entretiens. Plusieurs d&rsquo;entre eux m&rsquo;ont remerci&eacute;e, &agrave; l&rsquo;issue de l&rsquo;&eacute;change, de leur donner cette occasion de s&rsquo;exprimer en fran&ccedil;ais, un des objectifs principaux de leur voyage.</p> <p>Le groupe comprenait seize hommes et quatre femmes, une proportion habituelle dans les groupes, et calcul&eacute;e par les organisateurs &eacute;gyptiens, au dire des stagiaires. Selon un ratio comparable, il comptait seize personnes de confession musulmane, et quatre coptes, les chr&eacute;tiens d&rsquo;&Eacute;gypte. Du fait de la reprise de l&rsquo;organisation des s&eacute;jours en France, apr&egrave;s une interruption de cinq ans, l&rsquo;&acirc;ge limite pour candidater avait &eacute;t&eacute; exceptionnellement recul&eacute;, passant de 40 &agrave; 45 ans. De ce fait, les enqu&ecirc;t&eacute;s poss&eacute;daient une exp&eacute;rience longue de l&rsquo;enseignement (entre 10 et 20 ans). Pour cette m&ecirc;me raison, nos professeurs avaient subi une s&eacute;lection importante, du fait d&rsquo;un nombre accru de candidats. Plusieurs professeurs ont affirm&eacute;, lors des entretiens, que le niveau en fran&ccedil;ais de ce premier groupe<a href="#sdfootnote2sym" name="sdfootnote2anc">2</a> &eacute;tait particuli&egrave;rement &eacute;lev&eacute;, et non repr&eacute;sentatif de celui de la majorit&eacute; des enseignants de cette langue en exercice en &Eacute;gypte<a href="#sdfootnote3sym" name="sdfootnote3anc">3</a>.</p> <p>La position endog&egrave;ne nous a permis une familiarit&eacute; certaine avec les questions abord&eacute;es ainsi qu&rsquo;une bonne connaissance du public d&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;s, d&rsquo;autant que nous avons particip&eacute; &agrave; l&rsquo;accueil de tous les groupes de professeurs &eacute;gyptiens, depuis l&rsquo;origine du programme. La subjectivit&eacute; li&eacute;e &agrave; cette posture participante a facilit&eacute; l&rsquo;&eacute;tablissement de la confiance, une condition indispensable &agrave; l&rsquo;entretien de recherche. C&rsquo;est pourquoi nous avons choisi, en suivant les principes de l&rsquo;entretien compr&eacute;hensif (Kaufmann, 2016), de nous engager en exprimant notre point de vue, lorsque ce dernier &eacute;tait sollicit&eacute;. Ces moments proches de la conversation jouent un r&ocirc;le important en permettant &agrave; l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; de s&rsquo;engager &agrave; son tour. Le fait que ce soient les enqu&ecirc;t&eacute;s eux-m&ecirc;mes qui d&eacute;terminent les cat&eacute;gories pertinentes, au fil de leur discours, est particuli&egrave;rement pr&eacute;cieux pour notre enqu&ecirc;te. En choisissant d&rsquo;aborder les th&egrave;mes d&rsquo;une fa&ccedil;on personnelle, ils renouvellent le regard que le chercheur pouvait porter sur elles, du fait des repr&eacute;sentations pr&eacute;alables issues de ses recherches et de son implication sur le terrain. Ce fonctionnement, qui &eacute;vite les questions cat&eacute;gorisantes autres que liminaires, nous semble garant d&rsquo;une certaine authenticit&eacute; dans le propos des enqu&ecirc;t&eacute;s, dont on sait par ailleurs, qu&rsquo;il reste toujours soumis &agrave; un ensemble de biais inh&eacute;rents &agrave; la situation d&rsquo;entretien, (Blanchet, 1985&nbsp;; Lahire, 2005) au sein desquels les questions de face jouent un r&ocirc;le pr&eacute;pond&eacute;rant (Goffman, 1973).</p> <p>Dans le pr&eacute;sent travail, nous centrons nos analyses sur les propos des enqu&ecirc;t&eacute;s portant sur le choix de leur m&eacute;tier &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de leurs &eacute;tudes ainsi que sur leur pratique de l&rsquo;enseignement en &Eacute;gypte aujourd&rsquo;hui. Ce second th&egrave;me constituait l&rsquo;une des questions liminaires, mais le premier s&rsquo;est impos&eacute; de lui-m&ecirc;me, lorsque les enqu&ecirc;t&eacute;s, cherchant les raisons de leur venue en France, remontaient &agrave; l&rsquo;origine de ce &laquo;&nbsp;r&ecirc;ve de voyager en France&nbsp;&raquo;. Nous avons ainsi, &agrave; l&rsquo;issue du travail d&rsquo;&eacute;coute et de transcription, d&eacute;coup&eacute; transversalement chacun des entretiens de notre corpus en fonction de ces deux th&eacute;matiques principales, en retenant des parties de discours s&eacute;lectionn&eacute;es sur leur contenu (Blanchet, Gotman, 2015&nbsp;: 96). Notre formation d&rsquo;analyste du discours nous conduit &agrave; pr&ecirc;ter attention &agrave; la forme des &eacute;nonc&eacute;s, ainsi qu&rsquo;aux marques d&rsquo;&eacute;nonciation relevant aussi bien du bonheur de dire que du dire difficile&nbsp;: h&eacute;sitations, bafouillements, silences, reformulations, etc (Gardin, 1988). Nous gardons &agrave; l&rsquo;esprit le fait que ces discours sont le fruit d&rsquo;une co-construction entre l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; et nous-m&ecirc;me, et qu&rsquo;ils ne refl&egrave;tent pas une r&eacute;alit&eacute; pr&eacute;existante, puisqu&rsquo;ils contribuent &agrave; la construire. Ainsi, avons-nous &eacute;t&eacute; sensible &agrave; l&#39;expression de l&#39;ambivalence, de la contradiction, des failles et des r&eacute;currences qui sont le propre d&#39;un &laquo;&nbsp;sujet cliv&eacute; travers&eacute; par la langue non plus ma&icirc;tre de ses intentions ni de son dire.&nbsp;&raquo; (Anderson, 2003 : 343). Les qualit&eacute;s d&rsquo;introspection de certains enqu&ecirc;t&eacute;s nous ont amen&eacute;e &agrave; d&eacute;velopper plus particuli&egrave;rement l&rsquo;&eacute;tude de certains cas, et &agrave; les citer g&eacute;n&eacute;reusement, de mani&egrave;re &agrave; restituer (un peu de) la coh&eacute;rence de leurs discours singuliers, ainsi que le pouvoir heuristique de la parole en entretien de type ethnographique (Beaud et Weber, 1997). La pr&eacute;sente &eacute;tude croisera donc un point de vue vertical par l&rsquo;analyse de grilles th&eacute;matiques, et horizontal en d&eacute;veloppant l&rsquo;&eacute;tude de cas individuels. Le texte qui suit, abordant la dimension subjective de l&rsquo;appropriation d&rsquo;une langue &laquo;&nbsp;autre que celle de l&rsquo;acc&egrave;s au langage<a href="#sdfootnote4sym" name="sdfootnote4anc">4</a>&nbsp;&raquo;, est organis&eacute; en trois parties qui, tout en suivant une chronologie biographique (de la position d&rsquo;&eacute;l&egrave;ve et d&rsquo;&eacute;tudiant &agrave; celle d&rsquo;enseignant), s&rsquo;int&eacute;resse essentiellement au th&egrave;me de la m&eacute;diation enseignante dans l&rsquo;apprentissage de la langue. Seront &eacute;galement &eacute;voqu&eacute;es des questions li&eacute;es &agrave; la culture &eacute;ducative et aux sp&eacute;cificit&eacute;s de l&rsquo;enseignement en &Eacute;gypte.</p> <h2>1 Le Choix d&rsquo;&eacute;tudier et d&rsquo;enseigner le fran&ccedil;ais</h2> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif">Nous examinons dans cette premi&egrave;re partie la fa&ccedil;on dont les enqu&ecirc;t&eacute;s commentent leur choix d&rsquo;&eacute;tudier le fran&ccedil;ais, puis de devenir enseignant de cette langue.</span></p> <h3>1.1 &laquo;&nbsp;Thanaweya Amma&nbsp;la terreur des Egyptiens&nbsp;&raquo;</h3> <p>En &Eacute;gypte, le r&eacute;sultat &agrave; l&rsquo;examen de fin d&rsquo;&eacute;tudes secondaires, Thanaweya amma, l&rsquo;&eacute;quivalent du baccalaur&eacute;at, conditionne strictement l&rsquo;orientation des &eacute;l&egrave;ves. En effet, c&rsquo;est le pourcentage obtenu qui d&eacute;termine la possibilit&eacute; d&rsquo;acc&egrave;s aux diff&eacute;rentes universit&eacute;s publiques<a href="#sdfootnote5sym" name="sdfootnote5anc">5</a> et parfois, un point ou un demi-point manquant suffit &agrave; fermer l&rsquo;acc&egrave;s &agrave; une fili&egrave;re. Les facult&eacute;s les plus prestigieuses exigent les r&eacute;sultats les plus &eacute;lev&eacute;s. Ce sont, pour les sciences exactes, la m&eacute;decine (r&eacute;sultat sup&eacute;rieur &agrave; 95%), la pharmacie ou l&rsquo;ing&eacute;nierie et pour les sciences humaines, les sciences politiques, l&rsquo;&eacute;conomie et le droit. Dans ce syst&egrave;me fortement hi&eacute;rarchis&eacute;, la p&eacute;dagogie et les langues &eacute;trang&egrave;res ne font donc pas partie des fili&egrave;res d&rsquo;excellence. C&rsquo;est ainsi que quatre professeurs (E11, E12, E14, E15<a href="#sdfootnote6sym" name="sdfootnote6anc">6</a>) sur les 17 ayant inform&eacute; cette question, voulaient s&rsquo;orienter vers une fili&egrave;re scientifique, mais n&rsquo;ont pas pu le faire. C&rsquo;est par d&eacute;faut qu&rsquo;il ont choisi d&rsquo;enseigner le fran&ccedil;ais, une situation qui peut &ecirc;tre v&eacute;cue tr&egrave;s n&eacute;gativement.</p> <p style="margin-left: 40px;">E14 (3&rsquo;24)<a href="#sdfootnote7sym" name="sdfootnote7anc">7</a> d&#39;abord pour &ecirc;tre un professeur de fran&ccedil;ais, ce n&#39;&eacute;tait pas mon souhait franchement (&hellip;) je r&ecirc;vais d&rsquo;&ecirc;tre, par exemple, un ing&eacute;nieur, c&rsquo;&eacute;tait mon r&ecirc;ve mais &agrave; cause d&rsquo;une mauvaise condition au bac, je ne suis pas arriv&eacute; &agrave; rejoindre la facult&eacute; de sciences (&hellip;)</p> <p style="margin-left: 40px;">(5&rsquo;) c&rsquo;est&nbsp;une mauvaise exp&eacute;rience&nbsp;pour moi, et ma femme la m&ecirc;me exp&eacute;rience. Elle a pass&eacute; la m&ecirc;me exp&eacute;rience avec de telle... dramatique. On &eacute;tait touch&eacute;s par cet &eacute;v&eacute;nement mais, enfin, on est professeurs de fran&ccedil;ais <soupir></soupir></p> <p><a eu=""> </a></p> <p style="margin-left: 40px;">&nbsp;E15 (2&rsquo;46) tout d&rsquo;abord j&rsquo;ai pass&eacute; le baccalaur&eacute;at avec degr&eacute; bien je j&rsquo;ai j&rsquo;ai j&rsquo;ai 86&nbsp;%&nbsp;; j&rsquo;aime entrer la facult&eacute; au domaine &eacute;nergie ou les sciences, j&rsquo;aime la domaine de la science et de chimie et de physique. Je ne souhaitais jamais entrer &lt;&agrave;&gt; la facult&eacute; de lettres d&eacute;partement de la langue fran&ccedil;aise mais (...) le choix n&rsquo;est pas n&rsquo;est pas grand pour moi (&hellip;)</p> <p style="margin-left: 40px;">(4&rsquo;13) comme professeur c&rsquo;est difficile pour moi parce que je suis tr&egrave;s petit, comment je peux expliquer les le&ccedil;ons aux &eacute;l&egrave;ves&nbsp;? Au lyc&eacute;e <ils> sont tr&egrave;s grands, mais c&rsquo;est le mieux pour moi je ne trouve pas d&rsquo;autre chose que &ccedil;a (&hellip;)</ils></p> <p style="margin-left: 40px;">&nbsp;(4&rsquo;40) autre chose, vraiment je n&rsquo;aime pas la langue fran&ccedil;aise je n&rsquo;aime pas que mon niveau au baccalaur&eacute;at n&rsquo;est pas bien comme les autres, comme les autres amis (&hellip;)</p> <p style="margin-left: 40px;">E mais pourquoi vous n&rsquo;avez pas pris sciences&nbsp;?</p> <p style="margin-left: 40px;">E15 il me manque un seul... degr&eacute;, un un seul note, un seul&hellip; <e point=""> point&nbsp;! Un seul point&nbsp;! Seulement&nbsp;! Vraiment j&rsquo;ai pleur&eacute; beaucoup&nbsp;!</e></p> <p>L&rsquo;&eacute;motion dans la voix de E15, son d&eacute;bit heurt&eacute;, les h&eacute;sitations et nombreux ratages dans son &eacute;nonciation trahissent une grande &eacute;motion &agrave; l&rsquo;&eacute;vocation de ce souvenir. Nous remarquons que cet enqu&ecirc;t&eacute;, qui dit clairement ne pas aimer la langue fran&ccedil;aise, la parle de mani&egrave;re assez malais&eacute;e, et reste par moments peu intelligible. La suite de l&rsquo;entretien donne un indice int&eacute;ressant sur un sujet difficile que retrouverons : celui de la violence physique en classe en &Eacute;gypte. &laquo;&nbsp;Si un &eacute;l&egrave;ve ne pas apprendre les mots bien, je lui frapper&nbsp;! <il en="" et="" poursuit="" riant="" rit=""> je vais le frapper, si&nbsp;!&nbsp;&raquo; (E15, 27&rsquo;). Suite &agrave; nos questions, l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; explique user d&rsquo;une baguette en bois. Ce propos fait &eacute;cho &agrave; la remarque ci-avant, dans laquelle il notait qu&rsquo;il &eacute;tait &laquo;&nbsp;tr&egrave;s petit&nbsp;&raquo;, et les &eacute;l&egrave;ves de lyc&eacute;e &laquo;&nbsp;tr&egrave;s grands&nbsp;&raquo;. Il nous semble que la violence que l&rsquo;institution exerce lors du choix contraint des &eacute;tudes, se reporte ici au sein des relations &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de la classe.</il></p> <p>Ces deux exemples attestent la rigidit&eacute; du syst&egrave;me d&rsquo;orientation, et les cons&eacute;quences n&eacute;gatives qu&rsquo;il engendre. Sur le plan social, il g&eacute;n&egrave;re &eacute;galement le d&eacute;veloppement massif d&rsquo;un enseignement parall&egrave;le, payant, dit des &laquo;&nbsp;cours priv&eacute;s&nbsp;&raquo;. Tous les &eacute;l&egrave;ves de l&rsquo;ann&eacute;e de terminale suivent de tels cours afin de mieux se pr&eacute;parer au bac, examen qu&rsquo;une de nos enqu&ecirc;t&eacute;es a qualifi&eacute; de &laquo;&nbsp;terreur des &eacute;gyptiens&nbsp;&raquo;. Quant aux professeurs, 18 d&rsquo;entre eux sur les 20 interrog&eacute;s donnent des &laquo;&nbsp;cours priv&eacute;s&nbsp;&raquo;, car le salaire moyen d&rsquo;un enseignant<a href="#sdfootnote8sym" name="sdfootnote8anc">8</a> reste tr&egrave;s insuffisant. Cette question, que nous ne d&eacute;veloppons pas ici, a fait l&rsquo;objet de commentaires fournis de la part des enseignants interrog&eacute;s.</p> <p>Finalement, sur les 13 enqu&ecirc;t&eacute;s restants, qui voulaient initialement &eacute;tudier une langue, trois<a href="#sdfootnote9sym" name="sdfootnote9anc">9</a> avaient d&rsquo;abord choisi l&rsquo;anglais, mais ils n&rsquo;ont pas pu r&eacute;aliser leur souhait, toujours &agrave; cause d&rsquo;un r&eacute;sultat insuffisant au baccalaur&eacute;at, d&rsquo;un demi-point pour E2. Ils se sont alors r&eacute;orient&eacute;s vers le fran&ccedil;ais (moins bien c&ocirc;t&eacute; que l&rsquo;anglais). Cependant, il est int&eacute;ressant de noter que, contrairement aux exemples cit&eacute;s pr&eacute;c&eacute;demment, ce type de r&eacute;orientation n&rsquo;a pas emp&ecirc;ch&eacute; ces &eacute;tudiants de se passionner par la suite pour le fran&ccedil;ais. On peut alors penser que, dans certains cas, le choix d&rsquo;&eacute;tudier une langue prime celui d&rsquo;&eacute;tudier une langue donn&eacute;e.</p> <h3>1.2 Pourquoi &eacute;tudier le fran&ccedil;ais&nbsp;?</h3> <p>Cependant, dans le cas des sept<a href="#sdfootnote10sym" name="sdfootnote10anc">10</a> enqu&ecirc;t&eacute;s qui ont fait un choix initial et positif du fran&ccedil;ais, ce dernier s&rsquo;est effectu&eacute; en refusant une autre langue, l&rsquo;arabe ou l&rsquo;anglais, ou une autre discipline (la g&eacute;ographie a &eacute;t&eacute; cit&eacute;e deux fois). E7, une dame, explique par exemple, qu&rsquo;elle a choisi le fran&ccedil;ais en s&rsquo;opposant &agrave; l&rsquo;avis paternel qui pr&eacute;conisait l&rsquo;anglais. On voit alors que les raisons du choix se trouvent dans la personne elle-m&ecirc;me et non dans la langue. Le fait d&rsquo;avoir &eacute;tudi&eacute; le fran&ccedil;ais en primaire, ou plus tard, au lyc&eacute;e, est &eacute;voqu&eacute; explicitement comme ayant influenc&eacute; le choix de trois enqu&ecirc;t&eacute;s, deux autres font &eacute;tat de contacts pr&eacute;coces avec la langue. Penchons-nous plus longuement sur le propos de E4, qui originait son m&eacute;tier de professeur de fran&ccedil;ais dans un &laquo;&nbsp;d&eacute;sir de son enfance&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <p style="margin-left: 40px;"><b><strong>E4</strong></b> (0&rsquo;54) quand j&rsquo;&eacute;tais petit, j&rsquo;ai entendu <i>mes voisins parler de la France</i>, parce que quelques-uns y sont all&eacute;s (&hellip;) ils &eacute;taient dans des fermes, ou des champs de raisins, des restaurants (...) <i>j&rsquo;ai commenc&eacute; &agrave; aimer la France</i> (&hellip;) je garde toujours la m&eacute;moire de quelques mots que j&rsquo;ai eus de mes voisins, comme le mot cong&eacute;, bonjour, bonsoir (&hellip;)</p> <p style="margin-left: 40px;">(2&rsquo;10) parce que, peut-&ecirc;tre <i>on commence &agrave; aimer les langues, la langue </i>avant de commencer &agrave; apprendre&nbsp;cette langue, et bien s&ucirc;r <i>le PAYS m&egrave;re de cette langue, c&rsquo;est toujours, occupe une place dans mon c&oelig;ur</i> c&rsquo;est &agrave; dire, parce que l&#39;enfance toujours, repr&eacute;sente pour l&#39;homme les moments de joie, de bonheur, de jouer, c&#39;est &agrave; dire on est toujours libre, comme les papillons, les oiseaux, le monde est beau&nbsp;; c&rsquo;est &agrave; dire e&nbsp;:: le moment de l&#39;enfance, beauCOUP m&#39;a orient&eacute;, c&#39;est &agrave; dire choisir e d&rsquo;&ecirc;tre professeur de fran&ccedil;ais &eacute;tait &eacute;tait e <hésitation><i> </i></hésitation><i>un d&eacute;sir peut-&ecirc;tre de mon enfance </i>parce que je voulais e apprendre la langue. Oui, voil&agrave; c&rsquo;est le point de d&eacute;part.</p> <p>Le narrateur, en un r&eacute;cit imag&eacute; et po&eacute;tique, retrace la gen&egrave;se de son &laquo;&nbsp;d&eacute;sir&nbsp;&raquo; d&rsquo;apprendre le fran&ccedil;ais. L&rsquo;imaginaire y tient une grande place, stimul&eacute; par les histoires racont&eacute;es par les voisins voyageurs, qui se rendaient dans cet &laquo;&nbsp;ailleurs&nbsp;&raquo;, sans doute comme travailleurs saisonniers. Les quelques mots qui se sont grav&eacute;s dans la m&eacute;moire de l&rsquo;enfant (il avait 6 ou 7 ans) n&rsquo;ont jamais &eacute;t&eacute; oubli&eacute;s, et se sont lest&eacute;s de cette charge d&rsquo;imaginaire, reli&eacute;e au monde de l&rsquo;enfance, que le narrateur d&eacute;crit id&eacute;alement, comme celui du jeu, de la joie, de la libert&eacute; et de la beaut&eacute;. Les voisins ont jou&eacute; un r&ocirc;le de m&eacute;diateurs vers une langue qui s&rsquo;est par&eacute;e des attraits de l&rsquo;inconnu. Une rencontre s&rsquo;est produite, d&eacute;terminante pour l&rsquo;avenir du locuteur enqu&ecirc;t&eacute;. &laquo;&nbsp;On ne vient pas apprendre une langue pour savoir quelque chose sur cette langue mais pour saisir de l&rsquo;inconnu.&nbsp;&raquo;, &eacute;crit Anderson (1999&nbsp;: 267). Ce t&eacute;moignage montre que le choix initial d&rsquo;apprendre une langue &laquo;&nbsp;autre&nbsp;&raquo; n&rsquo;a, ici, pas de rapport avec le besoin de communiquer, ni m&ecirc;me les caract&eacute;ristiques d&rsquo;une langue donn&eacute;e. Il proc&egrave;de de la rencontre entre le besoin de savoir et d&rsquo;imaginaire, d&rsquo;ouverture au monde et donc &agrave; autrui, ressenti &agrave; un moment pr&eacute;coce de la vie de l&rsquo;enfant, et la langue autre, (re)pr&eacute;sent&eacute;e, incarn&eacute;e par des personnes proches. C&rsquo;est ce que nous comprenons de la phrase un peu &eacute;nigmatique de notre enqu&ecirc;t&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;peut-&ecirc;tre <i>on commence &agrave; aimer les langues, la langue</i> avant de commencer &agrave; apprendre&nbsp;cette langue&nbsp;&raquo;. Pour notre professeur, au sujet duquel nous pouvons pr&eacute;ciser qu&rsquo;il est copte et f&eacute;ru de po&eacute;sie, &laquo;&nbsp;Le pays&nbsp;m&egrave;re de la langue<a href="#sdfootnote11sym" name="sdfootnote11anc">11</a>&nbsp;&raquo; et la langue elle-m&ecirc;me, se m&ecirc;lent dans un m&ecirc;me amour, lequel a &eacute;t&eacute; suscit&eacute;, &eacute;veill&eacute;, bien avant l&rsquo;apprentissage de la langue elle-m&ecirc;me. Et c&rsquo;est le contact avec les voisins voyageurs qui a produit cet &eacute;veil, qui a fait de la langue de l&rsquo;autre un objet de d&eacute;sir. Pour cela, nous pensons que le sens du mot &laquo;&nbsp;d&eacute;sir&nbsp;&raquo; dans la belle expression &laquo;&nbsp;un d&eacute;sir (&hellip;) de mon enfance&nbsp;&raquo; est bien en rapport avec la m&eacute;moire, le fantasme et l&rsquo;imaginaire, et non la simple expression d&rsquo;une envie ou d&rsquo;un besoin<a href="#sdfootnote12sym" name="sdfootnote12anc">12</a>.</p> <p>Cependant, la relation peut &ecirc;tre plus ambivalente. Parler, saisir la langue de l&rsquo;autre, produit en retour un regard sur soi&nbsp;: &laquo;&nbsp;c&rsquo;est confronter (et se confronter &agrave;) sa propre &eacute;tranget&eacute; &agrave; soi-m&ecirc;me&nbsp;&raquo; ( Anderson, 1999&nbsp;: 268). S&rsquo;ensuit un regard sur la langue des premiers apprentissages&nbsp;: &laquo; Apprendre une langue mobilise non seulement un rapport au savoir mais aussi un rapport &agrave; soi-m&ecirc;me dans un retour sur sa langue premi&egrave;re. Il y a dans l&#39;apprentissage tout le poids qu&#39;entretient le sujet avec sa propre langue.&nbsp;&raquo; (1999&nbsp;: 258).</p> <p>Ce retour sur la langue premi&egrave;re sous-tend le discours de E14, qui s&rsquo;interroge sur l&rsquo;influence du fran&ccedil;ais&nbsp;:</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E14 </b>(15&rsquo;30) malgr&eacute; sa difficult&eacute; &agrave; apprendre, je suis <i>INfluenc&eacute; par cette langue</i> (...)&nbsp;</p> <p style="margin-left: 40px;">(16&rsquo;16) je suis e tout &agrave; fait <i>touch&eacute; par cette langue</i>, pas touch&eacute;, attir&eacute; par cette langue</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E</b> Attir&eacute;, d&rsquo;accord, qu&rsquo;est-ce qui vous plait, alors, qu&rsquo;est-ce qui vous attire&nbsp;?</p> <p style="margin-left: 40px;"><silence> <i>ah&nbsp;! </i><voix basse="" plus=""><i> e&nbsp; c&rsquo;est un sentiment e qu&rsquo;on ne peut pas exprimer</i> (...)</voix></silence></p> <p style="margin-left: 40px;">(20&rsquo;25) c&rsquo;est &ccedil;a qu&rsquo;on fait tout le temps, on apprend par c&oelig;ur pour &eacute;CRIRE &agrave; l&rsquo;examen.<i> On ne PENSE</i> <pas>&nbsp;! On &eacute;crit PAS ce qu&rsquo;on PENse&nbsp;! <hm d=""> C&rsquo;est une culture &agrave; enseigner&nbsp;! M&ecirc;me la langue arabe, quand quelqu&rsquo;un nous demande de faire un r&eacute;sum&eacute; par exemple, une synth&egrave;se, je me- je me demande&nbsp;: &laquo;<i>&nbsp;pourquoi on ne le fait en arabe, notre langue maternelle</i>&nbsp;?&nbsp;&raquo;</hm></pas></p> <p>Le locuteur constate son attirance pour le fran&ccedil;ais, et l&rsquo;on se souvient que son orientation vers le m&eacute;tier d&rsquo;enseignant de cette langue &eacute;tait par d&eacute;faut. Il s&rsquo;interroge &agrave; ce propos, en avouant ne pas comprendre la raison de cette influence. Cette incompr&eacute;hension se r&eacute;sume dans l&rsquo;expression&nbsp;: &laquo;&nbsp;c&rsquo;est un sentiment qu&rsquo;on ne peut pas exprimer&nbsp;&raquo;, qui nous semble illustrer cette &laquo;&nbsp;&eacute;tranget&eacute; &agrave; soi-m&ecirc;me&nbsp;&raquo; dont parle Patrick Anderson. Plus tard dans l&rsquo;entretien, E14, comparant des pratiques d&rsquo;apprentissage dans les deux langues, et opposant des exercices comme la synth&egrave;se &agrave; l&rsquo;apprentissage par c&oelig;ur, revient en un constat s&eacute;v&egrave;re sur sa &laquo;&nbsp;langue maternelle&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;on ne pense <pas>!&raquo;, qui conduit l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; &agrave; se heurter douloureusement &agrave; son identit&eacute; premi&egrave;re. Le discours de E14 r&eacute;v&egrave;le sa difficult&eacute; &agrave; trouver sa place entre deux langues porteuses de deux cultures qu&rsquo;il per&ccedil;oit comme antagonistes. Le rapport avec le fran&ccedil;ais se dit sur le mode de l&rsquo;attirance, mais &eacute;galement du refus, que l&rsquo;on per&ccedil;oit &agrave; travers les trois occurrences du syntagme r&eacute;p&eacute;t&eacute; &laquo;&nbsp;cette langue&nbsp;&raquo; dans lequel le d&eacute;ictique traduit, nous semble-t-il, une mise &agrave; distance. Nous voyons l&agrave; que &laquo;&nbsp;le passage d&rsquo;une langue &agrave; une autre est beaucoup plus que l&rsquo;acquisition d&rsquo;un autre syst&egrave;me linguistique, mais bien un ph&eacute;nom&egrave;ne qui touche le sujet dans l&rsquo;ensemble de son &ecirc;tre.&nbsp;&raquo; (Anderson, 2015&nbsp;: 27).</pas></p> <h2>2 L&rsquo;enseignant m&eacute;diateur ou obstacle</h2> <p>De fa&ccedil;on spontan&eacute;e, lors des entretiens, plus de la moiti&eacute; des enqu&ecirc;t&eacute;s a &eacute;voqu&eacute; la figure d&rsquo;un enseignant qui a jou&eacute; un r&ocirc;le dans leur parcours. Il semble fr&eacute;quent en &Eacute;gypte, que les relations se poursuivent bien au-del&agrave; des &eacute;tudes, comme nous l&rsquo;ont rapport&eacute; plusieurs enqu&ecirc;t&eacute;s qui continuent de fr&eacute;quenter quelques-uns de leurs anciens professeurs. Cependant, certains r&eacute;cits &eacute;voquent des souvenirs qui peuvent &eacute;galement &ecirc;tre n&eacute;gatifs, c&rsquo;est le cas de quatre d&rsquo;entre eux, sur onze &eacute;vocations.</p> <h3>2.1 L&rsquo;enseignant qui confisque la langue</h3> <p>Dans les r&eacute;cits d&rsquo;exp&eacute;riences n&eacute;gatives, l&rsquo;enseignant devient un obstacle &agrave; l&rsquo;apprentissage, il emp&ecirc;che de r&eacute;ussir et m&ecirc;me parfois d&rsquo;apprendre. Les raisons &eacute;voqu&eacute;es sont, dans deux cas, en rapport avec un refus de remettre en question un jugement initial ou une note. L&rsquo;une des enqu&ecirc;t&eacute;es, de confession chr&eacute;tienne, qui a &eacute;tudi&eacute; le fran&ccedil;ais en premi&egrave;re langue dans un coll&egrave;ge carm&eacute;lite et porte un pr&eacute;nom occidental, nous raconte que le refus d&rsquo;un professeur &laquo;&nbsp;de mati&egrave;res en arabe, de mati&egrave;re de p&eacute;dagogie&nbsp;&raquo;, de r&eacute;&eacute;valuer sa copie l&rsquo;a emp&ecirc;ch&eacute;e de poursuivre son cursus au sein de la facult&eacute; de p&eacute;dagogie malgr&eacute; le soutien des enseignants de fran&ccedil;ais. A notre demande de pr&eacute;cision, E5 r&eacute;pond qu&rsquo;il s&rsquo;agissait &laquo;&nbsp;d&rsquo;un professeur compliqu&eacute;&nbsp;&raquo;, dont les &eacute;valuations &eacute;taient syst&eacute;matiquement &agrave; rebours des attentes des &eacute;tudiants. Nous comprenons en sus, une rivalit&eacute; de langue, et sans doute de cultures. Un troisi&egrave;me r&eacute;cit fait &eacute;tat des cons&eacute;quences d&rsquo;une gifle, donn&eacute;e &agrave; un &eacute;l&egrave;ve ami du narrateur&nbsp;:</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E11</b> (54&rsquo;30) moi j&#39;ai pas aim&eacute; la physique <i>&agrave; cause du professeur</i> (&hellip;) moi j&rsquo;&eacute;tais dou&eacute; dans les math&eacute;matiques, la chimie et la biologie, mais pas la physique, pourquoi&nbsp;? Parce que un de mes coll&egrave;gues, le professeur lui a demand&eacute; d&#39;aller au tableau pour r&eacute;soudre un probl&egrave;me (&hellip;) il doit &eacute;crire 14m/s, mais il n&#39;a pas &eacute;crit 14 m/s. Qu&rsquo;est ce que le professeur a fait&nbsp;? Il l&rsquo;a gifl&eacute;&nbsp;! C&#39;&eacute;tait en 1987 ou 1988 quand j&#39;&eacute;tais &agrave; la premi&egrave;re du lyc&eacute;e (...) depuis ce prof-l&agrave;, je reste calme dans la classe <chuchoté><i> j&rsquo;essaie de me cacher de lui parce que je n&rsquo;accepte pas qu&rsquo;il me donne un coup de gifle</i>. J&rsquo;ai pas ouvert le livre de physique, simplement j&rsquo;ai &eacute;tudi&eacute; les d&eacute;finitions (&hellip;)<i> c&rsquo;est pour cela que j&rsquo;ai quitt&eacute;</i>. </chuchoté></p> <p>Bien que l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; n&rsquo;ait pas directement &eacute;t&eacute; victime du geste du professeur, il raconte avoir &eacute;t&eacute; traumatis&eacute; par la possibilit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre lui-aussi gifl&eacute;, au point de se d&eacute;tourner de la mati&egrave;re qui lui aurait permis de poursuivre des &eacute;tudes en sciences, domaine dans lequel il &eacute;tait dou&eacute;. Le dernier r&eacute;cit concerne un enseignant de fran&ccedil;ais &agrave; la facult&eacute;. Nous retrouvons E2, &agrave; qui il manquait un demi-point pour &eacute;tudier l&rsquo;anglais.</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E2</b> (33&rsquo;08) En fait, je serai sinc&egrave;re avec vous, lorsque j&#39;ai fini le bac, je souhaitais &eacute;tudier l&#39;anglais &agrave; la facult&eacute; (...) m&ecirc;me les professeurs de l&#39;anglais &agrave; la fac sont&nbsp;faciles, il n&#39;y a pas de probl&egrave;mes, mais les professeurs de fran&ccedil;ais&nbsp;; e&nbsp;qui &eacute;taient &agrave; mon temps (...) ils &eacute;taient difficiles, ils faisaient beaucoup de probl&egrave;mes&nbsp;! Ils ne veulent que personne r&eacute;ussisse (...) <imite avec="" emphase=""> </imite>Il a &eacute;tudi&eacute; en France, il dit toujours &laquo;vous ne comprendrez rien, le fran&ccedil;ais est tr&egrave;s difficile pour vous&nbsp;!&raquo; Il complique les choses&nbsp;! pourquoi&nbsp;? Explique, et nous, nous allons &eacute;tudier&nbsp;! Mais il parle tout le temps du cours, il parle de sa VIE, de ses &eacute;tudes en FRANCE, des personnes qu&#39;il a rencontr&eacute;es en FRANCE, de ses aventures en France&nbsp;! Il dit &laquo;&nbsp;&eacute;tudiez ce livre&nbsp;!&nbsp;&raquo; Il n&#39;explique rien. Mais c&#39;&eacute;tait pas tout le monde. Un ou deux seulement. (34&rsquo;24)</p> <p>Cet enseignant d&rsquo;universit&eacute;, dont la r&eacute;putation d&eacute;tourne les &eacute;tudiants du choix du fran&ccedil;ais, exhibe son exp&eacute;rience, et dans le m&ecirc;me temps refuse l&rsquo;acc&egrave;s au savoir dont il a attis&eacute; le d&eacute;sir. Ce faisant, il place ses &eacute;tudiants dans une situation paralysante d&rsquo;injonction paradoxale, et pervertit sa fonction de m&eacute;diateur. Les quatre r&eacute;cits qui pr&eacute;c&egrave;dent illustrent plusieurs fa&ccedil;ons par lesquelles l&rsquo;enseignant, au lieu de permettre le contact avec le savoir, l&rsquo;emp&ecirc;che, ce qui produit des effets plus ou moins pr&eacute;gnants sur les &eacute;l&egrave;ves ou &eacute;tudiants. Il nous semblait int&eacute;ressant de d&eacute;tailler, en suivant les enqu&ecirc;t&eacute;s, les t&eacute;moignages n&eacute;gatifs, plus rares dans les discours autoris&eacute;s, que ne le sont ceux qui marquent la r&eacute;ussite.</p> <h3>2.2 L&rsquo;enseignant qui donne la langue</h3> <p>Cependant, ce sont les t&eacute;moignages positifs qui dominent&nbsp;: on en compte sept<a href="#sdfootnote13sym" name="sdfootnote13anc">13</a> sur les onze recueillis. Ils prennent une forme plus br&egrave;ve et synth&eacute;tique, et indiquent que la relation positive avec la langue est pass&eacute;e par un enseignant. Dans les citations suivantes, nous avons soulign&eacute; les verbes d&rsquo;affect ainsi que les connecteurs indiquant la relation de causalit&eacute; entre le choix du fran&ccedil;ais et l&rsquo;enseignant de cette langue.</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E4</b> il parlait tr&egrave;s bien le fran&ccedil;ais <i>&ccedil;a m&rsquo;a aid&eacute; &agrave; beaucoup aimer le fran&ccedil;ais</i></p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E7</b> j&rsquo;ai eu un professeur <i>qui m&rsquo;a fait adorer le fran&ccedil;ais, c&rsquo;est gr&acirc;ce &agrave; elle</i> que j&rsquo;ai d&eacute;cid&eacute; de devenir un professeur de fran&ccedil;ais</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E8</b> moi je vais choisir le fran&ccedil;ais, <i>il me plait beaucoup gr&acirc;ce &agrave; mon prof</i> que je garde pour lui des bons souvenirs</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E16</b> et &ccedil;a m&rsquo;int&eacute;resse beaucoup parce que je n&rsquo;aime pas le bruit, la haute voix,<i> j&rsquo;aime parler tranquillement et je trouve &ccedil;a en fran&ccedil;ais</i> (&hellip;) et aussi <i>la professeur de fran&ccedil;ais</i> au lyc&eacute;e elle &eacute;tait mignon, elle &eacute;tait excellent &agrave; enseigner <i>pour cela</i> e&nbsp;e &ccedil;a m&rsquo;int&eacute;resse beaucoup aussi</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E18</b> j&rsquo;aime bien le contact avec les &eacute;l&egrave;ves, le travail et le syst&egrave;me de travail,<i> parce que quand j&rsquo;&eacute;tais &eacute;l&egrave;ve j&rsquo;aimais beaucoup mes enseignants c&rsquo;est pourquoi j&rsquo;aime &ecirc;tre professeur</i> ou enseignant comme eux</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E19</b> quand j&rsquo;&eacute;tais comme &eacute;l&egrave;ve au lyc&eacute;e, <i>j&rsquo;aimais beaucoup le fran&ccedil;ais</i> comme langue et <i>c&rsquo;est mon professeur</i> e j&rsquo;aime sa langue fran&ccedil;aise et la prononcer bien</p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">Les verbes affectifs, &laquo;&nbsp;aimer&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;adorer&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;plaire beaucoup&nbsp;&raquo; traduisent l&rsquo;&eacute;lan ressenti, qui pousse vers l&rsquo;autre langue, laquelle se trouve incarn&eacute;e par l&rsquo;enseignant. Que disent les enqu&ecirc;t&eacute;s des qualit&eacute;s de ces enseignants&nbsp;?</span></span></p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E4</b> il nous a <i>racont&eacute; beaucoup, il parlait tr&egrave;s bien le fran&ccedil;ais </i>(...) on a eu la <i>confiance dans sa parole dans sa mani&egrave;re de prononcer la langue les mots</i></p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E7</b> c&#39;&eacute;tait <i>une jeune</i> femme, elle n&#39;avait que quatre ans de plus que moi, <i>elle pronon&ccedil;ait bien le fran&ccedil;ais,</i> le professeur d&#39;avant ne disait rien&nbsp;: &laquo;&nbsp;ouvrez les livres&nbsp;&raquo;</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E19</b> j&rsquo;aime sa langue fran&ccedil;aise et <i>la prononcer bien, il parlait tr&egrave;s bien le fran&ccedil;ais</i>, &ccedil;a m&rsquo;a aid&eacute; &agrave; beaucoup aimer le fran&ccedil;ais</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E8</b> j&rsquo;&eacute;tais avec un autre qui <i>me donne beaucoup de conseils il m&rsquo;encourage</i> tout le temps en fait</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E9</b> &agrave; la fac j&rsquo;ai rencontr&eacute; des profs <i>tr&egrave;s qualifi&eacute;s, tr&egrave;s honn&ecirc;tes, tr&egrave;s forts dans la langue</i>, ils nous <i>enseignent beaucoup</i></p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E16</b> la professeur de fran&ccedil;ais au lyc&eacute;e <i>elle &eacute;tait mignon, elle &eacute;tait excellente &agrave; enseigner</i></p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E18</b> j&rsquo;ai rencontr&eacute; beaucoup d&rsquo;enseignants <i>qui aiment bien leurs &eacute;l&egrave;ves, qui aiment bien de faire le travail comme il faut</i></p> <p>&nbsp;</p> <p>Sont soulign&eacute;es des qualit&eacute;s li&eacute;es &agrave; l&rsquo;attitude envers les &eacute;l&egrave;ves (il conseille, &laquo;&nbsp;encourage&nbsp;&raquo;, il est &laquo;&nbsp;honn&ecirc;te&nbsp;&raquo;), des traits personnels (&laquo;&nbsp;jeune&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;mignon&nbsp;&raquo;), et des qualit&eacute;s p&eacute;dagogiques (&laquo;&nbsp;qualifi&eacute;&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;excellente &agrave; enseigner&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;qui aiment bien faire le travail comme il faut&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;qui enseignent beaucoup&nbsp;&raquo;). Le fait de bien parler, et surtout de bien prononcer le fran&ccedil;ais tient une place importante. Le verbe est cit&eacute; &agrave; trois reprises. Cet accent mis sur la prononciation ne nous surprend pas, comme enseignante de cette discipline pendant le stage. La r&eacute;flexion d&eacute;velopp&eacute;e par Patrick Anderson (1999&nbsp;: 276) permet de mieux appr&eacute;hender cet attrait des professeurs &eacute;gyptiens pour la prononciation. Il rappelle que la voix de l&rsquo;autre est importante en ce qu&rsquo;elle permet la relation p&eacute;dagogique, et &agrave; travers elle le rapport &agrave; l&rsquo;autre langue, qui est d&rsquo;abord sensoriel (Anderson, 2003&nbsp;: 351). La langue se d&eacute;couvre par une exp&eacute;rience corporelle (Anderson, 2015&nbsp;: 49). La perception prend le pas sur le s&eacute;mantique, l&rsquo;important, c&rsquo;est la musique particuli&egrave;re de la langue nouvelle, &agrave; laquelle l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve se montre sensible. Dans son r&eacute;cit d&rsquo;immigration <i>Ru</i>, l&rsquo;&eacute;crivaine vietnamienne Kim Thuy &eacute;voque sa &laquo;&nbsp;premi&egrave;re enseignante au Canada&nbsp;&raquo;&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Elle s&rsquo;est pench&eacute;e sur moi, pla&ccedil;ant ses mains sur les miennes pour me dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je m&rsquo;appelle Marie- France, et toi&nbsp;?&nbsp;&raquo;, j&rsquo;ai r&eacute;p&eacute;t&eacute; chacune des syllabes sans cligner des yeux sans ressentir le besoin de comprendre, parce que j&rsquo;&eacute;tais berc&eacute;e par un nuage de fraicheur, de l&eacute;g&egrave;ret&eacute;, de doux parfum. Je n&rsquo;avais rien compris des mots, seulement la m&eacute;lodie de sa voix, mais c&rsquo;&eacute;tait suffisant. Amplement. (2010&nbsp;: 19)</p> </blockquote> <p>L&rsquo;enseignant de langue, en plus d&rsquo;&ecirc;tre le vecteur de ce rapport sensible &agrave; la langue, a ceci de particulier, qu&rsquo;&laquo;&nbsp;ind&eacute;pendamment de sa parole [il] transmet quelque chose de son rapport &agrave; la langue qu&rsquo;il enseigne en l&rsquo;exposant&nbsp;&raquo; (Anderson, 1999&nbsp;: 274-75). Ce rapport, per&ccedil;u comme positif, d&eacute;sirable, va susciter l&rsquo;identification de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve, puis l&rsquo;entr&eacute;e dans la langue, au sein de laquelle il pourra prendre une place permettant l&rsquo;appropriation. Il nous semble ainsi que le fait de bien prononcer repr&eacute;sente une qualit&eacute; d&eacute;sirable de l&rsquo;enseignant, et un gage d&rsquo;authenticit&eacute;, susceptibles de nourrir le d&eacute;sir d&rsquo;apprendre la langue, de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve ou de l&rsquo;&eacute;tudiant, &agrave; travers l&rsquo;identification &agrave; l&rsquo;enseignant. Ce dernier &laquo;&nbsp;devient bien celui qui donne la langue ou qui au contraire fait obstacle &agrave; cette incorporation du sujet dans la langue.&nbsp;L&rsquo;enseignant donne l&rsquo;ailleurs d&rsquo;o&ugrave; la langue vient comme si la langue venait d&rsquo;un lieu autre.&nbsp;&raquo; (1999&nbsp;: 276).</p> <p>Cet &laquo;&nbsp;ailleurs&raquo; rev&ecirc;t une grande importance dans la relation que nouent les professeurs &eacute;gyptiens avec la langue fran&ccedil;aise. L&rsquo;expression &laquo;&nbsp;c&rsquo;&eacute;tait mon r&ecirc;ve de venir en France&nbsp;&raquo; est revenue dans la bouche de nombre d&rsquo;entre eux, puisqu&rsquo;il s&rsquo;agissait, nous l&rsquo;avons expliqu&eacute;, pour la quasi-totalit&eacute; du groupe, du premier voyage dans ce pays. Les &eacute;l&egrave;ves, nous ont racont&eacute; ces professeurs, (et ceci explique cela), ont une question rituelle &agrave; chaque d&eacute;but d&rsquo;ann&eacute;e&nbsp;: ils veulent savoir si leur professeur a d&eacute;j&agrave; voyag&eacute; en France. Pourquoi cette question ? Le discours de E2 donne quelques indices&nbsp;:</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E4</b> (3&rsquo;45) heureusement, un des professeurs de fran&ccedil;ais qui m&#39;enseignait <i>&eacute;tait venu en France</i> dans les ann&eacute;es 70. Il nous a racont&eacute; beaucoup, il parlait tr&egrave;s bien le fran&ccedil;ais &ccedil;a m&#39;a aid&eacute; &agrave; beaucoup aimer le fran&ccedil;ais, parce que si on a quelqu&#39;un qui est all&eacute; dans <i>le pays m&egrave;re de la langue on a eu la confiance dans sa parole dans sa mani&egrave;re de prononcer la langue les mots</i>, quand il raconte quelque chose de <i>l&#39;implicite ou l&#39;explicite culturel &ccedil;a arrive directement &agrave; l&#39;esprit &agrave; la raison, ou au c&oelig;ur </i>bien s&ucirc;r (...)</p> <p>L&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; (nous nous souvenons qu&rsquo;il avait commenc&eacute; &agrave; aimer la langue avec les &laquo;&nbsp;mots des voisins&nbsp;&raquo;) venait d&rsquo;expliquer qu&rsquo;il avait appris le fran&ccedil;ais dans l&rsquo;enseignement secondaire, et que le nombre d&rsquo;heures de cours y &eacute;tait tr&egrave;s insuffisant, ce qui explique l&rsquo;adverbe liminaire &laquo;&nbsp;heureusement&nbsp;&raquo;. E4 utilise &agrave; nouveau la belle expression de &laquo;&nbsp;pays m&egrave;re de la langue&nbsp;&raquo;, pour la relier avec la &laquo;&nbsp;confiance dans [la] parole [de son professeur]&nbsp;&raquo;. Nous entendons ici, outre cette importance du bien prononcer, la n&eacute;cessit&eacute; pour l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve d&rsquo;&ecirc;tre en contact avec une parole authentique, qui soit issue et emplie de la culture du pays o&ugrave; elle se parle &agrave; l&rsquo;origine. Pour que l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve puisse s&rsquo;engager (&laquo;&nbsp;&ecirc;tre touch&eacute;&nbsp;&raquo;), &agrave; la fois intellectuellement et affectivement (&laquo;&nbsp;&agrave; l&rsquo;esprit, &agrave; la raison ou au c&oelig;ur&nbsp;&raquo;), il doit pouvoir se sentir en &laquo;&nbsp;confiance&nbsp;&raquo;, &ecirc;tre s&ucirc;r que c&rsquo;est comme cela qu&rsquo;on parle dans cet &laquo;&nbsp;ailleurs&nbsp;&raquo;. Si nous suivons la pens&eacute;e d&rsquo;Anderson, nous dirons que c&rsquo;est sans doute &agrave; cette condition que son d&eacute;sir d&rsquo;apprendre la langue, fond&eacute; du manque d&rsquo;un autre et d&rsquo;un ailleurs, peut trouver &agrave; se nourrir&nbsp;: lorsque le savoir de son professeur a &eacute;t&eacute; authentiquement transmis par cet &laquo;&nbsp;autre&nbsp;&raquo;.</p> <p>Le professeur vantard de E2 se targuait &eacute;galement d&rsquo;une exp&eacute;rience de connaissance de la France, il savait aussi ce dont ses &eacute;tudiants avaient besoin. Mais son attitude, consistant &agrave; confisquer cette exp&eacute;rience pour se faire valoir, au lieu de permettre le contact, de laisser une place pour que l&rsquo;&eacute;tudiant qui y aspirait, puisse &agrave; son tour s&rsquo;inscrire dans la langue, en fait un enseignant&nbsp;obstacle&nbsp;. Il nous semble que ce probl&egrave;me ne rel&egrave;ve pas (seulement ?) d&rsquo;un manque de connaissances, d&rsquo;exp&eacute;rience ou de formation didactique ou p&eacute;dagogique.</p> <h2>3. Enseigner le fran&ccedil;ais en &Eacute;gypte aujourd&rsquo;hui</h2> <p>Nous portons &agrave; pr&eacute;sent notre attention sur ce que disent nos enqu&ecirc;t&eacute;s devenus professeurs &agrave; leur tour, de l&rsquo;exercice de leur m&eacute;tier dans leur pays aujourd&rsquo;hui.</p> <h3>3.1 &laquo;&nbsp;On a perdu la langue&nbsp;&raquo;<span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"> </span></span></h3> <p>E5, dont le parcours, nous l&rsquo;avons vu, a &eacute;t&eacute; contrari&eacute; par un enseignant de p&eacute;dagogie, est tout de m&ecirc;me devenue enseignante, mais plus tard, et dans l&rsquo;enseignement secondaire public<a href="#sdfootnote14sym" name="sdfootnote14anc">14</a>. Comme quatre autres de ses coll&egrave;gues enqu&ecirc;t&eacute;s<a href="#sdfootnote15sym" name="sdfootnote15anc">15</a>, elle regrette d&rsquo;avoir perdu son niveau en langue. La raison avanc&eacute;e est la faiblesse des programmes de fran&ccedil;ais, et le fait que les &eacute;l&egrave;ves se focalisent sur la note obtenue au baccalaur&eacute;at, au d&eacute;triment de l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t port&eacute; &agrave; la mati&egrave;re.</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E5</b> (33&rsquo;14) vraiment... parfois j&#39;ai honte de de dire &ccedil;a, mais mais <i>on a perdu la langue</i> puisque les programmes sont faibles et <i>on ne pratique pas</i> (...)</p> <p style="margin-left: 40px;">(30&rsquo;18) parce que vous savez, je suis professeur de fran&ccedil;ais, oui, mais <i>je ne PRAtique pas le fran&ccedil;ais&nbsp;en &eacute;cole</i>&nbsp;! Dans ma classe, si j&#39;essaie de parler trois phrases en fran&ccedil;ais avec mes &eacute;l&egrave;ves &laquo;&nbsp;oh madame on ne comprend pas&nbsp;!&nbsp;&raquo; (&hellip;) je <ne></ne> vois pas que je parle fran&ccedil;ais tellement&hellip; Peut- &ecirc;tre je dis &laquo;&nbsp;AH cesse de parler et fais sortir tes affaires&nbsp;!&nbsp;&raquo; si je dis ces deux phrases &agrave; la file comme &ccedil;a&nbsp;: &laquo;&nbsp;AH qu&rsquo;est-ce que tu dis&nbsp;?&nbsp;<elle rit=""> Tu nous insultes&nbsp;!&nbsp;&raquo;</elle></p> <p>Il est rare que les enseignants utilisent le fran&ccedil;ais pendant le cours de langue. De nombreux enqu&ecirc;t&eacute;s nous l&rsquo;ont expliqu&eacute;, ils enseignent le fran&ccedil;ais par le biais de l&rsquo;arabe. Le manuel et la m&eacute;thodologie en vigueur participent de cette absence de langue &eacute;trang&egrave;re en classe. Le niveau de fran&ccedil;ais des professeurs &eacute;gyptien en g&eacute;n&eacute;ral l&rsquo;explique &eacute;videmment. Mais selon nos enqu&ecirc;t&eacute;s, le probl&egrave;me le plus grave concerne le recul de la place du fran&ccedil;ais dans l&rsquo;offre des &laquo;&nbsp;secondes langues &eacute;trang&egrave;res&nbsp;&raquo;.</p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><strong>3 2 </strong><strong>&laquo;&nbsp;En &Eacute;gypte, c&#39;est un drame pour le fran&ccedil;ais&nbsp;&raquo; </strong></span></span></p> <p>La quasi totalit&eacute; des professeurs constate sur un mode parfois emphatique, que le fran&ccedil;ais, jusqu&rsquo;alors en position exclusive de seconde langue &eacute;trang&egrave;re, se trouve fortement concurrenc&eacute;, depuis une dizaine d&rsquo;ann&eacute;es, par l&rsquo;italien et l&rsquo;allemand, en particulier au Caire et dans les grandes villes &eacute;gyptiennes. Ces deux langues d&eacute;veloppent des politiques attractives, en proposant des concours et des prix (des voyages...), et surtout, elles ont des exigences bien inf&eacute;rieures &agrave; celles du fran&ccedil;ais, dans les programmes comme dans les &eacute;preuves du baccalaur&eacute;at. Les enseignants de fran&ccedil;ais s&rsquo;inqui&egrave;tent de leur devenir, pris dans une situation de guerre des langues qui leur &eacute;chappe. Ils s&rsquo;&eacute;vertuent &agrave; attirer des &eacute;l&egrave;ves dans leurs cours par tous les moyens, en particulier au moment du choix de la seconde langue, par exemple en insistant, pour rassurer les &eacute;l&egrave;ves, sur les mots transparents que sont les emprunts de l&rsquo;arabe &eacute;gyptien au fran&ccedil;ais. Mais la r&eacute;putation de difficult&eacute; du fran&ccedil;ais &laquo; aux examens&nbsp;&raquo; est tenace. Les parents, obnubil&eacute;s par les r&eacute;sultats du bac, choisissent les langues dont les &eacute;preuves sont r&eacute;put&eacute;es plus faciles. De ce fait, les programmes et les &eacute;preuves de fran&ccedil;ais ont depuis peu &eacute;t&eacute; simplifi&eacute;s, mais la concurrence reste rude. Dans ces conditions d&rsquo;exercice d&eacute;grad&eacute;es, au sein desquelles se joue la survie professionnelle, attirer les &eacute;l&egrave;ves, capter leur d&eacute;sir de langue devient une gageure&nbsp;:</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E6</b> (32&rsquo;40) on essaie toujours <i>d&rsquo;attirer l&rsquo;attention</i> des &eacute;l&egrave;ves&nbsp;! S&rsquo;il n&rsquo;y a pas d&rsquo;&eacute;l&egrave;ves qu&rsquo;est-ce que je peux faire&nbsp;?</p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E5</b> (20&rsquo;45) <i>je fais tout ce que je peux</i>&nbsp;! Je peux chanter, danser, crier, n&#39;importe quoi&nbsp;! Parce qu&#39;<i>on d&eacute;fend notre m&eacute;tier&nbsp;aussi</i>&nbsp;! S&#39;il n&#39;y a pas des &eacute;l&egrave;ves, il n&rsquo;y a pas de prof&nbsp;!</p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:small"><span style="font-size:medium">Ces d&eacute;ceptions et ces inqui&eacute;tudes qu&rsquo;&eacute;prouve la quasi totalit&eacute; de</span><span style="font-size:medium">s</span><span style="font-size:medium"> enqu&ecirc;t&eacute;s, n</span><span style="font-size:medium">e les </span><span style="font-size:medium">emp&ecirc;chent pas </span><span style="font-size:medium">cependant,</span><span style="font-size:medium"> pour certains d&rsquo;entre eux, de jouer &agrave; leur tour, le r&ocirc;le de </span><span style="font-size:medium">passeur de la langue, </span><span style="font-size:medium">un r&ocirc;le d&rsquo;autant plus crucial du fait de la perte d&rsquo;importance du fran&ccedil;ais </span><span style="font-size:medium">dans le syst&egrave;me &eacute;ducatif</span><span style="font-size:medium">.</span><span style="font-size:medium"> </span><span style="font-size:medium">Nous retrouvons &agrave; nouveau E4, qui dans ce passage, explore</span><span style="font-size:medium"> le lien qui l&rsquo;unit &agrave; ses &eacute;l&egrave;ves&nbsp;:</span></span></span></p> <p style="margin-left: 40px;"><b>E4</b> (11&rsquo;13) j&rsquo;ai aim&eacute; beauCOUP faire ce travail, parce que les &eacute;l&egrave;ves sont gentils, ob&eacute;issants. J&#39;ai commenc&eacute; &agrave; &ecirc;tre p&egrave;re avant d&#39;&ecirc;tre p&egrave;re, parce que <rires> </rires>C&rsquo;est bizarre ah oui&nbsp;! Parce que si on aime les &eacute;l&egrave;ves, les &eacute;l&egrave;ves, bien S&Ucirc;R SENtent &ccedil;a (&hellip;) je consid&egrave;re mes &eacute;l&egrave;ves comme des enfants, comme les miens. Quand un &eacute;l&egrave;ve sent &ccedil;a, il commence &agrave; aimer la langue, il commence &agrave; aimer la mati&egrave;re, et bien s&ucirc;r le professeur, et voil&agrave;, il PEUT produire quelque chose dans cette langue</p> <p>Avec une grande simplicit&eacute;, l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; d&eacute;crit la fa&ccedil;on dont se passe, selon lui, l&rsquo;entr&eacute;e de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve dans la langue. Le fait que les &eacute;l&egrave;ves se sentent &laquo;&nbsp;aim&eacute;s&nbsp;&raquo; par le professeur est une condition n&eacute;cessaire &agrave; l&rsquo;&nbsp;&eacute;veil de l&rsquo;amour de la langue, lequel englobe et traverse celui qui favorise ce contact, le professeur. C&rsquo;est ainsi (&laquo;&nbsp;et voil&agrave;&nbsp;&raquo;) que l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve parvient &agrave; &laquo;&nbsp;produire quelque chose dans cette langue&nbsp;&raquo;, &agrave; parler, et non simplement r&eacute;p&eacute;ter. Ce qui se nomme parfois &laquo;&nbsp;ambiance&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;climat de confiance&nbsp;&raquo; dans la classe<a href="#sdfootnote16sym" name="sdfootnote16anc">16</a> s&rsquo;exprime autrement dans le discours de E4&nbsp;: il s&rsquo;agit d&rsquo;aimer les &eacute;l&egrave;ves&nbsp;; de les &laquo;&nbsp;consid[&eacute;rer] comme ses enfants&nbsp;&raquo;, ajoute l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute;.</p> <p>Dans un entretien au titre s&eacute;ditieux : &laquo;&nbsp;Faut-il aimer les &eacute;l&egrave;ves&nbsp;?&nbsp;&raquo;, Ma&euml;l Virat, auteur d&rsquo;une th&egrave;se sur la dimension affective de la relation enseignant-&eacute;l&egrave;ve, affirme que cette question fait l&rsquo;objet d&rsquo;un tabou en France. Bien que la plupart des enseignants vivent des relations affectives avec les &eacute;l&egrave;ves, ils ne les assument pas, en partie &agrave; cause de la &laquo;&nbsp;distance professionnelle&nbsp;&raquo; qui valorise les comp&eacute;tences techniques au d&eacute;triment des aspects relationnels, jug&eacute;s trop subjectifs, voire d&eacute;plac&eacute;s. La formation des enseignants en France, pr&eacute;cise-t-il, n&rsquo;a pas int&eacute;gr&eacute; les apports de la psychologie de l&rsquo;&eacute;ducation, concernant la relation enseignant-&eacute;l&egrave;ve, puisque de nombreux travaux ont montr&eacute; &laquo;&nbsp;les effets positifs pour les &eacute;l&egrave;ves d&rsquo;une relation chaleureuse et peu conflictuelle.&nbsp;&raquo; (2016&nbsp;: 405). Dans un autre article consacr&eacute; &agrave; un public d&rsquo;adolescents en difficult&eacute;s, le m&ecirc;me auteur propose un parall&egrave;le identique &agrave; celui &eacute;nonc&eacute; par l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; E4&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le besoin de relation affective que les adolescents expriment invite les professionnels &agrave; regarder la relation enseignant-&eacute;l&egrave;ve comme une relation de type familial, de type parents-enfants, asym&eacute;trique et o&ugrave; l&rsquo;adulte n&rsquo;attend pas de r&eacute;ciprocit&eacute; &agrave; son attention.&nbsp;&raquo; (2014 : 8). Pour d&eacute;velopper le sentiment de &laquo;&nbsp;s&eacute;curit&eacute; affective&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;pouvoir acc&eacute;der &agrave; l&rsquo;autonomie&nbsp;&raquo;, il est n&eacute;cessaire, conclut-il, que &laquo;&nbsp;les &eacute;l&egrave;ves soient accept&eacute;s comme sujets&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est &agrave; dire que l&rsquo;enseignant les reconnaisse comme tels. Si les voix des chercheurs sont plus nombreuses aujourd&rsquo;hui pour souligner l&rsquo;importance de la &laquo;&nbsp;dimension affective&nbsp;&raquo; dans l&rsquo;enseignement des langues, par exemple, chez Yvon Rolland, le chapitre intitul&eacute; &laquo;&nbsp;l&rsquo;affectif&nbsp;: un moteur pour le cognitif&nbsp;?&nbsp;&raquo; dans son ouvrage <i>Apprendre &agrave; prononcer, quel paradigme en didactique des langues&nbsp;</i>? (2011&nbsp;: 105), reste que ce rapport ne recouvre pas la dimension symbolique et primordiale de ce processus&nbsp;: &laquo;&nbsp;Si l&rsquo;enseignant sait m&eacute;nager cet acc&egrave;s, c&rsquo;est-&agrave;-dire s&rsquo;il am&eacute;nage une place telle que celui qui apprend puisse s&rsquo;y inscrire comme sujet parlant, alors ce dernier pourra s&rsquo;approprier la langue et l&rsquo;utiliser de fa&ccedil;on cr&eacute;ative.&nbsp;&raquo; (2003&nbsp;: 356). Cette condition essentielle, ne saurait se d&eacute;crire simplement, et surtout comme fruit d&rsquo;une volont&eacute; ais&eacute;ment maitrisable.</p> <h2>Conclusion</h2> <p>La question de la relation affective de nos enqu&ecirc;t&eacute;s avec le fran&ccedil;ais, par le biais de leurs professeurs lors de la formation initiale, et ensuite en aval avec leurs propres &eacute;l&egrave;ves, a travers&eacute; nos entretiens lorsqu&rsquo;il s&rsquo;est agi de l&rsquo;apprentissage de cette langue. L&rsquo;amour de la langue, dont t&eacute;moigne plus de la moiti&eacute; de nos enqu&ecirc;t&eacute;s professeurs, s&rsquo;est construit par une m&eacute;diation, dans laquelle l&rsquo;enseignant a jou&eacute; un r&ocirc;le pr&eacute;pond&eacute;rant dans le contexte &eacute;tudi&eacute;. Un r&ocirc;le d&rsquo;autant plus important que, comme le dit l&rsquo;un de nos enqu&ecirc;t&eacute;s<a href="#sdfootnote17sym" name="sdfootnote17anc">17</a>&nbsp;: &laquo;&nbsp;pour apprendre le fran&ccedil;ais en &Eacute;gypte, les moyens sont limit&eacute;s, encore aujourd&rsquo;hui,&nbsp;le principal canal, c&rsquo;est le professeur dans le cours&nbsp;&raquo;.</p> <p>Contrairement aux repr&eacute;sentations qui opposent comp&eacute;tence professionnelle et affectivit&eacute;, les propos de nos enqu&ecirc;t&eacute;s ont montr&eacute; que les deux devaient se combiner pour que l&rsquo;enseignant soit capable de &laquo;&nbsp;faire aimer la langue&nbsp;&raquo;. S&rsquo;il est indispensable que le professeur pr&eacute;sente des qualit&eacute;s professionnelles &agrave; la fois disciplinaires (maitrise de la langue orale et de sa prononciation) et p&eacute;dagogiques pour que l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve puisse entrer dans la langue, elles doivent s&rsquo;accompagner d&rsquo;une reconnaissance positive de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve comme sujet, sans laquelle ce dernier &laquo;&nbsp;restera &eacute;tranger &agrave; cette langue&nbsp;&raquo; (Anderson, 2015&nbsp;: 132). Les trois types d&rsquo;enseignants du mod&egrave;le d&rsquo;Underhill balisent une progression comparable&nbsp;: l&rsquo;enseignant &laquo;&nbsp;lecteur&nbsp;&raquo; qui conna&icirc;t bien sa mati&egrave;re peut (et doit) devenir un &laquo;&nbsp;professeur&nbsp;&raquo; qui maitrise les techniques d&rsquo;enseignement. Toutefois, il ne pourra offrir &agrave; ses &eacute;l&egrave;ves la possibilit&eacute; d&rsquo;un apprentissage de qualit&eacute; qu&rsquo;&agrave; condition de devenir un &laquo;&nbsp;facilitateur&nbsp;&raquo; capable de &laquo;&nbsp;cr&eacute;er un climat psychologique positif&nbsp;&raquo; (Arnold, 2006&nbsp;: 409). L&rsquo;enseignant de langue a ceci de particulier qu&rsquo;il incarne, au sens propre, l&rsquo;autre langue, l&rsquo;autre espace, l&rsquo;ailleurs. C&rsquo;est la fascination pour la langue et son repr&eacute;sentant qu&rsquo;est l&rsquo;enseignant, qui permet &agrave; l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve de lib&eacute;rer l&rsquo;&eacute;nergie n&eacute;cessaire &agrave; la r&eacute;alisation du d&eacute;sir de s&rsquo;inscrire &agrave; son tour dans la langue de l&rsquo;autre, de la faire sienne, malgr&eacute; les difficult&eacute;s de l&rsquo;apprentissage et les obstacles. Par son faire et son &ecirc;tre, l&rsquo;enseignant va alimenter l&rsquo;imaginaire de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve ou de l&rsquo;&eacute;tudiant, et permettre la m&eacute;diation vers cet objet de d&eacute;sir que repr&eacute;sente l&rsquo;autre, son pays, et sa langue.</p> <h2>R&eacute;f&eacute;rences bibliographiques</h2> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">ANDERSON, Patrick, &laquo; De la langue originaire &agrave; la langue de l&#39;autre &raquo;, </span></span><i>&Eacute;tudes de linguistique appliqu&eacute;e</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><em> </em>2003/3, n&deg; 131, p. 343-356.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">ANDERSON, Patrick, </span></span><i>Une langue &agrave; venir. De l&#39;entr&eacute;e dans une langue &eacute;trang&egrave;re &agrave; la construction de l&#39;&eacute;nonciation</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><em>, </em>Paris, L&#39;Harmattan, 2015.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">ANDERSON, Patrick, </span></span><i>La didactique des langues &eacute;trang&egrave;res &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve du sujet</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">, Presses Universitaires Franc-Comtoises, Besan&ccedil;on, 1999.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">ARNOLD Jane, &laquo;&nbsp;Comment les facteurs affectifs influencent-ils l&rsquo;apprentissage d&rsquo;une langue &eacute;trang&egrave;re&nbsp;?&nbsp;&raquo;, </span></span><i>&Eacute;tudes de linguistique appliqu&eacute;e </i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">2006/4, n&deg; 144, p. 407-425.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">BEAUD St&eacute;phane, WEBER Florence, </span></span><i>Guide de l&#39;enqu&ecirc;te de terrain</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><em>,</em></span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"> Paris, La D&eacute;couverte, 1997.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">BLANCHET Alain, </span></span><i>et al., L&#39;entretien dans les sciences sociales</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><em>,</em></span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"> Paris, Dunod, 1985.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">BLANCHET Alain, GOTMAN Anne,</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"> </span></span><i>L&#39;entretien : l&#39;enqu&ecirc;te et ses m&eacute;thodes</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><em>,</em></span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"> Paris, Armand Colin, </span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">2015.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">GARDIN Bernard, &laquo;&nbsp;</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">Le dire difficile et le devoir dire&nbsp;&raquo;, </span></span><i>DRLAV</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><em> </em></span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">n&deg;39, 1</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">988, pp. 1-20.</span></span></p> <p>GOFFMAN, Erving<span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">,</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"> </span></span><i>La mise en sc&egrave;ne de la vie quotidienne : la pr&eacute;sentation de soi</i><em><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">, </span></span></em><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">Paris, Les Editions de Minuit, </span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">1973&nbsp;.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">KAUFMANN, Jean-Claude, </span></span><i>L&#39;enqu&ecirc;te et ses m&eacute;thodes, l&#39;entretien compr&eacute;hensif</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><em>, </em></span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">Paris, A</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">rmand Colin, 201</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">6</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">LAHIRE Bernard, </span></span><i>L&rsquo;esprit sociologique</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><em>, </em></span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">Paris, La D&eacute;couverte, </span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">200</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">5</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">ROLLAND Yvon, </span></span><i>Apprendre &agrave; prononcer. Quels paradigmes en didactique des langues</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"><em>&nbsp;?</em></span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">, Paris, Belin, 2011.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">THUY Kim, </span></span><i>Ru</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">, Paris, &Eacute;ditions Liana Levi, 2010.</span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">VIRAT Ma&euml;l, </span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">&laquo;&nbsp;</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">Vers une conception de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve-sujet&nbsp;: la relation enseignant-&eacute;l&egrave;ve en dispositif relais</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">&nbsp;&raquo;,&nbsp;</span></span><i>&Eacute;ducation et socialisation&nbsp;</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">n&deg;</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">36, 2014. [En ligne] http://journals.openedition.org/edso/1010 </span></span></p> <p><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">VIRAT Ma&euml;l, </span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">&laquo;&nbsp;Dimension affective de la relation enseignant-&eacute;l&egrave;ve avec les adolescents&nbsp;: revue des &eacute;tudes longitudinales et perspective de l&rsquo;attachement.&nbsp;&raquo;&nbsp;</span></span><i>Revue de psycho&eacute;ducation</i><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">, vo</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">l. </span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">45, </span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">n&deg;</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">2, 2016, p</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">p.</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium">&nbsp;405&ndash;430. [En ligne] https://doi.org/10.7202/1039055ar</span></span><span style="font-family:Times New Roman,serif"><span style="font-size:medium"> </span></span></p> <p><br /> &nbsp;</p> <div id="sdfootnote1"> <p><small><a href="#sdfootnote1anc" name="sdfootnote1sym">1</a> Ces s&eacute;jours, en partie financ&eacute;s par l&rsquo;UNESCO, ont concern&eacute; 22 groupes de professeurs, accueillis &agrave; Rouen entre 1999 et 2010. Apr&egrave;s une interruption de cinq ann&eacute;es, riches en &eacute;v&eacute;nements sociopolitiques pour l&#39;&Eacute;gypte, le programme a repris en janvier 2016.</small></p> </div> <div id="sdfootnote2"> <p><small><a href="#sdfootnote2anc" name="sdfootnote2sym">2</a>Deux groupes de vingt professeurs ont suivi un stage &agrave; Rouen en 2016.</small></p> </div> <div id="sdfootnote3"> <p><small><a href="#sdfootnote3anc" name="sdfootnote3sym">3</a>Le m&eacute;moire de DESS, <i>&Eacute;valuation d&rsquo;une formation continue d&rsquo;enseignants de fran&ccedil;ais du secteur gouvernemental &eacute;gyptien</i>, soutenu en 2007 par Ingrid Jouette (Universit&eacute; du Maine), indique que le niveau moyen des professeurs se r&eacute;partit entre A2 (27%) et B1 (63%). </small></p> </div> <div id="sdfootnote4"> <p><small><a href="#sdfootnote4anc" name="sdfootnote4sym">4</a>Nous adoptons cette d&eacute;signation, propos&eacute;e par P. Anderson (2015&nbsp;: 25), car elle d&eacute;crit justement la caract&eacute;ristique principale de cette langue, l&rsquo;acc&egrave;s au langage, contrairement aux syntagmes &laquo;&nbsp;langue maternelle&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;initiale&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;L1&nbsp;&raquo;. De m&ecirc;me, nous pr&eacute;f&eacute;rerons &laquo;&nbsp;langue (de l&rsquo;) autre&nbsp;&raquo; aux syntagmes &laquo;&nbsp;langue &eacute;trang&egrave;re&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;additionnelle&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;seconde&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;L2&nbsp;&raquo;.</small></p> </div> <div id="sdfootnote5"> <p><small><a href="#sdfootnote5anc" name="sdfootnote5sym">5</a>Des universit&eacute;s priv&eacute;es existent &eacute;galement, pour lesquelles le crit&egrave;re d&rsquo;entr&eacute;e est financier. Les universit&eacute;s publiques sont gratuites.</small></p> </div> <div id="sdfootnote6"> <p><small><a href="#sdfootnote6anc" name="sdfootnote6sym">6</a>Les entretiens sont num&eacute;rot&eacute;s de 1 &agrave; 20, en fonction de l&rsquo;ordre chronologique de r&eacute;alisation.</small></p> </div> <div id="sdfootnote7"> <p><small><a href="#sdfootnote7anc" name="sdfootnote7sym">7</a>Nous avons simplifi&eacute; les conventions de transcription dans les extraits cit&eacute;s pour faciliter la lecture, et ajout&eacute; la ponctuation de l&rsquo;&eacute;crit &agrave; cet effet. Les silences sont indiqu&eacute;s par des virgules, des points virgules ou des points en fonction de leur dur&eacute;e, l&rsquo;insistance par des majuscules. Nous n&rsquo;avons mentionn&eacute; les h&eacute;sitations (e) que lorsqu&rsquo;elles nous paraissent significatives d&rsquo;une difficult&eacute; d&rsquo;&eacute;nonciation. Les coupures sont indiqu&eacute;es par des points de suspension entre parenth&egrave;ses. Les commentaires de transcripteur, ou les insertions orales de l&rsquo;enqu&ecirc;trice (E) sont entre crochets. Nous pr&eacute;cisons entre parenth&egrave;ses le moment de l&rsquo;entretien o&ugrave; se situe le fragment cit&eacute;, apr&egrave;s l&rsquo;identification de l&rsquo;enqu&ecirc;t&eacute; (E + num&eacute;ro). Enfin, nous soulignons en italiques les fragments les plus significatifs pour le commentaire.</small></p> </div> <div id="sdfootnote8"> <p><small><a href="#sdfootnote8anc" name="sdfootnote8sym">8</a> Environ 200 euros par mois en 2016, la moiti&eacute; en 2019 du fait de l&rsquo;inflation.</small></p> </div> <div id="sdfootnote9"> <p><small><a href="#sdfootnote9anc" name="sdfootnote9sym">9</a> E2, E19, E20</small></p> </div> <div id="sdfootnote10"> <p><small><a href="#sdfootnote10anc" name="sdfootnote10sym">10</a> Ce chiffre correspond aux dix choix initiaux d&rsquo;&eacute;tude du fran&ccedil;ais, moins trois choix professionnels orient&eacute;s vers le tourisme initialement.</small></p> </div> <div id="sdfootnote11"> <p><small><a href="#sdfootnote11anc" name="sdfootnote11sym">11</a> Cette belle expression &eacute;voque celle de &laquo;&nbsp;m&egrave;re de la parole&nbsp;&raquo; de Jankelevich au sujet de la langue maternelle.</small></p> </div> <div id="sdfootnote12"> <p><small><a href="#sdfootnote12anc" name="sdfootnote12sym">12</a> Ce th&egrave;me est d&eacute;velopp&eacute; dans la conf&eacute;rence de cl&ocirc;ture de P. Anderson, 15 f&eacute;vrier 2019 au colloque &laquo;&nbsp;D&eacute;sir de langues&nbsp;&raquo; : &laquo;&nbsp;Entendre dans l&rsquo;enseignement un espace d&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, c&rsquo;est le risque de la praxis et ce sera une place laiss&eacute;e pour la rencontre avec l&rsquo;autre sujet du d&eacute;sir&nbsp;&raquo;.</small></p> </div> <div id="sdfootnote13"> <p><small><a href="#sdfootnote13anc" name="sdfootnote13sym">13</a>E4, E7, E8, E9, E16, E18, E19.</small></p> </div> <div id="sdfootnote14"> <p><small><a href="#sdfootnote14anc" name="sdfootnote14sym">14</a>Dans lequel l&rsquo;enseignement est souvent difficile, du fait des conditions mat&eacute;rielles&nbsp;: environnement d&eacute;grad&eacute;, nombre d&rsquo;&eacute;l&egrave;ves (pouvant aller jusqu&rsquo;&agrave; 80 dans une classe) etc.</small></p> </div> <div id="sdfootnote15"> <p><small><a href="#sdfootnote15anc" name="sdfootnote15sym">15</a> E7, E8, E10, E13.</small></p> </div> <div id="sdfootnote16"> <p><small><a href="#sdfootnote16anc" name="sdfootnote16sym">16</a>L&rsquo;impr&eacute;cision de ces termes est soulign&eacute;e par Anderson (1999&nbsp;: 261) qui la rel&egrave;ve par exemple dans un des rares ouvrages se r&eacute;clamant de la probl&eacute;matique de l&rsquo;affectivit&eacute;&nbsp;: <i>Aptitude et affectivit&eacute; dans l&rsquo;apprentissage des langues &eacute;trang&egrave;res</i>, de P. Bogaards, publi&eacute; par Hatier en 1988.</small></p> </div> <div id="sdfootnote17"> <p><small><a href="#sdfootnote17anc" name="sdfootnote17sym">17</a> E14, 14&rsquo;30</small></p> </div>