<h2>Introduction&nbsp;: quelle utilit&eacute; des langues&nbsp;?</h2> <p>Qu&#39;est-ce qui est v&eacute;ritablement utile&nbsp;? Qu&#39;est-ce qui est inutile&nbsp;? Et si ce qui semble inutile se r&eacute;v&eacute;lait plus utile que nous ne le pensions&nbsp;? Et si la po&eacute;sie, les litt&eacute;ratures, les contes, les histoires, les nuances des mots, l&#39;&eacute;quivoque des langues &eacute;taient plus utiles que tout&nbsp;? Et si cette culture humaniste, celle qui forme l&#39;esprit &ndash; cette <em>promesse </em>des langues &ndash; &eacute;tait m&ecirc;me plus qu&#39;utile&nbsp;: mais essentielle&nbsp;?</p> <p>Nuccio Ordine, le sp&eacute;cialiste de la Renaissance et des &oelig;uvres de Giordano Bruno entre autres, dans son essai intitul&eacute; <em>L&#39;utilit&eacute; de l&#39;inutile</em>, pose la question de savoir ce qui est r&eacute;ellement utile pour les soci&eacute;t&eacute;s et les individus. Selon lui, c&#39;est parce que nos soci&eacute;t&eacute;s occidentales suivent une &laquo;&nbsp;logique utilitariste du march&eacute;&nbsp;&raquo; qu&#39;il est devenu difficile, aujourd&#39;hui, de &laquo;&nbsp;saisir l&#39;utilit&eacute; de l&#39;inutile et, surtout, l&#39;inutilit&eacute; de l&#39;utile&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote1sym" name="sdfootnote1anc">1</a>. Or les arts et les savoirs &ndash; ce qui n&#39;a pas de prix (a priori) et ce qui peut para&icirc;tre parfois inutile &ndash; sont en r&eacute;alit&eacute; d&#39;une utilit&eacute; fondamentale pour les soci&eacute;t&eacute;s humaines, mais &eacute;galement pour chaque individu dans le sens o&ugrave; ils participent &agrave; la &laquo;&nbsp;formation de son esprit&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote2sym" name="sdfootnote2anc">2</a>, et &agrave; le rendre humainement meilleur. Cette th&egrave;se humaniste pourrait &ecirc;tre object&eacute;e mais tout de m&ecirc;me, citant l&#39;essayiste et philosophe n&eacute;erlandais Rob Riemen, N. Ordine souligne&nbsp;:</p> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Comme Rob Riemen l&#39;observe tr&egrave;s justement&nbsp;: &quot;La culture, pas plus que l&#39;amour, n&#39;a la capacit&eacute; de contraindre. Elle n&#39;offre nulle garantie. Et pourtant, la seule chance d&#39;atteindre et de prot&eacute;ger notre dignit&eacute; humaine nous est offerte par la culture, par une &eacute;ducation lib&eacute;rale.&quot;&nbsp;[&hellip;] Car, parmi tant d&#39;incertitudes, une chose semble s&ucirc;re&nbsp;: si nous laissons p&eacute;rir ce qui est inutile et gratuit, si nous renoncions &agrave; la f&eacute;condit&eacute; de l&#39;inutile, si nous &eacute;coutions uniquement ce v&eacute;ritable chant des sir&egrave;nes qu&#39;est l&#39;app&acirc;t du gain, nous n&#39;aboutirions qu&#39;&agrave; former une communaut&eacute; malade et priv&eacute;e de m&eacute;moire qui, toute d&eacute;sempar&eacute;e, finirait par perdre le sens de la vie et le sens de sa propre r&eacute;alit&eacute;. Et une fois dess&eacute;ch&eacute;s par la d&eacute;sertification de l&#39;esprit, nous aurions alors bien du mal &agrave; imaginer que l&#39;ignorant homo sapiens puisse conserver le r&ocirc;le qu&#39;il est cens&eacute; jouer&nbsp;: rendre l&#39;humanit&eacute; plus humaine...</q><a href="#sdfootnote3sym" name="sdfootnote3anc">3</a></blockquote> <p>Or, lorsque l&#39;on &eacute;voque les langues, aujourd&#39;hui, il semble que l&#39;on pense majoritairement &agrave; leur utilit&eacute; sociale et pragmatique&nbsp;: leur ma&icirc;trise serait le garant de la communication interhumaine, elles permettraient aux &laquo;&nbsp;acteurs sociaux&nbsp;&raquo; d&#39;interagir avec leurs semblables par le biais de leurs &laquo;&nbsp;pratiques langagi&egrave;res&nbsp;&raquo;. Dans notre contexte de mondialisation, on parle aussi beaucoup des langues en termes de &laquo;&nbsp;comp&eacute;tences&nbsp;&raquo;&nbsp;: elles permettraient d&#39;ajouter de la valeur &agrave; un curriculum vitae, &agrave; une &laquo;&nbsp;employabilit&eacute;&nbsp;&raquo; et de favoriser ainsi une certaine mobilit&eacute; &eacute;conomique et professionnelle&nbsp;: ne serions-nous donc pas, finalement, dans une approche trop utilitariste des langues&nbsp;?</p> <p>Pour ma part, dans le sillage de N. Ordine, j&#39;aimerais poser que les langues dans leur pluralit&eacute; et diversit&eacute;, voire dans leur &laquo;&nbsp;chancelante &eacute;quivocit&eacute;&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote4sym" name="sdfootnote4anc">4</a>, sont utiles et m&ecirc;me primordiales pour chaque individu, chaque sujet parlant. Et je me demande donc&nbsp;: dans quelle mesure les langues se r&eacute;v&eacute;leraient-elles autrement utiles et essentielles pour chaque &ecirc;tre humain&nbsp;?</p> <p>Pour penser cette probl&eacute;matique et tenter d&#39;apporter quelques r&eacute;ponses, je propose une lecture analytique<a href="#sdfootnote5sym" name="sdfootnote5anc">5</a> des quatre premiers romans de l&#39;auteure vietnamienne-qu&eacute;b&eacute;coise, Kim Thuy. Les r&eacute;ponses sont &eacute;videmment toutes relatives &agrave; l&#39;&eacute;crivaine mais elles peuvent n&eacute;anmoins donner quelques orientations r&eacute;flexives.</p> <p>Je commencerai donc par situer le cadre de mon &eacute;tude, puis par pr&eacute;senter bri&egrave;vement Kim Thuy qui, suite &agrave; un exil douloureux, a d&ucirc; faire l&#39;apprentissage d&#39;une langue nouvelle, le fran&ccedil;ais en l&rsquo;occurrence, devenant plus tard sa langue principale d&#39;&eacute;criture, langue adoptive et adopt&eacute;e d&#39;un &laquo;&nbsp;vivr&eacute;crire&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote6sym" name="sdfootnote6anc">6</a>. On verra ensuite comment l&#39;apprentissage des langues joue&nbsp;un r&ocirc;le essentiel dans son &ecirc;tre en devenir &agrave; travers trois points&nbsp;: les romans de Kim Thuy comme le r&eacute;cit de la naissance d&#39;un sujet d&eacute;sirant ou quand apprendre des langues, c&#39;est aussi apprendre &agrave; d&eacute;sirer et &agrave; vivre&nbsp;; le nouage subtil et &eacute;troit entre corps, affects, langues et les autres ou la place affective/ primordiale des autres dans l&#39;apprentissage&nbsp;; enfin comment un sujet d&eacute;sirant d&eacute;veloppe un certain &laquo;&nbsp;amour&nbsp;&raquo; des langues-cultures. On pourra alors conclure autour d&#39;un aspect essentiel, &agrave; mon sens, des langues&nbsp;: leur fonction nourrici&egrave;re pour le sujet qui, sans langues, ne serait peut-&ecirc;tre qu&#39;un corps d&eacute;sincarn&eacute;, un corps sans &laquo;&nbsp;esprit&nbsp;&raquo;.</p> <h2>1. Cadre de l&#39;&eacute;tude et br&egrave;ve pr&eacute;sentation de Kim Thuy</h2> <p>Cette lecture s&#39;inscrit dans une recherche actuelle, d&eacute;but&eacute;e en MASTER sous la direction de M. Jean-Marie Prieur, dans le domaine principal de l&#39;anthropologie du langage et des pratiques langagi&egrave;res.</p> <p>A partir d&#39;un corpus litt&eacute;raire et d&#39;entretiens de vive voix avec des personnes en situation d&#39;exil, je travaille autour des probl&eacute;matiques de l&#39;exil et de la subjectivit&eacute; dans l&#39;entre langues et cultures. Je me suis en effet particuli&egrave;rement int&eacute;ress&eacute;e &agrave; la question de l&#39;exil et de ses incidences subjectives et langagi&egrave;res, et c&#39;est dans le cheminement de cette r&eacute;flexion que j&#39;ai &eacute;t&eacute; amen&eacute;e &agrave; penser, en corr&eacute;lation avec la notion d&#39;exil, l&#39;entre, l&#39;entre-deux ou encore l&#39;inter-<a href="#sdfootnote7sym" name="sdfootnote7anc">7</a>, ce pr&eacute;fixe que l&#39;on retrouve accol&eacute; &agrave; bon nombre de substantifs aujourd&#39;hui. J&#39;ai souhait&eacute; explorer cette notion et voir ce qu&#39;elle pouvait recouvrir de sens, de significations, de perspectives de pens&eacute;e autour donc des questions de subjectivit&eacute;, d&#39;entre langues et cultures, et de didactique.</p> <p>En tout cas, je pense aujourd&#39;hui que tout sujet parlant est un sujet <em>entre </em>langues et cultures&nbsp;: et c&#39;est un postulat qui, je crois, permet de remettre en question, ou du moins d&#39;apporter un nouvel angle d&#39;approche, de certaines notions des sciences du langage ou de la didactique des langues-cultures, entre autres. Je pense par exemple aux notions de langue, de sujet dit monolingue (le sujet monolingue existe-t-il vraiment&nbsp;?), d&#39;<em>inter</em>culturel, etc.</p> <p>Par ailleurs, dans ma r&eacute;flexion<a href="#sdfootnote8sym" name="sdfootnote8anc">8</a> sur l&#39;enseignement et l&#39;apprentissage des langues-cultures, il m&#39;est curieux de constater que bon nombre d&#39;&eacute;crivains de l&#39;exil, tel Fran&ccedil;ois Cheng par exemple<a href="#sdfootnote9sym" name="sdfootnote9anc">9</a>, ont pu atteindre un niveau tr&egrave;s &eacute;lev&eacute; de ma&icirc;trise linguistique et culturelle de la langue d&#39;accueil tandis que bien des apprenants actuels peinent &agrave; acqu&eacute;rir quelques bases d&#39;une langue &eacute;trang&egrave;re, ou tout simplement &agrave; savoir &agrave; peu pr&egrave;s bien lire et &eacute;crire dans leur langue dite premi&egrave;re, quand, en outre, nombreux sont ceux qui avouent leur &laquo;&nbsp;d&eacute;saffection&nbsp;&raquo; pour la &laquo;&nbsp;mati&egrave;re enseign&eacute;e&nbsp;&raquo; qu&#39;est le fran&ccedil;ais avec sa composante de culture g&eacute;n&eacute;rale&nbsp;: &laquo;&nbsp;le fran&ccedil;ais et moi, &ccedil;a fait deux&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;je n&#39;aime pas lire, je n&#39;aime pas &eacute;crire&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;je n&#39;aime pas le fran&ccedil;ais&nbsp;&raquo; sont parmi d&#39;autres des &eacute;nonc&eacute;s r&eacute;currents, entendus lors de ma pratique d&#39;enseignante. Il m&#39;a donc paru int&eacute;ressant d&#39;interroger cet &eacute;cart, et notamment les &eacute;crivains sur la question du d&eacute;sir de langues, de la subjectivit&eacute; et du rapport au savoir.</p> <p>Kim Thuy, que j&#39;ai donc lue dans ce cadre, repr&eacute;sente, selon moi, une auteure par excellence entre les langues-cultures, et qui r&eacute;ussit &agrave; rendre f&eacute;cond &ndash; ou &agrave; sublimer, d&#39;une certaine mani&egrave;re &ndash; son exp&eacute;rience de l&#39;exil et sa travers&eacute;e des langues et des cultures.</p> <p>Kim Thuy Ly Thanh na&icirc;t le 18 septembre 1968, &agrave; Sa&iuml;gon (aujourd&#39;hui Ho Chi Minh ville), dans un Vietnam divis&eacute; par une guerre fratricide entre Nord et Sud, un conflit qui d&eacute;bute en 1955 alors que le pays est tout juste sorti de la guerre d&#39;Indochine (1946-1954, bataille de Điện Bi&ecirc;n Phủ ) et de presque un si&egrave;cle de colonisation fran&ccedil;aise.</p> <p>La guerre est un &eacute;v&eacute;nement marquant dans l&#39;histoire de K. Thuy, qui l&#39;&eacute;voque d&egrave;s son premier roman, <em>Ru</em>, une mani&egrave;re aussi pour elle de relater, &agrave; travers de nombreuses anecdotes, l&#39;&eacute;cart politique, social et culturel qui se creuse entre le Nord Vietnam et le Sud, outre de t&eacute;moigner des traumatismes et des souffrances des victimes.</p> <p>En 1978, trois ans apr&egrave;s la d&eacute;faite du Sud face &agrave; l&#39;offensive des vi&ecirc;t cong (entr&eacute;e dans Sa&iuml;gon), K.&nbsp;Thuy embarque avec sa famille sur un bateau en direction de la Malaisie, o&ugrave; elle s&eacute;journera un moment, comme beaucoup d&#39;autres <em>boat people</em>, avant de pouvoir s&#39;envoler vers le Qu&eacute;bec. Elle a alors dix ans et ne parle pratiquement pas un mot de fran&ccedil;ais.</p> <p>Quelques ann&eacute;es plus tard, K. Thuy sera doublement dipl&ocirc;m&eacute;e de droit et de langues&nbsp;: elle est traductrice et avocate. Elle travaille d&#39;ailleurs quelques temps &agrave; Hano&iuml;, la capitale du Vietnam, avant de revenir au Qu&eacute;bec et de se lancer dans une double carri&egrave;re de restauratrice-&eacute;crivaine. Son r&eacute;cent dernier ouvrage, <em>Le secret des Vietnamiennes</em> (&Eacute;ditions Tr&eacute;carr&eacute;, 2017) est un livre de recettes vietnamiennes contenant des secrets culinaires ancestraux transmis de m&egrave;res en filles.</p> <h2>2.&nbsp;Les romans de Kim Thuy comme le r&eacute;cit de la naissance/ de l&#39;&eacute;veil d&#39;un sujet de d&eacute;sir(s)</h2> <p>K. Thuy a 41 ans lorsqu&#39;elle &eacute;crit <em>Ru </em>(2009), son premier roman d&#39;inspiration tr&egrave;s autobiographique, un projet qu&#39;elle avait &agrave; c&oelig;ur depuis une vingtaine d&#39;ann&eacute;es, et qui sera d&eacute;di&eacute; &laquo;&nbsp;Aux gens du pays&nbsp;&raquo;.</p> <p><em>Ru </em>m&rsquo;appara&icirc;t comme le premier d&#39;une s&eacute;rie de r&eacute;cits qui sont des retours narratifs et r&eacute;flexifs sur son parcours, puisque les romans qui suivent (des fictions fragmentaires r&eacute;dig&eacute;es &agrave; la premi&egrave;re personne&nbsp;du singulier&nbsp;et toujours tr&egrave;s inspir&eacute;es de sa vie personnelle) sont des formes de r&eacute;&eacute;criture de son exil traumatique, qui lui fait fr&ocirc;ler la mort r&eacute;elle et symbolique de pr&egrave;s, et de ce long chemin, une lutte, vers la vie&nbsp;; une lutte comme une r&eacute;ponse &agrave; ce proverbe vietnamien cit&eacute; dans <em>Ru&nbsp;</em>: &laquo;&nbsp;Đời l&agrave; chiến trận, nếu buồn l&agrave; thua.&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote10sym" name="sdfootnote10anc">10</a>.</p> <p>Apr&egrave;s <em>Ru </em>(2009), les romans <em>M&atilde;n </em>(2013), et <em>Vi </em>(2016) sont donc l&#39;histoire d&#39;une femme qui quitte le Vietnam pour s&#39;installer au Qu&eacute;bec et qui va progressivement se lib&eacute;rer des discours ali&eacute;nants (repr&eacute;sent&eacute;s par les discours de la famille, de la morale traditionnelle, ou encore de la nation, etc.) pour emprunter le chemin de ses r&ecirc;ves propres&nbsp;: une &eacute;chapp&eacute;e belle en somme d&#39;un sujet de d&eacute;sir(s)&nbsp;! Un chemin qu&#39;elle emprunte, non sans &eacute;cueils, mais qui lui r&eacute;ussit. Dans son quatri&egrave;me roman qui porte le pr&eacute;nom de sa narratrice, <em>Vi</em>, on entend ainsi en &eacute;cho la vie m&ecirc;me, le mot &laquo;&nbsp;vie&nbsp;&raquo; en fran&ccedil;ais.</p> <p>Une &eacute;chapp&eacute;e belle qui s&#39;illustre notamment par ce th&egrave;me de la naissance/ renaissance associ&eacute;e &agrave; l&#39;id&eacute;e d&#39;invention de soi&nbsp;: on retrouve tout un jeu m&eacute;taphorique d&#39;opposition entre vie et mort dans les romans de K. Thuy, en r&eacute;sonance avec la grande Histoire du Vietnam (elle &eacute;crit l&#39;ali&eacute;nation des sujets r&eacute;duits au silence et qui meurent sous le r&eacute;gime communiste). La vie, c&#39;est donc de pouvoir prendre la parole, de s&#39;inventer, selon K. Thuy et de ne pas rester soumis &agrave; un r&eacute;gime ou &agrave; un discours ali&eacute;nant&nbsp;: ce qui &eacute;quivaut &agrave; une mort symbolique.</p> <p>On peut donc lire &agrave; travers les romans de K. Thuy cet enjeu subjectif fondamental de pouvoir faire entendre sa voix, de prendre la parole, de pouvoir s&#39;inventer librement, conditions qui permettent de ne pas &ecirc;tre qu&#39;une pauvre &laquo;&nbsp;&acirc;me errante&nbsp;&raquo; (c&#39;est une image qu&#39;elle emploie &agrave; plusieurs reprises et qu&#39;elle emprunte &agrave; l&#39;imaginaire culturel vietnamien/ chinois) mais de faire advenir un sujet incarn&eacute;, bien vivant, bien pr&eacute;sent&nbsp;: c&#39;est-&agrave;-dire un sujet d&eacute;sirant, &agrave; qui il pousserait des ailes de la libert&eacute;. Les ailes, l&#39;envol sont chez l&#39;auteure symbole d&#39;une &eacute;mancipation, d&#39;une libert&eacute; acquise.</p> <p>Par exemple, dans son deuxi&egrave;me roman,<em> A toi</em> (2011), roman qui est une correspondance intime entretenue avec un autre &eacute;crivain nomade, P.&nbsp;Janovjak, autour de l&#39;exil et d&#39;autres th&egrave;mes associ&eacute;s, K.&nbsp;Thuy parle de Nam, un jeune homme rencontr&eacute; il y a plus de vingt ans, en ces termes&nbsp;:</p> <blockquote><q>Il m&#39;a d&eacute;crit le battement d&#39;ailes des h&eacute;rons et la libert&eacute; de marcher vers nulle part.</q></blockquote> <blockquote><q>Et c&#39;est ainsi que je suis sortie de la salle avec Nam pour regarder ma premi&egrave;re &eacute;toile.<a href="#sdfootnote11sym" name="sdfootnote11anc">11</a></q></blockquote> <p>Ainsi, &agrave; travers les romans de K. Thuy, on peut observer le mouvement subjectif de l&#39;auteure entre langues et cultures vers une vie incarn&eacute;e&nbsp;: un mouvement initi&eacute; par l&#39;&eacute;criture de son premier roman. D&#39;ailleurs, le titre <em>Ru </em>connote cette id&eacute;e de mouvement puisque le mot signifie en fran&ccedil;ais une petite rivi&egrave;re, un petit cours d&#39;eau. Mais il signifie &agrave; la fois, en vietnamien, <em>berceuse&nbsp;</em>: qui est en quelque sorte le mouvement affectif &ndash; maternel/ maternant &ndash; et sonore d&#39;une langue, une m&eacute;lodie qui enveloppe le sujet d&egrave;s sa tendre enfance.</p> <p>Il y a ce jeu de correspondances entre les deux langues fran&ccedil;aise et vietnamienne d&egrave;s son premier roman, un mouvement continu d&#39;une langue &agrave; l&#39;autre (ce que l&#39;on retrouve de mani&egrave;re plus importante encore dans son roman <em>M&atilde;n</em>) qui est aussi un aspect du mouvement subjectif de l&#39;auteure&nbsp;: elle ne cesse de faire des va-et-vient entre langues et cultures et cela t&eacute;moigne de la vivacit&eacute; de sa pens&eacute;e, une r&eacute;flexivit&eacute; vivante qui ne se fige pas sur un p&ocirc;le&nbsp;: &laquo;&nbsp;La r&eacute;flexivit&eacute;, c&#39;est l&#39;endroit o&ugrave; le mouvement s&#39;accomplit&nbsp;&raquo; dit le philosophe-philologue Heinz Wismann<a href="#sdfootnote12sym" name="sdfootnote12anc">12</a>.</p> <p>Un mouvement subjectif que l&#39;on devrait aussi qualifier d&#39;intersubjectif puisque la pr&eacute;sence des autres est tr&egrave;s importante dans le parcours de l&#39;&eacute;crivaine, autant dans son parcours vers le vivre que dans celui de son apprentissage des langues-cultures. D&#39;ailleurs, chez K. Thuy, apprendre, c&#39;est vivre et cela ne se d&eacute;tache pas de sa relation aux autres&nbsp;:</p> <blockquote style="text-align: justify;"><q>[...] puisque nos parcours d&#39;apprentissage sont atypiques, parsem&eacute;s de d&eacute;tours et d&#39;emb&ucirc;ches, sans gradation, ni logique. Je dessinais les r&ecirc;ves de la m&ecirc;me mani&egrave;re, &agrave; travers les rencontres, les amis, les autres.<a href="#sdfootnote13sym" name="sdfootnote13anc">13</a></q></blockquote> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Je voulais apprendre. Je dois toujours apprendre. Je suis constamment en apprentissage, c&#39;est un besoin vital. [&hellip;]</q></blockquote> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Elle [ma vie] est mue par cette soif d&#39;apprendre &agrave; vivre [...]<a href="#sdfootnote14sym" name="sdfootnote14anc">14</a></q></blockquote> <p>Et vivre, c&#39;est donc de pouvoir emprunter le chemin de sa plurielle-singularit&eacute;, car toute subjectivit&eacute; se compose &agrave; partir de la mati&egrave;re premi&egrave;re des autres, &agrave; partir d&#39;une &laquo;&nbsp;alt&eacute;rit&eacute; incluse&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote15sym" name="sdfootnote15anc">15</a>, ce dont K.&nbsp;Thuy a particuli&egrave;rement conscience&nbsp;:</p> <blockquote><q>Pendant mon enfance, je cherchais cet int&eacute;rieur dans les talons, dans l&#39;estomac, sous le menton, sur la langue, derri&egrave;re les oreilles, partout, partout, mais en vain. La virginit&eacute; donne parfois l&#39;impression d&#39;un vide sans &eacute;cho.</q></blockquote> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Comme je n&#39;avais rien trouv&eacute; &agrave; travers les ann&eacute;es, j&#39;ai eu la brillante id&eacute;e de remplir ce vide de l&#39;&acirc;me des autres. J&#39;ai ainsi commenc&eacute; &agrave; absorber une r&eacute;flexion de l&#39;un, un souffle de l&#39;autre, des &eacute;motions &eacute;parses, attrap&eacute;es au vol autour d&#39;une table, dans le trou d&#39;une serrure, entre deux clignements de paupi&egrave;res. Apr&egrave;s quarante ans, je poss&egrave;de maintenant une collection de savoirs, de sentiments, de r&eacute;flexes si vari&eacute;s, si entrem&ecirc;l&eacute;s et si contradictoires qu&#39;ensemble ils donnent l&#39;illusion d&#39;une &acirc;me, ou du moins un certain &eacute;quilibre, sinon une moyenne.<a href="#sdfootnote16sym" name="sdfootnote16anc">16</a></q></blockquote> <h2>3.&nbsp;Le corps, les langues, les affects, les autres&nbsp;: un nouage &eacute;troit et subtil</h2> <p>Si les romans de K.&nbsp;Thuy racontent la naissance d&#39;un sujet d&eacute;sirant &ndash; mais aussi d&#39;une &eacute;crivaine, ils d&eacute;crivent en m&ecirc;me temps cet entrelacement &eacute;troit entre corps, sensations, affects, langues et relations &agrave; l&#39;Autre. D&#39;un point de vue subjectif, cet ensemble complexe, peut-&ecirc;tre un peu chaotique, m&#39;appara&icirc;t comme difficilement s&eacute;parable. K.&nbsp;Thuy t&eacute;moigne donc &agrave; travers ses romans de ce nouage subtil mais aussi de la place/ du r&ocirc;le primordial(e) des affects, notamment des liens d&#39;aimance<a href="#sdfootnote17sym" name="sdfootnote17anc">17</a> entretenus avec autrui, dans l&#39;apprentissage du vivre, dans l&#39;apprentissage des langues, tout comme dans l&#39;&eacute;veil d&#39;un sujet de d&eacute;sir(s).</p> <p>Les langues occupent une place majeure dans les romans de Kim Thuy (romans travers&eacute;s de nombreuses langues), car c&#39;est &agrave; travers leur apprentissage que l&#39;auteure va progressivement &laquo;&nbsp;prendre vie&nbsp;&raquo;, notamment en prenant la parole, en incarnant sa parole, en accordant une voix et une parole &agrave; un corps. Ainsi &eacute;crit-elle dans <em>Ru&nbsp;</em>:</p> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Jeanne, notre f&eacute;e en maillot et collant rose, aux cheveux piqu&eacute;s d&#39;une fleur, a lib&eacute;r&eacute; ma voix sans avoir utilis&eacute; les mots. Elle nous parlait &ndash; &agrave; ses neufs vietnamiens de l&#39;&eacute;cole primaire Sainte-Famille &ndash; avec de la musique, avec ses doigts, ses &eacute;paules. Elle nous montrait comment occuper l&#39;espace autour de nous en d&eacute;gageant nos bras, en levant notre menton, en respirant &agrave; pleins poumons. Elle papillonnait autour de nous, telle une f&eacute;e, ses yeux nous caressant l&#39;un apr&egrave;s l&#39;autre. [&hellip;] C&#39;est gr&acirc;ce &agrave; Jeanne que j&#39;ai appris &agrave; d&eacute;gager ma voix des replis de mon corps pour qu&#39;elle puisse atteindre le bout de mes l&egrave;vres.<a href="#sdfootnote18sym" name="sdfootnote18anc">18</a></q></blockquote> <p>Il faut pr&eacute;ciser que K.&nbsp;Thuy d&eacute;crit son exp&eacute;rience de l&#39;exil comme un &eacute;branlement de tous les sens, et dans tous les sens du mot <em>sens</em>. Elle dit, dans <em>Ru</em>, qu&#39;elle &eacute;tait devenue sourde et muette, et d&eacute;sorient&eacute;e, perdue comme beaucoup de <em>boat people</em>. La premi&egrave;re &eacute;tape donc pour revivre &eacute;tait de pouvoir faire r&eacute;sonner sa voix, ce qui a pu se r&eacute;aliser gr&acirc;ce &agrave; des liens d&#39;aimance. Elle d&eacute;crit d&#39;ailleurs cette chance pour sa famille et elle d&#39;avoir &eacute;t&eacute; &laquo;&nbsp;hospit&eacute;es&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote19sym" name="sdfootnote19anc">19</a>, accueillies, et pratiquement matern&eacute;es par la soci&eacute;t&eacute; Qu&eacute;becoise.</p> <p>Mais K.&nbsp;Thuy montre aussi qu&#39;il n&#39;y a pas d&#39;apprentissage des langues sans mobilisation du corps et des affects&nbsp;: Julie, par exemple, l&#39;amie de M&atilde;n (dans le roman du m&ecirc;me nom) joue un r&ocirc;le d&eacute;cisif dans la naissance de la voix de M&atilde;n qui explique, par ailleurs, comment son pr&eacute;nom signifiant &laquo;&nbsp;<em>qu&#39;il ne reste plus rien &agrave; d&eacute;sirer</em>&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote20sym" name="sdfootnote20anc">20</a> a &eacute;t&eacute; une entrave symbolique et corporelle &ndash; car le corps aussi peut subir une forme d&#39;ali&eacute;nation &ndash; &agrave; l&#39;&eacute;veil de son d&eacute;sir propre&nbsp;:</p> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Julie m&#39;a fait d&eacute;couvrir un lieu<a href="#sdfootnote21sym" name="sdfootnote21anc">21</a> en dehors de mon quotidien afin que je voie&nbsp;l&#39;horizon, afin que je d&eacute;sire l&#39;horizon. [&hellip;] Elle faisait mon &eacute;ducation en langues, en gestes, en &eacute;motions. [&hellip;] A plusieurs reprises, elle m&#39;a plac&eacute;e devant un miroir en m&#39;obligeant &agrave; converser avec elle tout en nous regardant afin que je puisse constater l&#39;immobilit&eacute; de mon corps par rapport au sien.<a href="#sdfootnote22sym" name="sdfootnote22anc">22</a></q></blockquote> <p>Et c&#39;est ainsi que progressivement, la narratrice M&atilde;n dira&nbsp;: &laquo;&nbsp;La vie venait vers moi [&hellip;] De la m&ecirc;me mani&egrave;re, une voix a &eacute;merg&eacute; de mon nom&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote23sym" name="sdfootnote23anc">23</a>.</p> <p>Si les langues et leur apprentissage sont ainsi un moyen pour K. Thuy (parmi d&#39;autres) de renouveler et d&#39;&eacute;largir son horizon, cela ne se fait donc pas sans pr&eacute;sence affective. Elle l&#39;&eacute;crit explicitement d&egrave;s son premier roman, dans <em>Ru</em>, &agrave; propos de l&#39;anglais, langue enseign&eacute;e par un vietnamien en exil et en transit, comme elle, sur une &icirc;le de Malaisie&nbsp;:</p> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Avec lui, nous avons pass&eacute; des matins entiers &agrave; r&eacute;p&eacute;ter des mots sans les comprendre. Mais nous &eacute;tions tous au rendez-vous, parce qu&#39;il r&eacute;ussissait &agrave; soulever le ciel pour nous laisser entrevoir un nouvel horizon, loin des trous b&eacute;ants remplis d&#39;excr&eacute;ments accumul&eacute;s par les deux mille personnes du camp. Sans son visage, nous n&#39;aurions pas pu imaginer un horizon d&eacute;pourvu d&#39;odeurs naus&eacute;abondes, de mouches, de vers. Sans son visage, nous n&#39;aurions pas pu imaginer qu&#39;un jour nous ne mangerions plus de poissons avari&eacute;s, lanc&eacute;s &agrave; m&ecirc;me le sol chaque fin d&#39;apr&egrave;s-midi &agrave; l&#39;heure de la distribution de vivres. Sans son visage, nous aurions certainement perdu le d&eacute;sir de tendre la main pour rattraper nos r&ecirc;ves.<a href="#sdfootnote24sym" name="sdfootnote24anc">24</a></q></blockquote> <p>Ce que l&#39;on peut dire aussi, &agrave; la lecture de ce passage, et il y a beaucoup d&#39;autres exemples dans les romans<a href="#sdfootnote25sym" name="sdfootnote25anc">25</a> de K.&nbsp;Thuy, c&#39;est que les langues ne sont pas qu&#39;une structure, un syst&egrave;me de signes ou qu&#39;un moyen de communication, mais bien plus que cela&nbsp;: elles sont d&#39;abord incarn&eacute;es, elles sont des visages, des relations, des lieux, des souvenirs, des parfums, des sons, une musique, des r&eacute;flexions, des mots, des paroles, des gestes, des &eacute;motions, des voix, etc.&nbsp;: tout un monde, pas seulement culturel, en fin de compte, mais un <em>complexe</em>, empreint de r&eacute;sonances affectives. Ou un fleuve, pour le dire autrement plus m&eacute;taphoriquement, qui charrie avec lui une multitude d&#39;objets disparates&nbsp;; un fleuve tel un flot de paroles qui emporte, impr&egrave;gne, submerge les sujets (quand ils ne se noient pas).</p> <p>Un passage particuli&egrave;rement illustratif, dans <em>M&atilde;n</em>, de cette &laquo;&nbsp;r&eacute;sonance affective&nbsp;&raquo; des langues et des mots&nbsp;:</p> <blockquote style="text-align: justify;"><q>C&#39;est la derni&egrave;re fois que Maman a vu son p&egrave;re&nbsp;: sous les durians, que les Vietnamiens appellent sầu ri&ecirc;ng. Jusqu&#39;&agrave; ce jour, elle n&#39;avait jamais pens&eacute; au nom form&eacute; par ces deux mots, qui signifie litt&eacute;ralement &laquo;&nbsp;tristesses personnelles&nbsp;&raquo;. On l&#39;oublie peut-&ecirc;tre parce que ces tristesses, comme leur chair, sont scell&eacute;es dans des compartiments herm&eacute;tiques, sous une carapace h&eacute;riss&eacute;e d&#39;&eacute;pines.<a href="#sdfootnote26sym" name="sdfootnote26anc">26</a></q></blockquote> <p>On voit donc que les figures et les relations affectives jouent un r&ocirc;le essentiel, chez K. Thuy. Dans son roman <em>M&atilde;n</em>, c&#39;est aussi par le biais d&#39;une relation amoureuse avec un Fran&ccedil;ais que la narratrice, restauratrice et &eacute;crivaine (d&eacute;tails qui rappellent la vie personnelle de K.&nbsp;Thuy), apprendra des mots nouveaux, apprendra &agrave; exprimer ses sentiments, et &agrave; la fois &agrave; d&eacute;lier son corps pour s&#39;ouvrir au d&eacute;sir et au plaisir sensuel/ &eacute;rotique.</p> <h2>4.&nbsp;Vers l&#39;amour des langues-cultures</h2> <p>Si la langue fran&ccedil;aise repr&eacute;sente alors un horizon &eacute;mancipateur, K.&nbsp;Thuy n&#39;&eacute;rige pas une langue-culture au dessus d&#39;une autre&nbsp;: elle aura appris &agrave; les consid&eacute;rer &agrave; &eacute;galit&eacute;, &agrave; effectuer des va-et-vient r&eacute;flexifs entre les langues-cultures, &agrave; mettre en sc&egrave;ne/ en correspondance la diversit&eacute; et l&#39;&eacute;quivoque des langues, comme dans <em>M&atilde;n</em>, par exemple, o&ugrave; les titres des fragments qui composent le roman sont &eacute;crits &agrave; la fois en vietnamien et en fran&ccedil;ais.</p> <p>Aussi, depuis la pr&eacute;sence aimante des autres, l&#39;auteure d&eacute;veloppe, en retour, une forme d&#39;amour de l&#39;autre et des langues, un amour des langues souvent transmis par un parent, un proche, un ami&nbsp;: &laquo;&nbsp;Monsieur An m&#39;a appris les nuances. Monsieur Minh m&#39;a donn&eacute; le d&eacute;sir d&#39;&eacute;crire.&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote27sym" name="sdfootnote27anc">27</a></p> <p>De m&ecirc;me, le th&egrave;me de l&#39;amour entre les &ecirc;tres, en parall&egrave;le de cet amour des langues qui se traduit par un amour des litt&eacute;ratures, de l&#39;&eacute;criture, des nuances des mots, devient un th&egrave;me central dans ses romans. Ainsi fait-elle se r&eacute;fl&eacute;chir les sens du mot <em>aimer</em>, entre les langues (notamment fran&ccedil;aise, vietnamienne et chinoise), et propose-t-elle une d&eacute;clinaison des diverses nuances du verbe <em>aimer </em>en vietnamien parall&egrave;lement &agrave; un questionnement sur l&#39;&eacute;ventuelle universalit&eacute;, ou pas, du geste d&#39;aimer dans le monde&nbsp;:</p> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Dans le cas du vietnamien, il est possible de classifier, de quantifier le geste d&#39;aimer par des mots sp&eacute;cifiques&nbsp;: aimer par go&ucirc;t (th&iacute;ch), aimer sans &ecirc;tre amoureux (thương), aimer amoureusement (y&ecirc;u), aimer avec ivresse (m&ecirc;), aimer aveugl&eacute;ment (m&ugrave; qu&aacute;ng), aimer par gratitude (t&igrave;nh nghĩa).<a href="#sdfootnote28sym" name="sdfootnote28anc">28</a></q></blockquote> <p>Et un peu plus loin, on peut lire le symbolisme du caract&egrave;re chinois signifiant aimer&nbsp;:</p> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Une fois, pour une soir&eacute;e de lev&eacute;e de fonds, je suis retourn&eacute;e &agrave; une ancienne le&ccedil;on de chinois o&ugrave; le professeur avait expliqu&eacute; que le caract&egrave;re du mot &quot;aimer&quot; englobait trois id&eacute;ogrammes&nbsp;: une main, un c&oelig;ur et un pied, parce que l&#39;on doit exprimer son amour en tenant son c&oelig;ur dans ses mains et marcher jusqu&#39;&agrave; la personne qu&#39;on aime pour le lui tendre.<a href="#sdfootnote29sym" name="sdfootnote29anc">29</a></q></blockquote> <p>Dans le roman <em>Vi</em>, l&#39;h&eacute;ro&iuml;ne devient traductrice et nomade&nbsp;: son pr&eacute;nom signifiant &laquo;&nbsp;petite invisible&nbsp;&raquo; la destinait &agrave; une forme de transparence, d&#39;effacement, telle la posture que les vietnamiennes se doivent de respecter traditionnellement en soci&eacute;t&eacute;. Mais Vi s&#39;&eacute;mancipe totalement de ce discours familial/ traditionnel pesant pour prendre son envol &agrave; travers le monde, comme &agrave; travers l&#39;amour, car elle vivra &eacute;galement une relation amoureuse avec un Fran&ccedil;ais. On peut observer que les titres des fragments qui composent le roman sont presque exclusivement des noms de lieux. Une proposition de voyage donc &agrave; travers des langues et des cultures.</p> <p>Et Vi raconte cette anecdote&nbsp;:</p> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Je connaissais son obsession pour le tricot, et elle, ma folie d&#39;envelopper chacun de mes livres dans du papier d&#39;emballage achet&eacute; en cachette pour maintenir leur statut de &laquo;&nbsp;cadeaux&nbsp;&raquo; toute l&#39;ann&eacute;e. Chaque dollar que je d&eacute;pensais pour ces paquets de papier en &laquo;&nbsp;solde sold&eacute;&nbsp;&raquo;, comme l&#39;aurait dit Marguerite Duras, aurait pu nourrir un membre de ma famille au Vietnam pendant trois ou quatre jours. Ce fut mon premier acte &eacute;go&iuml;ste et, aussi, amoureux. [&hellip;] Sans eux, je n&#39;aurais peut-&ecirc;tre pas vu le sublime dans les yeux bleus de Cl&eacute;ment, assis dans le fond de la classe avec ses joues aussi roses que des pommes d&#39;amour. Ils m&#39;ont aussi donn&eacute; le courage de refuser la proposition d&#39;une amie de ma m&egrave;re de me pr&eacute;senter &agrave; un &quot;gar&ccedil;on un peu effac&eacute;&quot; comme moi.<a href="#sdfootnote30sym" name="sdfootnote30anc">30</a></q></blockquote> <p>C&#39;est sans doute sugg&eacute;rer que les langues et les litt&eacute;ratures nous apprennent aussi &agrave; aimer, ou du moins &agrave; porter un regard sur l&#39;autre, &agrave; ne pas &ecirc;tre indiff&eacute;rent, &agrave; avoir de l&#39;&eacute;gard pour l&#39;autre. Ainsi M&atilde;n cite l&#39;&eacute;crivaine Camille Laurens &agrave; propos des verbes <em>regarder</em> et notamment <em>esgarder&nbsp;</em>: &laquo;&nbsp;Ce mot contient depuis des si&egrave;cles le respect, certes, mais aussi la pr&eacute;occupation, le souci de l&#39;autre.&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote31sym" name="sdfootnote31anc">31</a></p> <p>Et c&#39;est aussi, sans doute, parce que port&eacute;e par cet &laquo;&nbsp;amour de l&#39;autre langue&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote32sym" name="sdfootnote32anc">32</a>, tel que l&#39;entend Julia Kristeva, ou cet amour <em>des </em>langues, que le personnage Vi, exer&ccedil;ant le m&eacute;tier de traductrice, peut relier des mondes, faire le pont entre les mondes, &ecirc;tre une passeuse de mots et d&#39;histoires entre les &ecirc;tres, tout comme K. Thuy qui d&eacute;ploie &agrave; travers ses romans sa &laquo;&nbsp;langue sensible&nbsp;&raquo;, c&#39;est-&agrave;-dire sa langue d&#39;&eacute;crivaine &laquo;&nbsp;traduisant [&eacute;galement] l&#39;univers sensible de sa singularit&eacute;&nbsp;&raquo;<a href="#sdfootnote33sym" name="sdfootnote33anc">33</a>, entre les langues.</p> <p>K.&nbsp;Thuy n&#39;a donc de cesse, &agrave; travers ses romans de faire l&#39;&eacute;loge des langues, mais aussi des biblioth&egrave;ques, des livres (ce qu&#39;elle emporte en priorit&eacute; lorsqu&#39;elle voyage), et des litt&eacute;ratures. Ses romans sont tr&egrave;s riches d&#39;intertextualit&eacute;&nbsp;: dans <em>M&atilde;n</em>, par exemple, on peut lire des po&egrave;mes en fran&ccedil;ais, en anglais, en vietnamien. Les r&eacute;f&eacute;rences litt&eacute;raires, les citations sont nombreuses et les livres sont assimil&eacute;s &agrave; des &laquo;&nbsp;tr&eacute;sors c&eacute;lestes&nbsp;&raquo;, comme &agrave; ce qu&#39;il y a de plus pr&eacute;cieux dans les langues. Dans un contexte de r&eacute;pression et de fermeture culturelle sous le nouveau r&eacute;gime communiste au pouvoir (autour de 1975), au Vietnam, M&atilde;n, la narratrice, explique&nbsp;:</p> <blockquote style="text-align: justify;"><q>Beaucoup de livres en fran&ccedil;ais et en anglais avaient &eacute;t&eacute; confisqu&eacute;s pendant les ann&eacute;es de chaos politique. On ne conna&icirc;trait jamais le sort de ces livres, mais certains avaient surv&eacute;cu en pi&egrave;ces d&eacute;tach&eacute;es. On ne saurait jamais par quel chemin &eacute;taient pass&eacute;es des pages enti&egrave;res pour se retrouver entre les mains des marchands qui les utilisaient pour envelopper un pain, une barbote ou un bouquet de liserons d&#39;eau... On ne pourrait jamais me dire pourquoi j&#39;avais eu la chance de tomber sur ces tr&eacute;sors enfouis au milieu des tas de journaux jaunis. Maman me disait que ces pages &eacute;taient des fruits tomb&eacute;s du ciel.<a href="#sdfootnote34sym" name="sdfootnote34anc">34</a></q></blockquote> <h2>Conclusion&nbsp;: Les langues comme nourritures du corps, de l&#39;&acirc;me et de l&#39;esprit, ou comme un humus subjectif</h2> <p>Finalement, K.&nbsp;Thuy nous donne &agrave; penser, &agrave; travers ses romans, une appr&eacute;hension subjective, pourrait-on dire aussi &laquo;&nbsp;holistique&nbsp;&raquo;, des langues comme appartenant &agrave; un tout complexe et non d&eacute;tachable d&#39;un corps, d&#39;un individu, d&#39;un v&eacute;cu &eacute;galement. On a donc une d&eacute;finition large qui montre que les langues sont plus qu&#39;un moyen de communication ou un syst&egrave;me de signes&nbsp;: elles sont des visages, des voix, des paroles, des musiques, des histoires, des romans, des po&egrave;mes, etc.&nbsp;; elles englobent des aspects et des objets de nature diff&eacute;rente, qui nourrissent, impr&egrave;gnent, affectent et mod&egrave;lent le sujet parlant au fil de son existence, au fil de ses rencontres.</p> <p>Dans <em>M&atilde;n</em>, le monde des livres c&ocirc;toie de tr&egrave;s pr&egrave;s le monde de la restauration, puisque la narratrice &eacute;crira un ouvrage de recettes vietnamiennes illustr&eacute;es par des contes et des l&eacute;gendes ancestraux. Il y a une analogie &eacute;vidente entre litt&eacute;ratures et nourritures (une analogie pas nouvelle puisque d&eacute;j&agrave; d&eacute;velopp&eacute;e dans les litt&eacute;ratures de la renaissance, voir N. Ordine<a href="#sdfootnote35sym" name="sdfootnote35anc">35</a>).</p> <p>Les langues-litt&eacute;ratures ont donc une fonction &laquo;&nbsp;nourrici&egrave;re&nbsp;&raquo; pour le corps, l&#39;&acirc;me et l&#39;esprit&nbsp;; elles font na&icirc;tre, grandir et vivre un sujet&nbsp;: en ce sens, elles ne sont pas s&eacute;parables de la vie m&ecirc;me.</p> <p>Mais les langues sont aussi des nourritures n&eacute;cessaires et essentielles pour une subjectivit&eacute; vivante/ incarn&eacute;e, r&eacute;flexive et po&eacute;tique&nbsp;: car les langues-cultures servent &agrave; <strong>l&#39;expression d&#39;une subjectivit&eacute;</strong> singuli&egrave;re-plurielle, et une langue sensible, singuli&egrave;re, telle celle de K. Thuy, faite de m&eacute;tissages et de correspondances, peut advenir par le biais de l&#39;&eacute;criture et de la traduction.</p> <p>On pourrait dire que les langues sont donc dans leur pluralit&eacute; et diversit&eacute; une<strong> promesse de vie</strong>&nbsp;; elles peuvent insuffler un <strong>art de vivre</strong> m&ecirc;me, plus libre, plus ouvert sur le monde, plus cosmopolite, tel que l&#39;incarne le personnage Vi qui r&eacute;ussit &agrave; faire sauter les fronti&egrave;res du moi, pour devenir traductrice-nomade et sillonner le monde. En ce sens, le roman <em>Vi </em>est un &eacute;loge du cosmopolitisme et pr&eacute;sente la traduction comme ce qui relie les mondes&nbsp;; Vi devient une citoyenne du monde.</p> <p>Mais K.&nbsp;Thuy nous montre aussi que pour entrevoir un horizon plus vaste et plus humain qui fait qu&#39;un sujet d&eacute;sirant devienne aussi un sujet aimant, il faut que les langues comme &laquo;&nbsp;humus subjectif&nbsp;&raquo; soient assez riches et fertiles, et sans doute sont-ce les litt&eacute;ratures en tant que &laquo;&nbsp;tr&eacute;sors&nbsp;&raquo; des langues-cultures qui permettent d&#39;enrichir/ de nourrir cet humus&nbsp;: pour que de l&#39;<em>humus</em> advienne de l&#39;<em>humain</em><a href="#sdfootnote36sym" name="sdfootnote36anc">36</a>.</p> <p>Il me semble que cette derni&egrave;re id&eacute;e est d&#39;une importance majeure, et peut-&ecirc;tre &agrave; soutenir en didactique des langues-cultures, tant les individus sont menac&eacute;s aujourd&#39;hui de ne plus pouvoir dire ou se dire, sauf &agrave; travers des clich&eacute;s discursifs, des lieux communs, et tant l&#39;appauvrissement des langues s&#39;accompagne d&#39;un appauvrissement de la pens&eacute;e. J&#39;entends beaucoup cet &eacute;nonc&eacute;, je crois symptomatique, se r&eacute;p&eacute;ter chez les personnes que je rencontre en formation, jeunes post-bacs ou plus &acirc;g&eacute;es (en reconversion professionnelle ou autres)&nbsp;: &laquo;&nbsp;je ne sais pas comment dire.&nbsp;&raquo; Cette phrase est selon moi r&eacute;v&eacute;latrice d&#39;un probl&egrave;me social contemporain que R.&nbsp;Gori&nbsp;d&eacute;montre dans son essai, <em>La dignit&eacute; de penser</em><a href="#sdfootnote37sym" name="sdfootnote37anc">37</a>&nbsp;: il nous explique notamment qu&#39;une soci&eacute;t&eacute; o&ugrave; la fonction instrumentale (utilitariste) des langues est privil&eacute;gi&eacute;e fait perdre aux individus la capacit&eacute; de narrer, de &laquo;&nbsp;fabuler&nbsp;&raquo;, d&#39;inventer, de penser et de ce fait, de s&#39;inventer et de se penser. Cette fabulation &agrave; l&#39;origine d&#39;une possible pens&eacute;e critique n&#39;est pas sans rappeler ce mouvement du <em>muthos </em>(le mythe, le r&eacute;cit) vers le <em>logos </em>(le discours, la raison) qui s&#39;op&eacute;ra dans le monde de la Gr&egrave;ce Antique lorsque des premiers mythes, les Ggrecs pass&egrave;rent progressivement &agrave; l&#39;&eacute;criture philosophique<a href="#sdfootnote38sym" name="sdfootnote38anc">38</a>. Et il m&#39;appara&icirc;t qu&#39;&agrave; l&#39;&eacute;chelle individuelle, ce mouvement est le m&ecirc;me, et absolument n&eacute;cessaire.</p> <h2 align="JUSTIFY" lang="fr-FR"><strong>R&eacute;f&eacute;rences bibliographiques</strong></h2> <p>CASSIN, Barbara, <em>La nostalgie : Quand donc est-on chez soi ?</em>, Paris, Autrement, 2013.</p> <p>CASSIN, Barbara, <i>Jacques le Sophiste : Lacan, logos et psychanalyse</i>, Paris, Epel, 2012.</p> <p lang="fr-FR">CHENG, Fran&ccedil;ois, <em>Entretiens avec Fran&ccedil;oise Siri</em>, Paris, Albin Michel, 2015.</p> <p lang="fr-FR">FENOGLIO, Ir&egrave;ne (dir.), QUIGNARD, Pascal. &laquo; Le mot litt&eacute;rature est d&#39;origine encore inconnue &raquo;, in<em> Autour d&#39;Emile Benveniste sur l&#39;&eacute;criture</em>, Paris, Seuil, 2016, p.267-326.</p> <p lang="fr-FR">GORI, Roland, <i>La dignit&eacute; de penser</i>, Arles, Actes Sud, 2013.</p> <p lang="fr-FR">JULLIEN, Fran&ccedil;ois, <i>L&#39;&eacute;cart et l&#39;entre&nbsp;: Le&ccedil;on inaugurale de la Chaire sur l&#39;alt&eacute;rit&eacute;</i>, Paris, Galil&eacute;e, 2012.</p> <p lang="fr-FR">JULLIEN, Fran&ccedil;ois, <em>Si parler va sans dire. Du logos et d&#39;autres ressources</em>, Paris, Seuil, 2006.</p> <p lang="fr-FR">KRISTEVA, Julia, <i>&Eacute;trangers &agrave; nous-m&ecirc;mes</i>, Paris, Folio, 1991.</p> <p>KRISTEVA, Julia, &laquo;&nbsp;L&rsquo;amour de l&rsquo;autre langue&nbsp;&raquo;, conf&eacute;rence &agrave; la BNF, 2014, [Article en ligne : <a href="http://www.kristeva.fr/la-traduction-langue-de-l-europe.html">http://www.kristeva.fr/la-traduction-langue-de-l-europe.html</a>].</p> <p lang="fr-FR">ORDINE, Nuccio et FLEXNER, Abraham, <i>L&rsquo;utilit&eacute; de l&rsquo;inutile. Manifeste</i>, trad. Luc Hersant et Patrick Hersant, 2013, Paris, BELLES LETTRES, 2014.</p> <p lang="fr-FR">ORDINE, Nuccio, &Eacute;cole normale sup&eacute;rieure - PSL, &laquo;&nbsp;Nourrir le corps, nourrir l&rsquo;esprit.&nbsp;&raquo;, 2015, [Conf&eacute;rence en ligne : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=a_EMVrbKxPk&amp;t=606s">https://www.youtube.com/watch?v=a_EMVrbKxPk&amp;t=606s</a>].</p> <p>PRIEUR, Jean-Marie, &laquo; Des &eacute;crivains en contact de langues &raquo;, <i>Ela.</i> &Eacute;tudes<i> de linguistique</i> <i>appliqu&eacute;e</i>, 2006/4 n&deg;144, p. 485-492.</p> <p>PRIEUR, Jean-Marie, &laquo; Contact de langues et positions subjectives &raquo;, <i>Langage et soci&eacute;t&eacute;</i>, 2006/2 n&deg;116, p. 111-118.</p> <p>PRIEUR, Jean-Marie, &laquo;&nbsp;Linguistique et litt&eacute;rature face &agrave; la langue maternelle. R&eacute;el, symbolique, imaginaire&nbsp;&raquo;, <i>Ela. &Eacute;tudes de linguistique appliqu&eacute;e</i>, 2007/3 n&deg; 147, p. 289-296.</p> <p>PRIEUR, Jean-Marie, <i>Le vent traversier</i>, Presses de l&#39;Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry Montpellier III, 1996.</p> <p>SEMO, Marc, &laquo;&nbsp;Nuccio Ordine, professeur de l&rsquo;inutile&nbsp;&raquo;, <i>Le Monde</i>, 23 janvier 2019, [En ligne : <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/23/nuccio-ordine-professeur-de-l-inutile_5413455_3232.html">https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/23/nuccio-ordine-professeur-de-l-inutile_5413455_3232.html</a>].</p> <p lang="fr-FR">SIBONY, Daniel, <i>Entre-deux. L&rsquo;origine en partage</i>, 1991 (Seuil), Paris, Points, 1998.</p> <p lang="fr-FR">THUY, Kim, <i>M&atilde;n</i>, Paris, Liana Levi, 2013.</p> <p lang="fr-FR">THUY, Kim, <i>Ru</i>, 2010 (Liana Levi), Paris, Le Livre de Poche, 2012.</p> <p lang="fr-FR">THUY, Kim, <i>Vi</i>, Paris, Liana Levi, 2016.</p> <p lang="fr-FR">THUY, Kim et JANOVJAK, Pascal, <i>A toi</i>, Paris, Liana Levi, 2011.</p> <p lang="fr-FR">WISMANN, Heinz, <i>Penser entre les langues</i>, Paris, Albin Michel, 2012.</p> <p lang="fr-FR">&nbsp;</p> <p><small><a href="#sdfootnote1anc" name="sdfootnote1sym">1</a>ORDINE, Nuccio et FLEXNER, Abraham, <em>L&rsquo;utilit&eacute; de l&rsquo;inutile. Manifeste</em>, trad. Luc Hersant et Patrick Hersant, 2013, Paris, Belles Lettres, 2014, p.19.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote2anc" name="sdfootnote2sym">2</a>Ibidem, p.18.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote3anc" name="sdfootnote3sym">3</a>Ibidem, p.33.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote4anc" name="sdfootnote4sym">4</a>Je reprends une partie de l&#39;expression d&#39;Hannah Arendt, &laquo;&nbsp;l&#39;&eacute;quivocit&eacute; chancelante du monde&nbsp;&raquo;, expression elle-m&ecirc;me reprise par B. Cassin dans son essai <em>La Nostalgie </em>(Autrement, 2013). C&#39;est aussi ici un &eacute;cho &agrave; une d&eacute;finition que J. Lacan donne des langues&nbsp;: &laquo;&nbsp;Une langue, entre autres, n&#39;est rien de plus que l&#39;int&eacute;grale des &eacute;quivoques que son histoire y a laiss&eacute; persist&eacute;&nbsp;&raquo;, une phrase &laquo;&nbsp;f&eacute;tiche&nbsp;&raquo; de B. Cassin qui aime &agrave; la citer (Voir son essai <em>Jacques le Sophiste. Lacan, logos et psychanalyse</em>, Paris, Epel, 2012, p. 63&nbsp;: voir note de bas de page 25).</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote5anc" name="sdfootnote5sym">5</a>J&#39;emprunte pour cela une m&eacute;thodologie qualitative inspir&eacute;e de l&#39;analyse du discours, que j&#39;articule &agrave; une approche, pr&eacute;alable, sociolinguistique, historique et culturelle du pays d&#39;origine de l&#39;auteure. La prise en compte de ce contexte &eacute;largi d&#39;&eacute;criture apporte en effet quelque &eacute;clairage &agrave; l&#39;interpr&eacute;tation (qui reste subjective) des &oelig;uvres de la romanci&egrave;re.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote6anc" name="sdfootnote6sym">6</a>Mot-valise de Pascal Quignard, voir &laquo;&nbsp;Le mot litt&eacute;rature est d&#39;origine encore inconnue&nbsp;&raquo;, in <em>Autour d&#39;Emile Benveniste sur l&#39;&eacute;criture</em>, Paris, Seuil, 2016, p.267-326.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote7anc" name="sdfootnote7sym">7</a>Les notions d&#39;entre, d&#39;entre-deux ou d&#39;inter sont abord&eacute;es principalement par des philosophes, philologues et psychanalystes tels B. Cassin, H. Wismann, D. Sibony ou encore F. Jullien. Leurs essais autour de cette notion constituent mes principales r&eacute;f&eacute;rences th&eacute;oriques. En sciences du langage, je me r&eacute;f&egrave;re principalement aux travaux de J.-M. Prieur. Voir Bibliographie.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote8anc" name="sdfootnote8sym">8</a>Une r&eacute;flexion qui se nourrit aussi de mon exp&eacute;rience de formatrice en fran&ccedil;ais et culture g&eacute;n&eacute;rale depuis une dizaine d&#39;ann&eacute;es aupr&egrave;s d&#39;un public majoritairement issu du secteur de la sant&eacute; et du social.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote9anc" name="sdfootnote9sym">9</a>F. Cheng est arriv&eacute; en France &agrave; l&#39;&acirc;ge de 18 ans, avec dans ses bagages, bien peu de mots fran&ccedil;ais. Or, son parcours d&#39;apprentissage de la langue fran&ccedil;aise est assez remarquable puisqu&#39;il est aujourd&#39;hui &eacute;crivain de renom, outre de faire partie de la prestigieuse Acad&eacute;mie Fran&ccedil;aise... Voir ses <em>Entretiens avec Fran&ccedil;oise Siri</em>, Paris, Albin Michel, 2015, p. 27-42.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote10anc" name="sdfootnote10sym">10</a>&laquo;&nbsp;La vie est une guerre, la tristesse est une d&eacute;faite.&nbsp;&raquo; (ma traduction). THUY, Kim, <em>Ru</em>, 2010 (Liana Levi) Le Livre de Poche, 2012, p. 29.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote11anc" name="sdfootnote11sym">11</a>THUY, Kim et JANOVJAK, Pascal, <em>A toi</em>, Paris, Liana Levi, 2011, p. 56.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote12anc" name="sdfootnote12sym">12</a>WISMANN, Heinz, <em>Penser entre les langues</em>, Paris, Albin Michel, 2012, p. 45.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote13anc" name="sdfootnote13sym">13</a><em>Ru</em>, op.cit., p. 122.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote14anc" name="sdfootnote14sym">14</a><em>A toi</em>, op.cit., p. 96-97.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote15anc" name="sdfootnote15sym">15</a>Expression emprunt&eacute;e &agrave; CASSIN, Barbara, <em>La Nostalgie&nbsp;: Quand donc est-on chez soi ?</em>, Paris, &Eacute;ditions Autrement, 2013.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote16anc" name="sdfootnote16sym">16</a><em>A toi</em>, op.cit., p. 64-65.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote17anc" name="sdfootnote17sym">17</a>SIBONY, Daniel, <em>Entre-deux, L&rsquo;origine en partage</em>, 1991 (Seuil), Paris, Points, 1998.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote18anc" name="sdfootnote18sym">18</a><em>Ru</em>, op.cit., p. 100.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote19anc" name="sdfootnote19sym">19</a>Terme que j&#39;emprunte &agrave; B. Cassin, in <em>La Nostalgie</em>, <em>op.cit.</em>&nbsp;B. Cassin insiste sur la n&eacute;cessit&eacute; de l&#39;hospitalit&eacute;&nbsp;: on est chez soi l&agrave; o&ugrave; on est &laquo;&nbsp;hospit&eacute;&nbsp;&raquo;, et l&#39;exil&eacute;, qui n&#39;a plus de chez-soi, a besoin de se sentir accueilli pour se construire un nouveau chez-soi, chez l&#39;h&ocirc;te.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote20anc" name="sdfootnote20sym">20</a>THUY, Kim, <em>M&atilde;n</em>, Paris, Liana Levi, 2013, p. 34-35.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote21anc" name="sdfootnote21sym">21</a>Ce lieu est une &laquo;&nbsp;gigantesque biblioth&egrave;que&nbsp;&raquo; situ&eacute;e &agrave; New York.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote22anc" name="sdfootnote22sym">22</a>Ibidem, p. 65.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote23anc" name="sdfootnote23sym">23</a>Ibidem, p. 61.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote24anc" name="sdfootnote24sym">24</a><em>Ru</em>, op.cit., p. 35-36.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote25anc" name="sdfootnote25sym">25</a>Par ex.&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il y a plusieurs de ces mots que je tente de comprendre par leur sonorit&eacute;, comme &quot;colossal&quot;, &quot;disjoncter&quot;, &quot;apostille&quot;, et d&#39;autres par la texture, l&#39;odeur, la forme. Pour saisir les nuances entre deux mots cousins, par exemple pour distinguer la m&eacute;lancolie du chagrin, je p&egrave;se chacun d&#39;eux. Quand je les tiens dans mes paumes, l&#39;un semble planer comme une fum&eacute;e grise alors que l&#39;autre se comprime en boule d&#39;acier. Je devine, je t&acirc;te, et la r&eacute;ponse est aussi souvent la bonne que la mauvaise.&nbsp;&raquo; in <em>M&atilde;n</em>, op.cit., p. 91.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote26anc" name="sdfootnote26sym">26</a><em>M&atilde;n</em>, op.cit., p. 33.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote27anc" name="sdfootnote27sym">27</a><em>Ru</em>, op.cit., p. 138.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote28anc" name="sdfootnote28sym">28</a>Ibidem, p. 151.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote29anc" name="sdfootnote29sym">29</a><em>M&atilde;n</em>, op.cit., p. 115.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote30anc" name="sdfootnote30sym">30</a>THUY, Kim, <em>Vi</em>, Paris, Liana Levi, 2016, p. 77.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote31anc" name="sdfootnote31sym">31</a><em>M&atilde;n</em>, op.cit., p. 111. Ouvrage cit&eacute; : <em>Le grain des mots</em>, P.O.L, Paris, 2003, p.22.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote32anc" name="sdfootnote32sym">32</a>KRISTEVA, Julia, &laquo;&nbsp;L&rsquo;amour de l&rsquo;autre langue&nbsp;&raquo;, conf&eacute;rence &agrave; la BNF, 2014, [Article en ligne : <a href="http://www.kristeva.fr/la-traduction-langue-de-l-europe.html">http://www.kristeva.fr/la-traduction-langue-de-l-europe.html</a>]&nbsp;: J. Kristeva op&egrave;re un parall&egrave;le entre les figures de l&#39;&eacute;tranger, de l&#39;&eacute;crivain et du traducteur. Il faut aimer assez l&#39;autre langue pour ne pas rester fig&eacute; dans des positions identitaristes ou nationalistes qui emp&ecirc;chent finalement une ouverture &laquo;&nbsp;humaine&nbsp;&raquo; &agrave; l&#39;autre, et l&#39;exp&eacute;rience de la traduction et de l&#39;&eacute;criture comme un &laquo;&nbsp;estrangement&nbsp;&raquo; de soi (voir son essai <em>&Eacute;trangers &agrave; nous-m&ecirc;mes</em>, Folio, 1991) permet cette ouverture <em>vitale&nbsp;</em>: &laquo;&nbsp;J&#39;irai m&ecirc;me plus loin. Si nous n&#39;&eacute;tions pas tous des traducteurs, si nous ne mettions pas sans cesse &agrave; vif l&#39;&eacute;tranget&eacute; de notre vie intime &mdash; par une constante et d&eacute;licate d&eacute;rogation aux codes st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;s qu&#39;on appelle des langues nationales &mdash; pour la transposer &agrave; nouveau dans d&#39;autres signes, aurions-nous une vie psychique, serions-nous des &ecirc;tres vivants ? &quot;S&#39;estranger&quot; &agrave; soi-m&ecirc;me et se faire le passeur de cette &eacute;tranget&eacute; contin&ucirc;ment retrouv&eacute;e : n&#39;est-ce pas ainsi que nous combattons nos psychoses latentes, et r&eacute;ussissons l&agrave; o&ugrave; le psychotique ou l&#39;autiste &eacute;chouent, c&#39;est-&agrave;-dire &agrave; <em>nommer le temps sensible</em> ? C&#39;est vous dire qu&#39;&agrave; mon avis, parler une autre langue, ausculter les diff&eacute;rences et les affinit&eacute;s entre les langues &ndash; les traduire, est tout simplement la condition minimale et premi&egrave;re pour &ecirc;tre en vie.&nbsp;&raquo;</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote33anc" name="sdfootnote33sym">33</a>Ibidem.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote34anc" name="sdfootnote34sym">34</a><em>M&atilde;n</em>, op.cit., p. 57-58.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote35anc" name="sdfootnote35sym">35</a>Ordine Nuccio, &laquo;&nbsp;Nourrir le corps, nourrir l&rsquo;esprit.&nbsp;&raquo; Ecole Normale sup&eacute;rieure - PSL, 2015, [Conf&eacute;rence en ligne : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=a_EMVrbKxPk&amp;t=606s">https://www.youtube.com/watch?v=a_EMVrbKxPk&amp;t=606s</a>].</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote36anc" name="sdfootnote36sym">36</a>A savoir que les termes latins <em>humus </em>(sol) et <em>homo </em>(homme) poss&egrave;dent une racine &eacute;thymologique commune, selon la linguiste-lexicologue Jacqueline Picoche : ils proviennent de la racine indo-europ&eacute;enne <em>ghyom </em>(terre) (source : wikip&eacute;dia).</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote37anc" name="sdfootnote37sym">37</a>GORI, Roland, <em>La dignit&eacute; de penser</em>, Arles, Actes Sud Editions, 2013.</small></p> <p><small><a href="#sdfootnote38anc" name="sdfootnote38sym">38</a>Ce passage du <em>muthos </em>au <em>logos</em>, et il n&#39;y a pas de <em>logos </em>sans <em>muthos </em>pr&eacute;alable, est explicit&eacute; par H. Wismann dans son essai <em>Penser entre les langues</em>, op.cit., p. 155-238.</small></p> <h2 align="JUSTIFY" lang="fr-FR">&nbsp;</h2>