<h2>Introduction</h2> <blockquote> <p><q>Pour apprendre une autre langue, il faut d&rsquo;abord connaitre celle d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;on vient, et l&rsquo;avoir assez aim&eacute;e pour pouvoir la quitter.</q> D. Sibony</p> </blockquote> <p>A l&rsquo;heure actuelle pour beaucoup d&rsquo;&ecirc;tres en exil, le d&eacute;sir de vie se substitue au d&eacute;sir de langue. Et pourtant cette langue &eacute;trang&egrave;re est bien l&agrave;, &agrave; ma&icirc;triser quoiqu&rsquo;il arrive pour obtenir le s&eacute;same que constitue pour eux le titre de s&eacute;jour. Mais comment apprendre une langue que l&rsquo;on n&rsquo;a pas forc&eacute;ment choisie, qui n&rsquo;a finalement que peu de valeur &agrave; laquelle se rattache de prime abord peu d&rsquo;affect&nbsp;? En effet, si la langue maternelle est l&agrave;, pr&eacute;gnante, inexorablement li&eacute;e au pays maternel, elle doit laisser la place &agrave; un nouveau canal d&rsquo;expression aux reflets culturels inconnus. Le processus d&rsquo;acquisition se d&eacute;cline en autant de variations que de locuteurs car chacun vient d&rsquo;un ailleurs qui lui est propre et va colorer un apprentissage aux multiples dimensions. &laquo;&nbsp;Langue des oiseaux&nbsp;&raquo; pour l&rsquo;un, car synonyme de libert&eacute;, elle sera pour l&rsquo;autre un non-choix impos&eacute; par le d&eacute;mant&egrave;lement de Calais et des brumes britanniques qui resteront inaccessibles. Or si les voies sociolangagi&egrave;res d&rsquo;acquisition (Adami, Leclerq) ont &eacute;t&eacute; clairement d&eacute;finies, elles ne prennent pas en compte le sentiment d&rsquo;acquisition de l&rsquo;apprenant qui peut ainsi consid&eacute;rablement varier selon le contexte.</p> <p>Nous nous pencherons dans cette contribution sur le cas d&rsquo;adultes migrants entrant en formation linguistique au centre universitaire de FLE de l&rsquo;Universit&eacute; Paul Val&eacute;ry-Montpellier 3. D&eacute;butants en fran&ccedil;ais pour la plupart, c&rsquo;est &agrave; travers leurs t&eacute;moignages et leurs pratiques de classe au sein de l&rsquo;IEFE (Institut universitaire d&#39;Enseignement du Fran&ccedil;ais langue Etrang&egrave;re de l&#39;Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry) que nous tenterons de cerner leurs processus d&rsquo;acquisition, les imaginaires li&eacute;s &agrave; leur apprentissage du fran&ccedil;ais entre motivation et r&eacute;signation. De quelle place le sujet, basculant entre deux cultures, deux visions du monde va-t-il trouver pour acqu&eacute;rir la stabilit&eacute; et apprendre &agrave; d&eacute;sirer cette nouvelle voie d&rsquo;expression qui est d&eacute;sormais la sienne ?</p> <h2>1. Profil des &eacute;tudiants</h2> <h3>1.1 Quand il est question(s) de statut</h3> <p>Aborder en tout premier lieu le statut des &eacute;tudiant(e)s en exil n&rsquo;est pas anodin car &ecirc;tre demandeur d&rsquo;asile ou encore r&eacute;fugi&eacute; impacte in&eacute;vitablement le parcours d&rsquo;apprentissage linguistique de l&rsquo;apprenant.</p> <p>Les &eacute;tudiants en exil inscrits &agrave; l&rsquo;IEFE (une soixantaine) pr&eacute;sentent ainsi des statuts diff&eacute;rents, ils sont demandeurs d&rsquo;asile, sous protection subsidiaire ou encore r&eacute;fugi&eacute;s. Il s&rsquo;agit principalement de personnes issues de pays en guerre, de &laquo;&thinsp;militants&thinsp;&raquo; politiques (ou consid&eacute;r&eacute;s comme tels) poursuivis par leur gouvernement en crise ou encore de personnes en proie &agrave; la discrimination dans leurs pays.</p> <p>Afin de mieux saisir l&rsquo;importance du statut sur l&rsquo;apprentissage de la langue, il convient de se pencher sur les d&eacute;finitions officielles des diff&eacute;rents statuts qui sont souvent m&eacute;connues et souvent confondues pour se r&eacute;duire &agrave; un terme &quot;r&eacute;fugi&eacute;s&quot;, ces donn&eacute;es sont issues de l&rsquo;OFPRA (Office fran&ccedil;ais de protection des r&eacute;fugi&eacute;s et apatrides)<a href="#sdfootnote1sym" name="sdfootnote1anc">1</a>&nbsp;:</p> <blockquote> <p><q>Etre demandeur d&rsquo;asile </q></p> <p><q>La personne doit faire une demande d&rsquo;asile et d&egrave;s l&#39;enregistrement de la demande, elle peut b&eacute;n&eacute;ficier d&#39;un h&eacute;bergement dans un centre d&#39;accueil pour demandeurs d&#39;asile (Cada) ou dans une autre structure similaire et b&eacute;n&eacute;ficier d&#39;un accompagnement social et administratif. Une attestation de demande d&#39;asile valable un mois lui est remise, qu&#39;il faudra renouveler tout au long de la proc&eacute;dure qui peut s&rsquo;&eacute;tendre jusqu&rsquo;&agrave; 6 mois ou plus suivant les flux. </q></p> <p><q>Etre sous protection subsidiaire</q></p> <p><q>Le b&eacute;n&eacute;fice de la protection subsidiaire est accord&eacute; &agrave; toute personne dont la situation ne r&eacute;pond pas &agrave; la d&eacute;finition du statut de r&eacute;fugi&eacute; mais pour laquelle il existe des motifs s&eacute;rieux et av&eacute;r&eacute;s de croire qu&#39;elle courrait dans son pays un risque r&eacute;el de subir l&#39;une des atteintes graves suivantes :</q></p> <ul> <li> <p><q>la peine de mort ou une ex&eacute;cution;</q></p> </li> <li> <p><q>la torture ou des peines ou traitements inhumains ou d&eacute;gradants;</q></p> </li> <li> <p><q>pour des civils, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d&#39;une violence aveugle r&eacute;sultant d&#39;une situation de conflit arm&eacute; interne ou international (article L.712-1 du CESEDA).</q></p> </li> </ul> <p><q>Les b&eacute;n&eacute;ficiaires de la protection subsidiaire sont plac&eacute;s sous la protection juridique et administrative de l&#39;Ofpra, ils ont vocation &agrave; se voir d&eacute;livrer une carte de s&eacute;jour temporaire d&#39;une dur&eacute;e de un an renouvelable et portant la mention &quot;vie priv&eacute;e et familiale&quot; en application de l&#39;article L.313-13 du CESEDA.</q></p> <p><q>Etre r&eacute;fugi&eacute;</q></p> <p><q>Le statut de r&eacute;fugi&eacute; est reconnu par l&#39;Ofpra en application de l&#39;article 1er A2 de la Convention de Gen&egrave;ve du 28 juillet 1951 qui stipule que :</q></p> <p><q>&quot;le terme de r&eacute;fugi&eacute; s&#39;applique &agrave; toute personne craignant avec raison d&#39;&ecirc;tre pers&eacute;cut&eacute;e du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalit&eacute;, de son appartenance &agrave; un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalit&eacute; et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se r&eacute;clamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n&#39;a pas de nationalit&eacute; et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa r&eacute;sidence habituelle &agrave; la suite de tels &eacute;v&egrave;nements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner&quot;. [&hellip;]</q></p> <p><q>Les personnes reconnues r&eacute;fugi&eacute;es sont plac&eacute;es sous la protection juridique et administrative de l&#39;Ofpra ; elles ont vocation &agrave; b&eacute;n&eacute;ficier d&#39;une carte de r&eacute;sident valable dix ans en application de l&#39;article L.314-11-8&deg; du CESEDA.</q></p> </blockquote> <p>Comme nous le verrons dans notre d&eacute;veloppement, ces diff&eacute;rents statuts vont ainsi avoir des cons&eacute;quences sur la progression dans les apprentissages.</p> <p>En effet, les &eacute;tudiant(e)s demandeurs d&rsquo;asile vont &ecirc;tre soumis &agrave; un long processus au terme duquel ils passeront devant une commission qui d&eacute;cidera de l&rsquo;obtention du statut de r&eacute;fugi&eacute; ou pas. En attendant ce moment, ils ne savent pas si leur demande va aboutir et certains ne vont pas avoir le m&ecirc;me investissement pour apprendre la langue d&rsquo;un pays qu&rsquo;ils vont peut-&ecirc;tre devoir quitter. Cette absence de continuit&eacute; dans leur vie ne cr&eacute;e pas un climat favorisant une quelconque empathie pour apprendre le fran&ccedil;ais. Et c&rsquo;est l&agrave; que d&eacute;sir de langue et besoin de langue s&rsquo;emm&ecirc;lent et concr&eacute;tisent le fait que le terme g&eacute;n&eacute;rique &quot;apprenant&quot; est l&rsquo;arbre qui cache la for&ecirc;t, une for&ecirc;t de sujets dont l&rsquo;identit&eacute; est touch&eacute;e et qui doivent accepter une alt&eacute;rit&eacute; parfois aveuglante. Devoir apprendre une langue n&rsquo;est pas toujours synonyme de d&eacute;sir de langue&hellip;</p> <h3>1.2 Le niveau de langue</h3> <p>Dans les &eacute;tudes nombreuses sur l&rsquo;appropriation du fran&ccedil;ais par les migrants, l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; des niveaux sociaux est souvent mise en corr&eacute;lation avec les difficult&eacute;s d&rsquo;apprentissage. Dans notre cas l&rsquo;&eacute;chantillon propos&eacute; pr&eacute;sente des profils ayant tous comme point commun, quel que soit leur pays d&rsquo;origine, de poss&eacute;der un dipl&ocirc;me d&rsquo;&eacute;tudes secondaires (&eacute;quivalent baccalaur&eacute;at) et d&rsquo;avoir un projet universitaire (poursuite d&rsquo;&eacute;tudes commenc&eacute;es dans leur pays d&rsquo;origine ou dans les pays de transit ou premi&egrave;re inscription).&nbsp;Cette uniformisation du niveau minimal d&rsquo;&eacute;tudes est l&rsquo;une des conditions d&rsquo;acceptation au centre. Nous ne sommes donc pas ici dans &laquo;&nbsp;la majorit&eacute; des migrants qui poss&egrave;de un niveau faible ou moyen de scolarisation&nbsp;&raquo; (Adami, 2012&nbsp;: 80).&nbsp;</p> <p>Tous ces crit&egrave;res remplis, les &eacute;tudiants sont alors accueillis dans le centre universitaire en &eacute;tant exon&eacute;r&eacute;s des droits d&rsquo;inscription (D&eacute;cision du Pr&eacute;sident de l&#39;universit&eacute; Paul Val&eacute;ry - Montpellier 3). Ils suivent d&egrave;s lors le parcours classique de tout &eacute;tudiant &eacute;tranger avec la passation d&rsquo;un test de niveau de langue et ensuite le placement dans les DUEF (Dipl&ocirc;mes Universitaires d&rsquo;Etudes Fran&ccedil;aises) en fonction de leur niveau :&nbsp;DUEF A1, DUEF A2, DUEF B1, DUEF B2, DUEF C1.</p> <p>Chaque DUEF (200 heures) est valid&eacute; par semestre. Ainsi un &eacute;tudiant arrivant avec un niveau A1, valide son niveau B2 en deux ans (premi&egrave;re ann&eacute;e A1/A2, deuxi&egrave;me ann&eacute;e B1/B2).&nbsp;Le niveau B2 est le niveau requis pour s&rsquo;inscrire dans les universit&eacute;s fran&ccedil;aises&nbsp;(le niveau C1 est de plus en plus souvent requis pour l&rsquo;entr&eacute;e en Master).</p> <h3>1.3 Pays d&rsquo;origine des &eacute;tudiants</h3> <p>Comme nous venons de le souligner, les pays d&rsquo;origine de ces &eacute;tudiants n&rsquo;&eacute;tonneront pas nos lecteurs puisqu&rsquo;ils font couler beaucoup d&rsquo;encre et illustrent la Une des principaux m&eacute;dias internationaux depuis des mois et parfois des ann&eacute;es. Terres de guerre, de conflits arm&eacute;s ou politiques, d&rsquo;injustice sociale, nos &eacute;tudiants sont originaires&nbsp;d&rsquo;Alg&eacute;rie, d&rsquo;Egypte, d&rsquo;Irak, du Lib&eacute;ria, de Libye, du Pakistan, de Palestine, de Russie, de Serbie, du Soudan, de Syrie, d&rsquo;Ukraine, de Venezuela ou encore du Y&eacute;men.</p> <h3>1.4 Niveaux linguistiques</h3> <table width="604"> <colgroup> <col width="106" /> <col width="107" /> <col width="107" /> <col width="107" /> <col width="106" /> </colgroup> <tbody> <tr> <td style="border-bottom:1px solid #000000; padding-top:0cm; padding-bottom:0cm; padding-left:0.2cm; padding-right:0.19cm; width:106px; border-top:1px solid #000000; border-right:1px solid #000000; border-left:1px solid #000000"> <p align="justify"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"><font style="font-size:12pt">Niveau A1&nbsp;: 12</font></font></font></p> </td> <td style="border-bottom:1px solid #000000; padding-top:0cm; padding-bottom:0cm; padding-left:0.2cm; padding-right:0.19cm; width:107px; border-top:1px solid #000000; border-right:1px solid #000000; border-left:1px solid #000000"> <p align="justify"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"><font style="font-size:12pt">Niveau A2&nbsp;: 15</font></font></font></p> </td> <td style="border-bottom:1px solid #000000; padding-top:0cm; padding-bottom:0cm; padding-left:0.2cm; padding-right:0.19cm; width:107px; border-top:1px solid #000000; border-right:1px solid #000000; border-left:1px solid #000000"> <p align="justify"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"><font style="font-size:12pt">Niveau B1&nbsp;: 17</font></font></font></p> </td> <td style="border-bottom:1px solid #000000; padding-top:0cm; padding-bottom:0cm; padding-left:0.2cm; padding-right:0.19cm; width:107px; border-top:1px solid #000000; border-right:1px solid #000000; border-left:1px solid #000000"> <p align="justify"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"><font style="font-size:12pt">Niveau B2&nbsp;: 9 </font></font></font></p> </td> <td style="border-bottom:1px solid #000000; padding-top:0cm; padding-bottom:0cm; padding-left:0.2cm; padding-right:0.19cm; width:106px; border-top:1px solid #000000; border-right:1px solid #000000; border-left:1px solid #000000"> <p align="justify"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"><font style="font-size:12pt">Niveau C1&nbsp;: 3</font></font></font></p> </td> </tr> </tbody> </table> <p>Les &eacute;tudiants arrivent majoritairement avec des niveaux A1 ou A2 (les B1 actuels sont les A2 du premier&nbsp;semestre qui ont r&eacute;ussi). La majorit&eacute; des &eacute;tudiants n&rsquo;a pas &eacute;tudi&eacute; le fran&ccedil;ais avant d&rsquo;arriver en France et pour ceux qui poss&egrave;dent des notions, elles sont orales et acquises &laquo;&nbsp;sur le tas&nbsp;&raquo; au cours de leur cheminement migratoire et de leurs contacts sociolangagiers au sein des structures d&rsquo;accueil auxquelles ils sont li&eacute;s lorsqu&rsquo;ils sont demandeurs d&rsquo;asile&nbsp;: CAO (Centre d&rsquo;accueil et d&rsquo;orientation), CADA (Centre d&#39;Accueil de Demandeurs d&#39;Asile), PRADHA (Programme d&rsquo;accueil et d&rsquo;h&eacute;bergement des demandeurs d&rsquo;asile) et autres associations. Certains &eacute;tudiants changeront de statut au cours de leur apprentissage et devront alors d&eacute;m&eacute;nager dans les 3 mois apr&egrave;s obtention de leur titre de s&eacute;jour.</p> <h2>2. M&eacute;thodologie mise en oeuvre</h2> <p>La m&eacute;thode employ&eacute;e a &eacute;t&eacute; celle des histoires de vie associ&eacute;es &agrave; un questionnaire sur les langues parl&eacute;es et &eacute;tudi&eacute;es, la nature des difficult&eacute;s rencontr&eacute;es avec le fran&ccedil;ais. La prise de contact a &eacute;t&eacute; facilit&eacute;e par notre fonction de responsable des &eacute;tudes et coordinatrice de ce public au sein de l&rsquo;institut, ayant re&ccedil;u tous les apprenants individuellement lors de leur inscription et r&eacute;guli&egrave;rement au cours des semestres. Les donn&eacute;es ont &eacute;t&eacute; recueillies sur plus de deux ans. Ainsi, au fil des rencontres, dans une langue de moins en moins h&eacute;sitante, un climat de confiance s&rsquo;est install&eacute;. Au fil de ces entretiens, parfois impromptus, leurs parcours, leurs trajets de vie chaotiques ont pris forme, remplis d&rsquo;espoir et de d&eacute;sirs de vivre et parler la langue de ce nouveau pays. Des moments privil&eacute;gi&eacute;s, enrichissants et des liens qui se sont tiss&eacute;s. Ce sont donc les premi&egrave;res donn&eacute;es d&rsquo;un corpus assez important de 60 &eacute;tudiants par semestre.</p> <p><strong><span style="line-height:100%"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"><font style="font-size:12pt">Questionnement</font></font></font></span></strong></p> <p>Comment le sujet, basculant entre deux cultures, deux visions du monde peut-il acqu&eacute;rir la stabilit&eacute; et apprendre &agrave; d&eacute;sirer cette nouvelle voie d&rsquo;expression qui est d&eacute;sormais la sienne ?</p> <p>Le chemin de l&rsquo;apprentissage est complexe et singulier pour chaque apprenant en exil.</p> <p>Chaque &eacute;tudiant va se retrouver avec son histoire et face &agrave; une nouvelle langue qui va s&rsquo;&eacute;panouir ou parfois aussi se d&eacute;rober sans qu&rsquo;il en ma&icirc;trise la raison. Ces &eacute;tudiants sont l&agrave; pour apprendre avec un but avou&eacute;, obtenir le niveau B2, s&eacute;same pour entrer &agrave; l&rsquo;universit&eacute; fran&ccedil;aise. Mais tout n&rsquo;est pas si simple, parler et &eacute;crire ne rel&egrave;vent pas du m&ecirc;me paradigme et les &eacute;cueils du CECR vont se relever redoutables pour bon nombre d&rsquo;entre eux.</p> <p>Comme le souligne tr&egrave;s justement Patrick Anderson (2003 : 346), il existe un probl&egrave;me de cadre &eacute;pist&eacute;mologique :</p> <blockquote> <p><q>[&hellip;] c&rsquo;est sans doute le point o&ugrave; la DLE est le plus &eacute;loign&eacute; de la psychanalyse, la d&eacute;limitation et la valorisation des objectifs, des strat&eacute;gies pour apprendre et des besoins qui sous l&rsquo;apparence de rationalit&eacute; de l&rsquo;organisation de l&rsquo;acte p&eacute;dagogique se double de la construction d&rsquo;un ersatz de sujet &agrave; qui il faut faire acqu&eacute;rir des savoirs dire, des savoirs faire et un savoir &ecirc;tre sont radicalement &agrave; l&rsquo;oppos&eacute; de ce qui tend &agrave; rep&eacute;rer le d&eacute;sir.</q></p> </blockquote> <p>S&rsquo;approprier une langue (et particuli&egrave;rement dans le cadre de migration forc&eacute;e), ne peut se r&eacute;duire &agrave; une transmission de savoirs. Le sujet est acteur de l&rsquo;enseignement/apprentissage et doit &ecirc;tre pris en compte dans toute sa complexit&eacute;.</p> <table width="604"> <colgroup> <col width="287" /> <col width="287" /> </colgroup> <tbody> <tr> <td style="border-bottom:1px solid #000000; padding:0cm 0.19cm; width:287px; height:248px; border-top:1px solid #000000; border-right:1px solid #000000; border-left:1px solid #000000"> <p><em>Sur l&rsquo;origine des langues &ndash; Chapitre II</em></p> <p><em>Que la premi&egrave;re invention de la parole ne vient pas des besoins mais des passions</em></p> <p>&nbsp;</p> <p>Il est donc &agrave; croire que les besoins dict&egrave;rent les premiers gestes et que les passions arrach&egrave;rent les premi&egrave;res voix. De cela seul il suit avec &eacute;vidence que <strong>l&rsquo;origine des langues n&rsquo;est point due aux premiers besoins des hommes</strong> ; il serait absurde que de la cause qui les &eacute;carte vint le moyen qui les unit. D&rsquo;o&ugrave; peut venir cette origine? Des besoins moraux, des passions. Toutes les passions rapprochent les hommes que la n&eacute;cessit&eacute; de chercher &agrave; vivre force &agrave; se fuir. <strong>Ce n&rsquo;est ni la faim ni la soif, mais l&rsquo;amour, la haine, la piti&eacute;, la col&egrave;re qui leur ont arrach&eacute; les premi&egrave;res voix.</strong>&nbsp; (Rousseau, 1817&nbsp;: 505)</p> </td> <td> <p><strong>L&rsquo;analyse des besoins dans la pratique </strong></p> <p>&nbsp;</p> <p>Si on analyse les besoins des migrants adultes qui souhaitent obtenir un titre de s&eacute;jour permanent, par exemple, en tenant compte du temps que ceux-ci peuvent raisonnablement consacrer &agrave; l&rsquo;apprentissage de la langue, l&rsquo;on peut conclure que c&rsquo;est &agrave; la communication dans les domaines public et professionnel qu&rsquo;il convient d&rsquo;accorder la priorit&eacute;, pour donner aux apprenants les moyens de traiter avec les autorit&eacute;s et de r&eacute;pondre aux exigences du monde professionnel.</p> <p>(Little, 2012&nbsp;: 7)</p> </td> </tr> </tbody> </table> <p>Le face &agrave; face Jean-Jacques Rousseau/CECR &eacute;claire en quelques mots notre dilemme, les passions s&rsquo;opposent aux besoins et les migrants r&eacute;duits &agrave; communiquer avec les autorit&eacute;s&hellip; ou le monde professionnel. Le pragmatisme gla&ccedil;ant et r&eacute;ducteur du CECR ne peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme la r&eacute;ponse ad&eacute;quate &agrave; un apprentissage linguistique r&eacute;ussi des migrants. Le sujet doit progresser avec l&rsquo;apprenant et sans cette incontournable association, l&rsquo;&eacute;chec est bien s&ucirc;r au rendez-vous. Lorsque les &eacute;tudiants frappent &agrave; la porte du bureau, que je leur demande s&rsquo;ils ont un probl&egrave;me et qu&rsquo;ils me r&eacute;pondent,&nbsp;&laquo;&nbsp;non, on vient vous dire bonjour&nbsp;&raquo;, il est &eacute;vident qu&rsquo;ils n&rsquo;ont pas envie de parler de pr&eacute;fecture ou de travail mais d&rsquo;eux-m&ecirc;mes. C&rsquo;est &laquo;&nbsp;l&rsquo;affect&nbsp;&raquo; qui prime lors de ces passages impromptus et poss&eacute;der les mots pour &laquo;&nbsp;dire&nbsp;&raquo;&nbsp;est essentiel, ces mots-l&agrave; sont ceux de l&rsquo;&eacute;motion bien loin des dialogues st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;s propos&eacute;s par les m&eacute;thodes d&rsquo;apprentissage (rendez-vous&nbsp;&agrave; la pr&eacute;fecture, remplir un formulaire de la Caisse des allocations familiales/ CAF). Comme le soulignent Pascale Lassabli&egrave;re et Michel Neumayer (2015&nbsp;: 81)&nbsp;:</p> <blockquote> <p><q>La langue, la meilleure&hellip; ou la pire des choses&nbsp;? La langue, moderne r&eacute;incarnation de la figure de Janus&nbsp;? Quand l&rsquo;une des faces nous ouvre &agrave; la rencontre et au partage, l&rsquo;autre nous confinerait dans une identit&eacute; born&eacute;e, nous enfermerait dans une case essentiellement administrative, nous ouvrirait (ou nous fermerait) un droit&nbsp;?</q></p> </blockquote> <p>Nos &eacute;tudiants en exil vont ainsi osciller entre attraction/r&eacute;pulsion sans avoir les clefs de ce jeu de distance et surtout sans avoir toujours l&rsquo;&eacute;coute n&eacute;cessaire pour pouvoir exprimer ces conflits int&eacute;rieurs. L&rsquo;universit&eacute; est un lieu d&rsquo;apprentissage qui oriente, si les &eacute;tudiants l&rsquo;expriment, vers des psychologues mais rien de sp&eacute;cifiquement organis&eacute;. Or, il est tr&egrave;s difficile pour certains de passer d&rsquo;une logique de sentiment d&rsquo;appartenance &agrave; un groupe, &agrave; une logique de l&rsquo;histoire personnelle. Ces derniers se retrouvent dans un nouveau lieu &eacute;ducatif avec ses codes, ses normes et une comp&eacute;tence socioculturelle encore fragile, en cours d&rsquo;acquisition. Ils se retrouvent isol&eacute;s avec une identit&eacute; aux contours flous, distendue par des liens sociaux rompus par l&rsquo;exil. Pour le psychiatre Martin Reca (2015&nbsp;: 103)&nbsp;:</p> <blockquote> <p><q>Il est ind&eacute;niable que l&rsquo;exp&eacute;rience de la migration affecte, d&rsquo;une mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, les trois liens d&rsquo;int&eacute;gration d&rsquo;une identit&eacute;, &agrave; savoir, le lien &agrave; l&rsquo;espace, au temps et &agrave; la soci&eacute;t&eacute;. C&rsquo;est-&agrave;-dire, la g&eacute;ographie, le sentiment de continuit&eacute; de l&rsquo;&ecirc;tre et le sentiment d&rsquo;appartenance &agrave; un groupe.</q></p> </blockquote> <p>Tous les &eacute;tudiants n&rsquo;ont pas la m&ecirc;me histoire et la rupture des liens, et notamment le rapport au temps et &agrave; l&rsquo;espace, se manifestent diff&eacute;remment d&rsquo;un &eacute;tudiant soudanais &agrave; un &eacute;tudiant v&eacute;n&eacute;zu&eacute;lien.</p> <h2>3. Etudes de cas&nbsp;</h2> <p>Afin d&rsquo;illustrer ces propos, nous allons aborder quelques cas caract&eacute;ristiques (non exhaustifs) d&rsquo;&eacute;tudiants, d&rsquo;horizons diff&eacute;rents, inscrits &agrave; l&rsquo;IEFE.</p> <h3>3.1 Les &eacute;tudiants soudanais</h3> <p>Plusieurs &eacute;tudiants soudanais sont arriv&eacute;s d&rsquo;un village h&eacute;raultais, nouveau lieu d&rsquo;accueil apr&egrave;s le d&eacute;mant&egrave;lement de la &laquo;&nbsp;jungle&nbsp;&raquo; de Calais. Tr&egrave;s bien accueillis par les b&eacute;n&eacute;voles du village mais isol&eacute;s en pleine nature, ils ont &eacute;t&eacute; satisfaits d&rsquo;int&eacute;grer le centre universitaire de Montpellier pour progresser en fran&ccedil;ais et reprendre leurs &eacute;tudes. Tout ce groupe est arriv&eacute; avec des histoires personnelles souvent tragiques et le fait de se retrouver m&eacute;lang&eacute;s aux autres &eacute;tudiants internationaux les a repositionn&eacute;s dans une certaine &laquo;&nbsp;normalit&eacute;&nbsp;&raquo;, ils &eacute;taient des &eacute;tudiants comme les autres. Oubli&eacute; l&rsquo;ethnonyme que leur renvoyait la soci&eacute;t&eacute; fran&ccedil;aise depuis leur arriv&eacute;e, celui d&rsquo;Africain migrant. En effet, &eacute;tant int&eacute;gr&eacute;s dans les cours avec leurs camarades internationaux, personne ne conna&icirc;t leurs statuts sauf s&rsquo;ils abordent le sujet eux-m&ecirc;mes.</p> <h4>3.1.1 Le rapport &agrave; l&rsquo;&eacute;crit</h4> <p>Le d&eacute;sir d&rsquo;apprendre la langue fran&ccedil;aise, clairement exprim&eacute;, n&rsquo;a n&eacute;anmoins pas suffi &agrave; certains pour aborder sereinement l&rsquo;&eacute;crit et la communication &eacute;crite a &eacute;t&eacute; un important &eacute;cueil, long &agrave; surmonter. Pour ceux qui apprenaient pour la premi&egrave;re fois l&rsquo;alphabet latin, les difficult&eacute;s &eacute;taient pr&eacute;visibles, ma&icirc;trise du geste graphique incertaine (&eacute;criture de gauche &agrave; droite), transposition alphab&eacute;tique de l&rsquo;oral (&laquo;&nbsp;chez nous, on &eacute;crit comme on parle&nbsp;&raquo;) et bien s&ucirc;r, plus culturelle, la diff&eacute;rence du mode de communication entre l&rsquo;oral et l&rsquo;&eacute;crit. Ces &eacute;tudiants &eacute;taient beaucoup plus &agrave; l&rsquo;aise (quel que soit leur niveau) d&egrave;s qu&rsquo;ils se retrouvaient en entretien car ils n&rsquo;&eacute;taient pas confin&eacute;s au seul canal linguistique.</p> <h4>3.1.2 Du geste &agrave; la parole</h4> <p>Le fait de conna&icirc;tre la personne &agrave; qui ils s&rsquo;adressaient, la proximit&eacute;, la possibilit&eacute; de joindre le geste &agrave; la parole, de faire des mimiques, d&rsquo;exprimer corporellement leur parole a modifi&eacute; le paradigme. En effet, &laquo;&nbsp;Le corps, enracinement essentiel, fondateur des significations que nous produisons et distribuons est le lieu sur lequel se trame toute communication sociale et interpersonnelle&nbsp;&raquo; (Calbris/Porcher, 1989&nbsp;: 7). Ces corps communicants permettent ainsi de transmettre des faisceaux de signes qui enrichissent la communication et l&rsquo;illustrent. Ces moments de communication orale &eacute;taient n&eacute;cessaires aux &eacute;tudiants afin de montrer qu&rsquo;ils pouvaient s&rsquo;exprimer en dehors de l&rsquo;&eacute;criture. &quot;Le temps&quot; &eacute;tant le ma&icirc;tre mot de l&rsquo;apprentissage, l&rsquo;appropriation a &eacute;t&eacute; au rendez-vous avec la compr&eacute;hension de la logique inh&eacute;rente au passage &agrave; l&rsquo;&eacute;crit.</p> <h4>3.1.3 La d&eacute;n&eacute;gation</h4> <p>Bien que ma&icirc;trisant l&rsquo;anglais&nbsp;(et donc habitu&eacute; aux caract&egrave;res latins), M. est quant &agrave; lui venu me voir pour exprimer son d&eacute;sarroi devant sa difficult&eacute; d&rsquo;entr&eacute;e dans l&rsquo;&eacute;crit. Etudiant s&eacute;rieux et assidu, ce dernier fournissait le travail r&eacute;gulier n&eacute;cessaire &agrave; son apprentissage et &eacute;tait surpris de ce blocage qui l&rsquo;emp&ecirc;chait de progresser comme il le souhaitait. Au fil de la discussion, son histoire de vie a donn&eacute; des pistes sur les origines de son probl&egrave;me. M. &eacute;tait l&rsquo;un des migrants de la &laquo;&nbsp;jungle&nbsp;&raquo; de Calais et son d&eacute;sir premier n&rsquo;&eacute;tait donc pas de rester en France mais de rejoindre le Royaume-Uni o&ugrave; une partie de sa famille avait d&eacute;j&agrave; &eacute;migr&eacute;. M&ecirc;me si la r&eacute;alit&eacute; de sa situation ne laissait pas de doute sur son impossibilit&eacute; de rejoindre l&rsquo;Angleterre, un lien t&eacute;nu le maintenait dans une perspective de d&eacute;part vers ce pays. Ces d&eacute;sirs emm&ecirc;l&eacute;s &eacute;taient inconsciemment d&eacute;stabilisants et il lui fallait accepter son nouveau lieu de vie et les cons&eacute;quences inh&eacute;rentes &agrave; cette situation, apprendre le fran&ccedil;ais pour reprendre ses &eacute;tudes&hellip; en fran&ccedil;ais. Apr&egrave;s une longue discussion et le conseil d&rsquo;en discuter avec sa famille (lien par skype), il est revenu 3 semaines plus tard avec le sourire et un test au-dessus de la moyenne&hellip;</p> <p>Pour lui, le temps de l&rsquo;&eacute;coute a ici jou&eacute; son r&ocirc;le et permis au d&eacute;sir de langue de trouver sa voie mais ce temps-l&agrave; est pr&eacute;cieux et toutes les structures n&rsquo;ont malheureusement pas les moyens humains n&eacute;cessaires pour &eacute;couter, guider et tenter de lever les diff&eacute;rents blocages linguistiques et psychologiques de ces &eacute;tudiants singuliers.</p> <h3>3.2 Les &eacute;tudiants v&eacute;n&eacute;zu&eacute;liens</h3> <p>Les &eacute;tudiants v&eacute;n&eacute;zu&eacute;liens pr&eacute;sents dans le centre ne sont pas des r&eacute;fugi&eacute;s &eacute;conomiques mais des r&eacute;fugi&eacute;s politiques contraints au d&eacute;part en raison de la manifestation de leurs opinions et ayant d&ucirc; tout quitter pr&eacute;cipitamment et ce, dans un climat de violence. L&agrave; encore cette diff&eacute;rence de statut a un impact direct sur leur apprentissage. Certes hispanophones, ces derniers n&rsquo;en ont pas moins des difficult&eacute;s, m&ecirc;me si elles sont moindres, &agrave; appr&eacute;hender le fran&ccedil;ais. Il y a d&eacute;j&agrave; pr&egrave;s de 35 ans, R&eacute;my Porquier et Marie-Ange Cammarota &eacute;voquaient d&eacute;j&agrave; dans un article de la revue <em>Langue fran&ccedil;aise</em> (1986&nbsp;: 104), les difficult&eacute;s rencontr&eacute;es par les r&eacute;fugi&eacute;s politiques latino-am&eacute;ricains lors du renversement du gouvernement de Salvador Allende et qui sont arriv&eacute;s en nombre &agrave; partir de 1973, en France et en Espagne&nbsp;:</p> <blockquote> <p>L&rsquo;exil &ndash;&nbsp;ne serait-ce que de ce point de vue &ndash;&nbsp;constitue un v&eacute;ritable tremblement de terre. Mais la situation de l&rsquo;exil&eacute; se trouve encore aggrav&eacute;e par un fait&nbsp;: il faisait partie d&rsquo;une communaut&eacute; r&eacute;unie autour d&rsquo;un projet qui tissait entre ses membres des liens tr&egrave;s serr&eacute;s. [&hellip;] L&rsquo;&eacute;chec du projet &ndash; mat&eacute;rialis&eacute; par cette urgence de s&rsquo;exiler, la perte de cet objet a eu n&eacute;cessairement de graves cons&eacute;quences&nbsp;: d&rsquo;une part le rel&acirc;chement voire la rupture, des liens unissant ses membres et, comme corollaire, pour chacun d&rsquo;eux, un sentiment accru d&rsquo;isolement et de perte d&rsquo;identit&eacute;.</p> </blockquote> <p>Nous sommes en 2019 et m&ecirc;me si la soci&eacute;t&eacute; a chang&eacute;, les situations sont similaires. L&rsquo;av&egrave;nement des r&eacute;seaux sociaux, les informations m&eacute;diatiques en temps r&eacute;el ont n&eacute;anmoins modifi&eacute; le rapport &agrave; l&rsquo;&eacute;volution socio-politique du pays. Le lien est plus fort encore, aliment&eacute; par les images, les &eacute;changes (WhatsApp/Skype) avec parents et amis rest&eacute;s sur place et souvent le regret et la culpabilit&eacute; de ne pouvoir participer au changement soci&eacute;tal. Toutes ces &eacute;motions contradictoires vont perturber l&rsquo;apprentissage car pass&eacute; et pr&eacute;sent se m&ecirc;lent et ne laissent gu&egrave;re de place &agrave; une quelconque r&eacute;silience. Ces profils particuliers ont des difficult&eacute;s d&rsquo;investissement et d&rsquo;aboutissement d&rsquo;un projet quel qu&rsquo;il soit et du temps est encore ici n&eacute;cessaire pour accepter de vivre ici et maintenant. La distance g&eacute;ographique exacerb&eacute;e par une cause devenue trop lointaine demande un temps de &quot;deuil&quot; plus long pour atteindre le temps de l&rsquo;acceptation. L&rsquo;acquisition linguistique s&rsquo;effectuera donc par paliers au fil de leur cheminement identitaire.</p> <h3>3.3 Les &eacute;tudiants syriens</h3> <p>Les &eacute;tudiants syriens accueillis &agrave; l&rsquo;institut sont bien s&ucirc;r marqu&eacute;s par la guerre mais &eacute;galement par leurs itin&eacute;rances. Partis de Syrie en passant par des camps en Jordanie, ils ont laiss&eacute; leur noyau familial (parents) sur place et les jeunes femmes notamment souffrent beaucoup de l&rsquo;&eacute;loignement maternel et de l&rsquo;impossibilit&eacute; de revoir leurs parents car leur statut ne leur permet pas d&rsquo;obtenir un visa de voyage. Le choc culturel, in&eacute;luctable, pour bon nombre de nos apprenants est encore plus pr&eacute;gnant chez ces derniers qui doivent op&eacute;rer des ajustements comportementaux et surmonter des troubles cognitifs. Les notions de temps monochronique ou polychronique d&eacute;finis par Hall prennent ici tout leur sens, Orient et Occident ne fonctionnent pas au m&ecirc;me rythme, de m&ecirc;me que les codes culturels qui sont souvent complexes &agrave; d&eacute;crypter. Les obstacles surmont&eacute;s, deux voies se dessinent, celle du retour au pays apr&egrave;s la guerre et donc d&rsquo;une France qui reste une terre de transit et pour les autres, une nouvelle vie &agrave; construire en Occident. Le choix de vie future aura bien s&ucirc;r un impact sur la progression de l&rsquo;apprentissage linguistique mais aussi culturel.</p> <p>Trois exemples qui laissent dessiner les contours de la richesse des profils rencontr&eacute;s, des changements de vie qui entra&icirc;nent d&rsquo;importantes adaptations aux facettes multidimensionnelles.</p> <p>Ce premier travail d&rsquo;approche illustre d&eacute;j&agrave;, de fa&ccedil;on non exhaustive, la difficult&eacute; de ces &eacute;tudiants positionn&eacute;s entre deux cultures, deux visions du monde et en cons&eacute;quence face &agrave; un laborieux chemin d&rsquo;apprentissage linguistique souvent parsem&eacute; d&rsquo;emb&ucirc;ches.</p> <p>Il convient de prendre en compte, face &agrave; ces premiers t&eacute;moignages, l&rsquo;importance de l&rsquo;affect, des &eacute;motions, emm&ecirc;l&eacute;es dans un d&eacute;sir de langue qui ne peut/veut pas se dire au sein d&rsquo;exp&eacute;riences polylinguistiques et interculturelles complexes. La &quot;m&eacute;moire&quot; et tous les processus mn&eacute;siques qu&rsquo;elle engendre viennent interf&eacute;rer et compliquer l&rsquo;acquisition de la langue. Au-del&agrave; de la nostalgie ressentie par ces &eacute;tudiants d&egrave;s qu&rsquo;ils sont en contact avec leur famille (quand c&rsquo;est possible) par les r&eacute;seaux sociaux ou au t&eacute;l&eacute;phone, contacts qui restent un lien fort avec la langue maternelle, ces derniers se trouvent confront&eacute;s aux repr&eacute;sentations culturelles des mots du fran&ccedil;ais. Autant de significations possibles pour ces mots connot&eacute;s, qui varient en fonction des contextes et les d&eacute;stabilisent. Des conditions de vie souvent pr&eacute;caires, ponctu&eacute;es par des imp&eacute;ratifs administratifs r&eacute;currents viennent compl&eacute;ter ces parcours de vie qui m&eacute;ritent toute notre attention.</p> <p>Les mots de fin seront ceux de K., &eacute;tudiant y&eacute;m&eacute;nite &agrave; qui j&rsquo;ai demand&eacute; pourquoi il avait choisi la France et qui m&rsquo;a r&eacute;pondu&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mon p&egrave;re m&rsquo;a dit d&rsquo;apprendre le fran&ccedil;ais car c&rsquo;&eacute;tait &quot;la langue des oiseaux&quot;, celle de la libert&eacute; &hellip; alors j&rsquo;ai choisi la France&nbsp;&raquo;.</p> <h2>R&eacute;f&eacute;rences bibliographiques</h2> <p>ADAMI Herv&eacute; (dir.), LECLERQ, V&eacute;ronique (dir.) (2012).<em> Les migrants face aux langues des pays d&rsquo;accueil&nbsp;: Acquisition en milieu naturel et formation</em>, Villeneuve d&rsquo;Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2012.</p> <p>ANDERSON, Patrick, Laseldi-Grelis, &laquo;&nbsp;De la langue originaire &agrave; la langue de l&#39;autre&nbsp;&raquo;, <em>Ela. &Eacute;tudes de linguistique appliqu&eacute;e</em>, 2003/3 (no 131), p. 343-356. URL : <a href="https://www.cairn.info/revue-ela-2003-3-page-343.htm">https://www.cairn.info/revue-ela-2003-3-page-343.htm</a></p> <p>CALBRIS, Genevi&egrave;ve, PORCHER, Louis (coord.), <em>Geste et communication</em>, Paris, Didier, Coll. LAL., 1989.</p> <p>CAMMAROTA, Marie-Ange, PORQUIER, R&eacute;my, &laquo;&nbsp;Des difficult&eacute;s dans l&#39;acquisition de langue &eacute;trang&egrave;re par des r&eacute;fugi&eacute;s politiques latino-am&eacute;ricains&nbsp;&raquo;, In <em>Langue fran&ccedil;aise</em>, n&deg;71, L&#39;acquisition du fran&ccedil;ais par des adultes migrants, 1086, p. 101-116.</p> <p>LASSABLIERE, Pascale, NEUMAYER, Michel &laquo;&nbsp;La langue, archipel de l&rsquo;ambig&uuml;it&eacute;&nbsp;&raquo; in <em>Ma&icirc;trise de la langue et int&eacute;gration</em>, Bruxelles, Lire et &eacute;crire, 2015.</p> <p>LITTLE, David, <em>L&rsquo;int&eacute;gration linguistique des migrants et le CECR</em>, Conseil de l&rsquo;Europe, 2012;</p> <p>RECA, Martin, &laquo;&nbsp;Psychotraumatismes du migrant&nbsp;: la confusion des r&eacute;alit&eacute;s&nbsp;&raquo;, <em>L&#39;information psychiatrique</em>, 2015/2 (Volume 91), pp 97 &agrave; 105, doi:10.1684/ipe.2015.1303</p> <p>ROUSSEAU, Jean-Jacques, <em>Essai sur l&rsquo;origine des langues</em>, Paris, Belin, 1817, Tome 4.</p> <p>&nbsp;</p> <div id="sdfootnote1"> <p><small><a href="#sdfootnote1anc" name="sdfootnote1sym">1</a> <a href="https://ofpra.gouv.fr/fr/asile/les-differents-types-de-protection/la-protection-subsidiaire">https://ofpra.gouv.fr/fr/asile/les-differents-types-de-protection/la-protection-subsidiaire</a>.</small></p> </div>