<p>Laurent Gajo - Ecole de langue et de civilisation fran&ccedil;aises - Universit&eacute; de Gen&egrave;ve<br /> <a href="mailto:laurent.gajo@unige.ch">laurent.gajo@unige.ch</a><br /> Anne Grobet - Ecole de langue et de civilisation fran&ccedil;aises - Universit&eacute; de Gen&egrave;ve<br /> <a href="mailto:anne.grobet@unige.ch">anne.grobet@unige.ch</a></p> <p>&nbsp;</p> <p>Quand on veut d&eacute;signer de mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale les dispositifs proposant l&rsquo;apprentissage du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re (FLE), il n&rsquo;est pas rare de recourir &agrave; l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;enseignement du/en fran&ccedil;ais&nbsp;&raquo;. Ceci permet de couvrir deux grandes modalit&eacute;s d&rsquo;enseignement/apprentissage de la langue, celle qui passe par la mati&egrave;re &laquo;&nbsp;fran&ccedil;ais&nbsp;&raquo; et celle qui sollicite d&rsquo;autres mati&egrave;res (enseignement de type immersif). Si l&rsquo;enjeu se pr&eacute;sente d&rsquo;abord au niveau curriculaire, il interpelle aussi directement la r&eacute;flexion didactique.</p> <p>Sur le terrain, il est int&eacute;ressant de constater que les deux modalit&eacute;s tendent &agrave; se brouiller, ceci pour diff&eacute;rentes raisons. Par exemple, l&agrave; o&ugrave; un enseignement renforc&eacute; ou intensif du fran&ccedil;ais est propos&eacute;, il n&rsquo;est pas rare d&rsquo;introduire des &laquo;&nbsp;modules&nbsp;&raquo; disciplinaires. Cela se rencontre dans des dispositifs o&ugrave; il s&rsquo;agit de pr&eacute;parer l&rsquo;entr&eacute;e dans un programme bilingue, mais aussi dans des situations o&ugrave; il semble pertinent de diversifier le travail linguistique dans un cadre horaire qui pr&eacute;voit une dizaine d&rsquo;heures de langue. A l&rsquo;inverse, il n&rsquo;est pas rare d&rsquo;assister, dans le cadre d&rsquo;enseignements bilingues, surtout &agrave; l&rsquo;&eacute;cole primaire, &agrave; de v&eacute;ritables le&ccedil;ons de lexique ou de grammaire dans un curriculum consacr&eacute; pourtant &agrave; une discipline dite non linguistique. Ces effets de superposition ou de brouillage sont peu interrog&eacute;s et se g&egrave;rent souvent conjoncturellement.</p> <p>N&eacute;anmoins, sur le plan de la recherche en didactique, des &eacute;l&eacute;ments de r&eacute;flexion permettent de penser de mani&egrave;re argument&eacute;e les points de continuit&eacute; et de rupture entre enseignement <i>de</i> la langue et enseignement <i>en</i> langue (voir notamment Cenoz, 2015). Du c&ocirc;t&eacute; de la langue comme mati&egrave;re, dans la foul&eacute;e des approches communicatives se sont d&eacute;velopp&eacute;es des approches orient&eacute;es vers le contenu, qui trouvent un certain &eacute;cho dans la &laquo;&nbsp;task-based approach&nbsp;&raquo; (voir entre autres Nunan, 2004). Cette orientation se retrouve aussi dans ce qu&rsquo;il est convenu d&rsquo;appeler la perspective actionnelle. A l&rsquo;heure actuelle, toutefois, les notions de contenu et de t&acirc;che semblent insuffisamment interrog&eacute;es, et le passage du communicatif &agrave; l&rsquo;actionnel demande encore &agrave; &ecirc;tre s&eacute;rieusement analys&eacute; (voir Puren, 2006). Du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;enseignement d&rsquo;autres mati&egrave;res <i>en</i> fran&ccedil;ais, les recherches en didactique ont manipul&eacute; des sigles comme CLIL (content and language integrated learning) et EMILE (enseignement d&rsquo;une mati&egrave;re par l&rsquo;int&eacute;gration d&rsquo;une langue &eacute;trang&egrave;re), qui postulent un travail int&eacute;gr&eacute; sur les savoirs linguistiques et disciplinaires. Cette int&eacute;gration se retrouve dans la notion de DdNL (discipline dite non linguistique&nbsp;; voir Gajo, 2009), qui met en &eacute;vidence la pertinence linguistique de tous les enseignements. La question de la place &agrave; accorder &agrave; la langue reste toutefois le plus souvent implicite et d&eacute;pend largement des circonstances et initiatives individuelles. Dans ces conditions, peut-on consid&eacute;rer qu&rsquo;il y a une continuit&eacute; possible ou n&eacute;cessaire, dans la r&eacute;flexion didactique, entre les approches orient&eacute;es vers le contenu et les approches immersives (voir notamment Met, 1998)&nbsp;?&nbsp;</p> <p>Les travaux r&eacute;unis ici apportent chacun des &eacute;l&eacute;ments de r&eacute;ponse &agrave; cette question, non sans revenir sur bon nombre de notions centrales en didactique des langues en g&eacute;n&eacute;ral, et dans les approches immersives en particulier. Ainsi, l&rsquo;approche par t&acirc;ches et l&rsquo;enseignement immersif sont reconsid&eacute;r&eacute;s d&rsquo;un point de vue m&eacute;thodologique par Beacco, qui revient sur certaines id&eacute;es re&ccedil;ues pour en montrer l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t effectif. Ce faisant, il aborde la question de l&rsquo;authenticit&eacute; qui est &eacute;galement th&eacute;matis&eacute;e dans l&rsquo;article de Lauer-Freytag, en relation avec le traitement des documents historiques dans un enseignement en FLE. On touche ici &agrave; une autre dimension fondamentale de l&rsquo;enseignement immersif et de l&rsquo;enseignement des langues orient&eacute; vers le contenu&nbsp;: le sens v&eacute;hicul&eacute; par le langage, qui, dans certaines conditions, acquiert le statut de savoir en lien avec la discipline enseign&eacute;e, tout en interagissant avec les savoirs langagiers (Vuksanović, Sabatier &amp; Bullock). Outre leurs apports th&eacute;oriques et m&eacute;thodologiques, les contributions du pr&eacute;sent volume illustrent diff&eacute;rents mod&egrave;les d&rsquo;enseignement immersif qui t&eacute;moignent de sa variabilit&eacute; en lien avec les contingences g&eacute;ographiques et sociopolitiques&nbsp;: fran&ccedil;ais langue seconde en France et au Qu&eacute;bec (Mendon&ccedil;a Dias &amp; Querrien), immersion en Colombie Britannique (Sabatier &amp; Bullock), immersion r&eacute;ciproque &agrave; Biel-Bienne en Suisse (Jenny &amp; Arcidiacono), enseignement bilingue et ilots immersifs en Suisse (Lauer Freytag, Vuksanović, Steffen). Les nombreux exemples pr&eacute;sents dans la plupart des contributions illustrent d&rsquo;ailleurs diverses disciplines abord&eacute;es &agrave; travers le fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re (math&eacute;matiques, sciences, physique, histoire, g&eacute;ographie, etc.).</p> <p>Nous avons organis&eacute; ce num&eacute;ro des TDFLE en trois parties correspondant &agrave; autant d&rsquo;angles d&rsquo;approche (point de vue m&eacute;thodologique, pratiques interactionnelles et repr&eacute;sentations), tout en &eacute;tant conscients du caract&egrave;re quelque peu arbitraire de ce choix en raison de l&rsquo;approche plurielle de certains articles et des liens tiss&eacute;s par les notions transversales (telles que celles &eacute;voqu&eacute;es ci-dessus). Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, ce num&eacute;ro d&eacute;bute avec une r&eacute;flexion th&eacute;orique et m&eacute;thodologique sur l&rsquo;impact des enseignements de type immersif sur les enseignements de fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re (<i>Un &laquo;&nbsp;choc en retour&nbsp;&raquo; des enseignements en fran&ccedil;ais (EMILE/CLIL) sur les enseignements de fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re (FLE)</i>)&nbsp;: Jean-Claude Beacco y montre comment les enseignements en FLE, qui ne sont certes pas en eux-m&ecirc;mes porteurs d&rsquo;une m&eacute;thodologie sp&eacute;cifique, peuvent n&eacute;anmoins amener &agrave; reconsid&eacute;rer l&rsquo;enseignement du FLE en y r&eacute;introduisant, &agrave; travers les diff&eacute;rents genres li&eacute;s aux disciplines sp&eacute;cifiques, une analyse du discours ouvrant une perspective plurielle, tant cognitive que linguistique, dans le cadre d&rsquo;une approche communicative authentique. La r&eacute;flexion th&eacute;orique sur les points de continuit&eacute; et de rupture entre l&rsquo;enseignement en fran&ccedil;ais et du fran&ccedil;ais ne saurait toutefois s&rsquo;affranchir totalement de leur contexte politique et sociolinguistique. C&rsquo;est ce que d&eacute;montre l&rsquo;article de Catherine Mendon&ccedil;a Dias et de Diane Querrien, qui met en &eacute;vidence les fluctuations notionnelles du &laquo;&nbsp;Fran&ccedil;ais langue seconde&nbsp;&raquo; allant de pair avec ses diff&eacute;rentes mises en oeuvre en France et au Qu&eacute;bec (<i>Apprendre le/en fran&ccedil;ais&nbsp;: quelles r&eacute;ponses didactiques apport&eacute;es aux &eacute;l&egrave;ves allophones en France et au Qu&eacute;bec</i>). Les auteurs observent n&eacute;anmoins de part et d&rsquo;autre des lacunes didactiques li&eacute;es aux disciplines enseign&eacute;es en langue seconde qui invitent &agrave; une collaboration accrue &agrave; travers la francophonie.</p> <p>La deuxi&egrave;me partie de ce num&eacute;ro des TDFLE est orient&eacute;e autour des pratiques effectives de l&rsquo;enseignement du/en fran&ccedil;ais, per&ccedil;ues &agrave; travers les interactions en classe, les entretiens ou les ressources (documents, manuels) et t&acirc;ches mobilis&eacute;es en classe, dans le contexte de diff&eacute;rentes disciplines. Ivana Vuksanović compare ainsi dans son article (<i>Quelle appr&eacute;hension de la relation entre langue et contenu dans l&rsquo;enseignement </i>en <i>L2 et dans l&rsquo;enseignement </i>de <i>L2&nbsp;?</i>) des interactions issues d&rsquo;enseignements de FLE et en FLE donn&eacute;s par une m&ecirc;me enseignante &agrave; une m&ecirc;me classe&nbsp;: en lien avec la m&eacute;thode d&rsquo;enseignement orient&eacute;e vers le contenu employ&eacute;e dans le cours de langue, de nombreux points communs &eacute;mergent, malgr&eacute; les diff&eacute;rences d&rsquo;insertion curriculaire. Emile Jenny et Francesco Arcidiacono &eacute;tudient, &agrave; travers une analyse quantitative et qualitative, l&rsquo;impact d&rsquo;un dispositif d&rsquo;immersion r&eacute;ciproque sur l&rsquo;enseignement des math&eacute;matiques (Biel-Bienne, Suisse), faisant &eacute;merger &agrave; la fois les difficult&eacute;s rencontr&eacute;es et le potentiel de ce type d&rsquo;enseignement (<i>Apprentissage de la L2 et des math&eacute;matiques en tant que DdNL en contexte d&rsquo;immersion r&eacute;ciproque</i>). Enfin, la question des documents utilis&eacute;s et de leur authenticit&eacute; est interrog&eacute;e d&rsquo;un point de vue tant linguistique que disciplinaire (histoire) par Audrey Freytag Lauer (<i>Les documents dans les &icirc;lots immersifs&nbsp;: authenticit&eacute; et authentification</i>)&nbsp;: en comparant des documents historiques utilis&eacute;s en FLE et en classe d&rsquo;histoire lors d&rsquo;ilots immersifs, elle fait apparaitre leur nature et leur r&ocirc;le dans le processus d&rsquo;&eacute;laboration des savoirs.</p> <p>Le troisi&egrave;me point de vue trait&eacute; dans ce volume est celui des repr&eacute;sentations associ&eacute;es aux diff&eacute;rents types d&rsquo;enseignement, v&eacute;hicul&eacute;es par leur mise en pratique et les discours des acteurs p&eacute;dagogiques (enseignants, &eacute;l&egrave;ves, cades &eacute;ducatifs, etc.), &agrave; propos de la place &agrave; attribuer au traitement de la forme linguistique, au contenu (disciplinaire), ainsi qu&rsquo;aux diff&eacute;rentes langues (mode bilingue ou monolingue). C&eacute;cile Sabatier et Shawn Michael Bullock se penchent ainsi sur un programme d&rsquo;enseignement immersif des sciences au Canada pour en d&eacute;gager les repr&eacute;sentations sous-jacentes li&eacute;es notamment &agrave; l&rsquo;int&eacute;gration des savoirs langagiers et disciplinaires et les tensions qui y sont parfois associ&eacute;es (<i>Enseigner les sciences en fran&ccedil;ais langue seconde&nbsp;: Examen d&rsquo;un programme d&rsquo;&eacute;tude au Canada</i>). Dans le contexte de la Suisse allemande, Gabriela Steffen interroge quant &agrave; elle les repr&eacute;sentations d&rsquo;enseignants &agrave; partir d&rsquo;entretiens semi-directifs qu&rsquo;elle met en relation avec des pratiques recueillies lors d&rsquo;observations film&eacute;es (<i>L&rsquo;enseignement bilingue au croisement de diff&eacute;rentes approches didactiques&nbsp;: perspectives des enseignants</i>). Son analyse met en &eacute;vidence l&rsquo;existence d&rsquo;approches plus ou moins monolingues ou plurilingues tant dans l&rsquo;enseignement de L2 que dans celui de disciplines non linguistiques.</p> <p>Ce num&eacute;ro, par l&rsquo;apport de terrains diversifi&eacute;s et de m&eacute;thodes vari&eacute;es, devrait ainsi permettre d&rsquo;&eacute;clairer des discussions tr&egrave;s actuelles en didactique des langues et du plurilinguisme. Il devrait, en particulier, contribuer &agrave; une meilleure compr&eacute;hension du champ couvert par la perspective actionnelle. Les notions d&rsquo;authenticit&eacute;, de t&acirc;che, de genre de discours, de contenu et de savoir entrent de mani&egrave;re centrale dans cette compr&eacute;hension et trouvent ici une mise en d&eacute;bat soutenue par des &eacute;tudes empiriques.</p> <p>&nbsp;</p> <p><b>R&eacute;f&eacute;rences bibliographiques</b></p> <p>Cenoz, J. (2015). Content-based instruction and content and language integrated learning&nbsp;: the same or different? <i>Language, Culture and Curriculum</i> <i>28/1</i>, 8-24.</p> <p>Gajo, L. (2009). De la DNL &agrave; la DdNL : principes de classe et formation des enseignants. <i>Les Langues modernes </i>4/2009, 15-24.</p> <p>Met, M. (1998). Curriculum decision-making in content-based language teaching. In J. Cenoz &amp; F. Genesee (Eds.), <i>Beyond bilingualism&nbsp;: Multilingualism and multilingual education</i> (pp. 35-63). Clevedon&nbsp;: Multilingual Matters.</p> <p>Nunan, D. (2004). <i>Task-based Language Teaching and Learning. A comprehensively Revised Edition of Designing Tasks for the Communicative Language Classroom. </i>Cambridge: Cambridge University Press.</p> <p>Puren, C. (2006) <i>De l&rsquo;approche communicative &agrave; la perspective actionnelle. </i>In <i>Le fran&ccedil;ais dans le monde </i>347, 37-40.</p>