<h1>&nbsp;</h1> <p>Ce num&eacute;ro hors-s&eacute;rie de la revue <em>Travaux de Didactique du FLE </em>est issu des journ&eacute;es d&rsquo;&eacute;tude &laquo;&nbsp;Cr&eacute;ativit&eacute; et enseignement/apprentissage des langues&nbsp;&raquo; qui se sont tenues &agrave; Besan&ccedil;on les 24 et 25 novembre 2016. Ces journ&eacute;es r&eacute;unissaient des enseignants-chercheurs, des enseignants de Fran&ccedil;ais Langue Etrang&egrave;re et des &eacute;tudiants du Master Didactique du FLE de l&rsquo;Universit&eacute; de Franche-Comt&eacute;. La notion de cr&eacute;ativit&eacute; rencontre un certain succ&egrave;s dans le domaine de l&rsquo;enseignement/apprentissage des langues notamment aupr&egrave;s des &eacute;tudiants comme en t&eacute;moignent les nombreux m&eacute;moires qui portent sur la pratique th&eacute;&acirc;trale, la photographie, le cin&eacute;ma, le jeu dans l&rsquo;enseignement/apprentissage du FLE. Or, ces travaux rendent n&eacute;cessaire une d&eacute;finition de la cr&eacute;ativit&eacute; qui soit op&eacute;rante pour la conception, la r&eacute;alisation et l&rsquo;analyse de pratiques de classe. Afin d&rsquo;encadrer les recherches en didactique des langues et d&rsquo;&eacute;tayer les pratiques de classes dites cr&eacute;atives, il nous semblait n&eacute;cessaire de proposer une d&eacute;finition de la cr&eacute;ativit&eacute; fortement ancr&eacute;e dans les Sciences du langage et accessible aux jeunes chercheurs.</p> <p>Interroger la notion de cr&eacute;ativit&eacute; depuis les Sciences du langage suppose de l&rsquo;approcher comme une position du sujet dans le langage vis-&agrave;-vis de ce qui lui est transmis, de ce qui est commun dans le langage. Quelle est la part dans l&rsquo;exercice de la parole qui revient au sujet pour r&eacute;inventer le mat&eacute;riau langagier dont il h&eacute;rite&nbsp;? En effet, chaque sujet parlant est appel&eacute; &agrave; construire une place singuli&egrave;re &agrave; la fois dans sa langue maternelle mais aussi dans toute langue &eacute;trang&egrave;re qu&rsquo;il s&rsquo;approprie. Ainsi faut-il d&rsquo;abord d&eacute;finir ce que nous pouvons entendre par ce qui est commun dans le langage, &agrave; savoir la langue en tant que syst&egrave;me symbolique mais aussi en tant que m&eacute;moire discursive, pour pouvoir se saisir de ce qui s&rsquo;invente comme parole singuli&egrave;re. D&egrave;s lors, la cr&eacute;ativit&eacute; pourra-t-elle s&rsquo;envisager au sens de Benveniste comme la marque pour un sujet de sa subjectivation &laquo;&nbsp;dans et par le langage&nbsp;&raquo;.</p> <p>Les trois premi&egrave;res contributions s&rsquo;ancrent dans les Sciences du langage et en interrogent les trois grandes figures que sont Humboldt, Saussure et Benveniste. Ces trois penseurs ont en commun d&rsquo;avoir d&eacute;gag&eacute; de l&rsquo;&eacute;tude de la diversit&eacute; des langues une th&eacute;orie du langage qui envisage la cr&eacute;ativit&eacute; comme inh&eacute;rente &agrave; l&rsquo;exercice-m&ecirc;me de la parole. Dans l&rsquo;article &laquo;&nbsp;Bildung. Cr&eacute;ation, formation et visions du monde chez Wilhelm von Humboldt&nbsp;&raquo;, Katja Ploog rappelle que, selon Humboldt, le vocabulaire d&rsquo;une langue repr&eacute;sente le monde, ses structures sa mani&egrave;re de penser. Toute parole &eacute;pouse ainsi la cat&eacute;gorisation du r&eacute;el offerte par le mot mais le soumet &agrave; une <em>re-cr&eacute;ation</em>. Du fait de la d&eacute;pendance de la pens&eacute;e et du mot, les langues sont les moyens non pas de pr&eacute;senter une v&eacute;rit&eacute; d&eacute;j&agrave; connue mais de d&eacute;couvrir une v&eacute;rit&eacute; auparavant inconnue. A partir de cette d&eacute;finition du langage, Katja Ploog envisage les enjeux de l&rsquo;appropriation d&rsquo;une langue &eacute;trang&egrave;re et de la traduction. L&rsquo;on n&rsquo;apprend pas une langue, mais on apprend &agrave; la cr&eacute;er. De m&ecirc;me, la traduction implique une r&eacute;flexivit&eacute; particuli&egrave;rement fertile pour d&eacute;gager la vision du monde que porte une langue et pour enrichir son propre regard.</p> <p>A l&rsquo;image d&rsquo;Humboldt, Benveniste, qui s&rsquo;&eacute;tait sp&eacute;cialis&eacute; dans l&rsquo;&eacute;tude des langues et cultures indo-europ&eacute;ennes anciennes, part de l&rsquo;&eacute;tude de diversit&eacute; des langues pour en tirer les principes d&rsquo;une linguistique g&eacute;n&eacute;rale o&ugrave; il d&eacute;finit l&rsquo;&eacute;nonciation comme l&rsquo;appropriation individuelle du syst&egrave;me formel de la langue. Ainsi, dans l&rsquo;article &laquo;&nbsp;Emile Benveniste&nbsp;: &laquo;&nbsp;Or, comment produit-on la langue ? On ne reproduit rien.&nbsp;&raquo;, Chlo&eacute; Laplantine revient sur l&rsquo;id&eacute;e que le langage n&rsquo;est pas un miroir du r&eacute;el mais une <em>r&eacute;invention</em>. La diversit&eacute; des langues r&eacute;v&egrave;le que les sujets n&rsquo;ont pas un rapport imm&eacute;diat au r&eacute;el, mais un rapport construit par les cat&eacute;gorisations propres &agrave; chaque langue. A partir de Benveniste, il est possible de rep&eacute;rer la r&eacute;invention qu&rsquo;op&egrave;re toute parole non pas comme une r&eacute;-organisation d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments signifiants dans de nouveaux &eacute;nonc&eacute;s (position de Chomsky) mais comme situ&eacute;e dans l&rsquo;&eacute;nonciation-m&ecirc;me. Pour ce faire, il mobilise les concepts d&rsquo;<em>historicit&eacute;</em> du discours, de <em>subjectivit&eacute;</em>, de <em>facult&eacute; m&eacute;talinguistique&nbsp;</em>et de <em>r&eacute;-interpr&eacute;tation</em>. Ainsi, pour Benveniste, la cr&eacute;ativit&eacute; n&rsquo;est pas le propre du registre po&eacute;tique mais est au fondement de la parole ordinaire o&ugrave; le langage n&rsquo;est pas un simple instrument mais bien le lieu o&ugrave; se constitue le sujet.&nbsp;</p> <p>Toujours dans la perspective d&rsquo;articuler langue commune et cr&eacute;ativit&eacute;, Rose-Marie Volle, dans l&rsquo;article &laquo;&nbsp;Cr&eacute;ativit&eacute; d&rsquo;une langue &agrave; l&rsquo;autre&nbsp;: m&eacute;moire des mots et &eacute;nonciation singuli&egrave;re&nbsp;&raquo; aborde la notion de cr&eacute;ativit&eacute; &agrave; partir de celle d&rsquo;&eacute;nonciation singuli&egrave;re. Il s&rsquo;agit de la possibilit&eacute; de faire &laquo;&nbsp;des mots &agrave; soi&nbsp;&raquo; &agrave; partir d&rsquo;une langue appr&eacute;hend&eacute;e comme syst&egrave;me symbolique et comme m&eacute;moire discursive. Cette possibilit&eacute; tient au fonctionnement m&ecirc;me de la langue qui, selon Saussure, constitue un ensemble de contraintes qui d&eacute;finit toutefois un espace laiss&eacute; vacant o&ugrave; la parole peut se d&eacute;ployer. Rose-Marie Volle mobilise ensuite Bakhtine, Benveniste et Authier-Revuz pour penser la cr&eacute;ativit&eacute; comme une parole in&eacute;dite marquant un degr&eacute; d&rsquo;ind&eacute;pendance vis-&agrave;-vis de la langue commune et de la m&eacute;moire des mots. Ce faisant, la cr&eacute;ativit&eacute; suppose de s&rsquo;affronter &agrave; la <em>n&eacute;gativit&eacute;</em> qui est au c&oelig;ur du fonctionnement langagier et que le fait de parler a tendance &agrave; masquer.</p> <p>Les trois derni&egrave;res contributions se concentrent sur les perspectives didactiques de la notion de cr&eacute;ativit&eacute; que les auteurs ont en commun d&rsquo;articuler, chacun &agrave; leur mani&egrave;re, &agrave; celles de voix. Nous ne parlons jamais qu&rsquo;&agrave; partir des mots transmis par d&rsquo;autres, la notion de voix renvoyant alors &agrave; l&rsquo;<em>h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; constitutive</em> de la parole. Quelle est la port&eacute;e de la notion de voix&nbsp;dans la perspective d&rsquo;une didactique des langues ?&nbsp; Patrick Anderson, dans l&rsquo;article &laquo;&nbsp;Sortir du grillage et redonner place &agrave; l&rsquo;inconnu sera une fa&ccedil;on d&rsquo;entendre cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;&raquo; revient sur les conditions contemporaines de la transmission des langues et du savoir. Il rep&egrave;re une r&eacute;duction de la transmission &agrave; un transfert d&rsquo;informations&nbsp;qui a pour caract&eacute;ristique d&rsquo;&eacute;radiquer l&rsquo;inconnu en tant que valeur de base des connaissances. Il rappelle que le langage est d&rsquo;abord la capacit&eacute; &agrave; repr&eacute;senter par des signes des choses absentes. Apr&egrave;s &ecirc;tre revenu sur la diff&eacute;rence entre praxis et poesis&nbsp;qui oppose deux d&eacute;finitions du faire, il propose d&rsquo;entendre la parole dans sa dimension d&rsquo;&eacute;vocation et explore les enjeux en didactique des notions de <em>voix</em>, de <em>corps</em> et de <em>contraintes</em>. Il aboutit &agrave; une d&eacute;finition de la cr&eacute;ativit&eacute; comme relation &agrave; l&rsquo;inconnu qui permet de porter un regard toujours neuf sur les choses.</p> <p>Voix et relation sont les deux notions qui traversent tous les travaux de Serge Martin. A partir d&rsquo;un roman de Dany Laferri&egrave;re, <em>L&rsquo;&eacute;nigme du retour</em>, qui &eacute;voque et r&eacute;pond au <em>Cahier d&rsquo;un retour au pays natal </em>d&rsquo;Aim&eacute; C&eacute;saire, il propose dans l&rsquo;article &laquo;&nbsp;Inventer des ré-énonciations : passages de voix continuées en enseignement/apprentissage des littératures&nbsp;&raquo; une d&eacute;finition de la cr&eacute;ativit&eacute; comme r&eacute;-&eacute;nonciation. Ainsi, &agrave; la notion d&rsquo;interculturalit&eacute;, il pr&eacute;f&egrave;re celle de <em>passage de voix</em> qu&rsquo;il lie &agrave; celle de<em> racontage</em>. Une &oelig;uvre appelle des r&eacute;-&eacute;nonciations et permet &agrave; son lecteur de d&eacute;couvrir des possibilit&eacute;s de parole qu&rsquo;il ne se connaissait pas. De m&ecirc;me, apprendre une langue &eacute;trang&egrave;re, c&rsquo;est partir de voix nouvelles pour s&rsquo;inventer un sujet qu&rsquo;on ne se connaissait pas.</p> <p class="Standard" style="text-align:justify; margin-bottom:11px">Enfin, dans l&rsquo;article &laquo; Atelier de th&eacute;&acirc;tre francophone autour de Jean-Luc Lagarce :&nbsp; entrem&ecirc;ler les voix&nbsp;&raquo;, Jonathan Durandin et Rose-Marie Volle analysent l&rsquo;adaptation de la pi&egrave;ce de Jean-Luc Lagarce <em>Les R&egrave;gles du savoir-vivre dans la soci&eacute;t&eacute; moderne</em> avec des &eacute;tudiantes-com&eacute;diennes dont la langue maternelle est le letton. L&rsquo;analyse suppose de mettre en parall&egrave;le la relation de l&rsquo;&eacute;crivain &agrave; l&rsquo;&eacute;criture et celle du sujet qui passe d&rsquo;une langue &agrave; l&rsquo;autre. Comment la singularit&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture de Lagarce va-t-elle jouer dans la possibilit&eacute; pour les &eacute;tudiantes lettones de s&rsquo;approprier ces mots venus d&rsquo;ailleurs ? L&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, au sens de l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; constitutive de la parole, est fondamentalement &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans la parole et dans le travail d&rsquo;&eacute;criture qui consistent &agrave; faire des &laquo;&nbsp;mots &agrave; soi&nbsp;&raquo; &agrave; partir des &laquo;&nbsp;mots d&rsquo;autrui&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est &agrave; partir des voix multiples qui peuplent tout discours que chacun est appel&eacute; &agrave; forger sa propre &eacute;nonciation.</p>