<p><strong>Abstract</strong> :&nbsp;Based on a fieldwork study carried out during a specific module on creativity in the French Language and Literature Department of the University of Athens, this article explores the subjective positioning of teachers undergoing training regarding the teaching of French grammar, as they themselves had learnt it. On the one hand, the perception of grammar is largely influenced by the traditional way of learning rules, while on the other, the need to signify it differently is expressed through a reflexive method offered in the module.&nbsp;</p> <p><strong>Keywords</strong> : grammar teaching, teachers training, french as a foreign language, reflexivity, creativity</p> <p>&nbsp;</p> <p>Si &laquo;&nbsp;la lente &eacute;volution de l&rsquo;enseignement des langues parait avoir le plus profond&eacute;ment marqu&eacute; la question grammaticale&nbsp;&raquo; (Germain et S&eacute;guin, 1998, p. 3), il serait int&eacute;ressant d&rsquo;&eacute;tudier cette &eacute;volution au carrefour de l&rsquo;apprentissage-formation-enseignement, &agrave; savoir au sein des positionnements subjectifs des enseignants apprentis quant &agrave; la notion de grammaire.</p> <p>La formation des enseignants ne saurait &eacute;carter leur part subjective r&eacute;flexive, ni leur exp&eacute;rience de la pratique enseignante. Depuis quelques ann&eacute;es, la r&eacute;flexivit&eacute;, de sources th&eacute;oriques et &eacute;pist&eacute;mologiques vari&eacute;es (Chaubet, Kaddouri et Fischer, 2019), semble &ecirc;tre un concept incontournable quant &agrave; la formation des enseignants (Coen et Leutenegger, 2006). Li&eacute;e &agrave; leur professionnalisation, l&rsquo;enseignant-professionnel est cens&eacute; avoir une &laquo;&nbsp;lucidit&eacute;&nbsp;&raquo; sur sa pratique (Paquay, L., Altet, M., Charlier, E. et Perrenoud, Ph., 2001), &ecirc;tre capable de se situer dans l&rsquo;entre deux de la th&eacute;orie et de la pratique, devenir &laquo;&nbsp;praticien r&eacute;flexif&nbsp;&raquo; en r&eacute;fl&eacute;chissant dans et sur l&rsquo;action (Sch&ouml;n, 1994). Dans le domaine qui nous int&eacute;resse, Galisson et Puren (1999) consid&egrave;rent la r&eacute;flexion sur les proc&eacute;d&eacute;s didactiques, cens&eacute;s favoriser l&rsquo;apprentissage sur le terrain, comme &eacute;tant au c&oelig;ur de la didactique des langues car celle-ci est &laquo;&nbsp;une discipline de description, d&rsquo;analyse et d&rsquo;intervention concernant les relations entre le processus d&rsquo;enseignement et le processus d&rsquo;apprentissage&nbsp;&raquo; (p. 13). Ainsi, l&rsquo;interrogation &laquo; des &eacute;vidences didactiques &raquo; et la r&eacute;flexion sur les choix didactiques sur le terrain pourraient faire partie d&rsquo;un travail de formation qu&rsquo;il faut d&eacute;velopper, tout en amenant les futurs enseignants de langues &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir sur leur propre appropriation des langues, historicis&eacute;e, subjective, singuli&egrave;re (Castellotti, 2017). Favoriser des situations de formation qui permettent aux futurs enseignants de se former pourrait les inspirer pour proposer &agrave; leurs &eacute;l&egrave;ves des situations leur permettant de devenir les auteurs de leurs appropriation (Castellotti, 2017, 312).</p> <p>Se situant, ainsi, dans le cadre d&rsquo;une didactique d&rsquo;appropriation (<a name="_Hlk121219969">Castellotti, 2017</a>) et d&rsquo;une didactique anthropo-logique<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>, notre recherche donne la parole aux enseignants-apprentis qui suivent un module de didactique &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; nationale et capodistrienne d&rsquo;Ath&egrave;nes, pour mettre en lumi&egrave;re leurs r&eacute;flexions sur l&rsquo;enseignement grammatical, une fois que celui-ci est envisag&eacute; &agrave; travers le prisme de pratiques cr&eacute;atives qui cr&eacute;ent un espace symbolique favorisant l&rsquo;expression singuli&egrave;re et la signifiance vari&eacute;e.</p> <p>Nous nous r&eacute;f&eacute;rerons, d&rsquo;abord, &agrave; la probl&eacute;matique et aux choix m&eacute;thodologiques de la recherche pour, ensuite, pr&eacute;senter le module en question sous ces aspects th&eacute;oriques et pratiques. Finalement, nous mentionnerons les constats faits &agrave; partir des paroles des enseignants-apprentis, tout en essayant de les interpr&eacute;ter.</p> <h2>&nbsp;1. Probl&eacute;matique</h2> <p>&nbsp;</p> <p>La probl&eacute;matique de cet article s&rsquo;inspire du&nbsp;module optionnel Pratiques d&rsquo;enseignement du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re, dispens&eacute; au D&eacute;partement de Langue et de Litt&eacute;rature fran&ccedil;aises de l&rsquo;Universit&eacute; d&rsquo;Ath&egrave;nes.</p> <p>Ce module vise &agrave; familiariser les futurs enseignants avec des pratiques qui mettent en &oelig;uvre la cr&eacute;ativit&eacute; des apprenants du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re. Les apprentis sont encourag&eacute;s &agrave; adopter une posture r&eacute;flexive vis-&agrave;-vis de leur propre apprentissage, d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, et de la mise en &oelig;uvre des pratiques cr&eacute;atives, de l&rsquo;autre. Dans un premier temps, les &eacute;tudiants travaillent, en tant qu&rsquo;apprenants, sur des pratiques qui mettent en &oelig;uvre des techniques th&eacute;&acirc;trales, la po&eacute;sie, l&rsquo;&eacute;criture cr&eacute;ative, la photo, le cin&eacute;ma, le dessin&hellip; Dans un deuxi&egrave;me temps, ils r&eacute;fl&eacute;chissent en tant que futurs enseignants sur les pratiques effectu&eacute;es. Autrement dit, il s&rsquo;agit d&rsquo;un cours &agrave; m&ecirc;me de favoriser un retour r&eacute;flexif sur l&rsquo;apprentissage.&nbsp;</p> <p>Ainsi con&ccedil;us, les cours de ce module envisagent la formation des futurs enseignants comme &laquo;&nbsp;un d&eacute;placement de son centre traditionnel de gravit&eacute;, passant d&rsquo;une formation disciplinaire et th&eacute;orique &agrave; une formation davantage p&eacute;dagogique, r&eacute;flexive et pratique&nbsp;&raquo; (<a name="_Hlk117347226">Lessard et Tardif, 1998, p. 287</a>).</p> <p>Si la formation renvoie &agrave; un processus de transformation conjointe des id&eacute;es, savoir-faire et savoir-&ecirc;tre mis en &oelig;uvre dans l&rsquo;enseignement et dans l&rsquo;apprentissage (Galisson et Puren, 1999), quelles sont les incidences des pratiques formatives que ce module propose sur les repr&eacute;sentations des futurs enseignants vis-&agrave;-vis de l&rsquo;enseignement d&rsquo;une langue &eacute;trang&egrave;re&nbsp;? La grammaire qui &laquo;&nbsp;est pour tout enseignant de langue un lieu constant d&rsquo;interrogations&nbsp;&raquo; (Vigner, 2004, p. 8), pourrait &eacute;lucider des id&eacute;es &laquo;&nbsp;en formation&nbsp;&raquo;. Quelles sont, alors, les repr&eacute;sentations des &eacute;tudiants-futurs enseignants vis-&agrave;-vis de l&rsquo;enseignement grammatical, et, plus pr&eacute;cis&eacute;ment, des pratiques grammaticales en classe de langue &eacute;trang&egrave;re, une fois que celles-ci sont envisag&eacute;es &agrave; travers le prisme d&rsquo;une formation davantage pratique et cr&eacute;ative&nbsp;? Comment r&eacute;fl&eacute;chissent-ils &agrave; la relation entre l&rsquo;enseignement grammatical et la cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;?</p> <h2>2. Cadre d&eacute;limitant la m&eacute;thodologie de travail</h2> <p>&nbsp;</p> <p>Notre recherche s&rsquo;est d&eacute;roul&eacute;e tout au long du semestre du printemps 2022. Le corpus &eacute;tait constitu&eacute; d&rsquo;&eacute;nonc&eacute;s d&rsquo;&eacute;tudiants en licence au D&eacute;partement de Langue et Litt&eacute;rature Fran&ccedil;aises de l&rsquo;Universit&eacute; d&rsquo;Ath&egrave;nes, qui avaient choisi le module optionnel Pratiques d&rsquo;enseignement du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re, dispens&eacute; par nous-m&ecirc;me, selon les principes d&eacute;finis par Marina Vihou, professeure au D&eacute;partement.</p> <p>La m&eacute;thodologie de notre travail est inscrite dans le cadre d&rsquo;une anthropologie du langage. Il s&rsquo;agit, effectivement, de privil&eacute;gier la parole des sujets, ce que disent les sujets d&rsquo;eux-m&ecirc;mes, de leur trajectoire d&rsquo;existence, de leurs langues, des relations &agrave; leurs langues, de leurs identifications, de leurs noms, de comment ils saisissent la r&eacute;alit&eacute;, autrement dit, de leurs positions subjectives<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a>.</p> <p>Dans l&rsquo;objectif de relever les positions subjectives de nos &eacute;tudiants nous avons eu recours &agrave; deux proc&eacute;d&eacute;s&nbsp;: le groupe de discussion et une production &eacute;crite selon une consigne pr&eacute;cise.</p> <p>Concernant le premier proc&eacute;d&eacute;, le groupe de nos interlocuteurs se composait de 15 &eacute;tudiants et s&rsquo;est d&eacute;roul&eacute; &agrave; la fin du semestre du printemps 2022, lors de notre dernier cours. Pour l&rsquo;analyse de donn&eacute;es, nous avons eu recours &agrave; l&rsquo;analyse de contenu.</p> <p>Quant &agrave; la production &eacute;crite, nous avons propos&eacute; aux &eacute;tudiants d&rsquo;imaginer et d&rsquo;&eacute;crire un dialogue entre la &laquo;&nbsp;Grammaire&nbsp;&raquo; et la &laquo;&nbsp;Cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;&raquo;. Cette consigne &eacute;tait suffisamment claire pour encadrer les r&eacute;ponses et suffisamment ouverte pour lib&eacute;rer la parole des &eacute;tudiants sans insinuer aucun rapport pr&eacute;alable entre les deux notions-protagonistes du dialogue, l&rsquo;objectif &eacute;tant d&rsquo;amener les &eacute;tudiants &agrave; parler de ce qu&rsquo;ils pensent du rapport entre la notion de grammaire et celle de cr&eacute;ativit&eacute;.</p> <h2>3. Le module Pratiques d&rsquo;enseignement du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re&nbsp;: Des sujets-parlants en qu&ecirc;te d&rsquo;un signifi&eacute; autre</h2> <p>&nbsp;</p> <p>Le module Pratiques d&rsquo;enseignement du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re favorise une d&eacute;marche de r&eacute;flexion, faite de la part de futurs enseignants du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re &agrave; partir de leur rencontre avec la langue envisag&eacute;e sous de multiples volets&nbsp;(Menouti, 2021) : la logosph&egrave;re de leur discipline telle qu&rsquo;elle est &eacute;voqu&eacute;e dans les recherches dans le domaine et dans les instructions officielles qui les r&eacute;clament&nbsp;; la langue, en tant qu&rsquo;objet &eacute;pist&eacute;mique cens&eacute; &ecirc;tre enseign&eacute; selon diff&eacute;rentes modalit&eacute;s et pratiques,&nbsp;et la langue &eacute;trang&egrave;re envisag&eacute;e en tant qu&rsquo;espace &agrave; m&ecirc;me d&rsquo;&ecirc;tre &laquo;&nbsp;habit&eacute;&nbsp;&raquo; (Volle, 2019, p. 11) par la parole subjective des apprenants, espace cens&eacute; faire &eacute;merger les paroles d&rsquo;&eacute;l&egrave;ves en situation d&rsquo;apprentissage&nbsp;; la langue en tant qu&rsquo;objet d&rsquo;apprentissage, le leur ou celui de leurs futurs apprenants.</p> <p>Les pratiques formatives inspir&eacute;es de cette optique sont con&ccedil;ues pour pr&eacute;parer les futurs enseignants &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir sur leur rapport &agrave; cette logosph&egrave;re pluridimensionnelle et sur les enjeux de la rencontre entre des &laquo;&nbsp;langues&nbsp;&raquo; plurielles, vari&eacute;es.</p> <p>A cette fin, lors des cours, les &eacute;tudiants ont un double statut&nbsp;:&nbsp;celui d&rsquo;enseignant et d&rsquo;apprenant. Cela dit, durant une grande partie du cours, ils s&rsquo;impliquant dans les pratiques propos&eacute;es pour, ensuite, en faire le bilan, th&eacute;oriser, en discuter en tant qu&rsquo;enseignants ou futurs enseignants. Ces deux postures sont cens&eacute;es leur permettre de se situer en tant que sujets de r&eacute;flexion &agrave; partir de la rencontre avec le discours th&eacute;orique, les enjeux du terrain mais aussi avec leur propre trajectoire d&rsquo;apprentissage, leur histoire d&rsquo;apprenants. Il favorise, ainsi, une d&eacute;marche d&rsquo;historicit&eacute; et d&rsquo;appropriation telle qu&rsquo;elle est propos&eacute;e par <a name="_Hlk121944644">Castellotti (2017), </a>c&rsquo;est-&agrave;-dire en tant que d&eacute;marche pour &laquo;&nbsp;r&eacute;-personnaliser les connaissances&nbsp;&raquo;, en tant qu&rsquo;&laquo;&nbsp;engagement de la personne dans son entier&nbsp;&raquo; (<a name="_Hlk117435468">Castellotti, 2017</a>, p. 315), de sa part rationnelle mais aussi affective et historique.</p> <p>Le cours envisage l&rsquo;apprenant et les futurs enseignants, en tant que sujets parlants et la langue &eacute;trang&egrave;re comme un espace symbolique qui peut &ecirc;tre &laquo;&nbsp;habit&eacute;&nbsp;&raquo; par leur d&eacute;sir de dire et de se dire, espace qui leur permet d&rsquo;exprimer leur identit&eacute;.</p> <p>La notion d&rsquo;identit&eacute; du sujet parlant est, ici, vue sous ces trois dimensions fondamentales (Poch&eacute;, 1996), &agrave; savoir la langue, -&laquo; en parlant d&rsquo;un &eacute;v&eacute;nement de sa vie, en racontant, le sujet structure son identit&eacute; personnelle et fabrique du sens &raquo; (op. cit., 67) -, la temporalit&eacute; -&laquo; dans son dire, il fait advenir fr&eacute;quemment le pass&eacute;, sans que, au demeurant, cela soit n&eacute;cessairement explicite &raquo; (op. cit., 231) et l&rsquo;inconscient -&laquo; il n&rsquo;est plus possible de penser un sujet transparent &agrave; lui-m&ecirc;me &raquo; (ibid.).</p> <p>La cr&eacute;ativit&eacute; est &agrave; voir comme un chemin qui pourrait mener &agrave; cet espace symbolique d&rsquo;expression de l&rsquo;identit&eacute;. &nbsp;</p> <h3>3.1. La cr&eacute;ativit&eacute; et l&rsquo;&eacute;cart</h3> <p>Nous envisageons la cr&eacute;ativit&eacute; en tant que d&eacute;marche du sujet apprenant une L2 pour se mettre en rapport subjectif avec les mots, avec cette langue dans sa double dimension de syst&egrave;me symbolique et de m&eacute;moire discursive (Volle, 2019), non pas pour produire des &eacute;nonc&eacute;s mais pour favoriser son &eacute;nonciation.</p> <p>Du point de vue psychanalytique, l&rsquo;&eacute;nonciation, &agrave; la diff&eacute;rence de l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; qui est le texte, est l&rsquo;engendrement du texte o&ugrave; se trahit le sujet (Lebrun, 2009, p. 227). C&rsquo;est un discours qui r&eacute;v&egrave;le la faille et qui s&rsquo;oppose au discours sans faille, au discours scientifique, pr&eacute;&eacute;tabli qui ne trouble pas et qui cache un sujet toujours dans l&rsquo;incertitude de son &ecirc;tre (Lebrun, 2009). Un sujet divis&eacute; entre les mots et les choses, pour qui &laquo;&nbsp;c&rsquo;est &ccedil;a en m&ecirc;me temps que c&rsquo;est pas &ccedil;a&nbsp;&raquo; (Lebrun, 2009, p. 227).</p> <p>Ainsi vue, la cr&eacute;ativit&eacute; se rapporte &agrave; cette aire interm&eacute;diaire d&rsquo;exp&eacute;rience dont parle Winnicott (1971), &laquo;&nbsp;&agrave; laquelle contribuent simultan&eacute;ment la r&eacute;alit&eacute; int&eacute;rieure et la vie ext&eacute;rieure&nbsp;&raquo; (p. 9), cette aire que l&rsquo;enfant atteint par le jeu et l&rsquo;artiste par sa cr&eacute;ation artistique. Vivre cr&eacute;ativement, selon Winnicott, n&rsquo;exige donc aucun talent particulier (Ribas, 2011, p. 29), car c&rsquo;est la capacit&eacute; de cr&eacute;er le monde en combinant le plaisir, la subjectivit&eacute; avec la r&eacute;alit&eacute;, le d&eacute;j&agrave; existant. Pour un apprenant d&rsquo;une L2 le d&eacute;j&agrave; existant c&rsquo;est la L2, avec sa mat&eacute;rialit&eacute; phon&eacute;tique, son syst&egrave;me morphosyntaxique, sa m&eacute;moire discursive.</p> <p>Pour bien des chercheurs en didactique des langues, on ne saurait &eacute;vincer la r&eacute;alit&eacute; int&eacute;rieure de l&rsquo;apprenant, car l&rsquo;appropriation d&rsquo;une L2 passe par l&rsquo;implication subjective&nbsp;: &laquo;&nbsp;pour que l&rsquo;appropriation puisse se r&eacute;aliser il faut qu&rsquo;une place soit r&eacute;serv&eacute;e au sujet dans la langue autre afin qu&rsquo;il puisse parler la langue &agrave; partir d&rsquo;une position d&rsquo;inclusion de son &ecirc;tre m&ecirc;me de locuteur et non rester comme &eacute;tranger &agrave; cette langue&nbsp;&raquo; (<a name="_Hlk121675246">Anderson, 2015</a>, p. 132). Dans la m&ecirc;me lign&eacute;e, Castellotti (2017) dit que contrairement &agrave; tout ce qui est pr&eacute;tendu, ce n&rsquo;est pas un rapport objectivisant et &ldquo;&eacute;pist&eacute;mique&rdquo; au savoir qui permet son appropriation, mais bien la personnalisation qui facilite son incorporation.</p> <p>La cr&eacute;ativit&eacute;, en tant que chemin qui m&egrave;ne &agrave; l&rsquo;&eacute;nonciation, favorisant la richesse des productions verbales, la flexibilit&eacute; imaginative des &eacute;nonc&eacute;s, l&rsquo;originalit&eacute;, l&rsquo;aptitude &agrave; dissocier des &eacute;l&eacute;ments joints, ainsi que l&rsquo;aptitude &agrave; associer des &eacute;l&eacute;ments s&eacute;par&eacute;s, en vue de cr&eacute;er de nouvelles symboliques, de nouveaux langages (Debyser, 1978, p. 119), implique l&rsquo;apprenant dans l&rsquo;acte d&rsquo;apprendre en tant que sujet parlant et semble prioriser l&rsquo;appropriation.</p> <p>La cr&eacute;ativit&eacute; pourrait aider, en cons&eacute;quence, le sujet parlant &agrave; fabriquer du sens en s&rsquo;appuyant sur sa singularit&eacute; et son originalit&eacute;, qui le constituent en tant que porteur d&rsquo;une histoire et de d&eacute;sirs plus ou moins transparents.&nbsp;</p> <p>Les pratiques qui valorisent le recours &agrave; l&rsquo;art (th&eacute;&acirc;tre, cin&eacute;ma, photo, po&eacute;sie, &eacute;criture cr&eacute;ative&hellip;) et qui sont &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans ce module, pourraient mobiliser la cr&eacute;ativit&eacute; des apprenants-&eacute;tudiants. Car elles valorisent l&rsquo;&eacute;cart.</p> <p>La notion d&rsquo;&eacute;cart, mobilis&eacute;e par diverses sciences humaines, telles que la psychanalyse et la philosophie, est, ici, &agrave; consid&eacute;rer, dans le cadre propos&eacute; par la po&eacute;tique, &agrave; savoir se r&eacute;f&eacute;rant &agrave; la diff&eacute;rence entre deux signifi&eacute;s qui permet la connotation du po&egrave;te (Cohen, 1966). Cohen y voit une &eacute;tape pr&eacute;alable &agrave; la m&eacute;taphore, figure qui vient &laquo;&nbsp;r&eacute;duire l&rsquo;&eacute;cart cr&eacute;e par l&rsquo;impertinence&nbsp;&raquo; (1996, p. 108). C&rsquo;est l&rsquo;&eacute;cart linguistique, formel, <a name="_Hlk121693637">une d&eacute;notation inattendue, une expression insolite</a>, &laquo;&nbsp;des &eacute;nonc&eacute;s novateurs, qui &eacute;chappent au code usuel&nbsp;&raquo; (Cohen, 1996, p. 111), qui permettent la &laquo;&nbsp;r&eacute;f&eacute;rence, c&rsquo;est-&agrave;-dire le corr&eacute;latif subjectif de l&rsquo;objet, le ph&eacute;nom&egrave;ne mental &agrave; travers lequel il est appr&eacute;hend&eacute;&nbsp;&raquo; (Cohen, 1996, p. 192). Autrement dit, l&rsquo;&eacute;cart permet la cr&eacute;ation d&rsquo; &laquo;&nbsp;un mode subjectif d&rsquo;appr&eacute;hension de l&rsquo;objet&nbsp;&raquo; (Cohen, 1996, p. 193).</p> <p>Certes, on ne peut attendre ni des apprenants auxquels les pratiques du module sont destin&eacute;es, ni des &eacute;tudiants qui en font l&rsquo;&eacute;preuve, d&rsquo;acqu&eacute;rir des strat&eacute;gies po&eacute;tiques. Cela n&rsquo;aurait pas &eacute;t&eacute;, d&rsquo;ailleurs, son objectif. L&rsquo;objectif des cours du module est, entre autres, de sensibiliser ces derniers &agrave; la po&eacute;tique linguistique et artistique qui permet &agrave; la subjectivit&eacute; de se d&eacute;ployer. Les amener &agrave; comprendre que les pratiques artistiques pourraient cr&eacute;er un espace qui abrite la parole subjective. En d&rsquo;autres termes, la m&eacute;taphore invent&eacute;e par le po&egrave;te, le cin&eacute;aste ou le photographe, pourrait les sensibiliser &agrave; la possibilit&eacute; de dire les choses autrement et d&rsquo;y t&acirc;ter leur voix singuli&egrave;re, voire m&ecirc;me, insolite.</p> <p>Ainsi, nous envisageons la cr&eacute;ativit&eacute; en tant que li&eacute;e &agrave; cet &eacute;cart. La cr&eacute;ativit&eacute;, en tant qu&rsquo;appropriation personnelle et singuli&egrave;re du d&eacute;j&agrave; existant, en tant qu&rsquo;inscription subjective dans la langue, permettant l&rsquo;&eacute;nonciation, pourrait &eacute;merger dans la faille du sens et de ce qui est d&eacute;j&agrave; &eacute;tabli.</p> <p>Sous cet angle, au sein du module, l&rsquo;enseignement grammatical propose d&rsquo;&eacute;tablir un dialogue entre la langue vue en tant que syst&egrave;me -les r&egrave;gles d&rsquo;usage <a name="_Hlk116245146">(Germain et S&eacute;guin, 1998) - </a>et les r&egrave;gles convenables &agrave; la situation de communication -les r&egrave;gles d&rsquo;emploi (Germain et S&eacute;guin, 1998) -, d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, et la parole singuli&egrave;re, inventive, insolite et subjective des apprenants, de l&rsquo;autre. Ce dialogue pourrait &ecirc;tre sem&eacute; sur un sol favorisant l&rsquo;errance du sens, la r&eacute;f&eacute;rence (Cohen, 1966, p. 192) et les significations nouvelles (Audet, 1978, p. 466), un espace qui peut &ecirc;tre habit&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;cart.</p> <p>Comment les enseignants-apprentis se situent-ils en tant que sujets entre l&rsquo;impr&eacute;vu de toute &eacute;nonciation, contenu dans l&rsquo;usage m&eacute;taphorique et m&eacute;tonymique (Anderson, 2015) et les &eacute;nonc&eacute;s grammaticaux, solides, provenant d&rsquo;un enseignement grammatical soutenu et classique&nbsp;?</p> <h3>3.2. Quelques pratiques propos&eacute;es</h3> <p>Il est &agrave; noter que, lors des cours qui ont eu lieu durant l&rsquo;ann&eacute;e acad&eacute;mique 2022-2023, la notion de cr&eacute;ativit&eacute; &eacute;tait pr&eacute;sent&eacute;e dans et par les pratiques propos&eacute;es pour ensuite &ecirc;tre trait&eacute;e de mani&egrave;re critique lors des discussions qui suivaient ces pratiques. Des aspects th&eacute;oriques venaient illustrer les propos de l&rsquo;enseignante et interroger l&rsquo;exp&eacute;rience des &eacute;tudiants. Autrement dit, le v&eacute;cu &eacute;tait au premier plan.</p> <h4>3.2.1. Une structure qui s&rsquo;ouvre &agrave; l&rsquo;&eacute;cart</h4> <p>Lors d&rsquo;un cours de valorisation du cin&eacute;ma en classe de langue, nous nous sommes servis du court-m&eacute;trage &laquo; Le ballon rouge &raquo;, d&rsquo;Albert Lamorisse, tourn&eacute; en 1956, comme support<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a>. Parmi les pratiques de cette premi&egrave;re &eacute;tape propos&eacute;es aux &eacute;tudiants, il y en avait une selon laquelle ils &eacute;taient cens&eacute;s &eacute;crire, sur un bout de papier qu&rsquo;on collerait sur un ballon gonflable apport&eacute; en classe, ce qu&rsquo;&eacute;tait un ballon rouge pour eux. Selon la consigne, il fallait &eacute;crire quelque chose de &laquo;&nbsp;l&eacute;ger&nbsp;&raquo;, de &laquo;&nbsp;souple&nbsp;&raquo; pour que le ballon puisse l&rsquo;emporter avec lui dans le ciel. Le but &eacute;tait de cr&eacute;er un objet m&eacute;taphoris&eacute;, une m&eacute;taphore ambulante, un objet-r&eacute;f&eacute;rent dont le sens est en errance, objet qui transporterait son signifiant (le mot &laquo;&nbsp;ballon&nbsp;&raquo;) et son signifi&eacute;, lui-m&ecirc;me en &eacute;cart avec le sens commun, partag&eacute; et le r&eacute;f&eacute;rent lui-m&ecirc;me.</p> <p>L&rsquo;objectif linguistique consistait &agrave; faire travailler la tournure&nbsp;: &laquo;&nbsp;Un ballon rouge c&rsquo;est+nom+pronom relatif&nbsp;&raquo;.</p> <p>Parmi les productions des &eacute;tudiants-apprenants mentionnons les suivantes&nbsp;:</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;Un ballon rouge c&rsquo;est un poussin qui dort&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;Un ballon rouge c&rsquo;est la raison pour laquelle je d&eacute;teste le bruit d&rsquo;un ballon mourant&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;Un ballon rouge c&rsquo;est un objet qui me fait penser aux foires de mon enfance&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;Un ballon rouge c&rsquo;est l&rsquo;air qui saigne d&eacute;licatement &raquo;.&nbsp;&nbsp;</p> <h4>3.2.2. Conjuguer les verbes &agrave; l&rsquo;&eacute;cart</h4> <p>Durant le cours sur la valorisation de la photo en classe de langue, &agrave; partir d&rsquo;une photo du photographe fran&ccedil;ais Raymond Depardon<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title="">[4]</a> qui pr&eacute;sente une personne qui fait au revoir de la main &agrave; un bateau qui part du port, nous avons propos&eacute; aux &eacute;tudiants la consigne suivante&nbsp;:</p> <p>&laquo;&nbsp;Inspirez-vous de cette photo pour imaginer un verbe qui n&rsquo;existe pas dans les dictionnaires (ce pourrait &ecirc;tre un mot valise) et qui appartient &agrave; un des trois groupes ou au&hellip; 4e groupe. Ensuite, conjuguez-le (selon les r&egrave;gles que vous allez vous-m&ecirc;me concevoir s&rsquo;il appartient au 4e groupe) et utilisez-le dans deux phrases.&nbsp;&raquo;</p> <p>Parmi les r&eacute;ponses, mentionnons les suivantes&nbsp;:</p> <ul type="disc"> <li>v. se titaniquer (mot valise&nbsp;: le Titanic + se paniquer = avoir peur de se noyer lors d&rsquo;un voyage en bateau/premier groupe/ &laquo;&nbsp;L&#39;oc&eacute;an est agit&eacute;, la houle monte ! J&#39;ai mal au c&oelig;ur ! Mais, quelle horreur ! Du coup, je me titanique !&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Il se titanique dans des d&eacute;tails insignifiants&nbsp;&raquo;),</li> <li>v. &eacute;lefigir (mot valise&nbsp;: &eacute;leftheria -la libert&eacute; en grec-+ fig&eacute; + fuir = fuir quelque chose ou quelqu&rsquo;un dans un instant fig&eacute; afin de s&rsquo;y lib&eacute;rer/2e groupe/ &laquo; En qu&ecirc;te de sa nouvelle vie, il &eacute;lefigit cette terre&nbsp;&raquo;),</li> <li>v. navipartmer (mot valise&nbsp;: navire+partir+mer=voyager en bateau/1er groupe/ &laquo;&nbsp;Les marins navipartment pour des pays lointains accompagn&eacute;s d&rsquo;albatros et de l&rsquo;amour de leur m&egrave;re&nbsp;&raquo;),</li> <li>v. &acirc;meloignour (mot valise : &acirc;me+&eacute;loigner+amour=verbe qui d&eacute;crit l&rsquo;&eacute;loignement et la s&eacute;paration de l&rsquo;&acirc;me du corps par amour/J&rsquo;&acirc;meloignour, tu &acirc;meloign&oelig;r, il/elle &acirc;meloigner, nous &acirc;meloignous, vous &acirc;meloigneve, ils/elles &acirc;meloignour/ &laquo;&nbsp;Quand le bateau part, j&rsquo;&acirc;meloignour du fait que la distance entre nous grandit&nbsp;&raquo;),</li> <li>v. soularger (mot valise&nbsp;: soulager+large=soulager par l&rsquo;ivresse du large/1er groupe/&nbsp;&laquo;&nbsp;Je n&rsquo;en peux plus de cette situation. J&rsquo;ai besoin d&rsquo;&ecirc;tre soularg&eacute;e&nbsp;&raquo;).</li> </ul> <p>Lors des pratiques propos&eacute;es, et, de la m&ecirc;me mani&egrave;re, lors de celles que nous venons de d&eacute;crire, la classe &eacute;tait partag&eacute;e&nbsp;: entre les &eacute;tudiants participants et ceux plus r&eacute;ticents et inhib&eacute;s. Parmi tous les &eacute;tudiants, presque la moiti&eacute; nous rendaient leurs productions et/ou se proposaient de pr&eacute;senter le travail effectu&eacute; au groupe-classe.&nbsp;</p> <p>Il est &agrave; remarquer que toutes les productions rendues se caract&eacute;risaient par leur singularit&eacute; et leur inventivit&eacute;, ce qui pourrait signaler la sensibilisation des &eacute;tudiants &agrave; l&rsquo;&eacute;cart, leur ouverture d&eacute;sinhib&eacute;e aux pratiques cr&eacute;atives.</p> <h2>4. Paroles d&rsquo;apprenants, d&rsquo;&eacute;tudiants, de futurs enseignants</h2> <p>&nbsp;</p> <p>L&rsquo;ouverture &agrave; la cr&eacute;ativit&eacute; des pratiques semble aller &agrave; contresens des souvenirs que les &eacute;tudiants ont de leur trajectoire d&rsquo;apprentissage, ce qui nous a permis de comprendre la discussion avec eux<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title="">[5]</a>, ainsi que le dialogue qu&rsquo;ils ont imagin&eacute; entre la &laquo;&nbsp;grammaire&nbsp;&raquo; et la &laquo;&nbsp;cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;&raquo;.</p> <p>En effet, selon les propos des &eacute;tudiants, le mot &laquo;&nbsp;grammaire&nbsp;&raquo; renvoie &agrave; un enseignement traditionnel&nbsp;; il renvoie aux mots &nbsp;</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;grec ancien&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;r&egrave;gles&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;liste d&rsquo;exercices&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;conjugaison&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;couleur rouge&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;Bescherelle&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;r&eacute;citation&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;par c&oelig;ur&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;fautes de grammaire&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;torturer&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;m&eacute;thodologie traditionnelle&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;copie de r&egrave;gles&nbsp;&raquo;.</p> <p>Tous ces mots ont &eacute;merg&eacute; lors de la discussion, spontan&eacute;ment, en vrac, sans que les &eacute;tudiants prennent le temps de r&eacute;fl&eacute;chir et il y avait beaucoup d&rsquo;&eacute;nonc&eacute;s qui se r&eacute;p&eacute;taient, comme par exemple, les mots &laquo;&nbsp;r&egrave;gles&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;par c&oelig;ur&nbsp;&raquo;.</p> <p>Tous ces &eacute;nonc&eacute;s sont des indices d&rsquo;un pass&eacute; qui est pr&eacute;sent dans les paroles des futurs enseignants. En effet, dans leur trajectoire d&rsquo;apprenant, les &eacute;tudiants ont r&eacute;v&eacute;l&eacute; qu&rsquo;ils n&rsquo;avaient que des souvenirs qui se ressemblent&nbsp;: ils ont tous appris la grammaire</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;de mani&egrave;re traditionnelle&nbsp;&raquo;</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;en apprenant et en r&eacute;citant des r&egrave;gles par c&oelig;ur&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;en conjuguant des verbes au tableau et dans leurs cahiers&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;en faisant beaucoup d&rsquo;exercices&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;en ayant marre de la grammaire&nbsp;&raquo;.</p> <p>Une &eacute;tudiante, plus &acirc;g&eacute;e que les autres, qui enseigne le fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re depuis des ann&eacute;es dans le cadre de cours priv&eacute;s, a eu recours &agrave; une d&eacute;marche critique et r&eacute;flexive, en restituant les cours de grammaire traditionnels dans le contexte scolaire grec&nbsp;:</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;C&rsquo;est comme &ccedil;a le syst&egrave;me grec&nbsp;; si quelqu&rsquo;un nous enseignait la grammaire en ayant recours au ludique ou au cr&eacute;atif on dirait oh l&agrave; l&agrave; qu&rsquo;est-ce qu&rsquo;il raconte !&nbsp;&raquo;</p> <p>Les autres locuteurs se sont joints &agrave; ce point de vue.</p> <p>L&rsquo;enseignement grammatical traditionnel semble incompatible avec la cr&eacute;ativit&eacute;, selon une &eacute;tudiante :</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;Les mots qu&rsquo;on utilise pour la grammaire, les exemples, sont rigides, la cr&eacute;ativit&eacute; c&rsquo;est &eacute;tirer les choses hors de leur substance. Les mots grammaticaux sont vides de sens, les mots grammaticaux n&rsquo;ont pas de suspense.&nbsp;&raquo;</p> <p>Ces propos de l&rsquo;&eacute;tudiante qui, elle aussi, a l&rsquo;exp&eacute;rience de l&rsquo;enseignement du fran&ccedil;ais, rejoignent les propos d&rsquo;autres &eacute;tudiants qui marquent une non co&iuml;ncidence entre l&rsquo;enseignement grammatical et la cr&eacute;ativit&eacute;, telle qu&rsquo;elle &eacute;tait mobilis&eacute;e dans le cadre du module&nbsp;:</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;les exemples et les exercices sont d&eacute;contextualis&eacute;s alors que les pratiques cr&eacute;atives donnent sens &agrave; nos mots&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;on peut commencer par le ludique pour ensuite aller &agrave; la grammaire parce que la grammaire c&rsquo;est une question d&rsquo;attention&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;il faut donner aux apprenants la possibilit&eacute; de parler et d&rsquo;utiliser la langue&nbsp;; avec des pratiques cr&eacute;atives on peut r&eacute;ussir cela, avec l&rsquo;enseignement grammatical, non&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;un enseignant qui travaille avec des &eacute;l&egrave;ves en difficult&eacute; ne peut pas effectuer un travail grammatical rigoureux, il va pr&eacute;f&eacute;rer d&rsquo;autres pratiques&nbsp;&raquo;,&nbsp;</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;avec les exercices cr&eacute;atifs on sort de l&rsquo;espace grammatical&nbsp;&raquo;.</p> <h2>5. Paroles de la &laquo;&nbsp;Grammaire&nbsp;&raquo; et de la &laquo;&nbsp;Cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;&raquo;</h2> <p>&nbsp;</p> <p>Les dialogues r&eacute;dig&eacute;s par les &eacute;tudiants nous ont r&eacute;v&eacute;l&eacute; les repr&eacute;sentations que ceux-ci ont vis-&agrave;-vis de la relation qui se tisse entre la &laquo;&nbsp;grammaire&nbsp;&raquo; et la &laquo;&nbsp;cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;&raquo; en classe de langue et ont, &eacute;galement, &eacute;voqu&eacute; certaines r&eacute;currences.</p> <p>En effet, il est &agrave; remarquer que parmi les 15 dialogues, 14 ont mis au clair, d&rsquo;abord, une relation concurrentielle, voire m&ecirc;me conflictuelle, entre la &laquo;&nbsp;Grammaire&nbsp;&raquo; et la &laquo;&nbsp;Cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;&raquo; qui, au final, se termine par une sorte de synergie volontaire ou involontaire. Tous les dialogues &agrave; l&rsquo;exception d&rsquo;un seul, suivent la m&ecirc;me trame&nbsp;:</p> <p>&middot; mise en relation du conflit &rarr; &eacute;volution du rapport</p> <p>Les &eacute;nonc&eacute;s suivants &eacute;voquent, &agrave; titre indicatif, la premi&egrave;re partie de la trame&nbsp;:</p> <p>&middot; Gr.&nbsp;: Pourquoi tu mets ton nez dans mes affaires&nbsp;?</p> <p>Cr.&nbsp;: Comme &ccedil;a.</p> <p>&middot; Gr.&nbsp;: Tu m&rsquo;&eacute;nerves beaucoup, tu sais&hellip;</p> <p>Cr.&nbsp;: Mon Dieu&hellip; tu parles&nbsp;?</p> <p>&middot; Gr.&nbsp;: Je suis l&agrave; pour t&rsquo;ennuyer.</p> <p>Cr. : Bon on va voir si tu vas r&eacute;ussir.</p> <p>&middot; Cr.&nbsp;: Tu ne me laisses aucune place dans le cours de FLE&nbsp;!</p> <p>Gr.&nbsp;: La cr&eacute;ativit&eacute; n&rsquo;a pas sa place dans un cours de FLE&nbsp;!</p> <p>&middot; Cr.&nbsp;: Laisse-moi partir&nbsp;! Tu ne m&rsquo;entends m&ecirc;me pas&nbsp;!</p> <p>Gr.&nbsp;: Non&nbsp;! Il fait trop froid dehors, tu n&rsquo;as pas ton manteau, tu n&rsquo;as pas d&rsquo;argent&nbsp;!&nbsp; C&rsquo;est pas en r&ecirc;vant comme &ccedil;a que tu pourras vivre&hellip;</p> <p>Concernant le changement du rapport, il pourrait &ecirc;tre r&eacute;alis&eacute; par l&rsquo;intervention de la &laquo;&nbsp;Didactique&nbsp;&raquo; ou des &laquo;&nbsp;Didacticiens&nbsp;&raquo; qui viennent r&eacute;concilier les deux protagonistes&nbsp;:</p> <p>&middot; Cr.&nbsp;: Je pense que c&rsquo;est l&rsquo;heure pour moi de prendre le relais, les didacticiens insistent.</p> <p>&middot; Gr.&nbsp;: Mais qui vous a appris des choses pareilles&nbsp;?</p> <p>Cr.&nbsp;: Madame la Didactique. Elle fr&eacute;quente notre &eacute;cole il n&rsquo;y a pas longtemps.</p> <p>Finalement, dans les productions des &eacute;tudiants, la &laquo;&nbsp;Grammaire&nbsp;&raquo; et la &laquo;&nbsp;Cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;&raquo; se fondront dans une d&eacute;marche d&rsquo;ensemble. Cette transformation est exprim&eacute;e soit par une injonction&hellip;&nbsp;:</p> <p>&middot; Cr.&nbsp;: Je te le r&eacute;p&egrave;te, il faut inclure la cr&eacute;ativit&eacute; dans l&rsquo;apprentissage d&rsquo;une langue &eacute;trang&egrave;re.</p> <p>&middot; Cr.&nbsp;: Tu dois m&rsquo;accepter, vivre avec moi.</p> <p>&hellip; soit par une l&rsquo;expression hypoth&eacute;tique, incluant le conditionnel pr&eacute;sent&nbsp;:</p> <p>&middot; Gr. : Si on devenait une &eacute;quipe, on ferait des miracles.</p> <p>&middot; Cr : Tu n&rsquo;es m&ecirc;me pas heureuse. Avec tes r&egrave;gles et tes exceptions, tes changements d&rsquo;humeur et tes accents. Viens avec moi ; on pourrait t&rsquo;arrondir les angles et tu arr&ecirc;terais de grammairer &agrave; longueur de journ&eacute;e.</p> <p>L&rsquo;analyse de contenu a r&eacute;v&eacute;l&eacute; que les &eacute;tudiants ont beaucoup insist&eacute; sur la description du profil des deux protagonistes par la mobilisation des attributs et la r&eacute;f&eacute;rence &agrave; leurs habitudes et traits de caract&egrave;re.</p> <p>Ainsi la &laquo;&nbsp;Grammaire&nbsp;&raquo;</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;est ennuyeuse&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;est organis&eacute;e&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;est vieille&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;est jalouse&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;est pleine d&rsquo;exceptions&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;avance lentement&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;contr&ocirc;le&nbsp;&raquo;.</p> <p>La &laquo;&nbsp;Cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;&raquo; est</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;folle&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;agr&eacute;able&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;jeune&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;pas scientifique&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;frivole&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;frimeuse&nbsp;&raquo;,</p> <p>&middot; &laquo;&nbsp;r&ecirc;veuse&nbsp;&raquo;.</p> <p>L&rsquo;une est aux antipodes de l&rsquo;autre, les traits caract&eacute;ristiques de chacune sont fix&eacute;s par n&eacute;gation et contradiction vis-&agrave;-vis des traits de l&rsquo;autre.</p> <p>Ce qui a &eacute;t&eacute;, finalement, r&eacute;v&eacute;l&eacute; c&rsquo;&eacute;tait deux autres couples antinomiques : enseignants-apprenants en premier et enseignants-didacticiens en second. Ces couples &eacute;taient cr&eacute;&eacute;s sur la base de la contradiction entre Grammaire et Cr&eacute;ativit&eacute;. Les enseignants sont disciples de la grammaire alors que les didacticiens et les apprenants sont plut&ocirc;t pour la cr&eacute;ativit&eacute; lors de l&rsquo;enseignement grammatical.</p> <p>Le dialogue qui suit r&eacute;sume toutes nos remarques.</p> <p>&middot; Gr&nbsp;: All&ocirc;&nbsp;? Entreprise &laquo;&nbsp;enseignement&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est qui&nbsp;?</p> <p>Cr&nbsp;: Bonjour madame, c&rsquo;est madame Cr&eacute;ativit&eacute;, je suis int&eacute;ress&eacute;e par l&rsquo;offre d&rsquo;emploi que j&rsquo;ai vu sur Internet. C&rsquo;est toujours disponible&nbsp;?</p> <p>Gr&nbsp;: Mais attendez, de quelle offre parlez-vous&nbsp;? Il n&rsquo;y a pas d&rsquo;offre d&rsquo;emploi dans l&rsquo;entreprise &laquo;&nbsp;enseignement&nbsp;&raquo;, je vous assure, je suis la directrice&nbsp;!</p> <p>Cr&nbsp;: Ecoutez, madame, je pense que c&rsquo;est l&rsquo;heure pour moi de prendre le relais, les didacticiens insistent.</p> <p>Gr&nbsp;: Bah &eacute;coutez, moi je suis la base de l&rsquo;enseignement, il n&rsquo;y a pas de place pour vous, les professeurs insistent.</p> <p>Cr&nbsp;: Je vous assure, madame, un jour ce serait moi la directrice. En plus, vous &ecirc;tes assez vieille, souvenez-vous de &ccedil;a&nbsp;!</p> <h2>6. Un &eacute;cart d&rsquo;o&ugrave; &eacute;mergent des tensions</h2> <p>&nbsp;</p> <p>Le travail grammatical, combin&eacute; &agrave; des pratiques cens&eacute;es faire &eacute;merger la parole &laquo;&nbsp;errante&nbsp;&raquo; des &eacute;tudiants consid&eacute;r&eacute;s dans leur identit&eacute; plurielle et singuli&egrave;re, se profile dans les propos comme une exp&eacute;rience d&rsquo;apprentissage grammatical autre, nouvelle, diff&eacute;rente &agrave; bien des &eacute;gards de celle jadis re&ccedil;ue.</p> <p>Or, il apparait que cette diff&eacute;rence tend &agrave; &eacute;voluer difficilement, en favorisant des polarisations.&nbsp;</p> <p>Bien que les &eacute;tudiants participent aux pratiques propos&eacute;es mettant en &oelig;uvre leur subjectivit&eacute;, et bien qu&rsquo;ils paraissent conscients de la possibilit&eacute; de combiner pratiques cr&eacute;atives et enseignement grammatical, ils n&rsquo;&eacute;voquent pas cette possibilit&eacute; lors d&rsquo;un retour r&eacute;flexif. Selon eux, il y a des tensions entre l&rsquo;enseignement grammatical et la mise en &oelig;uvre de la cr&eacute;ativit&eacute; des apprenants, la combinaison semble, plut&ocirc;t, incompatible. La notion de&nbsp; &laquo;&nbsp;praticien r&eacute;flexif&nbsp;&raquo; qui &eacute;voque un enseignant r&eacute;fl&eacute;chissant dans et sur l&rsquo;action (Sch&ouml;n, 1994) est questionn&eacute;e de par l&rsquo;&eacute;tanch&eacute;it&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience des &eacute;tudiants et de leur malaise de s&rsquo;inspirer du v&eacute;cu.</p> <p>De plus, lorsqu&rsquo;ils parlent de l&rsquo;enseignement grammatical, ils utilisent le terme g&eacute;n&eacute;rique &laquo;&nbsp;grammaire&nbsp;&raquo;, qui renvoie &agrave; un signifi&eacute; particulier, celui de l&rsquo;enseignement traditionnel, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de l&rsquo;apprentissage grammatical qu&rsquo;ils ont re&ccedil;u dans leur trajectoire d&rsquo;apprenants ou de l&rsquo;enseignement grammatical dispens&eacute; par leurs enseignants du fran&ccedil;ais ou de l&rsquo;enseignement dont ils parlent en tant que futurs enseignants. La r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la grammaire se fait par r&eacute;miniscence d&rsquo;un pass&eacute; d&rsquo;apprentissage difficile &agrave; vivre, contraignant, ennuyeux, intellectualiste. C&rsquo;est une r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la n&eacute;gativit&eacute; de la grammaire, sans que la terminologie acquise de la didactique et sa mise en rapport avec des nouvelles pratiques soient mobilis&eacute;es pour signifier la notion de grammaire de mani&egrave;re plus affin&eacute;e, r&eacute;flexive et vari&eacute;e, incluant un projet &eacute;volutif.</p> <p>Le rapport qui se tisse entre la grammaire et la cr&eacute;ativit&eacute; est, dans leurs propos, conflictuel et concurrentiel, et chaque notion acquiert des traits d&eacute;finitoires par n&eacute;gation des traits de l&rsquo;autre. Deux p&ocirc;les se cr&eacute;ent entre une pratique &laquo;&nbsp;vieille&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;organis&eacute;e&nbsp;&raquo; et une autre, &laquo;&nbsp;jeune&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;agr&eacute;able&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;r&ecirc;veuse&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;non scientifique&nbsp;&raquo;. La relation bipolaire entre les deux notions s&rsquo;&eacute;tend, &eacute;galement, au niveau des acteurs du terrain&nbsp;; ceux-ci se pr&eacute;sentent plus comme des disciples de telle ou telle pratique que comme des acteurs&nbsp;: les enseignants adh&egrave;rent &agrave; l&rsquo;enseignement grammatical traditionnel, alors que les apprenants pr&eacute;f&egrave;rent les pratiques cr&eacute;atives.</p> <p>Pourtant, une mise en commun &eacute;ventuelle entre les pratiques issues des deux p&ocirc;les semble probable et arrivera sous les auspices d&rsquo;une didactique qui propose des d&eacute;marches innovantes, &eacute;loign&eacute;es de tout ce qui parait p&eacute;trifi&eacute; et stagnant.&nbsp;</p> <p>De toutes ces observations, il s&rsquo;ensuit que dans le cadre du module qui se propose de probl&eacute;matiser l&rsquo;enseignement grammatical &agrave; travers le prisme des pratiques cr&eacute;atives, la transformation des savoirs et des savoir-faire lors de la formation des futurs enseignants (Galisson et Puren, 1999) se profile comme &eacute;tant d&eacute;sir&eacute;e, mais aussi lente car elle se heurte &agrave; une conception de l&rsquo;enseignement grammatical fig&eacute;e, dans un sens traditionnel et magistral, conception qui entrave aussi bien la mise en &oelig;uvre ample et prolifique des pratiques cr&eacute;atives que le positionnement de futurs enseignants au-del&agrave; des diff&eacute;rences. La transition vers le d&eacute;passement des contradictions ne se fait pas sans tensions.</p> <p>D&rsquo;ailleurs, lors des examens au sein desquels les &eacute;tudiants se devaient de proposer des pratiques cr&eacute;atives en simulant le processus d&rsquo;enseignement/apprentissage, les pratiques propos&eacute;es &eacute;taient ludiques mais rarement cr&eacute;atives. Elles se situaient plut&ocirc;t aux antipodes d&rsquo;un enseignement traditionnel, pas agr&eacute;able et fastidieux, que dans le cadre de la cr&eacute;ativit&eacute; telle qu&rsquo;elle &eacute;tait th&eacute;oris&eacute;e et &eacute;labor&eacute;e durant les cours. Cela dit, les pratiques propos&eacute;es par les &eacute;tudiants &eacute;taient une r&eacute;action &agrave; ce qu&rsquo;ils avaient re&ccedil;u comme enseignement grammatical dans leurs cursus scolaires, elles se fondaient plus sur leurs repr&eacute;sentations d&rsquo;apprenants que sur la formation universitaire. &nbsp;</p> <p>Cela d&eacute;montre, &eacute;galement, une certaine r&eacute;ticence vis-&agrave;-vis des pratiques cr&eacute;atives, r&eacute;ticence qui a &eacute;t&eacute; r&eacute;v&eacute;l&eacute;e aussi lors des cours, lorsqu&rsquo;un nombre important d&rsquo;&eacute;tudiants n&rsquo;osaient pas participer &agrave; celles-ci, ou bien lorsqu&rsquo;ils &eacute;taient inhib&eacute;s lors de leur pr&eacute;sentation au groupe classe. La cr&eacute;ativit&eacute; a beau favoriser l&rsquo;&eacute;nonciation et permettre la subjectivit&eacute; chez certains &eacute;tudiants, elle semble avoir cr&eacute;&eacute; des blocages chez plus d&rsquo;un,&nbsp;blocages dus &agrave; des refus, des difficult&eacute;s, des traits de caract&egrave;re, etc.&nbsp; Certes, les pratiques cr&eacute;atives peuvent inhiber certains apprenants. E puis, une scolarit&eacute; effectu&eacute;e dans un cadre plus traditionnel et moins d&eacute;stabilisant, pourrait expliquer, en partie, ces blocages.</p> <p>Qui plus est, les discussions&nbsp;lors des retours r&eacute;flexifs qui suivaient les pratiques du module ont illustr&eacute; cette r&eacute;ticence&nbsp;: les &eacute;tudiants s&rsquo;interrogeaient sur la mise en &oelig;uvre de ces pratiques en classe,&nbsp;en &eacute;voquant toutes les contraintes institutionnelles (temps, mati&egrave;re &agrave; enseigner, programmes contraignants, &eacute;l&egrave;ves indisciplin&eacute;s, &eacute;l&egrave;ves qui sont inhib&eacute;s, etc.) &agrave; m&ecirc;me de les contrarier.</p> <p>Les tensions et les r&eacute;ticences des enseignants-apprentis soulignent le d&eacute;calage entre enseignement grammatical et cr&eacute;ativit&eacute;, et affaiblissent l&rsquo;hypoth&egrave;se de leur synergie. Plus ils sont partis des &eacute;nonc&eacute;s (Lebrun, 2009) et des structures pr&eacute;&eacute;tablies pour arriver &agrave; l&rsquo;&eacute;nonciation, plus ils ont &eacute;t&eacute; d&eacute;stabilis&eacute;s. &laquo;&nbsp;Un mode subjectif d&rsquo;appr&eacute;hension de l&rsquo;objet&nbsp;&raquo; (Cohen, 1996, p. 193) qui est, ici, la didactique du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re et de l&rsquo;enseignement grammatical, se heurte &agrave; un objet dont l&rsquo;apprentissage n&rsquo;est qu&rsquo;usuel et fixe. D&rsquo;ailleurs, selon Vigner (2008), l&rsquo;univers des pratiques d&rsquo;enseignement, emprunte, dans une large mesure, ses r&eacute;f&eacute;rences aux pratiques professionnelles ant&eacute;rieures (ce qui explique la tr&egrave;s grande stabilit&eacute; des choix m&eacute;thodologiques observ&eacute;s).</p> <p>&nbsp;</p> <p>Les tensions, les polarisations, les doutes, les r&eacute;ticences des enseignants-apprentis quant &agrave; l&rsquo;enseignement grammatical par des pratiques cr&eacute;atives, interrogent la posture de r&eacute;flexivit&eacute; dans le cadre de leur formation. &nbsp;</p> <p>Aller au-del&agrave; des diff&eacute;rences et adopter la posture de l&rsquo;entre-deux (<a name="_Hlk121728298">Sibony, 2003) </a>serait une piste &agrave; explorer dans les pratiques formatives des futurs enseignants et ferait surgir des questions qui touchent &agrave; la &laquo;&nbsp;mutation&nbsp;&raquo; de leur pass&eacute; d&rsquo;apprenant. &nbsp;</p> <p>L&rsquo;exemple des verbes-valises pourrait illustrer cette posture&nbsp;: les &eacute;tudiants ont cr&eacute;&eacute; de nouveaux verbes, avec inventivit&eacute; et &laquo;&nbsp;audace&nbsp;&raquo; lexicale, proposant, ainsi, une d&eacute;notation inattendue, une expression insolite (Cohen, 1966). Il y en a m&ecirc;me certains qui ont conjugu&eacute; les verbes-valises au &laquo;&nbsp;4&egrave;me groupe&nbsp;&raquo;, montrant que, pour conjuguer un verbe &agrave; un groupe fictif, il faut des comp&eacute;tences grammaticales solides, il faut avoir appr&eacute;hend&eacute; le m&eacute;canisme grammatical sous-jacent &agrave; la conjugaison. Or, les &eacute;tudiants se sont appuy&eacute;s sur des connaissances acquises dans et par un enseignement grammatical traditionnel pour cr&eacute;er de l&rsquo;impr&eacute;vu, rendant cet enseignement, &eacute;ventuellement, moins &eacute;touffant, plus personnel. Peut-&ecirc;tre, alors, partir de la conjugaison et de l&rsquo;enseignement grammatical soutenu, non pas pour le court-circuiter mais pour aller vers un &laquo;&nbsp;ailleurs potentiel&nbsp;&raquo; qui pourrait &ecirc;tre habit&eacute; par le sujet-apprenant, &laquo;&nbsp;un ailleurs d&rsquo;o&ugrave; la langue vient, comme si langue venait d&rsquo;un lieu autre&nbsp;&raquo; (Anderson, 2015, p. 133), lieu o&ugrave; l&rsquo;int&eacute;rieur et l&rsquo;&eacute;trange agissent en synergie, pourrait faire de la grammaire une force cr&eacute;ative plut&ocirc;t qu&rsquo;une norme st&eacute;rile et subie. Autrement dit, la grammaire, &eacute;l&eacute;ment &laquo;&nbsp;originel&nbsp;&raquo; de leur apprentissage du fran&ccedil;ais, enracin&eacute; dans leur pass&eacute;, pourrait ne pas sembler une limite ind&eacute;passable, mais induire des voies de passage (Sibony, 2003).</p> <p>Former, ici, ce serait trouver des &eacute;carts, des fentes, dans les conceptions fossilis&eacute;es de la grammaire pour faire &eacute;merger une autre relation &agrave; son enseignement, une signifiance ouverte &agrave; la fois au nouveau, au pass&eacute;, au discours disciplinaire, &agrave; l&rsquo;improbable, au moins commun, &agrave; ce qui d&eacute;vie. C&rsquo;est trouver des conjonctions et des conjugaisons entre l&rsquo;origine, le pass&eacute;, et l&rsquo;avenir professionnel en s&rsquo;inspirant, selon le cas, soit de l&rsquo;&eacute;lan inventif et singulier avec lequel les enseignants-apprentis se jettent dans les pratiques cr&eacute;atives lorsqu&rsquo;ils prennent la posture d&rsquo;apprenant, soit de leurs r&eacute;ticences et blocages pour impulser un retour r&eacute;flexif, non pas seulement sur les pratiques mais, aussi, sur leur pass&eacute; d&rsquo;apprenants ou sur les raisons pour lesquelles les pratiques cr&eacute;atives les inhibent.</p> <p>Il y a un travail long &agrave; faire, travail qui est, lui aussi, cr&eacute;atif.</p> <p>Dans ce sens, approprier, r&eacute;-personnaliser (Castellotti, 2017) la formation universitaire serait revisiter et r&eacute;articuler son pass&eacute; d&rsquo;apprenant pour redynamiser la relation entre apprentissage et formation et varier sa signifiance.</p> <p>Il y a de quoi esp&eacute;rer une &eacute;volution en pratique (s).</p> <h2>Bibliographie</h2> <p>&nbsp;</p> <p>Anderson, P. (2015). <em>Une langue &agrave; venir. De l&rsquo;entr&eacute;e dans une langue &eacute;trang&egrave;re &agrave; la construction de l&rsquo;&eacute;nonciation</em>. L&rsquo;Harmattan.</p> <p>Audet, N. (1978). Langage po&eacute;tique : &eacute;cart ou errance du sens. <em>Voix et Images</em> 3(3), 459&ndash;466. <a href="https://doi.org/10.7202/200124ar">https://doi.org/10.7202/200124ar</a></p> <p>Carr&eacute;, J.-M. et Debyser, F. (1978). <em>Jeu, langage et cr&eacute;ativit&eacute;</em>. Hachette/Larousse. &nbsp;</p> <p>Castellotti, V. (2017). <em>Pour une didactique de l&rsquo;appropriation. Diversit&eacute;, compr&eacute;hension, relation</em>. Didier.</p> <p>Chaubet, P., Kaddouri, M. et Fischer, S. (2019). La r&eacute;flexivit&eacute; : entre l&rsquo;exp&eacute;rience d&eacute;stabilisante et le changement ? <em>Nouveaux cahiers de la recherche en &eacute;ducation</em>, 21(1), 1&ndash;13. <a href="https://doi.org/10.7202/1061714ar">https://doi.org/10.7202/1061714ar</a></p> <p>Coen, P.-F. et Leutenegger, F. (2006). R&eacute;flexivit&eacute; et formation des enseignants. <em>Formation et pratiques d&rsquo;enseignement en questions</em>, 3, 5-10. <a href="https://revuedeshep.ch/pdf/03/2006-3-Edito.pdf">https://revuedeshep.ch/pdf/03/2006-3-Edito.pdf</a></p> <p>Cohen, J. (1997). <em>Structure du langage po&eacute;tique</em> (1&egrave;re &eacute;d. 1966). Flammarion.</p> <p>Galisson, R. et Puren, Ch. (1999). <em>La formation en questions</em>.&nbsp; CLE International.</p> <p>Germain, Cl. et S&eacute;guin, H. (1998). <em>Le point sur la grammaire</em>. CLE International.</p> <p>Lebrun, J.-P. (2009). <em>Un monde sans limite. Suivi de Malaise dans la subjectivation</em>. &Eacute;ditions &eacute;r&egrave;s.</p> <p>Menouti, K. (2013). <em>Comment conjuguer le pr&eacute;sent du verbe &laquo; &ecirc;tre &raquo; ? Approche anthropologique et didactique d&rsquo;une situation p&eacute;dagogique complexe &agrave; travers l&rsquo;enseignement d&rsquo;une langue &eacute;trang&egrave;re : le cas d&rsquo;une &eacute;cole insulaire en Gr&egrave;ce</em>. [th&egrave;se de doctorat, Universit&eacute; Paul Val&eacute;ry - Montpellier 3].</p> <p>Menouti, K. (2021). Vers une approche compr&eacute;hensive de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve de fran&ccedil;ais en situation d&rsquo;apprentissage : d&eacute;marches, notions-cl&eacute;s, pratiques formatives. Dans&nbsp;: <em>Regards crois&eacute;s sur la place du fran&ccedil;ais dans des soci&eacute;t&eacute;s en mutation</em>. ACTES du 3e Congr&egrave;s europ&eacute;en de la FIPF (pp. 454-468). National and Kapodistrian University Press.</p> <p>Paquay, L., Altet, M., Charlier, E. et Perrenoud, Ph. (2001). <em>Former des enseignants professionnels. Quelles strat&eacute;gies ? Quelles comp&eacute;tences ?</em> De Boeck Universit&eacute;.</p> <p>Poch&eacute;, F. (1996). <em>Sujet, parole et exclusion. Une philosophie du sujet parlant</em>. L&rsquo;Harmattan.</p> <p>Ribas, D. (2011). La cr&eacute;ativit&eacute; pour Donald Wood Winnicott.&nbsp;<em>Le Carnet PSY</em>, 151, 26-31.&nbsp;<a href="https://doi.org/10.3917/lcp.151.0026">https://doi.org/10.3917/lcp.151.0026</a></p> <p>Sch&ouml;n, D.A. (1994). <em>Le praticien r&eacute;flexif. &Agrave; la recherche du savoir cach&eacute; dans l&rsquo;agir professionnel</em>. Editions Logiques.</p> <p>Sibony, D. (2003). <em>Entre-deux. L&rsquo;origine en partage</em>. &Eacute;ditions du Seuil.</p> <p>Tardif, M., Lessard, C. et Gauthier, C. (1998). <em>Formation des ma&icirc;tres et contextes sociaux</em>. Presses Universitaires de France.</p> <p>Vigner, G. (2004). <em>La grammaire en FLE</em>. Hachette.</p> <p>Vigner, G. (2008). Quelle grammaire ? Pour quels publics&nbsp;? Dans <em>Actes du colloque Enseigner les structures langagi&egrave;res en FLE</em> &nbsp;(R&eacute;seau Gram-FLE). <a href="http://gramm-fle.ulb.ac.be/fichiers/colloques/Nantes2008/vigner.pdf">http://gramm-fle.ulb.ac.be/fichiers/colloques/Nantes2008/vigner.pdf</a></p> <p>Volle, R.-M. (2019). La cr&eacute;ativit&eacute; d&rsquo;une langue a l&rsquo;autre : m&eacute;moire des mots et &eacute;nonciation singuli&egrave;re. <em>Revue TDFLE</em>, (Hors s&eacute;rie n&deg; 9). <a href="https://doi.org/10.34745/numerev_1375">https://doi.org/10.34745/numerev_1375</a></p> <p>Winnicott, D. W. (1971). <em>Jeu et r&eacute;alit&eacute;-L&rsquo;espace potentiel</em>. Gallimard.</p> <p style="margin-bottom:11px">&nbsp;</p> <div>&nbsp; <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> Notion propos&eacute;e dans le cadre de notre travail de th&egrave;se (2013). Le suffixe &laquo; logique &raquo; renvoie &agrave; deux significations. La premi&egrave;re renvoie &agrave; &laquo; logos &raquo;, le &laquo; discours &raquo;&nbsp;: la formation des futurs enseignants pourrait favoriser la compr&eacute;hension et l&rsquo;&eacute;coute de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve r&eacute;el, de l&rsquo;anthropos, int&eacute;gr&eacute; dans son institution singuli&egrave;re. La deuxi&egrave;me signification renvoie &agrave; la &laquo; r&eacute;flexion &raquo;. Dans ce cas, la formation serait apte &agrave; soutenir le futur enseignant pour lui permettre de construire, au sein de son &laquo;&nbsp;terrain &raquo;, son propre idiolecte, sa langue subjectiv&eacute;e. Il s&rsquo;agirait, plus pr&eacute;cis&eacute;ment, d&rsquo;une d&eacute;marche de r&eacute;flexion &agrave; partir de la rencontre avec le discours disciplinaire, la langue &eacute;trang&egrave;re et les paroles d&rsquo;&eacute;l&egrave;ves (Menouti, 2021).</p> </div> <div id="ftn2"> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> L&rsquo;anthropologie du langage est largement inspir&eacute;e d&rsquo;Andr&eacute;e Tabouret-Keller et de son approche, qui pr&ocirc;ne d&rsquo;&ecirc;tre &agrave; l&rsquo;&eacute;coute, que ce soit dans les classes de langue ou centres de formation (travaux des didacticiens), que ce soit sur le terrain (travaux d&rsquo;anthropologues-linguistes), telle qu&rsquo;elle est &eacute;labor&eacute;e, entr&rsquo; autres, au sein de l&rsquo;&eacute;quipe LACIS de l&rsquo;Universit&eacute; Paul Val&eacute;ry Montpellier III dans les ann&eacute;es 2000.</p> </div> <div id="ftn3"> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a> Un gar&ccedil;on, Pascal, d&eacute;croche un ballon rouge qui &eacute;tait accroch&eacute; &agrave; un r&eacute;verb&egrave;re, &agrave; Montmartre. Une amiti&eacute; se noue entre eux, ce qui provoque la jalousie des enfants du quartier qui jettent au ballon une pierre avec un lance-pierre. Le ballon se d&eacute;gonfle. &Agrave; la fin, tous les ballons de de Paris montent Pascal jusqu&rsquo;au ciel, au-dessus d&rsquo;une ville qui l&rsquo;attriste.</p> </div> <div id="ftn4"> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title="">[4]</a> Photographe, r&eacute;alisateur, journaliste et sc&eacute;nariste fran&ccedil;ais qui a r&eacute;alis&eacute; des portraits de gens et des institutions &agrave; travers des films de qualit&eacute; ethnographique donnant mati&egrave;re &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir.</p> </div> <div id="ftn5"> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title="">[5]</a> La discussion avec les &eacute;tudiants a &eacute;t&eacute; entam&eacute;e par le biais des trois questions suivantes :</p> <p>Quel(s) mot(s) vous viennent &agrave; l&rsquo;esprit lorsque vous entendez le mot &laquo; grammaire &raquo; ? Comment avez-vous appris la grammaire lors de votre propre trajectoire d&rsquo;apprentissage du fran&ccedil;ais langue &eacute;trang&egrave;re ? Peut-on enseigner la grammaire de mani&egrave;re cr&eacute;ative ?</p> </div> </div>