<p style="text-align: justify; margin-left: 440px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La civilisation commence quand tu donnes la priorité à l'autre sur toi-même. Comprendre une personne c'est déjà lui parler. Poser l'existence d'autrui en la laissant être, c'est déjà avoir accepté cette existence, avoir tenu compte d'elle. Le statut même de l'humain implique la fraternité et l'idée du genre humain.</span></span></i></span></span></p>
<p align="right" style="text-align:right"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Emmanuel Levinas</span></span></i></span></span></p>
<p align="right" style="text-align:right"> </p>
<p> </p>
<p> </p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-21.25pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">1. </span></span></span></b><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Introduction : entrer dans la littératie à l’âge adulte : une recherche en sciences de l’éducation</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Cet article présente l’analyse minutieuse d’un entretien biographique réalisé dans le cadre d’une recherche de doctorat présentée dans une thèse par articles (auteur, 2023) au sein de laquelle il occupe une place centrale. </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> recherche s’insère </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">dans le champ de la formation de base des adultes en sciences de l’éducation</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> (Leclercq, 2006, 2014, 2017 ; Tiberghien/Leclercq,<i> à paraître</i>, 2023). Elle problématise le processus d’entrée dans la littératie d’adultes en situation de migration n’ayant pas été solarisés dans l’enfance. Les trois questions principales auxquelles la recherche répond concernent tout d’abord le <i>sens</i> et les <i>enjeux</i> de l’engagement dans une démarche d’alphabétisation, ensuite les <i>supports</i> et les ressources que la personne mobilise, les <i>obstacles</i> auxquels elle se confronte, et enfin les <i>transformations</i> à l’œuvre chez la personne dans le processus d’entrée dans l’écrit. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> recherche se réfère au champ de la « formation linguistique en contextes d’insertion » (Adami, 2020 ; Adami & Leclercq, 2012 ; Bretegnier, 2011 ; Leclercq, 2017) qui aborde les questions d’acquisition de la langue à travers une approche socio-didactique et interculturelle qui insiste sur l’imbrication des aspects sociaux, culturels et économiques. Dans cette approche, pour les adultes en situation de migration, « l’appropriation de la langue cible n’est pas un but en soi mais un moyen d’intégration » (Adami, 2009, p. 38). </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La recherche s’appuie par ailleurs sur les travaux portant sur la « littératie » </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">(Barré-de Miniac et al., 2004 ; Barton & Hamilton, 2010 ; David, 2015 ; Dupont, 2021 ; Laloy & Marcelle, 2014 ; Fraenkel, 2021 ; Pierre, 2003 ; Schneuwly, 2020 ; Totereau & Dreyfus, 2017) qui portent un intérêt particulier aux </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">pratiques sociales et culturelles en lien avec l’écrit, à son appropriation, et pour ce qui concerne la thèse en question, au rapport que les personnes entretiennent avec l’écrit et l’écriture</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> (Barré de-Miniac, 2002, 2009 ; Chartrand & Blaser, 006 ; Chartrand & Prince, 2009). Elle s’appuie également sur le courant des</span></span><em> </em><em><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">New Literacy Studies</span></span></em><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> qui propose une théorie de la littératie comme « pratique sociale » (Barton & Hamilton, 2010 ; Street, 1995), qui s’appréhende au travers de <em>literacy event</em>, « évènements de littératie » qui décrivent des pratiques réelles et contextualisées de littératie. Les travaux de </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Fraenkel et Mbodj (2010) avancent par d’ailleurs que « l’écriture est toujours prise dans des contextes culturels et des rapports de pouvoir particuliers, interdisant toute généralisation sur ses effets, qu’ils soient cognitifs ou sociaux » (p. 13).</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La problématique est appréhendée par le biais d</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">es approches biographiques et des histoires de vie (Delory-Momberger, 2019 ; Dominicé, 1990, 2007 ; Pineau & Le Grand, 1993/2019) en formation des adultes, mobilisées en tant que cadre conceptuel et épistémologique, et en tant qu’outil de production de données. Elle vise à comprendre, à travers l’analyse de « récits de vie » (Bertaux, 1997/2016) produits dans le cadre d’entretiens biographiques (Demazière et Dubar, 2007), le rapport qu’entretiennent des adultes avec le « monde de l’écrit » (Bernardin, 2011).</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Le cadrage théorique s’appuie finalement sur des travaux relatifs aux <i>dynamiques identitaires</i> (Kaddouri, 2019) à l’œuvre chez des adultes en formation, dans une conception dynamique de l’identité, notamment ceux de Dubar (2010/1991) qui proposent une théorie sociale de l’identité dont les travaux s’appliquent à dégager des <i>formes identitaires.</i> Il se réfère également aux processus de transformations des adultes en formation (Denghien et Lemaire, 2021 ; Bourgeois et Nizet, 1997) et à celui de leur « subjectivation » </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">(Bourgeois, 20</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">18 </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">;</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> Vanhulle, 2016) dans le cadre de leur démarche d’alphabétisation.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-21.3pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">2. </span></span></span></b><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Postures épistémologiques</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">C’est dans une perspective biographique et herméneutique que je tâche de comprendre l’entrée dans la littératie d’adultes migrants, par le biais d’une approche compréhensive (Charmillot et Dayer, 2007). La posture de recherche de mon travail relève donc de la compréhension permettant d’« envisager la personne humaine en tant qu</span></span><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">’</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">acteur et à centrer l</span></span><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">’</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">analyse sur la dialectique individuelle/collective » (Charmillot et Dayer, 2007, p. 132). Mes analyses se focalisent sur <i>le sens</i> que les personnes interviewées dans le cadre de ma recherche attribuent à leur démarche d</span></span><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">’</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">entrée en formation et aux enjeux qui sous-tendent leur engagement dans une démarche d</span></span><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">’</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">alphabétisation. De plus, en tant que chercheure qui assume la part de subjectivité qui influence mes analyses et mes résultats de recherche, j’adopte une prise de parole en « je » (Piron, 2019) dans la rédaction.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Aussi, au regard des travaux de Freire (1974/2021), mon positionnement épistémologique sur le processus d’alphabétisation des adultes se réfère à l’idéologie de ce dernier, dans laquelle « s</span></span><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">’</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">alphabétiser c</span></span><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">’</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">est lire le monde ». La formation d’adultes en situation d’oppression est mise au service d’une prise d’un pouvoir de ces derniers sur leur propre vie. En ce sens, l’<i>alphabétisation conscientisante</i> telle que Freire (1974) l’a élaborée, s’inscrit au cœur d’une démarche militante, dans laquelle s’alphabétiser représente un acte de libération de cette conscience dominée, soit, un acte politique et d’émancipation. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-21.25pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">3. </span></span></span></b><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Méthodologie(s) d’analyse</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La méthodologie adoptée pour ma recherche est de type qualitatif. Elle s’appuie sur un corpus qui comporte 14 entretiens biographiques. Pour analyser les récits de vie qui ont été co-construits entre moi, la chercheure, et les personnes interviewées, j’ai élaboré un dispositif qui s’appuie (1) sur les analyses exploratoires non structurées que j’ai menées en immersion dans la lecture des récits mais aussi sur des outils construits à partir des (2) travaux de Propp (1965/1970) sur la morphologie du conte ; (3) le modèle actantiel de Greimas (1972/2007) ; (4) la méthodologie d’analyse structurale des entretiens biographiques proposée par Demazière et Dubar (2007). En référence à de « l’analyse structurale » (Saussure, 1913), les chercheurs appréhendent le récit comme une grande phrase. Ils rappellent que le sens d’un entretien est construit par et dans sa mise en mots. Les paroles véhiculent <i>du sens</i> et représentent la matière de la signification. Dans leur démarche méthodologique, ils considèrent que le récit produit dans le cadre d’un entretien livre <i>des mots</i> qui représentent ce que la personne a vécu et son point de vue sur le monde. Pour accéder à ces <i>mondes vécus</i>, l’analyse structurale permet de découvrir le code du discours qui donne sens aux enchainements du récit, autrement dit l’<i>ordre catégoriel</i> ou la <i>catégorisation sociale</i><b> </b>mis en œuvre par le récit. Demazière et Dubar (2007) se réfèrent à Barthes (1966) pour qui tout récit peut être analysé à trois niveaux en référence aux travaux de trois auteurs :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">(1) Au niveau des <i>fonctions</i> ou « sphères d’actions » (Propp, 1965/1970), à savoir dans les épisodes d’une histoire, ses séquences.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">(2) Au niveau des <i>actions</i>, à savoir de la structure de ses « personnages » ou actants (Greimas, 1972/2007).</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">(3) Au niveau de la <i>narration</i> qui permet de découvrir la <i>logique du discours</i> tenue au destinataire par le narrateur du récit, c’est-à-dire ses arguments destinés à convaincre l’interlocuteur, son <i>univers de croyances </i>(Todorov, 1984), ce qui donne accès à la logique interne du récit. Dès lors, l’analyse structurale consiste à articuler ces trois niveaux pour produire le <i>schème de signification </i>de l’entretien, c’est-à-dire une représentation schématique de l’<i>ordre catégoriel</i> mis en œuvre par le récit.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Pour cette contribution, je présente l’analyse d’un entretien – une étude de cas – celui de Darvila, une femme ivoirienne de 39 ans. Au regard de mon cadre théorique ainsi que de la méthodologie présentée ci-dessus, j’ai construit ma propre méthodologie d’analyse, fruit d’un savant « bricolage méthodologique » (Waechter-Larrondo, 2005). Je n’ai pas la place ici de présenter toutes les étapes par lesquelles je suis passée pour construire mon dispositif d’analyse (voir auteur-trice, 2023). En synthèse, je dirais qu’outre les outils que j’ai construit lors de mes premières analyses exploratoires, je mobilise des concepts opérants issus de la morphologie du conte (Propp, 1965/1970) et du modèle actantiel de Greimas (1972/2007) que j’ai croisés avec une adaptation de la méthodologie d’analyse des entretiens biographiques telle que la présentent Demazière et Dubar (2007), adaptation réalisée par mes soins et construite au fil de l’avancement de ma recherche.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-21.25pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4. </span></span></span></b><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">L’analyse du récit de Darvila selon quatre axes </span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">L’entretien que j’ai mené avec Darvila est le plus long des entretiens de mon corpus. Il a duré deux heures et demie et est constitué de 50 pages de transcriptions. J’ai choisi de présenter son analyse car je le considère comme un récit emblématique de ma recherche, la contribution montrera en quoi. Je présenterai l’analyse du récit de Darvila en suivant quatre axes d’analyses principaux qui mobilisent les différents outils et concepts du dispositif méthodologique que j’ai construit et qui constitueront, à savoir :</span></span></span></span></p>
<ul>
<li style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">un premier axe qui s’appuie sur mes analyses exploratoires réalisées en immersion dans la lecture des récits, qui ont mis en évidence les premiers éléments significatifs du récit</span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">un deuxième axe qui s’appuie sur les concepts de la morphologie du conte (Propp, 1965/1970) </span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">un troisième axe qui s’appuie sur concepts du modèle actantiel de Greimas (1972/2007) </span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">un quatrième axe qui procède mon adaptation de l’analyse structurale proposée par Demazière et Dubar (2007)</span></span></span></span></li>
</ul>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Je présenterai donc les résultats des analyses du récit de Darvila que j’ai réalisées par le biais de ces quatre axes. Les éléments significatifs de ces résultats sont rassemblés de manière synthétique et mis en perspective dans un tableau<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="FR" style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">[1]</span></span></span></span></span></a> volant à déplier qui se trouve à la fin du manuscrit. Il condense la synthèse des analyses du récit de Darvila (annexe 6). Les analyses qui suivent se réfèrent à ce tableau que le lecteur et la lectrice sont invité·es à ouvrir en parallèle à la lecture des analyses qui suivent. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4.1. </span></span></b><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Premier axe d’analyse : analyses thématiques exploratoires</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Pour cette première étape, je procède à des interventions sur les données retranscrites. Je procède d’abord à la reconstruction des séquences du récit en regroupant les épisodes relatifs aux mêmes événements ou aux discours portant sur les mêmes thématiques. Je donne un titre à chacun des épisodes que je replace ensuite dans l’ordre chronologique. Cette reconstruction me permet de faire apparaitre le fil conducteur de<i> l’histoire </i>de Darvila et de mettre en lumière les enchainements des différents moments-clés du récit. Lors de mes analyses exploratoires, les différents éléments qui émergent du récit sont mis en évidence, à savoir, des <i>données factuelles</i> concernant le quotidien de Darvila (situation familiale, lieu de vie, groupe de cohabitation, emploi, expériences de formation, ressentis), les <i>actants</i> principaux jouant un rôle significatif dans sa vie, différentes <i>épreuves</i> qu’elle traverse et les <i>obstacles</i> auxquels elle est confrontée, ainsi que les <i>supports</i> et les ressources qu’elle mobilise. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Quatre grandes périodes apparaissent au sein du récit de Darvila, délimitées premièrement par les personnes ou le groupe de personnes avec qui elle vit ou cohabite. Chacune de ces périodes sont composées de différents <i>épisodes</i>. Les premières analyses exploratoires mettent en évidence une <i>transformation du rapport que Darvila entretient avec l’écrit</i> au sein de chacune de ces quatre périodes de vie. En outre, des enjeux particuliers relatifs à l’entrée dans une démarche d’alphabétisation selon ces contextes de vie font apparaitre des « quêtes » différentes au fil de son parcours, à savoir :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Période 1 : la vie en Côte d’Ivoire avec successivement sa mère, sa mère adoptive puis son père (0-14 ans); quête du<i> sentiment</i></span></span><i><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> d’exister</span></span></i><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">, quête de reconnaissance d’une légitimité à vivre, exister<b> </b>et être reconnue comme une citoyenne, femme, quête d’une personne qui prenne soin d’elle.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Période 2 : la vie en Côte d’Ivoire avec « un Italien » (15-24 ans); quête </span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">du<i> plaisir de vivre.</i></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Période 3 : la vie en Suisse avec son mari (24-34 ans); quête </span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">de <i>reconnaissance en tant que professionnelle</i>.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Période 4 : la vie en Suisse seule après son divorce (34 ans-39 ans, jour de l’entretien); q</span></span></span></span><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">uête </span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">de <i>l’écrit</i> comme levier vers un désir de <i>maternité.</i></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Ces considérations concèdent une cohérence à ma manière de considérer chacune de ces périodes comme des unités distinctes et me permettent de les appréhender séparément. Je présenterai l’analyse des quatre périodes de vie de Darvila afin de rendre compte des enjeux de sa quête existentielle. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><strong><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4.1.1. </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La vie en Côte d’Ivoire avec ses parents (périodes 1)</span></span></span></span></strong></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Le livre dans la fontaine : l’épreuve originelle comme premier événement de littératie narrativisé</span></span></i></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Darvila commence son récit en racontant un événement qui se déroule lorsqu’elle a 7 ans et qui marque significativement son parcours de vie : son entrée à l’école. Dans le cadre de ma recherche, j’ai nommé « épreuve originelle » </span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif">(<span style="color:black">a</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">uteur-trice</span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif">, 2013) l’</span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">événement avec lequel les personnes interviewées débutent leur récit de vie<i>,</i> épreuve autour de laquelle elles construisent la suite de son récit. En référence à cet événement, il est possible d’interpréter une série de postures futures, de rapports à la formation et à l’apprentissage. Pour Darvila, cet événement représente comme elle le dit « la plus grande méchanceté » qu’on lui ait infligée. Lorsqu’elle raconte cet événement, elle emploie des termes qui s’avèreront les <i>leitmotiv</i> de son récit :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Je suis allée boire avec mon livre de lecture sous le bras. Donc en buvant l’eau, le livre de lecture est tombé dans la fontaine. Et tout était mouillé. Je suis arrivée. Moi j’ai caché le livre. Je n’ai pas osé dire et on m’a <i>accusé</i> que j’ai vendu le livre. [<i>…</i>] On m’a dit : « Ben tu vas pas à l’école. » [<i>…</i>] Quand tu dis aux gens, quand j’explique, <i>les gens ne me croient pas</i>. En fait <i>j’étais encore petite donc je ne pouvais pas donner d’explication</i> croyant qu’on allait me frapper et tout. Et c’est <i>la vérité</i> ! [<i>…</i>] Ils ne m’ont <i>pas crue</i> donc voilà et puis je, finalement je ne pouvais pas donner d’explication. <i>C’est toi seule qui connais ta vérité</i>.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La description minutieuse de cette scène du livre dans la fontaine représente l’épreuve Pour débuter son récit de vie, Darvila choisit de décrire minutieusement cette scène du livre dans la fontaine. Cette épreuve originelle dégage des thématiques qui seront récurrentes dans la suite du récit : mentir ou dire la vérité, être crue ou ne pas être crue, prouver ou être sanctionnée, oser dire ou laisser croire. Darvila est tiraillée car dire la vérité c’est risquer un châtiment physique. Craignant une sanction, Darvila choisit de dissimuler le livre, acte qui, aux yeux de l’enfant qu’elle était, représente le choix le plus adéquat à ce moment-là. Cette épreuve originelle représente le moment de cristallisation initial de l’histoire de son rapport à l’écrit et à l’apprentissage. Dès lors, cette scène va fonctionner comme une clé de lecture pour la suite de son parcours. A travers la décision de ne pas scolariser Darvila, c’est son existence en tant qu’enfant qui est invalidée. Le non-droit à l’école est synonyme de non-droit à l’enfance et cette sanction – l’une des nombreuses qu’elle se voit infliger dans sa vie – chamboule le reste de son existence et la suite de son parcours de vie.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Le drame de Darvila c’est de se retrouver seule dans cette épreuve et de ne pouvoir mobiliser personne pour l’entendre, la soutenir et la croire : « c’est toi seule qui connait ta vérité ». Elle grandit en entendant qu’elle n’est pas digne de confiance et que sa parole n’a pas de valeur. L’espace de l’entretien permet alors à Darvila de produite un récit qui s’avère être d’une part un outil de réappropriation de son histoire, et d’autre part, un espace où la vérité – sa vérité – est rétablie. Elle le verbalise ainsi lors de l’entretien : « Vu que je vous fais une histoire vraie, donc c’est tout vrai. » L’entretien offre un espace qui donne une « voix » (Gilligan, 2019/1986) à Darvila, au sein duquel son histoire est valorisée et légitime aux yeux d’une chercheuse universitaire. Par ailleurs, le récit oral, enregistré et retranscrit matérialise la vérité de Darvila par le vecteur de l’écrit et permet ainsi d’en laisser une trace pouvant être portée au-delà de l’espace de l’entretien. L’enjeu de la trace écrite est ici extrêmement fort et vient combler un vide creusé et causé par cette épreuve originelle à partir de laquelle le parcours de Darvila bascule, et ne penche pas dans un sens qui aurait contrebalancé les premières années de son enfance vers la vie ordinaire d’une enfant de 7 ans.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La quête d’un nom : (re)construire et stabiliser une identité </span></span></i></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">« Jamais personne ne s’est intéressé au fait à moi. Personne, personne, personne, personne, personne. J’ai eu <i>une vie très très très difficile</i>. » Ces quelques mots sont prononcés au début de l’entretien, comme préambule à son histoire.<b> </b>Ils annoncent la non-considération permanente de sa personne, de l’atteinte perpétuelle à son intégrité physique et psychique qu’elle subit depuis son plus jeune âge. Son père, un homme influent, riche et puissant la rejette lorsque sa mère, d’un niveau social modeste et dont l’origine ethnique est différente, vient la lui présenter. Dès lors, tout au long de son enfance et de son adolescence, son existence est invalidée à plusieurs niveaux. Son père va même jusqu’à dénigrer la conception de Darvila, qui en fait l’objet d’une description dans son récit :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Je suis née d’une relation juste… […] Il n’y a même pas vraiment eu de contact. Il a vu la jeune fille, il a couché avec elle. Quelques temps après elle vient, elle lui dit qu’elle est enceinte et lui qui était quand même… qui descendait d’une <i>famille royale</i>, très importante. C’était une <i>humiliation</i>. Donc pour mon père, j’étais une <i>humiliation</i> pour lui. C’est une <i>humiliation</i>, donc cette <i>humiliation</i> rien qu’il me voyait, il voyait que c’était une <i>humiliation</i> en fait. Moi parmi tous les enfants qui étaient très jolis, moi j’étais très <i>vilaine </i>! [<i>Rires.</i>] […] Quand les gens disaient : « Mais <i>celle-là</i> c’est qui ? », c’était comme une <i>honte</i> en fait, quand il devait toujours un peu dire [<i>elle imite son père</i>] : « Hah [<i>soupir</i>], vous savez pas qu’est-ce qui m’est arrivé il y a quelques années en arrière, j’ai couché avec… ». Même le mot « coucher » c’était… « avoir des relations », c’était trop beau. […] Il disait : « J’avais envie de faire pipi et puis je suis allé faire pipi juste dans les buissons et ça m’a donné un enfant. » </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Darvila s’est construite avec l’idée qu’elle est le fruit d’une relation à la fois illégitime et répugnante entre son père et sa mère. Elle utilise cinq fois le terme d’<i>humiliation</i> pour exprimer ce qu’elle représente aux yeux de son père. Régulièrement rabaissée, elle grandit avec une image d’elle-même empreinte de honte. Lorsqu’à trois ans, elle tombe gravement malade, elle n’est même plus considérée comme un <i>être vivant</i> puisqu’on la tient pour morte avant même que son décès ne soit confirmé :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">J’étais très malade parce qu’on ne me nourrissait pas. Et puis ils avaient peur au fait que je meure dans le village parce qu’il n’avait pas d’argent pour m’enterrer. Donc ils sont allés me mettre chez mon père. […] Tout le monde a cru que <i>je devais mourir</i>. Donc quand ma mère est venue me déposer, eux, ils sont partis chez eux, ils ont fait les <i>funérailles</i> pour dire que <i>la petite est décédée</i>. […] Et cette femme qui est ma mère adoptive [a] décidé de <i>prendre soin de moi</i>, de me <i>soigner</i>. Et <i>j’attends ma vraie mort</i> un jour ! </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Cette non-considération s’exprime également à travers l’histoire de son nom, ou plutôt de ses noms. Darvila n’a pas de nom les premières années de sa vie. Personne ne lui attribue de prénom officiel et la filiation avec son père fait matière à controverse. C’est par les traits de son apparence physique que Darvila est reconnue aux yeux de la communauté comme ayant un lien de sang avec celui que sa mère désigne comme étant son père. Sa ressemblance physique avec ce dernier nommé Charles-Henri, semble ne faire aucun doute sur la paternité de ce dernier. C’est un « homme âgé » du village qui valide ce lien en affirmant devant le père qu’il voit en Darvila la « vraie vraie fille ‘à Charles-Henri’ ». Faute de preuve écrite par le biais d’un acte de naissance, le statut d’aîné de cet homme accorde à sa parole une forme de légitimité incontestable, validant ainsi pour tout le village le lien de sang entre ce père descendant d’une famille royale et Darvila. L’utilisation récurrente de l’expression la fille « à Charles-Henri » devient alors « à Chari » et vaut à Darvila, non pas un nom, mais un surnom, celui d’« Achari », contraction de « à Charles-Henri ». L’apparence physique de Darvila suffit à être garante du fait qu’elle est bien la fille biologique de son père. Sa physiologie est donc brandie comme <i>la preuve</i> de cette filiation par le sang, preuve finalement validée par le père : « quand je la regarde, je sais que c’est moi qui ai fait cette fille ». Darvila existe donc comme « la fille de », en l’occurrence, plutôt comme « la fille à », telle que cela est formulé par l’entourage. Elle n’est personne pour elle-même. On ne lui attribue aucun nom, ni aucun prénom, on ne lui reconnait aucune une identité propre, si ce n’est cette filiation purement physiologique. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Aucun lien affectif, émotionnel ou sentimental ne caractérise ce rapport père-fille. Sans nom ni prénom, on reconnait une existence à Darvila uniquement par ce lien biologique qu’elle entretient avec ce père. Or, c’est la reconnaissance de ce lien, validé par la communauté et par le père, qui donnera une légitimité à ce dernier de revenir la chercher et l’emmener de force dans sa famille lorsqu’elle aura 9 ans, non pas pour en faire une « bonne personne », comme le dit Darvila, mais pour « être la servante de ses enfants ». Le semblant de considération identitaire que représente cette reconnaissance du lien biologique entre Darvila et son père se voit récupéré par ce dernier pour en faire un motif légitime pour exercer son patriarcat, un plein pouvoir sur l’avenir de Darvila et la retirer à sa mère adoptive. Ce qui pour le père était source d’humiliation devient alors un motif légitime pour la récupérer. Alors qu’il avait proposé lui-même à cette cousine lointaine d’adopter Darvila parce qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant, il se réapproprie sa fille comme un objet qui lui revient. Traitant la mère adoptive de « stérile », il en profite au passage pour dénigrer cette femme en faisant de son infertilité une tare et revendique par la même occasion sa propre paternité : le lien de sang qui le lie à Darvila qui était pour lui jusqu’ici une « humiliation », devient le faire-valoir qui justifie son acte et l’autorise à faire preuve de toute puissance et à déconsidérer le lien affectif entre Darvila et sa mère adoptive.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Darvila sera nommée Achari jusqu’au jour de son inscription à l’école où il faut compléter des papiers et donc un prénom officiel. Alors qu’on lui choisit le prénom de <i>Kamila</i>, la retranscription de son prénom se fait de manière incorrecte et se transforme en « Darvila », nom qu’elle gardera :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Normalement, le nom c’est Kamila. Mais ça a été tellement mal écrit que j’ai écrit ce qui est écrit [que je ne l’ai pas copié correctement]. [...] Et voilà, donc j’ai adopté un et puis voilà ! Mais c’est pas facile un enfant qui jusqu’à 5 ans, il n’a pas de nom… Six ans ! [Rires.] [...] Les gens me connaissaient « Achari » et puis voilà. Et puis mon nom c’était resté Achari mais je n’avais même pas de nom ! Je n’avais pas de nom. Jamais fêté d’anniversaire, jamais… </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">L’acte d’écriture écorche son nom, comme si elle ne pouvait pas s’établir une fois pour toute dans une identité propre. Quelques années plus tard, à la mort de son père, elle reçoit son extrait de naissance par sa mère biologique qui réapparaît dans sa vie : </span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Quand j’avais 15 ans, 14-15 ans, c’est là que j’ai connu ma mère. Ma mère je ne l’avais jamais vue. C’est après la mort de mon père que j’ai connu ma mère. Et puis elle me donne mon extrait de naissance. Et le nom qui est dessus… et puis voilà [<i>le nom qui était sur l’extrait de naissance était</i>] : Louise. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Cet acte de naissance en tant que document écrit officiel vient désavouer une fois de plus une facette de son identité en actant que son prénom d’usage n’a pas de valeur. Or, même si ce document officiel atteste juridiquement son nom officiel reconnu par les autorités, elle fait le choix autodéterminé de rejeter ce prénom et d’adopter celui de Darvila :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">J’ai <i>adopté</i> ce qu’on m’a donné […] J’ai adopté le deuxième nom et que l’autre [Louise] n’existait pas. […] Donc voilà, <i>tu effaces un, tu prends l’autre</i> et puis j’ai effacé un, j’ai pris l’autre. Voilà. J’ai effacé Louise et puis voilà, donc je m’appelle Darvila et puis voilà. Disons que j’ai adopté un.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Bien qu’elle découvre à ce moment-là que le prénom écorché qu’elle porte depuis plusieurs années n’ait finalement même pas le mérite de l’exclusivité, Darvila fait le choix de rejeter ce prénom qui « n’existe pas » pour elle. Elle manifeste par ce biais une forme de prise de pouvoir sur sa vie. Si <i>Darvila</i> n’est pas son vrai prénom aux yeux de la loi, il a au moins le mérite d’exister au quotidien. Le passage à l’écrit lui a déjà transformé une fois son prénom original <i>Kamila</i>. L’apparition du prénom <i>Louise</i> sur cet acte de naissance, par son caractère officiel, menace cette fois de nier complètement le prénom <i>Darvila</i> auquel elle tient, aussi transformé soit-il. Or Darvila décide de ne pas prendre en considération cet écrit officiel, et revendique par là-même la légitimité du prénom <i>Darvila</i>. A travers cet acte, elle revisite la transformation qu’a subi le prénom de Kamila en sacralisant le prénom de <i>Darvila</i> qu’elle considère comme un don : « celui qu’on m’a <i>donné</i> ». Elle fait donc preuve d’autodétermination en « effaçant Louise » qu’elle considère comme inexistant quand bien même il soit légitime aux yeux des autorités. En « adoptant » le prénom <i>Darvila</i> et en « effaçant », comme elle le dit, celui de <i>Louise</i>, elle devient maîtresse du pouvoir d’agir sur sa propre vie, elle prend possession de son identité, elle fait un choix autodéterminé, action qui lui a souvent été impossible de réaliser. Cet acte est une première étape vers une forme de « reconfiguration identitaire » (Dizerbo, 2019). </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><strong><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4.1.2. </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La vie en Côte d’Ivoire avec un « Italien » (période 2)</span></span></span></span></strong></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">L’actant principal de cette période est « un Italien », comme le nomme Darvila dans son récit, un homme « gentil » qu’elle dit avoir </span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">eu la chance de rencontrer. Elle utilise l’expression suivante pour parler du rôle qu’il a joué dans sa vie : « Il m’a poussée ses ailes ». Autrement dit, il lui a permis de retrouver une forme de liberté. </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">En effet, après une période de captivité, d’oppression et de maltraitance, au sein de laquelle sa quête est celle de tenter de survivre et d’être reconnue en tant qu’être humain, aux côtés de l’Italien, la quête de Darvila celle du plaisir de vivre. L’Italien entre dans la vie de Darvila comme un adjuvant et représente un <i>sauveur</i> à ses yeux. Or, l’homme s’entoure d’un réseau de jeunes filles mineures à qui il offre des services en contrepartie desquels, il dispose de celles-ci sexuellement. Mais pour Darvila, être considérée, soignée, nourrie, avoir de l’argent ou encore qu’elle puisse bénéficier de moments de loisirs, pèse plus fort pour elle dans la balance que le fait que cet homme puisse être considéré comme un pédophile : </span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Si c’était en Europe, on dirait que c’est un pédophile. Mais en Afrique, [<i>…</i>] quand je vois nos parcours et ce qu’il a fait… ! [<i>…</i>] Il <i>aidait</i> beaucoup, il nous <i>protégeait</i>. [<i>…</i>] Il essaie de te donner de <i>l’argent</i> pour ne pas aller coucher avec n’importe qui, ne pas aller te prostituer et… il essaie de <i>contrôler ta vie</i> en fait. Et il avait plein de, plein de filles, plein de copines, plein de petites filles de 15 à 16 ans [<i>…</i>] Lui il <i>s’occupait de toi</i> en fait, <i>il te donnait vraiment</i>, il te prenait, tu partais <i>manger</i> chez lui à midi, il te payait le <i>taxi</i>, il faisait des <i>fêtes</i> où il avait que des filles, que des filles ! On <i>dansait</i> entre nous, on se frottait entre nous et voilà. Il te donnait toujours de l’argent parce que c’est quelqu’un qui avait beaucoup d’influence, [<i>…</i>] qui <i>s’occupait de nous</i>, qui s’occupait de nous, des enfants, des <i>filles des rues</i>, des filles qui n’ont <i>pas de famille</i>, des <i>enfants des pauvres</i>, voilà ! </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">En se désignant d’elle-même et les autres jeunes filles au travers du statut de « fille des rues » ou d’« enfants pauvres », elle procède à travers ces mots, à une forme de reconnaissance de sa situation de vulnérabilité, elle revendique son statut de personne ayant légitimement besoin de soins et d’attention. Aussi, elle relève en même temps le fait qu’elle a enfin de la considération et qu’elle se sent reconnue en tant qu’être humain. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La vie avec l’italien est vécue pour elle comme une forme d’émancipation et de liberté : vivre avec « l’Italien », c’est s’affranchir de l’emprise de son père, quitte à être contrôlée par un homme <i>gentil</i> qui prend soin d’elle. Darvila n’est plus ni la <i>petite servante</i> de sa mère adoptive avec qui elle travaillait aux champs, ni la <i>servante</i> de ses sœurs. Elle a changé de monde et de statut, ce qu’elle verbalisera en disant qu’elle est « entrée dans la vie un peu moderne », à savoir, elle a des relations sociales, elle participe à des fêtes, elle peut s’offrir des produits de soins corporels avec l’argent qu’elle reçoit. Darvila peut satisfaire ses besoins physiologiques, de sécurité et ses besoins sociaux. Dans ce contexte où elle, elle est poussée à apprendre à lire et à écrire mais elle n’en voit pas le sens, puisqu’à ce moment-là, ses besoins sont satisfaits.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><strong><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4.1.3. </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La vie en Suisse avec son mari (période 3)</span></span></span></span></strong></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Dans cette troisième période, Darvila vit en Suisse, elle s’est mariée et elle travaille comme serveuse dans un café. Les actants principaux mis en scène par le récit sont le mari de Darvila, le patron du café où elle travaille et les clients du café. La quête principale de Darvila ici est une quête de reconnaissance en tant que professionnelle dans sa nouvelle vie en Suisse. Lorsqu’elle évoque de cette période, elle parle de « des bons souvenirs ». </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Faire semblant comme leitmotiv</span></span></i></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Or, elle ne sait toujours pas lire et écrire. En tant que serveuse, elle doit prendre des commandes qu’elle est censée noter sur un calepin. Elle ne souhaite ni que son patron ni que les clients se rendent compte qu’elle ne sait pas lire et écrire. Elle dit alors qu’elle « fait l’actrice », qu’elle est « une comédienne », elle dit même qu’elle est « une menteuse ». On retrouve ici la thématique du mensonge et de la vérité évoquée dans l’épreuve originelle de la fontaine, où elle revendiquait sa vérité sans que sa parole ne soit prise au sérieux.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">En fait quand tu n’as pas été à l’école, les gens ne savent pas que tu n’as pas été à l’école, au moins tu deviens comme <i>une</i> <i>menteuse</i>. Toute ta vie, tu continues, tu mens. Tu, tu essaies de <i>jouer un peu la comédie</i>, voilà. Tu t’en sors dans tout, tu deviens comme une <i>magicienne</i>. [<i>…</i>], une <i>actrice </i>! [<i>…</i>] <i>Tu fais semblant</i>, tu es obligée !<b> </b>Par exemple on te donne ça [un message à lire], tu dis « ah ouais, mais je n’arrive pas – tu vois le D et tu dis – mais D, mais mon patron a une mauvaise écriture, qu’est-ce qu’il a écrit là » ? Et voilà, quelqu’un te dit, quelqu’un te dit : « Ah… ». Il te dit, par exemple : « Six paquets de cigarettes ! » Tu dis : « Ah, putain, il a une mauvaise écriture ou quoi ?! » Et voilà, donc ! [<i>Rires.</i>] C’est bon, [<i>…</i>] comme une menteuse ! Alors voilà ! Et puis tu t’en sors en fait ! </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><strong><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4.1.4. </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La vie en Suisse seule après son divorce (période 4)</span></span></span></span></strong></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La quatrième partie de la périodisation du récit de Darvila est caractérisé par la quête de l’apprentissage de la lecture et écriture, et c’est là aussi que l’analyse montre quel est le moteur de cette quête : pouvoir adopter un enfant. Savoir lire et écrire est la clé pour pouvoir entreprendre les démarches administrative… mais aussi pour s’occuper seule de sa vie, répondre à ses propres demandes et besoins. La quête est donc celle d’une réelle émancipation. Par la force des choses – la séparation la prive de celui qui était « ses yeux » se sent d’abord perdue : « </span></span><i><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Perdue, perdue, perdue, mais perdue.</span></span></span></i><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> Tu te dis mais, <i>tu vis un enfer en fait</i>. » : </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Mon mari et moi on s’est séparé, j’aimerais… Au fait, là tu dis, <i>mon mari c’est mes yeux.</i> Parce que c’est lui qui faisait tout, tu l’appelles, qui lit, qui fait tout. Et on s’est séparé et là encore <i>tu retombes encore plus bas</i> <i>qu’avant</i>. Là tu ne connais plus rien<i>. Tu comprends rien,</i> mais tu es là… Moi j’appelle [<i>mon ex-mari</i>] pour lire mes lettres, ou bien comment… Et puis, là, ça l’embête ! [<i>…</i>] Il ne m’a pas beaucoup aidé. Parce qu’en plus de 10 ans de mariage, 10, 13 ans de mariage, il m’a toujours soutenue. C’est-à-dire « ne t’inquiète pas, je suis là ». Et maintenant quand ça ne lui arrange plus… [<i>soupir</i>]</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Contrainte à l’autonomie, Darvila doit conquérir son indépendance pour se prendre en charge elle-même. D’une certaine manière c’est l’éloignement d’un actant adjuvant faisant office de béquille qui sera levier de cet envol vers l’autonomie puisqu'elle n'a plua le choix: elle trouve alors de le sens à s'engager dans une démarche d'alphabétisation.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Le travail</span></span></i></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Le travail se présente pour Darvila comme vecteur d’identité et de reconnaissance : c’est par le travail qu’elle </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">s’émancipe en arrivant en Suisse, et qu’elle est reconnue et qu’elle occupe une place légitime dans ce monde. C’est par le travail qu’elle se sent enfin valorisée, qu’elle elle peut montrer ses compétences, prouver qu’elle est digne de confiance, qu’elle est travailleuse ; c’est au travail qu’elle dit « être là », fait acte de présence, contrairement à ce monde qui n’a pas été là pour elle : « personne ne s’est jamais intéressé à moi », « pas une personne pour dire, on va racheter le livre ».</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Cette émancipation par le travail n’est pourtant pas complète tant qu’elle est mariée, une forme de dépendance à son mari reste encore très forte, puisque dit-elle « mon mari, c’est mes yeux ». Darvila continue à ne pas pouvoir </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">être elle-même, ou assumer pleinement qui elle est, elle doit user de stratégies pour cacher son analphabétisme qui, s’il est dévoilé, pourrait mettre à mal la source de son émancipation : son emploi. Nous recensons dans cette période plusieurs événements de littératie, où Darvila manipule l’écrit et développe des stratégies (dans la prise de commande, dans l’usage de symboles qu’elle transcrit sur son calepin) pour cacher qu’elle ne maîtrise pas l’écrit. Le calepin et le crayon de la serveuse jouent d’ailleurs ici le rôle de leurre, d’accessoire qui renforce le rôle qu’elle « joue », celui d’une femme qui sait lire et écrire.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Un autre actant significatif est celui de la figure de la gouvernante de l’hôtel où travaille Darvila. Figure d’une femme forte qui <i>gouverne</i></span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">, qui <i>commande</i>, elle renvoie une image valorisante à Darvila en tant que professionnelle qui est au service, qui prend son « service » du soir. C’est un adjuvant important notamment par les paroles valorisantes qu’elle a pour Darvila : elle la nomme le <i>pilier</i> de l’hôtel :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La gouvernante […elle a besoin] des <i>gens de confiance</i>, des gens qu’elle sait qu’elle peut… des bosseuses, qui peuvent, à tout moment… qui sont disponibles, qui sont là pour elle quoi, pour elle, ben voilà ! Et qui s’en sortent dans toutes les situations. [<i>…</i>] Tu deviens comme <i>responsable</i> en fait. Et là, c’est là que, tu vois que si t’étais allée à l’école. Parce que des gens te disent, ceux qui savent que tu n’as pas été à l’école, te disent : « Ah dommage, <i>si tu avais été à l’école, tu serais devenue très intelligent</i>e déjà !</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">A travers les yeux de la gouvernante, Darvila existe en tant que personne digne de confiance. Elle restaure alors une image d’elle-même positive, forte, responsable, sur qui l’on peut compter, une personne digne de confiance. Elle n’est plus ni la servante, ni la serveuse, elle « prend du service » en tant que professionnelle autonome, elle est actrice de sa propre vie et reprend le pouvoir sur l’image qu’elle renvoie aux autres. Travailler pour Darvila c’est donc reconstruire une image d’elle-même qui prend le contre-pied de ce qui lui a toujours été renvoyé : une honte et une humiliation. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Une procédure pénale</span></span></i></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Un actant qui joue le rôle d’opposant est celui de la nièce qu’elle a fait venir de Côte d’Ivoire et qui vit chez Darvila. La nièce ayant porté plainte contre Darvila qu’elle accuse d’avoir voulu lui soutirer de l’argent lorsque que cette dernière exigeait qu’elle contribue à envoyer de l’argent à la famille. Dans le cadre de cette situation, Darvila reçoit plusieurs lettres de convocation par la police dont elle ne prendra même pas connaissance, faute de savoir lire. C’est ainsi qu’elle finit par être condamnée à trois ans de prison avec sursis, reconnue coupable d’exploitation et de traite d’être humain. </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">« Et là tu te prends la justice ! », dit Darvila, qui vient de s’engager dans une lourde procédure d’adoption. J’y reviens plus bas. C’est en fait une quadruple peine que vit alors Darvila : après avoir été privée d’école (1), elle est privée de littératie et ne sait pas lire et écrire (2), le juge lui adresse une sanction pénale (3) qui la met devant le risque de ne pas pouvoir poursuivre sa procédure d’adoption. (4). Je montrerai par la suite à quel point cela pourrait peser lourd sur son engagement en formation.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La procédure d’adoption</span></span></i></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">C’est aussi dans cette phase que Darvila raconte la procédure d’adoption en cours. On voit ici le cœur de la quête de Darvila et en quoi, s’émanciper par l’écrit lui permet d’accéder à quelque chose d’essentiel pour elle, d’existentiel, adopter un enfant :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Ce qui est <i>le plus dur</i> par exemple, […] je vais bientôt adopter. Donc j’ai commencé les papiers et j’ai mon <i>dossier d’adoption</i> qui est là : je n’ai jamais lu. Parce que <i>c’est beaucoup, c’est du bon papier</i> au fait.. […] On te dit « voilà… voilà… voilà la procédure ». On te donne un premier papier, il faut comprendre et puis deuxième procédure et maintenant, là, tu dois signer et <i>c’est tellement important</i> ! […] Même si je comprends rien à ce qu’on et là, tu te dis « bon d’accord ». Tu le poses et puis finalement, tu peux pas, <i>c’est la plus belle chose</i>…</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">On comprend ici le lien fort entre l’appropriation de l’écrit et le levier qu’il représente, en d’autres termes, l’enjeu fondamental de l’entrée dans une démarche d’alphabétisation : savoir lire et écrire complètement corrélé à la possibilité de pouvoir devenir mère. J’y reviendrai dans la conclusion.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La formatrice et le groupe en formation</span></span></i></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">C’est autour des actants importants qui se trouvent dans l’espace de l’apprentissage technique de la lecture, à savoir le groupe en formation institutionnelle qu’un tournant est opéré dans le parcours de Darvila concernant son entrée dans l’écrit. C’est dans cet « environnement capacitant » (Frenagu, 2022) que Darvila va avoir la possibilité de vivre un déclic, celui de réaliser qu’elle sait lire. C’est d’ailleurs l’unique moment de l’entretien où Darvila pleure à chaudes larmes, au moment où elle me raconte le passage où elle prend conscience qu’elle arrive à lire. La question du rapport psycho-affectif et émotionnel à l’écrit est à ce moment-là de l’entretien mis en évidence de manière emblématique. La formatrice a des méthodes qui fonctionnent pour Darvila, le groupe qui évolue lui permet de se reconnaître et d’être reconnue, ne plus se sentir seule. La formation la fait exister autrement. Le dispositif de formation donne à Darvila une structure, un cadre au sein duquel elle est le centre d’intérêt, où les tâches qui lui sont proposées lui permettent de viser son but. Cette structure fait aussi fortement écho à une certaine <i>forme scolaire</i> (voir article 1) à laquelle elle n’a pas eu accès :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif">Ici [dans le centre de formation], quand tu viens pas, il faut justifier. Tu arrives, elle te dit… elle met sa <i>petite croix</i>. […] Elle dit : « Ah ouais, ouais, parce que normalement, il n’y a pas de certificats [si vous loupez trop de cours] ». […] Il faut être tout le temps-là, on te contrôle presque tout ! […] Et puis, elle te donne des devoirs […] et puis il faut écrire des trucs et puis des cahiers…</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">L’extrait suivant illustre les aspects émotionnels et affectifs en formation, notamment au moment où Darvila évoque le moment où elle a compris qu’elle était capable de lire :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Et je suis venue, et puis tout d’un coup… Mélanie a une méthode que je vous assure, qui m’a… qui me prend quoi. Je vous assure…[<i>Elle est très émue.</i>] Et puis tout d’un coup, les trucs sont partis, elle te bouscule d’une manière. Elle te dit : « Fais ça comme ça ! » Et puis elle te regarde : « Mais tu connaissais quoi ! » Et tout est caché dans la tête mais tu n’arrivais pas à rassembler la chose. […<i>Elle pleure.</i>] Et puis, elle te remet tout en face de toi ! <i>Elle continue, elle t’encourage</i> ! […] Et puis c’est venu, d’un coup. Je pense j’arrive maintenant à lire. Tu vois des choses dans la rue, ça te fait plaisir ! Tu passes devant un panneau, tu ne savais même pas lire qu’est-ce que c’était écrit et tu vois le panneau, tu lis, <i>tu es fière, tu souris !</i> Et voilà quoi et puis tu arrives à faire plein de petites choses. Tu deviens comme un enfant, tu es toute contente ! […] Aujourd’hui j’arrive à écrire. […] Et elle nous a appris, je vous assure, dans sa classe mais c’est, c’est <i>on vit un truc de malades</i> ! […] Mais <i>on évolue</i> tellement, qu’on est comme des enfants, on est tout content et tu veux même pas louper le cours ! […] Mais pourquoi tu n’arrivais pas à <i>rassembler le puzzle</i> ?! […] Bon, je vais pas dire <i>je sais</i> lire, je me débrouille quoi ! </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Dans cette structure la formatrice a un rôle d’adjuvante dans la quête de Darvila qui <i>doit</i> être présente. Sa présence est donc attendue, elle doit justifier son absence aux cours. Il y a là un renversement de ce qu’elle a toujours vécu et de l’image qu’on lui a toujours renvoyée : pas digne d’aller à l’école, d’être soignée, d’exister.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4.2. </span></span></b><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Deuxième axe d’analyse : mobilisation du modèle actantiel de Greimas</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Je mobilise ensuite le <i>modèle actantiel</i> de Greimas (1972/2007) issus de ses travaux de sémantique structurale. Il propose un modèle qui comprend six <i>actants</i> ayant un rôle-type dans un récit, qu’il organise en trois catégories d’oppositions :</span></span></span></span></p>
<p align="center" style="text-align:center"><img height="196" src="https://www.numerev.com/img/ck_3054_6_image-20230722131045-1.png" width="676" /></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Greimas (1972/2007) met en perspective ces six actants avec les <i>trois types d’épreuves canoniques</i> du conte merveilleux, à savoir, (1) l<i>’épreuve principale</i> : liquidation du manque, l’objet de valeur et la performance du personnage principal, victoire du héros ; (2) l<i>’épreuve qualifiante</i> : permet l’acquisition de la compétence vouloir-faire, pouvoir-faire, savoir-faire ; (3) l<i>’épreuve glorifiante</i> : octroie la reconnaissance du héros.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Je commencerai par un élément qui occupe une place fondamentale dans le récit de Darvila, dans la mesure où il permet de comprendre <i>ce qui est important</i> pour elle dans son processus d’entrée dans la littératie, l’univers de croyances en lien avec le sens de son engagement dans une démarche d’alphabétisation. Darvila a une <i>quête</i> dont est le <i>sujet</i>. L’<i>objet </i>de sa quête serait de savoir lire et à écrire. Mais en réalité, il faudrait plutôt considérer que pour Darvila, apprendre à lire et à écrire serait un tremplin ou un levier, en somme, <i>l’objet magique, </i>qui<i> </i>lui permettrait d’atteindre <i>sa quête ultime</i> et existentielle : adopter un enfant. Or, cette quête implique une essentielle capacité à s’investir dans une procédure administrative dont les documents écrits qui constituent le dossier relèvent d’un genre de textes soutenus, dont la compréhension n’est pas forcément évidente, même pour un natif francophone. Darvila est tout à fait consciente de la complexité de l’atteinte de cette quête : « C’est du bon papier », dit-elle à propos de ce dossier qu’elle a mis de côté, tant l’écrit se présente cruellement comme un obstacle, un <i>opposant</i> donc, à l’atteinte de sa quête. Darvila se retrouve là face à un <i>événement de littératie</i> qui lui demande de mobiliser des compétences élevées en lecture et en compréhension écrite. Elle aurait besoin d’une personne qui l’accompagne dans cette tâche complexe. En d’autres termes, pour qu’elle puisse appréhender les contenus de ce dossier d’adoption, elle aurait besoin d’un <i>environnement capacitant</i> lui permettant à de se les approprier et devenir <i>sujet</i> de sa démarche d’adoption. Son ex-mari, qui ici aurait pu jouer un rôle d’<i>adjuvant</i>,<i> </i>ne s’investira pas comme il l’avait dit pour répondre à sa demande. Darvila se retrouve face à elle-même dans sa quête de devenir la mère adoptive d’un enfant, qui comme elle le dit, représente pourtant « la plus belle chose ». </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Sur le chemin de cette quête, Darvila subit des <i>épreuves </i>dont elle est la <i>destinataire</i> – l’épisode du dossier d’adoption en est une – mandatées ou définies par différents <i>destinateurs : </i>le fait qu’on lui refuse son entrée à l’école après avoir fait tomber son livre dans une fontaine ; son père dont elle subit de la maltraitance et des humiliations récurrentes dans son enfance ; son divorce ; la plainte pénale que sa nièce porte contre elle qui empêche sa démarche d’adoption ; son analphabétisme ou son insécurité à l’écrit qui l’empêche de vivre de manière indépendante et de mener à bien des projets existentiels. Des actants vont l’aider ou l’empêcher d’atteindre l’objet de sa quête. Sa mère adoptive, son mari au début de leur relation qui comme elle le dit c’est « ses yeux », la gouvernante avec qui elle travaille et qui valorise ses compétences professionnelles, sa formatrice, le groupe en formation, ainsi que l’Italien – du point de vue de Darvila – sont des <i>adjuvants. </i>Son père, ses frères et sœurs, sa nièce, sont des <i>opposants</i>. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-17.85pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4.3. </span></span></b><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Troisième axe d’analyse : mobilisation des outils d’analyse de la morphologie du conte </span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Lors de cette troisième étape, j’analyse le récit à la lumière de concepts de la morphologie du conte de Propp (1965/1970) en identifiant les « sphères d’action du récit » de Darvila, à savoir les épisodes du récit qui mettent en scène des personnages particuliers.</span></span> <span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Ce tableau m’est très utile pour préparer l’étape de l’analyse structurale qui suivra. En effet, ces sphères d’action mettent en perspective le niveau des fonctions (épisodes du récit) et le niveau des actions (personnages). En mettant en avant les actions – <i>ce qu’il s’est passé</i> – et le rôle des actants spécifiques à ces actions, je peux alors réaliser un raccourci opérant me permettant de me centrer directement les zones du récit significatives pour y chercher le code du discours, les arguments mis en avant par Darvila qui me permettront de comprendre le sens qu’elle attribue à son entrée dans la littératie. Le tableau ci-dessous présente les sept différentes sphères d’action Propp (1965/1970) que j’illustre avec les éléments du récit de Darvila que je commente dans la colonne de gauche. Ces considérations alimenteront la synthèse des résultats.</span></span></span></span></p>
<p align="center" style="text-align:center; margin-left:48px"><img height="1206" src="https://www.numerev.com/img/ck_3054_6_image-20230722131045-2.png" width="850" /></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-17.85pt; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4.4. </span></span></b><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Quatrième axe d’analyse : inspiration et adaptation personnelle de l’analyse structurale de Demazière et Dubar</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Je présenterai ici une synthèse</span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> des résultats de l’analyse structurale telle que je l’ai adaptée.</span></span> <span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La question de départ qui permet d’enclencher le processus de l’entretien que je mène avec Darvila est la suivante : </span></span></span></span></p>
<p style="margin-left: 40px; text-align: center;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span lang="FR" style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">« J’aimerais comprendre comment vous avez appris à lire et à écrire à l’âge adulte. Pouvez-vous me raconter ce qui a été important pour vous dans votre histoire, depuis votre enfance jusqu’à ce jour pour y arriver ? »</span></span></span></i> </span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">C’est à cette question que Darvila répondra en me <i>faisant</i> part de son récit de vie. Elle est invitée à dire <i>ce qui a été important </i>pour elle, car c’est là que réside le sens qu’elle attribue à son entrée en littératie. La « voie royale »<i> </i>du récit, pour reprendre les mots de Bertaux (2016/1997), me permet donc d’accéder à l’univers de croyance déployé dans son discours par le biais de l’analyse structurale. C’est ce cheminement qui aboutira à la construction du schème de signification spécifique du récit de Darvila ci-dessous. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4.4.1. </span></span></b><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Schème de significations de l’entretien de Darvila</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Le schème ci-dessous synthétise le sens de l’engagement dans une démarche d’alphabétisation de Darvila issu de l’analyse de son récit. Je le commenterai en présentant les cinq catégories sociales ou l’ordre catégoriel émanant du discours de Darvila.</span></span></span></span></p>
<p><img height="975" src="https://www.numerev.com/img/ck_3054_6_image-20230722131045-3.png" width="1386" /></p>
<p> </p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Catégorie 1 : travailler</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Dans le récit de Darvila, le travail émerge comme valeur centrale omniprésente sous plusieurs formes. D’abord le travail aux champs dans l’enfance lorsqu’elle se désigne comme « petite servante » qui aide sa mère adoptive. Ensuite le travail forcé chez son père où elle est prise de force pour être « la servante » de son père et ses frères et sœurs. Elle est ensuite « serveuse » dans un restaurant en Suisse, puis femme de chambre pour le « service » du soir, mais encore gardienne d’enfants. La thématique de la servitude est omniprésente mais se transforme au fur et à mesure de son parcours de vie, laissant apparaître une forme de développement de son agentivité, le passage d’un statut d’esclave (non rémunérée, maltraitée et humiliée) à un statut professionnel reconnu et valorisant de serveuse. Elle jouit alors de droits, d’un salaire et d’une forme d’autonomie. Dans son emploi de femme de chambre actuel, elle se décrit comme une « bosseuse », description qui fait écho à la description qu’elle fait de sa mère adoptive, et qui s’oppose</span></span> <span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">à celle de sa mère qu’elle décrit comme « fainéante ».</span></span> <span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Son discours oppose aussi les « bons moments » lorsqu’elle travaille comme serveuse en Suisse, à la souffrance subie et à sa « vie difficile », « pas facile ». Deux tendances dans cette thématique du travail sont donc opposées : la fierté contre son pendant, le sentiment d’humiliation.</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Catégorie 2 : valeur de la parole et rapport à la vérité</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">L’épisode du livre tombé dans la fontaine marque donc l’épreuve originelle de Darvila. C’est ici que se cristallise une image d’elle-même associée au mensonge, à la fois renvoyée par les autres, mais aussi, selon les situations, reconnue par Darvila elle-même. Or, Darvila distingue deux choses : le fait qu’on ne la croit pas lorsqu’elle dit pourtant « sa vraie vérité », qu’aucune confiance n’est accordée à sa parole, que sa parole est inconsidérée et qu’elle n’est pas digne de confiance pour les autres. Darvila est « considérée comme menteuse » alors qu’elle veut « être crue ». Toutefois, elle affirme parfois « mentir, faire semblant, jouer la comédie, faire l’actrice » lorsqu’elle ne veut pas montrer aux autres qu’elle ne sait pas lire et écrire. Elle joue donc le rôle d’une personne « lettrée », comme si elle était dans un jeu. Sa stratégie marche puisque les gens « ne remarquaient pas qu’elle n’avait pas été à l’école ». Dans ce cas de figure, elle cache la réalité (fait semblant, use d’une stratégie pour cacher son analphabétisme) alors que les gens la prennent au sérieux, la croient.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Darvila se bat donc en vue d’une <i>quête de légitimité et de crédibilité</i>. Son discours oscille entre <i>vérité</i> et <i>mensonge</i>, les deux termes fonctionnant comme <i>leitmotiv </i>dans son récit. Ainsi, savoir lire et écrire lui permettrait de ne plus avoir à mentir pour exister, à savoir faire semblant, jouer la comédie, ne pas être elle-même donc. L’espace de l’entretien et le récit qui en découle jouent alors en quelque sorte un rôle de <i>rétablissement de la vérité</i> puisque comme elle me le dit, elle me fait « </span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">une histoire vraie, donc, c’est tout vrai. ». Lorsqu’elle raconte l’épreuve originelle de </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">l’épisode de la fontaine</span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">, elle en conclut </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">qu’<i>elle seule connait sa propre vérité</i>. Dès lors, le fait de me verbaliser cette vérité, permet à Darvila de rétablir ou de restaurer <i>sa</i> vérité, qui pour elle n’est que <i>la</i> vérité. La mise en mot de son histoire par le récit lui permet de reprendre le pouvoir sur son histoire, se réapproprier son histoire. Résonnent alors ici les travaux de Freire (1974/2021) qui considère que « les êtres humains ne dépassent pas la situation concrète, la condition dans laquelle ils se trouvent, uniquement par leur conscience ou leurs intentions, aussi bonnes soient-elles. […] Les hommes et les femmes sont capables de transformer le monde en lui donnant une signification » (p. 186-187).</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">En ce sens, il est alors possible de considérer que l’espace de l’entretien fonctionne comme un « environnement capacitant » (Fernagu, 2022), c’est-à-dire comme « un environnement susceptible de contribuer au développement du pouvoir d</span></span><span dir="RTL" lang="AR-SA" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">’</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">agir des individus » (p. 42). </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">L’entretien biographique contribue en effet à porter la « voix » (Gilligan, 2019/1986) de Darvila, une voix qui produit un récit empreint de <i>valeurs</i>, et que je considère digne d’intérêt. Mais pas seulement. A travers un <i>pacte autobiographique</i> (Lejeune, 1975) implicite, Darvila s’engage à me raconter sa vie « dans un esprit de vérité », en contrepartie duquel, je considère comme <i>vrai</i> tout ce qu’elle me raconte. L’activité elle-même de l’entretien est productrice de sens à la fois pour la chercheure que pour la personne interviewée.</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Catégorie 3 : identité</span></span></b></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La catégorie de l’identité fait référence à la reconnaissance ou la légitimité de l’existence de Darvila ou au contraire, à la négation de sa personne en tant qu’être humain. Au fil de sa vie, son identité ne cesse d’être déconstruite, détruite, niée. Son discours vacille entre des expressions qui signifient qu’elle n’est personne aux yeux des autres (« C’est qui celle-là ? ») et une reconnaissance (« être une bosseuse, une personne de confiance, un pilier » pour sa gouvernante). Elle n’a pas de nom jusqu’à ce qu’elle doive entrer à l’école. Elle sera « la fille de Charles-Henri, Achari », puis on lui donnera celui de « Kamila » qui sera retranscrit de manière incorrecte en « Darvila ». On écorche son nom, c’est-à-dire ce qui atteste de son identité, du fait qu’elle existe. L’acte de naissance qui lui apprend finalement son nom officiel – Louise – lui accole une nouvelle identité qui vient alimenter l’instabilité de « qui elle est ». Elle vacille donc entre un sentiment d’exister et de ne pas exister. Par ailleurs, rejetée par son père issu d’une famille royale, il ne veut pas d’une fille dont la mère vient d’une autre ethnie. Darvila s’avère être en fait une « princesse reniée » qui ne pourra vivre en Côte d’Ivoire, qu’en tant que servante des enfants légitimes de son père.</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Catégorie 4 : dignité humaine</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Avec la catégorie de la dignité humaine, on est au cœur d’un enjeu fondamental dans la vie de Darvila, pour lequel apprendre à lire et à écrire sera déterminant. Jusqu’à ses 15 ans, elle est inconsidérée en tant qu’être humain, niée dans son existence. On n’accorde pas de valeur à sa personne. Son intégrité physique et psychique est régulièrement atteinte. Son discours fait émerger les disjonction « aimée » ou « haïe », « soigner » ou « laisser mourir », « vivre / être vivante » ou « mourir / être morte ». On lui organise des funérailles alors qu’elle n’est pas encore décédée. Cette catégorie oppose donc la possibilité d’une restauration d’un sentiment de dignité et d’estime de soi, à une impossibilité de pouvoir reconstituer cette dignité.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Parallèlement à son activité professionnelle comme femme de chambre en Suisse, c’est aussi au sein de son engagement en formation que Darvila va pouvoir s’émanciper. La formatrice lui renvoie l’image de quelqu’un capable d’apprendre, qui sait des choses, ce qui permet à Darvila de développer un sentiment de fierté. La valorisation de ses capacités intellectuelles et cognitives par sa formatrice, qui crée des environnements capacitants pour les apprenants et les apprenantes, lui permet de prendre conscience de ses potentialités et penser à des projets futurs. En ce sens la définition de l’estime de soi d’Ehrenberg (2010) fait écho à ce que vit Darvila :</span></span></span></span></p>
<p style="text-align: justify; margin-left: 80px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">L’estime de soi est l’entité spirituelle agissante dont la baisse signifie inaction et la hausse, l’action. C’est elle qui est l’opérateur permettant de faire passer le sujet du passif et de la souffrance à l’actif et donc à la santé mentale qui est une santé sociale. […] Atteindre une bonne estime de soi ou restaurer son narcissisme […] passe par un entraînement à des compétences de type psychosociales. Il faut un double travail sur la situation et sur soi pour s’estimer, et s’estimer, c’est être capable d’agir. (pp. 321-322)</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">S’engager dans une démarche d’alphabétisation, parvenir effectivement à s’approprier l’écrit et à entrer dans la littératie permet à Darvila de réhabiliter chez elle son <i>estime d’elle-même</i>, et d’une manière plus générale mais essentielle, de restaurer un sentiment de<i> dignité</i>,<i> </i>un<i> sentiment d’exister</i> (Flahault, 2013) légitime.</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Catégorie 5 : maternité / parentalité</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Le récit de Darvila comprend des parallèles entre l’histoire de son abandon par sa mère biologique et l’histoire de son adoption par sa mère adoptive, ou encore l’histoire de son désir d’adoption. Elle a été abandonnée puis adoptée, elle parle de l’infertilité de sa mère adoptive et sa propre stérilité (lien/ressemblance avec sa mère adoptive). Son désir d’être mère, d’adopter une petite fille ivoirienne est confronté à la difficulté de s’engager dans une procédure d’adoption. </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Apprendre à lire et à écrire pour Darvila, c’est s’émanciper par l’écrit pour accéder à la maternité et reconstruire son identité. Elle affirme d’ailleurs fermement dans son récit : « Tu n’as pas de maman, tu n’as pas de vie ». Cette thématique de la mère prend une place considérable dans son récit. Pour évoquer la démarche d’adoption dans laquelle elle est engagée, elle dit qu’il s’agit de « la plus belle chose ». Pour elle, être mère, adopter un enfant représente le moteur de son engagement dans une démarche d’alphabétisation. On l’a vu, l’écrit est le levier, l’« objet magique » qui lui donne accès à l’appropriation d’un dossier administratif lourd donnant l’accès à une procédure vers une potentielle adoption. </span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">L’idée de savoir lire et écrire est aussi transposé pour elle dans la possibilité ou non de lire des livres à son enfant. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">En somme, pour Darvila, lire et écrire c’est être mère ; être mère, c’est stabiliser une identité, la faire perdurer, légitimer son existence. Mais écrire c’est aussi transmettre un nom, qui à son tour se transmet de génération en génération, et perdure dans le temps. Écrire pour laisser une trace, au sens propre comme au figuré. La quête de l’écrit c’est aussi la quête d’un nom, la <i>lutte</i> pour un nom. L’enjeu de la littératie reviendrait alors à dire que l’accès à l’écrit permettrait de se réapproprier une partie de soi. Apprendre à écrire pour réécrire son histoire (au sens propre et figuré). Le chemin vers l’écrit serait en somme pour Darvila un chemin vers soi, une réappropriation de son enfance. En écho aux travaux de Vanini De Carlo (2014) qui montré en quoi « se dire est devenir » dans le cadre d’un entretien biographique, pour Darvila, écrire c’est devenir.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">4.4.2. </span></span></b><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Les formes identitaires à l’œuvre dans le récit de Darvila</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Le tableau ci-dessous présente les formes identitaires qui émergent par la double transaction (Dubar, 2006) dans le récit de Darvila et fait écho aux analyses précédentes.</span></span></span></span></p>
<p align="center" style="text-align:center"><img height="514" src="https://www.numerev.com/img/ck_3054_6_image-20230722131045-4.png" width="713" /></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-17.85pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">5. </span></span></span></b><b><span style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Darvila, une princesse reniée qui s’émancipe grâce à l’écrit pour être mère</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p align="right" style="text-align:right"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">« </span></span></i><i><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Vu que je vous fais une histoire vraie, donc, c’est tout vrai. »</span></span></i></span></span></p>
<p align="right" style="text-align:right"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><i><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Darvila, entretien biographique.</span></span></i></span></span></p>
<p align="right" style="text-align:right"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Pour cette dernière partie, je propose une discussion des résultats des analyses du récit de Darvila. En guise de synthèse, je formulerai ce que les analyses ont permis de faire comprendre du sens de la quête de l’entrée dans l’écrit pour Darvila. Mais avant, j</span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">e rappellerai ici les </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">questions principales de ma recherche (auteur-trice, 2023) auxquelles les analyses du récit de Darvila apportent déjà des pistes de réponses :</span></span></span></span></p>
<ul>
<li style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Quels sont les enjeux de l’engagement des adultes dans une démarche d’alphabétisation, ou dit autrement, quel est le sens de la quête de l’écrit ces adultes ?</span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Quels sont les obstacles principaux que ces adultes rencontrent, les pratiques sociales, les supports et les ressources qu’ils et elles mobilisent pour atteindre leur quête ?</span></span></span></span></li>
<li style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Quels sont les transformations à l’œuvre chez ces adultes dans cette démarche d’entrée dans la littératie ?</span></span></span></span></li>
</ul>
<p style="text-indent:-36pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">5.1. </span></span></b><b><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">S’émanciper par l’écrit « pour… »</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Pour conclure, je relèverai donc que cette quête d’émancipation et de développement du pouvoir d’agir médiatisée par l’écrit, fonctionne comme un levier pour atteindre un but spécifique et personnel à chacun et chacune. Les adultes s’émancipent par l’écrit pour accéder à quelque chose d’existentiel pour elles et eux. Darvila s’émancipe par l’écrit pour pouvoir adopter un enfant. D’autres voix du corpus de mes données, racontent leur moteur d’engagement, comme Solange qui s’émancipe par l’écrit pour être capable de lire les lettres d’amour qu’un homme lui écrivais quand elle était jeune. Ou Malinka qui veut écrire une lettre à ses parents décédés à qui elle aimerait dire tout ce qu’elle a sur le cœur. En ce sens, apprendre à écrire permet de ne plus subir mais de construire. C’est être libre, ne plus dépendre des autres, prendre ses propres décisions, s’autodéterminer. C’est jouir d’une certaine intimité, avoir des secrets, ne pas être contraint·e de partager sa correspondance personnelle avec autrui. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">La démarche de Darvila vers l’appropriation de l’écrit lui permettrait de s’émancipe en lui ouvrant des portes en tant que travailleuse, en tant que citoyenne et en tant que mère. Dès lors, aller à l’école (comme les autres) s’oppose à ne pas aller à l’école (ne pas être considérée comme les autres). Savoir lire et écrire et pouvoir adopter, s’oppose à ne pas savoir lire et écrire et donc ne pas pouvoir adopter. Lire et écrire permet de s’engager dans une démarche administrative pour s’approprier le « bon papier » que représente le dossier, et donc d’accéder à l’adoption. Finalement, devenir mère serait pour Darvila une façon de réécrire son histoire ; ne pas être mère au contraire, signifie reproduire son histoire et ne pas laisser de trace.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-17.85pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">6. </span></span></span></b><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Perspectives d’analyses</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Après avoir rendu compte de la cohérence interne du récit de Darvila pour découvrir les enjeux, les supports et les ressource, les obstacles et les transformations à l’œuvre dans son processus d’entrée dans l’écrit, il s’agit maintenant de savoir comment appréhender les autres récits de la recherche qui ne pourront pas être analysés aussi méticuleusement que je l’ai fait ici pour le récit de Darvila. Ayant éprouvé la tâche que son analyse a suscité, outre le fait de m’avoir permis de m’immiscer dans le monde vécu par Darvila à la lumière de son entrée en littératie, j’ai également eu l’opportunité de m’approprier quelques rouages et techniques d’analyse que je peux mobiliser pour l’analyse des récits suivants. L’analyse du récit de Darvila s’est construite en même temps que je me suis construite moi-même comme chercheure. Il y a quelque chose de l’ordre d’un sentiment d’« avoir fait l’expérience du récit » qui me permet d’appréhender les autres récits du corpus avec davantage d’aisance et sans passer par tous les détours par lesquels j’ai expérimenté mon entreprise de méthodologie d’analyse d’un récit « bricolée », mais non moins originale et passionnante.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Concrètement, pour analyser les autres entretiens, je proposerais d’alléger le dispositif d’analyse dans ce qu’il n’a pas montré de plus opérant en termes de plus-value. Aller directement là où les choses se passent dans les récits, passer rapidement à l’analyse des sphères d’action du récit pour anticiper la production du schème de significations qui à lui seul, permet de dégager les éléments significatifs de l’entretien. Bien sûr, articuler les différents processus à l’œuvre dans les différents récits, les comparer, identifier les logiques communes et les logiques individuelles, et pour finir, formaliser le raccourci méthodologique pour qu’il en devienne plus digeste et éviter une entreprise trop laborieuse et donc décourageante.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Il s’agit finalement de se questionner – et c’est peut-être pour moi ici que réside ma <i>quête ultime </i>– sur ce qu’une telle entreprise est susceptible d’apprendre sur les adultes engagé·es dans une démarche d’alphabétisation. En quoi les résultats des analyses peuvent-ils être mobilisables en tant que transferts pour les pratiques de terrain ? Dans le cadre de la conception d’un moyen d’enseignement-apprentissage pour l’alphabétisation (auteur-trice et co-auteur-trice, <i>soumis</i>), je me suis attelée à répondre à ces questions en mettant en perspective les apports de ma recherche avec les résultats d’un questionnaire concernant les besoins des formateurs et formatrice en alphabétisation adressés à des professionnels du secondaire 1 secondaire 2 et les praticien·es des milieux associatifs. Je pense alors à mon propre processus d’écriture scientifique, parfois source de tant de résistance, voire de souffrance. Combien de fois ai-je remis en question le sens de persévérer dans une tâche si laborieuse… A l’issue de cette contribution, je me demande alors : et si finalement être capable d’écrire une thèse, ne serait finalement qu’un « tremplin » pour créer des ponts entre la recherche académique et les pratiques de terrain ? S’émanciper par l’écriture académique pour me rapprocher chercheur·es et praticien·es, tel serait l’objet de ma quête en tant que chercheure.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span lang="FR" style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Références bibliographiques </span></span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Adami, H. (2020). <i>Enseigner le français aux migrants. </i>Paris : Hachette.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Bertaux, D. (1997/2016). <i>L'enquête et ses méthodes : Le récit de vie</i> <i>(4<sup>ème</sup> éd.).</i> Paris : Armand Colin.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Charmillot, M. & Dayer, C. (2007). Démarche compréhensive et méthodes qualitatives : clarifications épistémologiques. <i>Recherches Qualitatives</i> - <i>Hors-Série</i> <i>(3)</i>, 126-139.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Demazière, D. & Dubar, C. (2007). <i>Analyser les entretiens biographiques. L’exemple des récits d’insertion</i>. Québec : Les presses de l’Université Laval.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Delory-Momberger, C. (2019). Biographie, biographique, biographisation. Dans C. Delory-Momberger, <i>Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique</i>. Érès.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif">Dizerbo, A. (2019). Tournant biographique. Dans : Christine Delory-Momberger éd., <i>Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique</i> (pp. 179-181). Toulouse: Érès. </span><a href="https://doi.org/10.3917/eres.delor.2019.01.0179" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:blue">https://doi.org/10.3917/eres.delor.2019.01.0179</span></span></a> </span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Dominicé, P. (1990). <i>L’histoire de vie comme processus de formation</i>. Paris : L’Harmattan.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Dominicé, P. (2007). <i>La formation biographique</i>. Paris : L’Harmattan.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Dubar, C. (2006). <i>Faire de la sociologie. </i>Paris : Belin.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-36pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Ehrenberg, A. (2010). <i>La société du malaise. </i>Paris : Odile Jacob.</span></span></span></span></p>
<p class="BIBLIOGRAPHIE" style="text-align:justify; text-indent:-52.45pt; margin-left:70px"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:11pt"><span style="font-family:Times"><span lang="FR" style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Fernagu, S. (2022). L’approche par les capabilités dans le champ du travail et de la formation : vers une définition des environnements capacitants ? <i>Travail et Apprentissages</i>, 23, 40-69. </span></span></span><a href="https://doi.org/10.3917/ta.023.0040" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span class="Hyperlink1" style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="color:#0563c1"><span style="text-decoration:underline"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">https://doi.org/10.3917/ta.023.0040</span></span></span></span></span></span></a></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Flahault, F. (2013) <i>Le sentiment d’exister</i>. Paris : Descartes & Cie.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Fraenkel, B. (2021). Littératie. </span></span><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Langage et société</span></span></i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">, <i>HS1</i>, 345-348. </span></span><a href="https://doi.org/10.3917/ls.hs01.0346" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">https://doi.org/10.3917/ls.hs01.0346</span></span></a> </span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Freire, P. (1974/2021). <i>Pédagogie des opprimés</i>. Paris : La Découverte. / Marseille : Agone.</span></span></span></span></p>
<p class="Corps" style="border:medium none; text-align:justify; text-indent:-1cm"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="color:black"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Gilligan, C. (2019/1986). <i>Une voix différente. La morale a-t-elle un sexe</i> </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">? Paris</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> : Flammarion.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Greimas, A.J. (</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">1972/2007)</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">. <i>Sémantique structurale</i>. Paris : Seuil.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Leclercq, V. (2006). L'engagement en formation de base de publics adultes de faible niveau de scolarisation. <i>Savoirs</i>, 11(2), 87-106. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Leclercq, V. (2017). </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Didactique du français et formation linguistique de base des adultes : rétrospective historique</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">. In </span></span><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Recherches en didactiques, 24</span></span></i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">(2), 61-80.</span></span></span></span></p>
<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Lejeune, P. (1975). </span></span><i><span style="font-family:"Arial",sans-serif">Le Pacte autobiographique</span></i><span style="font-family:"Arial",sans-serif">. Paris : Seuil.</span></span></span></p>
<p class="Corps" style="border:medium none; text-align:justify; text-indent:-1cm"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="color:black"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif">Pereira, I. (2021). Préface. In P. Freire, <i>Pédagogie des opprimés </i>(nouvelle édition). Marseille : Agone.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Pineau, G. & Le Grand, J.-L. (2019/1993). <i>Les histoires de vie</i> <i>(6<sup>ème</sup> éd.).</i> Paris : PUF</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Propp, V. (1965/1970). <i>La morphologie du cont</i>e. Paris: Seuil.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Auteur-trice (</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">2013</span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">). Analyser des parcours d’alphabétisation : les enjeux de l’écart entre recherche et pratique. </span></span><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">TransFormations</span></span></i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">, <i>10</i>, 31-52.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-0.05pt; margin-bottom:13px; margin-left:48px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Cambria", serif"><a href="http://www.trigone.univ-lille1.fr/transformations/docs/tf10_a03.pdf" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">http://www.trigone.univ-lille1.fr/transformations/docs/tf10_a03.pdf</span></span></a></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Auteur-trice (2023). <i>De l’alphabétisation à la littératie : l’entrée dans l’écrit d’adultes en situation de migration à la lumière des approches biographiques</i>. Histoires ordinaires de gens extraordinaires. Thèse de doctorat, Université de Genève.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Auteur-trice </span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">& </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">co-auteur-trice</span></span><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black"> (<i>soumis</i>). </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Concevoir un moyen d’enseignement-apprentissage systémique pour l’alphabétisation. Entrer dans la littératie : une voie vers la subjectivation et l’émancipation. </span></span><i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Le Journal de l’alpha</span></span></i><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">, <i>233</i>.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif">Todorov, T. (1984). <i>Les genres de discours</i>. Paris : Seuil.</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-35.45pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Vanini De Carlo, K. (2014). </span></span><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">Se dire e(s)t devenir - La recherche biographique comme choix épistémologique. In <i>¿ Interrogations ?</i>, <i>17</i>. L’approche biographique. [en ligne]</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:-0.05pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><a href="http://www.revue-interrogations.org/Se-dire-e-s-t-devenir-La-recherche,401" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span lang="FR" style="font-family:"Arial",sans-serif"><span style="color:black">http://www.revue-interrogations.org/Se-dire-e-s-t-devenir-La-recherche,401</span></span></a></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"> </p>
<p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"> </p>
<p style="text-align:justify"> </p>
<p> </p>
<p> </p>
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<hr align="left" size="1" width="33%" />
<div id="ftn1">
<p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">[1]</span></span></span></span></a> Voir la feuille volante en format A3 située à la fin du manuscrit. A ouvrir en parallèle de la lecture de cet article dont le texte fait référence aux différents contenus du tableau.</span></span></p>
</div>
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