<p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: center;"><em><strong>RECENSION</strong></em></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: left;"><em><span style="font-family:Arial,Helvetica,sans-serif"><span style="font-size:11pt"><span style="font-size:12.0pt">Par Daniela Pomarico, doctorante en sociologie &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry de Montpellier.</span></span></span></em></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: right;"><span style="font-family:Arial,Helvetica,sans-serif"><span style="font-size:11pt"><span style="font-size:12.0pt">&laquo;&nbsp;L&agrave; o&ugrave; il a un tabou, il faut qu&rsquo;il y ait un d&eacute;sir&nbsp;&raquo;,</span></span></span></p> <p style="margin-left: 0cm; margin-right: 0cm; text-align: right;"><span style="font-family:Arial,Helvetica,sans-serif"><span style="font-size:11pt"><span style="font-size:12.0pt">Sigmund Freud.</span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">Porno, un mot longtemps rest&eacute; tabou, devient aujourd&#39;hui sujet de discussion au quotidien, mais pas seulement. Dans la vie de tous les jours nous entrons en contact avec des images, contextes, messages qui renvoient &agrave; l&#39;imaginaire &eacute;rotique, plus prude. Nous vivons d&eacute;sormais dans un &eacute;tat constant d&#39;hyperexposition visuel et sensoriel pornographique. &laquo;&nbsp;Le porno triomphe et prolif&egrave;re partout, des mailles du r&eacute;seau aux contextes urbains, des &eacute;crans m&eacute;diatiques aux interstices du quotidien&nbsp;&raquo; [&hellip;]. C&#39;est cette constatation qui a port&eacute; les deux chercheurs Claudia Attimonelli et Vincenzo Susca &agrave; &eacute;crire un livre sur le ph&eacute;nom&egrave;ne en proposant l&rsquo;id&eacute;e de &laquo;&nbsp;pornoculture&nbsp;&raquo;.</span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">Les deux auteurs expliquent dans ces termes leur analyse : &laquo; Ce que nous proposons ici n&rsquo;est pas une &eacute;tude du porno ou sur le porno, mais une interpr&eacute;tation de l&rsquo;imaginaire soci&eacute;tal et de ses pratiques &agrave; partir du porno, sur la base de la matrice &quot; porno&eacute;rotique &quot; in&eacute;dite qui en restructure l&rsquo;&acirc;me et les formes &raquo; [&hellip;]. La pornoculture remplace en effet la pornographie, cette derni&egrave;re expression des d&eacute;sirs pervers et immoraux, r&eacute;serv&eacute; &agrave; la sph&egrave;re priv&eacute;e et aux marges de la vie sociale dans la majorit&eacute; des cas, conflue &laquo; dans la <em><span arial="" style="font-family:">culture pop</span></em>, au point de constituer l&#39;un des fondements de la <em><span arial="" style="font-family:">Stimmung</span></em>, devenant l&rsquo;illustration embl&eacute;matique de l&#39;&eacute;motion publique en gestation.</span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">Sous le regard s&eacute;miologique d&#39;Attimonelli et sociologique de Susca nous nous enfon&ccedil;ons dans ce monde riche de suggestions interdites de la chair et du corps. La chair est le vrai protagoniste dans toutes ses d&eacute;clinaisons. Le livre, comme d&eacute;crit dans le sous-titre, est un voyage qui nous accompagne &agrave; travers l&rsquo;histoire en Occident, d&rsquo;abord visuelle puis num&eacute;rique, en partant de la Renaissance jusqu&#39;&agrave; l&#39;av&egrave;nement actuel de la chair &eacute;lectronique.</span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">Le livre est divis&eacute; en trois sections programmatiques, la premi&egrave;re et la derni&egrave;re r&eacute;dig&eacute;e par Susca, et celle, centrale, par Attimonelli. La tendance transdisciplinaire de l&#39;&eacute;criture nous met en contact avec les origines de ce bouleversement culturel. Susca, dans le premier chapitre, nous illustre ce qu&rsquo;est aujourd&#39;hui le porno : &laquo;&nbsp;la brusque interruption de cet &eacute;tat de s&eacute;paration que l&#39;ordre culturelle occidental &agrave; &eacute;tabli &agrave; partir de la Renaissance [&hellip;] le d&eacute;r&egrave;glement des m&oelig;urs contemporaines &raquo;.</span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">La fin du paradigme cart&eacute;sien : <em><span arial="" style="font-family:">cogito ergo sum, in arcem meum</span></em>, sur lequel se sont fond&eacute;es les sciences modernes, d&eacute;cr&egrave;te le franchissement de l&#39;<em><span arial="" style="font-family:">homo faber </span></em>et de sa logique rationnelle pour se diriger vers les sens, l&#39;&eacute;motion publique et la sensibilit&eacute;.</span></span></span></p> <p style="margin-left: 40px;"><q><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">&Agrave; bien y garder, les <em><span arial="" style="font-family:">&eacute;moticons</span></em>, le marketing &eacute;motionnel, les <em><span arial="" style="font-family:">emoji</span></em>, les <em><span arial="" style="font-family:">gifs</span></em>, les selfies, les <em><span arial="" style="font-family:">like</span></em>, les <em><span arial="" style="font-family:">love</span></em>, les <em><span arial="" style="font-family:">follow</span></em>, les <em><span arial="" style="font-family:">good vibes</span></em> et toutes les autres formes &eacute;l&eacute;mentaires et bigarr&eacute;es de la culture &eacute;lectronique, dont les &eacute;motions [&hellip;] constituent la base et le sommet, montrent, de fa&ccedil;on rutilante sinon obsessionnelle, la centralit&eacute; renouvel&eacute; du corps, dans la dynamiques de la vie collective [&hellip;] tout cela est porno.</span></span></span></q></p> <p><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">Ce qui change c&rsquo;est la nature du sujet impliqu&eacute; dans l&rsquo;&eacute;motion publique : il n&rsquo;est plus ma&icirc;tre de lui-m&ecirc;me, il n&rsquo;est plus l&rsquo;homme qui agit mais il est agi. L&#39;humain est pi&eacute;g&eacute; dans le <em><span arial="" style="font-family:">network</span></em>, attach&eacute; aux &eacute;crans ou aux proth&egrave;ses techno-soci&eacute;tales, &agrave; la g&eacute;olocalisation et au <em><span arial="" style="font-family:">tagging</span></em>. Une forme de d&eacute;pendance semblable &agrave; celle provoqu&eacute;e par l&rsquo;usage des drogues. La vie c&rsquo;est faite obsc&egrave;ne. L&#39;obsc&eacute;nit&eacute; s&#39;empare de la sc&egrave;ne, la mort qui a caract&eacute;ris&eacute; le si&egrave;cle dernier, &eacute;tay&eacute; de guerres, nous a habitu&eacute; &agrave; l&#39;extr&ecirc;me, aux visions de violence, de mort et de porno.</span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">Attimonelli, de son c&ocirc;t&eacute;, &nbsp;fait une analyse typiquement s&eacute;miologique &agrave; partir de l&#39;<em><span arial="" style="font-family:">Histoire de l&#39;&oelig;il</span></em> de Georges Bataille. La passion pour les <em><span arial="" style="font-family:">sex dolls</span></em> transforme la mati&egrave;re industrielle, le silicone en r&eacute;alit&eacute; corporelle &agrave; soigner, &agrave; choyer, comme si elle &eacute;tait de la peau humaine. La couverture du livre s&#39;inspire pr&eacute;cis&eacute;ment d&rsquo;une &oelig;uvre de l&#39;artiste japonais Azusa Itagaki. Sa particularit&eacute;, le <em><span arial="" style="font-family:">punctum</span></em> de l&#39;image&nbsp;: les pieds sales de la poup&eacute;e qui nous pousseraient &agrave; penser qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;une jeune femme. L&rsquo;&eacute;tude continue l&rsquo;analyse des poup&eacute;es de Bellmer, inqui&eacute;tantes et inhumaines, de l&#39;univers f&eacute;tichiste, des personnages t&eacute;l&eacute;visuels et cin&eacute;matographiques, du corps grotesque, carnavalesque et des s&eacute;cr&eacute;tions organiques tels que le sang menstruel r&eacute;v&eacute;l&eacute; par le travail de l&#39;artiste canadien Rupi Kaur intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Period&nbsp;&raquo;<em><span arial="" style="font-family:">.</span></em> Son exclusion puis r&eacute;introduction sur Facebook a &eacute;tabli une forme de r&eacute;habilitation des aspects les plus pudiques et les moins expos&eacute;s de notre culture sexuelle. Enfin, l&rsquo;analyse se termine avec l&rsquo;analyse de l&#39;univers filmique d&eacute;di&eacute; au porno d&#39;artiste, l&#39;<em><span arial="" style="font-family:">horror porn </span></em>et le r&eacute;cent ph&eacute;nom&egrave;ne des <em><span arial="" style="font-family:">gif</span></em>.</span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">Susca revient sur la fin pour s&#39;enfoncer sur le terrain plus proprement m&eacute;diologique des nouvelles applications tels que Instagram ou Snapchat qui, avec leur surexposition et leurs images &eacute;ph&eacute;m&egrave;res, s&rsquo;adaptent parfaitement &agrave; l&#39;exhibition coquine&nbsp;: &laquo; le ph&eacute;nom&egrave;ne indique de mani&egrave;re flagrante que le porno a d&eacute;bord&eacute; des marges sous-culturelles o&ugrave; il &eacute;tait rest&eacute; tapi jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;explosion de la version participative d&rsquo;internet &raquo; ou encore : &laquo; le porno est donc une des flammes qui forgent la culture d&rsquo;internet et, par extension, l&rsquo;ensemble de l&rsquo;imaginaire contemporain &raquo;. Il touche ici les points les plus sensibles de la soci&eacute;t&eacute; jusqu&#39;&agrave; la politique dans sa dimension obsc&egrave;ne et transgressive. Susca parle ainsi de Donal Trump&nbsp;: &laquo; l&rsquo;&eacute;lection de ce dernier &agrave; la pr&eacute;sidence des &Eacute;tats-Unis repr&eacute;sente, entre autre, la victoire de la pornoculture, du c&ocirc;t&eacute; obscur de la pornoculture&nbsp;&raquo;.</span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">Petite touche presque d&eacute;mystifiante lorsqu&rsquo;en inversant la formule biblique &laquo; le Verbe s&rsquo;est fait chair &raquo;, Susca annonce que c&rsquo;est &laquo; la chair qui se fait verbe &raquo;. Les medias, &agrave; partir des ann&eacute;es soixante, date de naissance approximative de la soci&eacute;t&eacute; du spectacle, &agrave; travers les publicit&eacute;s, le design, la politique, la t&eacute;l&eacute;vision et plus r&eacute;cemment les s&eacute;ries, repr&eacute;sentent les avant-propos de l&#39;imaginaire porno, une forme d&#39;&eacute;rotisation de la production et de la consommation jusqu&rsquo;&agrave; devenir un paradigme existentiel&nbsp;: pornoculture &eacute;lectronique, marchandise et corps &eacute;rotis&eacute;. </span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">L&rsquo;&eacute;criture velout&eacute;e d&rsquo;Attimonelli et le style onirique de Susca nous accompagnent comme Virgile et Dante dans ce voyage au bout de la chair. Le texte &nbsp;acad&eacute;mique est consolid&eacute; par de nombreuses digressions litt&eacute;raires, citations cin&eacute;matographiques, po&eacute;tiques, picturales et artistiques. Un texte bref, d&eacute;velopp&eacute; en 150 pages mais dense, qui nous &eacute;claire sur l&#39;&eacute;rotisation de l&rsquo;espace num&eacute;rique au quotidien.</span></span></span></p>