<p>&nbsp;</p> <p style="text-align:justify">Pierre Versins, auteur en 1971 d&rsquo;une anthologie notable des utopies intitul&eacute;e <em>Outrepart</em><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>, pr&eacute;cise : il existe deux cat&eacute;gories d&rsquo;utopistes, ceux qui &eacute;crivent et ceux qui agissent. Au-del&agrave; des discours qui ass&egrave;nent que dans chaque projet utopiste r&eacute;side le germe du progr&egrave;s, la connaissance de la &laquo; mentalit&eacute; utopiste &raquo; sert aussi de vaccin. En effet, elle permet de mieux pr&eacute;voir le comportement de ces utopistes actifs que sont les gouvernants, chefs de partis et d&rsquo;arm&eacute;es, dignitaires, fonctionnaires, professeurs ou encore agents de la force publique qui derri&egrave;re un bureau, un livre ou une matraque, dominent le bas monde. &laquo; L&rsquo;ordre est leur religion &raquo;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a> et l&rsquo;on peut d&eacute;montrer le m&eacute;canisme de leur intellect par l&rsquo;&eacute;tude du &laquo; mod&egrave;le &raquo;, id&eacute;el et id&eacute;al, bien souvent paroxystique, que nous offrent les &eacute;crivains utopiques. L&rsquo;&eacute;tude des utopies et leur r&eacute;versibilit&eacute; dystopique est d&rsquo;une utilit&eacute; toute heuristique puisqu&rsquo;elle permet de rendre attentif &agrave; ce (ou ceux) qui, dans notre propre contemporan&eacute;it&eacute;, tente de dominer, domestiquer ou r&eacute;guler les passions humaines.&nbsp;&nbsp;&nbsp;</p> <p style="text-align:justify">De Tommaso Campanella (<em>La Cit&eacute; du Soleil</em>, 1602) et avant lui Thomas More (<em>Utopia</em>, 1516) &agrave; Auguste Comte, le comte de Saint-Simon, Charles Fourier, Robert Owen, Karl Marx ou encore Edward Bellamy, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque industrielle, nombreux sont les auteurs &agrave; avoir dessin&eacute; les contours des utopies modernes. Au cours du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle, ces r&eacute;cits promoteurs de l&rsquo;harmonie universelle ont vir&eacute; de bord et ont rev&ecirc;tu les habits de la contre-utopie. George Wells, Evgueni Zamiatine, George Orwell, Ayn Rand ou James Graham Ballard ont su faire la d&eacute;monstration de cette fragile dialectique, cette tension intime, qui voit le glissement toujours possible des bonnes intentions institutionnalis&eacute;es vers le r&egrave;gne totalitaire de la transparence, de l&rsquo;individualisme exacerb&eacute; et de la masse anonyme et consensuelle.</p> <p style="text-align:justify">Les r&eacute;cits de cit&eacute;s alternatives qui se projettent dans un <em>outrepart</em>, s&rsquo;&eacute;vadent &eacute;galement dans un autre temps. Alors que les temps actuels semblent manquer de projections &agrave; venir, de r&eacute;cits science-fictionnels qui nous enverraient dans les confins de nos jours futurs, alors que l&rsquo;esprit du temps semble fig&eacute; dans un <em>&eacute;ternel instant</em> (Andr&eacute; Breton), dans l&rsquo;immanence d&rsquo;un quotidien qui se perp&eacute;tue, comment est-il possible de penser le destin des hommes ? Si de Marc Aug&eacute; (<em>O&ugrave; est pass&eacute; l&rsquo;avenir</em>, 2008) &agrave; Nicolas Nova (<em>Futur, la panne des imaginaires technologiques</em>, 2014), les auteurs contemporains tentent de signaler que nos r&eacute;cits d&rsquo;avenir sont comme &eacute;puis&eacute;s, l&rsquo;appel &agrave; contribution que nous avions propos&eacute; il y a plusieurs mois d&eacute;j&agrave;, a re&ccedil;u de nombreuses r&eacute;ponses qui t&eacute;moignent d&rsquo;une vivacit&eacute; encore l&agrave; des discussions utopiques.</p> <p style="text-align:justify">Les articles de Pierre Bourgois, de Vincent Gu&eacute;rin et de Marion Roussel semblent signifier une obsession. Les principaux r&eacute;cits ou micros r&eacute;cits qui allient notre quotidien technologique et un futur plus ou moins proche technophile et/ou technophobe, mettent en relief que les contours des projections futures &eacute;pousent ou r&eacute;cusent les id&eacute;aux d&rsquo;un transhumanisme comme au-del&agrave; de l&rsquo;humanisme des Lumi&egrave;res. Ainsi, la controvers&eacute;e utopie transhumaine/posthumaine tente de s&rsquo;institutionnaliser en un projet politique, par exemple le Parti Transhumaniste de Zoltan Istvan, et r&eacute;v&egrave;le la cristallisation des imaginaires du cyberespace dont la teneur liquide a souvent r&eacute;veill&eacute; les risques contre-utopiques. De m&ecirc;me nous parlent les territoires sombres que de nombreux cin&eacute;astes ont su mettre en sc&egrave;ne, notamment via la ville iconique de Los Angeles, dont Alfonso Pinto montre comment elle est le support de repr&eacute;sentations inqui&egrave;tes de voir la figure du Terminator en finir avec les restes de l&rsquo;humanit&eacute; d&eacute;senchant&eacute;e.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</p> <p style="text-align:justify">L&rsquo;uchronie en tant que cl&eacute; interpr&eacute;tative (&agrave; rebours) de l&rsquo;Histoire, en tant que mani&egrave;re de saisir &agrave; nouveau les futurs possibles, permet de donner du sens &agrave; des espoirs jadis d&eacute;chus mais qui ne sont pas pour autant compl&egrave;tement annihil&eacute;s. Florian Besson propose ainsi un texte sur la r&eacute;&eacute;criture de mai 68 et rappelle comment notre rapport au temps &ndash; pass&eacute;, pr&eacute;sent et futur &ndash; constitue une mati&egrave;re premi&egrave;re intellectuelle riche de signification. La confrontation des temps, des mod&egrave;les qui les caract&eacute;risent, cela est aussi au c&oelig;ur du texte de Kath et Mike Tyldesley. Le temps et l&rsquo;espace d&rsquo;une exp&eacute;rience cruciale &ndash; dans le sens o&ugrave; elle se joue et se rejoue au quotidien &ndash; celle du football moderne et de son d&eacute;passement, permet de penser ces &laquo; utopies interstitielles &raquo; comme autant de zones de ren&eacute;gociation des normes et valeurs sociales, et t&eacute;moigne que l&rsquo;utopie unique se d&eacute;cline dor&eacute;navant en une utopie multiple.</p> <p style="text-align:justify">Des utopies non plus h&eacute;g&eacute;moniques et globalisantes mais comme &eacute;clat&eacute;es, diss&eacute;min&eacute;es, multiples, qui s&rsquo;installent au quotidien, ici et l&agrave;, comme l&rsquo;illustrent les communaut&eacute;s New Age dont Georges Bertin nous propose l&rsquo;analyse. Des communaut&eacute;s avaloniennes de Galstonbury aux &eacute;covillages tel que Damanhur, notre contemporan&eacute;it&eacute; ne se montre pas avare de tentatives utopiques, &agrave; petite &eacute;chelle, se concr&eacute;tisant et s&rsquo;offrant comme r&eacute;servoir d&rsquo;exp&eacute;riences, d&rsquo;images et de sens. Enfin, Omar Moussaly, reprenant les complexes et contradictoires ambitions des utopies marxiennes, nous montre comment l&rsquo;&eacute;thique utopique n&rsquo;est jamais &agrave; l&rsquo;abri de trahison, &agrave; l&rsquo;image du renversement de l&rsquo;id&eacute;al libertaire par les bureaucraties rigides.</p> <p style="text-align:justify">En marge de ces contributions riches et pertinentes constituant le dossier th&eacute;matique de ce num&eacute;ro 9, S&eacute;bastien Joffres propose une interpr&eacute;tation d&rsquo;une sorte d&rsquo;utopie en acte ou comment le savant fait politique, et Florian Lombardo permet la mise en discussion du constructivisme social et sociologique. Pour terminer, Yann Ramirez nous offre une lecture d&rsquo;un carnet ethnographique r&eacute;v&eacute;lant les lin&eacute;aments de la pratique sportive d&rsquo;un boxeur <em>in situ</em>.</p> <p style="text-align:justify"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> VERSINS P., <em>Outrepart</em>, Paris, La T&ecirc;te de Feuilles, 1971.</p> <p style="text-align:justify"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> <em>Idem</em>, p. 8.</p>