<p dir="ltr">Par Omer Moussaly, Chercheur postdoctoral &agrave; la Chaire UNESCO d&rsquo;&eacute;tudes des fondements philosophiques de la justice et de la soci&eacute;t&eacute; d&eacute;mocratique.</p> <p dir="ltr">&Eacute;tymologiquement, l&rsquo;utopie vient du latin moderne &laquo;&nbsp;utopia&nbsp;&raquo; qui veut dire en aucun lieu. Ce terme renvoie donc &agrave; un id&eacute;al, &agrave; une vue politique ou sociale qui d&eacute;crit une conception ou un projet apparemment irr&eacute;alisable. De grands auteurs d&rsquo;utopie ont jalonn&eacute; l&rsquo;histoire de Platon &agrave; Thomas More et au-del&agrave;. Par l&rsquo;utilisation de la dialectique dans sa R&eacute;publique, Platon fait progresser ses interlocuteurs (disciples et adversaires de Socrate) vers un id&eacute;al o&ugrave; le beau, le juste et le bien constituent des v&eacute;rit&eacute;s ultimes de l&rsquo;existence terrestre de l&rsquo;&acirc;me humaine qui ne transmettent aux mortels que leur reflet. Aussi fait-il na&icirc;tre une cit&eacute; id&eacute;ale. De surcro&icirc;t les &eacute;crits utopistes afficheront par la suite une d&eacute;marcation entre deux mondes&nbsp;: le r&eacute;el ex&eacute;cr&eacute; et l&rsquo;imaginaire id&eacute;alis&eacute;. Cette antonymie agira en catalyseur du changement m&eacute;lioratif.</p> <p dir="ltr">Bien que ne se r&eacute;clamant pas utopiste, Antonio Gramsci croit n&eacute;anmoins que la transformation de la vie d&eacute;coule d&rsquo;une prise de conscience de l&rsquo;&eacute;cart entre ce qui est et ce qui devrait &ecirc;tre. Il va m&ecirc;me jusqu&rsquo;&agrave; admettre que dans certaines circonstances l&rsquo;illusion agit en tant que facteur de motivation &agrave; l&rsquo;action r&eacute;volutionnaire qui oppose utopistes et pragmatiques. Ces derniers accusent les utopistes d&rsquo;abuser de la cr&eacute;dibilit&eacute; du genre humain en lui miroitant des paradis artificiels. Notre article porte sur la dimension utopique du marxisme que nous allons illustrer en s&rsquo;inspirant, entre autres, de Marx, critique du marxisme de Maximilien Rubel. Dans la pr&eacute;face de ce livre, Louis Janover assimile, d&rsquo;entr&eacute;e de jeu, l&rsquo;utopie &agrave; une connaissance d&eacute;fectueuse. Et pour &eacute;tayer son point de vue, il note que les Bolcheviks ont mis &agrave; profit leur h&eacute;g&eacute;monie pour s&rsquo;infiltrer &agrave; travers les interstices de la soci&eacute;t&eacute; et vendre leur version d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; cousue de fils blancs.</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">La chute d&eacute;finitive de l&rsquo;URSS a laiss&eacute; debout le mythe originel de la r&eacute;volution russe, baptis&eacute;e [faussement] r&eacute;volution prol&eacute;tarienne et socialiste. Il en a m&ecirc;me &eacute;t&eacute; renforc&eacute; en ce sens que le r&eacute;gime s&rsquo;est effondr&eacute; non pour ce qu&rsquo;il &eacute;tait, mais comme r&eacute;alisation de ce qu&rsquo;il n&rsquo;&eacute;tait pas.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Comment se fait-il donc que la manipulation du communisme par L&eacute;nine, Trotski et Staline, n&rsquo;ait pas sonn&eacute; suffisamment l&rsquo;alarme ou tout au moins dissocier Marx de cette aventure qui a mal tourn&eacute;. Pis encore la r&eacute;volution bureaucratique et totalitaire s&rsquo;est maintenue trois quarts de si&egrave;cle sous un d&eacute;guisement trompeur.</p> <h1 dir="ltr">L&rsquo;explication de l&#39;autoritarisme marxiste-l&eacute;niniste par Maximilien Rubel</h1> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Si Gramsci est consid&eacute;r&eacute; aujourd&rsquo;hui comme source d&rsquo;inspiration pour la th&eacute;orie critique c&rsquo;est en grande partie parce qu&rsquo;il s&rsquo;est distanci&eacute; du mod&egrave;le r&eacute;volutionnaire de haut en bas typique du marxisme-l&eacute;ninisme. Le parti marxiste autoritaire, victorieux dans la Russie encore largement agraire et paysanne, a su mobiliser des populations plus ou moins colonis&eacute;es &agrave; se soulever en vue de s&rsquo;&eacute;manciper du joug imp&eacute;rialiste. Autre pays avec une large paysannerie, la Chine, gr&acirc;ce &agrave; la centralisation de l&rsquo;&eacute;conomie et au dirigisme du parti unique, a connu un d&eacute;veloppement &eacute;conomique fulgurant dans la deuxi&egrave;me moiti&eacute; du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle. Mais avant de se tourner vers le r&ocirc;le qu&rsquo;ont jou&eacute; les partis autoritaires dans la mont&eacute;e en puissance de l&rsquo;ex URSS et de la Chine contemporaine il serait important de jeter un regard sur l&rsquo;interpr&eacute;tation que donne Maximilien Rubel de la pens&eacute;e de Karl Marx et de son id&eacute;al relatif &agrave; l&rsquo;&eacute;mancipation humaine.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Dans un de ses premiers grands ouvrages portant sur la vie et l&rsquo;&oelig;uvre de Marx, Rubel d&eacute;c&egrave;le dans les &eacute;crits de ce dernier une forte composante &eacute;thique et utopique. &Agrave; la suite de l&rsquo;obtention de son doctorat en philosophie &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; d&rsquo;I&eacute;na, Karl Marx se lance dans une carri&egrave;re journalistique. Confrontant les probl&egrave;mes sociaux et politiques de l&rsquo;Allemagne du XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle avec les outils de la philosophie h&eacute;g&eacute;lienne, Marx ne tardera pas &agrave; s&rsquo;apercevoir des limites du panlogisme h&eacute;g&eacute;lien et de son caract&egrave;re mystificateur. Pour d&eacute;noncer la censure et les injustices de son &eacute;poque, Marx adopte, selon Rubel, une posture lib&eacute;rale extr&ecirc;me. Mais il se rend vite compte que cette position philosophique n&rsquo;abolit pas les in&eacute;galit&eacute;s sociales ni l&rsquo;ali&eacute;nation politique. Seule une position r&eacute;volutionnaire associ&eacute;e &agrave; la cause des travailleurs d&eacute;munis permettra une v&eacute;ritable &eacute;mancipation humaine. Le point important que note Rubel a trait &agrave; l&rsquo;adoption par Marx d&rsquo;une position radicale ant&eacute;rieurement au d&eacute;veloppement de ce que l&rsquo;on nommera le mat&eacute;rialisme historique et de l&rsquo;appareillage scientifique qu&rsquo;il associera plus tard &agrave; sa th&eacute;orie de l&rsquo;&eacute;mancipation sociale. En d&rsquo;autres termes l&rsquo;impulsion &eacute;thique et le caract&egrave;re humaniste utopique de Marx pr&eacute;c&egrave;dent le d&eacute;veloppement de sa th&eacute;orie sociale et la guident. D&rsquo;ailleurs, Rubel s&rsquo;appuie sur les dires m&ecirc;mes de Marx dans Zur Kritik der politischen Oekonomie de 1859 o&ugrave; le penseur r&eacute;sume les phases de sa formation intellectuelle et spirituelle,</p> <p dir="ltr" style="text-align: left; margin-left: 40px;"><q><span style="color:#000000">Que r&eacute;sulte-t-il de cet aper&ccedil;u que Marx nous donne des d&eacute;buts de sa carri&egrave;re intellectuelle? Un fait simple en lui-m&ecirc;me, mais d&rsquo;une importance capitale pour saisir le fond m&ecirc;me de l&rsquo;&oelig;uvre scientifique de Marx&nbsp;: il a adh&eacute;r&eacute; au communisme non pas apr&egrave;s, mais avant d&rsquo;en avoir &eacute;tudi&eacute; les pr&eacute;misses sociologiques, historiques et &eacute;conomiques. En quelque sorte, Hegel l&rsquo;y avait conduit, mais il fut pour Marx un guide n&eacute;gatif, qui l&rsquo;avait men&eacute; dans une impasse; un guide &agrave; &eacute;carter, avant de risquer le pas d&eacute;cisif dans une voie nouvelle. Il fallait que Hegel provoqu&acirc;t en Marx la crise intellectuelle dont la seule issue possible &eacute;tait l&rsquo;adh&eacute;sion spontan&eacute;e &agrave; une cause r&eacute;clamant un engagement total et la mise en jeu des meilleures facult&eacute;s de son &ecirc;tre.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Ce n&rsquo;est d&rsquo;ailleurs qu&rsquo;&agrave; partir de 1927 que l&rsquo;ampleur de la critique du jeune Marx envers Hegel sera pleinement d&eacute;voil&eacute;e. Les prouesses verbales mystificatrices y sont d&eacute;nonc&eacute;es et surtout la th&egrave;se centrale de la philosophie politique divinisant en quelque sorte l&rsquo;&Eacute;tat y est fortement critiqu&eacute;e. Comme le souligne &agrave; juste titre Rubel, &laquo;&nbsp;Il [Marx] d&eacute;nonce chez Hegel des antinomies imaginaires [&hellip;] dont le philosophe se sert pour faire admettre sa th&egrave;se centrale [&hellip;] le peuple et la soci&eacute;t&eacute; ne sont rien par eux-m&ecirc;mes ; l&rsquo;&Eacute;tat, personnifi&eacute; par le monarque, est tout&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est exactement l&rsquo;inverse que Marx voudra soutenir&nbsp;: non pas en invoquant le concept large de &laquo;&nbsp;peuple&nbsp;&raquo; ou de &laquo;&nbsp;nation&nbsp;&raquo; mais en &eacute;tudiant et en observant la lutte mat&eacute;rielle et spirituelle du prol&eacute;tariat. Dans les ann&eacute;es 1840 Marx signale que l&rsquo;&Eacute;tat et l&rsquo;argent sont les deux sources de l&rsquo;ali&eacute;nation dans la soci&eacute;t&eacute; bourgeoise. Il se sert d&rsquo;ailleurs de certaines id&eacute;es qu&rsquo;il a tir&eacute;es de Ludwig Feuerbach dans sa critique de la religion pour &eacute;tayer sa perspective politique</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">L&rsquo;influence de l&rsquo;anthropologie de Feuerbach para&icirc;t de plus en plus sensible, &agrave; mesure que la critique de Marx se pr&eacute;cise et prend un aspect positif. Au centre de ses pr&eacute;occupations il y a d&eacute;sormais l&rsquo;homme, &ecirc;tre social, en face de ce pouvoir souverain auquel Hegel, dans plusieurs paragraphes de son ouvrage, conf&egrave;re g&eacute;n&eacute;reusement tous les attributs d&rsquo;une divinit&eacute;. Ce que Feuerbach avait fait pour la religion &ndash; en exhortant l&rsquo;homme &agrave; retirer &agrave; Dieu les forces qu&rsquo;il lui avait pr&ecirc;t&eacute;es &ndash; Marx croit pouvoir et devoir le faire pour la politique, en incitant l&rsquo;homme &agrave; s&rsquo;insurger contre un pouvoir auquel il a livr&eacute; la meilleure part de lui-m&ecirc;me, sa vocation sociale.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">La solution d&eacute;mocratique redonnant le pouvoir aux d&eacute;poss&eacute;d&eacute;s semblait &ecirc;tre la r&eacute;ponse tant au probl&egrave;me &eacute;thique que social. Par contre, les adeptes des r&eacute;gimes politiques en place &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de Marx, m&ecirc;me ceux qui aux &Eacute;tats-Unis se targuaient d&rsquo;&ecirc;tre libres, ne partageaient pas l&rsquo;id&eacute;al politique du jeune r&eacute;volutionnaire allemand. Dans les faits l&rsquo;homme dans une soci&eacute;t&eacute; de classe vivait n&eacute;cessairement dans deux mondes diam&eacute;tralement oppos&eacute;s. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; il y a le monde mat&eacute;riel ou subsistent les in&eacute;galit&eacute;s de fortunes et o&ugrave; les classes subalternes sont forc&eacute;es de vivre au jour le jour en travaillant &agrave; la sueur de leur front pour une classe dominante qui s&rsquo;enrichit sur leur dos et, de l&rsquo;autre, un monde id&eacute;el dans lequel tous les citoyens sont en principe, libres et &eacute;gaux. Encore une fois l&rsquo;humanisme de Feuerbach servira de point de d&eacute;part &agrave; la r&eacute;flexion de Marx en vue de pallier l&rsquo;ali&eacute;nation politique et sociale de l&rsquo;homme moderne. Rubel va m&ecirc;me jusqu&rsquo;&agrave; dire que Marx &eacute;tait de plus en plus port&eacute; &agrave; croire que l&rsquo;&Eacute;tat n&rsquo;avait plus sa raison d&rsquo;&ecirc;tre et &agrave; manifester des affinit&eacute;s avec des tendances de facture anarchiste,</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">Mais la d&eacute;mocratie vraie n&rsquo;est encore r&eacute;alis&eacute;e dans aucune des formes de gouvernement existantes, puisque toutes, sans exception, monarchiques ou r&eacute;publicaines, supposent la disjonction, dans l&rsquo;homme, de son &ecirc;tre politique et de son &ecirc;tre priv&eacute; [&hellip;] Ce qu&rsquo;il y a de certain, c&rsquo;est que l&rsquo;humanisme de Feuerbach avait contribu&eacute; plus que toute conception politique &agrave; r&eacute;v&eacute;ler &agrave; Marx que le probl&egrave;me des rapports entre les individus et l&rsquo;&Eacute;tat &eacute;tait avant tout un probl&egrave;me social autant qu&rsquo;&eacute;thique. Ainsi, de d&eacute;duction en d&eacute;duction la critique de la philosophie politique de Hegel prenait chez Marx une orientation de plus en plus radicale, jusqu&rsquo;&agrave; se transformer purement et simplement en n&eacute;gation de l&rsquo;&Eacute;tat. Sans que le mot ne soit jamais prononc&eacute;, l&rsquo;anarchisme est le sens profond de la conception que Marx, dans son manuscrit, oppose &agrave; la th&eacute;orie h&eacute;g&eacute;lienne de l&rsquo;&Eacute;tat, sous le terme de &quot;d&eacute;mocratie&quot;.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Selon Rubel ce n&rsquo;est donc pas &agrave; la suite d&rsquo;une &eacute;tude exhaustive des modes de production et des types d&rsquo;&Eacute;tats historiques successifs, que Marx fera plus tard et qui lui confirma la justesse de son id&eacute;e voulant que sur &nbsp;l&rsquo;abolition de l&rsquo;&Eacute;tat et du Capital soit un antidote &agrave; l&rsquo;ali&eacute;nation. Il s&rsquo;agit d&rsquo;abord et avant tout d&rsquo;un &laquo;&nbsp;[C]hoix &eacute;thique, d&rsquo;une adh&eacute;sion spontan&eacute;e aux postulats humanistes de Ludwig Feuerbach, oppos&eacute;s aux sp&eacute;culations h&eacute;g&eacute;liennes&nbsp;&raquo;. Ce choix &eacute;thique, cette prise de position morale &agrave; caract&egrave;re utopique pour mettre fin aux diff&eacute;rentes ali&eacute;nations produites par l&rsquo;homme et qui l&rsquo;oppriment spirituellement aussi bien que mat&eacute;riellement, restera le fil conducteur humaniste de l&rsquo;&oelig;uvre enti&egrave;re de Marx, y compris le Capital. M&ecirc;me ses derniers &eacute;crits, y inclus la Critique du programme de Gotha contenait cette m&ecirc;me critique radicale du monde bourgeois. Pour Feuerbach r&eacute;tablir la dignit&eacute; humaine exige la n&eacute;gation de Dieu et de la religion. Pour Marx, l&rsquo;&eacute;mancipation sociale exige l&rsquo;abolition de l&rsquo;exploitation capitaliste et de l&rsquo;&Eacute;tat.</p> <h1 dir="ltr">Marx, critique du marxisme</h1> <p dir="ltr" style="text-align: left;">L&rsquo;interpr&eacute;tation de la pens&eacute;e de Marx par Rubel tient la route d&rsquo;autant plus quand on prend la peine de lire attentivement l&rsquo;&oelig;uvre de Karl Marx. Il serait alors difficile de nier la th&egrave;se de Rubel voulant que l&rsquo;engagement &eacute;thique de Marx pr&eacute;c&egrave;de ses analyses minutieuses du fonctionnement de l&rsquo;exploitation capitaliste ou ses recherches sur les formes de domination &eacute;tatiques bourgeoises tel que le bonapartisme. Mais comment en arrive-t-on &agrave; expliquer la fa&ccedil;on dont une pens&eacute;e visant l&rsquo;&eacute;mancipation de l&rsquo;humanit&eacute; et la fin de l&rsquo;ali&eacute;nation politique et &eacute;conomique ait pu servir de source d&rsquo;inspiration pour des r&eacute;gimes totalitaires au XX<sup>e</sup> si&egrave;cle? La r&eacute;ponse facile des uns est de bl&acirc;mer Marx lui-m&ecirc;me en pigeant &agrave; gauche et &agrave; droite dans son &oelig;uvre pour prouver qu&rsquo;il a toujours &eacute;t&eacute; un penseur autoritaire. De cette fa&ccedil;on on s&rsquo;&eacute;pargne l&rsquo;effort de r&eacute;futer le leitmotiv libertaire que Rubel a clairement identifi&eacute; dans l&rsquo;ensemble de l&rsquo;&oelig;uvre de Marx, de ses &eacute;crits de jeunesse au Capital. Du c&ocirc;t&eacute; des militants du Parti communiste qui ne veulent pas renier la pens&eacute;e du ma&icirc;tre, on s&rsquo;&eacute;vertue &agrave; condamner des tendances marxistes autres que celle qui leur est ch&egrave;re, en citant la trahison et la mauvaise foi comme facteurs explicatifs des d&eacute;rives totalitaires.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">L&rsquo;originalit&eacute; de l&rsquo;explication de ce ph&eacute;nom&egrave;ne par Maximilien Rubel et qui sera reprise par Louis Janover, est de recourir aux interpr&eacute;tations d&eacute;coulant de la loi du moindre effort qui, au fond, n&rsquo;expliquent rien. Rubel ne cache pas d&rsquo;ailleurs que certains marxistes plus proches du courant libertaire, tels que les communistes de &laquo;&nbsp;Conseils&nbsp;&raquo; l&rsquo;ont pr&eacute;c&eacute;d&eacute; dans sa m&eacute;thode d&rsquo;analyse. Il s&rsquo;agit en fait pour Rubel d&rsquo;appliquer la m&eacute;thode d&rsquo;analyse du mat&eacute;rialisme historique aux pays qui ont, les premiers, fait la r&eacute;volution en s&rsquo;inspirant de l&rsquo;id&eacute;ologie marxiste. Le cas de la Russie sert souvent de mod&egrave;le aux explications de Rubel et s&rsquo;av&egrave;re transf&eacute;rable, jusqu&rsquo;&agrave; un certain point, en terre chinoise. Nous allons donc nous concentrer sur les &eacute;v&eacute;nements qui tournent autour de la R&eacute;volution d&rsquo;octobre et de la cr&eacute;ation de l&rsquo;URSS.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Dans son ouvrage qui regroupe plusieurs de ses essais sur Marx et le marxisme Maximilien Rubel r&eacute;sume la plupart de ses id&eacute;es concernant la gen&egrave;se du marxisme comme id&eacute;ologie et &eacute;ventuellement de sa variante autoritaire, le marxisme-l&eacute;ninisme. Marx lui-m&ecirc;me avait, selon Rubel, une certaine m&eacute;fiance &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des syst&egrave;mes philosophiques qui se voulaient complets et capables de tout expliquer. La grande masse de ses &eacute;crits n&rsquo;ayant jamais &eacute;t&eacute; publi&eacute;e de son vivant, Marx trouvait que ses recherches n&rsquo;&eacute;taient pas assez rigoureusement scrut&eacute;es par son autocritique et redoutait de publier les r&eacute;sultats de ses recherches avant qu&rsquo;ils ne soient satisfaisants &agrave; ses propres yeux. Marx se voyait lui-m&ecirc;me comme un compagnon de route de la classe ouvri&egrave;re, un scientifique et un militant qui cherchait &agrave; offrir des &eacute;l&eacute;ments de culture scientifique pour promouvoir la lutte du prol&eacute;tariat en vue de son &eacute;mancipation. Selon Rubel, le marxisme, en tant que syst&egrave;me, est le produit de la pens&eacute;e d&rsquo;Engels, compagnon fid&egrave;le de Marx, &laquo;&nbsp;Le marxisme n&rsquo;est pas venu au monde comme un produit authentique de la mani&egrave;re de penser de Karl Marx, mais comme un fruit l&eacute;gitime de l&rsquo;esprit de Friedrich Engels&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est avec cet acte fondateur d&rsquo;Engels, qui avait surtout pour but de distinguer les id&eacute;es de Marx de celles des socialistes utopiques et des anarchistes, tels que Proudhon, que prit naissance l&rsquo;id&eacute;ologie marxiste qui sera ensuite instrumentalis&eacute;e par toutes sortes d&rsquo;organisations politiques. D&rsquo;ailleurs Engels justifiera sa d&eacute;cision d&rsquo;adopter le terme marxiste pour d&eacute;signer tous ceux qui s&rsquo;inspireront de Marx en excluant ses d&eacute;tracteurs au sein de la premi&egrave;re Internationale, qui accolaient &agrave; ceux-l&agrave; toutes sortes d&rsquo;&eacute;pith&egrave;tes ridicules. D&rsquo;apr&egrave;s Rubel, cet acte est en quelque sorte le point de d&eacute;part de toutes les d&eacute;rives subs&eacute;quentes du marxisme au XIX<sup>e</sup> et surtout au XX<sup>e</sup> si&egrave;cle. Marx lui-m&ecirc;me lorsqu&rsquo;il r&eacute;digeait des documents pour la premi&egrave;re Internationale fit toujours tr&egrave;s attention &agrave; ne pas se pr&eacute;senter comme chef de parti ou th&eacute;oricien aux r&eacute;ponses justes contrairement &agrave; ce que feront plus tard les id&eacute;ologues staliniens ou mao&iuml;stes,</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">Dans presque tous les textes internationaux dont Marx est incontestablement l&rsquo;auteur, on constate ce double souci de l&rsquo;observation document&eacute;e et de l&rsquo;&eacute;valuation en perspective, en un mot la volont&eacute;, chez l&rsquo;&eacute;ducateur politique, de lier la lutte momentan&eacute;e &agrave; la conscience d&rsquo;une finalit&eacute; r&eacute;volutionnaire. Le principe de l&rsquo;auto-&eacute;mancipation, plac&eacute; en t&ecirc;te du pr&eacute;ambule des statuts, interdit &agrave; l&rsquo;intellectuel pr&ecirc;t &agrave; lutter dans les rangs de la classe ouvri&egrave;re de se livrer &agrave; une activit&eacute; autre que l&rsquo;&eacute;ducation politique au sens le plus universel du terme&nbsp;: compr&eacute;hension de la soci&eacute;t&eacute; existante et aspiration &agrave; l&rsquo;&eacute;mancipation compl&egrave;te.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Nous sommes donc ici &agrave; l&rsquo;antipode du &laquo;&nbsp;substitutisme&nbsp;&raquo; des futurs partis marxistes qui voudraient assumer le r&ocirc;le de la classe ouvri&egrave;re en lutte pour l&rsquo;auto-&eacute;mancipation. Bien qu&rsquo;en Russie du d&eacute;but du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle les forces productives aient &eacute;t&eacute; trop faibles, la classe ouvri&egrave;re peu importante, et la paysannerie massive, il n&rsquo;en reste pas moins que certains intellectuels bourgeois ont tent&eacute; &nbsp;d&rsquo;organiser une r&eacute;volution d&rsquo;inspiration &laquo;&nbsp;marxiste&nbsp;&raquo;. Rubel soutient que les termes m&ecirc;mes de la pens&eacute;e de Marx ne laissent pas entendre qu&rsquo;une telle tentative r&eacute;volutionnaire puisse mener &agrave; bon port. En croyant &eacute;riger le socialisme dans un seul pays, les marxistes russes, de L&eacute;nine &agrave; Trotski et &agrave; Staline ne feront en r&eacute;alit&eacute; que b&acirc;tir un capitalisme d&rsquo;&Eacute;tat dirig&eacute; d&rsquo;en haut par une bureaucratie pr&eacute;tendument rouge. Cela aura un effet direct sur leur propre id&eacute;ologie, leur concept de parti, bref leur r&eacute;volution. Les efforts des pays qui adopteront le mod&egrave;le r&eacute;volutionnaire marxiste-l&eacute;niniste seront surtout orient&eacute;s vers le rattrapage des niveaux de d&eacute;veloppement des forces productives capitalistes et de croissance &eacute;conomique. Sauf que ce rattrapage se fera selon des m&eacute;thodes encore plus brutales, car r&eacute;alisable sur une plus br&egrave;ve &eacute;ch&eacute;ance et de fa&ccedil;on syst&eacute;matique par l&rsquo;&Eacute;tat, alors que l&rsquo;accumulation primitive dans les premi&egrave;res nations capitalistes occidentales telles que l&rsquo;Angleterre, la France et les &Eacute;tats-Unis, s&rsquo;est &eacute;chelonn&eacute;e sur une assez longue p&eacute;riode. M&ecirc;me la critique de l&rsquo;anarchiste Bakounine &agrave; l&rsquo;endroit de l&rsquo;attitude autoritaire de Marx et de certains de ses acolytes est, de l&rsquo;avis de Rubel, non-fond&eacute;e,</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">Certes, dans ses critiques d&rsquo;un certain comportement de Marx et de ses disciples, Bakounine a anticip&eacute; la critique actuelle des m&eacute;thodes d&rsquo;action et des attitudes intellectuelles marxistes, mais ce n&rsquo;est nullement un argument contre la validit&eacute; normative de l&rsquo;enseignement r&eacute;volutionnaire, &eacute;l&eacute;ment constitutif de la sociologie &laquo;&nbsp;mat&eacute;rialiste&nbsp;&raquo;. Le triomphe du marxisme signifie seulement &nbsp;le triomphe d&rsquo;une id&eacute;ologie politique qui, se r&eacute;clamant de l&rsquo;enseignement de Marx, ne saurait &eacute;chapper &agrave; l&rsquo;action d&eacute;mystificatrice d&rsquo;une sociologie qui, la premi&egrave;re, a &eacute;lev&eacute; la critique sociale &agrave; la hauteur d&rsquo;une &eacute;thique.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Ici Rubel revient donc sur la th&egrave;se avanc&eacute;e dans sa biographie de Marx. &Agrave; l&rsquo;&eacute;thique humaniste de Marx, qui remonte &agrave; sa critique de Hegel et &agrave; certains postulats anthropologiques de Feuerbach, se joint la lutte du prol&eacute;tariat en vue de son auto-&eacute;mancipation. Tout r&eacute;gime politique ou &eacute;conomique asservissant les travailleurs &agrave; un pouvoir externe qui les dominent et les &eacute;crasent que ce soit l&rsquo;&Eacute;tat ou le Capital va &agrave; l&rsquo;encontre de l&rsquo;esprit et de la lettre de l&rsquo;enseignement de Marx. Les marxistes, qui au nom d&rsquo;une soi-disant fid&eacute;lit&eacute; au ma&icirc;tre, s&rsquo;ing&eacute;nient &agrave; cr&eacute;er de tels syst&egrave;mes d&rsquo;oppression sont les premiers &agrave; m&eacute;comprendre les pr&eacute;misses th&eacute;oriques de Marx. Il serait donc erron&eacute; de croire qu&rsquo;un parti ou une minorit&eacute; active puissent remplacer la lutte des classes ou cr&eacute;er des conditions mat&eacute;rielles propices &agrave; une r&eacute;volution communiste l&agrave; ou ces conditions n&rsquo;existent pas. Dans un essai intitul&eacute; Marx th&eacute;oricien de l&rsquo;anarchisme Rubel rappelle aux lecteurs que,</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">Id&eacute;ologie dominante d&rsquo;une classe de ma&icirc;tres, le marxisme a r&eacute;ussi &agrave; vider les concepts de socialisme et de communisme, tels que Marx et ses pr&eacute;curseurs les entendaient, de leur contenu originel, en lui substituant l&rsquo;image d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; qui en est la totale n&eacute;gation. Bien qu&rsquo;&eacute;troitement li&eacute; aux deux autres, un troisi&egrave;me concept semble pourtant avoir &eacute;chapp&eacute; &agrave; ce destin mystificateur&nbsp;: l&rsquo;anarchisme. Or, si l&rsquo;on sait que Marx a eu peu de sympathie pour certains anarchistes, on ignore g&eacute;n&eacute;ralement qu&rsquo;il n&rsquo;en a pas moins partag&eacute; l&rsquo;id&eacute;al et l&rsquo;objectif&nbsp;: la disparition de l&rsquo;&Eacute;tat.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">En fait les disputes de Marx avec des anarchistes comme Proudhon et Bakounine ont des causes multiples. Parfois c&rsquo;&eacute;tait Marx lui-m&ecirc;me qui &eacute;tait incapable de reconna&icirc;tre un point valide chez ses interlocuteurs anarchistes. Il croyait, &agrave; tort, que ces derniers n&rsquo;avaient pas compris que les principes moraux et les id&eacute;aux r&eacute;volutionnaires ne peuvent remplacer les conditions et les forces mat&eacute;rielles indispensables au changement social radical. Lorsqu&rsquo;il critiqua Proudhon dans Mis&egrave;re de la philosophie par exemple, Marx consid&eacute;rait que Proudhon continuait &agrave; d&eacute;fendre une conception id&eacute;aliste de l&rsquo;histoire parce qu&rsquo;il ne comprenait pas les rouages du d&eacute;veloppement &eacute;conomique ni les transformations historiques. Marx cherchait &agrave; convaincre les partisans de Proudhon et de Bakounine de s&rsquo;abstenir de faire circuler des id&eacute;es m&eacute;taphysiques aupr&egrave;s des classes subalternes. Le ton tranchant que Marx prenait pour faire passer son message laissait souvent &agrave; d&eacute;sirer. C&rsquo;&eacute;tait un intellectuel d&rsquo;une grande &eacute;rudition qui voulait que les r&eacute;volutionnaires sinc&egrave;res apportent, co&ucirc;te que co&ucirc;te, des &eacute;l&eacute;ments de culture &agrave; la classe ouvri&egrave;re qui les aideraient dans leur lutte sociale contre la bourgeoisie,</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">La n&eacute;gation de l&rsquo;&Eacute;tat et de l&rsquo;argent, tout comme l&rsquo;affirmation du prol&eacute;tariat en tant que classe lib&eacute;ratrice, sont dans le d&eacute;veloppement intellectuel de Marx, ant&eacute;rieures &agrave; ses &eacute;tudes d&rsquo;&eacute;conomie politique; elles pr&eacute;c&egrave;dent &eacute;galement sa d&eacute;couverte du &quot;fil conducteur&quot; qui le guidera dans ses recherches historiques ult&eacute;rieures, &agrave; savoir la conception mat&eacute;rialiste de l&rsquo;histoire. La rupture avec la philosophie juridique et politique de Hegel d&rsquo;une part, et l&rsquo;&eacute;tude critique de l&rsquo;histoire des r&eacute;volutions bourgeoises d&rsquo;autre part, lui ont permis de fixer d&eacute;finitivement les postulats &eacute;thiques de sa future th&eacute;orie sociale dont la critique de l&rsquo;&eacute;conomie politique lui fournira les assises scientifiques.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Partageant avec les anarchistes le m&ecirc;me id&eacute;al d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; sans &Eacute;tat et se servant de leurs arguments pour une critique de la soci&eacute;t&eacute; capitaliste, Marx semblait bien plac&eacute; pour fournir des outils propices &agrave; &nbsp;la lib&eacute;ration de la classe ouvri&egrave;re. Que s&rsquo;est-il donc pass&eacute; avec la R&eacute;volution d&rsquo;octobre et la naissance du marxisme-l&eacute;ninisme autoritaire pour faire reculer la cause de l&rsquo;auto-&eacute;mancipation des travailleurs ?</p> <h1 dir="ltr">Le mythe d&#39;octobre</h1> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Selon Marx, ce sont les nations qui ont entam&eacute; un long processus de d&eacute;veloppement historique capitaliste qui sont plus &agrave; m&ecirc;me d&rsquo;effectuer une transition vers le socialisme et le communisme int&eacute;gral. Bien que dans certains de ses &eacute;crits, il ait admis que d&rsquo;autres sch&eacute;mas de d&eacute;veloppement historiques sont possibles l&agrave; o&ugrave; le capitalisme &eacute;tait faiblement d&eacute;velopp&eacute;, il n&rsquo;en reste pas moins que Marx avait une aversion pour les paradoxes. Que Marx, dans ses lettres &agrave; des r&eacute;volutionnaires russes admette que le mir (la communaut&eacute; villageoise primitive en Russie) puisse contenir certains &eacute;l&eacute;ments de solution de rechange au d&eacute;veloppement du socialisme est une chose. Mais lui faire dire, par un tour de passe-passe, que par d&eacute;cret du parti marxiste-l&eacute;niniste une soci&eacute;t&eacute; p&ucirc;t sauter par-dessus des &eacute;tapes enti&egrave;res de d&eacute;veloppement &eacute;conomique et passer d&rsquo;une &eacute;conomie surtout agraire &agrave; la construction du socialisme en est une autre,</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">[L]&rsquo;hypoth&egrave;se la plus fr&eacute;quente que Marx nous offre dans ses travaux politiques est celle de la r&eacute;volution prol&eacute;tarienne dans un pays ayant connu une longue p&eacute;riode de civilisation bourgeoise et d&rsquo;&eacute;conomie capitaliste; elle doit marquer le d&eacute;but d&rsquo;un processus de d&eacute;veloppement englobant peu &agrave; peu le reste du monde, l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration du progr&egrave;s historique &eacute;tant assur&eacute;e par osmose r&eacute;volutionnaire. Quelle que soit l&rsquo;hypoth&egrave;se envisag&eacute;e, un fait est certain&nbsp;: il n&rsquo;y a pas de place, dans la th&eacute;orie sociale de Marx, pour une troisi&egrave;me voie r&eacute;volutionnaire, celle de pays qui, priv&eacute;s de l&rsquo;exp&eacute;rience historique du capitalisme d&eacute;velopp&eacute; et de la d&eacute;mocratie bourgeoise, montreraient aux pays ayant un long pass&eacute; capitaliste et bourgeois le chemin de la r&eacute;volution prol&eacute;tarienne.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Et c&rsquo;est pourtant cette troisi&egrave;me voie qu&rsquo;on a voulu, par le biais des partis marxistes-l&eacute;ninistes et des &Eacute;tats qu&rsquo;ils dirigeaient, faire croire &agrave; tout le monde qu&rsquo;ils poss&eacute;daient la solution pour sortir du capitalisme et b&acirc;tir un monde nouveau. Mais encore une fois Rubel ne bl&acirc;me ni Marx, ni tout &agrave; fait les acteurs historiques sinc&egrave;rement convaincus d&rsquo;&oelig;uvrer &agrave; construire le socialisme, sans pour autant les exon&eacute;rer de tous les crimes qu&rsquo;ils ont commis chemin faisant. Il est &eacute;vident qu&rsquo;en mati&egrave;re de morale Rubel condamne les actes de terreur commis par les r&eacute;gimes stalinien et mao&iuml;ste mais en m&ecirc;me temps il reconna&icirc;t que les nouveaux dirigeants d&rsquo;un capitalisme d&rsquo;&Eacute;tat soumis &agrave; l&rsquo;id&eacute;ologie marxiste n&rsquo;&eacute;taient pas enti&egrave;rement libres d&rsquo;agir &agrave; leur guise. Ils &eacute;taient victimes des id&eacute;es fausses qu&rsquo;ils se faisaient &agrave; propos des possibilit&eacute;s historiques r&eacute;elles de r&eacute;volution dans leur pays. Ils jouaient le r&ocirc;le que l&rsquo;histoire leur avait r&eacute;serv&eacute;. C&rsquo;&eacute;taient des bourgeois &eacute;tatistes et autoritaires ayant d&eacute;velopp&eacute; les forces productives de leurs nations respectives sous le couvert de l&rsquo;id&eacute;ologie marxiste mais qui n&rsquo;avaient, du reste, plus grand-chose &agrave; avoir avec la pens&eacute;e de Marx. Par exemple lorsqu&rsquo;on analyse la pens&eacute;e de L&eacute;nine et des Bolcheviks une fois aux commandes de l&rsquo;&Eacute;tat l&rsquo;on peut voir que,</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">La th&eacute;orie &eacute;conomique de L&eacute;nine, au lendemain de la conqu&ecirc;te du pouvoir par le parti bolch&eacute;vique et jusqu&rsquo;&agrave; sa mort, se r&eacute;sume en une phrase&nbsp;: la Russie n&rsquo;&eacute;tant pas m&ucirc;re pour le socialisme, au sens marxiste du terme, il incombe au pouvoir prol&eacute;tarien, donc &agrave; l&rsquo;&Eacute;tat ouvrier, donc au Parti bolchevique, de h&acirc;ter, par des r&eacute;formes d&rsquo;&eacute;conomie bourgeoises et &eacute;tatiques, ce processus de maturation; l&rsquo;&eacute;tape pr&eacute;paratoire, la p&eacute;riode de transition, le cha&icirc;non interm&eacute;diaire entre le capitalisme et le socialisme devait &ecirc;tre, aux yeux de L&eacute;nine, le capitalisme d&rsquo;&Eacute;tat, surveill&eacute; et dirig&eacute; par le pouvoir ouvrier.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">&Eacute;videmment, dans ce cas-ci, le pouvoir ouvrier ne veut pas dire le pouvoir direct des Soviets et des producteurs, mais le pouvoir de bureaucrates qui supervisent et coordonnent le d&eacute;veloppement &eacute;conomique national au nom de la classe ouvri&egrave;re. Les id&eacute;ologues du Parti marxiste-l&eacute;niniste ont trouv&eacute; toutes sortes de moyens pour r&eacute;gir le rapport social d&rsquo;exploitation et de domination en vigueur dans le cadre de l&rsquo;&eacute;conomie planifi&eacute;e de l&rsquo;URSS. Comme l&rsquo;indique Rubel, &nbsp;les discours et les trait&eacute;s interminables que l&rsquo;Union sovi&eacute;tique a produits ne visaient qu&rsquo;&agrave; cacher le fait fondamental de l&rsquo;exploitation de la classe ouvri&egrave;re russe par une couche bureaucratique dirigeante. Une analyse mat&eacute;rialiste selon la m&eacute;thode de Marx r&eacute;v&egrave;le facilement la r&eacute;alit&eacute; de la situation &eacute;conomique et politique des travailleurs dans le socialisme factuel. Maintenant que l&rsquo;URSS est redevenue la Russie dirig&eacute;e par un dictateur en collaboration avec une classe capitaliste puissante et que la Chine est devenue une superpuissance &eacute;conomique sous l&rsquo;&eacute;gide d&rsquo;un parti unique, les explications de Rubel sont moins concluantes. La mystification des id&eacute;ologues marxistes-l&eacute;ninistes dogmatiques ne peut plus cacher aussi facilement leur falsification de l&rsquo;histoire et le tort qu&rsquo;ils ont inflig&eacute; &agrave; la cause, ch&egrave;re &agrave; Marx, de l&rsquo;&eacute;mancipation humaine,</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">Marquons d&egrave;s &agrave; pr&eacute;sent, afin de bien d&eacute;gager la m&eacute;thode suivie par nos auteurs [r&eacute;dacteurs de trait&eacute;s &eacute;conomiques en URSS], que pour eux, l&rsquo;&eacute;conomie est socialiste, puisque les rapports de production le sont; que le caract&egrave;re socialiste de ces rapports se d&eacute;duit lui-m&ecirc;me du fait que la production est &eacute;tatis&eacute;e; que la disparition des capitalistes signifie l&rsquo;av&egrave;nement du socialisme, puisqu&rsquo;elle entra&icirc;ne visiblement dans leur esprit celle du capital. Pour Marx, en effet, le capitaliste personnifie le capital, mais cette notion ne vaut qu&rsquo;interpr&eacute;t&eacute;e ainsi&nbsp;: le capitaliste personnifie le capital dans la mesure o&ugrave; il en est le &quot;fonctionnaire&quot;&nbsp;: en tant que tel il est indispensable sans doute au capital mais ne se substitue pas &agrave; lui. En d&rsquo;autres termes, il est le porteur d&rsquo;un rapport social de production bien d&eacute;termin&eacute;, rapport o&ugrave; le producteur est s&eacute;par&eacute; de ses moyens de production; soumis ici au m&eacute;canisme aveugle du march&eacute;, l&agrave; au diktat &quot;rationnel&quot; de l&rsquo;entreprise &eacute;tatis&eacute;e, &agrave; l&rsquo;&Eacute;tat-Patron, &agrave; l&rsquo;&Eacute;tat Capitaliste, il est toujours domin&eacute; par le Capital.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">La nationalisation de l&rsquo;&eacute;conomie par des r&eacute;volutionnaires jacobins qui prirent le contr&ocirc;le des r&ecirc;nes de l&rsquo;&Eacute;tat &agrave; la place d&rsquo;une bourgeoise nationaliste et sous le couvert du socialisme marxiste ne veut pas dire qu&rsquo;ils ont r&eacute;ellement pav&eacute; le chemin vers le socialisme ou le communisme. Cette &eacute;lite r&eacute;volutionnaire a jou&eacute; le r&ocirc;le d&rsquo;une bourgeoisie ultra-concentr&eacute;e qui a pris la meilleure id&eacute;ologie disponible pour lui permettre de justifier ses actions &agrave; l&rsquo;endroit des travailleurs qui demeuraient sevr&eacute;s de leurs moyens de production. Selon Louis Janover, qui reprendra &agrave; son compte plusieurs des th&egrave;ses de Rubel, le r&ocirc;le des intellectuels de gauche en Occident n&rsquo;&eacute;tait pas de se faire les promoteurs de ces r&eacute;gimes totalitaires, mais, de par tous les moyens mis &agrave; leur disposition, de les critiquer avec les outils th&eacute;oriques m&ecirc;mes de Marx. Un penseur comme Antonio Gramsci, qui a subi aussi bien l&rsquo;influence des communistes de Conseil, des anarchistes ainsi que de l&rsquo;id&eacute;ologie marxiste-l&eacute;niniste, m&eacute;rite n&eacute;anmoins d&rsquo;&ecirc;tre revisit&eacute; aujourd&rsquo;hui. C&rsquo;est que malgr&eacute; le fait que plus de 80 ans se sont &eacute;coul&eacute; depuis sa mort, Gramsci a su conjuguer dans son &oelig;uvre &eacute;thique libertaire et r&eacute;alisme politique. &nbsp;</p> <h1 dir="ltr">L&rsquo;utopie r&eacute;aliste de Gramsci</h1> <p dir="ltr" style="text-align: left;">L&rsquo;engouement que manifeste la critique aux recherches consacr&eacute;es &agrave; un penseur longtemps apr&egrave;s sa mort refl&egrave;te la reconnaissance du m&eacute;rite de son &oelig;uvre non seulement &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de sa production, mais bien au-del&agrave;. Sa cons&eacute;cration se confirme quand son enseignement se r&eacute;percute chez des disciples provenant de tout horizon. L&rsquo;&oelig;uvre de Gramsci est un cas d&rsquo;esp&egrave;ce parce qu&rsquo;elle ne cesse de faire couler beaucoup d&rsquo;encre et de susciter de vifs d&eacute;bats entre ex&eacute;g&egrave;tes en ce qui concerne leurs interpr&eacute;tations parfois diam&eacute;tralement oppos&eacute;es. Les uns reconnaissent le marxisme libertaire de Gramsci, les autres n&rsquo;y voient qu&rsquo;un dogmatisme plut&ocirc;t autoritaire. Des th&egrave;mes principaux qu&rsquo;avait d&eacute;velopp&eacute;s Gramsci dans ses &eacute;crits, les critiques ont notamment retenu la Question m&eacute;ridionale, la notion de l&rsquo;&Eacute;tat, l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie, la soci&eacute;t&eacute; civile, le concept d&rsquo;intellectuel organique, la lutte de classe, la philosophie de la praxis. Certains ex&eacute;g&egrave;tes ont m&ecirc;me fait &eacute;tat de son double isolement, de sa d&eacute;termination de passer de la p&eacute;riph&eacute;rie au centre et de son penchant libertaire, conjugu&eacute; &agrave; une &eacute;thique de haut calibre. Mais l&rsquo;aspect le plus marquant de son apport r&eacute;side dans la distinction entre ce qui existe et ce qui devrait &ecirc;tre. Le plus grand est l&rsquo;&eacute;cart entre les deux visions, le plus dynamique est le moteur de transformation. Autrement la vell&eacute;it&eacute; de changement tend &agrave; s&rsquo;&eacute;tioler par manque de motivation.</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">Le politique en actes est un cr&eacute;ateur ; il suscite, mais il ne cr&eacute;e pas &agrave; partir de rien et il ne se meut pas dans le vide trouble de ses d&eacute;sirs et de ses r&ecirc;ves. Il se fonde sur la r&eacute;alit&eacute; effective, mais qu&rsquo;est-ce que cette r&eacute;alit&eacute; effective? Est-ce quelque chose de statique et d&rsquo;immobile ou n&rsquo;est-ce pas plut&ocirc;t un rapport de forces en continuel mouvement et en continuel changement d&rsquo;&eacute;quilibre ? Employer sa volont&eacute; &agrave; cr&eacute;er un nouvel &eacute;quilibre entre des forces qui existent et agissent r&eacute;ellement, en se fondant sur cette force d&eacute;termin&eacute;e qu&rsquo;on pense &ecirc;tre progressive et en accroissant sa puissance pour la faire triompher, c&rsquo;est toujours se mouvoir sur le terrain de la r&eacute;alit&eacute; effective, mais pour la dominer et la d&eacute;passer (ou contribuer &agrave; le faire). Le &quot;devoir-&ecirc;tre&quot; est donc du concret, c&rsquo;est m&ecirc;me la seule interpr&eacute;tation r&eacute;aliste et historiciste de la r&eacute;alit&eacute;; le devoir &ecirc;tre est seulement histoire en acte, philosophie en acte, seulement politique !</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">&Agrave; la veille de la Premi&egrave;re Guerre mondiale, Gramsci abandonna ses &eacute;tudes universitaires pour se consacrer &agrave; une activit&eacute; journalistique militante en faveur des couches subalternes de la soci&eacute;t&eacute; italienne. &Agrave; cet effet, il joignit les rangs du Parti socialiste mais ne tarda pas &agrave; se d&eacute;sillusionner de l&rsquo;empressement de cette formation &agrave; r&eacute;aliser l&rsquo;affranchissement des masses opprim&eacute;es ou appuyer leurs revendications. John Cammett souligne d&rsquo;ailleurs que la teinte libertaire des &laquo;&nbsp;Conseils d&rsquo;usine&nbsp;&raquo; b&eacute;n&eacute;ficie de l&rsquo;appui d&rsquo;un grand nombre d&rsquo;anarchistes qui salu&egrave;rent la participation active des travailleurs aux d&eacute;cisions qui les concernent.</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">The idea of the councils as forces for liberation of the working class attracted many anarchists to Gramsci&rsquo;s movement, to the great chagrin of some Socialist leaders. By the midsummer of 1920, both of the Italian anarcho-syndicalist organizations had declared themselves in favor of collaboration with the Ordine Nuovo movement.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Dans ses &eacute;crits de cette &eacute;poque, Gramsci conjuguait l&rsquo;enseignement marxiste aux revendications anarchistes et s&rsquo;employait &agrave; d&eacute;noncer l&rsquo;exploitation des classes dirigeantes. En 1921, &agrave; la suite du congr&egrave;s de Livourne, Gramsci et certains de ses camarades quittent le Parti socialiste pour former le Parti communiste d&rsquo;Italie (PCI). Gramsci s&rsquo;occupera notamment de l&rsquo;organisation de cette nouvelle formation politique dont la survie &eacute;tait menac&eacute;e par la mont&eacute;e du fascisme. En tant que d&eacute;l&eacute;gu&eacute; du PCI, Gramsci s&rsquo;installe &agrave; Moscou &agrave; partir de mai 1922. Deux ans plus tard, ayant &eacute;t&eacute; &eacute;lu d&eacute;put&eacute;, Gramsci d&eacute;cide de rentrer chez lui, en d&eacute;pit du risque de se faire arr&ecirc;ter. Peu de temps apr&egrave;s, il assumera la chefferie du PCI. &Agrave; ce titre, il attaque la notion de l&rsquo;&Eacute;tat qu&rsquo;il consid&egrave;re, d&rsquo;abord et avant tout, comme appareil de coercition au profit de la classe dominante. Il fut arr&ecirc;t&eacute; le 8 novembre 1926 et passa, &agrave; toutes fins pratiques, le restant de ses jours en prison. Il mourut en 1937. Durant la p&eacute;riode de son incarc&eacute;ration, il noircira une trentaine de Cahiers.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Cette br&egrave;ve biographie laisse sugg&eacute;rer la pertinence d&rsquo;appliquer aux &eacute;crits de Gramsci une grille de lecture marxiste-libertaire. Pour le moment nous nous contentons, d&rsquo;esquisser de br&egrave;ves d&eacute;finitions des notions de &laquo;&nbsp;marxisme&nbsp;&raquo;, d&rsquo;&laquo;&nbsp;anarchisme&nbsp;&raquo; et de &laquo;&nbsp;marxisme-libertaire&nbsp;&raquo;. D&eacute;sign&eacute; par Gramsci sous les appellations &laquo;&nbsp;mat&eacute;rialisme historique&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;philosophie de la praxis&nbsp;&raquo;, le marxisme constitue une r&eacute;action contre l&rsquo;id&eacute;ologie lib&eacute;rale et toutes formes d&rsquo;id&eacute;alisme destin&eacute;es &agrave; servir les int&eacute;r&ecirc;ts de la classe dominante et &agrave; affaiblir le prol&eacute;tariat dans sa lutte. Par &laquo;&nbsp;praxis&nbsp;&raquo;, Gramsci entend la fusion de la pens&eacute;e et de l&rsquo;action qui s&rsquo;&eacute;tend &agrave; tous les aspects de la vie sociale, y compris les contradictions entre les modes et les rapports de production. Les termes &laquo;&nbsp;libertaires&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;anarchistes&nbsp;&raquo; qui se recoupent en partie cessent d&rsquo;&ecirc;tre des synonymes. Quant &agrave; la d&eacute;finition du marxisme libertaire, nous nous r&eacute;f&eacute;rons principalement &agrave; un id&eacute;al-type &eacute;tabli par Daniel Gu&eacute;rin, &agrave; savoir&nbsp;:</p> <ol> <li dir="ltr"> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Ne pas se contenter d&rsquo;interpr&eacute;ter le monde, mais viser aussi &agrave; le transformer.</p> </li> <li dir="ltr"> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Croire au pouvoir cr&eacute;ateur de la philosophie de la praxis.</p> </li> <li dir="ltr"> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Rejeter le d&eacute;terminisme et le positivisme sociologiques.</p> </li> <li dir="ltr"> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Privil&eacute;gier l&rsquo;&eacute;quilibre entre la spontan&eacute;it&eacute; et la direction consciente.</p> </li> <li dir="ltr"> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Faire accorder le socialisme international avec les mouvements propres &agrave; un pays en particulier.</p> </li> <li dir="ltr"> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Croire &agrave; la d&eacute;mocratie directe impuls&eacute;e de bas en haut.</p> </li> <li dir="ltr"> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Favoriser la contribution participative des minorit&eacute;s actives, li&eacute;es organiquement aux classes subalternes.</p> </li> <li dir="ltr"> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Formuler des solutions de masse &agrave; la r&eacute;volution sociale.</p> </li> </ol> <p dir="ltr" style="text-align: left;">L&rsquo;appel de Gramsci &agrave; plus de participation active de la part de la base, l&rsquo;impulsion de bas en haut qu&rsquo;il donne aux prises de d&eacute;cision, sa d&eacute;fense acharn&eacute;e des minorit&eacute;s, pour n&rsquo;en citer que ces quelques exemples impriment &agrave; sa philosophie une dimension nettement libertaire. Il y a lieu de noter que la dichotomie attraction/r&eacute;pulsion entre marxisme et pens&eacute;e libertaire tend &agrave; exclure l&rsquo;harmonie entre ces deux courants bien que Gramsci s&rsquo;empresse d&rsquo;&eacute;tablir la proximit&eacute; des vues entre Marx, Kropotkine et Malatesta. En effet, dans la 11e th&egrave;se sur Feuerbach, Marx exprime sa volont&eacute; de changer le monde et de ne pas se contenter de le d&eacute;crire. Quant &agrave; Pierre Kropotkine, il mesure les bienfaits d&rsquo;une action r&eacute;volutionnaire &agrave; l&rsquo;aune du profit qu&rsquo;en tire la collectivit&eacute;. Sans affilier Gramsci au mouvement libertaire, Carl Levy reconna&icirc;t n&eacute;anmoins qu&rsquo;il avait &eacute;t&eacute;, tr&egrave;s t&ocirc;t, influenc&eacute; d&rsquo;une fa&ccedil;on marqu&eacute; par ce courant de pens&eacute;e.</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">As details about Gramsci&rsquo;s life are readily available elsewhere, I will not rehearse his biography [&hellip;] I will highlight those cultural, social and political formative influences during his political apprenticeship (1911-1919) that brought him into direct contact with syndicalist and libertarian politics and ideas. I will also demonstrate the elective affinities between Gramsci&rsquo;s unorthodox Marxism, anarchism and syndicalism.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">D&rsquo;ailleurs le penchant marxiste-libertaire de Gramsci s&rsquo;est manifest&eacute; tout au long de sa carri&egrave;re, &agrave; l&rsquo;exception, peut-&ecirc;tre, d&rsquo;une courte p&eacute;riode o&ugrave; la survie du PCI &eacute;tait mise en jeu en raison de la mont&eacute;e du fascisme. Dans son r&eacute;cent ouvrage sur la vie et l&rsquo;&oelig;uvre de Gramsci, Peter Thomas affirme que le projet de recherche entam&eacute; sur l&rsquo;esprit cr&eacute;ateur des classes subalternes par l&rsquo;auteur des Cahiers de prison demeure encore d&rsquo;actualit&eacute; pour deux grandes raisons&nbsp;:</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">[T]he Prison Notebooks contain at least two perspectives that will be decisive for the emergence of any genuinely mass, class-based politics: 1. A permanent perspective on the integral unity of the capitalist state-form, its production of the &quot;political&quot; in bourgeois society as a function of hegemonic relations, and the need to elaborate a proletarian hegemonic apparatus capable of challenging it with a power of &quot;a completely different type&quot;; 2. A novel reformulation of Marxism as a &quot;philosophy of praxis&quot;, as a theoretical formulation of the perspectives of the united front and as the expansive philosophical form at last discovered with which to construct a proletarian hegemony, &quot;renewing from head to toe the whole way of conceiving philosophy itself&quot;. In this perspective, the &quot;Gramscian moment&quot;still confronts us today as our contemporary.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Nous avons relev&eacute;, plus haut, que Rubel s&rsquo;est appliqu&eacute; &agrave; d&eacute;noncer les soi-disant marxistes qui ont d&eacute;form&eacute; l&rsquo;enseignement de Marx et &agrave; reconna&icirc;tre le m&eacute;rite des penseurs qui ont traduit fid&egrave;lement le marxisme tel que son fondateur l&rsquo;avait con&ccedil;u. C&rsquo;est donc en tant que penseur politique original qui jette un nouvel &eacute;clairage sur la philosophie marxiste et offre des pistes de r&eacute;flexions toujours pertinentes pour mener &agrave; bien la lutte des classes au XXIe si&egrave;cle que Rubel aurait abord&eacute; Gramsci.</p> <h1 dir="ltr">Les intuitions g&eacute;niales de Paul Piccone</h1> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Toute tentative fructueuse pour cerner la pens&eacute;e politique de Gramsci passe obligatoirement, affirme Paul Piccone (philosophe et fondateur de la revue am&eacute;ricaine Telos) &nbsp;par une premi&egrave;re &eacute;tape qui consiste &agrave; dissiper l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; qui a d&eacute;j&agrave; donn&eacute; du fil &agrave; retordre &agrave; nombre d&rsquo;analystes chevronn&eacute;s. Le malentendu provient, au d&eacute;part, d&rsquo;une erreur d&rsquo;aiguillage faisant de Gramsci, &agrave; tort d&rsquo;ailleurs, l&rsquo;&eacute;pigone d&rsquo;un L&eacute;nine, r&eacute;duit au pr&eacute;alable &agrave; sa plus simple expression en ne se r&eacute;f&eacute;rant qu&rsquo;&agrave; son Que faire ? Piccone doute que Gramsci ait pris connaissance de ce fascicule ou qu&rsquo;il s&rsquo;en soit inspir&eacute;. Les id&eacute;es force qui se d&eacute;gagent de ce livre se rapportent &agrave; l&rsquo;acte de foi des masses en l&rsquo;infaillibilit&eacute; de leurs dirigeants &eacute;clair&eacute;s, &agrave; l&rsquo;interdiction formelle de critiquer l&rsquo;appareil de parti, acte consid&eacute;r&eacute; comme pratique bourgeoise destin&eacute;e &agrave; d&eacute;naturer l&rsquo;esprit r&eacute;volutionnaire.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">L&rsquo;antid&eacute;mocratisme parfois affich&eacute; par L&eacute;nine dans le fascicule, ci-haut mentionn&eacute;, aurait pour motif la r&eacute;pression pratiqu&eacute;e par les sbires du r&eacute;gime tsariste. Tout rel&acirc;chement de la discipline interne du parti &eacute;quivaudrait &agrave; une reddition &eacute;hont&eacute;e. &Agrave; toutes fins utiles, la logique qu&rsquo;on impute &agrave; L&eacute;nine contribuait &agrave; valoriser la r&eacute;volution par le haut. Pr&eacute;voyant une attaque en r&egrave;gle de la part de ses d&eacute;tracteurs, L&eacute;nine s&rsquo;est employ&eacute; &agrave; les prendre de court en les accablant d&rsquo;invectives cyniques pour avoir choisi la na&iuml;vet&eacute; des foules au d&eacute;triment des d&eacute;cisions r&eacute;fl&eacute;chies des t&ecirc;tes bien pensantes, &laquo;&nbsp;Les sages viennent nous dire sentencieusement avec la profondeur de pens&eacute;e d&rsquo;un gribouille&nbsp;: &ldquo;C&rsquo;est chose f&acirc;cheuse lorsqu&rsquo;un mouvement ne vient pas d&rsquo;en bas&rdquo;&raquo;. Ce qui est chose f&acirc;cheuse aux yeux de Gramsci c&rsquo;est la r&eacute;volution par le haut qu&rsquo;il qualifie de passive. Sur ce point, en particulier, les positions de Gramsci et de L&eacute;nine sont, de toute &eacute;vidence, diam&eacute;tralement oppos&eacute;es.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Ayant dissip&eacute; le malentendu au sujet de l&rsquo;affiliation de Gramsci &agrave; un L&eacute;nine autoritaire, Piccone s&rsquo;emploie ensuite &agrave; contextualiser les &eacute;crits de Gramsci. Il avance que les p&eacute;riodes troubles de l&rsquo;histoire d&eacute;rangent le confort que procurent les id&eacute;es re&ccedil;ues causant ainsi leur remise en question. &Agrave; titre indicatif, Piccone fait &eacute;tat des grands chambardements survenus dans les premi&egrave;res d&eacute;cennies du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle tels que la Premi&egrave;re Guerre mondiale, la R&eacute;volution d&rsquo;octobre, la mont&eacute;e du fascisme et l&rsquo;&eacute;chec des soul&egrave;vements socialistes en Occident pour expliquer la faillite de la perception m&eacute;caniste faussement accol&eacute;e au marxisme et l&rsquo;&eacute;closion d&rsquo;une vision moins d&eacute;terministe que partageaient, entre autres, Luk&aacute;cs, Korsch et Gramsci &agrave; quelques nuances pr&egrave;s. M&ecirc;me L&eacute;nine n&rsquo;a pas tard&eacute;, soutient Piccone, &agrave; nuancer ses prises de positions initiales et &agrave; prendre ses distances vis-&agrave;-vis du positivisme pr&eacute;conis&eacute; par la deuxi&egrave;me Internationale. D&rsquo;autres r&eacute;volutionnaires, dont Rosa Luxembourg ont d&eacute;nonc&eacute; la stagnation provoqu&eacute;e par la deuxi&egrave;me Internationale sans pour autant remettre en cause le fondement m&eacute;caniste de la doctrine marxiste, alors que L&eacute;nine a &eacute;volu&eacute; au point de ne plus imputer cat&eacute;goriquement l&rsquo;&eacute;chec du capitalisme &agrave; ses contradictions intrins&egrave;ques et &agrave; restreindre le lien de cause &agrave; effet aux seules questions ayant trait &agrave; la conscience.</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">Although Lenin went beyond Luxemburg at least to the extent that he was able to shake off the determinism typical of the Second International, he retained a mechanical theory of consciousness [...] Much more concrete than Luxemburg&rsquo;s, Lenin&rsquo;s account of the Second International generated the problem of external mediation which, his intentions to the contrary notwithstanding, logically developed into the problems of bureaucratization and Stalinism.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Piccone soutient, &agrave; juste titre, que Gramsci s&rsquo;est inspir&eacute; de Machiavel pour forger sa notion d&rsquo;un &laquo;&nbsp;Prince&nbsp;Moderne&nbsp;&raquo; qu&rsquo;il identifie &agrave; la volont&eacute; collective du Parti. Appr&eacute;hendant les r&eacute;percussions n&eacute;fastes de la r&eacute;volution par le haut, le penseur sarde a toujours pris soin de mettre ses camarades en garde contre le danger de la bureaucratie et, &agrave; l&rsquo;encontre de L&eacute;nine, rejetait la &laquo; m&eacute;diation externe &raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire, la manipulation des masses par l&rsquo;&eacute;lite instruite qui &eacute;tait au poste de commande. De son point de vue, une compl&eacute;mentarit&eacute; se d&eacute;gage des diverses facult&eacute;s mises en jeu&nbsp;: Gramsci reconna&icirc;t que les masses ont la capacit&eacute; de sentir mais que leur savoir et leur compr&eacute;hension s&rsquo;av&egrave;rent limit&eacute;s, alors que les intellectuels savent sans n&eacute;cessairement comprendre ni m&ecirc;me sentir. Le &laquo;&nbsp;processus cathartique&nbsp;&raquo; est le moyen, note Ernst Jouthe, &nbsp;par lequel cette compl&eacute;mentarit&eacute; se r&eacute;alise dans l&rsquo;histoire gr&acirc;ce au r&ocirc;le jou&eacute; par les intellectuels organiques. &laquo;&nbsp;Nous retrouvons ici deux &eacute;l&eacute;ments du processus cathartique&nbsp;: l&rsquo;identification (&laquo; fusionner &raquo; avec les sentiments populaires) et la distanciation critique (pour les expliquer et leur donner une forme rationnelle)&nbsp;&raquo;. Au sujet de la question que soul&egrave;ve l&rsquo;&eacute;chec des r&eacute;volutions communistes en Europe de l&rsquo;Ouest et la mont&eacute;e du fascisme, il semble que Piccone estime que le concept gramscien d&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie est tout indiqu&eacute; pour apporter une explication qui va au-del&agrave; des assertions superficielles d&rsquo;autres th&eacute;oriciens qui ont succomb&eacute; &agrave; des d&eacute;rapages malencontreux.</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">Gramsci bypassed the entire Luxemburgian and Lukacsian account that saw the seemingly indefinite postponement of the revolution as a function of the immaturity of the working class and the latter as a function of the non ripeness of objective economic conditions. [...] Thus although he has been linked with Leninism, his concept of the party was rather different from the Bolshevik model. To the extent that the paramount prevailing pre-revolutionary preparatory task was the defeat of bourgeois hegemony.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">S&rsquo;inscrivant en faux contre certaines id&eacute;es d&eacute;velopp&eacute;es par Luxemburg et Luk&aacute;cs qui sont peu favorables &agrave; l&rsquo;action r&eacute;volutionnaire, Gramsci privil&eacute;gie la prise de conscience de l&rsquo;appartenance &agrave; une classe sociale dont les int&eacute;r&ecirc;ts sont bien identifi&eacute;s et d&eacute;mystifie l&rsquo;action maniganc&eacute;e par la classe dominante qui induit en erreur les ouvriers en leur faisant miroiter les avantages du statu quo. Toujours dans l&rsquo;optique de souligner la distinction entre L&eacute;nine et Gramsci, ce dernier assigne, selon Piccone, au Parti le r&ocirc;le de m&eacute;diateur interne entre intellectuels et masses. Cet &eacute;change constant entre &eacute;ducateurs et &eacute;duqu&eacute;s vise &agrave; doter les prol&eacute;taires d&rsquo;une culture compatible avec leur appartenance de classe et susceptible de &nbsp;contrecarrer l&rsquo;id&eacute;ologie bourgeoise ali&eacute;nante. En rejetant les &eacute;l&eacute;ments qui maintiennent les classes subalternes soumises, et en lui substituant une conception du monde qui mette de l&rsquo;avant les int&eacute;r&ecirc;ts du prol&eacute;tariat, Gramsci s&rsquo;inscrit en faux, affirme Piccone, contre un l&eacute;ninisme qui ne cherche qu&rsquo;&agrave; r&eacute;aliser le socialisme en d&eacute;veloppant &agrave; outrance certains caract&egrave;res autoritaires du jacobinisme bourgeois.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">S&rsquo;&eacute;tant d&eacute;marqu&eacute; de la vision qui r&eacute;duisait le l&eacute;ninisme &agrave; un syst&egrave;me bureaucratisant et m&eacute;caniste, Gramsci &eacute;largit la notion d&rsquo;intellectuel en avan&ccedil;ant que la capacit&eacute; mentale d&rsquo;acqu&eacute;rir le savoir est la chose la mieux partag&eacute;e chez les &ecirc;tres humains. N&rsquo;importe qui a droit au titre d&rsquo;intellectuel bien que quelques-uns seulement en assument le r&ocirc;le dans la soci&eacute;t&eacute;. Qui plus est, Gramsci pr&eacute;f&egrave;re les intellectuels issus des rangs du prol&eacute;tariat &agrave; ceux provenant de la bourgeoisie dont certains n&rsquo;ont jamais mis les pieds dans une usine. La t&acirc;che principale que Gramsci assigne aux intellectuels venus de la base consiste &agrave; contrecarrer les manigances de la classe dirigeante destin&eacute;es &agrave; endoctriner et &agrave; gagner &agrave; sa cause les dirig&eacute;s qu&rsquo;elle exploite. &Agrave; cet effet, Piccone note que chez Gramsci, tous les membres de la classe ouvri&egrave;re sont appel&eacute;s &agrave; participer aux prises de d&eacute;cision dans les affaires qui les concernent.</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">Party members organize and run the class and prepare this class to organize and run society [...] In this Gramsci is perfectly consistent with the dialectical live wire that electrifies all of Marxism: the part-whole dialectic whereby the active part redeems the passive whole precisely through its political activity.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Tout en soulignant l&rsquo;engouement manifeste de Gramsci pour la participation active des masses ouvri&egrave;res, Piccone ne pousse pas son argument jusqu&rsquo;au point d&rsquo;attribuer &agrave; Gramsci la paternit&eacute; d&rsquo;un marxisme libertaire. Tout au plus, il se contente de nous sugg&eacute;rer de tirer nos propres conclusions. N&eacute;anmoins, Piccone prend soin de souligner l&rsquo;apport de Gramsci &agrave; l&rsquo;enrichissement de la science politique, en transposant certains de ses concepts sur le terrain du capitalisme tel qu&rsquo;il se pr&eacute;sente actuellement aux &Eacute;tats-Unis. Piccone est d&rsquo;avis que le concept d&rsquo;intellectuel, par exemple, semble avoir fait son temps, notamment quand on insiste &agrave; maintenir tel quel le r&ocirc;le organisationnel que Gramsci lui a assign&eacute;. Il est toutefois &agrave; noter que la r&eacute;cup&eacute;ration par le capitalisme de quelques revendications sociales-d&eacute;mocrates s&rsquo;est vite arr&ecirc;t&eacute;e en-de&ccedil;&agrave; de l&rsquo;affranchissement de la classe ouvri&egrave;re et que l&rsquo;am&eacute;lioration du sort des travailleurs se heurte &agrave; l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie de la classe dirigeante. Ce constat d&rsquo;&eacute;chec dans la lutte contre l&rsquo;injustice porte Piccone &agrave; r&eacute;viser son jugement au sujet du concept gramscien de l&rsquo;intellectuel. D&egrave;s lors, Piccone estime que, moyennant son &eacute;largissement, ce concept est appel&eacute; &agrave; reprendre du poil de la b&ecirc;te.</p> <p dir="ltr" style="margin-left: 40px; text-align: left;"><q><span style="color:#000000">It is at this point &ndash; our present political predicament &ndash; that Gramsci&rsquo;s notion of the organic intellectual becomes once again relevant, not in its historically obsolete guise of the technician (the organic intellectual of the industrial proletariat), but in the guise of the organizer of new modes of opposition not limited to any one class but distributed throughout society since capital dominates everyone, thus making everyone a potential revolutionary.</span></q></p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">En plus, Piccone juge que l&rsquo;actualit&eacute; de la pens&eacute;e politique de Gramsci se pr&ecirc;te au contexte contemporain en tant qu&rsquo;antidote aux insuffisances des r&eacute;formes conc&eacute;d&eacute;es par les capitalistes. &Agrave; vouloir confiner le marxisme gramscien dans un cadre spatio-temporel on ne fait qu&rsquo;annoncer sa d&eacute;su&eacute;tude. Mais vue sous un autre angle, l&rsquo;&oelig;uvre de Gramsci s&rsquo;inscrit dans un riche patrimoine th&eacute;orique. Piccone est port&eacute; &agrave; faire &eacute;tat de la p&eacute;rennit&eacute; du legs laiss&eacute; par Gramsci qu&rsquo;il consid&egrave;re comme source d&rsquo;inspiration pour la th&eacute;orie critique d&rsquo;aujourd&rsquo;hui. Rappelons bri&egrave;vement les prises de position utopiques de l&rsquo;auteur des Cahiers de prison. En premier lieu, il a tenu &agrave; privil&eacute;gier l&rsquo;impulsion de bas en haut comme d&eacute;marche d&eacute;mocratique, nonobstant que la th&egrave;se inverse avait le vent dans les voiles. En deuxi&egrave;me lieu, sa vision bipolaire qui oppose ce qui est &agrave; ce qui devrait &ecirc;tre, s&rsquo;inscrit en plein dans l&rsquo;utopie consid&eacute;r&eacute; comme solution de rechange &agrave; un r&eacute;el ex&eacute;crable.</p> <h1 dir="ltr">En guise de conclusion</h1> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Ridiculisant ses camarades qui pr&eacute;conisaient l&rsquo;impulsion de bas en haut, L&eacute;nine s&rsquo;inscrit en faux contre une vision utopique, telle qu&rsquo;exprim&eacute;e par les communistes de Conseil, d&rsquo;Antonio Gramsci et suivie en cela par Rubel. Par contre, la marche de l&rsquo;histoire a marqu&eacute; le marxisme du sceau de l&rsquo;autoritarisme en lui reprochant d&rsquo;avoir une voie contraire &agrave; l&rsquo;id&eacute;al libertaire qui se d&eacute;gage des &eacute;crits de Marx. L&rsquo;&eacute;thique utopique que Rubel attribue &agrave; Marx s&rsquo;explique par sa prise de position en faveur des subalternes d&eacute;poss&eacute;d&eacute;s contre une classe dominante h&eacute;g&eacute;monique. En tant que grand &eacute;rudit, Marx en est venu &agrave; identifier les deux sources d&rsquo;ali&eacute;nation de la soci&eacute;t&eacute; bourgeoise qui affligent la classe ouvri&egrave;re, l&rsquo;&Eacute;tat et l&rsquo;argent. La 11e th&egrave;se sur Feuerbach pr&eacute;sente de fa&ccedil;on succincte la volont&eacute; de Marx de passer &agrave; l&rsquo;action. Il d&eacute;cida donc de d&eacute;dier sa vie et son &oelig;uvre &agrave; l&rsquo;&eacute;mancipation des travailleurs tout en sachant qu&rsquo;il allait &agrave; contre-courant des id&eacute;es re&ccedil;ues. Il s&rsquo;est battu farouchement contre l&rsquo;ali&eacute;nation inflig&eacute;e aux subalternes et leur a fourni de pr&eacute;cieuses armes th&eacute;oriques. Que son enseignement fasse l&rsquo;objet de d&eacute;rapages Marx n&rsquo;en doutait pas et, partant, ne se prenait pas pour un marxiste. La bureaucratie ne tarda pas, peu de temps apr&egrave;s la R&eacute;volution d&rsquo;octobre, &agrave; trahir les id&eacute;aux de Marx. Rubel s&rsquo;en prend donc aux promoteurs du totalitarisme marxiste. Gramsci, avant lui, avait critiqu&eacute; le bureaucratisme rouge pour lui opposer certains id&eacute;aux libertaires.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">Merci &agrave; Maggy de m&rsquo;avoir encourag&eacute; &agrave; redoubler d&rsquo;efforts et &agrave; ne pas l&acirc;cher.</p> <h1 dir="ltr">Bibliographie</h1> <p dir="ltr" style="text-align: left;">CAMMETT J.M., <em>Antonio Gramsci and the Origins of Italian Communism</em>, Stanford, Standford University Press, 1967.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">GRAMSCI A., <em>Cahiers de prison</em>, <em>Cahier 13</em>, Paris, Gallimard, 1978.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;"><strong>&ndash;,</strong> <em>Cahiers de prison</em>,<em> Cahier 14</em>, Paris, Gallimard, 1990.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;"><strong>&ndash;,</strong> <em>Guerre de mouvement et guerre de position</em>, (Textes choisis et pr&eacute;sent&eacute;s par Razmig Keucheyan) Paris, La fabrique &eacute;ditions, 2011.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">GU&Eacute;RIN D., <em>Pour un marxisme libertaire</em>, Paris, Robert Laffont, 1969.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">JANOVER L., <em>Les intellectuels face &agrave; l&rsquo;histoire</em>, Paris, &Eacute;ditions Galil&eacute;e, 1980.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">JOUTHE E., <em>Catharsis et transformation sociale dans la th&eacute;orie politique de Gramsci</em>, Qu&eacute;bec, P.U.Q., 1990.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">KORSCH K. et <em>al.</em>, <em>La contre-r&eacute;volution bureaucratique</em>, Paris, UGE, 1973.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">L&Eacute;NINE V.I., <em>Que faire</em>, P&eacute;kin, &Eacute;ditions en langues &eacute;trang&egrave;res, 1975.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">LEVY C., <em>Gramsci and the Anarchists</em>, Oxford, Berg, 1999.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">MATTICK P., <em>Marxisme, dernier refuge de la bourgeoise ?</em>, Gen&egrave;ve, Entremonde, 2011(1983).</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">PICCONE P., &laquo;&nbsp;Gramsci&rsquo;s Hegelian Marxism&nbsp;&raquo;, <em>Political Theory</em>, vol. 2, n&deg;1, f&eacute;vrier 1974.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">RUBEL M., <em>Karl Marx, essai de biographie intellectuelle</em>, Paris, Marcel-Rivi&egrave;re, 1957.</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;"><strong>&ndash;,</strong> <em>Marx, critique du marxisme</em>, Paris, Payot et Rivages, 2000 (1974).</p> <p dir="ltr" style="text-align: left;">THOMAS P.D., <em>The Gramscian Moment, Philosophy, Hegemony and Marxism</em>, Chicago, Haymarket books, 2010.</p>