<p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><i><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Par Carlotta Susca, &eacute;ditrice et consultante &eacute;ditoriale et Doctorante en litt&eacute;ratures, langues et philologies modernes, Universit&agrave; degli Studi de Bari &laquo;&nbsp;Aldo Moro&nbsp;&raquo;.</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><i><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Traduit par Jean-Luc Defromont.</span></span></i></span></span></p> <h2 class="MsoNoSpacing" style="margin-top: 8px; margin-bottom: 8px; text-align: center;"><span style="font-size:13pt"><span style="background:white"><span style="font-family:Arial, sans-serif">Le libre arbitre du pr&eacute;destin&eacute;</span></span></span></h2> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">&laquo; Il y a une diff&eacute;rence entre conna&icirc;tre le chemin et parcourir le chemin &raquo; dit Morpheus &agrave; Neo dans <i>Matrix </i>(1999). La trilogie des fr&egrave;res (d&eacute;sormais des s&oelig;urs) Wachowski est enti&egrave;rement fond&eacute;e sur le th&egrave;me de l&rsquo;opposition entre pr&eacute;destination et libre arbitre. Le Pr&eacute;destin&eacute; Neo est sans cesse appel&eacute; &agrave; op&eacute;rer des choix susceptibles d&rsquo;alt&eacute;rer le cours des &eacute;v&eacute;nements&nbsp;: son libre arbitre est le seul facteur d&rsquo;entropie en mesure de sauver la forteresse de Zion et de changer positivement le destin de l&rsquo;humanit&eacute;. La conscience de l&rsquo;&eacute;chec des cinq pr&eacute;c&eacute;dentes versions de lui-m&ecirc;me, qui ont opt&eacute; pour la solution la plus logique (accepter la destruction des &ecirc;tres humains en &eacute;change de la possibilit&eacute; d&rsquo;en sauver certains), installe Neo dans un parcours pr&eacute;&eacute;tabli dont il ne peut se lib&eacute;rer qu&rsquo;en agissant &agrave; l&rsquo;encontre de la logique. Il ne peut vaincre l&rsquo;intelligence artificielle qu&rsquo;avec ce qu&rsquo;il y a de plus humain en lui&nbsp;: l&rsquo;amour et la d&eacute;sob&eacute;issance.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">D&rsquo;autres personnages de romans, de s&eacute;ries t&eacute;l&eacute; et de <i>graphic novels</i> affrontent un parcours similaire d&rsquo;autod&eacute;termination au sein de r&eacute;cits clos o&ugrave; le temps s&rsquo;&eacute;coule de mani&egrave;re circulaire&nbsp;; dans <i>Matrix</i>, les diff&eacute;rentes versions de Neo sont confront&eacute;es au m&ecirc;me trajet, alors que les voyageurs temporels sont pour leur part expos&eacute;s au <i>loop</i> causal<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">[1]</span></span></span></span></span></a>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Si les auteurs, au moyen de l&rsquo;utopie et de la dystopie, situent leurs histoires dans l&rsquo;avenir afin de montrer comment pourrait fonctionner une soci&eacute;t&eacute; diff&eacute;rente de la leur, le voyage dans le temps leur permet de focaliser l&rsquo;attention sur l&rsquo;individu. Quand ce n&rsquo;est pas seulement le d&eacute;cor de l&rsquo;histoire qui est situ&eacute; dans l&rsquo;avenir (dans <i>un</i> avenir possible, esp&eacute;r&eacute; ou craint) mais qu&rsquo;un personnage se d&eacute;place dans le temps, le r&eacute;cit met ais&eacute;ment en valeur les r&eacute;actions individuelles de d&eacute;paysement. La <i>constante</i> &agrave; laquelle le lecteur demeure attach&eacute; est le voyageur temporel, et les th&eacute;matiques susceptibles de se d&eacute;velopper &agrave; partir de ce parti pris int&eacute;ressent la d&eacute;finition identitaire et le libre arbitre.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Dans certains cas, le <i>loop</i> causal fournit au personnage l&rsquo;opportunit&eacute; de mieux comprendre sa propre nature et permet aussi &agrave; l&rsquo;auteur, &agrave; travers lui, de repr&eacute;senter m&eacute;taphoriquement le voyage individuel de chacun de nous dans l&rsquo;existence&nbsp;: chaque version de nous-m&ecirc;mes constitue en effet une somme de choix accomplis en toute libert&eacute;, mais qui se sont cependant cristallis&eacute;s dans la seule r&eacute;alit&eacute; possible. Le libre arbitre joue le r&ocirc;le d&rsquo;adjuvant de la pr&eacute;destination&nbsp;; si le parcours est moins clair dans la vraie vie, il devient paradigmatique dans la fiction.</span></span></span></span></p> <h2 class="MsoNoSpacing" style="margin-top: 8px; margin-bottom: 8px; text-align: center;"><span style="font-size:13pt"><span style="background:white"><span style="font-family:Arial, sans-serif">On finit toujours par devenir soi-m&ecirc;me&nbsp;: les personnages prisonniers du<i> loop </i>causal</span></span></span></h2> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Dans la nouvelle <i>By His Bootstraps</i> de Robert A. Heinlein<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">[2]</span></span></span></span></span></a>, le protagoniste Bob Wilson prend conscience &agrave; la fin qu&rsquo;il avait pr&eacute;c&eacute;demment rencontr&eacute; une version plus &acirc;g&eacute;e de lui-m&ecirc;me &agrave; son insu, autrement dit qu&rsquo;il ne s&rsquo;&eacute;tait pas reconnu dans l&rsquo;homme qu&rsquo;il est ensuite devenu et qui avait la barbe grisonnante et des rides. Comment est-ce possible ? Lui, il est jeune, ou du moins l&rsquo;&eacute;tait-il au d&eacute;but du r&eacute;cit. Bob Wilson a une r&eacute;v&eacute;lation : jusque-l&agrave;, il a pens&eacute; qu&rsquo;il grisonnait <i>seulement</i> parce qu&rsquo;il avait pass&eacute; des ann&eacute;es &agrave; s&rsquo;informer sur le monde du futur dans lequel il vivait, et que ses rides &eacute;taient <i>seulement</i> dues aux soucis qu&rsquo;impliquaient ses responsabilit&eacute;s de gouvernant, mais dans ces <i>seulement</i>, il y a toute sa vie&nbsp;: une cha&icirc;ne de digressions dont la somme constitue son existence.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">M&eacute;taphoriquement, la prise de conscience du fait qu&rsquo;on a d&eacute;j&agrave; rencontr&eacute; le moi futur et qu&rsquo;on est <i>devenu</i> soi-m&ecirc;me r&eacute;pond au processus de croissance, au cours duquel on se retrouve constamment dans des situations d&eacute;j&agrave; v&eacute;cues, mais vues sous des angles diff&eacute;rents : la transmission de connaissances &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, en tant qu&rsquo;&eacute;l&egrave;ve puis que professeur, la parentalit&eacute;, quand on passe du r&ocirc;le d&rsquo;enfant &agrave; celui de g&eacute;niteur. On finit toujours par devenir soi-m&ecirc;me, comme le rappelle le titre du livre-interview de David Lipsky consacr&eacute; &agrave; David Foster Wallace<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">[3]</span></span></span></span></span></a>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">En ce qui concerne le topos du voyage dans le temps, le processus signifiant du texte litt&eacute;raire se construit par le biais d&rsquo;un glissement. L&rsquo;hyperbole est une des figures rh&eacute;toriques de la SF&nbsp;; comme toute figure rh&eacute;torique, elle v&eacute;hicule un message &agrave; propos de la r&eacute;alit&eacute;, m&ecirc;me si elle la transfigure. Selon Victor Chklovski, l&rsquo;effet d&rsquo;&eacute;trangisation est une condition n&eacute;cessaire de la signification litt&eacute;raire&nbsp;: </span></span></span></p> <p style="text-align: left; margin-left: 40px;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><q>Le po&egrave;te op&egrave;re ainsi un d&eacute;placement s&eacute;mantique, il prend un concept de la cha&icirc;ne de signification o&ugrave; il se trouvait, et il le transpose au moyen d&rsquo;un mot (d&rsquo;un trope) dans une autre cha&icirc;ne de signification en nous rendant sensibles la nouveaut&eacute;, la pr&eacute;sence de l&rsquo;objet dans une cha&icirc;ne nouvelle<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">[4]</span></span></span></span></a>.&nbsp;</q></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">Ainsi le voyage temporel devient-il parfois l&rsquo;hyperbole du voyage individuel &agrave; travers l&rsquo;existence. C&rsquo;est le cas pour Bob Wilson, condamn&eacute; qu&rsquo;il est &agrave; r&eacute;p&eacute;ter &agrave; l&rsquo;infini ses actions en parcourant deux <i>loops</i> causals, dont l&rsquo;un est plus bref, alors que l&rsquo;autre embrasse sa vie entre l&rsquo;&acirc;ge de trente ans et la maturit&eacute;&nbsp;; bien qu&rsquo;il rencontre au moins deux autres versions de lui-m&ecirc;me, il est toutefois conscient de son unicit&eacute;, car c&rsquo;est son corps qui a travers&eacute; les ann&eacute;es et c&rsquo;est la somme de ses souvenirs qui le caract&eacute;rise&nbsp;; ses avatars ont accumul&eacute; moins d&rsquo;exp&eacute;riences que lui, ou davantage, et il ne peut s&rsquo;identifier &agrave; aucun d&rsquo;eux : chaque Bob Wilson est authentique &agrave; sa fa&ccedil;on, telles les versions pr&eacute;c&eacute;dentes de nous-m&ecirc;mes photographi&eacute;s &agrave; des &acirc;ges diff&eacute;rents. </span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Le Bob Wilson dont nous suivons le parcours dans &laquo;&nbsp;By His Bootstraps&nbsp;&raquo; n&rsquo;est qu&rsquo;une des nombreuses versions de lui-m&ecirc;me soustraites &agrave; un continuum temporel repli&eacute; sur soi&nbsp;: d&rsquo;o&ugrave; vient en premier lieu sa connaissance de la langue de l&rsquo;avenir, puisqu&rsquo;il l&rsquo;a apprise &agrave; partir d&rsquo;un carnet de notes que sa version plus &acirc;g&eacute;e lui a laiss&eacute; et qu&rsquo;il l&egrave;gue &agrave; son tour au Bob Wilson suivant, dans une cha&icirc;ne ininterrompue&nbsp;? Le titre de la nouvelle de Heinlein se r&eacute;f&egrave;re &agrave; l&rsquo;expression idiomatique am&eacute;ricaine &laquo; <i>to pull oneself up by one&rsquo;s own bootstraps</i> &raquo; (litt&eacute;ralement, se hisser soi-m&ecirc;me par ses propres tirants de bottes), sans doute inspir&eacute;e par un &eacute;pisode des aventures du Baron de M&uuml;nchhausen o&ugrave; celui-ci, se soulevant par les cheveux, parvient &agrave; se tirer tout seul des sables mouvants. </span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">On retrouve les principaux th&egrave;mes de &laquo;&nbsp;By His Bootstraps&nbsp;&raquo;&nbsp;dans <i>Doctor Who</i>, cette s&eacute;rie t&eacute;l&eacute; de SF d&rsquo;une long&eacute;vit&eacute; sans pareille (1963-1989 ; 2005-en cours)&nbsp;; ce n&rsquo;est d&rsquo;ailleurs pas un hasard si l&rsquo;un de ses sc&eacute;naristes, Jamie Mathieson, a cit&eacute; Robert A. Heinlein parmi ses auteurs de r&eacute;f&eacute;rence lors du salon de la BD Lucca Comics 2015. Mais contrairement &agrave; Bob Wilson, le Docteur est un <i>Time Lord</i>, un Seigneur du Temps, si bien que la circularit&eacute; dans laquelle il se trouve engag&eacute; a une port&eacute;e diff&eacute;rente : au d&eacute;but du 4e &eacute;pisode de la saison 9, le Docteur joue &agrave; la guitare &eacute;lectrique les premi&egrave;res notes de la <i>Cinqui&egrave;me Symphonie</i> de Beethoven et explique qu&rsquo;il a voyag&eacute; jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;Allemagne du XVIIIe si&egrave;cle pour rencontrer son musicien pr&eacute;f&eacute;r&eacute;, mais qu&rsquo;il s&rsquo;est alors rendu compte que Beethoven n&rsquo;&eacute;tait pas du tout compositeur. Ainsi a-t-il recopi&eacute; pour lui toutes les partitions des &oelig;uvres qu&rsquo;il avait apport&eacute;es : en ce cas, qui les a vraiment compos&eacute;es&nbsp;?</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Il est ais&eacute;, ici, de distinguer entre r&eacute;alit&eacute; et fiction (entre le monde di&eacute;g&eacute;tique de la s&eacute;rie t&eacute;l&eacute; et celui, extradi&eacute;g&eacute;tique, dans lequel Beethoven v&eacute;cut)&nbsp;; il n&rsquo;en est pas de m&ecirc;me pour les personnages dont le <i>loop</i> causal s&rsquo;ancre enti&egrave;rement dans un univers fictionnel o&ugrave; la ronde de causes et d&rsquo;effets ne peut &ecirc;tre interrompue simplement en s&eacute;parant les r&eacute;cits de l&rsquo;Histoire. Pour un personnage pris au pi&egrave;ge dans une circularit&eacute; temporelle, la seule r&eacute;alit&eacute; est celle du r&eacute;cit, et sa vie en d&eacute;pend : la pr&eacute;destination est une condition essentielle de son existence, vu que les actions pr&eacute;c&eacute;dentes d&rsquo;autres versions de lui-m&ecirc;me l&rsquo;ont amen&eacute; exactement l&agrave; o&ugrave; il se trouve, et qu&rsquo;il ne pourrait pas se trouver ailleurs.</span></span></span></span></p> <h2 class="MsoNoSpacing" style="margin-top: 8px; margin-bottom: 8px; text-align: center;"><span style="font-size:13pt"><span style="background:white"><span style="font-family:Arial, sans-serif">La rupture du <i>loop</i> et le sacrifice de soi</span></span></span></h2> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Dans le roman graphique <i><span arial="" style="font-family:">Patience </span></i><span arial="" style="font-family:">(2016), Daniel Clowes <span style="color:black">construit une circularit&eacute; temporelle pour son protagoniste, qui entreprend un voyage vers le pass&eacute; afin d&rsquo;emp&ecirc;cher la mort de sa femme. Pour &eacute;viter de la d&eacute;couvrir inanim&eacute;e sur le sol de leur appartement en 2012, Jack Barlow trouve le moyen &ndash; en 2029, apr&egrave;s des ann&eacute;es d&rsquo;une existence mis&eacute;rable et solitaire, sur laquelle p&egrave;se une accusation de meurtre &ndash; de revenir en 2006 pour filer Patience jeune (qui ne l&rsquo;avait pas encore &eacute;pous&eacute; ni m&ecirc;me rencontr&eacute;) en qu&ecirc;te d&rsquo;indices sur son futur meurtrier, dans l&rsquo;espoir de conjurer ce qui a d&eacute;j&agrave; eu lieu dans sa vie individuelle. Toutes les modalit&eacute;s de ses interactions avec son &eacute;pouse (future ou d&eacute;funte) co&iuml;ncident parfaitement avec le pass&eacute; secret de Patience : tout ce que Jack croit modifier, gr&acirc;ce &agrave; son libre arbitre et &agrave; son voyage dans le temps, a en fait eu lieu pour <i>sa</i> Patience (ce sont les &eacute;v&eacute;nements dont elle a toujours refus&eacute; de lui parler), si bien que le cours de l&rsquo;histoire reste d&rsquo;abord inchang&eacute;.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Cependant, Jack Barlow parvient &agrave; emp&ecirc;cher la mort de sa femme : brisant le <i>loop</i>, il lui permet de poursuivre sa vie (et sa grossesse). Il assure aussi un avenir &agrave; Jack Barlow &ndash; mais &agrave; la version plus jeune de lui-m&ecirc;me, qui n&rsquo;a aucune conscience de tout ce que lui, en revanche, a d&ucirc; affronter. Le hic, c&rsquo;est que le Jack d&rsquo;&acirc;ge m&ucirc;r, anomalie du syst&egrave;me circulaire, facteur d&rsquo;entropie comme Neo de <i>Matrix</i>, obtient ce qu&rsquo;il veut, mais pas pour lui-m&ecirc;me. Il sacrifie sa propre existence en faveur d&rsquo;une version alternative de lui-m&ecirc;me, qu&rsquo;il a sans doute du mal &agrave; reconna&icirc;tre, tel Bob Wilson. Il n&rsquo;existe pas de salut pour le protagoniste que nous avons accompagn&eacute; dans ses aventures temporelles, son sacrifice est altruiste et peu gratifiant pour lui-m&ecirc;me (il esp&eacute;rait que le temps reparte, que quelque chose implose dans l&rsquo;univers, mais il a vieilli entre-temps, exactement comme Bob Wilson, et sa vie n&rsquo;a qu&rsquo;une simple valeur de digression).</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">C&rsquo;est &eacute;galement au sein d&rsquo;une temporalit&eacute; circulaire qu&rsquo;a lieu le sacrifice d&rsquo;Hodor, un personnage de <i>Game of Thrones</i> (2011-2019) qui acquiert une importance fondamentale lors de sa mort. Ce colosse au grand c&oelig;ur, qui ne sait prononcer que son nom, semble d&rsquo;abord avoir pour seule fonction de porter Bran Stark, son jeune ma&icirc;tre paralys&eacute;. Mais son existence rev&ecirc;t soudain une tout autre importance dans le 5&egrave;me &eacute;pisode de la Saison 4. Tandis qu&rsquo;Hodor, s&rsquo;arcboutant contre une porte, barre le passage &agrave; une arm&eacute;e de zombies et sauve ainsi la vie du jeune Starck, ce dernier est happ&eacute; par un voyage temporel qui semble le placer, au d&eacute;but, dans une position de spectateur passif de certains &eacute;v&eacute;nements du pass&eacute;&nbsp;; or Bran est soudain en mesure d&rsquo;interagir avec le flux temporel. Dans le temps pr&eacute;sent, leur compagne de voyage crie &agrave; Hodor &laquo; <i>Hold the door</i> <i>!</i> &raquo; (Retiens la porte !). Par le biais du voyage de Bran dans le pass&eacute;, le colosse adolescent (qui &eacute;tait alors dou&eacute; de parole et r&eacute;pondait au nom de Wylis) entend cette voix imp&eacute;rative venue du futur et se met &agrave; r&eacute;p&eacute;ter l&rsquo;ordre donn&eacute; en d&eacute;formant progressivement les mots &laquo; <i>Hold the door, hold the door&hellip; Hodor</i> &raquo;. Wylis devient Hodor dans un <i>loop</i> causal o&ugrave; le pr&eacute;sent influence le pass&eacute; et contribue &agrave; d&eacute;terminer tous les &eacute;v&eacute;nements &agrave; venir, jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&eacute;pisode o&ugrave; il se laisse mettre en pi&egrave;ces pour sauver Bran. La pr&eacute;destination de Wylis est d&eacute;termin&eacute;e dans le pr&eacute;sent &agrave; travers un voyage dans le pass&eacute;&nbsp;; toute la vie de Hodor s&rsquo;est d&eacute;roul&eacute;e en conformit&eacute; avec ce destin : il est <i>devenu</i> Hodor enfant <i>parce qu&rsquo;</i>il a d&eacute;fendu cette porte &agrave; l&rsquo;&acirc;ge adulte.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Comme pour Jack Barlow, le sacrifice de Hodor contribue au bien-&ecirc;tre d&rsquo;autrui : dans ce cas, non d&rsquo;une version diff&eacute;rente de lui-m&ecirc;me, mais de Westeros tout entier, ce continent imagin&eacute; par <span arial="" style="font-family:">George R. R. Martin dans la s&eacute;rie de romans de fantasy <i>A Song Of Ice and Fire</i><a href="#_ftn5" name="_ftnref5" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">[5]</span></span></span></span></a> dont a &eacute;t&eacute; tir&eacute;e la s&eacute;rie <i>Game of Thrones</i>. <span style="color:black">Hodor s&rsquo;oppose en revanche au Docteur, car les &eacute;v&eacute;nements de sa vie n&rsquo;interf&egrave;rent pas avec l&rsquo;Histoire : il n&rsquo;y a pas d&rsquo;ailleurs extradi&eacute;g&eacute;tique qui console le spectateur et lui permette de consid&eacute;rer le <i>loop</i> seulement comme un artifice narratif.</span> </span></span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">La condition des personnages pris au pi&egrave;ge dans une ronde de causes et de cons&eacute;quences inextricables ressemble en tout point &agrave; celle des &ecirc;tres humains, qui effectuent des choix dict&eacute;s par leur libre arbitre, mais dont les d&eacute;cisions, en se cristallisant, finissent par les faire devenir eux-m&ecirc;mes, conform&eacute;ment &agrave; leur pr&eacute;destination<span arial="" style="font-family:">.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Neo, qui fait des choix diff&eacute;rents par rapport aux versions pr&eacute;c&eacute;dentes de lui-m&ecirc;me, sauve ainsi Zion. La diff&eacute;rence, c&rsquo;est qu&rsquo;il est l&rsquo;&Eacute;lu&nbsp;: ainsi sa pr&eacute;destination se r&eacute;alise-t-elle pleinement dans un ordre sup&eacute;rieur des &eacute;v&eacute;nements &ndash; ou du moins dans un ordre narratif. Pour autant que les personnages puissent prendre des d&eacute;cisions (difficiles et douloureuses) qui pr&eacute;servent leur libert&eacute;, une proph&eacute;tie narrative oriente le cours de leurs existences, m&ecirc;me celles dont le parcours est le plus accident&eacute; : c&rsquo;est &agrave; ce <i>loop</i> causal que l&rsquo;Icare de Queneau<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">[6]</span></span></span></span></span></a><span arial="" style="font-family:"> tente d&rsquo;&eacute;chapper &ndash; mais seulement parce que son auteur en a d&eacute;cid&eacute; ainsi.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Auteurs de leurs existences, les &ecirc;tres humains sont personnages et <i>deus ex machina</i> : leur identit&eacute; pr&eacute;sente est ins&eacute;parable de la somme de leurs choix pass&eacute;s, constamment red&eacute;finie de la seule et unique fa&ccedil;on qui fait d&rsquo;eux, &agrave; chaque instant, la version pr&eacute;sente d&rsquo;eux-m&ecirc;mes.</span></span></span></span></p> <h2 class="MsoNoSpacing" style="margin-top: 8px; margin-bottom: 8px; text-align: left;"><span style="font-size:13pt"><span style="background:white"><span style="font-family:Arial, sans-serif">Bibliographie</span></span></span></h2> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">CHKLOVSKI V., &laquo;&nbsp;L&rsquo;architecture du r&eacute;cit et du roman&nbsp;&raquo;, <em><span arial="" style="font-family:">in </span></em><i>Sur la th&eacute;orie de la prose</i>, Lausanne, &Eacute;ditions l&rsquo;&Acirc;ge d&rsquo;Homme,&nbsp;1973.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:"><span style="color:black">CLOWES D., <i>Patience</i>, Seattle, Phantagraphics Books, 2016.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:"><span style="color:black">HEINLEIN R. A., &laquo;&nbsp;By His Bootstraps&nbsp;&raquo;, <em><span arial="" style="font-family:">in </span></em><i>The Menace from Earth</i>, New York, Gnome Press,&nbsp;1959.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:"><span style="color:black">LIPSKY D., <em><span arial="" style="font-family:">Although Of Course You End Up Becoming Yourself : A Road Trip with David Foster Wallace</span></em>, New York, Broadway Books, 2010.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:"><span style="color:black">MARTIN G. R. R., <i>A Song of Ice and Fire</i>, New York, Bantam Books, 1996.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">QUENEAU R., <i>Le Vol d&rsquo;Icare</i>, Paris, Gallimard, 1968.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:"><span style="color:black">SMITH N. J. J., &laquo; Time Travel &raquo; <em><span arial="" style="font-family:">in </span></em>ZALTA E. N. (dir.), <i>The Stanford Encyclopedia of Philosophy </i>(Spring 2016 Edition), [<a href="https://plato.stanford.edu/archives/spr2016/entries/time-travel/" style="color:blue; text-decoration:underline">en ligne</a>]<span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">.</span></span></span></span></span></span></p> <h2 class="MsoNoSpacing" style="margin-top: 8px; margin-bottom: 8px; text-align: left;"><span style="font-size:13pt"><span style="background:white"><span style="font-family:Arial, sans-serif">Vid&eacute;ographie </span></span></span></h2> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">NEWSMAN S., WEBBER C. E., WILSON D., <i>Doctor Who</i>, Royaume-Uni, 2005 (nouvelle s&eacute;rie).</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:"><span style="color:black">BENIOFF D., WEISS D. B., <i>Game of Thrones</i>, USA, 2011.</span></span></span></span></p> <p style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span arial="" style="font-family:">WACHOWSKI L. &amp; A., <i>Matrix</i>, USA-Australie, 1999.</span></span></span></p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">[1]</span></span></span></span></a><span arial="" style="font-family:"> <span style="color:black">&laquo; Le voyage &agrave; rebours dans le temps m&eacute;nage apparemment la possibilit&eacute; de <i>loops</i> causaux, o&ugrave; les choses viennent de nulle part. Les choses en question peuvent &ecirc;tre des objets [ou bien] des informations : imaginez un voyageur temporel expliquant &agrave; une version plus jeune de lui-m&ecirc;me la th&eacute;orie qui sous-tend le voyage dans le temps&nbsp;: une th&eacute;orie que lui-m&ecirc;me ne conna&icirc;t que parce qu&rsquo;elle lui a &eacute;t&eacute; expliqu&eacute;e dans sa jeunesse par la version plus &acirc;g&eacute;e de lui-m&ecirc;me, qui a voyag&eacute; dans le temps&nbsp;&raquo;,&nbsp; <span style="text-transform:uppercase">Smith, N. J. J.</span>, &laquo; Time Travel &raquo;, [<a href="https://plato.stanford.edu/archives/spr2016/entries/time-travel/" style="color:blue; text-decoration:underline">en ligne</a>], <em><span arial="" style="font-family:">in </span></em>ZALTA E. N.&nbsp;(dir.), <i>The Stanford Encyclopedia of Philosophy </i>(Spring 2016 Edition), [consult&eacute; le 13/12/2016].</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">[2]</span></span></span></span></a> <span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">Heinlein,</span></span></span><span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:"><span style="color:black"> R. A., &laquo;&nbsp;By His Bootstraps&nbsp;&raquo;, <i>in</i> <i>The Menace from Earth</i>, Gnome Press, New York, 1959.</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn3"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">[3]</span></span></span></span></a> <span arial="" lang="EN-US" style="font-family:"><span style="text-transform:uppercase">Lipsky D.</span></span><span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:">, <i>Although Of Course You End Up Becoming Yourself : A Road Trip with David Foster Wallace</i>, Broadway Books, New York, 2010.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn4"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">[4]</span></span></span></span></a><span arial="" style="font-family:"> <span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">Chklovski V</span></span><span style="color:black">., &laquo;&nbsp;L&rsquo;architecture du r&eacute;cit et du roman&nbsp;&raquo;, <i>in</i> <i>Sur la th&eacute;orie de la prose</i>, &Eacute;ditions l&rsquo;&Acirc;ge d&rsquo;Homme, Lausanne, 1973, pp. 94-95.</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn5"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">[5]</span></span></span></span></a> <span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">Martin G. R. R.</span></span></span><span arial="" lang="EN-GB" style="font-family:"><span style="color:black">, <i>A Song of Ice and Fire</i>, Bantam Books, New York, 1996.</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn6"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: left;"><span style="font-size:12pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" style="color:blue; text-decoration:underline" title=""><span arial="" style="font-family:"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">[6]</span></span></span></span></a><span arial="" style="font-family:"> <span style="color:black">Cf. <span style="text-transform:uppercase">Queneau R</span>., <i>Le Vol d&rsquo;Icare</i>, Gallimard, Paris, 1968.</span></span></span></span></p> </div> </div>