<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"><i><b>La négation du droit de refuser un soin au nom de la morale</b></i></font></font></p>
<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Sébastien CHEVALIER</font></font></p>
<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Docteur en Droit public, Membre associé du Centre Jean Bodin à l'Université d'Angers</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Le principe du consentement aux soins et son corollaire, le droit au refus d’un acte médical, traduisent l’autonomie accordée à chaque personne : les individus sont libres des choix les concernant. Cependant, le pouvoir de gouverner son propre corps est parfois confisqué, y compris s’il s’agit d’un adulte doté d’une pleine capacité de discernement. Cette "entorse" importante à la liberté individuelle concerne la sauvegarde de la vie. Ainsi, le médecin peut prodiguer des soins contre le gré du malade si son pronostic vital est en jeu. Cette frontière indépassable de l’autonomie individuelle résulte d’une conception très extensive de l’ordre public sanitaire. En effet, il semble nécessaire de faire appel au principe de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine en tant que composante de l’ordre public et de l’appliquer de manière singulière : aucun tiers ne subit un dommage et n’est impliqué. Autrement dit, il s’agit en l’espèce de protéger la personne contre elle-même. Par conséquent, une dérive vers des considérations morales est à redouter.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Le pronostic vital demeure une frontière infranchissable de l’autonomie individuelle (I) fondée sur une conception très extensive de l’ordre public sanitaire, comportant une dimension morale (II).</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"><b>I] <u>La frontière infranchissable de l’autonomie individuelle: le pronostic vital</u></b></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">La jurisprudence érige le pronostic vital comme frontière infranchissable de l’autonomie individuelle. En effet, le droit au refus de soins peut être méconnu pour sauvegarder la vie du malade. Toutefois, dans la mesure où les libertés individuelles sont remises en cause, des conditions <i>a priori</i> strictes et cumulatives doivent être remplies : les médecins ont l’obligation de "tout mettre en œuvre pour convaincre la (le) patient(e) d’accepter les soins indispensables" et l’acte médical doit être "indispensable à la survie de l’intéressé et proportionné à son état"civil<sup>1</sup>. Malgré ces précautions, en réalité peu contraignantes, le juge se fonde sur une exception non prévue par le législateur. Le potentiel permis par la loi du 4 mars 2002<sup>2 </sup>ne semble pas pleinement exploité par la juridiction administrative : il n’est pas certain que les parlementaires souhaitaient limiter le refus de soins même lorsqu’il était susceptible d’entraîner le décès du patient. Par ailleurs, cette frontière était exclue par le ministre à l’origine du projet de loi.</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"><i><b>A° La possibilité contra legem de ne pas respecter la volonté individuelle</b></i></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">L’exception jurisprudentielle à l’expression de l’autonomie individuelle vise à préserver les intérêts vitaux. Cette règle est maintenue bien que le législateur se soit prononcé en mars 2002.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">En effet, dans un arrêt du 26 octobre 2001, affaire <i>Senanayake, </i>le Conseil d’Etat dégage le principe selon lequel la transfusion "forcée" est autorisée chez un patient placé "en situation extrême".</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">1. CE, ord., 16 août 2002, n° 249552, Mme F. et M. F., épouse G., <u>www.conseil-etat.fr</u>. </font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">2. L</font></font><strong><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">oi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JORF du 5 mars 2002, p. 4118.</font></font></font></strong></p>
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<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Page 1</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Or, postérieurement à la loi de 2002, la juridiction administrative confirme cette position: dans une ordonnance du 9 août 2002, le tribunal administratif de Lyon<sup>1</sup>, Juge des référés, fit au Centre Hospitalier l’injonction de ne pas procéder à la transfusion, sauf dans l’hypothèse d'une "situation extrême mettant en jeu un pronostic vital". La patiente fit appel devant le Conseil d’Etat lequel abonde dans le sens du juge de premier ressort.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Nous observons que les faits sont à peu près (dramatiquement) similaires dans les deux affaires.</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Néanmoins une différence importante subsiste : cette patiente souffrait d’une fracture de la jambe alors que M. Senanayake était atteint d’une maladie grave.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Eu égard à l’importance des libertés fondamentales en jeu<sup>2</sup>, des conditions prétoriennes d’application <i>a priori </i>strictes sont prévues pour autoriser la méconnaissance du droit au refus de soins. Les intérêts vitaux du malade doivent être menacés. De plus, le médecin doit avoir tout fait pour convaincre le patient de consentir à la thérapie et le praticien doit dispenser uniquement des soins indispensables.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Ces conditions cumulatives qui doivent être remplies sont en réalité peu contraignantes. En particulier, le critère de l’urgence n'est pas retenu. En cela, le juge prend implicitement en considération le texte de 2002 qui dissocie clairement le cas de l’urgence mais pour mieux le "contourner" ensuite. Ainsi, le contenu des obligations et des garanties entourant l’intervention médicale forcée est quasiment vidé de sa substance. Lorsque le juge des référés estime dans son ordonnance du 16 août 2002 "qu’avant de recourir à une transfusion, il incombe au médecin, d’une part, d’avoir tout mis en œuvre pour convaincre la patiente d’accepter les soins indispensables, d’autre part, de s’assurer qu’un tel acte soit proportionné et indispensable à la survie de l’intéressé", il ne fait en réalité qu’appliquer le droit commun en matière médicale.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">En premier lieu, l’exigence d’un traitement "proportionné et indispensable à la survie de l’intéressé" renvoie aux obligations traditionnelles d’un praticien. Par ailleurs, l’existence d’un acte médical est subordonnée à la preuve d’une nécessité médicale voire d’un intérêt thérapeutique, ce qui sous-entend et implique qu’un traitement "lourd" doit être systématiquement écarté si un résultat similaire peut être atteint par une méthode moins invasive. Cette obligation d’adapter l’acte médical à la gravité de l’état de santé du patient doit être déconnectée du principe du consentement de ce dernier. En effet, un soin même consenti n’est pas conforme à la réglementation s’il pouvait être évité par le médecin. Enfin, un traitement "indispensable à la survie de l’intéressé" est une notion sujette à ambiguïtés. D’une part, le requérant Témoin de Jéhovah conteste fréquemment la nécessité de la transfusion sanguine elle-même et argue qu’un acte médical administré plus tôt pourrait éviter le recours à la transfusion. D’autre part, les faits nous montrent que la pratique forcée de la transfusion sanguine n’épargne pas systématiquement la vie du patient. Autrement dit, le caractère indispensable à la survie du malade n’est pas synonyme de succès de l’opération. D’ailleurs, le praticien a tendance à retarder la thérapie, s’il est confronté au refus de soins du malade, réduisant d’autant les chances de réussite de la transfusion. Par conséquent, l’atteinte au droit au refus apparaît encore plus intolérable aux yeux de la famille Témoin de Jéhovah. Le dilemme est cornélien.</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">En second lieu, le fait de devoir tout mettre en œuvre pour convaincre la patiente d’accepter les soins indispensables s’apprécie de manière subjective.</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">1. TA de Lyon, ord., 9 août 2002, n° 02-03474.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2"><font face="Times New Roman, serif">2. Cf. </font><font face="Times New Roman, serif"><i>Infra.</i></font></font></p>
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<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Page 2</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Cela équivaut peu ou prou au devoir d’information classique puisque l’ensemble des données doivent être fournies au patient pour toute thérapie envisagée mais le praticien conseille et incite à la pratiquer.</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">De surcroît, les capacités de conviction ne font pas partie des qualités professionnelles traditionnelles d’un médecin. En outre, mesurer les efforts de conviction pour examiner si tout a été mis en œuvre devrait reposer sur une évaluation. Or cette dernière supposerait des critères objectifs qui n’existent pas. De plus, il ne s’agit par définition que d’une obligation de moyen et non de résultat puisque l’échec se traduira par une thérapie forcée. D’ailleurs, cette nécessité de tout mettre en œuvre pour convaincre le patient de revenir sur sa décision lorsqu’il risque de perdre la vie est prévue par la loi. Toutefois la rédaction du texte laisse penser qu’il faut l’entendre comme une précaution supplémentaire et non une ouverture, en cas d’échec, vers le recours aux soins forcés.</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">La position jurisprudentielle a été maintenue après la publication de la loi précitée du 4 mars 2002. Il peut paraître surprenant que le juge ne prenne pas acte de l’intervention de la loi. Le Conseil d’Etat énonce, à l’occasion de décisions rendues dans des procédures de référé-libertés fondamentales, que "le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu’il se trouve en l’état de l’exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d’une liberté fondamentale ; que, toutefois, les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale, telle qu’elle est protégée par les dispositions de l’article 16-3 du Code civil</font></font><sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">1</font></font></sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"> […] et celles de l’article 1111-4 du code de la santé publique</font></font><sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">2</font></font></sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">, une atteinte grave et manifestement illégale lorsque, après avoir tout mis en œuvre pour convaincre un patient d’accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de la sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état"</font></font><sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">3</font></font></sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">. La haute juridiction confirme une ordonnance du tribunal administratif de Lyon</font></font><sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">4 </font></font></sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">La décision du tribunal administratif de Lille</font></font><sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">5 </font></font></sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">a cependant jeté un trouble car le juge exige que le médecin n’effectue pas une transfusion forcée chez un malade témoin de Jéhovah et il n’assortit cette injonction d’aucune réserve. En réalité, il semble qu’il ne faille pas interpréter cet arrêt comme contenant une règle jurisprudentielle divergente. Le cas d’espèce est spécifique puisque la vie de l’intéressé n’était pas en danger immédiat et le juge précise cette particularité en l’espèce. Aussi, cette décision se situe en réalité vraisemblablement dans la même lignée jurisprudentielle.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Or le pronostic vital ne devrait plus constituer une limite à l’expression de l’autonomie de la personne, une atteinte à l’exercice de la liberté individuelle. En effet, les exceptions sont limitativement prévues dans le code de la santé publique donc le juge ne devrait pas prévoir une dérogation supplémentaire. Il n’est pas habilité à modifier l’ordonnancement juridique en ajoutant au Droit.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">La rédaction même du texte montre que le silence du législateur n’est pas un "oubli". Le texte laisse peu de place à l’interprétation, même s’il semble délicat d’écrire que le décès peut être une</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">1. "Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir".</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">2. "Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement". [...]. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment [...]".</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">3. CE, ord., 16 août 2002, n° 249552, Mme F. et M. F., épouse G.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">4. TA de Lyon, ord., 9 août 2002, n° 02-03474.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">5. TA de Lille, o</font></font></font><font size="2">rd. du 23 août 2002, n° 02-3138.</font></p>
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<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Page 3</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">conséquence licite du refus de soins. </font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">L’hypothèse n’a pas été exclue par le parlementaire puisque l’article L. 1111-4 du code de la santé publique dispose que "si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables". En d’autres termes, une fois cette obligation de moyen remplie, la sauvegarde de la vie ne semble pas justifier la méconnaissance du droit au refus de soins. L’objectif est de s’assurer que l’abstention thérapeutique envisagée n’a pas pour origine une négligence du patient. Il s’agit de lui faire prendre conscience de la gravité de son refus de soins envisagé mais non de le priver de sa liberté de choix.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Ainsi la loi précitée du 4 mars 2002 permettait de pousser l’autonomie individuelle plus loin que la solution retenue par le juge : le droit au refus de soins pouvait conduire jusqu’au décès du patient.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3"><i><b>B° La négation du droit de refuser un soin, pourtant consacré au nom de la liberté individuelle</b></i></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">La sauvegarde de la vie prime sur l'expression de la volonté de la personne intéressée. Pourtant, le droit au refus d’un acte médical semble évident de prime abord : il paraît logique qu’une personne puisse s’opposer à un geste médical qui par définition porte atteinte à son intégrité corporelle. Autrement dit, le droit de consentir aux soins est présenté positivement, c’est-à-dire que le législateur ou le juge énonce le principe du consentement libre et éclairé sans insister sur cette déclinaison qui en découle de manière implicite mais certaine : le droit de refuser un acte médical.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Ainsi, le principe du consentement libre et éclairé implique un choix binaire pour chaque intervention médicale : soit le patient l’accepte soit il la refuse.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Par conséquent, cela signifie que l’individu dispose du pouvoir de s’opposer à un acte dont le but est d’améliorer, ou tout au moins de maintenir en l’état, sa santé puisque l’acte médical est soumis à la nécessité médicale. Cette conséquence, l’acceptation tacite d’une dégradation de l’état de santé d’une personne alors qu’elle pourrait être évitée explique l'intervention du Parlement. Ce dernier introduit le principe du consentement aux soins dans les textes législatifs puis il précisera les conditions du droit au refus d’un acte médical en 2002 puis 2005<sup>1</sup>.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">1) Une reconnaissance progressive : un principe d’origine jurisprudentielle confirmé par les textes</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Le principe du consentement libre et éclairé aux soins est initialement d’essence jurisprudentielle<sup>2 </sup>puis a fait l'objet d'une consécration textuelle protectrice, tant au niveau du droit européen avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne -article 2 § 2- que du droit national, <i>via</i> des dispositions législatives.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">En effet, outre l’article L. 1111-4 du code de la santé publique précité, la loi de 1999<sup>3</sup><sup> </sup>sur les soins palliatifs précise, dans une disposition retranscrite à l’article L. 1111-2 du code de la santé publique, que la personne malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique".</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">------------------------</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">1. Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, JORF n° 95 du 23 avril 2005, p. 7089, rect. JORF n° 116 du 20 mai 2005, p. 8732.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">2. Cass. req., 28 janv. 1942, <i>D</i>.1942, 63.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">3. Loi </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">n° </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">JORF n° 132 du 10 juin 1999, p. 8487.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Page 4</font></font></p>
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<p align="CENTER"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Le principe est également prévu dans le code civil puisque les termes de l’article 16-3<sup>1 </sup>ont déjà été évoqués.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="LEFT"><font size="3"><font face="Times New Roman, serif">2) </font>La garantie apportée par les fondements constitutionnels du principe</font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Le principe du consentement libre et éclairé puise sa source dans le bloc de constitutionnalité au titre de l’exercice de la liberté individuelle et du droit à l’intégrité physique de l’individu.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3"><font face="Times New Roman, serif">Les fondements constitutionnels du principe </font><font face="Times New Roman, serif">du consentement préalable aux soins </font><font face="Times New Roman, serif">le font bénéficier d’une protection maximale au sein de la hiérarchie des normes bien qu’il ne soit qu’un principe constitutionnel dérivé. Il </font><font face="Times New Roman, serif">trouve son origine dans des droits fondamentaux : la liberté </font>corporelle et la liberté individuelle en sachant que la seconde découle de la première. </font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">Ainsi, la protection du corps humain est assurée. "Le premier attribut juridique de chaque personne est l’intangibilité de son intégrité corporelle et des principes de sa vie. Il n’y peut être touché, même par le médecin, qu’avec son consentement"<sup><font face="Times New Roman, serif">2</font></sup>. Selon René Savatier, "quand il faut apprécier le consentement qui doit être donné par le malade à l’opération qu’il va subir, on rentre dans la morale commune. Il s’agit du principe de la liberté humaine et du respect des droits de la personne à l’intégrité de son corps […]"<sup><font face="Times New Roman, serif">3</font></sup>.</font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">Par ailleurs, le principe de l’inviolabilité du corps humain est la source des autres libertés ; en particulier, la liberté individuelle découle de celui-ci. Ainsi, s’exprime Didier Chauvaux<sup><font face="Times New Roman, serif">4 </font></sup>concernant ce principe cardinal : ce "<i>noli me tangere</i> constitue une garantie, fonde à l'exercice des autres libertés supposant que le sujet jouisse de la sécurité physique et dispose de lui-même". </font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">Par conséquent, la distinction entre les différents fondements est également quelque peu artificielle : la liberté individuelle peut être appréhendée comme le simple prolongement du principe de l’inviolabilité du corps humain. </font></p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">En 1947, le doyen Carbonnier écrivait ces mots : "Il faut concevoir l’inviolabilité de la personne humaine comme une liberté immatérielle, qui a son siège moins dans le corps que dans la personnalité… On croira malaisément qu’il devient plus acceptable d’imposer une opération à un individu par cela seul que cette opération est bénigne. Qu’importe qu’il n’y ait pas mutilation, que l’incision dans les chairs soit superficielle ?</font></p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">Ce n’est pas la chair qui est protégée, mais un sentiment, un quant-à-soi, une liberté et ils seront blessés d’identique manière quelle que soit la nature de l’intervention envisagée"<sup><font face="Times New Roman, serif">5</font></sup>. </font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">------------------------</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">1. Issu de la loi <strong>n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal dite </strong>loi "bioéthique",JORF n°175 du 30 juillet 1994 page 11060, modifié par la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 puis par la loi n°2004-800 du 6 août 2004 – art.9 JORF 7 août 2004.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">2. René et Jean Savatier, Jean-Marie Auby, et Henri Pequignot, <i>Le Traité de droit médical</i>, éd. Lib. techn., 1956, n° 247.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">3. Commentaire de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers du 4 mars 1947 (<i>D</i>. 1948.298). En l’espèce, la responsabilité du chirurgien est engagée puisqu’il a amputé le patient d’une jambe sans son consentement.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">4. CE ass. 26 oct. 2001, Mme Catherine X., n<strong>° 198546, </strong>RFDA 2002, p. 146-162, concl. D. Chauvaux, note D. de Béchillon.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">5. Jean Carbonnier, </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2"><i>D</i></font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">., 1947, pp. 507-511, note sous Trib. Lille, 18 mars 1947.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Page 5</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">La liberté corporelle, "support de toutes les autres libertés"<sup><font face="Times New Roman, serif">1</font></sup>, comporte deux branches : le droit à l’intégrité physique et le droit à la libre disposition de son corps, droit fondamental de l’homme. "Libertés siamoises, elles ne constituent rien d’autre, à y mieux regarder, que les deux faces d’une seule et même "liberté charnelle", dont le respect conditionne l’existence de toutes les autres libertés"<sup><font face="Times New Roman, serif">2 </font></sup>.</font></p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">La référence à la liberté corporelle supposerait d’appréhender clairement la notion de corps humain. Or, force est de constater la difficulté de placer cette dernière dans une case juridique : "toutes les difficultés d’appréhension juridique du corps humain viennent de l’impossibilité de le réduire à l’une des catégories fondamentales chez les spécialistes de l’éthique et du droit : « être ou avoir, le corps humain est-il le prolongement de la personne ou constitue-t-il une chose ? Est-on son propre corps ou a-t-on un droit sur son corps et dans cette hypothèse est-ce un droit de propriété?"<sup><font face="Times New Roman, serif">3</font></sup>. Le droit à la libre disposition de son corps comprend notamment<sup><font face="Times New Roman, serif">4 </font></sup>la liberté de procréation, le droit de donner ses organes et ses produits du corps humain et le droit de décider de sa propre mort. La première se subdivise elle-même en deux droits : le droit de procréer, au besoin en recourant aux pratiques de l’assistance médicale à la procréation (AMP) et le droit de ne pas procréer (cela renvoie à la stérilisation et à l’IVG-avortement).</font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">Le principe de l’intangibilité et de l’indisponibilité du corps humain sont protégés puisque le corps humain, en sa qualité de support de la personne humaine, participe de la dignité de l’individu. Or, le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine a valeur constitutionnelle comme celui de la primauté de la personne humaine et du respect de l’être humain dès le commencement de la vie.</font></p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">L’ensemble de ces principes énumérés par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1994<sup><font face="Times New Roman, serif">5 </font></sup>semblent indissociables. En bref, le principe de l’inviolabilité découle du droit subjectif au respect du corps reconnu à l’article 16 alinéa premier, lui-même constituant une application du principe général de protection de la personne, présent à l’article 16 du code civil dans la mesure où il dispose que "la loi assure la primauté de la personne humaine […] dès le commencement de la vie".</font></p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">Le fondement de l’obligation pour le médecin d’obtenir le consentement du patient peut également se rattacher à la liberté individuelle, principe à valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel fait expressément référence à la liberté individuelle dans la décision du 12 janvier 1977<sup><font face="Times New Roman, serif">6 </font></sup>comme dans la décision du 27 juillet 1994 dite "bioéthique"<sup><font face="Times New Roman, serif">7</font></sup>. Elle consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui et implique donc qu'il revient à toute personne majeure de prendre elle-même les décisions la concernant. </font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">1. <strong>Jean Rivero, </strong><strong><i>Libertés publiques</i></strong><strong>, T. 2, 1997, p. 93.</strong></font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">2. <strong>Gilles Lebreton, </strong><strong><i>Libertés publiques et droits de l’homme</i></strong><strong>, 6ème éd., Armand Colin, 2003, p. 262.</strong></font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">3. Rémy Cabrillac, "Le corps humain", dir. R. Cabrillac et alii in <i>Libertés et droits fondamentaux</i>,, Dalloz, 9è éd. 2003, p. 145.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">4. L’orientation sexuelle est également à inclure mais aussi la prostitution, exploitation par autrui.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">5. CC, n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994 <i>Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal</i>, Rec. p. 100.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">6. CC, n° 76-75 DC, 12 janvier 1977 <i>Fouille des véhicules</i>, Rec. p. 33.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">7. CC, n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994 précitée. </font></font></font></p>
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<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Page 6</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">En raison du caractère fondamental du droit de consentir aux soins, les personnes ne devraient pas en être <i>a priori </i>dépossédées, même leur pronostic vital est en jeu.</font></p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">Pourtant, l'exercice du droit au refus d'un acte médical est restreint au nom de la sauvegarde de la dignité humaine. Or, il semblerait concevable de défendre la position inverse: le respect de la volonté de la personne pourrait s'imposer au nom de sa dignité.</font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="3"><b>II] <u>L’adoption d’une conception très extensive de l’ordre public sanitaire comportant une dimension morale</u></b></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="3">La persistance de cette frontière infranchissable de l’autonomie individuelle que constitue la sauvegarde de la vie du patient semble contestable, ou à tout le moins discutable. Comme il n’existe pas de restriction légale à la liberté individuelle, son atteinte ne peut être admise que sur le fondement d’une autre norme constitutionnelle. En effet, le principe du consentement aux soins et son corollaire, le droit au refus d’un acte médical, revêtent le caractère de libertés fondamentales. Or, les limitations classiques de la liberté individuelle ne sont pas pertinentes en l’espèce : les tiers ne sont pas lésés par le refus de soins. Par conséquent, la seule justification possible relève des motifs de l’ordre public, sa sauvegarde étant un objectif à valeur constitutionnelle. Si le Conseil constitutionnel admet les atteintes à la liberté individuelle au nom de cet objectif, l’ordre public n’est pas une notion simple à définir. Au-delà du "noyau dur", la sûreté, le contenu peut faire l’objet de débats.</font></p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">En particulier, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine est désormais une des composantes de l’ordre public mais ce principe soulève de très nombreuses questions notamment pour la détermination de ses contours. Il nous semble dangereux qu’il puisse parfois se confondre avec la moralité publique voire conduire à protéger la personne contre elle-même, en l’absence de dimension publique.</font></p>
<p align="JUSTIFY"><font size="3">L’hypothèse de la sauvegarde de la vie contre le gré de la personne oblige à franchir un nouveau stade par rapport à la jurisprudence <i>Morsang-sur-Orge</i>. En effet, dans le premier cas de figure, contrairement au second, aucune "communauté" ne peut se sentir froissée du fait de l’action d’un de ses membres. En revanche, les personnes Témoins de Jéhovah peuvent à l’inverse se sentir blessées par la méconnaissance de leurs convictions religieuses. D’ailleurs, admettre l’existence de convictions étrangères à notre propre système de pensées pourrait être entendu comme une des déclinaisons possibles du respect de la dignité humaine. Ainsi, le contenu du principe de la dignité humaine apparaît imprécis voire contradictoire. Elle pourrait même comprendre la protection de la vie d’un individu contre sa volonté. Quoi qu’il en soit, le droit de mourir n’est pas accordé aux individus au nom de la sauvegarde de l’ordre public. Ce dernier connaît un champ d’application très vaste, au point qu’il n’est pas évident en définitive de trouver un '"brevet d’irréprochabilité juridique". L’appel discutable au principe de la sauvegarde de la dignité humaine (A) conduit au refus de la reconnaissance de la liberté de mourir (B). </font></p>
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<p align="LEFT"><i><b><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">A° </font></font>L’appel discutable au principe de la sauvegarde de la dignité humaine</b></i></p>
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<p align="JUSTIFY">Le juge ne mentionne pas la sauvegarde de la dignité de la personne humaine mais la référence est implicite et certaine. Or, l’utilisation en catimini de cette notion révèle un malaise juridique : la protection de l’individu contre lui-même peut se révéler dangereuse (1). Par ailleurs, cette composante de l’ordre public, en créant des disparités d’appréciation voire en provoquant un glissement vers des considérations éthiques sans qu’une quelconque dimension publique soit présente, est problématique (2).</p>
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<p align="JUSTIFY">1) L’utilisation <i>"en catimini"</i> de la dignité humaine lorsqu’elle vise à protéger la personne contre elle-même</p>
<p align="CENTER">Page 7</p>
<p align="JUSTIFY">La référence implicite mais certaine à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine (i) montre le malaise provoquée par cette notion lorsque l’objectif réel est la protection de la personne contre elle-même (ii).</p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY">i. La référence implicite mais certaine à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine</p>
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<p align="JUSTIFY">Le juge ne fait pas référence explicitement au concept de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Toutefois, la limite à l’expression du droit au refus de soins lorsque le pronostic vital du patient est en jeu ne peut avoir pour fondement que la dignité humaine. Ainsi, le choix d’une conception objective de la dignité est effectif. Or la notion de dignité nous semble équivoque et d’emploi délicat bien que le principe de la dignité humaine soit cardinal dans un Etat de droit et constitue un apport révolutionnaire. "Il revient en effet à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 le mérite d’avoir reconnu l’homme comme un sujet citoyen d’un Etat qui rend possible l’épanouissement de sa dignité"<sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">1</font></font></sup>. De même, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui affirme que "la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux constitue le fondement de la liberté, et de la justice et de la paix dans le monde". Conformément à ce considérant, il est reconnu dans l’article 1er que "tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits".</p>
<p align="JUSTIFY">Toutefois, comme le principe de la dignité de la personne humaine prend sa source dans la conception de la valeur accordée à l’homme<sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">2</font></font></sup>, ce droit naturel s’est ainsi incarné dans le droit positif<sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">3</font></font></sup><font size="3">. </font>Cependant, il a été introduit dans le droit positif français seulement en 1994 par le Conseilconstitutionnel<sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">4</font></font></sup>, d’ailleurs selon un procédé de construction davantage que de révélation. Il considère qu’un "ensemble de principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine ; ainsi affirmés tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité, de la personne humaine". Le législateur fait également référence à ce principe : l’article 16 du code civil dispose que "la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie". Néanmoins, le législateur n’a pas défini la notion de dignité de la personne humaine. En l’absence de définition légale, des auteurs évoquent, concernant ce principe inaliénable, un "standard juridique" relevant du pouvoir souverain du Juge<sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">5 </font></font></sup>ou de "principe matriciel"<sup><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">6 </font></font></sup>.</p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">1. </font></font></font><font size="2">Droit de la santé, Anne Laude, Bertrand Mathieu, Didier Tabuteau, sous la direction de Catherine Labrusse-Riou et Didier Truchet, Thémis droit, PUF, 2 e édition mise à jour 2009, 726 pages, p. 309.</font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">2. </font></font>B. Edelman, "La dignité de la personne humaine, un concept nouveau", <i>D</i>. 1997, chr. p. 187 s.</font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">3. B. Mathieu, « Dignité de la personne humaine : du bon et du mauvais usage en droit politique français d’un principe universel », in </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2"><i>Le droit de la médecine et l’être humain, propos hétérodoxes sur quelques enjeux du 21e siècle</i></font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">, PUAM, 1996, p. 214.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">4. CC n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2"><i>LPA</i></font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">, 1995, n° 50, p. 6, </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2"><i>Rec</i></font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">. p. 100 ; B. Mathieu, "Bioéthique : un Conseil constitutionnel réservé face aux défis de la science", </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2"><i>RFDA</i></font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">, 1994, p. 1019, D. 1995.237, note B. Mathieu; Petites Affiches, 1994, n° 149, p. 34, note J.-P. Duprat.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">5. C. Neirinck, L’acte médical et le droit du malade, Presses de l’université des sciences sociales de Toulouse, coll. "Droit et médecine", p. 43 s.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">6. B. Mathieu, "Pour une reconnaissance de principes matriciels en matière de protection constitutionnelle des droits de l’homme", </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2"><i>D</i></font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">. 1995, chr. p. 211 s.</font></font></font></p>
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<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Page 8</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Une certitude est que le caractère objectif de la notion de dignité est retenu par le droit positif. Certains auteurs évoquent le "caractère intrinsèque de toute personne"<sup>1</sup>. La dignité est inhérente à l’être humain. Ainsi, elle assure l’appartenance de chaque individu à l’espèce humaine, à l’humanité<sup>2</sup>. Le Conseil constitutionnel confirme cette approche<sup>3</sup>. Néanmoins, la dignité ne comporte pas de définition et ce concept devenu objet juridique n’est pas simple à appréhender. Cette notion apparaît "intuitive"<sup>4 </sup>et pourtant ses conséquences sont "tentaculaires", selon la bonne expression de M. de Hennezel<sup>5</sup>. Initialement le principe de dignité obéissait à une conception subjective ; la dignité était considérée comme un principe fondateur des droits de l’homme. Or, le juge<sup>6 </sup>a doté ce principe d’effets directs. Il ne bénéficie plus d’une simple signification politique mais est devenu une règle de droit positif. </font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">De plus, une demande d’inscription à l’article 66 a fait l’objet d’une proposition avortée<sup>7</sup>. Cet article consacre la liberté individuelle donc l’échec de la réforme démontre une hiérarchie des valeurs en faveur de la liberté, au détriment de la dignité. De plus, son application peut s’avérer périlleuse voire dangereuse pour les droits individuels, en particulier lorsqu’il est admis qu’une personne peut se causer un dommage à elle-même.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">ii. L’intérêt primordial et l’écueil principal : la protection de la personne contre elle-même</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Un individu ne dispose pas d’un pouvoir général et illimité sur son corps. La maîtrise de son propre corps se fait dans le cadre de la dignité : la libre disposition du premier est limitée par la seconde. En d’autres termes, la personne est protégée contre elle-même au nom de l’ordre public, dont la sauvegarde de la dignité humaine est une composante. De surcroît, le juge administratif adopte une conception très extensive de cette protection au titre de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Cela ressort de l’affaire dite du "lancer de nain"<sup>8 </sup>mais un nouveau palier semble franchi dans notre domaine en l’absence de dimension publique.</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">1. V. Saint-James, "Réflexions sur la dignité de l’être humain en tant que concept juridique du droit français", </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2"><i>D</i></font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">. 1997, chron. p. 61.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">2. Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Rapport sur les sciences de la vie et les droits de l’homme. Fasc. n° 7, Frontière de la vie et de la mort : comment respecter l’homme proche de la mort ? AN, n° 2588, S, n° 262, 1991-1992.</font></font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">3. J. Hardy, "Acharnement thérapeutique – De l’éthique au droit", RGDM 2011, n° 38, p. 295. </font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">4. K. Morel, "Le respect de la dignité de la personne mourante", RGDM 2004, n° spécial, "L’éthique et la mort", p. 71. </font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">5. M. de Hennezel, Rapport "Fin de vie : le devoir d’accompagnement", La Documentation française, Paris, 2003, p. 46 ; Rapport fait au nom de la mission d’évaluation sur l’accompagnement de la fin de vie, doc. AN, n° 1708, 2004, p. 162. </font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">6. Le droit au respect de la dignité de la personne malade figure dans le code de la santé publique depuis 2002 mais auparavant le juge faisait déjà référence à ce concept.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">7. </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2"><i>Propositions pour une révision de la Constitution</i></font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">, 15 févr. 1993, Rapport Doc. fr., p. 75 ; cf. aussi T. Renoux, Si le grain ne meurt, </font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2"><i>RFD const</i></font></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">. 1993, p. 271.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">8. CE Ass., 27 oct. 1995, (2 espèces) Commune de Morsang-sur-Orge et Ville d’Aix-en-Provence, Rec. p. 372, concl. P. Frydman ; R.F.D.A., 1995, p. 1208 ; AJDA, 1995, p. 881 ; JCP 1996, II, 22630, note F. Hamon. </font></font></font></p>
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<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Page 9</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Dans le litige relatif au "lancer de nain", la personne au centre du spectacle invoquait la méconnaissance de sa liberté individuelle mais également de la liberté du travail, autre principe à valeur constitutionnelle. La juridiction lui a donné tort. Dans l’une des deux espèces, l’intéressé lui-même avait attaqué l’arrêté du maire interdisant le "jeu".</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Il avançait que la décision municipale était contraire à la liberté du travail, qu’il rencontrerait des difficultés pour trouver un nouvel emploi en raison de sa situation de handicap. Hiérarchiser les principes à valeur constitutionnelle en donnant la primeur à la protection de la dignité humaine peut donner l’impression de ne pas céder au chantage à l’emploi.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Néanmoins, plus généralement, une situation conduisant à une instrumentalisation d’un être humain n’est pas simple à appréhender et l’individu n’est-il pas apte à déterminer la moins mauvaise solution pour lui ? L’appréciation de l’échelle des activités plus ou moins valorisantes au regard de la société ne peut d’une part se détacher d’une dose de subjectivité et d’autre part varie en fonction de données objectives : le choix n’est-il pas « contraint » par une situation réelle comme les causes pécuniaires mais aussi plus globalement un milieu social et culturel qui réduit le champ des possibles ? Malgré les imperfections sociétales, avec notamment une inégalité d’accès à l’information, une personne dotée d’une capacité de discernement pleine et entière ne doit-elle pas décider pour elle-même, de choisir ce qu’elle estime le mieux pour elle ?</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">En effet, l’intégration de ce principe dans l’ordre juridique, dont la méconnaissance est sanctionnée par le juge, engendre une situation étonnante : les libertés individuelles peuvent être remises en cause, même si l’action de la personne n’emporte aucune conséquence sur autrui. Par conséquent, surgit la question pertinente suivante : "en viendra-t-on également à prohiber -toujours au nom de la dignité humaine- la boxe, la lutte, la pornographie, le striptease, la tauromachie, le travail dans l’industrie du sexe… et quoi encore ? Quid de la "lofteuse"? Du "staracadémicien"?"<sup>1</sup>.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Ainsi, la protection de la personne contre elle-même semble dénuée de limite. De plus, il est périlleux de donner aux pouvoirs publics, même sous le contrôle du juge, un rôle d’arbitrage, car il s’agit en réalité, sous couvert de conciliation, d’établir une hiérarchie entre divers principes à valeur constitutionnelle.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Il semble donc d’autant plus dangereux d’admettre, lorsque les répercussions sur la vie en collectivité n’existent pas, qu’un individu ne dispose pas d’un total libre arbitre sur son propre corps. Même s’il est également vrai que cette logique poussée à l’extrême aboutirait à considérer que la prostitution relève de la libre disposition du corps pour la femme. Le risque serait d’instaurer une hypocrisie collective : cela supposerait de démêler le choix individuel assumé du "choix" contraint, c’est-à-dire sous l’influence et l’emprise des réseaux. Enfin, la haute juridiction de l’ordre administratif a sans doute perçu les faiblesses d’un dispositif qui eût été fondé sur le rapport de propriété, du lien entre une personne et son corps. Aussi, elle esquive la question du statut du corps et préfère faire appel à la notion de l’ordre public.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"> </p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">2) La dignité : composante problématique de l’ordre public</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">La sauvegarde de la dignité de la personne humaine est désormais considérée comme une composante de l’ordre public. Par conséquent, c’est la fin de la trilogie classique mais cette extension de la définition de l’ordre public fait craindre un glissement vers des considérations éthiques (i) sans que la dimension publique soit présente (ii).</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">i. Le glissement dangereux vers des considérations éthiques</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">1. </font></font>E. Dreyer, "La dignité opposée à la personne", D. 2008, chron., p. 2731.</font></p>
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<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Page 10</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Pour les théoriciens de l’école "matérialiste"<sup>1</sup>, l’ordre public doit se limiter à l’ordre matériel et extérieur. Seule la lutte contre les désordres matériels est justifiée et les désordres moraux ne doivent être sanctionnés que s’ils emportent des conséquences sur la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">En d’autres termes, les mesures de police ne doivent pas servir à prévenir des troubles de conscience puisque le risque serait l’instauration d’un ordre moral, lequel s’oppose par nature au plein exercice des libertés individuelles.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Lorsque la moralité publique est déconnectée des trois autres piliers, la dérive vers un ordre moral est possible. Nous partageons la définition de Gilles Lebreton<sup>2</sup> : "On parle d’« ordre moral » lorsque les autorités de police utilisent leurs prérogatives non plus pour faire respecter la moralité publique, mais pour imposer à la société leurs propres conceptions morales". Il poursuit : "Il ne faut donc pas confondre les deux notions : alors que l’ordre moral vient d’en haut et opprime les consciences, la moralité publique vient d’en bas et constitue un facteur de paix sociale, dans la mesure où elle impose un certain conformisme dans la conduite publique ; mais beaucoup moins contraignante que lui, elle ne cherche pas à moraliser l’individu, qu’elle laisse maître absolu de sa conduite privée et de ses convictions". Pour compléter ces propos, citons le commissaire du gouvernement Gand qui distingue nettement les deux notions : un maire doit agir "en fonction non de ses propres convictions, mais seulement des conditions locales et ’il ne doit jamais prêter à des groupes de pression minoritaires l’appui du bras séculier pour imposer le respect d’un code de morale […] qui trouve la source de son particularisme dans des conceptions philosophiques et non des circonstances locales"<sup>3</sup>.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Traditionnellement, le juge administratif respecte cette frontière : il sanctionne les atteintes à la moralité publique en veillant à ne pas "basculer" dans l’instauration d’un ordre moral.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">La jurisprudence <i>Lutétia</i> concerne la première hypothèse mais le Conseil d’Etat annule les mesures de police qui outrepassent ce cadre, c’est-à-dire si la projection d’un film est prohibée pour des raisons de pure immoralité intrinsèque sans justification liée à des circonstances locales particulières<sup>4 </sup>.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Par conséquent, l’abandon de la condition des circonstances locales particulières et la substitution du concept de la dignité fait craindre la transgression de la frontière. La mention "par son objet même, ce spectacle porte atteinte à la dignité de la personne humaine" traduit le caractère général et absolu de l’interdiction et ouvre la voie à une dérive possible. La tentation d’un ordre moral est réelle.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">D’une part, le concept de la dignité de la personne humaine apparaît comme un "prétexte", un "argument massue". Il est difficile de contester voire de relever des effets pervers lorsqu’il s’agit de droits de l’homme. Or l’emploi ne doit pas masquer le peu d’argument juridique fiable. Il semble plus acceptable et admissible de se fonder sur le respect de la dignité de la personne humaine plutôt que de recourir à la moralité publique. Cette dernière engendre une vigilance accrue des auteurs et des citoyens, prompts à dénoncer la dérive vers un ordre moral. Or le tribunal administratif de Marseille assimile le respect de la dignité de la personne humaine et la moralité publique, confusion non contredite par le Conseil d’Etat comme le souligne fort justement un commentateur<sup>5</sup>. </font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">1. M. Hauriou, Précis de droit administratif, Sirey, 11e éd., 1927, p. 471, et 12e éd., 1933, p. 549.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><font size="2">2. <strong>Gilles Lebreton, </strong><strong><i>Libertés publiques et droits de l’homme</i></strong><strong>, 6ème éd., Armand Colin, 2003, p. 262.</strong></font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">3. </font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"> </font></font><i>AJDA</i> 1962, p. 371-372, concl. sur CE, sect., 9 mars 1962, <i>Sté nouvelle des Etabl. Gaumont</i>. </font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">4. C</font></font>E 6 nov. 1963 Ville du Mans, <i>D</i>. 1964, Jur. p. 533, note Demichel ; 26 juill. 1985 Ville d’Aix-en-Provence, <i>RFDA</i> 1986, p. 439, concl. B. Genevois.</font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2">5. Gilles Lebreton, D. 1996, p 178.</font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Des questions demeurent quant au contenu que recouvrent ces deux notions fréquemment confondues désormais. Selon le commissaire du gouvernement Guldner, la moralité publique correspond aux "idées morales communément admises à un moment donné par la moyenne des citoyens"<sup>1</sup>. Cette définition est celle des auteurs de l’école "moraliste"<sup>2</sup>, c’est-à-dire ceux qui font de la moralité publique la quatrième composante de l’ordre public, dont P.-H. Teitgen est le chef de file.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Par conséquent, la sauvegarde de la dignité humaine et la moralité publique se confondent dans la pratique alors que la première ne devrait pas dépendre de l’évolution des mœurs. Seule la morale devrait être contingente, à l'instar de la conception de la décence adoptée par le juge en 1930 voire de l’« hygiène morale ». En 1930, la "décence" justifiait l’interdiction faite aux baigneurs de se déshabiller sur les plages et de circuler en maillot de bain sur les voies publiques<sup>3</sup>. L’expression d’«hygiène morale » illustrant parfaitement le souhait d’instaurer un ordre moral a été utilisé dans un arrêt de 1924<sup>4</sup>.</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Les restrictions du droit au refus de soins constituent des atteintes graves aux libertés fondamentales. Elles sont jugées parfois nécessaires, notamment pour protéger les personnes handicapées contre elles-mêmes. La valeur suprême accordée à la vie s'impose au nom de la conception française de l'autonomie. Celle-ci est inspirée de Rousseau et de Kant, selon laquelle "un être autonome ne peut vouloir rationnellement un comportement qui n'est pas universalisable".</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">En d'autres termes, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, laquelle se confond dans la pratique avec la morale, s'oppose à la pleine maîtrise de son propre corps.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Néanmoins, l'expression des libertés individuelles, dont la libre disposition de son corps, pourrait également être considérée comme une condition du respect de la dignité humaine.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Cette définition à double face de la dignité mériterait l'organisation d'un débat démocratique pour trancher le dilemme.</font></font></p>
<p align="JUSTIFY"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Les interdits, qui nient la faculté d’opérer des choix, doivent-ils relever de la loi ou résulter de l'expression de la conscience de chaque individu? Le droit à l'interruption volontaire de grossesse permet de respecter la dignité de chaque citoyen: une personne opposée à l'avortement pour des motifs moraux a la possibilité de ne pas y recourir.</font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">1. </font></font>Guldner, Concl. sur CE 20 déc. 1957 Sté nat. d’éd. cinématographique, S. 1958, <i>Jur.</i> p. 73. </font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">2. </font></font>P.-H. Teitgen, <i>La police municipale générale</i>, Sirey, 1934, p. 34 ; P. Bernard, <i>La notion d’ordre public en droit administratif</i>, LGDJ, 1962, p. 35 ; B. Chérigny, <i>Le juge administratif, gardien de la moralité des administrés</i>, thèse, Poitiers, 1968, t. 1, p. 258 ; G. Lebreton, <i>Le juge administratif face à l’ordre moral</i>, Mélanges Peiser, 1995.</font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">3. </font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"> CE sect. 30 mai 1930 Beaugé, Rec. p. 582.</font></font></font></p>
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<p align="JUSTIFY"><font size="2"><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">4. CE 7 nov. 1924 Club indépendant sportif châlonnais, </font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><i>D</i></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">. 1924, 3, </font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif"><i>Jur</i></font></font><font color="#000000"><font face="Times New Roman, serif">. p. 58, concl. contraires Cahen-Salvador.</font></font></font></p>
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<p align="CENTER"><font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Page 12</font></font></p>