<p>Michel AGIER, Les migrants et nous. Comprendre Babel. CNRS &Eacute;ditions, 2016, 64 p.</p> <p>Les migrants et nous. Comprendre Babel est un livre &eacute;crit par Michel AGIER et publi&eacute; en 2016 aux CNRS EDITIONS. Pour cet anthropologue fran&ccedil;ais qui explore &laquo;&nbsp;les relations entre la mondialisation humaine, les conditions et lieux de l&rsquo;exil, et la formation de nouveaux contextes urbains&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>, &laquo;&nbsp;l&rsquo;anthropologie doit s&rsquo;int&eacute;resser [&eacute;galement] &agrave; la mobilit&eacute;&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a>.</p> <p>C&rsquo;est ce qu&rsquo;il a essay&eacute; de faire &agrave; travers son ouvrage qui s&#39;appuie sur deux conf&eacute;rences et un projet de recherche sur les migrants et les villes, Agier avait pour but d&rsquo;&eacute;clairer les enjeux complexes de la migration et contribuer &agrave; la r&eacute;flexion scientifique sur ce ph&eacute;nom&egrave;ne global.</p> <p>Dans son introduction intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;un moment politique europ&eacute;en&nbsp;&raquo;, l&rsquo;auteur &eacute;voque &laquo;&nbsp;La crise&nbsp;&raquo; migratoire de 2015 en Europe et consid&egrave;re qu&rsquo;elle a mis en lumi&egrave;re les probl&egrave;mes de fronti&egrave;res et de flux migratoires et que face &agrave; l&#39;indiff&eacute;rence et aux mesures de s&eacute;curit&eacute; des gouvernements, les citoyens et les ONG se sont mobilis&eacute;s pour aider les migrants. En soulignant le r&ocirc;le cl&eacute; que l&#39;Allemagne a jou&eacute; en accueillant 140 000 r&eacute;fugi&eacute;s syriens et qui a incit&eacute; d&#39;autres pays &agrave; faire de m&ecirc;me, Agier affirme que l&#39;&eacute;t&eacute; 2015 a vu na&icirc;tre une vague de solidarit&eacute;, notamment gr&acirc;ce &agrave; la photo du petit Aylan Kurdi. Pour l&rsquo;auteur, il s&rsquo;agissait d&rsquo;une &eacute;preuve pour l&#39;Europe, mais aussi une chance de b&acirc;tir un monde plus solidaire en accueillant les migrants de fa&ccedil;on humaine.</p> <p>Dans la premi&egrave;re partie de son livre portant pour titre la question &laquo;&nbsp;la cause des migrants existe-t-elle&nbsp;?&nbsp;&raquo;, Agier questionne l&#39;existence d&#39;une &quot;cause des migrants&quot; unique et unifi&eacute;e. Il examine les justifications les plus courantes de l&#39;aide aux migrants : la souffrance, la ressemblance et la diff&eacute;rence et critique chacune d&#39;elles en soulignant leurs limites et leurs pi&egrave;ges. L&#39;argument de la souffrance peut mener &agrave; une relation in&eacute;gale entre l&#39;aidant et l&#39;aid&eacute;, et ignorer la subjectivit&eacute; et les aspirations du migrant. L&#39;argument de la ressemblance, bas&eacute; sur des exp&eacute;riences communes, peut nier les diff&eacute;rences des migrants et les enfermer dans une identit&eacute; st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;e. L&#39;argument de la diff&eacute;rence peut exotiser et id&eacute;aliser la figure du migrant, l&#39;&eacute;loignant de la r&eacute;alit&eacute; complexe de ses exp&eacute;riences et aspirations.</p> <p>L&#39;auteur propose de d&eacute;passer ces cat&eacute;gories et de changer de description. Il appelle &agrave; une r&eacute;flexion &eacute;pist&eacute;mologique sur la mani&egrave;re de comprendre et de nommer les migrants et leurs situations. Il souligne l&#39;importance de prendre en compte la relativit&eacute; culturelle et la complexit&eacute; des parcours migratoires. Agier critique &eacute;galement l&#39;usage du mot &laquo;&nbsp;migrant&nbsp;&raquo; comme terme g&eacute;n&eacute;rique et propose de le distinguer du terme &laquo;&nbsp;r&eacute;fugi&eacute;&nbsp;&raquo;. Il rappelle l&#39;histoire et la signification pr&eacute;cise du statut de r&eacute;fugi&eacute;, d&eacute;fini par la Convention de Gen&egrave;ve de 1951.</p> <p>Dans la deuxi&egrave;me partie qui s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; &laquo;&nbsp;une nouvelle cosmopolis&nbsp;&raquo;, l&#39;auteur examine les situations de fronti&egrave;re dans le monde contemporain &agrave; travers le prisme des migrants. Il trouve que la mondialisation ne supprime pas les fronti&egrave;res&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;elle les transforme, les d&eacute;place, elle les multiplie et les &eacute;largit, tout en les rendant plus fragiles et incertaines&nbsp;&raquo; (p. 29). Pour Agier, ces espaces liminaires cr&eacute;ent une existence pr&eacute;caire et incertaine pour les migrants, qui se retrouvent dans des positions d&#39;errance, de parias ou de m&eacute;t&egrave;ques. Son analyse s&#39;appuie sur l&#39;&eacute;tude de trois lieux-fronti&egrave;res : un campement de r&eacute;fugi&eacute;s, un squat et un camp de migrants. L&#39;auteur montre que ces lieux obligent les migrants &agrave; un &laquo;&nbsp;travail culturel&nbsp;&raquo; (p. 39) et &agrave; une &laquo;&nbsp;imagination sociale&nbsp;&raquo; (ibid.) pour s&#39;adapter et survivre. L&#39;exp&eacute;rience de la fronti&egrave;re - pour lui- est une &eacute;preuve de l&#39;alt&eacute;rit&eacute; qui conduit &agrave; une distance vis-&agrave;-vis des identit&eacute;s h&eacute;rit&eacute;es et &agrave; une compr&eacute;hension du monde &laquo;&nbsp;global&nbsp;&raquo;.</p> <p>Michel Agier propose une nouvelle conception du cosmopolitisme bas&eacute;e sur l&#39;exp&eacute;rience concr&egrave;te des migrants en situation de fronti&egrave;re. Cette exp&eacute;rience est distincte du cosmopolitisme des classes globales, de la citoyennet&eacute; du monde et de la conscience globale m&eacute;diatis&eacute;e. Il trouve que le cosmopolitisme des migrants na&icirc;t de leur d&eacute;centrement, de leur double d&eacute;sidentification vis-&agrave;-vis des soci&eacute;t&eacute;s d&#39;origine et d&#39;accueil, et de leur confrontation quotidienne aux fronti&egrave;res. Agier estime que ce cosmopolitisme ordinaire est pragmatique, ancr&eacute; dans la r&eacute;alit&eacute; du monde globalis&eacute; et marqu&eacute; par les in&eacute;galit&eacute;s sociales et qu&rsquo;il implique une &laquo;&nbsp;science du concret&nbsp;&raquo; (p. 50) et une perspective d&eacute;centr&eacute;e sur le monde. Pour l&rsquo;auteur c&rsquo;est un appel &agrave; reconna&icirc;tre la centralit&eacute; de l&#39;exp&eacute;rience des migrants dans la compr&eacute;hension du cosmopolitisme contemporain.</p> <p>Pour conclure et sous le titre de &laquo;&nbsp;La politique de Babel&nbsp;&raquo;, Michel Agier estime qu&rsquo;en 2015, la &laquo;&nbsp;crise migratoire&nbsp;&raquo; a mis en lumi&egrave;re la situation des migrants bloqu&eacute;s aux fronti&egrave;res europ&eacute;ennes. Il trouve que l&#39;exemple de Calais montre comment ces migrants, face &agrave; l&#39;impossibilit&eacute; de passer l&eacute;galement, se sont politis&eacute;s et ont exprim&eacute; une &laquo;&nbsp;politique du sujet cosmopolite&nbsp;&raquo; (p. 54) centr&eacute;e sur la fronti&egrave;re et la mobilit&eacute; humaine. L&#39;auteur propose de &laquo;&nbsp;d&eacute;mocratiser la fronti&egrave;re&nbsp;&raquo; (ibid.) pour reconna&icirc;tre l&#39;existence d&#39;une sc&egrave;ne politique &agrave; la fronti&egrave;re et pour aller au-del&agrave; des approches humanitaires ou s&eacute;curitaires.</p> <p>Cet ouvrage court concis et pr&eacute;cis sugg&egrave;re que la &laquo;&nbsp;cause introuvable des migrants&nbsp;&raquo; (ibid.) est celle qu&#39;ils portent eux-m&ecirc;mes sur la fronti&egrave;re, devenue leur lieu de vie et de politique.</p> <p>Les mots &laquo;&nbsp;nous&nbsp;&raquo;&nbsp;et &laquo;&nbsp;migrants&nbsp;&raquo;&nbsp;; qui font r&eacute;f&eacute;rence &agrave; &laquo; Nous &raquo; (qui nous dirons &eacute;tablis, s&eacute;dentaires, autochtones, mais aucun de ces termes n&rsquo;est absolument exact) et &laquo; eux &raquo; (les migrants, les r&eacute;fugi&eacute;s, les nomades, les &eacute;trangers, mais l&agrave; non plus, aucun des termes n&rsquo;est absolument exact)&nbsp;&raquo; (p. 12); repr&eacute;sentent une invitation claire &agrave; une approche plus fine et nuanc&eacute;e de la question des migrants, bas&eacute;e sur une meilleure compr&eacute;hension de leurs situations et de leurs voix, c&rsquo;est une invitation &agrave; relire le mythe de Babel en tenant compte de la diversit&eacute; des exp&eacute;riences et des aspirations et en la consid&eacute;rant comme source d&rsquo;enrichissement mutuel.</p> <div>&nbsp; <hr size="1" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> Le site de L&#39;&Eacute;cole des hautes &eacute;tudes en sciences sociales EHESS. (3 octobre 2019). Michel Agier. EHESS. https://www.ehess.fr/fr/personne/michel-agier</p> </div> <div id="ftn2"> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> Michel Agier &eacute;tait l&rsquo;invit&eacute; de Pierre-Edouard Deldique sur RFI dans l&rsquo;&eacute;mission &laquo;&nbsp;Id&eacute;es&nbsp;&raquo;</p> <p>Deldique, P. (23 octobre 2016). Id&eacute;es - Michel Agier : &laquo; Les migrants et nous &raquo;. RFI. https://www.rfi.fr/fr/emission/20161023-agier-anthropologue-migrants-babel-cnrs-editions</p> </div> </div>