<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Force est de constater, au cours d&rsquo;exp&eacute;riences de terrain ou par une recherche dans la litt&eacute;rature, que l&rsquo;&eacute;cologie est tr&egrave;s peu pr&eacute;sente dans le champ social. Cette absence n&rsquo;est pas sp&eacute;cifique &agrave; nos m&eacute;tiers, on la retrouve dans la majorit&eacute; des espaces sociaux, comme l&rsquo;illustre le faible score du parti &eacute;cologiste lors des pr&eacute;sidentielles de 2022. &Eacute;tant donn&eacute; l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;urgence connu de tous, comment sortir de ce que l&rsquo;on peut appeler un &laquo; d&eacute;ni Climatique &raquo; (Catellani, 2021) ? Afin d&rsquo;apporter des &eacute;l&eacute;ments de compr&eacute;hension sur ce point, on approchera les notions d&rsquo;&eacute;cologisme et de travail social, puis on observera leurs croisements au cours d&rsquo;une trajectoire de vie&nbsp;; cette d&eacute;marche d&rsquo;enqu&ecirc;te autobiographique permettra de restituer le paradoxe de ces champs&nbsp;: si proches, ils ne se rencontrent pas. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Certains auteurs privil&eacute;gient la notion de justice environnementale &agrave; celle d&rsquo;in&eacute;galit&eacute; qu&rsquo;ils consid&egrave;rent comme un euph&eacute;misme. <span style="background:white">Le sociologue Razmig Keucheyan</span> souligne que la notion de justice environnementale corr&eacute;l&eacute;e &agrave; celle de racisme environnemental est n&eacute;e au sein d&rsquo;un mouvement de d&eacute;fense des droits civiques port&eacute; par les quartiers noirs am&eacute;ricains. Cette perspective d&rsquo;un mouvement qu&rsquo;il qualifie d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;co populiste&nbsp;&raquo; (2018) nous para&icirc;t int&eacute;ressante, en ce qu&rsquo;elle est la d&eacute;monstration d&rsquo;un mouvement &eacute;cologiste &eacute;mergeant par le bas, d&eacute;marche riche en perspective dans le cadre d&rsquo;un travail social pens&eacute; comme porteur d&rsquo;&eacute;mancipation.&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">L&rsquo;&eacute;cologisme est en majorit&eacute; un mouvement issu des classes moyenne et sup&eacute;rieure. Les travailleurs sociaux sont plut&ocirc;t originaires des classes moyenne et populaire&nbsp;; leurs publics, &laquo;&nbsp;les usagers&nbsp;&raquo; du social, sont quant &agrave; eux majoritairement issus des fractions &laquo;&nbsp;basses&nbsp;&raquo; des classes populaires. C&rsquo;est dans cette perspective de classe et de rapports de classes que nous allons tenter de d&eacute;coder les relations entre &eacute;cologie et travail social.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Pour comprendre comment ces champs se rencontrent, s&rsquo;opposent ou s&rsquo;ignorent, le contexte fran&ccedil;ais n&eacute;cessite de prendre en compte des sp&eacute;cificit&eacute;s nationales. Le mod&egrave;le social dessin&eacute; par le Conseil national de la R&eacute;sistance &eacute;tait porteur d&rsquo;un projet de soci&eacute;t&eacute; &eacute;galitaire et solidaire, il inspire l&rsquo;ordonnance de 1945 organisant la s&eacute;curit&eacute; sociale et plus particuli&egrave;rement le cadre l&eacute;gislatif du m&eacute;tier d&rsquo;&eacute;ducateur. C&rsquo;est ce que souligne Michel Chauvi&egrave;re dans un entretien pour les Cahiers dynamiques : &nbsp;Dans cette pratique &eacute;ducative d&eacute;di&eacute;e, n&eacute;e au moment de la guerre 39-45, il y a surtout quelque chose de fondamental &agrave; sauvegarder et &agrave; r&eacute;affirmer qui combine une &eacute;thique de la relation avec les enfants et les jeunes, une action technique affin&eacute;e et une action politique, dans la cit&eacute; &nbsp;(2020, p.33).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le travail social s&rsquo;ancre aussi dans une d&eacute;marche clinique influenc&eacute;e par la psychanalyse et la psychoth&eacute;rapie institutionnelle pour dessiner une pratique qui s&rsquo;organise autour du sujet&nbsp;:&nbsp;Le sujet, ce n&rsquo;est pas l&rsquo;humain des droits de l&rsquo;homme, trop lointain, trop g&eacute;n&eacute;ral. Le sujet c&rsquo;est chacun, chaque individu dans sa singularit&eacute;&nbsp;(2020, p.34). Et s&rsquo;appuie par ailleurs sur les approches d&rsquo;&eacute;ducation populaire. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Il est difficile de d&eacute;finir ces m&eacute;tiers du travail social, en tension entre &laquo;&nbsp;surveillance, correction&nbsp;&raquo; et d&eacute;fense des droits. (Puaud, 2017) On peut souligner, avec Pascale Guarrigue, que les m&eacute;tiers du social passent par &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;prouver&nbsp;&raquo; (2017). Avec cette notion d&rsquo;&eacute;prouver, on convoque le sujet, celui qui &eacute;prouve et qui conna&icirc;t par l&rsquo;exp&eacute;rience. On retrouve cette primaut&eacute; accord&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;prouv&eacute; dans la recherche en travail social qui, &agrave; rebours d&rsquo;une posture surplombante et objectivante, propose une recherche par l&#39;intervenion et non sur l&#39;intervention (Beillerot, 1989, p.115) </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;&eacute;cologie, le contexte fran&ccedil;ais convoque mai 68 comme date symbolique de l&rsquo;&eacute;mergence de la contre-culture et de la n&eacute;buleuse &eacute;cologiste (Vrignon, 2017). Ce mouvement est initiateur de l&rsquo;&eacute;cologie politique, mais aussi d&rsquo;un mode de vie alternatif fond&eacute; sur des valeurs et des pratiques sp&eacute;cifiques. L&rsquo;&eacute;cologisme est ainsi &eacute;tudi&eacute; par les sciences humaines&nbsp;; certains y voient un mouvement post-mat&eacute;rialiste (Ronald Inglehart, Alain Touraine) tandis que d&rsquo;autres (Bourdieu, Boudon) y voient une nouvelle forme d&rsquo;expression des rapports antagonistes de classe. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Les n&eacute;oruraux auxquels nous allons plus particuli&egrave;rement nous int&eacute;resser dans cet article participent &agrave; cette n&eacute;buleuse &eacute;cologiste, ils en constituent une entit&eacute; particuli&egrave;re et, dans une perspective de recherche en sciences humaines, un champ d&rsquo;&eacute;tudes sp&eacute;cifique. Il s&rsquo;agit de jeunes urbains adh&eacute;rant aux valeurs de la contre-culture post 68, ils choisissent de s&rsquo;installer en zone rurale. Certains s&rsquo;installent en communaut&eacute;, d&rsquo;autres de mani&egrave;re plus isol&eacute;e. Ils ont des destinations privil&eacute;gi&eacute;es (Ard&egrave;che, Ari&egrave;ge), mais peuvent aussi se retrouver dans d&rsquo;autres d&eacute;partements.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Dans une perspective &laquo;&nbsp;bourdieusienne&nbsp;&raquo;, le sociologue Hubert Billemont rattache ce groupe aux fractions intellectuelles de la classe moyenne (2006, p.24), il pr&eacute;cise que dans la vision &eacute;cologiste,&nbsp;la r&eacute;volte contre le &lsquo;&rsquo;syst&egrave;me&rsquo;&rsquo; ne conduit pas &agrave; chercher n&eacute;cessairement des alli&eacute;s politiques dans le prol&eacute;tariat et la classe ouvri&egrave;re&nbsp;(2006, p. 16) &ndash; rappelons que la th&egrave;se est &eacute;crite il y a 16 ans. Le positionnement politique de certains partis actuels tend vers un rapprochement entre vision &eacute;cologiste et alliance avec les classes populaires et les organisations qui les repr&eacute;sentent. Il d&eacute;finit le mouvement &eacute;cologiste comme un mouvement des &laquo; classes moyennes intellectuelles &raquo; (2006, p.12) et d&eacute;class&eacute;, situ&eacute; en position ambivalente dans la structure sociale&nbsp;(2006, p.15).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">L&rsquo;historienne Catherine Rouvi&egrave;re identifie &laquo; cinq vagues &raquo; de migration n&eacute;orurale (en Ard&egrave;che) de 1969 aux ann&eacute;es 2000. Nous nous int&eacute;ressons aux deux premiers groupes : le moment hippie de 69 &agrave; 73 et une deuxi&egrave;me &eacute;tape de 75 &agrave; 85, incarn&eacute;e par une volont&eacute; de stabilit&eacute; &eacute;conomique et d&rsquo;int&eacute;gration plus forte.&nbsp;(2015, p.35).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">En nous appuyant sur l&rsquo;&eacute;tude d&rsquo;Hubert Billemont, nous avons &eacute;mis l&rsquo;hypoth&egrave;se que les travailleurs sociaux &eacute;taient peu concern&eacute;s par les questions &eacute;cologiques en raison d&rsquo;une appartenance de classe diff&eacute;rente. Or les travailleurs sociaux sont consid&eacute;r&eacute;s comme appartenant aux classes moyennes.&nbsp; Hubert Billemont identifie l&rsquo;&eacute;cologie politique comme une id&eacute;ologie de classe moyenne. Dans ce cas, pourquoi les travailleurs sociaux s&rsquo;int&eacute;ressent -ils peu aux questions &eacute;cologiques&nbsp;?&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Pour r&eacute;pondre &agrave; cette question, nous allons tenter de situer plus pr&eacute;cis&eacute;ment les travailleurs sociaux au sein des classes sociales. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Appuyons-nous sur une &eacute;tude de la Drees qui identifie 1,3 million de travailleurs sociaux en 2018&nbsp;: 520 000 intervenants &agrave; domicile, 400 000 assistants maternels, gardes &agrave; domicile ou assistants familiaux, 250 000 professionnels socio-&eacute;ducatifs, 60 000 aides m&eacute;dico-psychologiques ainsi que 90 000 autres professions de l&rsquo;action sociale exercent en France M&eacute;tropolitaine&nbsp;&nbsp;(Drees, 2022). Parmi ceux-ci&nbsp;: 42 % des travailleurs sociaux &acirc;g&eacute;s de 50 ans ou plus &raquo;, un milieu &laquo; tr&egrave;s f&eacute;minis&eacute; &raquo;, avec &laquo; 9 femmes pour 10 professionnels &raquo; (Drees, 2022). &laquo; Les travailleurs sociaux sont moins souvent dipl&ocirc;m&eacute;s de l&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur que les autres salari&eacute;s. 23 % des professionnels du social d&eacute;tiennent, en 2018, comme plus haut dipl&ocirc;me, un brevet des coll&egrave;ges ou sont non-dipl&ocirc;m&eacute;s, contre 15 % des autres salari&eacute;s. Leur dipl&ocirc;me le plus &eacute;lev&eacute; est dans 32 % des cas un CAP, BEP ou un autre dipl&ocirc;me de ce niveau, et dans 12 % des cas un dipl&ocirc;me param&eacute;dical et social de niveau bac +2. &nbsp;Ajoutons que&nbsp;: Ce sont des salari&eacute;s plus souvent en temps partiel et en sous-emploi que les autres salari&eacute;s&nbsp;(Drees, 2022).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">On voit, au travers de ce compte-rendu chiffr&eacute;, des profils vari&eacute;s en termes de revenu et de dipl&ocirc;me. Cela se traduit aussi par des origines sociales diversifi&eacute;es. Une partie des travailleurs sociaux sont issus des classes populaires &ndash; que l&rsquo;on d&eacute;finit avec Olivier Schwartz &agrave; partir d&rsquo;une double perspective de domination, sociale et culturelle, vis-&agrave;-vis des classes dominantes (2011). Une partie d&rsquo;entre eux appartiennent toujours aux classes populaires, de par leur niveau de vie, de salaire, de dipl&ocirc;me, tandis que l&rsquo;autre se situe au sein de la classe moyenne. &Agrave; l&rsquo;autre extr&eacute;mit&eacute; de ce groupe professionnel, on trouve les cadres du secteur social qui font partie des classes moyennes, moyenne sup&eacute;rieure. Ceci suivant leur niveau d&rsquo;intervention (proximit&eacute;, direction d&rsquo;&eacute;tablissement, direction g&eacute;n&eacute;rale, etc.), leur revenu et leur trajectoire sociale, le spectre est donc large. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Ayant situ&eacute; ce groupe des travailleurs sociaux, tentons de d&eacute;finir sa fonction et son r&ocirc;le dans l&rsquo;espace social. Un article de Iori et Charles retrace l&rsquo;&eacute;volution des recherches sur le travail social. L&rsquo;ouvrage de Verd&egrave;s-Leroux, <i>Le travail social</i>, publi&eacute; en 1978 y est cit&eacute; comme pionnier dans ce domaine. Il pr&eacute;sente &laquo;&nbsp;les assistantes sociales en tant qu&rsquo;agent.es de contr&ocirc;le social et d&rsquo;encadrement des classes populaires&nbsp;&raquo; (Iori &amp; Charles,2020, p. 2). Ainsi, on voit bien qu&rsquo;&agrave; cette &eacute;poque, la d&eacute;marcation de classe entre les travailleurs sociaux et leurs publics est nette. Aujourd&rsquo;hui, on ne trouve plus une d&eacute;marcation si nette, comme le montrent les travaux de Charl&egrave;ne Charles sur la pr&eacute;carit&eacute; des int&eacute;rimaires (Charles, 2020).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Jo&euml;lle Libois observe, elle aussi, un mouvement de d&eacute;classement social du travail social :&nbsp;La charit&eacute; donn&eacute;e par les dames patronnesses repr&eacute;sentait une norme sociale &eacute;tablie, la lente professionnalisation des formations sociales, d&egrave;s la fin de la Premi&egrave;re Guerre mondiale, a permis de former des femmes et des hommes des classes moyennes. [&hellip;] Aujourd&rsquo;hui, si nous prenons au s&eacute;rieux l&rsquo;accession d&rsquo;une mont&eacute;e en puissance de la pr&eacute;carisation du statut de travailleur social, alors nous passerions d&rsquo;un premier mod&egrave;le vertical et asym&eacute;trique &agrave; un deuxi&egrave;me plus horizontal, mais toujours in&eacute;gal, pour parvenir &agrave; une troisi&egrave;me r&eacute;f&eacute;rence en proximit&eacute; des v&eacute;cus&nbsp;(2018, p.7). Une travailleuse sociale belge exprime bien ce sentiment de d&eacute;classement social de la profession&nbsp;:&nbsp;lorsque l&#39;on y pense, l&rsquo;ironie est presque savoureuse : des pr&eacute;caires sont au service d&rsquo;autres pr&eacute;caires. Demain ils pourraient tout &agrave; fait venir grossir leurs rangs. &nbsp;(MF,2021)&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Jo&euml;lle Libois fait aussi l&rsquo;hypoth&egrave;se que&nbsp;cette probl&eacute;matique illustre un changement de paradigme historique, port&eacute; par une transformation radicale des appartenances sociales des professionnels de l&rsquo;intervention sociale&nbsp;(2018, p.8.). Cette pr&eacute;carisation des m&eacute;tiers du social rapproche les professionnels et les usagers dans un sentiment de pr&eacute;carit&eacute; partag&eacute;e&nbsp;; en ce sens, les travailleurs sociaux sont &eacute;loign&eacute;s des classes moyennes intellectuelles dominantes au sein de la n&eacute;buleuse &eacute;cologiste. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Comment rendre compte de ces relations&nbsp;? La notion d&rsquo;&eacute;prouv&eacute; offre une premi&egrave;re piste pour une recherche en travail social, notamment &agrave; travers le r&ocirc;le d&eacute;volu au sujet. D&rsquo;autres approches utilisent aussi l&rsquo;exp&eacute;rience, avec une vis&eacute;e de connaissance et de transformation du monde social. Quelques m&eacute;thodes utilisent le &laquo;&nbsp;parler de soi&nbsp;&raquo; pour comprendre les ph&eacute;nom&egrave;nes sociaux. Comme le dit Jean-Louis Legrand&nbsp;: Dans le fait de conna&icirc;tre une culture de &lsquo;&rsquo;l&rsquo;Int&eacute;rieur&#39;&rsquo;, il y a l&agrave; une ressource tout &agrave; fait exceptionnelle pour une entreprise cognitive&nbsp;(Le Grand, 1988, p. 166).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">De nombreuses d&eacute;marches prennent en compte la subjectivit&eacute; et l&rsquo;exp&eacute;rience du chercheur. On peut notamment citer : le regard situant de G. S&eacute;raphin, les travaux d&rsquo;Edgar Morin sur la complexit&eacute;, l&rsquo;analyse institutionnelle, la sociologie ph&eacute;nom&eacute;nologique de la connaissance (Sch&uuml;tz), l&rsquo;ethnom&eacute;thodologie (Garfinkel), la d&eacute;marche de praticien-chercheur (Kohn), l&rsquo;ego-histoire (Nora), l&rsquo;histoire de vie (Le Grand) et, plus r&eacute;cemment, l&rsquo;auto-ethnographie (Reed-Danahay, Dub&eacute;). Dans ces courants de recherche, on utilisent courament le&nbsp;&laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; pour signifier la prise en compte de&nbsp;la subjectivit&eacute; du chercheur&nbsp;; c&rsquo;est ce que je ferai dans la deuxi&egrave;me partie de cet article. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Il y a toujours dans les milieux universitaires une r&eacute;serve vis-&agrave;-vis du r&eacute;cit de soi. La d&eacute;marche a encore ses d&eacute;tracteurs, dans la lign&eacute;e de <i>L&rsquo;Illusion biographique</i>&nbsp;de Bourdieu. Cela contribue sans doute au fait que les enqu&ecirc;tes autobiographiques sont plus souvent r&eacute;alis&eacute;es par des chercheurs confirm&eacute;s, &agrave; l&rsquo;instar de Didier Eribon, Rose Marie-Lagrave ou Bourdieu lui-m&ecirc;me &mdash; mais n&rsquo;avait-il pas introduit son <i>Auto-analyse</i> par la formule&nbsp;&laquo;&nbsp;ceci n&rsquo;est pas une autobiographie&nbsp;&raquo;&nbsp;?). &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Aussi, bien que ma trajectoire sociale, ici envisag&eacute;e comme outil de l&rsquo;exploration, ne soit pas l&rsquo;objet de cet article, il me semble n&eacute;anmoins important de porter &agrave; la connaissance du lecteur quelques &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;auto-analyse.&nbsp;De plus, il y a eu &agrave; ma connaissance peu de recherches sur le mouvement &eacute;cologiste n&eacute;orural r&eacute;alis&eacute;es par des chercheurs de ce groupe social. Un point de vue &laquo;&nbsp;situ&eacute;&nbsp;&raquo; apporte donc un &eacute;clairage particulier sur ce mouvement.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mon analyse s&rsquo;appuie sur un v&eacute;cu &laquo;&nbsp;de l&rsquo;int&eacute;rieur&nbsp;&raquo; &agrave; plusieurs niveaux&nbsp;: en tant qu&rsquo;enfant de n&eacute;o-ruraux ayant grandi au sein de ce cosmos particulier, avec ses valeurs et ses id&eacute;ologies&nbsp;; en tant qu&rsquo;&eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute;&nbsp;; en tant que chercheur familiaris&eacute; avec des m&eacute;thodes de recherche qui permettent une certaine r&eacute;flexivit&eacute; sur ce v&eacute;cu.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">La d&eacute;marche qui me semble la plus pertinente pour aborder ici un r&eacute;cit de vie est celle de l&rsquo;auto-ma&iuml;eutique implicationnelle. Ce concept a &eacute;t&eacute; forg&eacute; par Jean-Louis Legrand, dans le cadre de sa th&egrave;se&nbsp;: <i><span style="background:white">Etude d&#39;une exp&eacute;rience communautaire &agrave; orientation th&eacute;rapeutique : histoire de vie de groupe, </span></i>ouvrage pionnier dans le champ de l&rsquo;histoire de vie en 1988. Il d&eacute;finit cette approche comme&nbsp;une :&nbsp;D&eacute;marche d&#39;accouchement de soi et l&#39;&eacute;criture correspondante, explorant diverses implications personnelles dans une vis&eacute;e d&#39;&eacute;lucidation heuristique.&nbsp;(Le Grand, p.132) La vis&eacute;e heuristique exprime l&rsquo;intention de contribuer &agrave; la connaissance. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Cette d&eacute;marche d&rsquo;auto-ma&iuml;eutique implicationnelle est indissociable du concept d&rsquo;implexit&eacute;. Ce n&eacute;ologisme, forg&eacute; pour &nbsp;qualifier la complexit&eacute; des implications &nbsp;(Le Grand, 2006, p. 2), d&eacute;finit cette dimension complexe des implications, complexit&eacute; largement opaque &agrave; une explication. L&#39;implexit&eacute; est relative &agrave; l&#39;entrelacement de diff&eacute;rents niveaux de r&eacute;alit&eacute;s des implications qui sont pour la plupart implicites (pli&eacute;es &agrave; l&#39;int&eacute;rieur) &nbsp;(Le Grand, 2006, p.2).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Il ne s&rsquo;agit pas d&rsquo;&ecirc;tre exhaustif quant &agrave; ce qui est impliqu&eacute; : dans une telle d&eacute;marche, c&rsquo;est la personne enti&egrave;re qui est engag&eacute;e, il s&rsquo;agit de donner &agrave; voir ce qui semble pertinent pour le lecteur tout en respectant aussi l&rsquo;intimit&eacute; du chercheur. Il n&rsquo;y a pas de r&egrave;gles quant &agrave; ce qui doit &ecirc;tre montr&eacute; ou non&nbsp;; sans cela, nous nous dirigerions vers une injonction &agrave; l&rsquo;expression des implications.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Cette d&eacute;marche m&rsquo;a permis de faire quelques &laquo;&nbsp;d&eacute;couvertes&nbsp;&raquo;. La trajectoire &laquo;&nbsp;h&eacute;ro&iuml;que&nbsp;&raquo; du saisonnier agricole devenu charpentier puis &eacute;ducateur et enfin doctorant en sciences de l&rsquo;&eacute;ducation prend un autre sens lorsque l&rsquo;on prend en compte les logiques de classe et la notion de capital culturel. Bien qu&rsquo;ayant adopt&eacute; un mode vie non conforme aux habitus bourgeois de leurs familles, mes parents m&rsquo;ont transmis un certain nombre de capitaux qui ont permis une trajectoire de reclassement malgr&eacute; un d&eacute;but de vie professionnelle en bas de la hi&eacute;rarchie des dipl&ocirc;mes et salaires. Si l&rsquo;on ajoute &agrave; cela les crit&egrave;res de race et de genre, on comprendra que le &laquo;&nbsp;m&eacute;rite&nbsp;&raquo; de ce parcours de reclassement acc&eacute;l&eacute;r&eacute; est relatif. Ce qui n&#39;enl&egrave;ve rien aux difficult&eacute;s rencontr&eacute;es au cours du chemin.&nbsp; &nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;identifie la r&eacute;flexion sur le travail social et le changement climatique comme des &eacute;l&eacute;ments structurants de mon parcours. Je suis n&eacute; dans une famille de n&eacute;oruraux. Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, je peux situer mes parents au sein de la 4<sup>e</sup> vague n&eacute;orurale identifi&eacute;e par Catherine Rouvi&egrave;re&nbsp;: De 1975 &agrave; 1985 se dessine une deuxi&egrave;me &eacute;tape caract&eacute;ris&eacute;e par la primaut&eacute; accord&eacute;e &agrave; l&rsquo;installation p&eacute;renne, dans un cadre agr&eacute;able, gr&acirc;ce &agrave; une activit&eacute; choisie permettant de vivre d&eacute;cemment, y compris en s&rsquo;int&eacute;grant dans la soci&eacute;t&eacute; locale.&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mon p&egrave;re n&eacute; en 1954, ma m&egrave;re en 1955, font partie de la g&eacute;n&eacute;ration des baby-boomers. Ils sont tous les deux originaires de milieux bourgeois et, du c&ocirc;t&eacute; de mon grand-p&egrave;re maternel, d&rsquo;une aristocratie d&eacute;class&eacute;e. Ils avaient 14-15 ans en mai 68, mouvement qu&rsquo;ils ont suivi avec admiration, mais de loin, car trop jeunes pour y participer. Mon p&egrave;re a grandi &agrave; Neuilly sur Seine puis dans le 17<sup>e</sup> arrondissement de Paris&nbsp;; il a fait des &eacute;tudes d&rsquo;ing&eacute;nieur &agrave; l&#39;&Eacute;cole nationale des Ponts et chauss&eacute;es puis int&eacute;gr&eacute; une &eacute;cole d&rsquo;architecte &agrave; Paris. Ma m&egrave;re a grandi &agrave; Caen&nbsp;; elle a suivi un cursus &agrave; l&rsquo;&Eacute;cole nationale sup&eacute;rieure des Beaux-Arts de Paris et une formation d&rsquo;&eacute;b&eacute;niste &agrave; l&rsquo;&Eacute;cole Boulle puis &agrave; l&rsquo;AFPA. Elle a ensuite exerc&eacute; quelques ann&eacute;es &agrave; son compte puis a cess&eacute; son activit&eacute;, notamment pour travailler au sein de l&rsquo;espace domestique (jardin, travaux de r&eacute;novation, &eacute;ducation des enfants). Mon p&egrave;re a longtemps travaill&eacute; comme architecte-conseil dans un Caue (conseil d&#39;architecture, d&#39;urbanisme et de l&#39;environnement) puis il s&rsquo;est mis &agrave; son compte vers les ann&eacute;es 2000 tout en gardant une activit&eacute; partielle au Caue jusqu&rsquo;&agrave; la retraite. Aujourd&rsquo;hui, il continue d&rsquo;exercer en tant qu&rsquo;architecte lib&eacute;ral dans le domaine de l&rsquo;&eacute;coconstruction dont il est un des pr&eacute;curseurs.&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mes parents se sont rencontr&eacute;s &agrave; Paris, durant leurs &eacute;tudes &agrave; la fin des ann&eacute;es 70. On comprend qu&rsquo;&agrave; cette &eacute;poque, &eacute;tudiant &agrave; Paris dans le champ des beaux-arts, ils aient &eacute;t&eacute; marqu&eacute;s par les suites des &eacute;v&eacute;nements de mai 68 et par le mouvement de la contre-culture. Ils ont v&eacute;cu &agrave; Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, quelques ann&eacute;es avant de s&rsquo;installer dans l&rsquo;Orne dans une petite commune rurale de 75 habitants, au d&eacute;but des ann&eacute;es 80. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mes parents sont donc originaires des classes sociales dominantes, milieu d&rsquo;origine qu&rsquo;ils ont rejet&eacute; en s&rsquo;inscrivant dans le mouvement de la contre-culture des ann&eacute;es 70, en s&rsquo;installant dans une zone rurale, et en adoptant le mode de vie et les valeurs de la mouvance &eacute;cologiste. J&rsquo;ai tardivement pris conscience de cette trajectoire sociale et de cette culture sp&eacute;cifique de n&eacute;o-ruraux, nettement s&eacute;par&eacute;e de la culture &laquo;&nbsp;autochtone&nbsp;&raquo;. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Parmi mes oncles et tantes, certains &ndash; du c&ocirc;t&eacute; de ma m&egrave;re &ndash; avaient eux aussi rejoint le mouvement &eacute;cologiste et s&rsquo;inscrivaient dans un positionnement de d&eacute;classement social avec l&rsquo;exercice d&rsquo;une profession interm&eacute;diaire (en lyc&eacute;e technique, en travail social). Un de mes oncles s&rsquo;&eacute;tait install&eacute; comme mara&icirc;cher biologique apr&egrave;s avoir &eacute;t&eacute; berger en Ard&egrave;che. Les membres de la famille adh&eacute;rant aux valeurs de la contre-culture l&rsquo;admiraient. D&rsquo;autres n&rsquo;ont pas op&eacute;r&eacute; cette rupture, un oncle maternel &eacute;tait catholique pratiquant et cadre chez Moulinex et, lors des r&eacute;unions familiales, la rencontre avec &nbsp;cette partie de la famille &eacute;tait un v&eacute;ritable choc de cultures. Du c&ocirc;t&eacute; de mon p&egrave;re, une de mes tantes a &eacute;t&eacute; m&eacute;decin puis PDG d&rsquo;importantes soci&eacute;t&eacute;s pharmaceutiques&nbsp;; sa s&oelig;ur a&icirc;n&eacute;e a &eacute;t&eacute; professeure d&rsquo;anglais dans le priv&eacute;, et a choisi de vivre en zone rurale sans adh&eacute;rer &agrave; cette contre-culture. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Bien qu&rsquo;habitant dans des communes assez &eacute;loign&eacute;es, les trois familles situ&eacute;es le plus radicalement dans la mouvance &eacute;cologiste se voyaient tr&egrave;s r&eacute;guli&egrave;rement. C&rsquo;est surtout au sein de cet espace familial que je c&ocirc;toyais d&rsquo;autres enfants d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;colos&nbsp;&raquo;, car le territoire o&ugrave; mes parents s&rsquo;&eacute;taient install&eacute;s n&rsquo;&eacute;tait pas du tout investi par les n&eacute;o-ruraux (contrairement &agrave; la commune o&ugrave; vivait mon oncle mara&icirc;cher &agrave; quelques dizaines de kilom&egrave;tres). Je me souviens avoir &eacute;t&eacute; particuli&egrave;rement pr&eacute;occup&eacute; par la question du nucl&eacute;aire&nbsp;: un de mes oncles &eacute;tait militant fondateur d&rsquo;une association de contr&ocirc;le de la radioactivit&eacute;. Je me souviens d&rsquo;une exposition itin&eacute;rante, sans doute au cours d&rsquo;un rassemblement anti-nucl&eacute;aire, l&rsquo;exposition montrait des enfants n&eacute;s d&eacute;form&eacute;s &agrave; cause des radiations &agrave; Tchernobyl.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai donc grandi dans cette commune de l&rsquo;Orne o&ugrave; mes parents ont d&rsquo;abord lou&eacute; puis finalement achet&eacute; un ancien presbyt&egrave;re avec un demi-hectare de terrain. La maison de briques &eacute;tait en tr&egrave;s mauvais &eacute;tat, sans toilettes ni confort, constamment en travaux puisqu&rsquo;ils l&rsquo;ont r&eacute;nov&eacute;e progressivement. Je suis n&eacute; en 1986, et ma s&oelig;ur en 1990. Nous mangions bio (ce qui &eacute;tait alors tr&egrave;s marginal), mes parents m&rsquo;habillaient avec des v&ecirc;tements achet&eacute;s dans les d&eacute;p&ocirc;ts-ventes. Nous avions une toute petite t&eacute;l&eacute;vision qui avait du mal &agrave; capter les cha&icirc;nes. Lorsque j&rsquo;ai eu une console de jeux, elle &eacute;tait d&eacute;j&agrave; d&eacute;mod&eacute;e. Il y avait aussi de quoi s&rsquo;occuper &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur avec le terrain, les moutons, un grand potager et un atelier de menuiserie. Il me semble que j&rsquo;&eacute;tais assez peu sollicit&eacute; pour ces travaux, comme d&rsquo;ailleurs pour les t&acirc;ches m&eacute;nag&egrave;res et domestiques, essentiellement r&eacute;alis&eacute;es par ma m&egrave;re. Je me souviens pourtant que ma m&egrave;re &eacute;tait fi&egrave;re des v&ecirc;tements d&rsquo;occasion qu&rsquo;elle nous achetait &agrave; ma s&oelig;ur et &agrave; moi. Certains &eacute;taient de &laquo;&nbsp;marques&nbsp;&raquo;. Elle me disait&nbsp;: ce sont de bonnes marques, mais tes copains ne les connaissent pas. On a l&agrave; une situation o&ugrave; toute l&rsquo;ambivalence de leur positionnement s&rsquo;exprime, entre rejet de la soci&eacute;t&eacute; de consommation et snobisme&nbsp;: les v&ecirc;tements que ma m&egrave;re m&rsquo;achetait &eacute;taient d&rsquo;occasion et sans marque apparente, ce qui pouvait me faire appara&icirc;tre aux yeux de mes camarades d&rsquo;&eacute;cole comme un pauvre, alors qu&rsquo;il y avait une fiert&eacute; secr&egrave;te chez ma m&egrave;re de nous voire porter &laquo;&nbsp;de grandes marques&nbsp;&raquo;. Mes parents avaient aussi des voitures en mauvais &eacute;tat et pas entretenues. Je me souviens de la crise de &laquo;&nbsp;la vache folle&nbsp;&raquo;&nbsp;: j&rsquo;avais interdiction de manger des bonbons &agrave; la g&eacute;latine. Le MacDo &eacute;tait un endroit maudit&nbsp;; j&rsquo;ai d&ucirc; y aller deux ou trois fois dans mon enfance&nbsp;; d&rsquo;ailleurs je n&rsquo;aimais pas le go&ucirc;t de cette nourriture qui me paraissait fade. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Nous avions un grand jardin o&ugrave; ma m&egrave;re travaillait beaucoup. Nous allions aussi cueillir les m&ucirc;res pour faire de la confiture. Nous ramassions les pommes, les noix, les cerises et nous avons eu &agrave; une &eacute;poque deux moutons achet&eacute;s &agrave; mon oncle mara&icirc;cher bio et &eacute;leveur. Si mes souvenirs sont bons, nous ne les avons pas mang&eacute;s, car ils &eacute;taient quasiment des animaux domestiques &ndash; je crois que nous les avons &eacute;chang&eacute;s contre des b&ecirc;tes d&eacute;j&agrave; abattues, pr&ecirc;tes &agrave; &ecirc;tre cuisin&eacute;es. Il y avait aussi tout l&rsquo;entretien des espaces verts, des haies. J&rsquo;appr&eacute;ciais particuli&egrave;rement la taille des haies. Mes parents me laissaient librement utiliser les outils&nbsp;: serpe, tron&ccedil;onneuse, d&eacute;broussailleuse, etc. &nbsp;J&rsquo;allais chercher le lait &agrave; la ferme d&rsquo;&agrave; c&ocirc;t&eacute;, directement &agrave; la salle de traite. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mes parents n&rsquo;ont jamais milit&eacute; au sein des partis &eacute;cologiques, mais ils les soutenaient et suivaient les candidats avec attention : je me souviens de la candidature de Dominique Voynet en 1995, qu&rsquo;ils suivaient avec enthousiasme. Il y a quelques ann&eacute;es, ma m&egrave;re m&rsquo;avait racont&eacute;, tr&egrave;s &eacute;mue, avoir &eacute;t&eacute; assise &agrave; proximit&eacute; de Jos&eacute; Bov&eacute; dans un rassemblement. En 2002, la candidature de Pierre Rabhi nous a passionn&eacute;s ; j&rsquo;ai d&ucirc; le voir trois ou quatre fois en conf&eacute;rence au cours de mon adolescence, avec et sans mes parents.&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le cadre du Pays d&rsquo;Auge &eacute;tait r&eacute;ellement idyllique, avec ses collines, ses pr&eacute;s, ses pommiers et ses herbages pour chevaux et vaches. Le village accueillait environ 75 habitants, parmi lesquels nous n&rsquo;&eacute;tions que quatre enfants. Nous avions tr&egrave;s peu de relations avec l&rsquo;autre fratrie, bien que prenant le m&ecirc;me car pour aller &agrave; l&rsquo;&eacute;cole. Les seuls souvenirs que j&rsquo;ai d&rsquo;eux, c&rsquo;est leur maison au sein d&rsquo;une ferme avec un bazar pas possible et puis je crois que le gar&ccedil;on avait d&ucirc; me voler mon v&eacute;lo. Nous habitions le m&ecirc;me village, mais avec des r&eacute;alit&eacute;s sociales trop diff&eacute;rentes pour pouvoir entrer en lien.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le village le plus proche pour faire les courses &eacute;tait &agrave; 5 kilom&egrave;tres, mais nous allions plut&ocirc;t &agrave; Gac&eacute;, 2000 habitants, &agrave; 7 km. La &laquo;&nbsp;grande ville&nbsp;&raquo;, Argentan, 15000 habitants &eacute;tait &agrave; 15 km. J&rsquo;ai entam&eacute; ma scolarit&eacute; &agrave; Gac&eacute;&nbsp;;&nbsp; en troisi&egrave;me, je suis parti &agrave; Argentan.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le contexte socio-&eacute;conomique de Gac&eacute;&nbsp;: En 2008 par exemple, le salaire moyen &agrave; Gac&eacute; est de 1532&euro; par mois pour une moyenne nationale de 2016&euro; par mois. Le nombre d&rsquo;habitants sans dipl&ocirc;me est de 45,9% pour une moyenne nationale de 19,3%, le pourcentage d&rsquo;ouvriers est de 40% pour une moyenne nationale de 27%. L&rsquo;Insee identifie la ville comme ayant un degr&eacute; de pauvret&eacute; mon&eacute;taire tr&egrave;s &eacute;lev&eacute; avec une part de personnes ni en emploi ni en formation tr&egrave;s importante chez les 18-25 ans (Insee, 2022).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">De mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, je n&rsquo;&eacute;tais pas tr&egrave;s &agrave; l&rsquo;aise avec les jeunes de mon &acirc;ge, je suis all&eacute; au club de foot, au judo, mais le d&eacute;calage culturel et social &eacute;tait trop important&nbsp;; le m&eacute;pris vis-&agrave;-vis du football n&rsquo;&eacute;tant pas assum&eacute; par mes parents. Mes rares amis venaient d&rsquo;ailleurs ou &eacute;taient eux aussi marginaux pour une raison ou une autre : un jeune Anglais, deux jeunes d&rsquo;origine immigr&eacute;e plac&eacute;s en famille d&rsquo;accueil, certains jeunes vivant dans des familles plus ou moins &laquo; dysfonctionnelles &raquo;&nbsp;; le d&eacute;nominateur commun entre nous tous &eacute;tait de se retrouver en situation d&rsquo;anomie sociale, de manque de rep&egrave;re dans la structure sociale des relations humaines. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai donc eu une enfance assez isol&eacute;e, en tout cas d&eacute;cal&eacute;e, lorsque j&rsquo;&eacute;tais hors des cercles familiaux. La Normandie et particuli&egrave;rement l&rsquo;Orne, &eacute;tant rest&eacute;es tr&egrave;s rurales, n&rsquo;ont pas connu d&rsquo;importante vague de &laquo;&nbsp;migration&nbsp;&raquo; n&eacute;orurale. Nous &eacute;tions donc, avec ma s&oelig;ur, les seuls de notre esp&egrave;ce dans les cercles de socialisation enfantine &ndash;&nbsp;que ce soit &agrave; l&rsquo;&eacute;cole ou dans les loisirs. J&rsquo;&eacute;tais d&eacute;connect&eacute; de mon environnement comme en atteste cette anecdote&nbsp;: jeune adulte, j&rsquo;avais invit&eacute; un ami parisien &agrave; venir passer quelques jours chez mes parents&nbsp;; lors d&rsquo;une balade, celui-ci me demanda comment j&rsquo;occupais tes journ&eacute;es et si, enfant, je chassais. Cela m&rsquo;a beaucoup fait rire, pour lui, pur Parisien, j&rsquo;&eacute;tais un &laquo;&nbsp;rural&nbsp;&raquo;, attach&eacute; au monde paysan et &agrave; celui de la chasse. Or j&rsquo;en avais &eacute;t&eacute; pratiquement aussi &eacute;loign&eacute; que lui. Pour mes parents, les chasseurs &eacute;taient des rustres, des &laquo;&nbsp;fachos&nbsp;&raquo;. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Nous avons d&eacute;m&eacute;nag&eacute; lorsque je suis pass&eacute; en 2<sup>de</sup>. Nous ne sommes pas all&eacute;s loin, dans un autre village situ&eacute; &agrave; une trentaine de kilom&egrave;tres, mais dans le Calvados, &agrave; c&ocirc;t&eacute; de la ville de Falaise (10&nbsp;000 h). Plus proche de Caen, Falaise proposait une plus grande mixit&eacute; sociale et une culture plus urbaine que Gac&eacute; ou m&ecirc;me Argentan. L&rsquo;ambiance du lyc&eacute;e &eacute;tait diff&eacute;rente et il s&rsquo;est agi pour moi d&rsquo;un changement de vie important. J&rsquo;ai rencontr&eacute; un certain nombre d&rsquo;enfants de n&eacute;o-ruraux, de parents &eacute;colos ou partageant des valeurs contre-culturelles et je me suis &laquo;&nbsp;naturellement&nbsp;&raquo; rapproch&eacute; de ces jeunes avec qui je partageais des codes et des valeurs. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">A posteriori, j&rsquo;analyse ce refus comme une &laquo;&nbsp;ob&eacute;issance&nbsp;&raquo; aux valeurs transmises par mes parents&nbsp;: valorisation des marges, rejets du syst&egrave;me scolaire et du syst&egrave;me en g&eacute;n&eacute;ral. En entrant dans l&rsquo;adolescence, j&rsquo;&eacute;tais &agrave; contre-courant des jeunes de ma g&eacute;n&eacute;ration, fid&egrave;le aux id&eacute;es de mes parents, j&rsquo;abhorrais la &laquo;&nbsp;musique industrielle&nbsp;&raquo; et les radios commerciales. En refusant de faire des &eacute;tudes, j&rsquo;&eacute;tais fid&egrave;le aux valeurs li&eacute;es &agrave; la contre-culture, valorisant tout ce qui est antisyst&egrave;me, j&rsquo;allais vers les marges pour ob&eacute;ir &agrave; mon p&egrave;re. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Apr&egrave;s le bac, &agrave; 17 ans, je n&rsquo;ai pas souhait&eacute; faire d&rsquo;&eacute;tudes sup&eacute;rieures. Pendant deux ans, j&rsquo;ai &laquo;&nbsp;fait les saisons&nbsp;&raquo;, un choix qui peut s&rsquo;expliquer au regard des valeurs parentales et surtout paternelles valorisant le voyage et l&rsquo;aventure. Mon p&egrave;re m&rsquo;avait transmis l&rsquo;imaginaire des po&egrave;tes-vagabonds et &nbsp;des &eacute;crivains aventuriers tels Jack London, Nicolas Bouvier ou Jack Kerouac. Mais la r&eacute;alit&eacute; de la vie de saisonnier &eacute;tait tout autre. J&rsquo;ai rencontr&eacute; beaucoup de personnes en situation de grande pr&eacute;carit&eacute;, des travailleurs sans papier, des &laquo;&nbsp;punks &agrave; chien&nbsp;&raquo;, des gens du voyage&hellip; Un univers violent, difficile, o&ugrave; les addictions sont tr&egrave;s pr&eacute;sentes. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Sentant que je pouvais m&rsquo;y perdre &ndash;&nbsp;et aussi parce que j&rsquo;&eacute;tais en couple &ndash; j&rsquo;ai d&eacute;cid&eacute; en 2006 de faire une formation de charpentier avec la f&eacute;d&eacute;ration compagnonnique des m&eacute;tiers du b&acirc;timent. La conversion a &eacute;t&eacute; abrupte et je ne sais pas comment j&rsquo;en suis venu &agrave; choisir ce m&eacute;tier. On peut &nbsp;cependant comprendre ce choix comme r&eacute;ponse &agrave; une double injonction&nbsp;: un m&eacute;tier a valeur symbolique qui me permettait de r&eacute;pondre aux valeurs bourgeoises transmises par mes parents, malgr&eacute; leur rejet de cette classe&nbsp;; il s&rsquo;agissait d&rsquo;aller vers ce qui &eacute;tait prestigieux, reconnu, noble. Mais bien que prestigieux, le m&eacute;tier de charpentier reste un travail d&rsquo;artisan et d&rsquo;ouvrier&nbsp;; en ce sens, cela me permettait de correspondre aux valeurs antisyst&egrave;mes et anti-bourgeoises port&eacute;es par mes parents. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai exerc&eacute; six ans le m&eacute;tier de charpentier. Je n&rsquo;&eacute;tais pas &agrave; l&rsquo;aise dans les entreprises traditionnelles, avec les ouvriers porteurs d&rsquo;un &eacute;thos et de valeurs virilistes auxquels j&rsquo;avais du mal &agrave; m&rsquo;adapter. Au fil des ans, j&rsquo;ai d&eacute;cid&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre plus actif dans ma trajectoire personnelle&nbsp;et j&rsquo;ai rencontr&eacute; une nouvelle compagne, issue elle aussi de milieux n&eacute;o ruraaux (homogamie de classe). </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Je me suis dirig&eacute; vers l&rsquo;&eacute;co-construction. Je m&rsquo;y suis senti plus &agrave; l&rsquo;aise, car ce secteur &eacute;tait pour une bonne part connect&eacute;e au mouvement de retour &agrave; la terre et &agrave; son habitus particulier. Malgr&eacute; cela, je n&rsquo;ai jamais r&eacute;ellement eu le go&ucirc;t du b&acirc;timent&nbsp;; je n&rsquo;&eacute;tais sans doute pas conscient d&rsquo;&ecirc;tre dans les pas de mon p&egrave;re, pionnier du secteur et de ma m&egrave;re &quot;n&eacute;o-artisan&quot;. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">En 2012, apr&egrave;s un chantier en &eacute;coconstruction d&rsquo;un an dans une communaut&eacute; bouddhiste, j&rsquo;ai rejoint ma compagne dans une communaut&eacute; chr&eacute;tienne. J&rsquo;y ai d&rsquo;abord travaill&eacute; sur un poste d&rsquo;agent d&rsquo;entretien &ndash;&nbsp;il s&rsquo;agissait de faire des petites r&eacute;novations, tous corps de m&eacute;tiers confondus au sein du domaine situ&eacute; &agrave; proximit&eacute; de Poitiers. Le domaine assez &eacute;tendu comprenait un ch&acirc;teau, une &eacute;glise, un couvent, un &eacute;levage de moutons, des terres mara&icirc;ch&egrave;res, une &eacute;cole Montessori, un Ehpad, une maison d&rsquo;enfants &agrave; caract&egrave;re social. Y vivaient environ 120 habitants et y travaillaient une centaine de salari&eacute;s (travailleurs sociaux, agriculteurs, instituteurs&hellip;).&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le lieu portait un projet ambitieux, &agrave; la fois social et &eacute;cologique, c&rsquo;est gr&acirc;ce &agrave; des &eacute;changes avec la directrice RH de ce r&eacute;seau que j&rsquo;ai pu op&eacute;rer une reconversion professionnelle vers le travail social. J&rsquo;ai alors pass&eacute; un Dejeps (dipl&ocirc;me d&rsquo;&eacute;tat de la jeunesse des sports, de l&rsquo;&eacute;ducation populaire et des sports) en alternance au sein de la Mecs (maison d&rsquo;enfants &agrave; caract&egrave;re social). Mon implication au sein du r&eacute;seau &eacute;tait totale, nous vivions en communaut&eacute; &laquo; au ch&acirc;teau &raquo; avec de nombreuses personnes pr&eacute;caires, r&eacute;fugi&eacute;es ou en situation de handicap, et je travaillais au sein de la maison d&rsquo;enfants. Les semaines de formations au Cemea (centre d&rsquo;entra&icirc;nement aux m&eacute;thodes d&rsquo;&eacute;ducation active) &eacute;taient de vraies &laquo; bouff&eacute;es d&rsquo;air &raquo;, qui m&rsquo;apportaient un regard, un positionnement id&eacute;ologique et professionnel diff&eacute;rent de celui propos&eacute; par le r&eacute;seau associatif&nbsp;:&nbsp; j&rsquo;y ai d&eacute;couvert les valeurs de l&rsquo;&eacute;ducation populaire. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Apr&egrave;s plusieurs ann&eacute;es tr&egrave;s intenses dans cette communaut&eacute;, nous sommes partis, ma compagne et moi, en Seine-Saint-Denis. Passionn&eacute; par le travail social et la recherche-action, j&rsquo;ai pass&eacute; le dipl&ocirc;me d&rsquo;&eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute;, &agrave; la suite de quoi j&rsquo;ai travaill&eacute; dans un dispositif de pr&eacute;vention innovant, et j&rsquo;ai int&eacute;gr&eacute; un master en sciences de l&rsquo;&eacute;ducation et de la formation (&eacute;ducation tout au long de la vie&nbsp;: &eacute;ducation populaire, &eacute;ducation informelle, formation des adultes) &agrave; Paris 8. R&eacute;aliser le master tout en travaillant &eacute;tait &eacute;prouvant, mais aussi tr&egrave;s riche, cela amenant de la r&eacute;flexivit&eacute; dans la pratique. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Aujourd&rsquo;hui j&rsquo;entre en doctorat de sciences de l&rsquo;&eacute;ducation et de la formation au centre de recherche en &eacute;ducation et formation (Cref) de Paris Nanterre, au sein de l&rsquo;&eacute;quipe &Eacute;ducation familiale et interventions sociales aupr&egrave;s des familles (Efis), en &eacute;tant salari&eacute; (cifre) de la fondation Olga Spitzer.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mon parcours appara&icirc;t comme une trajectoire de reclassement social, facilit&eacute; par des acquis de classes culturelles, &eacute;conomiques pr&eacute;serv&eacute;s en d&eacute;pit du positionnement de retour &agrave; la terre et des valeurs de contre-culture port&eacute;s par mes parents. Enfant et jeune adulte, j&rsquo;&eacute;tais impr&eacute;gn&eacute; des valeurs et de l&rsquo;id&eacute;ologie de mes parents &eacute;colos n&eacute;oruraux&nbsp;; travailleur social, je me suis d&eacute;tach&eacute; de ces questions qui paraissaient utopistes et d&eacute;cal&eacute;es vis-&agrave;-vis de l&rsquo;urgence des situations rencontr&eacute;es sur le terrain. Parce que ma situation sociale a &eacute;volu&eacute;, aujourd&rsquo;hui doctorant, je ne peux pas nier l&rsquo;urgence &eacute;cologique, et son impact au niveau social. La derni&egrave;re partie de cet article me permet d&rsquo;articuler ce r&eacute;cit autobiographique avec une recherche sociologique sur le positionnement des &eacute;cologistes au sein des rapports antagonistes de classe. &nbsp;&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">La r&eacute;flexion d&rsquo;Hubert Billemont dans sa th&egrave;se de sociologie, <i>L&rsquo;&eacute;cologie politique : une id&eacute;ologie de classes moyennes. </i>(2006)<i> </i>m&rsquo;aide &agrave; penser mon histoire familiale au regard des logiques de classe. Elle &nbsp;para&icirc;t pertinente pour situer mon parcours&nbsp;&ndash;&nbsp;ma famille &eacute;tablie au sein de la mouvance &eacute;cologique &ndash;&nbsp;et comprendre comment cette &laquo; n&eacute;buleuse &raquo; se pla&ccedil;ait dans l&rsquo;espace social. Son travail donne du sens &agrave; mon cheminement professionnel et notamment &agrave; la rupture id&eacute;ologique qui s&rsquo;est op&eacute;r&eacute;e au moment de ma reconversion vers les m&eacute;tiers du social. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Billemont fait l&rsquo;hypoth&egrave;se que &laquo; l&rsquo;apparition du ph&eacute;nom&egrave;ne &eacute;cologiste (appr&eacute;hend&eacute; comme une extension politico-morale du mouvement contre-culturel dans son ensemble) proc&egrave;de de la situation de d&eacute;classement-reclassement &agrave; laquelle sont confront&eacute;es les fractions domin&eacute;es de la classe dominante &raquo; (2006, p.14-15). Il pr&eacute;cise que dans la vision &eacute;cologiste, &laquo; la r&eacute;volte contre le &lsquo;&rsquo;syst&egrave;me&rsquo;&rsquo; ne conduit pas &agrave; chercher n&eacute;cessairement des alli&eacute;s politiques dans le prol&eacute;tariat et la classe ouvri&egrave;re&nbsp;&raquo; (2006, p. ) &ndash; rappelons que la th&egrave;se est &eacute;crite il y a 16 ans. Le positionnement politique de certains partis actuels tend vers un rapprochement entre vision &eacute;cologiste et alliance avec les classes populaires et les organisations qui les repr&eacute;sentent. Il d&eacute;finit le mouvement &eacute;cologiste comme un mouvement des &laquo; classes moyennes intellectuelles &raquo; (2006, p.12) et d&eacute;class&eacute;, &laquo; situ&eacute; en position ambivalente dans la structure sociale &raquo; (2006, p.15). Il d&eacute;crit une &laquo; culture sociale construite dans la double opposition aux classes sup&eacute;rieures (&eacute;conomiquement dominantes) et aux classes populaires (&eacute;conomiquement domin&eacute;s). Cette double ambivalence pourrait expliquer mes difficult&eacute;s d&rsquo;int&eacute;gration au sein de l&rsquo;&eacute;cole, aupr&egrave;s de camarades d&rsquo;&eacute;cole issue des classes ouvri&egrave;res ou bourgeoises, mais bien int&eacute;gr&eacute;es et identifi&eacute;es sur le territoire. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Pour lui, toutes les classes sociales ne sont pas convi&eacute;es &agrave; participer &agrave; cette nouvelle utopie, &laquo; la d&eacute;finition &eacute;cologiste de la nature, malgr&eacute; la pr&eacute;tention d&rsquo;universalit&eacute; dont elle se pare, peut ainsi &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme l&rsquo;instrument symbolique d&rsquo;une lutte sociale que les membres des fractions intellectuelles de la classe moyenne ont engag&eacute; contre les autres groupes &raquo; (2006, p.91). &laquo; Occupant une position sociale totalement ambigu&euml; et incertaine [ils refusent] de s&rsquo;inscrire dans l&rsquo;alternative &laquo; dominant domin&eacute; &raquo;, &laquo; bourgeois-ouvrier &raquo;, ils tentent d&rsquo;&eacute;chapper (de mani&egrave;re illusoire) au jeu des classements sociaux et des hi&eacute;rarchies &eacute;tablies en d&eacute;fendant une cause plan&eacute;taire et universelle &raquo; (2006, p. 99).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Cette dimension id&eacute;ologique et politique me para&icirc;t expliquer le d&eacute;sint&eacute;r&ecirc;t que j&rsquo;ai pu manifester pour l&rsquo;&eacute;cologie durant mes ann&eacute;es &laquo; de terrain &raquo; en tant que travailleur social. De fa&ccedil;on plus g&eacute;n&eacute;rale, cela donne un &eacute;clairage sur un certain rejet des classes populaires pour les th&eacute;matiques et le mode de vie des &eacute;cologistes. Par loyaut&eacute; envers son milieu d&rsquo;origine &ndash; pour certains &ndash;&nbsp; et son public, le travailleur social peut &ecirc;tre tent&eacute; de rejeter un habitus &laquo; &eacute;colo &raquo;&nbsp;; sa loyaut&eacute; s&rsquo;expliquant par l&rsquo;&laquo; &eacute;prouv&eacute; &raquo; des rapports de domination, dont il est &nbsp;amen&eacute; &agrave; faire l&rsquo;exp&eacute;rience, au c&oelig;ur de sa pratique professionnelle. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Pour pr&eacute;ciser et illustrer les propos de Billemont, je reprends &laquo;&nbsp;le cas de l&rsquo;automobile&nbsp;&raquo;. Marqueur de classe, l&rsquo;automobile est un bon analyseur des rapports sociaux. Lorsque j&rsquo;&eacute;tais enfant, mes parents avaient g&eacute;n&eacute;ralement des v&eacute;hicules d&rsquo;occasion, en mauvais &eacute;tat et mal entretenus. Je me souviens que mon p&egrave;re &eacute;tait assez fier de ses voitures. Je me souviens des 4L et de la &laquo;&nbsp;camionnette&nbsp;&raquo; Nissan avec laquelle nous partions en vacances, puis il y a eu une Espace Renault qui servait de v&eacute;hicule quotidien, mais aussi d&rsquo;utilitaire pour les travaux. Mon p&egrave;re &eacute;tait en cela caract&eacute;ristique du profil n&eacute;orural &eacute;colo, &agrave; cela pr&egrave;s que sa voiture se reconnaissait toujours par son c&ocirc;t&eacute; d&eacute;glingu&eacute;, dans une variation de l&#39;habitus&nbsp;&nbsp;ce que d&eacute;crit Billemont sur l&rsquo;usage des v&eacute;hicules par les &eacute;colos&nbsp;: en s&rsquo;appropriant ce type de voiture, neutre, effac&eacute;, ordinaire (&hellip;) ils affichent ostensiblement, &agrave; travers ce rapport &laquo;&nbsp;utilitaire&nbsp;&raquo; et distanci&eacute; &agrave; l&rsquo;objet, leur diff&eacute;rence sociale (qualifi&eacute;e &laquo;&nbsp;d&rsquo;&eacute;thique&nbsp;&raquo;) par rapport &agrave; ceux qui investissent financi&egrave;rement et &laquo;&nbsp;affectivement&nbsp;&raquo; dans des v&eacute;hicules plus chers, plus typ&eacute;s. Ils se d&eacute;marquent ainsi de l&rsquo;usage id&eacute;ologique des repr&eacute;sentations de l&rsquo;automobile) [&hellip;]&nbsp;aussi bien des fractions &eacute;conomiquement dominantes de la bourgeoisie traditionnelle ou lib&eacute;rale, que des membres des classes populaires, dont la conduite en mati&egrave;re d&rsquo;usage automobile leur semble &ecirc;tre une forme d&rsquo;all&eacute;geance aux cat&eacute;gories dominante&nbsp;(2006, p.&nbsp;197). </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Cette position est difficilement tenable lorsque l&rsquo;on est travailleur social &ndash;&nbsp;du moins lorsque l&rsquo;on fait ce travail avec l&rsquo;intention de contribuer &agrave; une plus grande justice sociale. De 2018 &agrave; 2021, j&rsquo;ai travaill&eacute; en tant qu&rsquo;&eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute; en Seine-Saint-Denis, au sein d&rsquo;une &eacute;quipe pluridisciplinaire et multiculturelle. Mes relations y ont &eacute;t&eacute; difficiles. Nous avions des pratiques &eacute;ducatives et des repr&eacute;sentations de l&rsquo;&eacute;ducation parfois oppos&eacute;es. J&rsquo;ai plut&ocirc;t tendance &agrave; d&eacute;fendre une &eacute;ducation &laquo;&nbsp;d&eacute;mocratique&nbsp;&raquo;, inspir&eacute;e par les courants de l&rsquo;&eacute;ducation nouvelle (Freinet, Korczak, Montessori, etc.) et une partie de mes coll&egrave;gues &eacute;taient porteurs de valeurs autres&nbsp;; pour eux, la relation entre l&rsquo;adulte et l&rsquo;enfant est organis&eacute;e autour du respect de l&rsquo;autorit&eacute; de l&rsquo;adulte, dans un mod&egrave;le de relation verticale. Chaque membre de l&rsquo;&eacute;quipe avait son positionnement propre entre ces deux p&ocirc;les&nbsp;: relation verticale ou horizontale. Je repr&eacute;sentais un de ces deux extr&ecirc;mes et, pour certains coll&egrave;gues, mon positionnement &eacute;tait v&eacute;cu comme du laxisme, un manque de cadre ins&eacute;curisant pour les enfants. De l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute;, je jugeais certaines de leurs pratiques trop autoritaires, voire maltraitantes, et ne respectant pas les droits de l&rsquo;enfant.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">&Agrave; travers cette bataille pour les pratiques &eacute;ducatives, il y avait d&rsquo;autres enjeux&nbsp;: des rapports de pouvoir, des rapports de classe, des rapports de domination. Nous &eacute;tions une &eacute;quipe d&rsquo;une vingtaine de professionnels&nbsp;: ma&icirc;tresse de maison, veilleur de nuit, auxiliaire de pu&eacute;riculture, accompagnante &eacute;ducative petite enfance (Cap petite enfance), animateur socio-&eacute;ducatif, &eacute;ducatrice de jeunes enfants, &eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute;, technicienne de l&rsquo;intervention sociale et familiale (Tisf). Parmi tous ces dipl&ocirc;mes et formations, le rang d&rsquo;&eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute; est le plus &eacute;lev&eacute; (avec celui d&rsquo;&eacute;ducatrice de jeunes enfants), ce qui me situait en termes de dipl&ocirc;me et de salaire au sommet de la hi&eacute;rarchie de l&rsquo;&eacute;quipe au niveau &laquo;&nbsp;terrain&nbsp;&raquo; &ndash;&nbsp;j&rsquo;exclus volontairement de mon propos l&rsquo;&eacute;quipe-cadre (psychologue, directrice et cheffe de service). </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">D&rsquo;autres facteurs sont &agrave; prendre en compte pour comprendre les rapports de domination. La plupart de mes coll&egrave;gues &eacute;taient originaires de quartiers populaires et/ou &eacute;trangers, issus de l&rsquo;immigration, avec une exp&eacute;rience &eacute;prouv&eacute;e de l&rsquo;injustice sociale et des rapports de classe et de &laquo;&nbsp;race&nbsp;&raquo;. De mon c&ocirc;t&eacute;, j&rsquo;&eacute;tais un homme blanc, issu de la classe moyenne intellectuelle. On peut aussi int&eacute;grer la question du genre, la plupart de mes coll&egrave;gues &eacute;taient des femmes. Nous &eacute;tions deux hommes dans l&rsquo;&eacute;quipe de jour, quatre en int&eacute;grant les veilleurs de nuit, sur une &eacute;quipe de vingt personnes environ.&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Lors des conflits parfois virulents, ma principale antagoniste &eacute;tait une femme, de parents immigr&eacute;s et originaires de quartiers populaires. Les conflits li&eacute;s aux pratiques &eacute;ducatives &eacute;taient aliment&eacute;s par un conflit de classe, de race et de genre qui nous situait respectivement dans une situation de domin&eacute;/dominant. Par ailleurs, je crois qu&rsquo;il y avait dans ma posture, dans cet h&eacute;ritage &eacute;cologiste, quelque chose d&rsquo;ambivalent, un d&eacute;ni du rapport de classe, qui pouvait &ecirc;tre per&ccedil;u comme un m&eacute;pris de classe, une violence symbolique. Ces conflits ont pu se r&eacute;soudre et mon int&eacute;gration dans l&rsquo;&eacute;quipe a pu se faire notamment parce, lors des s&eacute;minaires &agrave; paris 8, j&rsquo;ai travaill&eacute; sur ces questions, conscientis&eacute; et identifi&eacute; ces rapports de pouvoir, de classe, de race et de genre.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">&Agrave; cette &eacute;poque, j&rsquo;ai achet&eacute; une voiture neuve. Je me souviens que cette coll&egrave;gue, avec qui les relations &eacute;taient particuli&egrave;rement conflictuelles, m&rsquo;avait dit quelque chose comme&nbsp;: &laquo;&nbsp;ouah, l&agrave; Martin, tu as assur&eacute;. F&eacute;licitations, tu nous as tous d&eacute;pass&eacute;s&nbsp;!&nbsp;&raquo;. Elle &eacute;tait r&eacute;ellement contente pour moi. Acheter quelque chose de neuf, en particulier un v&eacute;hicule, est un signe de r&eacute;ussite. C&rsquo;est quelque chose de valoris&eacute; dans les milieux populaires, contrairement &agrave; mon milieu d&rsquo;origine o&ugrave; c&rsquo;est plut&ocirc;t mal per&ccedil;u. J&rsquo;interpr&egrave;te aussi la validation de mon achat comme une r&eacute;solution du conflit li&eacute;e au fait que mon statut social, mon appartenance aux classes moyennes et la capacit&eacute; de pouvoir d&rsquo;achat qui y sont corr&eacute;l&eacute;s, sont assum&eacute;s, identifi&eacute;s et identifiables. Auparavant, mon positionnement &eacute;tait flou puisque j&rsquo;empruntais les transports en commun comme ceux qui les utilisent non par id&eacute;ologie, mais par contrainte &eacute;conomique &ndash; il est connu que se d&eacute;placer en transports en commun en Seine-Saint-Denis, de banlieue &agrave; banlieue, est particuli&egrave;rement p&eacute;nible&nbsp;; le temps pass&eacute; est deux &agrave; trois fois plus long qu&rsquo;en voiture. Dans ce contexte, on comprendra que les personnes qui en ont la possibilit&eacute; utilisent leur v&eacute;hicule pour &laquo;&nbsp;gagner&nbsp;&raquo; parfois plusieurs heures, &eacute;viter des frais de garderie, s&rsquo;occuper de leur famille, etc. La valeur symbolique de cet achat a &eacute;t&eacute; positive&nbsp;; pour autant mon propos n&rsquo;est nullement une apologie de la voiture&hellip; Cette vignette clinique illustre les diff&eacute;rents rapports de domination qui peuvent exister autour des valeurs &eacute;cologistes. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Bruno Latour et Nicolas Schultz&nbsp;brossent le portrait d&rsquo;une classe &eacute;cologique &agrave; venir,&nbsp;potentiellement majoritaire&nbsp;(2022, p.55) et qui comme le sugg&egrave;re le sous-titre, doit&nbsp;&laquo;&nbsp;prendre conscience d&rsquo;elle-m&ecirc;me&nbsp;&raquo; (2022). Je les rejoins dans le sens o&ugrave; se dessine une gestion &eacute;cologique de plus en plus technocratique, fond&eacute;e sur des projets de g&eacute;o-ing&eacute;nierie plus qu&rsquo;inqui&eacute;tants (Foucart, 2022). Les classes moyennes et populaires font face &agrave; une classe dirigeante de plus en plus d&eacute;complex&eacute;e et en ce sens ont des int&eacute;r&ecirc;ts communs &agrave; d&eacute;fendre en termes de justice climatique, et de protection de leurs espaces d&rsquo;habitabilit&eacute;s. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Cependant, j&rsquo;apporte un point de vigilance &agrave; ce programme, les promoteurs d&rsquo;une victoire politique de l&rsquo;&eacute;cologisme doivent prendre en compte leurs positionnements dans le monde social et la mani&egrave;re dont ils s&rsquo;inscrivent dans les rapports de domination, ceci d&rsquo;autant plus que l&rsquo;histoire du mouvement &eacute;cologiste correspond &agrave; l&rsquo;organisation de la d&eacute;fense des int&eacute;r&ecirc;ts des classes moyennes intellectuelles et d&rsquo;une partie des classes dominantes. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px">&nbsp;</p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Il n&rsquo;est pas si simple de dire &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; en sciences humaines, il l&rsquo;est encore moins de prendre son propre parcours comme donn&eacute;e de recherche, c&rsquo;est le rapport intime, &laquo;&nbsp;&eacute;prouv&eacute;&nbsp;&raquo; qui me relie aux th&eacute;matiques de ce num&eacute;ro et &agrave; leurs articulations qui m&rsquo;y a d&eacute;cid&eacute;. Faisant le pari que l&rsquo; &laquo;&nbsp;exposition de soi&nbsp;&raquo; nous am&egrave;ne &nbsp;dans des endroits o&ugrave; nous ne serions pas all&eacute;s autrement.&nbsp;(Dub&eacute;, 2015, p.194) &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai cherch&eacute; &agrave; d&eacute;montrer l&rsquo;existence d&rsquo;une unit&eacute; de classe au sein de la n&eacute;buleuse &eacute;cologiste. &Agrave; travers cette d&eacute;marche, j&rsquo;ai propos&eacute; un regard situ&eacute;, micro-ethnographique sur la trajectoire d&rsquo;un &laquo;&nbsp;n&eacute;o-rural de deuxi&egrave;me g&eacute;n&eacute;ration&nbsp;&raquo; dans son rapport &agrave; l&rsquo;&eacute;cologie et au travail social. Avec une grande admiration pour les travaux de Rose Marie Lagrave, Reed-Danahay et Didier Eribon, j&rsquo;ai tent&eacute; de d&eacute;sintriquer quelques implications complexes me situant vis-&agrave;-vis des classes moyennes, populaires et dominantes &agrave; l&rsquo;aide d&rsquo;une conception d&rsquo;inspiration bourdieusienne. Dans cette d&eacute;marche, j&rsquo;assume, &agrave; l&rsquo;instar de Gabrielle Dub&eacute; une vis&eacute;e transformatrice &agrave; destination de l&rsquo;auteur comme du lecteur&nbsp;: &nbsp;la critique r&eacute;flexive sur son propre positionnement comme chercheur inspire le lecteur et l&rsquo;incite &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir de fa&ccedil;on critique sur sa propre exp&eacute;rience de vie&hellip;&nbsp;(Dub&eacute;, 2015, p.194) et en l&rsquo;occurrence, plus particuli&egrave;rement, son propre positionnement vis-&agrave;-vis de l&rsquo;&eacute;cologie et du travail social.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><b>Bibliographie</b></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Alix, J.,&nbsp;Bertrand, D.,&nbsp;Brun, J.,&nbsp;Chauvi&egrave;re, M. &amp;&nbsp;Garrigue, G. (2017).&nbsp;<i>Debout pour nos m&eacute;tiers du travail social !</i>. &Eacute;r&egrave;s.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Bourdieu, P. (2004).&nbsp;<i>Esquisse pour une auto-analyse</i>. Raisons d&rsquo;Agir &Eacute;d. </span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Catellani, A. (2021). Changement climatique : d&eacute;ni, n&eacute;gation et climato-scepticisme. <i>Publictionnaire. Dictionnaire encyclop&eacute;dique et critique des publics. </i></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Charles<span style="background:white">, C. (2020). <i>Des &eacute;ducateurs et &eacute;ducatrices int&eacute;rimaires dans les&nbsp;foyers de&nbsp;l&rsquo;enfance: Un contr&ocirc;le social renouvel&eacute;&nbsp;?</i>&nbsp;Journal des anthropologues, pp 160-161, pp 89-101.&nbsp;<u> </u></span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Cheval, P.,&nbsp;Guzniczak, B. &amp;&nbsp;Chauvi&egrave;re, M. (2020). <i>L&rsquo;&eacute;nigme du travail social</i>.&nbsp;Les Cahiers Dynamiques, pp78, pp 6-16.&nbsp;</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">DREES. (2022, f&eacute;vrier). <i>Les professions sociales</i>.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Dub&eacute;, G. C., &amp; Paill&eacute;, P. (2015).&nbsp;<i>Parcours d&rsquo;une formatrice d&rsquo;enseignants au Qu&eacute;bec : Autoethnographie d&rsquo;une qu&ecirc;te transpersonnelle</i>. L&rsquo;Harmattan.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Duchamp M., Bouquet B., Drouard H., (1989), - <i>La recherche en travail social</i>, Paris, Le Centurion p.110.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Emelianoff, C. (2008). La probl&eacute;matique des in&eacute;galit&eacute;s &eacute;cologiques, un nouveau paysage conceptuel.&nbsp; <i>&Eacute;cologie &amp; politique</i>, 35, 19-31.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Eribon, D., &amp; Louis, &Eacute;. (2018).&nbsp;<i>Retour &agrave; Reims</i>. Flammarion.</span></span></span></span></p> <p style="text-indent:-0.55pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Foucart, S. (2022, 29 mai). Climat : &laquo; Certaines des technologies envisag&eacute;es pour maintenir habitable la Terre rel&egrave;vent du cauchemar &raquo;. <i>Le Monde.fr</i>.</span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Garrigue, G. (2017). 5<i>. D&eacute;fendre la qualit&eacute; des outils et des pratiques</i>. Dans : Jean-S&eacute;bastien Alix &eacute;d.,&nbsp;<i>Debout pour nos m&eacute;tiers du travail social</i>&nbsp;(pp. 115-150). </span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Giraudat, A. (2021, avril 22). <i>Le racisme environnemental</i>.&nbsp;<i>Notre Affaire &agrave; Tous</i>. </span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Guibet, C. Lafaye,&nbsp;<i>&laquo;&nbsp;La domination sociale dans le contexte contemporain&nbsp;&raquo;,</i>&nbsp;Recherches sociologiques et anthropologiques, 45-1&nbsp;|&nbsp;2014, 127-145.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Iori, R. &amp;&nbsp;Charles, C. (2020). <i>Regards sur les usages de la cat&eacute;gorie &laquo;&nbsp;travail social&nbsp;&raquo; dans les recherches en sciences humaines et sociales</i>.&nbsp;Recherche &amp; formation, 94, 83-99. </span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Keucheyan, R. (2018). 1. Racisme environnemental. Dans : , R.&nbsp;Keucheyan,&nbsp;<i>La nature est un champ de bataille: Essai d&#39;&eacute;cologie politique</i>&nbsp;(pp. 19-84). Paris: La D&eacute;couverte.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Lagrave, R.-M. (2021).&nbsp;<i>Se ressaisir. Enqu&ecirc;te autobiographique d&rsquo;une transfuge de classe f&eacute;ministe</i>. La D&eacute;couverte.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Latour, B., &amp; Schultz, N. (2022).&nbsp;<i>M&eacute;mo sur la nouvelle classe &eacute;cologique : Objet : comment faire &eacute;merger une classe &eacute;cologique consciente et fi&egrave;re d&rsquo;elle-m&ecirc;me date : janvier 2022 diffusion : membres des partis &eacute;cologiques et leurs &eacute;lecteurs pr&eacute;sents et &agrave; venir</i>. les Emp&ecirc;cheurs de penser en rond-&Eacute;ditions la D&eacute;couverte.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">L&eacute;ger, D. &amp; Hervieu, B. (1979). 1. Exodes utopiques. Dans : , D. L&eacute;ger &amp; B. Hervieu (Dir), Le retour &agrave; la nature: &laquo; Au fond de la for&ecirc;t... l&#39;&Eacute;tat &raquo; (pp. 13-37). Paris: Le Seuil.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <a name="_Hlk104831014">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</a></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Le Grand, J-L. (1988)<i> Etude d&#39;une exp&eacute;rience communautaire &agrave; orientation th&eacute;rapeutique : histoire de vie de groupe.</i> [th&egrave;se]. </span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Le Grand, J-L. Pineau, G. (1993), <i>Les histoires de vie</i>, Que sais-je.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le Grand J-L. [2006], <i>Implexit&eacute; : implications et complexit&eacute;</i>, document &eacute;lectronique in http://www.barbier-rd.nom.fr </span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Libois, J. (2018). Pr&eacute;carisation du travail social. <i>Digression sur la notion de pr&eacute;carit&eacute;</i>.&nbsp;Le Sociographe, 64, 85-94.&nbsp;</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Li&eacute;nard, G. Mangez, E. (2015) R&eacute;gimes d&rsquo;action et rapports de pouvoir. Vers un approfondissement de la th&eacute;orie bourdieusienne de la domination&nbsp;?.&nbsp;<i>Recherches sociologiques et anthropologiques</i>, 46.<u> </u></span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Puaud, D. (2017). Biopolitique du travail social.&nbsp;<i>Multitudes</i>,&nbsp;<i>67</i>(2), 179‑187.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Georges&nbsp;Li&eacute;nard&nbsp;et &Eacute;ric&nbsp;Mangez,&nbsp;&laquo;&nbsp;R&eacute;gimes d&rsquo;action et rapports de pouvoir. Vers un approfondissement de la th&eacute;orie bourdieusienne de la domination&nbsp;?&nbsp;&raquo;,&nbsp;<i>Recherches sociologiques et anthropologiques</i>&nbsp;[En ligne], 46-1</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Reed-Danahay, D. (2017). Bourdieu and Critical Autoethnography : Implications for Research, Writing, and Teaching.&nbsp;<i>International Journal of Multicultural Education</i>,&nbsp;<i>19</i>(1), 144.&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Rouvi&egrave;re, C. (2015).&nbsp;<i>Retourner &agrave; la terre : L&rsquo;utopie n&eacute;o-rurale en Ard&egrave;che depuis les ann&eacute;es 1960</i>. Presses universitaires de Rennes.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Schwartz, O. (2009). Vivons-nous encore dans une soci&eacute;t&eacute; de classes ?&nbsp;<i>La Vie des id&eacute;es</i>.&nbsp;<u> </u></span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Schwartz, O. (2011). Peut-on parler des classes populaires ? <i>La Vie des id&eacute;es</i>. </span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Schutz, A., &amp; B&eacute;gout, B. (2010).&nbsp;<i>L&rsquo;&eacute;tranger suivi de L&rsquo;homme qui rentre au pays : Un essai de psychologie sociale</i>&nbsp;(2e &eacute;d). &Eacute;d. Allia.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">S&eacute;raphin, G. (2012)<i> Le regard situant. L&rsquo;exemple de la politique familiale dans la France contemporaine.</i>&nbsp;M&eacute;moire de HDR, Universit&eacute; Paris V Descartes.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">European Association Of Schools Of Social Work, E. A. S. S. W. (2017). <i>D&eacute;finition globale du travail social</i>. EASSW. Consult&eacute; le 25 f&eacute;vrier 2022, &agrave; l&rsquo;adresse https://www.eassw.org/language/english/</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><i><span style="color:black">Salaire moyen &agrave; Gac&eacute; (61230)</span></i><span style="color:black">. (2022). Journal du net.&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Dossier complet<i> &minus; Commune de Gac&eacute; (61181) | Insee</i>. (2022).</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Force est de constater, au cours d&rsquo;exp&eacute;riences de terrain ou par une recherche dans la litt&eacute;rature, que l&rsquo;&eacute;cologie est tr&egrave;s peu pr&eacute;sente dans le champ social. Cette absence n&rsquo;est pas sp&eacute;cifique &agrave; nos m&eacute;tiers, on la retrouve dans la majorit&eacute; des espaces sociaux, comme l&rsquo;illustre le faible score du parti &eacute;cologiste lors des pr&eacute;sidentielles de 2022. &Eacute;tant donn&eacute; l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;urgence connu de tous, comment sortir de ce que l&rsquo;on peut appeler un &laquo; d&eacute;ni Climatique &raquo; (Catellani, 2021) ? Afin d&rsquo;apporter des &eacute;l&eacute;ments de compr&eacute;hension sur ce point, on approchera les notions d&rsquo;&eacute;cologisme et de travail social, puis on observera leurs croisements au cours d&rsquo;une trajectoire de vie&nbsp;; cette d&eacute;marche d&rsquo;enqu&ecirc;te autobiographique permettra de restituer le paradoxe de ces champs&nbsp;: si proches, ils ne se rencontrent pas. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Certains auteurs privil&eacute;gient la notion de justice environnementale &agrave; celle d&rsquo;in&eacute;galit&eacute; qu&rsquo;ils consid&egrave;rent comme un euph&eacute;misme. <span style="background:white">Le sociologue Razmig Keucheyan</span> souligne que la notion de justice environnementale corr&eacute;l&eacute;e &agrave; celle de racisme environnemental est n&eacute;e au sein d&rsquo;un mouvement de d&eacute;fense des droits civiques port&eacute; par les quartiers noirs am&eacute;ricains. Cette perspective d&rsquo;un mouvement qu&rsquo;il qualifie d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;co populiste&nbsp;&raquo; (2018) nous para&icirc;t int&eacute;ressante, en ce qu&rsquo;elle est la d&eacute;monstration d&rsquo;un mouvement &eacute;cologiste &eacute;mergeant par le bas, d&eacute;marche riche en perspective dans le cadre d&rsquo;un travail social pens&eacute; comme porteur d&rsquo;&eacute;mancipation.&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">L&rsquo;&eacute;cologisme est en majorit&eacute; un mouvement issu des classes moyenne et sup&eacute;rieure. Les travailleurs sociaux sont plut&ocirc;t originaires des classes moyenne et populaire&nbsp;; leurs publics, &laquo;&nbsp;les usagers&nbsp;&raquo; du social, sont quant &agrave; eux majoritairement issus des fractions &laquo;&nbsp;basses&nbsp;&raquo; des classes populaires. C&rsquo;est dans cette perspective de classe et de rapports de classes que nous allons tenter de d&eacute;coder les relations entre &eacute;cologie et travail social.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Pour comprendre comment ces champs se rencontrent, s&rsquo;opposent ou s&rsquo;ignorent, le contexte fran&ccedil;ais n&eacute;cessite de prendre en compte des sp&eacute;cificit&eacute;s nationales. Le mod&egrave;le social dessin&eacute; par le Conseil national de la R&eacute;sistance &eacute;tait porteur d&rsquo;un projet de soci&eacute;t&eacute; &eacute;galitaire et solidaire, il inspire l&rsquo;ordonnance de 1945 organisant la s&eacute;curit&eacute; sociale et plus particuli&egrave;rement le cadre l&eacute;gislatif du m&eacute;tier d&rsquo;&eacute;ducateur. C&rsquo;est ce que souligne Michel Chauvi&egrave;re dans un entretien pour les Cahiers dynamiques : &nbsp;Dans cette pratique &eacute;ducative d&eacute;di&eacute;e, n&eacute;e au moment de la guerre 39-45, il y a surtout quelque chose de fondamental &agrave; sauvegarder et &agrave; r&eacute;affirmer qui combine une &eacute;thique de la relation avec les enfants et les jeunes, une action technique affin&eacute;e et une action politique, dans la cit&eacute; &nbsp;(2020, p.33).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le travail social s&rsquo;ancre aussi dans une d&eacute;marche clinique influenc&eacute;e par la psychanalyse et la psychoth&eacute;rapie institutionnelle pour dessiner une pratique qui s&rsquo;organise autour du sujet&nbsp;:&nbsp;Le sujet, ce n&rsquo;est pas l&rsquo;humain des droits de l&rsquo;homme, trop lointain, trop g&eacute;n&eacute;ral. Le sujet c&rsquo;est chacun, chaque individu dans sa singularit&eacute;&nbsp;(2020, p.34). Et s&rsquo;appuie par ailleurs sur les approches d&rsquo;&eacute;ducation populaire. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Il est difficile de d&eacute;finir ces m&eacute;tiers du travail social, en tension entre &laquo;&nbsp;surveillance, correction&nbsp;&raquo; et d&eacute;fense des droits. (Puaud, 2017) On peut souligner, avec Pascale Guarrigue, que les m&eacute;tiers du social passent par &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;prouver&nbsp;&raquo; (2017). Avec cette notion d&rsquo;&eacute;prouver, on convoque le sujet, celui qui &eacute;prouve et qui conna&icirc;t par l&rsquo;exp&eacute;rience. On retrouve cette primaut&eacute; accord&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;prouv&eacute; dans la recherche en travail social qui, &agrave; rebours d&rsquo;une posture surplombante et objectivante, propose une recherche par l&#39;intervenion et non sur l&#39;intervention (Beillerot, 1989, p.115) </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;&eacute;cologie, le contexte fran&ccedil;ais convoque mai 68 comme date symbolique de l&rsquo;&eacute;mergence de la contre-culture et de la n&eacute;buleuse &eacute;cologiste (Vrignon, 2017). Ce mouvement est initiateur de l&rsquo;&eacute;cologie politique, mais aussi d&rsquo;un mode de vie alternatif fond&eacute; sur des valeurs et des pratiques sp&eacute;cifiques. L&rsquo;&eacute;cologisme est ainsi &eacute;tudi&eacute; par les sciences humaines&nbsp;; certains y voient un mouvement post-mat&eacute;rialiste (Ronald Inglehart, Alain Touraine) tandis que d&rsquo;autres (Bourdieu, Boudon) y voient une nouvelle forme d&rsquo;expression des rapports antagonistes de classe. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Les n&eacute;oruraux auxquels nous allons plus particuli&egrave;rement nous int&eacute;resser dans cet article participent &agrave; cette n&eacute;buleuse &eacute;cologiste, ils en constituent une entit&eacute; particuli&egrave;re et, dans une perspective de recherche en sciences humaines, un champ d&rsquo;&eacute;tudes sp&eacute;cifique. Il s&rsquo;agit de jeunes urbains adh&eacute;rant aux valeurs de la contre-culture post 68, ils choisissent de s&rsquo;installer en zone rurale. Certains s&rsquo;installent en communaut&eacute;, d&rsquo;autres de mani&egrave;re plus isol&eacute;e. Ils ont des destinations privil&eacute;gi&eacute;es (Ard&egrave;che, Ari&egrave;ge), mais peuvent aussi se retrouver dans d&rsquo;autres d&eacute;partements.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Dans une perspective &laquo;&nbsp;bourdieusienne&nbsp;&raquo;, le sociologue Hubert Billemont rattache ce groupe aux fractions intellectuelles de la classe moyenne (2006, p.24), il pr&eacute;cise que dans la vision &eacute;cologiste,&nbsp;la r&eacute;volte contre le &lsquo;&rsquo;syst&egrave;me&rsquo;&rsquo; ne conduit pas &agrave; chercher n&eacute;cessairement des alli&eacute;s politiques dans le prol&eacute;tariat et la classe ouvri&egrave;re&nbsp;(2006, p. 16) &ndash; rappelons que la th&egrave;se est &eacute;crite il y a 16 ans. Le positionnement politique de certains partis actuels tend vers un rapprochement entre vision &eacute;cologiste et alliance avec les classes populaires et les organisations qui les repr&eacute;sentent. Il d&eacute;finit le mouvement &eacute;cologiste comme un mouvement des &laquo; classes moyennes intellectuelles &raquo; (2006, p.12) et d&eacute;class&eacute;, situ&eacute; en position ambivalente dans la structure sociale&nbsp;(2006, p.15).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">L&rsquo;historienne Catherine Rouvi&egrave;re identifie &laquo; cinq vagues &raquo; de migration n&eacute;orurale (en Ard&egrave;che) de 1969 aux ann&eacute;es 2000. Nous nous int&eacute;ressons aux deux premiers groupes : le moment hippie de 69 &agrave; 73 et une deuxi&egrave;me &eacute;tape de 75 &agrave; 85, incarn&eacute;e par une volont&eacute; de stabilit&eacute; &eacute;conomique et d&rsquo;int&eacute;gration plus forte.&nbsp;(2015, p.35).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">En nous appuyant sur l&rsquo;&eacute;tude d&rsquo;Hubert Billemont, nous avons &eacute;mis l&rsquo;hypoth&egrave;se que les travailleurs sociaux &eacute;taient peu concern&eacute;s par les questions &eacute;cologiques en raison d&rsquo;une appartenance de classe diff&eacute;rente. Or les travailleurs sociaux sont consid&eacute;r&eacute;s comme appartenant aux classes moyennes.&nbsp; Hubert Billemont identifie l&rsquo;&eacute;cologie politique comme une id&eacute;ologie de classe moyenne. Dans ce cas, pourquoi les travailleurs sociaux s&rsquo;int&eacute;ressent -ils peu aux questions &eacute;cologiques&nbsp;?&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Pour r&eacute;pondre &agrave; cette question, nous allons tenter de situer plus pr&eacute;cis&eacute;ment les travailleurs sociaux au sein des classes sociales. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Appuyons-nous sur une &eacute;tude de la Drees qui identifie 1,3 million de travailleurs sociaux en 2018&nbsp;: 520 000 intervenants &agrave; domicile, 400 000 assistants maternels, gardes &agrave; domicile ou assistants familiaux, 250 000 professionnels socio-&eacute;ducatifs, 60 000 aides m&eacute;dico-psychologiques ainsi que 90 000 autres professions de l&rsquo;action sociale exercent en France M&eacute;tropolitaine&nbsp;&nbsp;(Drees, 2022). Parmi ceux-ci&nbsp;: 42 % des travailleurs sociaux &acirc;g&eacute;s de 50 ans ou plus &raquo;, un milieu &laquo; tr&egrave;s f&eacute;minis&eacute; &raquo;, avec &laquo; 9 femmes pour 10 professionnels &raquo; (Drees, 2022). &laquo; Les travailleurs sociaux sont moins souvent dipl&ocirc;m&eacute;s de l&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur que les autres salari&eacute;s. 23 % des professionnels du social d&eacute;tiennent, en 2018, comme plus haut dipl&ocirc;me, un brevet des coll&egrave;ges ou sont non-dipl&ocirc;m&eacute;s, contre 15 % des autres salari&eacute;s. Leur dipl&ocirc;me le plus &eacute;lev&eacute; est dans 32 % des cas un CAP, BEP ou un autre dipl&ocirc;me de ce niveau, et dans 12 % des cas un dipl&ocirc;me param&eacute;dical et social de niveau bac +2. &nbsp;Ajoutons que&nbsp;: Ce sont des salari&eacute;s plus souvent en temps partiel et en sous-emploi que les autres salari&eacute;s&nbsp;(Drees, 2022).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">On voit, au travers de ce compte-rendu chiffr&eacute;, des profils vari&eacute;s en termes de revenu et de dipl&ocirc;me. Cela se traduit aussi par des origines sociales diversifi&eacute;es. Une partie des travailleurs sociaux sont issus des classes populaires &ndash; que l&rsquo;on d&eacute;finit avec Olivier Schwartz &agrave; partir d&rsquo;une double perspective de domination, sociale et culturelle, vis-&agrave;-vis des classes dominantes (2011). Une partie d&rsquo;entre eux appartiennent toujours aux classes populaires, de par leur niveau de vie, de salaire, de dipl&ocirc;me, tandis que l&rsquo;autre se situe au sein de la classe moyenne. &Agrave; l&rsquo;autre extr&eacute;mit&eacute; de ce groupe professionnel, on trouve les cadres du secteur social qui font partie des classes moyennes, moyenne sup&eacute;rieure. Ceci suivant leur niveau d&rsquo;intervention (proximit&eacute;, direction d&rsquo;&eacute;tablissement, direction g&eacute;n&eacute;rale, etc.), leur revenu et leur trajectoire sociale, le spectre est donc large. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Ayant situ&eacute; ce groupe des travailleurs sociaux, tentons de d&eacute;finir sa fonction et son r&ocirc;le dans l&rsquo;espace social. Un article de Iori et Charles retrace l&rsquo;&eacute;volution des recherches sur le travail social. L&rsquo;ouvrage de Verd&egrave;s-Leroux, <i>Le travail social</i>, publi&eacute; en 1978 y est cit&eacute; comme pionnier dans ce domaine. Il pr&eacute;sente &laquo;&nbsp;les assistantes sociales en tant qu&rsquo;agent.es de contr&ocirc;le social et d&rsquo;encadrement des classes populaires&nbsp;&raquo; (Iori &amp; Charles,2020, p. 2). Ainsi, on voit bien qu&rsquo;&agrave; cette &eacute;poque, la d&eacute;marcation de classe entre les travailleurs sociaux et leurs publics est nette. Aujourd&rsquo;hui, on ne trouve plus une d&eacute;marcation si nette, comme le montrent les travaux de Charl&egrave;ne Charles sur la pr&eacute;carit&eacute; des int&eacute;rimaires (Charles, 2020).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Jo&euml;lle Libois observe, elle aussi, un mouvement de d&eacute;classement social du travail social :&nbsp;La charit&eacute; donn&eacute;e par les dames patronnesses repr&eacute;sentait une norme sociale &eacute;tablie, la lente professionnalisation des formations sociales, d&egrave;s la fin de la Premi&egrave;re Guerre mondiale, a permis de former des femmes et des hommes des classes moyennes. [&hellip;] Aujourd&rsquo;hui, si nous prenons au s&eacute;rieux l&rsquo;accession d&rsquo;une mont&eacute;e en puissance de la pr&eacute;carisation du statut de travailleur social, alors nous passerions d&rsquo;un premier mod&egrave;le vertical et asym&eacute;trique &agrave; un deuxi&egrave;me plus horizontal, mais toujours in&eacute;gal, pour parvenir &agrave; une troisi&egrave;me r&eacute;f&eacute;rence en proximit&eacute; des v&eacute;cus&nbsp;(2018, p.7). Une travailleuse sociale belge exprime bien ce sentiment de d&eacute;classement social de la profession&nbsp;:&nbsp;lorsque l&#39;on y pense, l&rsquo;ironie est presque savoureuse : des pr&eacute;caires sont au service d&rsquo;autres pr&eacute;caires. Demain ils pourraient tout &agrave; fait venir grossir leurs rangs. &nbsp;(MF,2021)&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Jo&euml;lle Libois fait aussi l&rsquo;hypoth&egrave;se que&nbsp;cette probl&eacute;matique illustre un changement de paradigme historique, port&eacute; par une transformation radicale des appartenances sociales des professionnels de l&rsquo;intervention sociale&nbsp;(2018, p.8.). Cette pr&eacute;carisation des m&eacute;tiers du social rapproche les professionnels et les usagers dans un sentiment de pr&eacute;carit&eacute; partag&eacute;e&nbsp;; en ce sens, les travailleurs sociaux sont &eacute;loign&eacute;s des classes moyennes intellectuelles dominantes au sein de la n&eacute;buleuse &eacute;cologiste. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Comment rendre compte de ces relations&nbsp;? La notion d&rsquo;&eacute;prouv&eacute; offre une premi&egrave;re piste pour une recherche en travail social, notamment &agrave; travers le r&ocirc;le d&eacute;volu au sujet. D&rsquo;autres approches utilisent aussi l&rsquo;exp&eacute;rience, avec une vis&eacute;e de connaissance et de transformation du monde social. Quelques m&eacute;thodes utilisent le &laquo;&nbsp;parler de soi&nbsp;&raquo; pour comprendre les ph&eacute;nom&egrave;nes sociaux. Comme le dit Jean-Louis Legrand&nbsp;: Dans le fait de conna&icirc;tre une culture de &lsquo;&rsquo;l&rsquo;Int&eacute;rieur&#39;&rsquo;, il y a l&agrave; une ressource tout &agrave; fait exceptionnelle pour une entreprise cognitive&nbsp;(Le Grand, 1988, p. 166).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">De nombreuses d&eacute;marches prennent en compte la subjectivit&eacute; et l&rsquo;exp&eacute;rience du chercheur. On peut notamment citer : le regard situant de G. S&eacute;raphin, les travaux d&rsquo;Edgar Morin sur la complexit&eacute;, l&rsquo;analyse institutionnelle, la sociologie ph&eacute;nom&eacute;nologique de la connaissance (Sch&uuml;tz), l&rsquo;ethnom&eacute;thodologie (Garfinkel), la d&eacute;marche de praticien-chercheur (Kohn), l&rsquo;ego-histoire (Nora), l&rsquo;histoire de vie (Le Grand) et, plus r&eacute;cemment, l&rsquo;auto-ethnographie (Reed-Danahay, Dub&eacute;). Dans ces courants de recherche, on utilisent courament le&nbsp;&laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; pour signifier la prise en compte de&nbsp;la subjectivit&eacute; du chercheur&nbsp;; c&rsquo;est ce que je ferai dans la deuxi&egrave;me partie de cet article. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Il y a toujours dans les milieux universitaires une r&eacute;serve vis-&agrave;-vis du r&eacute;cit de soi. La d&eacute;marche a encore ses d&eacute;tracteurs, dans la lign&eacute;e de <i>L&rsquo;Illusion biographique</i>&nbsp;de Bourdieu. Cela contribue sans doute au fait que les enqu&ecirc;tes autobiographiques sont plus souvent r&eacute;alis&eacute;es par des chercheurs confirm&eacute;s, &agrave; l&rsquo;instar de Didier Eribon, Rose Marie-Lagrave ou Bourdieu lui-m&ecirc;me &mdash; mais n&rsquo;avait-il pas introduit son <i>Auto-analyse</i> par la formule&nbsp;&laquo;&nbsp;ceci n&rsquo;est pas une autobiographie&nbsp;&raquo;&nbsp;?). &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Aussi, bien que ma trajectoire sociale, ici envisag&eacute;e comme outil de l&rsquo;exploration, ne soit pas l&rsquo;objet de cet article, il me semble n&eacute;anmoins important de porter &agrave; la connaissance du lecteur quelques &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;auto-analyse.&nbsp;De plus, il y a eu &agrave; ma connaissance peu de recherches sur le mouvement &eacute;cologiste n&eacute;orural r&eacute;alis&eacute;es par des chercheurs de ce groupe social. Un point de vue &laquo;&nbsp;situ&eacute;&nbsp;&raquo; apporte donc un &eacute;clairage particulier sur ce mouvement.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mon analyse s&rsquo;appuie sur un v&eacute;cu &laquo;&nbsp;de l&rsquo;int&eacute;rieur&nbsp;&raquo; &agrave; plusieurs niveaux&nbsp;: en tant qu&rsquo;enfant de n&eacute;o-ruraux ayant grandi au sein de ce cosmos particulier, avec ses valeurs et ses id&eacute;ologies&nbsp;; en tant qu&rsquo;&eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute;&nbsp;; en tant que chercheur familiaris&eacute; avec des m&eacute;thodes de recherche qui permettent une certaine r&eacute;flexivit&eacute; sur ce v&eacute;cu.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">La d&eacute;marche qui me semble la plus pertinente pour aborder ici un r&eacute;cit de vie est celle de l&rsquo;auto-ma&iuml;eutique implicationnelle. Ce concept a &eacute;t&eacute; forg&eacute; par Jean-Louis Legrand, dans le cadre de sa th&egrave;se&nbsp;: <i><span style="background:white">Etude d&#39;une exp&eacute;rience communautaire &agrave; orientation th&eacute;rapeutique : histoire de vie de groupe, </span></i>ouvrage pionnier dans le champ de l&rsquo;histoire de vie en 1988. Il d&eacute;finit cette approche comme&nbsp;une :&nbsp;D&eacute;marche d&#39;accouchement de soi et l&#39;&eacute;criture correspondante, explorant diverses implications personnelles dans une vis&eacute;e d&#39;&eacute;lucidation heuristique.&nbsp;(Le Grand, p.132) La vis&eacute;e heuristique exprime l&rsquo;intention de contribuer &agrave; la connaissance. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Cette d&eacute;marche d&rsquo;auto-ma&iuml;eutique implicationnelle est indissociable du concept d&rsquo;implexit&eacute;. Ce n&eacute;ologisme, forg&eacute; pour &nbsp;qualifier la complexit&eacute; des implications &nbsp;(Le Grand, 2006, p. 2), d&eacute;finit cette dimension complexe des implications, complexit&eacute; largement opaque &agrave; une explication. L&#39;implexit&eacute; est relative &agrave; l&#39;entrelacement de diff&eacute;rents niveaux de r&eacute;alit&eacute;s des implications qui sont pour la plupart implicites (pli&eacute;es &agrave; l&#39;int&eacute;rieur) &nbsp;(Le Grand, 2006, p.2).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Il ne s&rsquo;agit pas d&rsquo;&ecirc;tre exhaustif quant &agrave; ce qui est impliqu&eacute; : dans une telle d&eacute;marche, c&rsquo;est la personne enti&egrave;re qui est engag&eacute;e, il s&rsquo;agit de donner &agrave; voir ce qui semble pertinent pour le lecteur tout en respectant aussi l&rsquo;intimit&eacute; du chercheur. Il n&rsquo;y a pas de r&egrave;gles quant &agrave; ce qui doit &ecirc;tre montr&eacute; ou non&nbsp;; sans cela, nous nous dirigerions vers une injonction &agrave; l&rsquo;expression des implications.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Cette d&eacute;marche m&rsquo;a permis de faire quelques &laquo;&nbsp;d&eacute;couvertes&nbsp;&raquo;. La trajectoire &laquo;&nbsp;h&eacute;ro&iuml;que&nbsp;&raquo; du saisonnier agricole devenu charpentier puis &eacute;ducateur et enfin doctorant en sciences de l&rsquo;&eacute;ducation prend un autre sens lorsque l&rsquo;on prend en compte les logiques de classe et la notion de capital culturel. Bien qu&rsquo;ayant adopt&eacute; un mode vie non conforme aux habitus bourgeois de leurs familles, mes parents m&rsquo;ont transmis un certain nombre de capitaux qui ont permis une trajectoire de reclassement malgr&eacute; un d&eacute;but de vie professionnelle en bas de la hi&eacute;rarchie des dipl&ocirc;mes et salaires. Si l&rsquo;on ajoute &agrave; cela les crit&egrave;res de race et de genre, on comprendra que le &laquo;&nbsp;m&eacute;rite&nbsp;&raquo; de ce parcours de reclassement acc&eacute;l&eacute;r&eacute; est relatif. Ce qui n&#39;enl&egrave;ve rien aux difficult&eacute;s rencontr&eacute;es au cours du chemin.&nbsp; &nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;identifie la r&eacute;flexion sur le travail social et le changement climatique comme des &eacute;l&eacute;ments structurants de mon parcours. Je suis n&eacute; dans une famille de n&eacute;oruraux. Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, je peux situer mes parents au sein de la 4<sup>e</sup> vague n&eacute;orurale identifi&eacute;e par Catherine Rouvi&egrave;re&nbsp;: De 1975 &agrave; 1985 se dessine une deuxi&egrave;me &eacute;tape caract&eacute;ris&eacute;e par la primaut&eacute; accord&eacute;e &agrave; l&rsquo;installation p&eacute;renne, dans un cadre agr&eacute;able, gr&acirc;ce &agrave; une activit&eacute; choisie permettant de vivre d&eacute;cemment, y compris en s&rsquo;int&eacute;grant dans la soci&eacute;t&eacute; locale.&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mon p&egrave;re n&eacute; en 1954, ma m&egrave;re en 1955, font partie de la g&eacute;n&eacute;ration des baby-boomers. Ils sont tous les deux originaires de milieux bourgeois et, du c&ocirc;t&eacute; de mon grand-p&egrave;re maternel, d&rsquo;une aristocratie d&eacute;class&eacute;e. Ils avaient 14-15 ans en mai 68, mouvement qu&rsquo;ils ont suivi avec admiration, mais de loin, car trop jeunes pour y participer. Mon p&egrave;re a grandi &agrave; Neuilly sur Seine puis dans le 17<sup>e</sup> arrondissement de Paris&nbsp;; il a fait des &eacute;tudes d&rsquo;ing&eacute;nieur &agrave; l&#39;&Eacute;cole nationale des Ponts et chauss&eacute;es puis int&eacute;gr&eacute; une &eacute;cole d&rsquo;architecte &agrave; Paris. Ma m&egrave;re a grandi &agrave; Caen&nbsp;; elle a suivi un cursus &agrave; l&rsquo;&Eacute;cole nationale sup&eacute;rieure des Beaux-Arts de Paris et une formation d&rsquo;&eacute;b&eacute;niste &agrave; l&rsquo;&Eacute;cole Boulle puis &agrave; l&rsquo;AFPA. Elle a ensuite exerc&eacute; quelques ann&eacute;es &agrave; son compte puis a cess&eacute; son activit&eacute;, notamment pour travailler au sein de l&rsquo;espace domestique (jardin, travaux de r&eacute;novation, &eacute;ducation des enfants). Mon p&egrave;re a longtemps travaill&eacute; comme architecte-conseil dans un Caue (conseil d&#39;architecture, d&#39;urbanisme et de l&#39;environnement) puis il s&rsquo;est mis &agrave; son compte vers les ann&eacute;es 2000 tout en gardant une activit&eacute; partielle au Caue jusqu&rsquo;&agrave; la retraite. Aujourd&rsquo;hui, il continue d&rsquo;exercer en tant qu&rsquo;architecte lib&eacute;ral dans le domaine de l&rsquo;&eacute;coconstruction dont il est un des pr&eacute;curseurs.&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mes parents se sont rencontr&eacute;s &agrave; Paris, durant leurs &eacute;tudes &agrave; la fin des ann&eacute;es 70. On comprend qu&rsquo;&agrave; cette &eacute;poque, &eacute;tudiant &agrave; Paris dans le champ des beaux-arts, ils aient &eacute;t&eacute; marqu&eacute;s par les suites des &eacute;v&eacute;nements de mai 68 et par le mouvement de la contre-culture. Ils ont v&eacute;cu &agrave; Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, quelques ann&eacute;es avant de s&rsquo;installer dans l&rsquo;Orne dans une petite commune rurale de 75 habitants, au d&eacute;but des ann&eacute;es 80. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mes parents sont donc originaires des classes sociales dominantes, milieu d&rsquo;origine qu&rsquo;ils ont rejet&eacute; en s&rsquo;inscrivant dans le mouvement de la contre-culture des ann&eacute;es 70, en s&rsquo;installant dans une zone rurale, et en adoptant le mode de vie et les valeurs de la mouvance &eacute;cologiste. J&rsquo;ai tardivement pris conscience de cette trajectoire sociale et de cette culture sp&eacute;cifique de n&eacute;o-ruraux, nettement s&eacute;par&eacute;e de la culture &laquo;&nbsp;autochtone&nbsp;&raquo;. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Parmi mes oncles et tantes, certains &ndash; du c&ocirc;t&eacute; de ma m&egrave;re &ndash; avaient eux aussi rejoint le mouvement &eacute;cologiste et s&rsquo;inscrivaient dans un positionnement de d&eacute;classement social avec l&rsquo;exercice d&rsquo;une profession interm&eacute;diaire (en lyc&eacute;e technique, en travail social). Un de mes oncles s&rsquo;&eacute;tait install&eacute; comme mara&icirc;cher biologique apr&egrave;s avoir &eacute;t&eacute; berger en Ard&egrave;che. Les membres de la famille adh&eacute;rant aux valeurs de la contre-culture l&rsquo;admiraient. D&rsquo;autres n&rsquo;ont pas op&eacute;r&eacute; cette rupture, un oncle maternel &eacute;tait catholique pratiquant et cadre chez Moulinex et, lors des r&eacute;unions familiales, la rencontre avec &nbsp;cette partie de la famille &eacute;tait un v&eacute;ritable choc de cultures. Du c&ocirc;t&eacute; de mon p&egrave;re, une de mes tantes a &eacute;t&eacute; m&eacute;decin puis PDG d&rsquo;importantes soci&eacute;t&eacute;s pharmaceutiques&nbsp;; sa s&oelig;ur a&icirc;n&eacute;e a &eacute;t&eacute; professeure d&rsquo;anglais dans le priv&eacute;, et a choisi de vivre en zone rurale sans adh&eacute;rer &agrave; cette contre-culture. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Bien qu&rsquo;habitant dans des communes assez &eacute;loign&eacute;es, les trois familles situ&eacute;es le plus radicalement dans la mouvance &eacute;cologiste se voyaient tr&egrave;s r&eacute;guli&egrave;rement. C&rsquo;est surtout au sein de cet espace familial que je c&ocirc;toyais d&rsquo;autres enfants d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;colos&nbsp;&raquo;, car le territoire o&ugrave; mes parents s&rsquo;&eacute;taient install&eacute;s n&rsquo;&eacute;tait pas du tout investi par les n&eacute;o-ruraux (contrairement &agrave; la commune o&ugrave; vivait mon oncle mara&icirc;cher &agrave; quelques dizaines de kilom&egrave;tres). Je me souviens avoir &eacute;t&eacute; particuli&egrave;rement pr&eacute;occup&eacute; par la question du nucl&eacute;aire&nbsp;: un de mes oncles &eacute;tait militant fondateur d&rsquo;une association de contr&ocirc;le de la radioactivit&eacute;. Je me souviens d&rsquo;une exposition itin&eacute;rante, sans doute au cours d&rsquo;un rassemblement anti-nucl&eacute;aire, l&rsquo;exposition montrait des enfants n&eacute;s d&eacute;form&eacute;s &agrave; cause des radiations &agrave; Tchernobyl.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai donc grandi dans cette commune de l&rsquo;Orne o&ugrave; mes parents ont d&rsquo;abord lou&eacute; puis finalement achet&eacute; un ancien presbyt&egrave;re avec un demi-hectare de terrain. La maison de briques &eacute;tait en tr&egrave;s mauvais &eacute;tat, sans toilettes ni confort, constamment en travaux puisqu&rsquo;ils l&rsquo;ont r&eacute;nov&eacute;e progressivement. Je suis n&eacute; en 1986, et ma s&oelig;ur en 1990. Nous mangions bio (ce qui &eacute;tait alors tr&egrave;s marginal), mes parents m&rsquo;habillaient avec des v&ecirc;tements achet&eacute;s dans les d&eacute;p&ocirc;ts-ventes. Nous avions une toute petite t&eacute;l&eacute;vision qui avait du mal &agrave; capter les cha&icirc;nes. Lorsque j&rsquo;ai eu une console de jeux, elle &eacute;tait d&eacute;j&agrave; d&eacute;mod&eacute;e. Il y avait aussi de quoi s&rsquo;occuper &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur avec le terrain, les moutons, un grand potager et un atelier de menuiserie. Il me semble que j&rsquo;&eacute;tais assez peu sollicit&eacute; pour ces travaux, comme d&rsquo;ailleurs pour les t&acirc;ches m&eacute;nag&egrave;res et domestiques, essentiellement r&eacute;alis&eacute;es par ma m&egrave;re. Je me souviens pourtant que ma m&egrave;re &eacute;tait fi&egrave;re des v&ecirc;tements d&rsquo;occasion qu&rsquo;elle nous achetait &agrave; ma s&oelig;ur et &agrave; moi. Certains &eacute;taient de &laquo;&nbsp;marques&nbsp;&raquo;. Elle me disait&nbsp;: ce sont de bonnes marques, mais tes copains ne les connaissent pas. On a l&agrave; une situation o&ugrave; toute l&rsquo;ambivalence de leur positionnement s&rsquo;exprime, entre rejet de la soci&eacute;t&eacute; de consommation et snobisme&nbsp;: les v&ecirc;tements que ma m&egrave;re m&rsquo;achetait &eacute;taient d&rsquo;occasion et sans marque apparente, ce qui pouvait me faire appara&icirc;tre aux yeux de mes camarades d&rsquo;&eacute;cole comme un pauvre, alors qu&rsquo;il y avait une fiert&eacute; secr&egrave;te chez ma m&egrave;re de nous voire porter &laquo;&nbsp;de grandes marques&nbsp;&raquo;. Mes parents avaient aussi des voitures en mauvais &eacute;tat et pas entretenues. Je me souviens de la crise de &laquo;&nbsp;la vache folle&nbsp;&raquo;&nbsp;: j&rsquo;avais interdiction de manger des bonbons &agrave; la g&eacute;latine. Le MacDo &eacute;tait un endroit maudit&nbsp;; j&rsquo;ai d&ucirc; y aller deux ou trois fois dans mon enfance&nbsp;; d&rsquo;ailleurs je n&rsquo;aimais pas le go&ucirc;t de cette nourriture qui me paraissait fade. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Nous avions un grand jardin o&ugrave; ma m&egrave;re travaillait beaucoup. Nous allions aussi cueillir les m&ucirc;res pour faire de la confiture. Nous ramassions les pommes, les noix, les cerises et nous avons eu &agrave; une &eacute;poque deux moutons achet&eacute;s &agrave; mon oncle mara&icirc;cher bio et &eacute;leveur. Si mes souvenirs sont bons, nous ne les avons pas mang&eacute;s, car ils &eacute;taient quasiment des animaux domestiques &ndash; je crois que nous les avons &eacute;chang&eacute;s contre des b&ecirc;tes d&eacute;j&agrave; abattues, pr&ecirc;tes &agrave; &ecirc;tre cuisin&eacute;es. Il y avait aussi tout l&rsquo;entretien des espaces verts, des haies. J&rsquo;appr&eacute;ciais particuli&egrave;rement la taille des haies. Mes parents me laissaient librement utiliser les outils&nbsp;: serpe, tron&ccedil;onneuse, d&eacute;broussailleuse, etc. &nbsp;J&rsquo;allais chercher le lait &agrave; la ferme d&rsquo;&agrave; c&ocirc;t&eacute;, directement &agrave; la salle de traite. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mes parents n&rsquo;ont jamais milit&eacute; au sein des partis &eacute;cologiques, mais ils les soutenaient et suivaient les candidats avec attention : je me souviens de la candidature de Dominique Voynet en 1995, qu&rsquo;ils suivaient avec enthousiasme. Il y a quelques ann&eacute;es, ma m&egrave;re m&rsquo;avait racont&eacute;, tr&egrave;s &eacute;mue, avoir &eacute;t&eacute; assise &agrave; proximit&eacute; de Jos&eacute; Bov&eacute; dans un rassemblement. En 2002, la candidature de Pierre Rabhi nous a passionn&eacute;s ; j&rsquo;ai d&ucirc; le voir trois ou quatre fois en conf&eacute;rence au cours de mon adolescence, avec et sans mes parents.&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le cadre du Pays d&rsquo;Auge &eacute;tait r&eacute;ellement idyllique, avec ses collines, ses pr&eacute;s, ses pommiers et ses herbages pour chevaux et vaches. Le village accueillait environ 75 habitants, parmi lesquels nous n&rsquo;&eacute;tions que quatre enfants. Nous avions tr&egrave;s peu de relations avec l&rsquo;autre fratrie, bien que prenant le m&ecirc;me car pour aller &agrave; l&rsquo;&eacute;cole. Les seuls souvenirs que j&rsquo;ai d&rsquo;eux, c&rsquo;est leur maison au sein d&rsquo;une ferme avec un bazar pas possible et puis je crois que le gar&ccedil;on avait d&ucirc; me voler mon v&eacute;lo. Nous habitions le m&ecirc;me village, mais avec des r&eacute;alit&eacute;s sociales trop diff&eacute;rentes pour pouvoir entrer en lien.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le village le plus proche pour faire les courses &eacute;tait &agrave; 5 kilom&egrave;tres, mais nous allions plut&ocirc;t &agrave; Gac&eacute;, 2000 habitants, &agrave; 7 km. La &laquo;&nbsp;grande ville&nbsp;&raquo;, Argentan, 15000 habitants &eacute;tait &agrave; 15 km. J&rsquo;ai entam&eacute; ma scolarit&eacute; &agrave; Gac&eacute;&nbsp;;&nbsp; en troisi&egrave;me, je suis parti &agrave; Argentan.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le contexte socio-&eacute;conomique de Gac&eacute;&nbsp;: En 2008 par exemple, le salaire moyen &agrave; Gac&eacute; est de 1532&euro; par mois pour une moyenne nationale de 2016&euro; par mois. Le nombre d&rsquo;habitants sans dipl&ocirc;me est de 45,9% pour une moyenne nationale de 19,3%, le pourcentage d&rsquo;ouvriers est de 40% pour une moyenne nationale de 27%. L&rsquo;Insee identifie la ville comme ayant un degr&eacute; de pauvret&eacute; mon&eacute;taire tr&egrave;s &eacute;lev&eacute; avec une part de personnes ni en emploi ni en formation tr&egrave;s importante chez les 18-25 ans (Insee, 2022).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">De mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, je n&rsquo;&eacute;tais pas tr&egrave;s &agrave; l&rsquo;aise avec les jeunes de mon &acirc;ge, je suis all&eacute; au club de foot, au judo, mais le d&eacute;calage culturel et social &eacute;tait trop important&nbsp;; le m&eacute;pris vis-&agrave;-vis du football n&rsquo;&eacute;tant pas assum&eacute; par mes parents. Mes rares amis venaient d&rsquo;ailleurs ou &eacute;taient eux aussi marginaux pour une raison ou une autre : un jeune Anglais, deux jeunes d&rsquo;origine immigr&eacute;e plac&eacute;s en famille d&rsquo;accueil, certains jeunes vivant dans des familles plus ou moins &laquo; dysfonctionnelles &raquo;&nbsp;; le d&eacute;nominateur commun entre nous tous &eacute;tait de se retrouver en situation d&rsquo;anomie sociale, de manque de rep&egrave;re dans la structure sociale des relations humaines. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai donc eu une enfance assez isol&eacute;e, en tout cas d&eacute;cal&eacute;e, lorsque j&rsquo;&eacute;tais hors des cercles familiaux. La Normandie et particuli&egrave;rement l&rsquo;Orne, &eacute;tant rest&eacute;es tr&egrave;s rurales, n&rsquo;ont pas connu d&rsquo;importante vague de &laquo;&nbsp;migration&nbsp;&raquo; n&eacute;orurale. Nous &eacute;tions donc, avec ma s&oelig;ur, les seuls de notre esp&egrave;ce dans les cercles de socialisation enfantine &ndash;&nbsp;que ce soit &agrave; l&rsquo;&eacute;cole ou dans les loisirs. J&rsquo;&eacute;tais d&eacute;connect&eacute; de mon environnement comme en atteste cette anecdote&nbsp;: jeune adulte, j&rsquo;avais invit&eacute; un ami parisien &agrave; venir passer quelques jours chez mes parents&nbsp;; lors d&rsquo;une balade, celui-ci me demanda comment j&rsquo;occupais tes journ&eacute;es et si, enfant, je chassais. Cela m&rsquo;a beaucoup fait rire, pour lui, pur Parisien, j&rsquo;&eacute;tais un &laquo;&nbsp;rural&nbsp;&raquo;, attach&eacute; au monde paysan et &agrave; celui de la chasse. Or j&rsquo;en avais &eacute;t&eacute; pratiquement aussi &eacute;loign&eacute; que lui. Pour mes parents, les chasseurs &eacute;taient des rustres, des &laquo;&nbsp;fachos&nbsp;&raquo;. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Nous avons d&eacute;m&eacute;nag&eacute; lorsque je suis pass&eacute; en 2<sup>de</sup>. Nous ne sommes pas all&eacute;s loin, dans un autre village situ&eacute; &agrave; une trentaine de kilom&egrave;tres, mais dans le Calvados, &agrave; c&ocirc;t&eacute; de la ville de Falaise (10&nbsp;000 h). Plus proche de Caen, Falaise proposait une plus grande mixit&eacute; sociale et une culture plus urbaine que Gac&eacute; ou m&ecirc;me Argentan. L&rsquo;ambiance du lyc&eacute;e &eacute;tait diff&eacute;rente et il s&rsquo;est agi pour moi d&rsquo;un changement de vie important. J&rsquo;ai rencontr&eacute; un certain nombre d&rsquo;enfants de n&eacute;o-ruraux, de parents &eacute;colos ou partageant des valeurs contre-culturelles et je me suis &laquo;&nbsp;naturellement&nbsp;&raquo; rapproch&eacute; de ces jeunes avec qui je partageais des codes et des valeurs. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">A posteriori, j&rsquo;analyse ce refus comme une &laquo;&nbsp;ob&eacute;issance&nbsp;&raquo; aux valeurs transmises par mes parents&nbsp;: valorisation des marges, rejets du syst&egrave;me scolaire et du syst&egrave;me en g&eacute;n&eacute;ral. En entrant dans l&rsquo;adolescence, j&rsquo;&eacute;tais &agrave; contre-courant des jeunes de ma g&eacute;n&eacute;ration, fid&egrave;le aux id&eacute;es de mes parents, j&rsquo;abhorrais la &laquo;&nbsp;musique industrielle&nbsp;&raquo; et les radios commerciales. En refusant de faire des &eacute;tudes, j&rsquo;&eacute;tais fid&egrave;le aux valeurs li&eacute;es &agrave; la contre-culture, valorisant tout ce qui est antisyst&egrave;me, j&rsquo;allais vers les marges pour ob&eacute;ir &agrave; mon p&egrave;re. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Apr&egrave;s le bac, &agrave; 17 ans, je n&rsquo;ai pas souhait&eacute; faire d&rsquo;&eacute;tudes sup&eacute;rieures. Pendant deux ans, j&rsquo;ai &laquo;&nbsp;fait les saisons&nbsp;&raquo;, un choix qui peut s&rsquo;expliquer au regard des valeurs parentales et surtout paternelles valorisant le voyage et l&rsquo;aventure. Mon p&egrave;re m&rsquo;avait transmis l&rsquo;imaginaire des po&egrave;tes-vagabonds et &nbsp;des &eacute;crivains aventuriers tels Jack London, Nicolas Bouvier ou Jack Kerouac. Mais la r&eacute;alit&eacute; de la vie de saisonnier &eacute;tait tout autre. J&rsquo;ai rencontr&eacute; beaucoup de personnes en situation de grande pr&eacute;carit&eacute;, des travailleurs sans papier, des &laquo;&nbsp;punks &agrave; chien&nbsp;&raquo;, des gens du voyage&hellip; Un univers violent, difficile, o&ugrave; les addictions sont tr&egrave;s pr&eacute;sentes. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Sentant que je pouvais m&rsquo;y perdre &ndash;&nbsp;et aussi parce que j&rsquo;&eacute;tais en couple &ndash; j&rsquo;ai d&eacute;cid&eacute; en 2006 de faire une formation de charpentier avec la f&eacute;d&eacute;ration compagnonnique des m&eacute;tiers du b&acirc;timent. La conversion a &eacute;t&eacute; abrupte et je ne sais pas comment j&rsquo;en suis venu &agrave; choisir ce m&eacute;tier. On peut &nbsp;cependant comprendre ce choix comme r&eacute;ponse &agrave; une double injonction&nbsp;: un m&eacute;tier a valeur symbolique qui me permettait de r&eacute;pondre aux valeurs bourgeoises transmises par mes parents, malgr&eacute; leur rejet de cette classe&nbsp;; il s&rsquo;agissait d&rsquo;aller vers ce qui &eacute;tait prestigieux, reconnu, noble. Mais bien que prestigieux, le m&eacute;tier de charpentier reste un travail d&rsquo;artisan et d&rsquo;ouvrier&nbsp;; en ce sens, cela me permettait de correspondre aux valeurs antisyst&egrave;mes et anti-bourgeoises port&eacute;es par mes parents. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai exerc&eacute; six ans le m&eacute;tier de charpentier. Je n&rsquo;&eacute;tais pas &agrave; l&rsquo;aise dans les entreprises traditionnelles, avec les ouvriers porteurs d&rsquo;un &eacute;thos et de valeurs virilistes auxquels j&rsquo;avais du mal &agrave; m&rsquo;adapter. Au fil des ans, j&rsquo;ai d&eacute;cid&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre plus actif dans ma trajectoire personnelle&nbsp;et j&rsquo;ai rencontr&eacute; une nouvelle compagne, issue elle aussi de milieux n&eacute;o ruraaux (homogamie de classe). </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Je me suis dirig&eacute; vers l&rsquo;&eacute;co-construction. Je m&rsquo;y suis senti plus &agrave; l&rsquo;aise, car ce secteur &eacute;tait pour une bonne part connect&eacute;e au mouvement de retour &agrave; la terre et &agrave; son habitus particulier. Malgr&eacute; cela, je n&rsquo;ai jamais r&eacute;ellement eu le go&ucirc;t du b&acirc;timent&nbsp;; je n&rsquo;&eacute;tais sans doute pas conscient d&rsquo;&ecirc;tre dans les pas de mon p&egrave;re, pionnier du secteur et de ma m&egrave;re &quot;n&eacute;o-artisan&quot;. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">En 2012, apr&egrave;s un chantier en &eacute;coconstruction d&rsquo;un an dans une communaut&eacute; bouddhiste, j&rsquo;ai rejoint ma compagne dans une communaut&eacute; chr&eacute;tienne. J&rsquo;y ai d&rsquo;abord travaill&eacute; sur un poste d&rsquo;agent d&rsquo;entretien &ndash;&nbsp;il s&rsquo;agissait de faire des petites r&eacute;novations, tous corps de m&eacute;tiers confondus au sein du domaine situ&eacute; &agrave; proximit&eacute; de Poitiers. Le domaine assez &eacute;tendu comprenait un ch&acirc;teau, une &eacute;glise, un couvent, un &eacute;levage de moutons, des terres mara&icirc;ch&egrave;res, une &eacute;cole Montessori, un Ehpad, une maison d&rsquo;enfants &agrave; caract&egrave;re social. Y vivaient environ 120 habitants et y travaillaient une centaine de salari&eacute;s (travailleurs sociaux, agriculteurs, instituteurs&hellip;).&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le lieu portait un projet ambitieux, &agrave; la fois social et &eacute;cologique, c&rsquo;est gr&acirc;ce &agrave; des &eacute;changes avec la directrice RH de ce r&eacute;seau que j&rsquo;ai pu op&eacute;rer une reconversion professionnelle vers le travail social. J&rsquo;ai alors pass&eacute; un Dejeps (dipl&ocirc;me d&rsquo;&eacute;tat de la jeunesse des sports, de l&rsquo;&eacute;ducation populaire et des sports) en alternance au sein de la Mecs (maison d&rsquo;enfants &agrave; caract&egrave;re social). Mon implication au sein du r&eacute;seau &eacute;tait totale, nous vivions en communaut&eacute; &laquo; au ch&acirc;teau &raquo; avec de nombreuses personnes pr&eacute;caires, r&eacute;fugi&eacute;es ou en situation de handicap, et je travaillais au sein de la maison d&rsquo;enfants. Les semaines de formations au Cemea (centre d&rsquo;entra&icirc;nement aux m&eacute;thodes d&rsquo;&eacute;ducation active) &eacute;taient de vraies &laquo; bouff&eacute;es d&rsquo;air &raquo;, qui m&rsquo;apportaient un regard, un positionnement id&eacute;ologique et professionnel diff&eacute;rent de celui propos&eacute; par le r&eacute;seau associatif&nbsp;:&nbsp; j&rsquo;y ai d&eacute;couvert les valeurs de l&rsquo;&eacute;ducation populaire. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Apr&egrave;s plusieurs ann&eacute;es tr&egrave;s intenses dans cette communaut&eacute;, nous sommes partis, ma compagne et moi, en Seine-Saint-Denis. Passionn&eacute; par le travail social et la recherche-action, j&rsquo;ai pass&eacute; le dipl&ocirc;me d&rsquo;&eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute;, &agrave; la suite de quoi j&rsquo;ai travaill&eacute; dans un dispositif de pr&eacute;vention innovant, et j&rsquo;ai int&eacute;gr&eacute; un master en sciences de l&rsquo;&eacute;ducation et de la formation (&eacute;ducation tout au long de la vie&nbsp;: &eacute;ducation populaire, &eacute;ducation informelle, formation des adultes) &agrave; Paris 8. R&eacute;aliser le master tout en travaillant &eacute;tait &eacute;prouvant, mais aussi tr&egrave;s riche, cela amenant de la r&eacute;flexivit&eacute; dans la pratique. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Aujourd&rsquo;hui j&rsquo;entre en doctorat de sciences de l&rsquo;&eacute;ducation et de la formation au centre de recherche en &eacute;ducation et formation (Cref) de Paris Nanterre, au sein de l&rsquo;&eacute;quipe &Eacute;ducation familiale et interventions sociales aupr&egrave;s des familles (Efis), en &eacute;tant salari&eacute; (cifre) de la fondation Olga Spitzer.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Mon parcours appara&icirc;t comme une trajectoire de reclassement social, facilit&eacute; par des acquis de classes culturelles, &eacute;conomiques pr&eacute;serv&eacute;s en d&eacute;pit du positionnement de retour &agrave; la terre et des valeurs de contre-culture port&eacute;s par mes parents. Enfant et jeune adulte, j&rsquo;&eacute;tais impr&eacute;gn&eacute; des valeurs et de l&rsquo;id&eacute;ologie de mes parents &eacute;colos n&eacute;oruraux&nbsp;; travailleur social, je me suis d&eacute;tach&eacute; de ces questions qui paraissaient utopistes et d&eacute;cal&eacute;es vis-&agrave;-vis de l&rsquo;urgence des situations rencontr&eacute;es sur le terrain. Parce que ma situation sociale a &eacute;volu&eacute;, aujourd&rsquo;hui doctorant, je ne peux pas nier l&rsquo;urgence &eacute;cologique, et son impact au niveau social. La derni&egrave;re partie de cet article me permet d&rsquo;articuler ce r&eacute;cit autobiographique avec une recherche sociologique sur le positionnement des &eacute;cologistes au sein des rapports antagonistes de classe. &nbsp;&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">La r&eacute;flexion d&rsquo;Hubert Billemont dans sa th&egrave;se de sociologie, <i>L&rsquo;&eacute;cologie politique : une id&eacute;ologie de classes moyennes. </i>(2006)<i> </i>m&rsquo;aide &agrave; penser mon histoire familiale au regard des logiques de classe. Elle &nbsp;para&icirc;t pertinente pour situer mon parcours&nbsp;&ndash;&nbsp;ma famille &eacute;tablie au sein de la mouvance &eacute;cologique &ndash;&nbsp;et comprendre comment cette &laquo; n&eacute;buleuse &raquo; se pla&ccedil;ait dans l&rsquo;espace social. Son travail donne du sens &agrave; mon cheminement professionnel et notamment &agrave; la rupture id&eacute;ologique qui s&rsquo;est op&eacute;r&eacute;e au moment de ma reconversion vers les m&eacute;tiers du social. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Billemont fait l&rsquo;hypoth&egrave;se que &laquo; l&rsquo;apparition du ph&eacute;nom&egrave;ne &eacute;cologiste (appr&eacute;hend&eacute; comme une extension politico-morale du mouvement contre-culturel dans son ensemble) proc&egrave;de de la situation de d&eacute;classement-reclassement &agrave; laquelle sont confront&eacute;es les fractions domin&eacute;es de la classe dominante &raquo; (2006, p.14-15). Il pr&eacute;cise que dans la vision &eacute;cologiste, &laquo; la r&eacute;volte contre le &lsquo;&rsquo;syst&egrave;me&rsquo;&rsquo; ne conduit pas &agrave; chercher n&eacute;cessairement des alli&eacute;s politiques dans le prol&eacute;tariat et la classe ouvri&egrave;re&nbsp;&raquo; (2006, p. ) &ndash; rappelons que la th&egrave;se est &eacute;crite il y a 16 ans. Le positionnement politique de certains partis actuels tend vers un rapprochement entre vision &eacute;cologiste et alliance avec les classes populaires et les organisations qui les repr&eacute;sentent. Il d&eacute;finit le mouvement &eacute;cologiste comme un mouvement des &laquo; classes moyennes intellectuelles &raquo; (2006, p.12) et d&eacute;class&eacute;, &laquo; situ&eacute; en position ambivalente dans la structure sociale &raquo; (2006, p.15). Il d&eacute;crit une &laquo; culture sociale construite dans la double opposition aux classes sup&eacute;rieures (&eacute;conomiquement dominantes) et aux classes populaires (&eacute;conomiquement domin&eacute;s). Cette double ambivalence pourrait expliquer mes difficult&eacute;s d&rsquo;int&eacute;gration au sein de l&rsquo;&eacute;cole, aupr&egrave;s de camarades d&rsquo;&eacute;cole issue des classes ouvri&egrave;res ou bourgeoises, mais bien int&eacute;gr&eacute;es et identifi&eacute;es sur le territoire. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Pour lui, toutes les classes sociales ne sont pas convi&eacute;es &agrave; participer &agrave; cette nouvelle utopie, &laquo; la d&eacute;finition &eacute;cologiste de la nature, malgr&eacute; la pr&eacute;tention d&rsquo;universalit&eacute; dont elle se pare, peut ainsi &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme l&rsquo;instrument symbolique d&rsquo;une lutte sociale que les membres des fractions intellectuelles de la classe moyenne ont engag&eacute; contre les autres groupes &raquo; (2006, p.91). &laquo; Occupant une position sociale totalement ambigu&euml; et incertaine [ils refusent] de s&rsquo;inscrire dans l&rsquo;alternative &laquo; dominant domin&eacute; &raquo;, &laquo; bourgeois-ouvrier &raquo;, ils tentent d&rsquo;&eacute;chapper (de mani&egrave;re illusoire) au jeu des classements sociaux et des hi&eacute;rarchies &eacute;tablies en d&eacute;fendant une cause plan&eacute;taire et universelle &raquo; (2006, p. 99).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Cette dimension id&eacute;ologique et politique me para&icirc;t expliquer le d&eacute;sint&eacute;r&ecirc;t que j&rsquo;ai pu manifester pour l&rsquo;&eacute;cologie durant mes ann&eacute;es &laquo; de terrain &raquo; en tant que travailleur social. De fa&ccedil;on plus g&eacute;n&eacute;rale, cela donne un &eacute;clairage sur un certain rejet des classes populaires pour les th&eacute;matiques et le mode de vie des &eacute;cologistes. Par loyaut&eacute; envers son milieu d&rsquo;origine &ndash; pour certains &ndash;&nbsp; et son public, le travailleur social peut &ecirc;tre tent&eacute; de rejeter un habitus &laquo; &eacute;colo &raquo;&nbsp;; sa loyaut&eacute; s&rsquo;expliquant par l&rsquo;&laquo; &eacute;prouv&eacute; &raquo; des rapports de domination, dont il est &nbsp;amen&eacute; &agrave; faire l&rsquo;exp&eacute;rience, au c&oelig;ur de sa pratique professionnelle. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Pour pr&eacute;ciser et illustrer les propos de Billemont, je reprends &laquo;&nbsp;le cas de l&rsquo;automobile&nbsp;&raquo;. Marqueur de classe, l&rsquo;automobile est un bon analyseur des rapports sociaux. Lorsque j&rsquo;&eacute;tais enfant, mes parents avaient g&eacute;n&eacute;ralement des v&eacute;hicules d&rsquo;occasion, en mauvais &eacute;tat et mal entretenus. Je me souviens que mon p&egrave;re &eacute;tait assez fier de ses voitures. Je me souviens des 4L et de la &laquo;&nbsp;camionnette&nbsp;&raquo; Nissan avec laquelle nous partions en vacances, puis il y a eu une Espace Renault qui servait de v&eacute;hicule quotidien, mais aussi d&rsquo;utilitaire pour les travaux. Mon p&egrave;re &eacute;tait en cela caract&eacute;ristique du profil n&eacute;orural &eacute;colo, &agrave; cela pr&egrave;s que sa voiture se reconnaissait toujours par son c&ocirc;t&eacute; d&eacute;glingu&eacute;, dans une variation de l&#39;habitus&nbsp;&nbsp;ce que d&eacute;crit Billemont sur l&rsquo;usage des v&eacute;hicules par les &eacute;colos&nbsp;: en s&rsquo;appropriant ce type de voiture, neutre, effac&eacute;, ordinaire (&hellip;) ils affichent ostensiblement, &agrave; travers ce rapport &laquo;&nbsp;utilitaire&nbsp;&raquo; et distanci&eacute; &agrave; l&rsquo;objet, leur diff&eacute;rence sociale (qualifi&eacute;e &laquo;&nbsp;d&rsquo;&eacute;thique&nbsp;&raquo;) par rapport &agrave; ceux qui investissent financi&egrave;rement et &laquo;&nbsp;affectivement&nbsp;&raquo; dans des v&eacute;hicules plus chers, plus typ&eacute;s. Ils se d&eacute;marquent ainsi de l&rsquo;usage id&eacute;ologique des repr&eacute;sentations de l&rsquo;automobile) [&hellip;]&nbsp;aussi bien des fractions &eacute;conomiquement dominantes de la bourgeoisie traditionnelle ou lib&eacute;rale, que des membres des classes populaires, dont la conduite en mati&egrave;re d&rsquo;usage automobile leur semble &ecirc;tre une forme d&rsquo;all&eacute;geance aux cat&eacute;gories dominante&nbsp;(2006, p.&nbsp;197). </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Cette position est difficilement tenable lorsque l&rsquo;on est travailleur social &ndash;&nbsp;du moins lorsque l&rsquo;on fait ce travail avec l&rsquo;intention de contribuer &agrave; une plus grande justice sociale. De 2018 &agrave; 2021, j&rsquo;ai travaill&eacute; en tant qu&rsquo;&eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute; en Seine-Saint-Denis, au sein d&rsquo;une &eacute;quipe pluridisciplinaire et multiculturelle. Mes relations y ont &eacute;t&eacute; difficiles. Nous avions des pratiques &eacute;ducatives et des repr&eacute;sentations de l&rsquo;&eacute;ducation parfois oppos&eacute;es. J&rsquo;ai plut&ocirc;t tendance &agrave; d&eacute;fendre une &eacute;ducation &laquo;&nbsp;d&eacute;mocratique&nbsp;&raquo;, inspir&eacute;e par les courants de l&rsquo;&eacute;ducation nouvelle (Freinet, Korczak, Montessori, etc.) et une partie de mes coll&egrave;gues &eacute;taient porteurs de valeurs autres&nbsp;; pour eux, la relation entre l&rsquo;adulte et l&rsquo;enfant est organis&eacute;e autour du respect de l&rsquo;autorit&eacute; de l&rsquo;adulte, dans un mod&egrave;le de relation verticale. Chaque membre de l&rsquo;&eacute;quipe avait son positionnement propre entre ces deux p&ocirc;les&nbsp;: relation verticale ou horizontale. Je repr&eacute;sentais un de ces deux extr&ecirc;mes et, pour certains coll&egrave;gues, mon positionnement &eacute;tait v&eacute;cu comme du laxisme, un manque de cadre ins&eacute;curisant pour les enfants. De l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute;, je jugeais certaines de leurs pratiques trop autoritaires, voire maltraitantes, et ne respectant pas les droits de l&rsquo;enfant.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">&Agrave; travers cette bataille pour les pratiques &eacute;ducatives, il y avait d&rsquo;autres enjeux&nbsp;: des rapports de pouvoir, des rapports de classe, des rapports de domination. Nous &eacute;tions une &eacute;quipe d&rsquo;une vingtaine de professionnels&nbsp;: ma&icirc;tresse de maison, veilleur de nuit, auxiliaire de pu&eacute;riculture, accompagnante &eacute;ducative petite enfance (Cap petite enfance), animateur socio-&eacute;ducatif, &eacute;ducatrice de jeunes enfants, &eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute;, technicienne de l&rsquo;intervention sociale et familiale (Tisf). Parmi tous ces dipl&ocirc;mes et formations, le rang d&rsquo;&eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute; est le plus &eacute;lev&eacute; (avec celui d&rsquo;&eacute;ducatrice de jeunes enfants), ce qui me situait en termes de dipl&ocirc;me et de salaire au sommet de la hi&eacute;rarchie de l&rsquo;&eacute;quipe au niveau &laquo;&nbsp;terrain&nbsp;&raquo; &ndash;&nbsp;j&rsquo;exclus volontairement de mon propos l&rsquo;&eacute;quipe-cadre (psychologue, directrice et cheffe de service). </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">D&rsquo;autres facteurs sont &agrave; prendre en compte pour comprendre les rapports de domination. La plupart de mes coll&egrave;gues &eacute;taient originaires de quartiers populaires et/ou &eacute;trangers, issus de l&rsquo;immigration, avec une exp&eacute;rience &eacute;prouv&eacute;e de l&rsquo;injustice sociale et des rapports de classe et de &laquo;&nbsp;race&nbsp;&raquo;. De mon c&ocirc;t&eacute;, j&rsquo;&eacute;tais un homme blanc, issu de la classe moyenne intellectuelle. On peut aussi int&eacute;grer la question du genre, la plupart de mes coll&egrave;gues &eacute;taient des femmes. Nous &eacute;tions deux hommes dans l&rsquo;&eacute;quipe de jour, quatre en int&eacute;grant les veilleurs de nuit, sur une &eacute;quipe de vingt personnes environ.&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Lors des conflits parfois virulents, ma principale antagoniste &eacute;tait une femme, de parents immigr&eacute;s et originaires de quartiers populaires. Les conflits li&eacute;s aux pratiques &eacute;ducatives &eacute;taient aliment&eacute;s par un conflit de classe, de race et de genre qui nous situait respectivement dans une situation de domin&eacute;/dominant. Par ailleurs, je crois qu&rsquo;il y avait dans ma posture, dans cet h&eacute;ritage &eacute;cologiste, quelque chose d&rsquo;ambivalent, un d&eacute;ni du rapport de classe, qui pouvait &ecirc;tre per&ccedil;u comme un m&eacute;pris de classe, une violence symbolique. Ces conflits ont pu se r&eacute;soudre et mon int&eacute;gration dans l&rsquo;&eacute;quipe a pu se faire notamment parce, lors des s&eacute;minaires &agrave; paris 8, j&rsquo;ai travaill&eacute; sur ces questions, conscientis&eacute; et identifi&eacute; ces rapports de pouvoir, de classe, de race et de genre.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">&Agrave; cette &eacute;poque, j&rsquo;ai achet&eacute; une voiture neuve. Je me souviens que cette coll&egrave;gue, avec qui les relations &eacute;taient particuli&egrave;rement conflictuelles, m&rsquo;avait dit quelque chose comme&nbsp;: &laquo;&nbsp;ouah, l&agrave; Martin, tu as assur&eacute;. F&eacute;licitations, tu nous as tous d&eacute;pass&eacute;s&nbsp;!&nbsp;&raquo;. Elle &eacute;tait r&eacute;ellement contente pour moi. Acheter quelque chose de neuf, en particulier un v&eacute;hicule, est un signe de r&eacute;ussite. C&rsquo;est quelque chose de valoris&eacute; dans les milieux populaires, contrairement &agrave; mon milieu d&rsquo;origine o&ugrave; c&rsquo;est plut&ocirc;t mal per&ccedil;u. J&rsquo;interpr&egrave;te aussi la validation de mon achat comme une r&eacute;solution du conflit li&eacute;e au fait que mon statut social, mon appartenance aux classes moyennes et la capacit&eacute; de pouvoir d&rsquo;achat qui y sont corr&eacute;l&eacute;s, sont assum&eacute;s, identifi&eacute;s et identifiables. Auparavant, mon positionnement &eacute;tait flou puisque j&rsquo;empruntais les transports en commun comme ceux qui les utilisent non par id&eacute;ologie, mais par contrainte &eacute;conomique &ndash; il est connu que se d&eacute;placer en transports en commun en Seine-Saint-Denis, de banlieue &agrave; banlieue, est particuli&egrave;rement p&eacute;nible&nbsp;; le temps pass&eacute; est deux &agrave; trois fois plus long qu&rsquo;en voiture. Dans ce contexte, on comprendra que les personnes qui en ont la possibilit&eacute; utilisent leur v&eacute;hicule pour &laquo;&nbsp;gagner&nbsp;&raquo; parfois plusieurs heures, &eacute;viter des frais de garderie, s&rsquo;occuper de leur famille, etc. La valeur symbolique de cet achat a &eacute;t&eacute; positive&nbsp;; pour autant mon propos n&rsquo;est nullement une apologie de la voiture&hellip; Cette vignette clinique illustre les diff&eacute;rents rapports de domination qui peuvent exister autour des valeurs &eacute;cologistes. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Bruno Latour et Nicolas Schultz&nbsp;brossent le portrait d&rsquo;une classe &eacute;cologique &agrave; venir,&nbsp;potentiellement majoritaire&nbsp;(2022, p.55) et qui comme le sugg&egrave;re le sous-titre, doit&nbsp;&laquo;&nbsp;prendre conscience d&rsquo;elle-m&ecirc;me&nbsp;&raquo; (2022). Je les rejoins dans le sens o&ugrave; se dessine une gestion &eacute;cologique de plus en plus technocratique, fond&eacute;e sur des projets de g&eacute;o-ing&eacute;nierie plus qu&rsquo;inqui&eacute;tants (Foucart, 2022). Les classes moyennes et populaires font face &agrave; une classe dirigeante de plus en plus d&eacute;complex&eacute;e et en ce sens ont des int&eacute;r&ecirc;ts communs &agrave; d&eacute;fendre en termes de justice climatique, et de protection de leurs espaces d&rsquo;habitabilit&eacute;s. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Cependant, j&rsquo;apporte un point de vigilance &agrave; ce programme, les promoteurs d&rsquo;une victoire politique de l&rsquo;&eacute;cologisme doivent prendre en compte leurs positionnements dans le monde social et la mani&egrave;re dont ils s&rsquo;inscrivent dans les rapports de domination, ceci d&rsquo;autant plus que l&rsquo;histoire du mouvement &eacute;cologiste correspond &agrave; l&rsquo;organisation de la d&eacute;fense des int&eacute;r&ecirc;ts des classes moyennes intellectuelles et d&rsquo;une partie des classes dominantes. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px">&nbsp;</p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Il n&rsquo;est pas si simple de dire &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; en sciences humaines, il l&rsquo;est encore moins de prendre son propre parcours comme donn&eacute;e de recherche, c&rsquo;est le rapport intime, &laquo;&nbsp;&eacute;prouv&eacute;&nbsp;&raquo; qui me relie aux th&eacute;matiques de ce num&eacute;ro et &agrave; leurs articulations qui m&rsquo;y a d&eacute;cid&eacute;. Faisant le pari que l&rsquo; &laquo;&nbsp;exposition de soi&nbsp;&raquo; nous am&egrave;ne &nbsp;dans des endroits o&ugrave; nous ne serions pas all&eacute;s autrement.&nbsp;(Dub&eacute;, 2015, p.194) &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">J&rsquo;ai cherch&eacute; &agrave; d&eacute;montrer l&rsquo;existence d&rsquo;une unit&eacute; de classe au sein de la n&eacute;buleuse &eacute;cologiste. &Agrave; travers cette d&eacute;marche, j&rsquo;ai propos&eacute; un regard situ&eacute;, micro-ethnographique sur la trajectoire d&rsquo;un &laquo;&nbsp;n&eacute;o-rural de deuxi&egrave;me g&eacute;n&eacute;ration&nbsp;&raquo; dans son rapport &agrave; l&rsquo;&eacute;cologie et au travail social. Avec une grande admiration pour les travaux de Rose Marie Lagrave, Reed-Danahay et Didier Eribon, j&rsquo;ai tent&eacute; de d&eacute;sintriquer quelques implications complexes me situant vis-&agrave;-vis des classes moyennes, populaires et dominantes &agrave; l&rsquo;aide d&rsquo;une conception d&rsquo;inspiration bourdieusienne. Dans cette d&eacute;marche, j&rsquo;assume, &agrave; l&rsquo;instar de Gabrielle Dub&eacute; une vis&eacute;e transformatrice &agrave; destination de l&rsquo;auteur comme du lecteur&nbsp;: &nbsp;la critique r&eacute;flexive sur son propre positionnement comme chercheur inspire le lecteur et l&rsquo;incite &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir de fa&ccedil;on critique sur sa propre exp&eacute;rience de vie&hellip;&nbsp;(Dub&eacute;, 2015, p.194) et en l&rsquo;occurrence, plus particuli&egrave;rement, son propre positionnement vis-&agrave;-vis de l&rsquo;&eacute;cologie et du travail social.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><b>Bibliographie</b></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Alix, J.,&nbsp;Bertrand, D.,&nbsp;Brun, J.,&nbsp;Chauvi&egrave;re, M. &amp;&nbsp;Garrigue, G. (2017).&nbsp;<i>Debout pour nos m&eacute;tiers du travail social !</i>. &Eacute;r&egrave;s.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Bourdieu, P. (2004).&nbsp;<i>Esquisse pour une auto-analyse</i>. Raisons d&rsquo;Agir &Eacute;d. </span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Catellani, A. (2021). Changement climatique : d&eacute;ni, n&eacute;gation et climato-scepticisme. <i>Publictionnaire. Dictionnaire encyclop&eacute;dique et critique des publics. </i></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Charles<span style="background:white">, C. (2020). <i>Des &eacute;ducateurs et &eacute;ducatrices int&eacute;rimaires dans les&nbsp;foyers de&nbsp;l&rsquo;enfance: Un contr&ocirc;le social renouvel&eacute;&nbsp;?</i>&nbsp;Journal des anthropologues, pp 160-161, pp 89-101.&nbsp;<u> </u></span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Cheval, P.,&nbsp;Guzniczak, B. &amp;&nbsp;Chauvi&egrave;re, M. (2020). <i>L&rsquo;&eacute;nigme du travail social</i>.&nbsp;Les Cahiers Dynamiques, pp78, pp 6-16.&nbsp;</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">DREES. (2022, f&eacute;vrier). <i>Les professions sociales</i>.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Dub&eacute;, G. C., &amp; Paill&eacute;, P. (2015).&nbsp;<i>Parcours d&rsquo;une formatrice d&rsquo;enseignants au Qu&eacute;bec : Autoethnographie d&rsquo;une qu&ecirc;te transpersonnelle</i>. L&rsquo;Harmattan.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Duchamp M., Bouquet B., Drouard H., (1989), - <i>La recherche en travail social</i>, Paris, Le Centurion p.110.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Emelianoff, C. (2008). La probl&eacute;matique des in&eacute;galit&eacute;s &eacute;cologiques, un nouveau paysage conceptuel.&nbsp; <i>&Eacute;cologie &amp; politique</i>, 35, 19-31.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Eribon, D., &amp; Louis, &Eacute;. (2018).&nbsp;<i>Retour &agrave; Reims</i>. Flammarion.</span></span></span></span></p> <p style="text-indent:-0.55pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">Foucart, S. (2022, 29 mai). Climat : &laquo; Certaines des technologies envisag&eacute;es pour maintenir habitable la Terre rel&egrave;vent du cauchemar &raquo;. <i>Le Monde.fr</i>.</span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Garrigue, G. (2017). 5<i>. D&eacute;fendre la qualit&eacute; des outils et des pratiques</i>. Dans : Jean-S&eacute;bastien Alix &eacute;d.,&nbsp;<i>Debout pour nos m&eacute;tiers du travail social</i>&nbsp;(pp. 115-150). </span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Giraudat, A. (2021, avril 22). <i>Le racisme environnemental</i>.&nbsp;<i>Notre Affaire &agrave; Tous</i>. </span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Guibet, C. Lafaye,&nbsp;<i>&laquo;&nbsp;La domination sociale dans le contexte contemporain&nbsp;&raquo;,</i>&nbsp;Recherches sociologiques et anthropologiques, 45-1&nbsp;|&nbsp;2014, 127-145.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Iori, R. &amp;&nbsp;Charles, C. (2020). <i>Regards sur les usages de la cat&eacute;gorie &laquo;&nbsp;travail social&nbsp;&raquo; dans les recherches en sciences humaines et sociales</i>.&nbsp;Recherche &amp; formation, 94, 83-99. </span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Keucheyan, R. (2018). 1. Racisme environnemental. Dans : , R.&nbsp;Keucheyan,&nbsp;<i>La nature est un champ de bataille: Essai d&#39;&eacute;cologie politique</i>&nbsp;(pp. 19-84). Paris: La D&eacute;couverte.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Lagrave, R.-M. (2021).&nbsp;<i>Se ressaisir. Enqu&ecirc;te autobiographique d&rsquo;une transfuge de classe f&eacute;ministe</i>. La D&eacute;couverte.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Latour, B., &amp; Schultz, N. (2022).&nbsp;<i>M&eacute;mo sur la nouvelle classe &eacute;cologique : Objet : comment faire &eacute;merger une classe &eacute;cologique consciente et fi&egrave;re d&rsquo;elle-m&ecirc;me date : janvier 2022 diffusion : membres des partis &eacute;cologiques et leurs &eacute;lecteurs pr&eacute;sents et &agrave; venir</i>. les Emp&ecirc;cheurs de penser en rond-&Eacute;ditions la D&eacute;couverte.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">L&eacute;ger, D. &amp; Hervieu, B. (1979). 1. Exodes utopiques. Dans : , D. L&eacute;ger &amp; B. Hervieu (Dir), Le retour &agrave; la nature: &laquo; Au fond de la for&ecirc;t... l&#39;&Eacute;tat &raquo; (pp. 13-37). Paris: Le Seuil.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <a name="_Hlk104831014">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</a></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Le Grand, J-L. (1988)<i> Etude d&#39;une exp&eacute;rience communautaire &agrave; orientation th&eacute;rapeutique : histoire de vie de groupe.</i> [th&egrave;se]. </span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Le Grand, J-L. Pineau, G. (1993), <i>Les histoires de vie</i>, Que sais-je.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Le Grand J-L. [2006], <i>Implexit&eacute; : implications et complexit&eacute;</i>, document &eacute;lectronique in http://www.barbier-rd.nom.fr </span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Libois, J. (2018). Pr&eacute;carisation du travail social. <i>Digression sur la notion de pr&eacute;carit&eacute;</i>.&nbsp;Le Sociographe, 64, 85-94.&nbsp;</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Li&eacute;nard, G. Mangez, E. (2015) R&eacute;gimes d&rsquo;action et rapports de pouvoir. Vers un approfondissement de la th&eacute;orie bourdieusienne de la domination&nbsp;?.&nbsp;<i>Recherches sociologiques et anthropologiques</i>, 46.<u> </u></span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Puaud, D. (2017). Biopolitique du travail social.&nbsp;<i>Multitudes</i>,&nbsp;<i>67</i>(2), 179‑187.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Georges&nbsp;Li&eacute;nard&nbsp;et &Eacute;ric&nbsp;Mangez,&nbsp;&laquo;&nbsp;R&eacute;gimes d&rsquo;action et rapports de pouvoir. Vers un approfondissement de la th&eacute;orie bourdieusienne de la domination&nbsp;?&nbsp;&raquo;,&nbsp;<i>Recherches sociologiques et anthropologiques</i>&nbsp;[En ligne], 46-1</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Reed-Danahay, D. (2017). Bourdieu and Critical Autoethnography : Implications for Research, Writing, and Teaching.&nbsp;<i>International Journal of Multicultural Education</i>,&nbsp;<i>19</i>(1), 144.&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Rouvi&egrave;re, C. (2015).&nbsp;<i>Retourner &agrave; la terre : L&rsquo;utopie n&eacute;o-rurale en Ard&egrave;che depuis les ann&eacute;es 1960</i>. Presses universitaires de Rennes.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Schwartz, O. (2009). Vivons-nous encore dans une soci&eacute;t&eacute; de classes ?&nbsp;<i>La Vie des id&eacute;es</i>.&nbsp;<u> </u></span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Schwartz, O. (2011). Peut-on parler des classes populaires ? <i>La Vie des id&eacute;es</i>. </span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">Schutz, A., &amp; B&eacute;gout, B. (2010).&nbsp;<i>L&rsquo;&eacute;tranger suivi de L&rsquo;homme qui rentre au pays : Un essai de psychologie sociale</i>&nbsp;(2e &eacute;d). &Eacute;d. Allia.</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">S&eacute;raphin, G. (2012)<i> Le regard situant. L&rsquo;exemple de la politique familiale dans la France contemporaine.</i>&nbsp;M&eacute;moire de HDR, Universit&eacute; Paris V Descartes.</span></span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="color:black">European Association Of Schools Of Social Work, E. A. S. S. W. (2017). <i>D&eacute;finition globale du travail social</i>. EASSW. Consult&eacute; le 25 f&eacute;vrier 2022, &agrave; l&rsquo;adresse https://www.eassw.org/language/english/</span></span></span></span></p> <p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><i><span style="color:black">Salaire moyen &agrave; Gac&eacute; (61230)</span></i><span style="color:black">. (2022). Journal du net.&nbsp;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span style="color:black">Dossier complet<i> &minus; Commune de Gac&eacute; (61181) | Insee</i>. (2022).</span></span></span></span></span></p>