<p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Pendant la crise du Covid-19, le recours &agrave; l&rsquo;aide alimentaire est devenu un sujet r&eacute;current dans le d&eacute;bat public. Les images des longues queues d&rsquo;&eacute;tudiantEs &agrave; l&rsquo;attente de colis ou les d&eacute;clarations des associations b&eacute;n&eacute;ficiaires d&rsquo;une habilitation &agrave; l&rsquo;aide alimentaire, qui estimaient que le nombre de b&eacute;n&eacute;ficiaires avait doubl&eacute; en moins de dix ans, ont mis en &eacute;vidence le paradoxe que repr&eacute;sente la persistance de la faim sur le territoire national malgr&eacute; une surproduction agricole (pr&egrave;s de 10 millions de tonnes de nourriture sont gaspill&eacute;es chaque ann&eacute;e en France<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">[1]</span></span></span></span></span></a>). &Agrave; travers une enqu&ecirc;te ethnographique aupr&egrave;s des espaces de distribution de nourriture mis en place par l&rsquo;association des Restaurants de C&oelig;ur, l&rsquo;anthropologue B&eacute;n&eacute;dicte Bonzi propose un regard d&eacute;taill&eacute; sur cette partie de la population fran&ccedil;aise touch&eacute;e par la pr&eacute;carit&eacute; alimentaire, dans d&rsquo;autres mots, cette &laquo;&nbsp;France qui a faim&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">B&eacute;n&eacute;dicte Bonzi est docteure en anthropologie sociale et chercheuse associ&eacute;e au LAP (Laboratoire d&rsquo;Anthropologie Politique). Issu de sa th&egrave;se doctorale, son livre &laquo;&nbsp;La France qui a Faim&nbsp;&raquo; cherche &agrave; interroger ce que r&eacute;v&egrave;le l&rsquo;exercice du don de nourriture aujourd&rsquo;hui, dans une &laquo;&nbsp;soci&eacute;t&eacute; d&rsquo;abondance&nbsp;&raquo; (p.13) et un monde agricole en grande difficult&eacute;. Explorant l&rsquo;association des <i>Restos du C&oelig;ur</i> &ndash; son histoire, l&rsquo;organisation des espaces de distribution et les profils des b&eacute;n&eacute;ficiaires et des b&eacute;n&eacute;voles &ndash; et l&rsquo;&eacute;volution des politiques agricoles qui encadrent l&rsquo;aide alimentaire en France, l&rsquo;autrice parvient &agrave; rendre compte des complicit&eacute;s entre les injustices du syst&egrave;me alimentaire contemporain et la mani&egrave;re dont les pouvoirs publics ont institutionnalis&eacute; l&rsquo;aide alimentaire.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">L&rsquo;enqu&ecirc;te tourne autour de deux notions centrales&nbsp;: le don alimentaire et les violences alimentaires. La premi&egrave;re constitue le cadre th&eacute;orique d&rsquo;analyse. &Agrave; travers une lecture des travaux de Mauss, Caill&eacute;, Godbout et Godelier en anthropologie du don, Bonzi souhaite&nbsp;&laquo;&nbsp;<span style="color:black">distinguer l&rsquo;&eacute;conomie du don dans sa sp&eacute;cificit&eacute; et la confronter &agrave; celle du march&eacute; lib&eacute;ral classique</span>&nbsp;&raquo; (p. 71). Elle montre ainsi comment, soumis &agrave; une &eacute;conomie de march&eacute; lib&eacute;ral et en d&eacute;pit des volont&eacute;s individuelles des b&eacute;n&eacute;voles, le don alimentaire devient le th&eacute;&acirc;tre de rapports de domination. Bas&eacute;e sur ce constat, l&rsquo;autrice formule la notion de &laquo;&nbsp;violences alimentaires&nbsp;&raquo; pour faire r&eacute;f&eacute;rence au non-respect du droit &agrave; l&rsquo;alimentation chez les b&eacute;n&eacute;ficiaires des aides. En revanche, si Bonzi s&rsquo;appuie d&rsquo;observations sur les espaces de distribution pour d&eacute;crire et caract&eacute;riser l&rsquo;expression des violences alimentaires, elle s&rsquo;efforce pour rappeler que ce n&rsquo;est pas l&rsquo;aide alimentaire qui est violente. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une violence structurelle caus&eacute;e par un syst&egrave;me alimentaire global qui se sert de l&rsquo;aide alimentaire pour reproduire un mod&egrave;le privil&eacute;giant le profit marchand sur la dignit&eacute; humaine.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><b><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif"><span style="color:#9a4c91">Synth&egrave;se de l&rsquo;ouvrage</span></span></span></span></b></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Cherchant &agrave; d&eacute;crire finement les dispositifs d&rsquo;aide alimentaire et les enjeux de pouvoir sous-jacents, l&rsquo;autrice divise son ouvrage en quatre parties&nbsp;: &nbsp;</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">La premi&egrave;re partie de l&#39;ouvrage est consacr&eacute;e &agrave; la compr&eacute;hension de ce qu&#39;est le don alimentaire aujourd&#39;hui. Dans un premier temps, la chercheure retrace l&#39;histoire des <i>Restaurants du C&oelig;ur</i> depuis sa fondation en 1985 par le com&eacute;dien Michel Colucci. Elle rappelle que le projet s&#39;appuie sur les exc&eacute;dents de la politique agricole commune (PAC) et montre comment l&#39;aide alimentaire s&#39;est d&eacute;velopp&eacute;e dans le contexte d&#39;une &eacute;conomie de la surproduction et des bas prix, ce qui a entra&icirc;n&eacute; une &eacute;norme d&eacute;tresse pour les producteurs. Par la suite, elle propose une d&eacute;finition du don alimentaire sous l&#39;angle anthropologique. Elle montre comment celui-ci peut &ecirc;tre le th&eacute;&acirc;tre de violences, d&#39;humiliations et d&#39;injustices. Cependant, elle souligne &eacute;galement comment, principalement motiv&eacute;s par des valeurs morales et le principe de justice, les b&eacute;n&eacute;voles parviennent &agrave; rendre visibles les r&eacute;sistances aux violences et les liens sociaux qui se cr&eacute;ent &agrave; travers leur activit&eacute;.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Apr&egrave;s avoir expliqu&eacute; les enjeux sous-jacents &agrave; l&rsquo;exercice du don alimentaire, Bonzi se penche sur ces <i>visages cach&eacute;s</i> qui doivent se soumettre aux dispositifs d&rsquo;aide alimentaire dans un pays o&ugrave; &laquo;&nbsp;les aliments sont abondants et les droits fondamentaux&nbsp;&raquo; (p. 107).<b> </b>&Agrave; travers une&nbsp;ethnographie du non-respect de leurs droits, elle cherche &agrave; faire une description de la &laquo;&nbsp;faim des b&eacute;n&eacute;ficiaires de l&rsquo;aide alimentaire&nbsp;&raquo; (p. 110). Ainsi, nous est pr&eacute;sent&eacute;e la mani&egrave;re dont les diff&eacute;rentes n&eacute;cessit&eacute;s non-satisfaites &ndash; se loger, s&rsquo;instruire, travailler, se soigner, etc&hellip; &ndash; s&rsquo;articulent avec la pr&eacute;carit&eacute; alimentaire des b&eacute;n&eacute;ficiaires enqu&ecirc;t&eacute;s.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">La troisi&egrave;me partie s&rsquo;attarde sur les dimensions &eacute;thiques soulev&eacute;es par l&rsquo;aide alimentaire. Bonzi commence par mettre en lumi&egrave;re les contradictions auxquelles font face les b&eacute;n&eacute;voles des <i>Restos du C&oelig;ur </i>au quotidien. Face &agrave; l&rsquo;&eacute;vidence &laquo;&nbsp;naturelle&nbsp;&raquo; que le droit &agrave; l&rsquo;alimentation est fondamental pour l&rsquo;existence humaine et confront&eacute;s de mani&egrave;re constante au non-respect de ce droit, cette tension se trouve &agrave; l&rsquo;origine de leur engagement et conduit &agrave; l&rsquo;&eacute;mergence de leur propre conception de justice. Par la suite, Bonzi va retracer le parcours de demande pour devenir b&eacute;n&eacute;ficiaire des dispositifs de l&rsquo;association &ndash; autres que la maraude &ndash; afin de montrer les grosses difficult&eacute;s qui caract&eacute;risent ce parcours.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Dans la quatri&egrave;me et derni&egrave;re partie, l&rsquo;autrice introduit la notion de &laquo;&nbsp;violences alimentaires&nbsp;&raquo; et explique son int&eacute;r&ecirc;t m&eacute;thodologique, th&eacute;orique et politique. Cons&eacute;quences directes des injustices du syst&egrave;me alimentaire contemporain, elles sont rendues visibles dans les lieux de distribution alimentaire. Pourtant, elle met en valeur l&rsquo;action des b&eacute;n&eacute;voles en soulignant l&rsquo;&eacute;conomie morale qui se d&eacute;veloppe &agrave; travers leurs actions. En effet, c&rsquo;est &agrave; partir de leurs formes de r&eacute;sistance quotidienne aux incoh&eacute;rences des normes qui encadrent le don de nourriture que l&rsquo;autrice propose de transformer l&rsquo;aide alimentaire. Sous forme de conclusion, Bonzi montre en quoi le mod&egrave;le d&rsquo;une S&eacute;curit&eacute; Sociale de l&rsquo;Alimentation (SSA) pourrait r&eacute;soudre une grande partie des probl&eacute;matiques soulev&eacute;es.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><b><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif"><span style="color:#9a4c91">Analyse</span></span></span></span></b></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Trois grandes id&eacute;es se d&eacute;gagent de la lecture de cet ouvrage. Plut&ocirc;t que d&rsquo;assurer une alimentation digne, l&rsquo;aide alimentaire contribue &agrave; refreiner la violence provoqu&eacute;e par le non-respect du droit &agrave; l&rsquo;alimentation sans s&rsquo;attaquer &agrave; ses origines structurelles. &laquo;&nbsp;Lorsque les b&eacute;n&eacute;voles distribuent leur plat de r&eacute;sistance, c&rsquo;est avant tout une population &eacute;conomiquement &agrave; l&rsquo;abri qu&rsquo;ils prot&egrave;gent des cons&eacute;quences de la pauvret&eacute; (vols, r&eacute;voltes, &eacute;meutes de la faim)&nbsp;&raquo; (p. 15). En observant le fonctionnement de l&rsquo;aide alimentaire, Bonzi met en &eacute;vidence des choix politiques du gouvernement dans sa gestion de la population et, plus pr&eacute;cis&eacute;ment, de la pauvret&eacute;. Imbriqu&eacute; aux logiques marchandes du syst&egrave;me agro-alimentaire contemporain, l&rsquo;aide alimentaire permet l&rsquo;exercice d&rsquo;un <i>pouvoir disciplinaire&nbsp;; </i>selon Foucault, la discipline est une m&eacute;thode de gouvernance des corps qui implique de les organiser dans l&#39;espace en fonction de leur statut, leurs forces, leurs r&ocirc;les, etc., tout en contr&ocirc;lant leurs comportements et attitudes pour les rendre dociles et soumis, et donc utiles. Cela suppose la cr&eacute;ation de dispositifs qui garantissent la p&eacute;rennit&eacute; de cette normalisation, notamment en utilisant des connaissances qui l&eacute;gitiment ces conduites prescrites par le pouvoir disciplinaire comme des v&eacute;rit&eacute;s naturelles. En d&#39;autres termes, le pouvoir disciplinaire utilise des techniques sociales et mat&eacute;rielles telles que la visibilit&eacute;, le dressage et la p&eacute;dagogie pour fa&ccedil;onner une identit&eacute; en harmonie avec ce pouvoir. &nbsp;En effet, &ecirc;tre aid&eacute; semble justifier le fait de ne pas pr&eacute;tendre &agrave; un droit plein et entier. Il semble injuste que quelqu&rsquo;un qui ne paye pas sa nourriture mange mieux que celui qui travaille. Cette normalisation permet de cliver la population entre ceux qui sont capables de r&eacute;pondre aux normes et m&eacute;ritent de se nourrir et ceux qui sont incapables et, par cons&eacute;quent, s&rsquo;exposent quotidiennement au risque de mourir. </span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">En pliant le don alimentaire aux r&egrave;gles du march&eacute; capitaliste contemporain (appel d&rsquo;offres, libre concurrence, respect des r&egrave;gles d&rsquo;hygi&egrave;nes&hellip;), les pouvoirs publics le d&eacute;pouillent de la r&eacute;ciprocit&eacute; qu&rsquo;il suscite. Ce qui est vis&eacute; n&rsquo;est plus le don/contre-don, mais un dispositif efficient o&ugrave; un seul produit peut g&eacute;n&eacute;rer davantage de profit sans s&#39;attaquer aux probl&egrave;mes structurels caus&eacute;s par la surproduction agricole. L&#39;autrice d&eacute;nonce ainsi comment le syst&egrave;me d&rsquo;aide alimentaire se transforme pour non seulement absorber les surplus du march&eacute; alimentaire mais contribuer &agrave; son d&eacute;veloppement &agrave; travers une injonction &agrave; la surconsommation. Subordonner la nourriture aux lois du march&eacute; alimentaire implique donc l&rsquo;exercice de deux formes de biopouvoir (Larochelle, 2016)&nbsp;: discipliner les corps qui re&ccedil;oivent gratuitement de la nourriture &ndash; que personne n&rsquo;a voulu &ndash; et gouverner &laquo;&nbsp;les corps qui doivent consommer toujours plus, vouloir choisir et ainsi permettre l&rsquo;essor de la production agroalimentaire dans tous les exc&egrave;s et d&eacute;rives qu&rsquo;elle g&eacute;n&egrave;re&nbsp;&raquo; (p. 386). &Agrave; propos de la notion Foucaldienne de <i>biopouvoir</i>, Achille Mbemb&eacute; (2006) propose une explication synth&eacute;tique tr&egrave;s utile &agrave; mes propres yeux&nbsp;: &laquo;&nbsp;Dans la formulation de Foucault, le biopouvoir semble fonctionner en distinguant les personnes qui doivent mourir de celles qui doivent vivre. Parce qu&rsquo;il op&egrave;re sur la base d&rsquo;une division entre le vivant et le mort, un tel pouvoir se d&eacute;finit lui-m&ecirc;me en lien avec le champ biologique &ndash; dont il prend le contr&ocirc;le et dans lequel il s&rsquo;investit. Ce contr&ocirc;le pr&eacute;suppose la distribution des esp&egrave;ces humaines en diff&eacute;rents groupes, la subdivision de la population en sous-groupes, et l&rsquo;&eacute;tablissement d&rsquo;une c&eacute;sure biologique entre les uns et les autres.&nbsp;&raquo; </span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Les violences alimentaires se rendent palpables de diff&eacute;rentes mani&egrave;res, les rep&eacute;rer est fondamental pour d&eacute;voiler les logiques sous-jacentes &agrave; l&rsquo;organisation du syst&egrave;me alimentaire contemporain. &Agrave; l&rsquo;intersection entre &laquo;&nbsp;une politique agricole qui impose de produire toujours plus, une politique lib&eacute;rale qui laisse le march&eacute; fixer les r&egrave;gles de l&rsquo;offre et la demande et une politique sociale bas&eacute;e sur le don et soucieuse de couter moins cher&nbsp;&raquo; (p. 14), le syst&egrave;me alimentaire fran&ccedil;ais est source de rapports de domination et de violences. Pourtant, celles-ci ne s&rsquo;expriment pas de mani&egrave;re quotidienne. L&rsquo;enqu&ecirc;te de Bonzi nous montre comment, dans les espaces pr&eacute;cis de distribution gratuite de paniers alimentaires ou de repas chauds, cette violence devient palpable&nbsp;: &laquo;&nbsp;comme sous les lignes d&rsquo;haute tension, ou les cheveux se dressent&hellip;&nbsp;&raquo; (p. 303). Ceci parce qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;espaces rassemblant des personnes dont le droit &agrave; l&rsquo;alimentation n&rsquo;est pas respect&eacute;. </span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Bien que l&rsquo;autrice commence par d&eacute;crire comment les violences alimentaires surgissent de mani&egrave;re spontan&eacute;e, elle rejoint tr&egrave;s rapidement les travaux de Fran&ccedil;oise H&eacute;ritier pour rappeler que &laquo;&nbsp;la violence n&rsquo;est pas un trait de caract&egrave;re isol&eacute;&nbsp;(&hellip;) elle est le produit de m&eacute;langes d&eacute;tonants&nbsp;&raquo; (H&eacute;ritier, 2003). Les violences alimentaires sont donc structurelles, elles se caract&eacute;risent &laquo;&nbsp;par la force intentionnelle, ou non, qui emp&ecirc;che une personne d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; son droit &agrave; l&rsquo;alimentation&nbsp;&raquo; (p. 305). Afin de les d&eacute;crire, Bonzi va en distinguer deux formes d&rsquo;expression&nbsp;: violence physique, se manifestant dans les probl&egrave;mes de sant&eacute; li&eacute;s &agrave; l&rsquo;alimentation observ&eacute;s chez les b&eacute;n&eacute;ficiaires, et psychique, des atteintes morales vari&eacute;es parmi lesquelles se trouvent l&rsquo;isolement, la frustration ou les intimidations. Entre ces formes de violence se trouve bien entendu l&rsquo;exercice d&rsquo;une violence symbolique qui se rend visible lorsque s&rsquo;ajoute &agrave; la d&eacute;tresse de la pauvret&eacute; une forme de culpabilisation et de jugement en m&ecirc;lant aide alimentaire et &eacute;ducation &agrave; la di&eacute;t&eacute;tique. En tant que lecteur, j&rsquo;aurais aim&eacute; avoir plus d&rsquo;informations sur ces interventions des di&eacute;t&eacute;ticiens et di&eacute;t&eacute;ticiennes dans les dispositifs d&rsquo;aide alimentaire. En effet, de nombreux travaux montrent comment l&rsquo;action des nutritionnistes/di&eacute;t&eacute;ticien.ne.s tend majoritairement vers l&rsquo;individualisation et la d&eacute;politisation de la question alimentaire. &Agrave; partir des ann&eacute;es&nbsp;1950, avec la prise en charge de la question sociale par l&rsquo;&Eacute;tat-Providence et l&rsquo;av&egrave;nement de la consommation de masse, la question alimentaire a quasiment disparu de l&rsquo;agenda comme probl&egrave;me de sant&eacute; publique, pour r&eacute;appara&icirc;tre r&eacute;cemment, avec un cadrage nutritionnel autour des injonctions &agrave;&nbsp;<i>manger moins</i>. Un probl&egrave;me public &agrave; travers la responsabilisation individuelle (Fouilleux et Michel, 2022). Il serait int&eacute;ressant de voir, par exemple, si le seul r&eacute;sultat de ses interventions est l&rsquo;exercice de formes de violence ou si, de la m&ecirc;me mani&egrave;re que chez les b&eacute;n&eacute;voles des <i>Restos du C&oelig;ur</i>, intervenir dans ces espaces &agrave; un impact sur l&rsquo;engagement professionnel des nutritionnistes/di&eacute;t&eacute;ticien.ne.s, leurs modes d&rsquo;action ou leur d&eacute;finition de justice.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Les valeurs d&eacute;fendues par les b&eacute;n&eacute;voles les conduisent &agrave; contourner les r&egrave;gles et mettre la dignit&eacute; des b&eacute;n&eacute;ficiaires au premier plan, c&rsquo;est &agrave; partir de cette &laquo;&nbsp;r&eacute;sistance&nbsp;&raquo; que l&rsquo;autrice propose de transformer le syst&egrave;me alimentaire. Il faut bien pr&eacute;ciser que l&rsquo;objectif du livre n&rsquo;est pas de dire que les b&eacute;n&eacute;voles, les b&eacute;n&eacute;ficiaires ou les associations qui distribuent des repas gratuits sont violent.e.s. Les violences alimentaires se rendent visibles dans les espaces de distribution de repas mais il s&rsquo;agit d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne structurel. Pour Bonzi, les actions des b&eacute;n&eacute;voles qui contournent les logiques marchande se cr&eacute;ent des espaces de libert&eacute; dans lesquels &laquo;&nbsp;la dignit&eacute; des personnes est centrale&nbsp;&raquo; (p.203). En addition, lorsque des maraudeurs, des b&eacute;n&eacute;voles ou des b&eacute;n&eacute;ficiaires ressentent de la honte face aux injustices, ils/elles&nbsp;font na&icirc;tre un sentiment d&rsquo;empathie qui fait &eacute;prouver une<i> id&eacute;e de justice</i>. La mise en commun de ces multiples id&eacute;es de justice devient ainsi un terrain fertile pour faire germer l&rsquo;action politique et l&rsquo;organisation d&eacute;mocratique. Ainsi, afin de repenser le syst&egrave;me alimentaire, Bonzi appelle ses lecteurs &agrave; comprendre ce &agrave; quoi les acteurs de l&rsquo;aide alimentaire r&eacute;sistent et comment ils parviennent &agrave; r&eacute;sister.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif"><span style="color:#9a4c91">Conclusion</span></span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">La r&eacute;daction de ce livre souhaite alerter sur les cons&eacute;quences d&rsquo;une politique alimentaire &agrave; d&rsquo;autres fins que l&rsquo;&eacute;radication de la pauvret&eacute;. Nous l&rsquo;avons vu, lorsque les int&eacute;r&ecirc;ts commerciaux sont privil&eacute;gi&eacute;s en d&eacute;pit des droits humains, la circulation de nourriture devient un instrument dont l&rsquo;objectif principal est la cr&eacute;ation de profit. Cette derni&egrave;re est alors per&ccedil;ue comme une v&eacute;rit&eacute;, comme un int&eacute;r&ecirc;t g&eacute;n&eacute;ral recherch&eacute; par tous. La cat&eacute;gorisation des personnes dans des groupes qui ne m&eacute;ritent pas les m&ecirc;mes droits et la naturalisation de cette division &agrave; travers l&rsquo;exercice d&rsquo;une id&eacute;ologie de la responsabilit&eacute; individuelle, donnent la voie libre &agrave; l&rsquo;instauration d&rsquo;un march&eacute; de la faim et d&rsquo;un syst&egrave;me alimentaire con&ccedil;u pour produire de l&rsquo;argent avant que des aliments.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Cette imbrication entre contr&ocirc;le et profit donne l&rsquo;illusion que le syst&egrave;me alimentaire contemporain est une &eacute;vidence&nbsp;; que son fonctionnement, bas&eacute; sur le profit, est naturel. Son &eacute;norme pouvoir &eacute;conomique, politique et social fait que le remettre en cause semble impossible. Pourtant, Bonzi montre que ces remises en question sont quotidiennes. Elles partent de l&rsquo;imagination des b&eacute;n&eacute;voles et des personnes qui se penchent sur la question. Les r&eacute;sistances sont donc nombreuses, ce dont il est question maintenant est leur organisation. C&rsquo;est dans cette mesure que l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une s&eacute;curit&eacute; sociale de l&rsquo;alimentation (SSA) devient int&eacute;ressante. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une initiative qui <span style="color:black">consiste &agrave; cr&eacute;er une caisse commune financ&eacute;e par les cotisations des participants afin d&rsquo;assurer l&rsquo;acc&egrave;s quotidien &agrave; des produits alimentaires. Pourtant, son </span>int&eacute;r&ecirc;t ne se limite pas &agrave; cette <i>s&eacute;curit&eacute;</i> alimentaire qu&rsquo;elle permettrait d&rsquo;atteindre. L&rsquo;objectif n&rsquo;est pas de mettre en place un dispositif p&eacute;renne et syst&eacute;matique d&rsquo;aide alimentaire, mais d&rsquo;organiser des espaces de discussion et de prise de d&eacute;cision qui puissent articuler les probl&eacute;matiques qui p&egrave;sent sur la production et sur la consommation. Le principe d&eacute;lib&eacute;ratif sur lequel repose la gestion des caisses fait que celles-ci puissent devenir ces espaces d&rsquo;imagination et de r&eacute;sistance. Discuter collectivement sur les types de produits, leur origine ou leur qualit&eacute; revient &agrave; questionner le fonctionnement du syst&egrave;me alimentaire et &agrave; ouvrir la porte vers une v&eacute;ritable d&eacute;mocratie alimentaire.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><b><i><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif"><span style="color:#9a4c91">Bibliographie</span></span></span></span></i></b></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Fouilleux, &Egrave;., &amp; Michel, L. (2020) Introduction<i>.</i>&nbsp;Politisation de l&rsquo;alimentation&nbsp;: Vers un changement de syst&egrave;me agroalimentaire&nbsp;? In Fouilleux, &Egrave;., &amp; Michel, L. (Eds.),&nbsp;<i>Quand l&rsquo;alimentation se fait politique(s).</i>&nbsp;Presses universitaires de Rennes. doi&nbsp;:10.4000/books.pur.146000</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">H&eacute;ritier F. (2003). Les fondements de la violence. Analyse anthropologique. In:&nbsp;<i>M&eacute;langes de l&#39;&Eacute;cole fran&ccedil;aise de Rome. Italie et M&eacute;diterran&eacute;e</i>, tome 115, n&deg;1. 2003. Repr&eacute;sentation et identit&eacute; en Italie et en Europe (XVe&ndash;XIXe si&egrave;cle) pp. 399-419.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">Mbembe, A. (2006). N&eacute;cropolitique. <i>Raisons politiques</i>, <i>21</i>(1), 29‑60.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:21.6pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="background:white"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif"><span style="color:#323232">Larochelle</span></span></span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span style="background:white"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif"><span style="color:#323232">, M. (2016). Le pouvoir disciplinaire et la forme scolaire.&nbsp;<i>Recherches en didactiques</i>, 22, 111-126.&nbsp;</span></span></span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:120%"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif"><a href="https://doi.org/10.3917/rdid.022.0111" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span style="background:white">https://doi.org/10.3917/rdid.022.0111</span></a></span></span></span></span></span></span></p> <div>&nbsp; <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify; text-indent:21.6pt"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;, serif"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:&quot;Garamond&quot;,serif">[1]</span></span></span></span></span></a> INCOME Consulting - AK2C - 2016 - Pertes et gaspillages alimentaires : l&rsquo;&eacute;tat des lieux et leur gestion par &eacute;tapes de la cha&icirc;ne alimentaire - Rapport &ndash; 164 pages. Cet ouvrage est disponible en ligne www.ademe.fr,/mediatheque</span></span></span></p> </div> </div>