<h1>Quelle qualit&eacute; d&rsquo;h&eacute;bergement dans un contexte de rationalisation budg&eacute;taire ? L&rsquo;exemple du Contrat Pluriannuel d&rsquo;Objectifs et de Moyens.</h1> <p>Depuis le d&eacute;but du XXIe si&egrave;cle, les services publics fran&ccedil;ais subissent des r&eacute;formes regroup&eacute;es sous le vocable de &ldquo;Nouveau Management Public&rdquo; (NMP). Celui-ci con-siste &agrave; rationaliser l&rsquo;activit&eacute; au moyen d&rsquo;outils emprunt&eacute;s au monde de l&rsquo;entreprise priv&eacute;e. Ce type de management s&rsquo;appuie sur l&rsquo;id&eacute;e n&eacute;olib&eacute;rale que les administra-tions publiques ne sont pas g&eacute;r&eacute;es de fa&ccedil;on efficace et qu&rsquo;elles pourraient repr&eacute;-senter un co&ucirc;t financier bien moindre si on leurs appliquaient des m&eacute;thodes de gestion budg&eacute;taire appropri&eacute;es.&nbsp;<br /> L&rsquo;h&ocirc;pital public fran&ccedil;ais a ainsi &eacute;t&eacute; r&eacute;form&eacute; &agrave; coups de tarification &agrave; l&rsquo;acte et d&rsquo;indicateurs de performance, produisant des r&eacute;sultats discutables en termes de qualit&eacute; d&rsquo;accueil et de soin (Belorgey, 2010). A l&rsquo;instar de la sant&eacute;, le social est &agrave; son tour touch&eacute; par cette emprise gestionnaire. A ce titre, le secteur de l&rsquo;Accueil, l&rsquo;H&eacute;bergement et l&rsquo;Insertion (AHI) des publics les plus vuln&eacute;rables est particuli&egrave;re-ment int&eacute;ressant &agrave; analyser. Si elles demeurent financ&eacute;es par l&rsquo;&Eacute;tat, les structures en grande majorit&eacute; associatives sont d&eacute;sormais soumises &agrave; une obligation de per-formance et d&rsquo;efficience dans un contexte de crise du logement touchant tout parti-culi&egrave;rement les plus d&eacute;munis.<br /> Dans cet article consacr&eacute; aux Centres d&rsquo;H&eacute;bergement et de R&eacute;insertion Sociale (CHRS), nous analyserons la fa&ccedil;on dont le Nouveau Management Public charrie dans son sillage des injonctions paradoxales mena&ccedil;ant la qualit&eacute; de l&rsquo;accompagnement propos&eacute; aux personnes h&eacute;berg&eacute;es. En effet, les CHRS sont, depuis 2023, financ&eacute;s par le biais de Contrats Pluriannuels d&rsquo;Objectifs et de Moyens (CPOM). Cet outil de contractualisation budg&eacute;taire lie le financeur, ici la Direction R&eacute;gionale et Interd&eacute;partementale de l&rsquo;H&eacute;bergement et du Logement (DRIHL), et l&rsquo;association mandat&eacute;e. Le CPOM propose une planification budg&eacute;taire sur cinq ans, ce qui est cens&eacute; offrir aux chef&middot;fes de service une meilleure visibilit&eacute; financi&egrave;re. En contrepartie, les CHRS doivent fournir la preuve de leur performance via des indicateurs chiffr&eacute;s et des r&eacute;sultats cadr&eacute;s par des objectifs impos&eacute;s.&nbsp;<br /> Cet article est tir&eacute; d&rsquo;une enqu&ecirc;te qualitative r&eacute;alis&eacute;e dans une grande association du secteur AHI en r&eacute;gion parisienne. Une dizaine d&rsquo;entretiens a &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute;e avec des professionnel&middot;les en poste dans cinq CHRS de l&rsquo;association. L&rsquo;analyse des en-tretiens permet de mettre en &eacute;vidence les cons&eacute;quences du CPOM sur l&rsquo;accompagnement des personnes h&eacute;berg&eacute;es et d&rsquo;identifier deux tensions aux-quelles sont confront&eacute;es les &eacute;quipes :</p> <ul> <li>une tension entre l&rsquo;injonction &agrave; l&rsquo;inconditionnalit&eacute; de l&rsquo;accueil, port&eacute;e no-tamment par la loi DALO, et l&rsquo;incitation au &ldquo;turn-over&rdquo; des personnes h&eacute;ber-g&eacute;es contenue dans le CPOM. En effet, nous verrons comment le calcul de la performance bas&eacute;e sur les temps de s&eacute;jour conduit non seulement &agrave; r&eacute;-duire la dur&eacute;e d&rsquo;h&eacute;bergement, mais aussi &agrave; s&eacute;lectionner &agrave; l&rsquo;entr&eacute;e les per-sonnes.&nbsp;</li> <li>une tension entre l&rsquo;injonction &agrave; la participation des usagers port&eacute;e par la loi de 2002 et la normalisation des pratiques d&rsquo;accompagnement. Nous verrons comment le CPOM prescrit les modalit&eacute;s du travail &eacute;ducatif qui doit alors &ecirc;tre enti&egrave;rement tourn&eacute; vers la sortie du dispositif. Le projet multiforme des usa-gers est donc souvent rabattu &agrave; une unique dimension, celle fix&eacute;e et valid&eacute;e par la commande institutionnelle.&nbsp;</li> </ul> <p>Le poids de ces tensions est n&eacute;anmoins &agrave; relativiser. En effet, les travailleurs et tra-vailleuses du social soucieux de conserver leur &eacute;thique professionnelle imaginent des strat&eacute;gies de contournements pour r&eacute;cup&eacute;rer des marges de man&oelig;uvre et rou-vrir des espaces de libert&eacute;.&nbsp;</p> <h2>L&rsquo;inconditionnalit&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve de la performance.</h2> <p>Le CPOM est rendu obligatoire depuis le 1er janvier 2023 pour tous les CHRS suite &agrave; la promulgation de la loi ELAN du 23 novembre 2018. Dans l&rsquo;arr&ecirc;t qui explicite le contenu minimum obligatoire des contrats, on peut lire que le CPOM est <q>un levier de performance pour les &eacute;tablissements et services</q>.&nbsp;<br /> Le texte de loi mentionne les deux objectifs principaux que les CHRS doivent poursuivre : <q>favoriser l&#39;acc&egrave;s rapide &agrave; un logement ordinaire ou adapt&eacute;</q>&nbsp;et <q>adapter l&#39;offre en fonction de l&#39;&eacute;volution des besoins des territoires et des personnes accueillies.</q>&nbsp;L&rsquo;arr&ecirc;t mentionne ensuite les indicateurs qui doivent t&eacute;moigner de l&rsquo;efficacit&eacute; du dispositif : taux de sortie vers un logement ordinaire (hors m&eacute;nages &agrave; droits incomplets) (...); taux de sortie vers un logement adapt&eacute; (hors m&eacute;nages &agrave; droits incomplets) ; &nbsp;taux de m&eacute;nages disposant d&#39;une demande de logement social active (hors m&eacute;nages &agrave; droits incomplets) ; taux de pr&eacute;sence dans la structure au-del&agrave; d&#39;une dur&eacute;e anormalement longue.</p> <p>Ces objectifs et indicateurs traduisent la priorit&eacute; du financeur : le turn-over. Pour mesurer la performance d&rsquo;un centre d&rsquo;h&eacute;bergement, il suffirait ainsi de regarder si les personnes h&eacute;berg&eacute;es en sortent rapidement pour que de nouvelles entr&eacute;es puissent &ecirc;tre envisag&eacute;es. L&rsquo;instabilit&eacute; est &eacute;rig&eacute;e en norme. Le CPOM de l&rsquo;association &eacute;tudi&eacute;e va plus loin : il vise &agrave; <q>ma&icirc;triser les dur&eacute;es de s&eacute;jour sup&eacute;rieures &agrave; dix-huit mois</q>&nbsp;et affiche un objectif de 29% maximum de personnes pr&eacute;sentes depuis plus de quarante-huit mois dans la structure. Pour le dire autrement, les CHRS doivent d&eacute;sormais faire en sorte que les personnes sortent de l&rsquo;h&eacute;bergement au bout de quatre ans maximum, et doivent justifier les situations pour lesquelles le s&eacute;jour d&eacute;passerait cette dur&eacute;e. Cette injonction contient un risque important de tri des publics, comme le soulignait la F&eacute;d&eacute;ration des Acteurs de la Solidarit&eacute; dans un communiqu&eacute; : <q>L&rsquo;inscription d&rsquo;indicateurs risque de pousser &agrave; une s&eacute;lection accrue des publics et &agrave; privil&eacute;gier dans l&rsquo;accueil en CHRS les publics les plus autonomes et les plus proches du logement au d&eacute;triment des personnes qui ont besoin d&rsquo;un accompagnement dense et global ou qui ne disposent pas de ressources pour sortir rapidement vers le logement (notamment les personnes de moins de 25 ans ou les personnes n&rsquo;ayant pas acc&egrave;s aux minimas sociaux).</q>&nbsp;<br /> Ce tri du public a &eacute;t&eacute; observ&eacute; et document&eacute; dans les h&ocirc;pitaux publics lorsque la Dur&eacute;e Moyenne de S&eacute;jour (DMS) a &eacute;t&eacute; mise en place comme indicateur mettant en concurrence les h&ocirc;pitaux. M&eacute;caniquement, les services hospitaliers ont tri&eacute; les patients, renvoyant vers des &eacute;tablissements priv&eacute;s les patients ayant le plus besoin de prise en charge et donc, risquant de rester plus longtemps dans les services (Belorgey, 2010).&nbsp;</p> <p>Cette logique entre en contradiction avec une autre exigence formul&eacute;e par les pouvoirs publics. Car dans le m&ecirc;me temps, les services d&rsquo;h&eacute;bergement sont soumis &agrave; une obligation importante : l&#39;inconditionnalit&eacute; de l&rsquo;accueil port&eacute;e par la loi DALO, promulgu&eacute;e en 2007 &agrave; la suite de la mobilisation du collectif Les enfants du Canal. L&rsquo;article L.345-2-2 du Code de l&#39;action sociale et des familles pr&eacute;cise en effet que : <q>Toute personne sans abri en situation de d&eacute;tresse m&eacute;dicale, psychique et sociale a acc&egrave;s, &agrave; tout moment, &agrave; un dispositif d&rsquo;h&eacute;bergement d&rsquo;urgence.</q><br /> Les &eacute;quipes sociales sont ainsi confront&eacute;es &agrave; une injonction paradoxale : l&rsquo;inconditionnalit&eacute; est-elle possible &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;efficience ?&nbsp;</p> <p>Les &eacute;quipes expriment leurs inqui&eacute;tudes pour de nombreux h&eacute;berg&eacute;s et tout particuli&egrave;rement pour les personnes sans-papier. En effet, dans le contexte politique actuel, les r&eacute;gularisations administratives sont tr&egrave;s tardives, aussi, les personnes sans-papiers connaissent des dur&eacute;es d&rsquo;h&eacute;bergement plus longues.&nbsp;</p> <blockquote> <p>&ldquo;Mais si demain on a 100% de personnes &agrave; droits incomplets, qu&rsquo;est ce qu&rsquo;on fait, nous ? Parce que je te disais l&rsquo;ann&eacute;e derni&egrave;re, 11 [h&eacute;berg&eacute;&middot;es sans-papiers] et 11, c&#39;est parce qu&rsquo;il y a eu, je crois, trois ou quatre personnes qui n&rsquo;ont pas pu renouveler leur titre de s&eacute;jour &agrave; temps, la pr&eacute;fecture qui prend du temps, et d&rsquo;autres pour qui on est toujours en attente de r&eacute;ponse. J&#39;ai un monsieur pour te dire, il est l&agrave; depuis 2020, il a eu son premier rendez-vous &agrave; la pr&eacute;fecture l&rsquo;ann&eacute;e derni&egrave;re, son tout premier ! Il n&rsquo;a toujours pas de titre de s&eacute;jour aujourd&rsquo;hui&hellip;et il n&#39;en aura peut-&ecirc;tre pas&hellip;&rdquo; (Antoine, CESF)</p> </blockquote> <p>Accueillir des personnes sans-papiers sans perspective de r&eacute;gularisation repr&eacute;sente donc une forme de risque pour les centres d&rsquo;h&eacute;bergement. Vient s&rsquo;ajouter &agrave; cela le poids financier que repr&eacute;sente ce contingent de personnes pour les CHRS. En effet, ces personnes se trouvant sans ressources, elles b&eacute;n&eacute;ficient d&rsquo;aides financi&egrave;res de la part des structures, sous la forme de tickets service, par exemple.&nbsp;</p> <p>Il faut pr&eacute;ciser que les structures ne sont pas vraiment en situation de refuser les orientations qui leurs sont faites par le SIAO (dispositif de recensement et de r&eacute;gulation des places d&rsquo;h&eacute;bergement). Le SIAO pr&eacute;cise que <q>Tout refus d&rsquo;admission (...) doit &ecirc;tre motiv&eacute; par &eacute;crit (...). Le SIAO 75 se prononce sur le motif invoqu&eacute; et peut proc&eacute;der &agrave; une demande de r&eacute;examen</q>.&nbsp;L&rsquo;association &eacute;tudi&eacute;e a donc fait le choix d&rsquo;ajouter &agrave; son CPOM un indicateur concernant les orientations refus&eacute;es par la structure : ce pourcentage devant rester en dessous de 5%.&nbsp;<br /> En toute logique, &eacute;tant &agrave; la fois &laquo; encourag&eacute;s &raquo; &agrave; ne pas refuser des orientations et en m&ecirc;me temps soumis &agrave; des crit&egrave;res d&rsquo;efficience, les CHRS mettent en &oelig;uvre une performance reposant en fait quasi exclusivement sur une sortie rapide des dispositifs. Celle-ci heurte de plein fouet l&rsquo;inconditionnalit&eacute; de l&rsquo;accueil contenue dans la loi DALO. Elise, assistante sociale, r&eacute;sume la situation ainsi :&nbsp;</p> <blockquote> <p>&ldquo;En fait, je pense que le moment o&ugrave; j&rsquo;ai vraiment compris l&rsquo;impact que &ccedil;a avait sur le travail, c&rsquo;est au moment o&ugrave; on avait une orientation d&rsquo;une dame qui n&#39;&eacute;tait pas &ldquo;adapt&eacute;e&rdquo; au CHRS ou au CPOM, du coup on se demande ce qu&rsquo;il faut qu&rsquo;on&hellip; Il faut r&eacute;pondre &agrave; des objectifs en fait. Enfin le CHRS c&rsquo;est&hellip;voil&agrave;, on accueille inconditionnellement, mais en m&ecirc;me temps est-ce qu&rsquo;on n&rsquo;est pas aussi brid&eacute;s par les objectifs et les contrats qui sont faits entre l&rsquo;&eacute;tat, les grandes institutions ?&rdquo;</p> </blockquote> <h2>&nbsp;&nbsp; &nbsp;<br /> Le logement comme seul projet possible ?</h2> <p>Dans l&rsquo;extrait pr&eacute;c&eacute;dent, Elise fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; une femme, Mme C., et son b&eacute;b&eacute;, orient&eacute;es dans un CHRS &agrave; la sortie de la maternit&eacute;. Lors de l&rsquo;entretien qui pr&eacute;c&egrave;de l&rsquo;admission et qui a pour objectif d&rsquo;&eacute;valuer l&rsquo;ad&eacute;quation de la structure &agrave; la situation de la personne, Mme C. a pr&eacute;sent&eacute; son projet, qui consistait &agrave; rester aupr&egrave;s de son enfant et &agrave; ne pas entamer de d&eacute;marches d&rsquo;insertion professionnelle avant qu&rsquo;il n&#39;entre &agrave; l&rsquo;&eacute;cole. La cheffe de service a donc consid&eacute;r&eacute; que le projet de Mme C. ne correspondait pas &agrave; l&rsquo;accompagnement propos&eacute; en CHRS. En effet, le niveau de ressources &eacute;tant un facteur d&eacute;terminant dans l&rsquo;acc&egrave;s au logement, la volont&eacute; d&rsquo;insertion professionnelle peut peser dans la future attribution d&rsquo;un logement social. Sur cette base, l&rsquo;orientation de Mme C. a donc &eacute;t&eacute; refus&eacute;e par le CHRS.<br /> Alors que les personnes accompagn&eacute;es sont de plus en plus incit&eacute;es &agrave; prendre part &agrave; leur prise en charge, notamment via la notion de &ldquo;projet&rdquo;, on constate que le cadre du CPOM ne peut contenir qu&rsquo;un seul projet : celui de la sortie la plus rapide possible de l&rsquo;h&eacute;bergement. Les travailleurs et travailleuses des CHRS sont conduits &agrave; concentrer leur accompagnement sur l&rsquo;acc&egrave;s au logement, qu&rsquo;il soit de droit commun (bailleur social ou priv&eacute;) ou adapt&eacute; (pensions de famille, r&eacute;sidences sociales, solibail).&nbsp;<br /> Il existe donc un risque d&rsquo;exclusion des personnes dont le projet ne correspond pas &agrave; l&rsquo;objectif fix&eacute; d&rsquo;avance par l&rsquo;institution.&nbsp;</p> <p>Antoine, Conseiller en &Eacute;conomie Sociale et Familiale (CESF), accompagne un monsieur <q>bien fran&ccedil;ais, pas de probl&egrave;me</q>,&nbsp;qui, suite &agrave; un tr&egrave;s long parcours de rue, refuse d&rsquo;ouvrir ses droits au RSA ou &agrave; la couverture maladie : <q>En fait, son objectif final, c&#39;&eacute;tait juste sortir de la rue, et trouver un h&eacute;bergement, ou un lieu o&ugrave; dormir en fait. Voil&agrave; son objectif.</q>&nbsp;H&eacute;berg&eacute; en CHRS, ce monsieur a donc atteint son objectif, r&eacute;alis&eacute; son projet. Comment prendre en compte ceux et celles dont le projet sort du cadre du CPOM ?</p> <p>En creux, c&#39;est la logique du Logement d&rsquo;Abord que l&rsquo;on peut interroger ici. Le CPOM se fait le relais d&rsquo;un nouveau dogme de l&rsquo;action sociale qui consiste &agrave; consid&eacute;rer l&rsquo;acc&egrave;s au logement comme la cl&eacute; de vo&ucirc;te de l&rsquo;insertion sociale. Or, bien souvent, les personnes h&eacute;berg&eacute;es expriment d&rsquo;autres priorit&eacute;s lors de leur arriv&eacute;e dans l&rsquo;h&eacute;bergement :&nbsp;</p> <blockquote> <p>&ldquo;En fait, m&ecirc;me si on met tout en place pour&hellip;on va leur expliquer : vous savez, vous aurez les factures d&rsquo;&eacute;lectricit&eacute; &agrave; payer, la caution etc&hellip;Mais est-ce que c&rsquo;est vraiment dans leur r&eacute;alit&eacute; ? Leur urgence au moment T o&ugrave; on en parle ? Je ne pense pas. Je pense que l&rsquo;urgence pour l&rsquo;instant c&rsquo;est&hellip;ben peut-&ecirc;tre travailler, trouver une place en cr&egrave;che pour leur enfant&hellip;&rdquo; (Elise, assistante sociale)</p> <p>&ldquo;Et puis pour les personnes aussi, c&rsquo;est pas forc&eacute;ment le plus urgent en fait ! M&ecirc;me si elles savent que l&rsquo;objectif c&#39;est le logement, elles ont des pr&eacute;occupations autres&hellip;&ccedil;a peut &ecirc;tre la sant&eacute;&hellip;plein de choses en fait. Avant de commencer par la Demande de Logement Social ou quoi.&rdquo; (Garance, assistante sociale).&nbsp;</p> </blockquote> <p>Si l&rsquo;acc&egrave;s &agrave; un logement autonome ou adapt&eacute; est bien souvent l&rsquo;aboutissement d&rsquo;un travail global effectu&eacute; lors de la p&eacute;riode d&rsquo;h&eacute;bergement, c&#39;est un projet dont la formalisation demande du temps et qui suppose d&rsquo;avoir &eacute;tabli une relation de confiance. Deux &eacute;l&eacute;ments que le CPOM ne valorise pas dans le cadre des nouvelles formes d&rsquo;&eacute;valuation de plus en plus norm&eacute;es.</p> <p>M&ecirc;me lorsque les personnes formulent un projet de logement conforme &agrave; ce qui est attendu, leur participation r&eacute;elle &agrave; la d&eacute;finition de ce projet est rapidement limit&eacute;e par les r&egrave;gles d&rsquo;attribution des logements. En effet, la situation des logements en &icirc;le-de-France est telle que le refus non motiv&eacute; entra&icirc;ne la radiation des dispositifs de priorit&eacute; et la remise &agrave; z&eacute;ro de l&rsquo;anciennet&eacute; de la demande de logement social. La question du refus devient alors un v&eacute;ritable enjeu pour les &eacute;quipes, puisqu&rsquo;il peut allonger consid&eacute;rablement les dur&eacute;es d&rsquo;h&eacute;bergement. De plus, les travailleurs et travailleuses sociales ayant parfois du mal &agrave; acc&eacute;der eux-m&ecirc;mes &agrave; des logements abordables, un refus de logement peut &ecirc;tre per&ccedil;u tr&egrave;s n&eacute;gativement par les &eacute;quipes. Ces tensions autour de la question du choix se retrouvent dans les entretiens.&nbsp;</p> <blockquote> <p>&ldquo;En fait, &agrave; partir du moment o&ugrave; t&rsquo;es prioritaire, on te propose quelque chose qui est mieux que ce que tu as en ce moment, t&rsquo;as pas de raison de refuser, pour eux [les bailleurs sociaux] en tous cas. T&rsquo;as pas de raison valable, ou alors, c&rsquo;est vraiment &ldquo;je suis en fauteuil roulant, y a pas d&rsquo;ascenseur, je suis au sixi&egrave;me &eacute;tage&rdquo;...l&agrave; ils vont accepter et ils vont dire &ldquo;ok, on a mal jou&eacute; le truc, on va refaire une proposition&rdquo;, et il y a pas de soucis. Mais c&rsquo;est s&ucirc;r que si on te propose soixante m&egrave;tres carr&eacute;s alors que tu vis dans un vingt m&egrave;tres carr&eacute;s depuis cinq ans, ben ils vont pas comprendre pourquoi tu refuses en fait. Si t&rsquo;es prioritaire et que tu refuses, c&rsquo;est que t&rsquo;es pas vraiment prioritaire&hellip;&rdquo; (Elise, assistante sociale)</p> <p>&ldquo;Pour moi, mis &agrave; part le coup du logement &agrave; 2H30 du boulot, j&#39;ai du mal &agrave; comprendre les bonnes raisons qu&rsquo;il pourrait y avoir pour refuser un logement. Apr&egrave;s, c&#39;est pas pour &ccedil;a qu&#39;il faut condamner la personne, parce que parfois c&#39;est dur, de se projeter dans autre chose&hellip;il peut y avoir des craintes, il peut y avoir plein de choses&hellip; En plus voil&agrave;, maintenant &ccedil;a rigole plus, si tu refuses t&rsquo;as int&eacute;r&ecirc;t &agrave; le justifier&hellip;&rdquo; (Ma&euml;l, &eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute;)</p> </blockquote> <p>Entre le souci du respect de la d&eacute;cision des personnes et la commande institution-nelle, les &eacute;quipes sociales sont soumises &agrave; des injonctions contradictoires qui met-tent en jeu leur &eacute;thique professionnelle.&nbsp;</p> <h2>Des pratiques prescrites aux pratiques de r&eacute;sistance : l&rsquo;exemple de la Demande de Logement Social</h2> <p>Les travailleurs et travailleuses sociales ne sont pas fondamentalement oppos&eacute;&middot;es &agrave; des formes de contr&ocirc;le de l&rsquo;activit&eacute;, et peuvent m&ecirc;me voir ces outils de mesure comme une mani&egrave;re de valoriser leur travail. Comme le dit Ma&euml;l, &eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute; :&nbsp;</p> <blockquote> <p>&ldquo;Moi, alors je suis pas un fan de la performance, mais je suis pas contre mesurer la performance dans l&rsquo;absolu, ne serait-ce que pour valoriser&hellip; parce que moi dans ma carri&egrave;re j&#39;ai vu : il y a des gens qui bossent et il y en a qui bossent moins, donc c&#39;est pas mal que ceux qui bossent soient reconnus. Donc &ccedil;a me choque pas.&rdquo;</p> </blockquote> <p>N&eacute;anmoins, les entretiens men&eacute;s font ressortir une grande d&eacute;ception quant &agrave; ce qui est mesur&eacute; par le CPOM. Le travail humain, qui constitue le c&oelig;ur du m&eacute;tier d&rsquo;accompagnant&middot;e social&middot;e, est compl&egrave;tement absent des indicateurs. Pour Alma, CESF, cette pr&eacute;gnance des chiffres au d&eacute;triment de l&rsquo;humain est visible depuis plu-sieurs ann&eacute;es d&eacute;j&agrave; :&nbsp;</p> <blockquote> <p>&quot;De toutes fa&ccedil;ons on l&rsquo;a vu au niveau de la DRIHL ces derni&egrave;res ann&eacute;es, qui nous demandait des statistiques, des chiffres, qui en fait sont&hellip; Nous le rapport d&rsquo;activit&eacute; chaque ann&eacute;e on essaie d&rsquo;y ajouter de la r&eacute;flexion et de l&rsquo;analyse, et pas que des chiffres, parce que c&#39;est aussi le fondement de notre travail, l&rsquo;accompagnement social, ce qui est mis en place, tout &ccedil;a tout &ccedil;a&hellip;bon, on a des stats&rsquo; &agrave; remplir. Alors les stats&rsquo;, c&#39;est bien, mais &ccedil;a fait pas tout. A mon sens .(...) Est-ce que &ccedil;a relate r&eacute;ellement notre activit&eacute; ? Je suis pas certaine. Est-ce que &ccedil;a montre les probl&egrave;mes ? En fait, ce qu&rsquo;on s&rsquo;&eacute;tait dit avec Aymeric [consultant externe], c&#39;est que malheureusement on a pas d&rsquo;outil sur le travail qualitatif qui est effectu&eacute;. Donc, le quantitatif on a les stats, mais comment mettre en avant le travail qualitatif qui est men&eacute; ? &Ccedil;a, &ccedil;a existe pas dans le CPOM. Voil&agrave;.&quot;</p> </blockquote> <p>L&rsquo;un des indicateurs figurant dans le CPOM de l&rsquo;association est le nombre de m&eacute;nages h&eacute;berg&eacute;s disposant d&rsquo;une Demande de Logement Social (DLS) active dans les trois mois suivant leur arriv&eacute;e dans le dispositif. Cet indicateur cristallise fortement les tensions puisqu&rsquo;il vient directement prescrire les pratiques des travailleurs et travailleuses sociales. Ma&euml;l, &eacute;ducateur sp&eacute;cialis&eacute;, souligne bien le paradoxe que cela suppose :&nbsp;</p> <blockquote> <p>&ldquo;DLS dans les trois mois c&#39;est tr&egrave;s bien, mais le probl&egrave;me c&#39;est que tu parles que d&rsquo;une partie du truc, donc oui c&#39;est bien la DLS dans les trois mois, et savoir si les gens ont une DLS dans les trois mois c&#39;est bien, mais si tu parles que de &ccedil;a c&#39;est quand m&ecirc;me pas tr&egrave;s satisfaisant pour les professionnels&hellip;elle est o&ugrave; l&rsquo;individualisation ? la loi de 2002, hein, quand m&ecirc;me ! Comment on individualise, comment on respecte la loi de 2002 avec un tableau excel ?&rdquo;</p> </blockquote> <p>Ma&euml;l fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la loi du 2 janvier 2002 qui r&eacute;forme l&rsquo;action sociale et qui introduit notamment de tr&egrave;s forts principes d&rsquo;individualisation de l&rsquo;accompagnement et de droit des usager&middot;es. Pour Ma&euml;l et ses coll&egrave;gues, l&rsquo;individualisation suppose des pratiques personnalis&eacute;es en fonction du parcours, des besoins et envies exprim&eacute;es par la personne :&nbsp;</p> <blockquote> <p>&ldquo;Par exemple, on va prendre le sujet de la DLS. Pour faire &ccedil;a dans les trois mois, &ccedil;a fait que tout de suite on rentre dans le vif du sujet, tout de suite on rentre dans les imp&ocirc;ts, tout de suite on rentre dans les salaires, &laquo; c&rsquo;est un cdi, un cdd ? &raquo;. Et quand quelqu&rsquo;un arrive, apr&egrave;s un parcours pr&eacute;caire, souvent en alternant des p&eacute;riodes d&rsquo;errance et d&rsquo;h&eacute;bergement pr&eacute;caire, on a envie de la laisser se poser, de la conna&icirc;tre, qu&rsquo;elle parle de ce qu&rsquo;elle a envie de faire, qu&rsquo;on &eacute;change : &laquo; alors, et vous, qu&rsquo;est ce que vous auriez envie de&hellip; &raquo;. Enfin voil&agrave; des choses comme &ccedil;a mais qui peuvent prendre du temps, parce que du coup la personne, faut prendre du temps. Mais sauf que l&agrave; on a pas le temps, surtout si elle travaille en fait, un mois pass&eacute; si t&rsquo;as pas r&eacute;ussi &agrave; la voir, &nbsp;ben quand tu la vois : &laquo; vous avez amen&eacute; vos imp&ocirc;ts ? &raquo; Enfin on part par le mauvais morceau en fait. Pour cr&eacute;er une relation de confiance, exiger des justificatifs, de la paperasse, c&rsquo;est pas le meilleur moyen en fait&hellip; &quot; (Garance, Assistante Sociale)</p> </blockquote> <p>Ainsi, alors que les personnes accompagn&eacute;es expriment une pluralit&eacute; de projets et de besoins, le CPOM prescrit une pratique centr&eacute;e sur l&rsquo;acc&egrave;s au logement, norma-lis&eacute;e et uniformis&eacute;e. On peut parler d&rsquo;&eacute;preuves de professionnalit&eacute;s (Ravon, Vidal-Naquet, 2016) car les intervenant&middot;es sociaux sont confront&eacute;&middot;es &agrave; une opposition entre la commande institutionnelle et leur perception de ce qui devrait &ecirc;tre fait.&nbsp;</p> <p>Cette notion nous permet, avec Ravon et Vidal-Naquet, de mettre en lumi&egrave;re <q>le travail d&rsquo;adaptation secondaire, de r&eacute;sistance, pouvant &ecirc;tre d&eacute;ploy&eacute; pour faire face aux injonctions paradoxales</q>&nbsp;(Ibid). En effet, une pluralit&eacute; de pratiques professionnelles se d&eacute;ploient, dont certaines sont revendiqu&eacute;es comme opposition &agrave; la commande institutionnelle.&nbsp;</p> <p>Certes, certain&middot;es professionnel&middot;les adh&egrave;rent &agrave; la logique du CPOM avec des argu-ments qu&rsquo;il est important de prendre en compte. Pour Lucie, cheffe de service, les pratiques prescrites permettent d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; la toute-puissance du travailleur social :&nbsp;</p> <blockquote> <p>&ldquo;Parce qu&rsquo;avant, on avait peut-&ecirc;tre tendance &agrave; d&eacute;cider &agrave; la place, avant on se permettait de dire des choses sur la personne, sans que la personne ne soit l&agrave;. Est-ce que c&#39;est pas maltraitant en fait de dire qu&rsquo;une personne n&rsquo;est pas pr&ecirc;te [au logement] ?&rdquo; (Lucie, cheffe de service)</p> </blockquote> <p>La question de savoir si une personne h&eacute;berg&eacute;e est &ldquo;pr&ecirc;te&rdquo; &agrave; vivre en logement, ou pas, occupe les esprits des &eacute;quipes, et, avec elle, la question du r&ocirc;le des travailleur&middot;euses sociales qui sont charg&eacute;&middot;es d&rsquo;activer diff&eacute;rents leviers pour favoriser une proposition de logement. Pour Barbara, Conseill&egrave;re en Economie Sociale et Familiale, la question est moins tranch&eacute;e :&nbsp;</p> <blockquote> <p>&ldquo;Mais, apr&egrave;s, la DLS &agrave; trois mois, je peux le comprendre, parce que nous on &eacute;tait vraiment &agrave; la cool en fait&hellip; Je pense &agrave; un jeune homme qui est l&agrave; depuis 2020, en fait l&rsquo;emploi &eacute;tait tellement instable, les ressources &ccedil;a te faisait des montagnes russes comme &ccedil;a, moi je ne pouvais pas l&rsquo;orienter en logement&hellip;alors oui il y avait une DLS et un DALO mais on n&rsquo;avait pas d&eacute;clench&eacute; au niveau SIAO l&rsquo;orientation logement. Mais il &eacute;tait auto-entrepreneur, ne payait pas ses imp&ocirc;ts, il avait des dettes &agrave; la CAF, des dettes longues comme le bras&hellip;je ne peux pas orienter quelqu&#39;un en logement comme &ccedil;a quoi&hellip; (...) Mais d&rsquo;un autre c&ocirc;t&eacute; peut &ecirc;tre que nous aussi on est un peu trop dans&hellip;&agrave; force de fantasmer le pire qui pourrait leur arriver, de pas penser non plus au meilleur en fait&hellip;enfin &ccedil;a peut &ecirc;tre un vrai d&eacute;clic, le logement.&rdquo; (Barbara, CESF)</p> </blockquote> <p>Pour d&rsquo;autres, le contournement des r&egrave;gles est explicitement revendiqu&eacute; comme un devoir professionnel relevant d&rsquo;une &eacute;thique :</p> <blockquote> <p>&quot;Le CPOM dit qu&rsquo;on doit reloger les personnes. Moi ce qui me questionne, c&#39;est est-ce que les personnes sont aptes &agrave; &ecirc;tre relog&eacute;es ? Alors, apr&egrave;s, on a la question du pouvoir d&rsquo;agir, des ressources de chacun&hellip;voil&agrave;. Mais nous, au niveau de l&rsquo;&eacute;quipe on n&rsquo;est pas compl&egrave;tement raccords avec la loi, dans le sens o&ugrave; on va mettre en place, on va faire la DLS, on va faire le DALO, mais les leviers pour acc&eacute;der au logement, l&rsquo;appui relogement SIAO, l&rsquo;ARPP [dispositif de priorit&eacute; d&rsquo;acc&egrave;s au logement de la Ville de Paris], &ccedil;a on le mettra en place quand on &eacute;value que la personne est en capacit&eacute; d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; son logement, et qu&rsquo;elle est compl&egrave;tement autonome. Parce que si c&#39;est juste acc&eacute;der &agrave; son logement, et que derri&egrave;re on a rempli nos chiffres&hellip; Oui, mais est-ce qu&rsquo;elle se maintient dans le logement ? Est-ce qu&rsquo;elle est en capacit&eacute; de se maintenir ? &Ccedil;a, limite le CPOM il le prend pas en compte. Donc, voil&agrave; c&#39;est justement cet entre-deux et cette balance qui est importante pour nous.&quot; (Alma, CESF)</p> </blockquote> <p>Pour Alma, on voit qu&rsquo;il est important de garder une autonomie en tant que travailleuse sociale, et donc de conserver un pouvoir de d&eacute;cision sur la temporalit&eacute; de l&rsquo;accompagnement. Pour d&rsquo;autres, comme Garance, il s&rsquo;agit de trouver des stratag&egrave;mes qui lui permettent de respecter les choix des personnes tout en se pliant aux injonctions institutionnelles : <q>Par exemple Mme B., d&egrave;s le d&eacute;part elle m&rsquo;avait dit &laquo; je ne veux pas de deux pi&egrave;ces &raquo;, [la cheffe de service] me disait &laquo; une femme et un enfant, c&rsquo;est un deux pi&egrave;ces &raquo;. Mme B, d&egrave;s le d&eacute;part elle m&rsquo;avait dit qu&rsquo;elle ne voulait pas : ok ben c&#39;est une dame qui travaillait, qui avait des prestations, j&rsquo;ai dit ben en fait oui, dans ce cas l&agrave; on va mettre trois pi&egrave;ces dans votre DLS&nbsp;</q>. Malgr&eacute; l&rsquo;injonction institutionnelle et hi&eacute;rarchique, Garance analyse individuellement les situations des personnes pour leur permettre d&rsquo;acc&eacute;der au meilleur selon leur situation et leurs choix. Elle n&rsquo;informe pas n&eacute;cessairement sa hi&eacute;rarchie de ce choix. Plus tard, Mme B. acc&egrave;dera effectivement &agrave; un logement social disposant de trois pi&egrave;ces. Au contraire, Mme S, &eacute;galement suivie par Garance, touche les minimas sociaux :</p> <blockquote> <p><br /> &ldquo;Mais par exemple, pour Mme S, qui voulait la m&ecirc;me chose, elle voulait un 4 pi&egrave;ces quand elle a eu son 2&egrave;me enfant, l&agrave;, je lui ai fortement conseill&eacute; de ne pas faire &ccedil;a [demander seulement un F4], parce que c&#39;est quand m&ecirc;me une situation&hellip;elle est au RSA enfin, &ccedil;a va &ecirc;tre compliqu&eacute;,(...) Donc l&agrave;, je lui avais dit &laquo; ben, laissez les deux, F3 et F4 et on verra&hellip; &raquo; mais l&agrave;, vu sa situation&hellip;&ccedil;a aurait &eacute;t&eacute; une dame qui travaille et &nbsp;qui a un &nbsp;salaire, je lui aurait dit &laquo; oui, vous avez raison &raquo;&hellip;mais l&agrave;, &ccedil;a aurait &eacute;t&eacute; compliqu&eacute; en fait. Et puis &nbsp;en plus c&#39;est un ordinateur qui s&eacute;lectionne, donc elle aurait jamais &eacute;t&eacute; s&eacute;lectionn&eacute;e en fait, par rapport &agrave; ses ressources et &agrave; sa composition familiale.&rdquo;</p> </blockquote> <p><br /> Ainsi, on voit bien &agrave; travers les entretiens que les &eacute;quipes des CHRS adoptent di-verses strat&eacute;gies pour conserver leur pouvoir d&rsquo;agir et celui des personnes h&eacute;ber-g&eacute;es dans un contexte d&rsquo;uniformisation des pratiques et de rationalisation budg&eacute;taire. Malgr&eacute; cela, la pression financi&egrave;re et l&rsquo;injonction &agrave; la performance introduites par le CPOM continuent de menacer la qualit&eacute; et l&rsquo;individualisation de l&rsquo;accompagnement social propos&eacute; dans les centres d&rsquo;h&eacute;bergement.&nbsp;</p> <h2><br /> Conclusion</h2> <p><br /> A travers l&rsquo;exemple pr&eacute;cis du CPOM, on peut observer une tendance g&eacute;n&eacute;rale &agrave; substituer une &eacute;thique manag&eacute;riale (Salmon, 2023) &agrave; l&rsquo;&eacute;thique professionnelle, fragilis&eacute;e ces derni&egrave;res ann&eacute;es par le contexte n&eacute;olib&eacute;ral des politiques publiques en France. A coups de r&eacute;f&eacute;rentiels d&rsquo;&eacute;valuation, de recommandations de bonnes pratiques et de tableaux statistiques, le secteur social semble vouloir tirer les conclusions des scandales ayant mis en lumi&egrave;re de graves dysfonctionnements, comme pour le cas des EHPAD Orp&eacute;a. Malheureusement, la volont&eacute; de contr&ocirc;le de l&rsquo;activit&eacute; par le biais des CPOM contribue en r&eacute;alit&eacute; &agrave; un lissage des pratiques et &agrave; un nivellement par le bas de la qualit&eacute; d&rsquo;accueil : discrimination des publics les plus vuln&eacute;rables, standardisation des projets et, finalement, n&eacute;gation de la possibilit&eacute; de choix.&nbsp;<br /> Alors que la notion de pouvoir d&rsquo;agir est d&eacute;sormais sur toutes les l&egrave;vres, on assiste au recul de cette capacit&eacute; d&rsquo;agir. La mise en place d&rsquo;indicateurs chiffr&eacute;s introduit l&rsquo;id&eacute;e que l&rsquo;accompagnement social peut &ecirc;tre quantifi&eacute; et divis&eacute; en t&acirc;ches administratives impos&eacute;es par types de public. Certains syndicats professionnels mettent en garde contre ce pas suppl&eacute;mentaire vers une tarification &agrave; l&rsquo;acte, sur le mod&egrave;le hospitalier.&nbsp;</p>