<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-size:20.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Introduction :</span></span></span></b></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Les enfants en situation difficile au Maroc ou ESD peuvent être catégorisés par les jeunes en situation précaire et les enfants de la rue. Ces enfants évoluent dans des conditions de grande vulnérabilité. Longtemps marginalisés par le système scolaire, social et familial, ils occupent aujourd’hui une place des plus importantes dans les préoccupations des politiques sociales et éducatives du pays. Les enfants en situation difficile se caractérisent par des parcours marqués par l'instabilité, l'exclusion sociale, et une grande précarité. Parmi eux, les jeunes déscolarisés en situation précaire ou JDSP, exclus du système éducatif, risquent de basculer vers une situation encore plus marginalisée, comme celle des enfants de la rue. Ces derniers vivent principalement dans les espaces publics, confrontés à des dangers constants tels que l'exploitation, la violence et les maladies, rendant leur réintégration sociale extrêmement complexe.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Depuis 2022, avec l’équipe pédagogique composée de travailleurs sociaux, nous menons une rechercher-action ou RA au sein de l’Association La Kasbah d’Aide aux Enfants en Situation Difficile à Mohammedia. Notre travail s’inscrit dans une logique d’accompagnement plus spécifique des JDSP afin de répondre aux constats alarmants du taux évolutif de l’abandon scolaire au Maroc <w:sdt citation="t" id="-1243863144">(Maroc Diplomacie, 2022)</w:sdt>. Face à cette situation, la RA à La Kasbah a cherché à développer et tester des stratégies pédagogiques alternatives, visant l’émancipation de ces jeunes afin qu’ils puissent <i>« réinventer du possible »</i> (MORISSE, MOREAU: 2016). Cet article se propose d'analyser de manière critique les pratiques institutionnelles actuelles au Maroc en matière de prise en charge des ESD, à la lumière des enseignements tirés de notre RA. Nous explorerons les résistances entre les approches institutionnelles standardisées et les besoins réels des jeunes, tout en proposant des pistes de réflexion pour une transformation radicale des pratiques sociales. Enfin, l'article vise à démontrer que les solutions institutionnelles doivent être co-construites avec les acteurs de terrain pour être réellement efficaces et contribuer à l'émancipation des ESD.</span></span></span></span></span></span></p>
<div style="page-break-after: always"><span style="display: none;"> </span></div>
<p style="margin-bottom:13px"> </p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-size:20.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Expérience de la RA à la Kasbah : un microcosme révélateur</span></span></span></b></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Origine et Contexte de la RA</span></span></span></b></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">La Recherche-Action menée au sein de l’Association la Kasbah d’Aide aux Enfants en Situation Difficile à Mohammedia est le résultat d’une démarche réflexive de l’équipe éducative au sujet de l’accompagnement des Jeunes Déscolarisés en Situation Précaire ou JDSP. En effet, le taux d’abandon scolaire au Maroc reste toujours élevé avec environ 300 000 élèves qui quittent annuellement les bancs de et un pic de décrochage chez les 12 à 16 ans l’école <w:sdt citation="t" id="-1526164183">(Direction de la Stratégie, des Statistiques et de la Planification, 2021)</w:sdt>. Ce constat a mis en lumière d’une part l’incapacité des systèmes scolaire et social en vigueur d’intégrer tout un groupe de jeunes encore mineurs, souvent les plus vulnérables d’un point de vue socio-économique et d’autre part la nécessité d’apporter des solutions répondant aux besoins de cette population. Par ailleurs, avec l’équipe et moi-même en tant que chercheure, nous pensons que les résultats offerts à travers la multiplication de micro-initiatives comme cette Recherche-Action, pourrait développer une pluralité de réponses et de microsystèmes s’adaptant aux diverses situations rencontrées par les travailleurs sociaux dans les centres avec la même vocation. </span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Ayant travaillé avec les JDSP depuis plus de dix ans, les éducateurs du centre social la Kasbah sont arrivés à la conclusion que si ces jeunes avaient quitté le système scolaire classique, un autre système ressemblant à l’école ne serait pas la réponse la plus appropriée pour leur accompagnement (BENCHAOU, 2024). Les approches pédagogiques traditionnelles, axées sur des objectifs standardisés, ne correspondaient donc pas aux besoins réels des JDSP. Ainsi, nous avons collectivement réfléchi à la mise en place d’un modèle pédagogique répondant aux besoins de ces adolescents, adapté à leur contexte, respectant leur personne et individualité et leur permettant de prendre en charge leur parcours éducatif.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Depuis Février 2022, un ensemble d’aménagements et de pratiques pédagogiques ont été mis en places. Il y a eu d’abord des travaux de réaménagements du centre social, bâtiment de 2 étages, pour le transformer en lieu de vie avec un salon, lieu de lecture, salle d’informatique, réfectoire et salle de fêtes en plus des classes et salles d’activités. De cette manière, le local de l’association sortait déjà du cadre que les jeunes avaient connu à l’école. Les aménagements concernaient également l’emploi du temps, les horaires de travail et d’activités ainsi que les méthodes d’enseignement. En effet, les JDSP passaient toute la journée au centre, de 9h à 17h, y prenaient le petit déjeuner, le déjeuner et le goûter collectivement. Partant de ces aménagements, nous nous sommes d’abord penchés vers la cohabitation et le maintien du centre en l’état. En collaboration avec les JDSP, nous avions mis en place des règles de bonne vie et des responsabilités que tout un chacun devait respecter. Ces règles concernaient le respect de soi et de l’autre, le respect du lieu de vie et des matériaux et outils présents dans le centre social. Quant aux responsabilités, elles étaient centrées sur les tâches quotidiennes liées aux repas et au maintien de l’ordre et de la propreté dans le centre. Ainsi, les jeunes étaient divisés en groupes et chacun s’occupait d’une tâche précise chaque semaine : servir les repas, débarrasser et nettoyer les tables du réfectoire ou encore balayer les classes. Cet ensemble de techniques ont été regroupé sous une catégorie appelée « vie pratique » pour reprendre la terminologie et la logique de Maria Montessori (MONTESSORI, 2018). En effet, lors de ses propres observations, elle avait remarqué que l’ordre et l’harmonie dans le lieu de vie conduisait à une forme de paix intérieure qui elle-même amenait l’enfant à exploiter son plein potentiel, à savoir, rentrer dans les apprentissages dans la joie et avec plaisir (MONTESSORI, 2018). Cette observation n’était pas spécifique aux petits enfants mais elle s’appliquait aux adolescents également puisqu’en s’organisant dans leur environnement et en vivant dans le groupe de manière plus sereine, ils s’appropriaient les lieux et gagnaient une confiance en eux nécessaire pour prendre en charge leurs parcours et avancer dans le développement d’eux-mêmes.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Après ce travail autour de la conscience de soi et l’organisation dans le lieu de vie, nous nous sommes collectivement penchés vers le développement et l’émancipation intellectuels. En effet, si cette dernière repose sur la conscientisation de soi dans l’environnement à travers l’ordre et l’autodiscipline, ces fondements ne suffisent pas à eux seuls pour qu’ils se libèrent du cadre préétabli par la scolarisation traditionnelle (BENCHAOU, 2024). La dimension intellectuelle et réflexive demeure fondamentale pour amorcer une démarche émancipatrice. Ainsi, notre modèle pédagogique s’est orienté dans un second temps vers la promotion du dialogue et de la co-construction des savoirs, s’appuyant sur les théories de Paulo Freire (FREIRE, 2021) et de Célestin Freinet <w:sdt citation="t" id="-338315364">(FREINET, 1982)</w:sdt>. Cette approche émancipatrice privilégie une éducation dialogique, où l’apprentissage se construit à travers l’interaction et l’échange d’idées entre éducateurs et apprenants. Dans ce sens, deux outils principaux ont soutenu cette démarche : le choix réfléchi et assumé des activités, ainsi que les ateliers réflexifs. Le processus de décision, qu'il s'agisse des activités à programmer lors des après-midi ou de tâches de la vie pratique, a joué un rôle crucial dans l'autonomisation intellectuelle des JDSP. En effet, c’est en prenant des décisions qui pourraient sembler aussi simples que le choix des activités à faire pendant l’après-midi que les jeunes reprennent le contrôle et renforcent leur processus de décision. Les éducateurs accompagnaient ce processus en aidant les jeunes à persévérer dans leurs choix, les aidants à développer une conscience critique de leurs actions et de leurs conséquences. Cela a été particulièrement visible dans la manière dont les JDSP, au fil du temps, ont appris à faire des choix basés sur leurs propres désirs plutôt que sur l'influence des autres, ce qui a renforcé leur capacité à s'engager pleinement dans leurs activités.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Les ateliers réflexifs quant à eux, ont complété cette approche en offrant un espace structuré où les JDSP pouvaient développer leurs compétences critiques et co-construire des savoirs. Ces ateliers ont permis aux jeunes d'explorer des idées, de poser des questions et de débattre dans un cadre collaboratif. Aussi, la progression dans ces ateliers a été graduelle : au départ, les éducateurs orientaient fortement la réflexion et géraient les interactions, mais à mesure que les jeunes gagnaient en confiance et en maîtrise de leur environnement, ils ont pris davantage de responsabilités, contribuant au choix des sujets et nous espérons plus tard, à la gestion des discussions. Par une évolution vers une participation plus horizontale, les JDSP s’orientent vers une émancipation intellectuelle, où ils deviennent non seulement des apprenants, mais aussi des acteurs de leur propre développement <w:sdt citation="t" id="-291283272">(DEMONT, 2016)</w:sdt>.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"> <b>Une Recherche-Action avec des résultats prometteurs et révélateurs</b></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Après deux années d’expérimentations et de pratiques, nous commençons à observer des résultats encourageant pour notre approche pédagogique au sein du centre social. Ainsi, durant une journée type, les JDSP sont engagés dans des activités structurées qui mêlent apprentissage et responsabilités quotidiennes, l’un se mêlant dans l’autre et ne pouvant se passer de l’autre. Dès le matin, les jeunes participent activement à la préparation et au service des repas, ce qui contribue à créer un environnement ordonné et collaboratif. Les matinées sont consacrées aux cours, suivis d’un déjeuner collectif, puis d’un temps calme ou d’activités variées l’après-midi, choisies par les jeunes eux-mêmes. Contrairement au système traditionnel, qui voit l’élève comme un simple maillon de la chaîne de production de l’éducation nationale, notre modèle place l’individu au centre du processus éducatif, que ce soit au niveau des pratiques d’accompagnement ou des indicateurs de performance. En partant des besoins, du contexte et des aspirations de chaque JDSP, nous avons développé une approche qui favorise l’autonomie, l’engagement communautaire, et le respect mutuel. Les résultats de ces efforts sont visibles à travers une série d'indicateurs d'émancipation, tels que l'ordre spontané dans le lieu de vie, l'amélioration de l'hygiène corporelle, la diminution des conflits, et le développement d'une volonté consciente et éclairée chez les jeunes (BENCHAOU, 2024). </span></span></span></span></span></span></p>
<h4 style="text-align:justify; margin-top:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span style="color:#4f81bd"><span style="font-weight:bold"><span style="font-style:italic"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black"><span style="font-style:normal">La Recherche-Action comme prisme d'analyse</span></span></span></span></span><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black"><span style="font-style:normal"> de l’accompagnement institutionnalisé des ESD</span></span></span></span></span></span></span></span></span></span></h4>
<p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif">L'expérience de la Recherche-Action menée à La Kasbah nous sert de prisme pour comprendre et analyser les pratiques institutionnelles en matière de prise en charge des ESD au Maroc. Contrairement aux dispositifs institutionnalisés, la RA s'est distinguée par son caractère évolutif, s'adaptant continuellement aux réalités du terrain. Dès le début, la RA a été conçue comme un processus flexible, où les pratiques éducatives et les structures organisationnelles étaient modifiées au fur et à mesure que de nouvelles données émergeaient. En effet, ce n’est qu’après deux années de travail collaboratif, d’essais, erreurs et adaptations que nous avons pu atteindre les résultats exposés dans l’article. Nous sommes également conscients que ces résultats eux-mêmes évolueront dans le temps au fur et à mesure des changements que le centre social connaitra dans le futur tant au niveau des individus qu’au niveau des besoins de chacun. Cette capacité d'adaptation a permis non seulement d'améliorer l'efficacité de l’accompagnement, mais aussi de renforcer la confiance des jeunes envers le centre grâce à la relation d’échange et de partage qui s’est créée entre l’équipe éducative et eux, favorisant ainsi un environnement plus propice à leur développement. Les résultats de la RA à La Kasbah démontrent également l'importance cruciale d'une prise en charge personnalisée et humaniste plutôt que de se centrer sur l’application de processus institutionnels uniformes, qui visent souvent à rescolariser les jeunes ou à les intégrer dans des formations professionnalisantes, sans tenir compte de leurs voix. La RA a montré que ces objectifs, bien qu'importants, ne peuvent être atteints que si les besoins individuels des jeunes et une vision holistique d’accompagnement sont pris en compte. À La Kasbah, chaque jeune est considéré dans sa globalité, avec ses particularités, ses forces, et ses vulnérabilités. Ainsi, dans le centre social, les personnalités et talents cachés de chacun sont mis en valeur après leur identification. Qu’il s’agisse d’amour pour l’écriture et la poésie que possédait un des adolescents ou une tendance orientée vers les travaux manuels plutôt que les matières scolaires, l’équipe éducative s’efforce de répondre à ces orientations en proposant des activités dans ce sens au centre, des expositions de travaux jusqu’aux discussions autour de l’orientation professionnelle. Enfin, les résultats de la RA soulignent la nécessité de repenser les critères d'évaluation de l'efficacité des dispositifs de prise en charge. Les institutions se concentrent souvent sur des indicateurs quantitatifs, tels que le nombre de jeunes réintégrés dans le système scolaire ou les taux de réussite dans les formations professionnalisantes. Cependant, la RA à La Kasbah a démontré que ces indicateurs sont insuffisants pour évaluer pleinement l'impact d'un dispositif. Par exemple, l'amélioration de l'autonomie, la capacité à faire des choix éclairés, ou encore le développement d'une volonté consciente, sont des critères qui devraient être intégrés dans les évaluations. Ces aspects, bien qu'intangibles, sont essentiels pour mesurer le succès d'un processus éducatif visant l'émancipation des jeunes. À La Kasbah, un jeune ayant appris à assumer ses choix, qu'ils soient liés à petite échelle, à des activités quotidiennes ou plus largement, à son parcours de vie, est considéré comme ayant fait des progrès significatifs, même s'il n'est pas encore réintégré dans le système scolaire classique. Cette approche plus humaine et holistique de l'évaluation permet de mieux saisir la complexité des processus de transformation personnelle que traversent les jeunes, et souligne l'importance d'élargir les critères d'évaluation pour inclure des dimensions qualitatives du développement individuel. Ces compétences dites douces ou <i>soft skills</i> possèdent une importance capitales d’autant plus que les JDSP évoluent en marge du système classique. En effet, la majorité des adolescents accueillis dans le centre social la Kasbah sont voués à construire leur propre projet professionnel à moyen et long termes puisque leurs formations professionnelles tournent autour d’activités artisanales comme la menuiserie, la mécanique ou la coiffure. Il n’est plus un secret que l’aventure entrepreneuriale ne nécessite pas seulement des connaissances techniques, la réussite ou non du projet dépend en grande partie de la personnalité du porteur (RAUCH, FRESE: 2007). Or, le développement de compétences dites douces ou <i>soft skills</i> comme l’autodiscipline, l’organisation ou la confiance en soi ne se fait pas seulement par le biais d’ateliers ponctuels autour de ces sujets. Il s’agit, au contraire, d’un apprentissage qui s’acquière tout au long de la vie avec les expériences et l’environnement adéquats. C’est aussi ce que nous avons tenté de créer avec le modèle pédagogique développé à travers notre RA, chose à laquelle les dispositifs institutionnels ne se penchent pas assez. Alors selon la logique institutionnelle, si les JDSP accueillis par le centre social ne répondent pas aux exigences chiffrés, toute l’équipe de travailleurs sociaux de l’association sera considéré comme ayant échoué à sa mission d’accompagnement et ce, même si ces mêmes jeunes démontrent un niveau de compétences douces élevé par rapport à leur arrivée. </span></span></span></p>
<h3><span style="font-size:13.5pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-weight:bold"><span style="font-size:20.0pt">Analyse critique des pratiques institutionnelles</span></span></span></span></h3>
<h4 style="text-align:justify; margin-top:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span style="color:#4f81bd"><span style="font-weight:bold"><span style="font-style:italic"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black"><span style="font-style:normal">L’institutionnalisation de l’accompagnement des ESD au Maroc à l’épreuve de la réalité du terrain :</span></span></span></span></span></span></span></span></span></span></span></span></h4>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">L’Etat a réalisé récemment un effort de création de dispositifs en partant de l’analyse du besoin des professionnels de terrain. L’exemple le plus parlant est celui du projet de loi sur la protection des enfants en situation difficile <w:sdt citation="t" id="482128429">(Agence Marocaine de Presse, 2024)</w:sdt>. Celui-ci a été élaboré en partie en se basant sur les données et éléments de terrains fournis par des travailleurs sociaux de différents centres dans le pays et ce, lors de réunions de travail et groupes de réflexions entre professionnels et institutionnels. Un second exemple de ces efforts est le système mis en place pour la prise en charge spécifique des enfants de rues, qui ressemble à un écosystème réunissant un ensemble de dispositifs de prise en charge depuis l’identification de l’enfant jusqu’à la définition de solution adaptée à son contexte <w:sdt citation="t" id="-1592695395">(Ministère de la Solidarité de l'Insertion Sociale et de la Famille, 2020)</w:sdt>. Avant la mise en place de cet écosystème, l’enfant de la rue était recueilli non pas par des travailleurs sociaux mais par les forces de police et se retrouvait intégré dans le système judiciaire étant ainsi criminalisé et non traité comme un enfant dans le besoin. L’écosystème mis en place change cette prise en charge ; elle commence d’abord par l’identification de ces enfants par des éducateurs sociaux ou éducateurs de la rue, le transfert de l’enfant se fait par le Samu social cette fois et non pas par la police et il est transféré vers un centre de soins pour un bilan médical. A la suite de ce bilan, l’enfant est orienté selon son cas vers sa famille ou un centre social spécialisé <w:sdt citation="t" id="1907873891">(Ministère de la Solidarité de l'Insertion Sociale et de la Famille, 2020)</w:sdt>. Sur le papier, les dispositifs semblent être adaptés et efficaces. Mais de manière concrète, les professionnels se retrouvent parfois devant des difficultés significatives et sans possibilité de faire évoluer ce système prévu initialement pour fluidifier la prise en charge et accompagnement des ESD. L’un des cas illustrant bien le type de difficultés rencontrées se trouve dans le centre de la Kasbah. Ce centre social ferme en temps normal à 17h et même s’il propose l’hébergement temporaire des ESD des rues, il n’y est pas spécialisé. L’association ne possède pas assez de moyens humains et financiers pour des prises en charges régulières. En d’autres termes, le personnel qui s’occupera temporairement de cette tâche est un travailleur social qui s’occupe dans son quotidien des JDSP et n’est pas spécifiquement formé à l’encadrement et le suivi des enfants des rues qui nécessitent un soin particulier. Alors, quand l’appel pour la prise en charge d’un enfant de la rue a été reçu à la dernière minute toute une logistique d’urgence a dû être mise en place y compris d’appeler un éducateur des JDSP rapidement pour lui demander de passer la nuit dans le centre. Au final, c’est une sorte de bidouillage artisanal qui a été mis en place, éloigné des procédures et réformes mentionnées. Cette situation reflète une difficulté à créer des dispositifs qui peuvent être concrétisés réellement sur le terrain et pour les situations basiques du quotidien du travail social qui nécessite un niveau de réactivité élevé de la part des institutions.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">De plus, la réticence des ESD à rester dans les centres d'accueil, même lorsque les conditions matérielles sont réunies, souligne une autre dimension des défis institutionnels. Les témoignages recueillis auprès de différents travailleurs sociaux montrent que beaucoup d'enfants préfèrent retourner dans la rue après avoir satisfait leurs besoins immédiats. Un travailleur social dans le centre la Kasbah me disait : <i>« il </i>[l’enfant de la rue]<i> viendrait dans le centre d’accueil, mangerait, se doucherait, changerait ses habits puis voudra repartir dans la rue, d’où il est venu en début de journée »</i> <w:sdt citation="t" id="1354849274">(Anonyme, Interventions sociales entre une volonté d'avancer et une difficulté à s'adapter au terrain, 2024)</w:sdt>. Cette réalité a conduit certaines associations, comme l'Heure Joyeuse, à abandonner des projets destinés aux enfants des rues, en raison de la difficulté à les maintenir dans un cadre de prise en charge. J’y avais moi-même rencontré une jeune fille de 13 ou 14 ans travestie en garçon pour éviter qu’on ne l’agresse et qui après manger retournait quand même dans la rue. Les éducateurs, par cette démarche, espéraient attirer les ESD des rues vers un accompagnement progressif et régulier au sein de l’association, à moyen et long termes. Toutefois, ce projet, comme plusieurs concernant les enfants des rues en particulier, a été abandonné. Tout comme le travailleur social dans le centre la Kasbah, un autre de l’association l’Heure Joyeuse a avancé les mêmes constats et raisons de ces échecs : <i>« c’est comme si tu versais de l’eau sur du sable »</i> a dit l’un en reprenant une expression marocaine signifiant que l’effort était aussi inutile que d’essayer d’arroser du sable ; il n’y aurait pas de résultats malgré les efforts (Anonyme, 2020). Les raisons de cet échec, selon les travailleurs sociaux que j’ai rencontrés, sont multiples. Il y a d’abord, la liberté qu'ils expérimentent dans la rue. Livrés à eux-mêmes, ils jouissent d'une indépendance totale : ils dorment où et quand ils le souhaitent, mangent à leur guise et mènent une vie sans contraintes, bien que précaire. Lorsqu'ils ont faim, ils se dirigent vers des lieux où ils savent qu’ils recevront de la nourriture de la part de passants charitables, ou à côté de restaurants, souvent des repas de qualité qu'ils n'auraient probablement pas dans un centre social. Cette liberté, bien qu'illusionnée, rend difficile leur réintégration dans un environnement encadré, où des règles et une discipline leur sont imposées. Les tentatives pour les ramener dans un cadre plus structuré se heurtent à leur résistance, car elles sont perçues comme une perte d’indépendance plutôt que comme une opportunité d’émancipation. Cette situation se complique encore par les dangers réels de la vie dans la rue, où les ESD sont souvent exposés à des agressions physiques et sexuelles. Cependant, certains préfèrent cette existence chaotique à la rigidité des institutions, même si cela signifie endurer des violences au quotidien (Anonyme, 2024). Aussi, les dispositifs actuels ne prennent pas suffisamment en compte leurs éventuelles addictions et besoin de soutien psychologique. Dans la pratique, les centres sociaux ne disposent ni des ressources financières ni de la logistique nécessaires pour offrir ce niveau de prise en charge, laissant ces jeunes dans un état de vulnérabilité extrême. Certaines ONG, face à l'urgence et au manque de moyens, ont même été contraintes de distribuer des seringues propres pour limiter les risques de transmission de maladies graves telles que le SIDA, une mesure qui illustre la réalité complexe de ces situations (Anonyme, 2024).</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">L'institutionnalisation de la prise en charge des ESD pose également la question de la standardisation des solutions, qui ne répondent pas toujours aux besoins spécifiques des enfants. Dans ce sens, Michael Lipsky dans <i>« street-level bureaucrats »</i> souligne cette problématique et met en évidence la difficulté des travailleurs sociaux eux-mêmes à adopter des solutions clés en main pour des situations particulières <w:sdt citation="t" id="-2036269702">(LIPSKY, 1969)</w:sdt>. Ainsi, les échecs constatés dans la prise en charge des enfants des rues mettent en lumière l'importance d'une approche transversale et pluridisciplinaire, qui dépasse le cadre strict du travail social pour inclure des services de désintoxication et de soutien psychologique, par exemple. Or, ces services sont souvent absents ou insuffisamment développés, ce qui limite l'efficacité des dispositifs en place. Le témoignage d'un travailleur social de La Kasbah est révélateur : <i>« En réalité, il serait possible de les prendre en charge, mais il faudrait mettre en place non seulement un dispositif transversal et transdisciplinaire mais qui doit être personnalisable pour chaque cas : une limite de l’institution à qui cela coûterait excessivement cher ! »</i> (Anonyme, 2024). Cela souligne un paradoxe : </span></span></span><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Les dispositifs récemment mis en place par le gouvernement pour la prise en charge des ESD semblent, dans la théorie, être bien structurés et potentiellement efficaces. Cependant, les observations sur le terrain révèlent un décalage entre les intentions institutionnelles et leur mise en œuvre concrète. En effet, malgré l’élaboration de ces dispositifs en concertation avec des professionnels du terrain, il manque une logique d’ajustement continu, essentielle pour adapter les pratiques aux réalités changeantes des ESD et du terrain.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Un point crucial, souvent négligé, est l'absence de suivi postérieur à la mise en place initiale des dispositifs. Cette absence de retour d'expérience et de communication continue entre les institutions et le terrain empêche l'ajustement nécessaire des stratégies en réponse aux défis quotidiens rencontrés par les travailleurs sociaux. Ce décalage entre l'intention et la réalité découle en partie d'une structure institutionnelle qui fonctionne en vase clos. Les initiatives, bien qu'ancrées sur des consultations ponctuelles avec des professionnels, ne bénéficient pas d'une dynamique de retour continu entre le terrain et l'institution. Cette absence de flux bidirectionnel limite la capacité des dispositifs à s'adapter continuellement aux besoins réels des ESD, rendant les efforts de prise en charge souvent inefficaces et inadaptés. Ainsi, la mise en œuvre de dispositifs sans une véritable logique d'aller-retour entre le terrain et l'institution risque de créer un système autoréférentiel qui s’éloigne de la réalité du terrain. L’institution devient alors une structure qui, malgré ses bonnes intentions, ne parvient pas à offrir les moyens concrets et ajustés nécessaires pour une intervention efficace. Le manque de suivi et d’adaptation continu aux besoins du terrain finit par saboter les efforts initiaux, transformant ce qui pourrait être un dispositif prometteur en une solution rigide et déconnectée des réalités complexes et nuancées des ESD.</span></span></span></span></span></span></p>
<h4 style="text-align:justify; margin-top:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span style="color:#4f81bd"><span style="font-weight:bold"><span style="font-style:italic"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif"><span style="color:black"><span style="font-style:normal">Les tensions entre institution et terrain : vers un dialogue émancipateur ?</span></span></span></span></span> </span></span></span></span></span></span></span></h4>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Les tensions entre les institutions et les pratiques de terrain dans la prise en charge des ESD révèlent des divergences structurelles qui limitent l'efficacité des dispositifs existants. Cependant, l'expérience de la recherche-action menée à La Kasbah offre des enseignements précieux pour repenser ces relations et avancer vers un dialogue émancipateur, capable d’informer les politiques sociales nationales de manière constructive et réaliste.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">L'une des principales leçons tirées de la RA est l'importance de la flexibilité et de l'adaptation continue des pratiques aux réalités spécifiques des ESD. Contrairement aux approches institutionnelles souvent rigides et standardisées, la RA a permis d'expérimenter et de modifier les stratégies en fonction des besoins immédiats des jeunes et des observations des travailleurs sociaux sur le terrain. Ce processus évolutif a montré qu'il est crucial de laisser aux professionnels sur le terrain une marge de manœuvre suffisante pour évaluer les situations et mettre en œuvre les solutions les plus adaptées, plutôt que d'imposer des directives unifiées déconnectées des réalités locales. En pratique, cela signifie que les institutions devraient se concentrer sur l’établissement de directives et cadres de travail généraux, tout en accordant aux travailleurs sociaux la liberté de personnaliser leur approche en fonction des circonstances spécifiques de chaque ESD. Par exemple, un travailleur social confronté à un enfant souffrant de toxicomanie devra pouvoir décider d’orienter celui-ci vers un programme de désintoxication adapté, et surtout trouver un centre compétent pour l’accompagner dans ce sens. Cette autonomie sur le terrain doit être soutenue par des ressources compétentes, appropriées et diversifiées, permettant la prise en charge la plus adaptée. </span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Notre analyse souligne également la nécessité d’un soutien institutionnel renforcé envers le travail sur le terrain. En effet, pour que les travailleurs sociaux puissent remplir leur mission de manière optimale, il est impératif que l'institution leur fournisse non seulement les moyens nécessaires mais aussi une reconnaissance pour leur travail. Actuellement, l’absence de formation continue, de soutien psychologique, de supervision en cas de nécessité et de primes financières pour ces professionnels crée un environnement où ils se sentent souvent isolés et dévalorisés. Or, le travailleur social est le maillon central dans l’accompagnement des ESD. Sans un soutien adéquat, les initiatives individuelles risquent de ne pas aboutir ou de se limiter à des actions ponctuelles sans impact durable. Les travailleurs sociaux doivent être vus non comme des exécutants de directives mais comme des acteurs essentiels du changement. Leurs savoirs et expertises constituent une source précieuse d'informations, indispensable pour éclairer et enrichir les pratiques d’accompagnement et proposer des améliorations concrètes basées sur leur expérience directe avec les ESD. Dans ce sens, la création d'un comité de suivi territorial autonome, composé de professionnels de terrain et de représentants institutionnels, pourrait être une réponse efficace aux décalages entre les pratiques institutionnelles et les réalités du terrain. Ce comité, doté de la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux spécificités des différents territoires, pourrait agir comme un organe de liaison, facilitant un dialogue continu entre l'institution et le terrain. Il s’agirait d’un espace où les résultats des actions sur le terrain, les observations des travailleurs sociaux, et les besoins des ESD seraient discutés de manière constructive, permettant ainsi une évolution constante des dispositifs. Cette approche s’inscrit dans une logique de recherche-action, où les pratiques ne sont jamais figées mais en constante évolution, en réponse aux défis rencontrés. Adopter une « mentalité de RA » au sein des institutions publiques signifierait de reconnaître que les politiques sociales doivent être constamment réévaluées et ajustées, en fonction des retours d’expérience du terrain. Cela implique une rupture avec les pratiques actuelles, qui tendent à figer les dispositifs après leur mise en place, sans considérer les évolutions nécessaires au fil du temps.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Enfin, l’élargissement des critères d’évaluation pour inclure des indicateurs qualitatifs est une autre piste essentielle pour améliorer les pratiques institutionnelles <w:sdt citation="t" id="-1596935074">(PATTON, 2003)</w:sdt>. En effet, les dispositifs actuels sont souvent évalués sur la base de critères quantitatifs, tels que le pourcentage de ESD rescolarisés ou intégrés dans des programmes de formation. Or, ces indicateurs ne rendent pas compte des progrès plus subtils mais tout aussi cruciaux, comme l’acquisition de compétences de vie, le développement de l’autonomie, le choix conscient, ou encore l’amélioration des relations interpersonnelles (HOUSE, HOWE: 1999). Alors, dans la prise en charge des ESD, il est indispensable de concevoir des dispositifs qui tiennent compte non seulement de l’intégration scolaire ou professionnelle, mais aussi du bien-être psychologique, de la sécurité, et du développement personnel des jeunes. Cela passe par l’élaboration d’indicateurs de performance qui reflètent ces dimensions et par la mise en place de mécanismes de suivi rigoureux qui permettent d’ajuster les dispositifs en fonction des résultats obtenus.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Ainsi, c’est en combinant flexibilité, reconnaissance du terrain, et évaluation continue que les politiques sociales pourront réellement répondre aux besoins des ESD et contribuer à leur émancipation.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><b><span style="font-size:20.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Conclusion :</span></span></span></b></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Les pratiques institutionnelles au Maroc en matière de prise en charge des ESD, malgré un effort d’évolution restent complexes et majoritairement bureaucratiques. En se basant sur les enseignements tirés de notre Recherche-Action menée au sein de l’Association La Kasbah d’Aide aux Enfants en Situation Difficile et à travers une analyse critique des dispositifs existants, nous avons mis en lumière les tensions entre les approches institutionnelles et les besoins réels, évolutifs, et spécifiques des jeunes en situation précaire. La Recherche-Action à La Kasbah a démontré l’importance d’une approche d’accompagnement flexible et personnalisée, qui place l’individu au centre du processus d’apprentissage et de développement de soi. Cependant, l’analyse des pratiques institutionnelles a révélé un décalage important entre les intentions des politiques publiques et leur mise en œuvre sur le terrain. Bien que les dispositifs récents aient été élaborés en consultation avec des professionnels du terrain, ils manquent souvent d’une logique d’ajustement continu qui permettrait de répondre aux défis quotidiens rencontrés par les travailleurs sociaux. Ce manque de flexibilité et d’adaptabilité réduit l’efficacité des dispositifs, qui restent souvent déconnectés des réalités complexes des ESD. Pour surmonter ces défis, il est impératif que les institutions publiques adoptent une « mentalité de Recherche-Action », où les pratiques ne sont jamais figées mais en constante évolution. Cela implique de laisser plus de marge de manœuvre aux travailleurs sociaux sur le terrain, en leur permettant d’adapter les solutions en fonction des spécificités de chaque jeune, tout en leur apportant le soutien nécessaire, tant sur le plan des ressources, en les élargissant, que de la reconnaissance professionnelle. Aussi, la création de comités de suivi territoriaux autonomes, composés de professionnels de terrain et de représentants institutionnels, pourrait être une réponse efficace aux décalages constatés. Ces comités, dotés de la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux réalités locales, faciliteraient un dialogue continu entre l’institution et le terrain, permettant ainsi une évolution constante des dispositifs en fonction des besoins réels des ESD. Enfin, il est crucial d’élargir les critères d’évaluation des dispositifs institutionnels pour inclure des indicateurs qualitatifs, qui reflètent le développement personnel des jeunes, leur bien-être psychologique, et leur capacité à s’intégrer durablement dans la société. Ainsi, seule une approche évolutive, qui reconnaît la complexité des processus de transformation personnelle, permettra aux politiques sociales de réellement répondre aux besoins des ESD et de contribuer à leur émancipation.</span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">Cet article appelle, ainsi, à une reconsidération des politiques publiques en matière de prise en charge des ESD au Maroc. Il est temps de dépasser les approches standardisées et rigides, pour adopter des pratiques plus flexibles, adaptées et humanisées. Une telle transformation des pratiques sociales, continuellement évolutive, fondée selon l’expérience du terrain et la reconnaissance des travailleurs sociaux sont essentielles pour offrir à ces jeunes les meilleures chances de se reconstruire et s’intégrer, de la manière qu’ils le souhaitent dans la société.</span></span></span></span></span></span></p>
<div style="page-break-after: always"><span style="display: none;"> </span></div>
<p style="margin-bottom:13px"> </p>
<p> </p>
<h1 style="text-align:justify; margin-top:32px"><span style="font-size:14pt"><span style="line-height:115%"><span style="break-after:avoid"><span style="font-family:"Cambria", serif"><span style="color:#365f91"><span style="font-weight:bold">Bibliographie :<span style="font-size:11.0pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-weight:normal"><w:sdtpr></w:sdtpr></span></span></span></span></span></span></span></span></span></h1>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"> </p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">Agence Marocaine de Presse. (2024, Mai 28). Accord pour la mise en oeuvre du protocole de protection de l'enfance. Rabat, Rabat, Maroc.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">Anonyme. (2020, Février). Evolution de l'accompagnement des enfants des rues dans les associations. (B. BENCHAOU, Intervieweur)</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">Anonyme. (2024, Juillet). Interventions sociales entre une volonté d'avancer et une difficulté à s'adapter au terrain. (B. BENCHAOU, Intervieweur)</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">BENCHAOU, B. (2024). La Recherche-Action pour la Construction d’un Modèle Alternatif à l’Ecole en Réponse à l’Abandon Scolaire au Maroc. <i>Education et Sociétés</i>, A paraître.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">DEMONT, G. (2016). La formation des travailleurs sociaux : La formation de soi pour accompagner son prochain vers l’émancipation. <i>Recherches & Educations</i>, 88-101.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">FREINET, C. (1982). <i>Les Techniques Freinet de l'Ecole Moderne.</i> Paris: Collection Bourrelier Armand Colin.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">FREIRE, P. (2021). <i>La Pédagogie des Oprimés.</i> Québec: Agone.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">HOUSE, E. R., & HOWE, K. R. (1999). <i>Values in Evaluation and Social Research.</i> SAGE Publications.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">LIPSKY, M. (1969). Toward a Theory of Street-Lecel Bureaucrats. <i>Institute for Research on Poverty</i>, 48-69.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">Maroc Diplomacie. (2022, Août 16). <i>Décrochage scolaire: ce défi de taille qui a la peau dure</i>. Récupéré sur Maroc Diplomatie: https://maroc-diplomatique.net/abandon-scolaire-un-defi-taille-qui-requiert-plus-defforts/</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">Ministère de la Solidarité de l'Insertion Sociale et de la Famille. (2020). Programme de la Politique Publique Intégrée Pour la Protection de l'Enfance Pour la Période 2015-2025. Rabat, Rabat, Maroc.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">Ministère de la Solidarité de l'Insertion Sociale et de la Famille. (2020). Réinsertion des enfants en situation de rue. Rabat, Rabat, Maroc.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">MONTESSORI, M. (2018). <i>La Pédagogie Scientifique Vol 1.</i> Desclée De Brouwer: Paris.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">MONTESSORI, M. (2019). <i>Le Manuel Pratique de la Méthode Montessori.</i> Paris : Desclée De Brouwer.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">MONTESSORI, M. (2019). <i>L'Enfant.</i> Paris: Lizzie.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">MORISSE, M., & MOREAU, D. (2016). Emancipation et formation de soi. <i>Recherches & Educations</i>.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">PATTON, M. Q. (2003). Utilization-Focused Evaluation. Dans M. Q. PATTON, <i>International Handbook of Educational Evaluation</i> (pp. 223-242). Springer, Dordrecht.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="text-align:justify; text-indent:-36pt; margin-bottom:13px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:115%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif">RAUCH, A., & FRESE, M. (2007). Let's put the person back into entrepreneurship research: A meta-analysis on the relationship between business owners' personality traits, business creation, and success. <i>European Journal of Work and Organizational Psychology</i>, 353-385.</span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:13px"> </p>