<p><em>Par Anne FARISSE BOYE - LERASS,&nbsp;Laboratoire d&rsquo;&Eacute;tudes et de Recherches Appliqu&eacute;es en Sciences Sociales&nbsp;- CERIC, Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry, Montpellier</em></p> <h1>Introduction</h1> <p>Apr&egrave;s de nombreuses r&eacute;formes menant &agrave; des changements organisationnels plus ou moins profonds, le syst&egrave;me scolaire fran&ccedil;ais veut changer les pratiques mais aussi l&rsquo;esprit des &eacute;l&egrave;ves, des enseignants, des personnels administratifs et de direction.</p> <p>Dans les &eacute;tablissements scolaires, actuellement, tout - les instructions officielles, les chefs d&#39;&eacute;tablissements, l&#39;opinion publique ou les enseignants eux-m&ecirc;mes - pousse &agrave; changer les habitudes existantes et &agrave; effectuer des remaniements personnels ou organisationnels de plus en plus nombreux. Cependant, peut-on concilier le changement efficace et humain annonc&eacute; avec des directives contraignantes ?</p> <p>C&rsquo;est ce que nous allons envisager en associant analyse des discours officiels et professionnels, observations de terrain, confrontation &agrave; l&rsquo;&eacute;tat de l&rsquo;art.</p> <p>Ce faisant, en suivant la d&eacute;nomination de Charmillot et Dayer qui r&eacute;partissent les d&eacute;marches de recherche selon quatre p&ocirc;les : &eacute;pist&eacute;mologique, th&eacute;orique, morphologique et technique (Charmillot, Dayer, 2007, 132), nous pouvons d&eacute;finir notre cadre technique comme une combinaison de diff&eacute;rentes m&eacute;thodes d&#39;investigation permettant de &laquo; trianguler &raquo; (Bachelet). En ce qui concerne le &laquo; morphologique &raquo;, nous sommes dans le pragmatisme avec des &laquo; hypoth&egrave;ses (qui) se construisent progressivement dans le va-et-vient entre la th&eacute;orie et le terrain &raquo;. (Charmillot, Dayer, 2007, 134).</p> <p>Pour ce qui est de l&rsquo;&eacute;pist&eacute;mologie, notre posture de recherche rel&egrave;ve de la compr&eacute;hension et au niveau du cadre th&eacute;orique, la tendance g&eacute;n&eacute;rale qui pousse au changement nous a conduit &agrave; nous ancrer pour ce travail dans la &ldquo;th&eacute;orie des pratiques&rdquo; qui est un &laquo; mouvement qui repose sur les travaux du th&eacute;oricien social Theodore Schatzki (1996) et de ceux du sociologue culturaliste Andreas Reckwitz (2002), tous deux inspir&eacute;s &agrave; la fois par les &eacute;crits de Ludwig Wittgenstein et par ceux de Martin Heidegger &raquo; (Dubuisson-Quellier et Plessz, 2013, 3). Comme cette th&eacute;orie qui s&rsquo;est d&eacute;velopp&eacute;e en Grande Bretagne et dans les pays scandinaves dans les ann&eacute;es 2000 permet de saisir les conditions de modification des pratiques diverses, nous avons choisi de l&rsquo;appliquer au niveau scolaire.</p> <p>D&rsquo;une part parce que la d&eacute;finition que donne Andreas Reckwitz d&#39;une pratique correspond &agrave; ce qu&#39;il est possible d&#39;observer dans un &eacute;tablissement scolaire. En effet, il s&#39;agit d&#39;un type de comportement routinis&eacute; qui consiste en plusieurs &eacute;l&eacute;ments interconnect&eacute;s entre eux : des formes d&rsquo;activit&eacute;s corporelles, des formes d&rsquo;activit&eacute;s mentales, des &laquo; choses &raquo; et leur usage, des connaissances de base constitu&eacute;es de compr&eacute;hension, savoir-faire, &eacute;tats &eacute;motionnels et motivations (Reckwitz, 2002, 249).</p> <p>D&rsquo;autre part, parce qu&rsquo;il ne s&rsquo;agit pas d&rsquo;un d&eacute;tournement car l&rsquo;un des fondateurs, Th&eacute;odore Shatzki (2002) nous parle des pratiques &eacute;ducatives organis&eacute;es &agrave; la fois par une compr&eacute;hension de la mani&egrave;re dont on enseigne, note ou encadre, des r&egrave;gles sur la mani&egrave;re de construire ou conduire un cours et enfin par une structure t&eacute;l&eacute;oaffective qui engage &agrave; recevoir de bonnes notes pour les &eacute;tudiants et de bonnes &eacute;valuations pour les enseignants (Dubuisson-Quellier et Plessz, 2013, 4).</p> <p>Il faut noter qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas une &laquo; th&eacute;orie des pratiques &raquo; mais de nombreuses variations, sans compter que ces &eacute;laborations th&eacute;oriques sont encore en construction. Le pilier commun consiste &agrave; saisir les pratiques, consid&eacute;r&eacute;es comme des blocs d&rsquo;activit&eacute;s, d&rsquo;objets, de comp&eacute;tences et de sens li&eacute;s que l&rsquo;on aborde par trois notions cl&eacute;s : le temps, la routine et l&rsquo;infrastructure.</p> <p>Dans cette recherche, nous avons adopt&eacute; une d&eacute;marche sociologique, ce qui ne nous parait pas incompatible avec une posture SIC. En effet d&rsquo;une part, Yves Jeanneret a explicit&eacute; la &laquo; mani&egrave;re d&rsquo;user de disciplines intellectuelles constitu&eacute;es ailleurs qu&rsquo;en communication pour traiter des probl&eacute;matiques communicationnelles &raquo; (Jeanneret, 1995, cit&eacute; dans Le Marec, 2004), et d&rsquo;autre part, si l&rsquo;on adopte une vision plus large, on note que dans les ann&eacute;es 70-80, le projet d&rsquo;une th&eacute;orie des pratiques &eacute;tait l&rsquo;ambition de Certeau. Si le contexte a chang&eacute;, J. Le Marec signale son actualit&eacute; : &laquo; Subsiste le projet d&rsquo;une th&eacute;orie des pratiques, &agrave; laquelle peut contribuer l&rsquo;approche communicationnelle &raquo;. On peut &laquo; aller chercher chez Certeau une r&eacute;flexion qui fait &eacute;cho &agrave; des pr&eacute;occupations tr&egrave;s vives dans le champ des sciences de la communication : celle qui articule l&rsquo;ambition de th&eacute;oriser les pratiques &agrave; la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;une r&eacute;flexion sur les conditions de sa propre pratique de recherche &raquo; (Le Marec, 2004).</p> <p>Nous envisagerons tout d&rsquo;abord le facteur temps, &eacute;l&eacute;ment essentiel par son d&eacute;roulement, sa dur&eacute;e et sa maitrise. Puis, nous examinerons l&rsquo;une des cons&eacute;quences de cette volont&eacute; de combiner changement organisationnel et changement personnel, &agrave; savoir le fait de transformer tous les partenaires en manager. Et enfin, nous tenterons d&rsquo;apporter des &eacute;clairages critiques &agrave; la notion de routine qui ressort aussi de cette volont&eacute; (le changement ne devient-il pas routinier ?).</p> <h1>Le facteur temps : une bulle structurante ?</h1> <p>Le facteur temps qui est une composante cl&eacute; de la th&eacute;orie des pratiques constitue le premier volet de notre &eacute;tude. &laquo; Il concentre notamment l&rsquo;attention de travaux empiriques qui vont tenter d&rsquo;analyser les rythmes sociaux, la routinisation, la coordination et l&rsquo;organisation temporelle des pratiques &raquo; (Dubuisson-Quellier et Plessz, 2013, 33).</p> <p>Les &eacute;tablissements scolaires ont toujours repr&eacute;sent&eacute; un temps &laquo; &agrave; part &raquo;, une bulle qui veut se placer hors du temps en isolant de l&rsquo;ext&eacute;rieur mais dont le fonctionnement induit des rythmes sociaux &laquo; globaux &raquo; : les p&eacute;riodes de vacances changent ainsi totalement le tempo du pays car ils impactent le tourisme, les transports, les programmes TV et m&ecirc;me le commerce (par exemple avec la r&eacute;currence du mot &laquo; rentr&eacute;e &raquo; dans les publicit&eacute;s de fin Ao&ucirc;t - d&eacute;but Septembre). La rencontre du temps ext&eacute;rieur et du temps interne provoque des tensions, comme la coordination des emplois du temps d&rsquo;enfants ou d&rsquo;adolescents (et donc de leurs parents) avec ceux d&rsquo;adultes, enseignants et administratifs n&rsquo;ayant pas les m&ecirc;mes dur&eacute;es de travail, et ce dans un espace rarement suffisant.</p> <h2>Un temps rythm&eacute;</h2> <p>Il faut ensuite envisager l&rsquo;organisation temporelle des pratiques. En effet, un temps rythm&eacute; par les sonneries s&rsquo;impose &agrave; tous, comme la dur&eacute;e de la journ&eacute;e ou leur nombre, l&rsquo;organisation de l&rsquo;ann&eacute;e (en semestre, en trimestre), permettant une coordination interne. Tout cela donne&nbsp;un temps routinier o&ugrave; les probl&egrave;mes constituant des freins aux changements organisationnels deviennent eux-m&ecirc;mes routiniers.</p> <p>Cependant, si &laquo; la rythmique &eacute;l&eacute;mentaire de l&rsquo;heure de cours reste encore aujourd&#39;hui le principe organisateur de la vie p&eacute;dagogique, qui est d&eacute;coup&eacute;e entre les grilles de l&#39;emploi du temps, selon l&#39;&eacute;quation &laquo; une heure - un enseignant - une discipline - un cours - une classe &raquo;, [elle n&rsquo;est] plus adapt&eacute;e aux besoins actuels de transversalit&eacute; des enseignements et d&#39;individualisation des apprentissages. &raquo; (Cavet, 2011). Ainsi l&rsquo;ouvrage &laquo; <em>De l&rsquo;emploi du temps aux emplois des temps : vers une approche globale du temps scolaire</em> &raquo; (V&eacute;ran, Riv&eacute;nale, Bodilis, 2011) &eacute;crit &agrave; partir des travaux de la Conf&eacute;rence nationale sur les rythmes scolaires et d&#39;exemples concrets, veut aider les personnels &agrave; r&eacute;aliser &laquo; un emploi du temps [&hellip;] prenant en compte la vie de l&#39;&eacute;l&egrave;ve dans l&#39;&eacute;tablissement et pas seulement pendant les heures de cours ou positivant la pr&eacute;sence de &laquo; trous &raquo; dans l&rsquo;emploi du temps. &raquo;</p> <h2>Un temps acc&eacute;l&eacute;r&eacute; ou lib&eacute;r&eacute;</h2> <p>En fait, deux ph&eacute;nom&egrave;nes sont intervenus, l&rsquo;un subi, l&rsquo;autre voulu. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, une &eacute;volution soci&eacute;tale qui transforme les normes - le temps &laquo; acc&eacute;l&eacute;r&eacute; &raquo; par le num&eacute;rique et le stress qui en d&eacute;coule -, de l&rsquo;autre l&rsquo;&eacute;volution vers un &eacute;tablissement devenu lieu de vie et lieu d&rsquo;&eacute;changes, ouvert et connect&eacute;, qui voudrait imaginer un &laquo; temps lib&eacute;r&eacute; &raquo; dans une d&eacute;marche voulue dont on peut citer deux exemples : tout d&rsquo;abord, la cr&eacute;ation d&rsquo;une &laquo; Maison des lyc&eacute;ens &raquo; (MDL) &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de certains &eacute;tablissements, des endroits consacr&eacute;s davantage aux loisirs (musique, conversations, achat de boissons ou viennoiseries) qu&rsquo;aux apprentissages. Leur but annonc&eacute; est de &laquo; participer au d&eacute;veloppement de la vie sociale, culturelle et sportive dans l&rsquo;&eacute;tablissement et de proposer aux &eacute;l&egrave;ves de prendre des responsabilit&eacute;s, de les assumer et de faire preuve d&rsquo;initiative pour les actions qu&rsquo;ils veulent mener &raquo; (minist&egrave;re de l&rsquo;Education Nationale, 2017).</p> <p>Ensuite, on peut parler de l&rsquo;&eacute;volution du CDI vers un Centre de Culture et de Connaissance (propos&eacute; en 2012) vu comme un learning center, qui consiste &agrave; transformer l&rsquo;&eacute;cole en un lieu de vie o&ugrave; se m&ecirc;lent des activit&eacute;s tr&egrave;s diverses (des distractions, de la culture, de la citoyennet&eacute;) et qui joue beaucoup sur le temps, comme le montre le Vademecum sur le CCC mis &agrave; la disposition des enseignants (DGESCO, 2012) : &laquo; Les changements de comportement des &eacute;l&egrave;ves et l&rsquo;&eacute;volution de leurs attentes par rapport &agrave; l&rsquo;&Eacute;cole, le d&eacute;veloppement des dispositifs p&eacute;dagogiques transversaux, l&rsquo;omnipr&eacute;sence du num&eacute;rique et de ses acc&egrave;s [sont] l&rsquo;occasion de repenser la structuration du temps scolaire, [&hellip;] le centre de connaissances et de culture se pr&ecirc;te aux diff&eacute;rents temps &ndash; scolaires et/ou personnels &ndash; qui coexistent dans la vie de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve (suivre un cours, lire, apprendre, se d&eacute;tendre, &eacute;changer, butiner, r&eacute;cup&eacute;rer un fichier, naviguer, s&rsquo;informer, etc.). Il aide aussi l&rsquo;enseignant &agrave; sortir de la rigidit&eacute; de l&rsquo;emploi du temps &raquo; et lutte contre le constat que souvent les espaces scolaires ne sont qu&rsquo;une juxtaposition de locaux de cours, sans espace de travail collectif propos&eacute;s (Dupriez, 2015).</p> <p>Figurent dans les pistes d&rsquo;action propos&eacute;es la diversification des temps collectifs (avec le groupe classe) et individuels (travail en autonomie sur le temps du cours ou en dehors du cours), la modulation des dur&eacute;es et des temps d&rsquo;apprentissage (d&rsquo;une courte visite &agrave; une semaine), l&rsquo;augmentation du &laquo; temps choisi &raquo; dans l&rsquo;emploi du temps de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve (travail collectif sur la pause m&eacute;ridienne, pr&eacute;sence possible en &eacute;tablissement pendant des p&eacute;riodes de vacances, remise &agrave; niveau ou entrainement en LVE).</p> <p>En quelque sorte on assiste &agrave; une avanc&eacute;e (ou un retour) vers une &laquo; biblioth&egrave;que lente &raquo; (Maury 2017,149).</p> <p>Mais cette orientation du CDI vers les learning centers et les troisi&egrave;mes lieux, qui captent la r&eacute;flexion sur le temps dans les nouveaux espaces de travail (Meyer et Bourret,2017,133) ne doit pas occulter le fait que l&rsquo;&eacute;tablissement scolaire ne se r&eacute;duit pas &agrave; de nouveaux espaces de travail&nbsp;g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;s (m&ecirc;me si c&rsquo;est le projet vis&eacute;). L&rsquo;&eacute;tude des pratiques montre que les enseignants ressentent des manques dans la prise en compte des temporalit&eacute;s.</p> <h2>Des temps manquants</h2> <p>Notre recherche exploratoire avec observation participante en EPLE - Etablissement public local d&rsquo;enseignement - ainsi que la conduite d&rsquo;entretiens libres nous ont conduits &agrave; &eacute;tablir une typologie des &ldquo;temps&rdquo; qui ne sont pas accord&eacute;s, ce qui va perturber l&rsquo;organisation et le fonctionnement.</p> <p>Tout d&rsquo;abord, &eacute;voquons le temps n&eacute;cessaire &agrave; la formation en prenant l&rsquo;exemple des professeurs de math&eacute;matiques de lyc&eacute;e &agrave; qui les textes officiels ont demand&eacute; d&rsquo;utiliser le logiciel Python et d&rsquo;initier leurs &eacute;l&egrave;ves &agrave; la programmation dans les cours d&#39;algorithmique &agrave; la rentr&eacute;e 2017. Si l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t d&rsquo;une telle directive a &eacute;t&eacute; per&ccedil;u par les enseignants, ceux-ci ont cependant regrett&eacute; que les formations de bassin ne leur soient propos&eacute;es qu&rsquo;en Janvier 2018, bien apr&egrave;s la mise en place de cet enseignement. Une anticipation des besoins avant application des textes aurait permis une meilleure efficacit&eacute; et &eacute;vit&eacute; cette dichotomie entre un discours contraignant qui place en situation difficile et l&rsquo;autonomie, voire l&rsquo;initiative que l&rsquo;on recommande d&rsquo;avoir pour se sortir des situations que l&rsquo;on vient de complexifier.</p> <p>Ensuite, citons le temps d&rsquo;installation. Nous avons constat&eacute; une modernisation et des avanc&eacute;es certaines dans les &eacute;quipements technologiques et informatiques fournis aux EPLE, n&eacute;anmoins, entre le choix de ce type de mat&eacute;riel, leur commande, leur livraison et leur mise en place, plusieurs mois peuvent s&rsquo;&eacute;couler, ce qui peut obliger les utilisateurs &agrave; commencer l&rsquo;ann&eacute;e scolaire avec un mat&eacute;riel absent ou non op&eacute;rationnel alors que le programme &agrave; suivre en d&eacute;pend.</p> <p>Le temps administratif, quant &agrave; lui, propose une ouverture sur l&rsquo;ext&eacute;rieur qui est enrichissante mais manque parfois de souplesse : on pousse &agrave; faire appel &agrave; des intervenants ou &agrave; proposer des voyages mais les contraintes comptables font que le co&ucirc;t doit &ecirc;tre chiffr&eacute; &agrave; l&rsquo;avance, parfois m&ecirc;me l&rsquo;ann&eacute;e scolaire pr&eacute;c&eacute;dente pour &ecirc;tre vot&eacute; et accept&eacute; en CA, &agrave; un moment o&ugrave; de nombreuses informations ne sont pas encore connues.</p> <p>On peut parler aussi du temps d&rsquo;&eacute;change : les discussions d&rsquo;&eacute;quipe sur les messageries professionnelles ont facilit&eacute; bien s&ucirc;r la communication mais ce contact virtualis&eacute; entraine une d&eacute;shumanisation, particuli&egrave;rement dans les gros &eacute;tablissements. On peut &eacute;voquer aussi le passage au z&eacute;ro papier avec, par exemple, la d&eacute;mat&eacute;rialisation des bulletins qui supprime les contacts r&eacute;els et les conversations qui existaient avant autour des Kalamazoo<a href="#nbp_1" name="lien_nbp_1">1</a> qu&rsquo;il fallait attendre. Ceci s&rsquo;accompagne en outre de la disparition de la fronti&egrave;re vie professionnelle/priv&eacute;e car tout pousse &agrave; &ecirc;tre connect&eacute; en permanence. Le droit &agrave; la d&eacute;connexion pr&eacute;vu depuis la loi Travail de Myriam El Khomri est-il vraiment appliqu&eacute; dans l&rsquo;Education Nationale<a href="#nbp_2" name="lien_nbp_2">2</a> ? Cette pression constante due au &laquo; <em>work life blending</em> &raquo; a modifi&eacute; en profondeur la fa&ccedil;on de travailler, permettant ainsi d&rsquo;augmenter l&rsquo;efficacit&eacute; et d&rsquo;offrir des outils d&rsquo;apprentissages performants mais peut, dans certains cas, conduire &agrave; un risque de <em>Burn Out</em>.</p> <p>Pour finir, signalons le temps d&rsquo;&eacute;valuation de l&rsquo;efficacit&eacute;. Certaines modifications importantes d&rsquo;organisation dans les EPLE sont quelquefois valid&eacute;es et g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;es sans prendre le temps d&rsquo;en examiner avec tous les acteurs les avantages et inconv&eacute;nients. De plus, il arrive que des nouveaut&eacute;s constituent des freins r&eacute;els : la progressive suppression du groupe classe dans certaines disciplines, tout comme les &laquo; barrettes &raquo; mises en place depuis le plan de r&eacute;novation de l&rsquo;enseignement des langues vivantes &eacute;trang&egrave;res (BO, 2006) montrent bien comment un changement organisationnel profond permet d&rsquo;obtenir des r&eacute;sultats tr&egrave;s positifs ( all&eacute;gement des effectifs, apprentissage de l&rsquo;oral privil&eacute;gi&eacute;&hellip;) mais cr&eacute;e aussi des contraintes telles que l&rsquo;impossibilit&eacute; d&rsquo;&eacute;changer des heures, la g&ecirc;ne occasionn&eacute;e pour les autres disciplines lors des sorties ou voyages etc).</p> <p>Lorsque tous ces temps sont malgr&eacute; tout pris en compte, le temps de ma&icirc;trise est lui aussi trop souvent n&eacute;glig&eacute;, &agrave; cause d&#39;une volont&eacute; constante d&#39;innovation qui ne laisse pas le temps aux personnes de s&rsquo;approprier un outil num&eacute;rique ou un logiciel avant de le remplacer par une nouvelle version ou un autre, annonc&eacute; comme plus performant, ce qui entra&icirc;ne une perte d&#39;automatisme ou de routine qui peut &ecirc;tre dommageable.</p> <h1>D&rsquo;un partenaire &agrave; un manager : une transformation souhait&eacute;e</h1> <p>La tendance &agrave; pr&eacute;tendre faire de tous un manager qui d&eacute;bouche sur une hi&eacute;rarchie paradoxale constitue le deuxi&egrave;me volet de notre &eacute;tude.</p> <h2>Tous managers</h2> <p>Au niveau organisationnel, on veut changer le syst&egrave;me de l&rsquo;enseignant classique, trop monodirectionnel, trop oppressif par une structure manag&eacute;riale susceptible de dynamiser les &eacute;changes au sein de l&rsquo;&eacute;tablissement, mais pr&ocirc;nant une libert&eacute; d&rsquo;action contredite par des r&eacute;formes subies plut&ocirc;t que voulues.</p> <p>Manager, le chef d&rsquo;&eacute;tablissement l&rsquo;est &eacute;videmment avec son leadership, par le pilotage par les normes, par les objectifs. La politique minist&eacute;rielle, depuis plus d&rsquo;une vingtaine d&rsquo;ann&eacute;es, le d&eacute;signe comme un levier de la modernisation du syst&egrave;me &eacute;ducatif secondaire. (P&eacute;lage, 2011)</p> <p>Il exerce &agrave; pr&eacute;sent dans un cadre d&rsquo;autonomie des EPLE (nombre d&rsquo;heures, budget, options), utilise le num&eacute;rique comme un atout et a un objectif devenu prioritaire : les r&eacute;sultats.</p> <p>D&rsquo;apr&egrave;s Fournier, ce chef d&rsquo;&eacute;tablissement peut, par son action, conduire les enseignants &agrave; davantage d&rsquo;implication mais, en m&ecirc;me temps, ceux-ci sont aussi pouss&eacute;s &agrave; l&rsquo;autonomie : &laquo; De plus en plus, on nous demande de jouer &agrave; la fois le r&ocirc;le du manager et celui du manag&eacute;, de nous g&eacute;rer nous-m&ecirc;mes&hellip; &raquo; (Le Texier, 2016) C&rsquo;est le cas pour les sorties, partenariats ou projets interdisciplinaires.</p> <p>Tout ce discours s&rsquo;applique &eacute;galement &agrave; l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve. L&rsquo;id&eacute;ologie du syst&egrave;me veut en faire un &laquo; auto-manager &raquo; autonome et cr&eacute;atif. C&rsquo;est le but annonc&eacute; de l&rsquo;organisation dans les cours d&rsquo;Accompagnement Personnalis&eacute; (AP) o&ugrave; l&rsquo;on propose une diff&eacute;renciation de la p&eacute;dagogie de fa&ccedil;on &agrave; favoriser la progressive acquisition d&rsquo;autonomie de l&rsquo;apprenant. Il en est de m&ecirc;me pour le tutorat o&ugrave; le professeur &laquo; s&rsquo;efface &raquo;, laissant sa place &agrave; un &eacute;l&egrave;ve expert dont la mission est d&rsquo;aider un camarade &agrave; &ecirc;tre plus autonome.</p> <h2>Du pyramidal vers l&rsquo;horizontal</h2> <p>Par cons&eacute;quent, on veut changer le classique management pyramidal de l&rsquo;EN, ce syst&egrave;me qui &laquo; fonctionne sur un mode d&eacute;cisionnel &laquo; top-down &raquo;, sur la base d&rsquo;&eacute;chelons hi&eacute;rarchiques strictement d&eacute;termin&eacute;s<a href="#nbp_3" name="lien_nbp_3">3</a> [o&ugrave;] le manager dispose d&rsquo;une autorit&eacute; directe sur une &eacute;quipe et a le monopole de la d&eacute;finition des missions et objectifs de ses membres. Il est en charge de la fourniture des moyens, de l&rsquo;&eacute;valuation des performances et a une influence d&eacute;cisive sur la r&eacute;mun&eacute;ration et l&rsquo;&eacute;volution professionnelle de ses subordonn&eacute;s &raquo;. (Angot, Meier, 1998)</p> <p>Cette volont&eacute; de changement vient du monde de l&rsquo;entreprise o&ugrave; de nouvelles formes allant vers l&rsquo;horizontal sont en train d&rsquo;&eacute;merger dans une logique de coop&eacute;ration tr&egrave;s &laquo; tendance &raquo;. (Angot, Meier, 1998).</p> <p>En un autre temps, c&rsquo;est ce que Morin, dans La m&eacute;thode : La Vie de la vie, appelait l&rsquo;anarchie : &laquo; L&rsquo;anarchie ce n&rsquo;est pas la non-organisation, c&rsquo;est l&rsquo;organisation qui s&rsquo;effectue &agrave; partir des associations/interactions synergiques [&hellip;] sans qu&rsquo;il y ait besoin pour cela de commande ou contr&ocirc;le &eacute;manant d&rsquo;un niveau sup&eacute;rieur &raquo; (Morin, 1980).</p> <h2>Un &eacute;tablissement agile ?</h2> <p>Nous pourrions donc nous demander si les &eacute;tablissements scolaires pourraient aller jusqu&rsquo;&agrave; suivre le mod&egrave;le de &laquo; l&rsquo;entreprise lib&eacute;r&eacute;e &raquo; ou &laquo; agile &raquo; (Badot,1998) o&ugrave; le syst&egrave;me hi&eacute;rarchique est remplac&eacute; par une structure plate, les collaborateurs s&#39;auto-dirigeant dans un postulat de confiance. (Manager Go, 2018). Ce mouvement fond&eacute; sur des exp&eacute;riences d&rsquo;entreprises veut sortir du taylorisme et du &laquo; management par le haut &raquo; en lib&eacute;rant les potentiels de chacun, favorisant l&rsquo;&eacute;panouissement professionnel et la Qualit&eacute; de Vie au Travail, augmentant la motivation et donnant du sens &agrave; l&rsquo;action (Fornalik, 2016).</p> <p>Si l&rsquo;on veut pousser &agrave; la mise en parall&egrave;le de l&rsquo;entreprise et de l&rsquo;&eacute;tablissement scolaire pourquoi ne pas aller vers une &laquo; &eacute;valuation &agrave; 360&deg; &raquo;, comme c&rsquo;est d&eacute;j&agrave; le cas dans certaines entreprises ? L&rsquo;enseignant devrait alors s&rsquo;auto-&eacute;valuer puis comparer avec l&rsquo;&eacute;valuation de ses pairs (coll&egrave;gues), ses &eacute;l&egrave;ves (et parents ?) et ses sup&eacute;rieurs hi&eacute;rarchiques. Les r&eacute;sultats pourraient lui permettre d&rsquo;op&eacute;rer quelques changements organisationnels pour atteindre les objectifs qu&rsquo;il se serait lui-m&ecirc;me fix&eacute;s. Ceci r&eacute;pondrait &agrave; l&rsquo;id&eacute;e de l&rsquo;autonomie de l&rsquo;enseignant. Cependant, si &laquo; le style transformationnel (participatif) a un effet positif sur l&rsquo;implication dans le m&eacute;tier, contrairement au style transactionnel (style de relations tr&egrave;s hi&eacute;rarchis&eacute;es entre la direction et les enseignants) &raquo; (Gaziel et Wasserstein-Warnet, 2005), sur le terrain, on observe une difficult&eacute; &agrave; mettre en place ces principes en gommant compl&egrave;tement le lien hi&eacute;rarchique (Fournier, 2015). En effet, celui-ci demeure en toile de fond car le chef d&rsquo;&eacute;tablissement a un r&ocirc;le d&rsquo;&eacute;valuateur : l&rsquo;&eacute;valuation des enseignants change mais le contr&ocirc;le est toujours pr&eacute;sent : celui des inspecteurs (eux-m&ecirc;mes cadr&eacute;s) se double de celui du chef d&rsquo;&eacute;tablissement (PPCR, Mai 2017). En fait, m&ecirc;me si on oublie de le dire &agrave; l&rsquo;enseignant na&iuml;f, la hi&eacute;rarchie n&rsquo;est &eacute;videmment pas abolie car on en conserve toujours au minimum deux niveaux : une personne dirigeante et en dessous d&rsquo;elle, des n&oelig;uds hi&eacute;rarchiques responsables de groupes (Santi, 2018).</p> <h1>Routine versus changement ?</h1> <p>Pour finir, envisageons la notion de routine en discutant la tendance trop syst&eacute;matique de l&rsquo;opposer au changement.</p> <h2>Des &laquo; <em>arrangements mat&eacute;riels</em> &raquo;</h2> <p>De la m&ecirc;me fa&ccedil;on que l&rsquo;organisation s&rsquo;hybride plus qu&rsquo;elle ne transmute, les aspects mat&eacute;riels r&eacute;sistent au changement permanent. Dans le domaine de l&rsquo;infrastructure, le mat&eacute;riel change, et l&rsquo;introduction du num&eacute;rique dans la p&eacute;dagogie &eacute;tant le moteur du syst&egrave;me, les&nbsp;pratiques changent aussi. Schatzki (2002) introduit dans l&rsquo;&eacute;tude des pratiques le r&ocirc;le de ce qu&rsquo;il nomme &laquo; les arrangements mat&eacute;riels &raquo; avec lesquels elles vont s&rsquo;articuler pour former des &laquo; n&oelig;uds &raquo; ou ensemble de pratiques : &laquo; Dans le cas des pratiques &eacute;ducatives mentionn&eacute;es plus haut, ces arrangements mat&eacute;riels sont les tableaux, ordinateurs, fichiers d&rsquo;&eacute;tudiants, logiciels de programmation des cours articul&eacute;s aux activit&eacute;s humaines. Les arrangements mat&eacute;riels ne sont pas simplement les supports des pratiques sociales, au contraire celles-ci incorporent aussi une dimension artefactuelle &raquo; (Dubuisson-Quellier et Plessz, 2013, 5).</p> <p>Appuyons-nous sur un exemple : le tableau blanc interactif (TBI) est un outil qui permet au professeur de garder une habitude ancienne (une routine) en continuant d&#39;&eacute;crire au tableau pour communiquer les informations &agrave; ses &eacute;l&egrave;ves. Il ne s&rsquo;agit pas seulement de remplacer la craie par un stylet mais surtout d&rsquo;offrir la possibilit&eacute; de conserver une trace des diff&eacute;rentes &eacute;tapes ou du r&eacute;sultat final, ce qui repr&eacute;sente un atout car cela permet de favoriser la r&eacute;flexion et l&rsquo;apprentissage. Cependant, il y aura aussi une cons&eacute;quence sur le travail de l&#39;&eacute;l&egrave;ve. En effet, une fois pass&eacute; l&#39;attrait de la nouveaut&eacute;, l&rsquo;attention risque de s&#39;&eacute;mousser avec la prise de conscience que la ressource sera accessible plus tard.</p> <p>Il en va de m&ecirc;me avec la g&eacute;n&eacute;ralisation des Smartphones et du BOYD (<em>Bring your Own Device</em>) qui offrent la possibilit&eacute; de prendre une photo du tableau ou d&rsquo;une pr&eacute;sentation projet&eacute;e : que deviennent ces photos ? L&rsquo;&eacute;l&egrave;ve va-t-il vraiment faire l&rsquo;effort de se les approprier et d&rsquo;en m&eacute;moriser les id&eacute;es importantes ou simplement d&rsquo;en garder une trace susceptible d&rsquo;&ecirc;tre retrouv&eacute;e plus tard alors qu&rsquo;il sait qu&rsquo;il pourra avoir acc&egrave;s &agrave; une information similaire, voire meilleure, &agrave; tout moment sur Internet ?</p> <p>Cela met en doute la croyance d&eacute;terministe des sciences de l&rsquo;&eacute;ducation que signalait Jacquinot-Delaunay en 2001 en parlant de &laquo; la trop forte tendance des travaux en technologie de l&rsquo;&eacute;ducation &agrave; s&rsquo;alimenter &agrave; des postulats d&eacute;terministes &ndash; l&rsquo;innovation p&eacute;dagogique par la modernit&eacute; technologique &ndash; &raquo;. L&rsquo;orientation actuelle qui est de penser que le &laquo; canal &raquo; (pour utiliser un terme ancien) des nouvelles technologies suffit &agrave; tout arranger (mat&eacute;riel performant - meilleur apprentissage - meilleurs r&eacute;sultats) montre qu&rsquo;on s&rsquo;accroche encore &agrave; ces id&eacute;es.</p> <h2>La routine : frein ou pilier ?</h2> <p>Cela conduit &agrave; nuancer les approches que l&rsquo;on a de la routine. Le terme est d&eacute;pr&eacute;ciateur. La routine vient d&rsquo;une &laquo; s&eacute;dimentation d&rsquo;exp&eacute;riences qui tend progressivement &agrave; combiner des champs de contraintes variables (coordination, temps, ressources mat&eacute;rielles, comp&eacute;tences, normes, etc.) &raquo; (Dubuisson-Quellier et Plessz, 2013, 42). Elle sous-entend l&#39;inertie des pratiques sociales li&eacute;es &agrave; certaines routines qui les stabilisent dans le temps (dispositifs mat&eacute;riels, savoirs, activit&eacute;s&hellip;) On la pr&eacute;sente comme un frein, un blocage qu&#39;il faut lever, un obstacle &agrave; l&rsquo;&eacute;volution. Beaucoup sont rassur&eacute;s par cette routine, ce qui peut expliquer la r&eacute;sistance &agrave; un changement vu comme &laquo; une rivi&egrave;re tumultueuse accident&eacute;e &raquo; (Bareil, 2016). Si les entretiens libres que nous avons men&eacute; pour notre &eacute;tude ont montr&eacute; qu&rsquo;une majorit&eacute; d&rsquo;enseignants indiquent avoir chang&eacute; leurs pratiques et &ecirc;tre ouverts aux innovations, certains ont une attitude d&rsquo;autoprotection et de refus lorsque qu&rsquo;ils font face &agrave; une demande de changement organisationnel qui leur imposerait de modifier en profondeur une habitude qu&rsquo;ils consid&egrave;rent comme une norme ou un acquis (du plus simple - changer la disposition des tables dans l&rsquo;espace classe - au plus complexe - collaborer, diff&eacute;rencier ou travailler en interdisciplinarit&eacute; -).</p> <p>Cependant, une routine peut &ecirc;tre positive : elle a des avantages car on peut la consid&eacute;rer &laquo; comme une d&eacute;marche d&rsquo;all&eacute;gement de la charge mentale qui &eacute;vite de &ldquo;recalculer&rdquo; en permanence les options &raquo; (Dubuisson-Quellier et Plessz, 2013, 42) comme lister les activit&eacute;s, stabiliser le d&eacute;roulement d&rsquo;une s&eacute;ance, placer un cours au m&ecirc;me moment de la semaine. Ainsi l&rsquo;agenda est une tentative de routinisation qu&rsquo;on ne peut &eacute;viter et il semble encore indispensable, aussi bien pour les enseignants que pour les &eacute;l&egrave;ves, m&ecirc;me s&rsquo;il est moins fig&eacute; qu&rsquo;avant et se modifie en temps r&eacute;el gr&acirc;ce aux outils en ligne (Pronote ou ENT). De plus, &laquo; comme l&rsquo;indiquent R&oslash;pke (2009) ou Shove <em>et al</em>. (2009), ce sont les pratiques qui fa&ccedil;onnent le temps, plut&ocirc;t que l&rsquo;inverse, notamment en raison de leur dimension routini&egrave;re &raquo; (DubuissonQuellier et Plessz, 2013, 39). Il parait donc licite de vouloir initier de nouvelles pratiques qui vont g&eacute;n&eacute;rer un nouveau temps.</p> <h2>Un changement routinier ?</h2> <p>Toutefois, ces pratiques sont appel&eacute;es &agrave; devenir routini&egrave;res pour &laquo; s&rsquo;installer &raquo; et on oublie que le fa&ccedil;onnage signal&eacute; ne peut &ecirc;tre pr&eacute;vu &agrave; l&rsquo;avance, donc que les personnes sont entrain&eacute;es dans une fuite en avant incapable de pr&eacute;voir les cons&eacute;quences du mouvement. On brise la routine en la rempla&ccedil;ant par une obligation &laquo; imm&eacute;diate &raquo; qui renvoie sur des oppositions, donc des blocages &agrave; venir et l&rsquo;on ne peut que tomber dans la routine de l&rsquo;opposition qui n&rsquo;est pas une inertie mais une demande de pr&eacute;cision et de coh&eacute;rence.</p> <p>Ainsi, la r&eacute;gion Occitanie a dot&eacute; en 2017-18 tous les &eacute;l&egrave;ves de 2nde des lyc&eacute;es qui ont obtenu le Label num&eacute;rique d&rsquo;un ordinateur portable neuf et performant. Cette initiative peut &ecirc;tre salu&eacute;e car elle a offert &agrave; tous les &eacute;l&egrave;ves les conditions n&eacute;cessaires &agrave; leur r&eacute;ussite et &agrave; la r&eacute;alisation des t&acirc;ches que leurs enseignants leur donnent. Cependant, il est &eacute;tonnant d&rsquo;observer qu&rsquo;aucun ordinateur n&rsquo;a &eacute;t&eacute; pr&eacute;vu pour les chefs d&rsquo;&eacute;tablissement, ni pour les professeurs (pas m&ecirc;me ceux du Groupe de pilotage num&eacute;rique suppos&eacute;s inciter leurs coll&egrave;gues &agrave; les faire utiliser &agrave; leurs &eacute;l&egrave;ves) et que les ordinateurs ont &eacute;t&eacute; distribu&eacute;s sans que les conditions d&rsquo;organisations pratiques ne soient v&eacute;rifi&eacute;es : n&eacute;cessit&eacute; de wifi pour se connecter &agrave; Internet, &agrave; de nombreuses prises murales pour un chargement en classe, &agrave; des casiers pour les d&eacute;poser &agrave; la pause m&eacute;ridienne etc. M&ecirc;me si ces probl&egrave;mes vont &ecirc;tre r&eacute;solus, ils soulignent le paradoxe entre volont&eacute; institutionnelle et application sur le terrain car ces modifications de pratiques dus &agrave; un changement de mat&eacute;riels ne sont pas pr&eacute;vues dans le cahier des charges initial.</p> <p>Un autre paradoxe surgit : n&rsquo;y a-t-il pas maintenant une routinisation de cette demande de transformation, un &laquo; changement routinier &raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire habituel, permanent et qui fait perdre l&rsquo;enthousiasme de la nouveaut&eacute; qui devrait l&rsquo;accompagner ?</p> <p>Finalement, dans les EPLE, des changements personnels et organisationnels importants ont &eacute;t&eacute; initi&eacute;s ces derni&egrave;res ann&eacute;es, guid&eacute;s par la volont&eacute; de chefs d&rsquo;&eacute;tablissement ou d&rsquo;enseignants d&eacute;sireux d&rsquo;&eacute;voluer dans leurs pratiques mais aussi par des instructions officielles qui r&eacute;pondent &agrave; une pression soci&eacute;tale. Cependant, notre &eacute;tude d&eacute;montre qu&rsquo;il est souvent difficile de concilier les directives officielles et la r&eacute;alit&eacute; du terrain. On avance qu&rsquo;en tenir compte freine les changements profonds voulus mais prendre conscience du contexte n&rsquo;est-il pas n&eacute;cessaire pour construire un syst&egrave;me qui ne soit pas destin&eacute; &agrave; rester utopique ? Une vision &agrave; plus long terme qui renoncerait &agrave; croire que l&rsquo;imm&eacute;diatet&eacute; permise par le num&eacute;rique peut se retrouver dans des structures mat&eacute;rielles, une prise en compte de la sp&eacute;cificit&eacute; des contextes (on applique des m&eacute;thodes con&ccedil;ues pour satisfaire des clients dans un univers o&ugrave; il n&rsquo;y a pas de clients, on oublie qu&rsquo;un adolescent ne se prend pas en charge comme un adulte), la reconnaissance de la formation, de l&rsquo;&eacute;valuation et des moyens et une meilleure communication accompagn&eacute;e de plus d&rsquo;assertivit&eacute; de la part des dirigeants permettraient peut-&ecirc;tre de lever certains paradoxes et d&rsquo;obtenir une adh&eacute;sion de la part des diff&eacute;rents acteurs qui pour l&rsquo;instant n&rsquo;ont pas d&rsquo;autre choix &laquo; que d&rsquo;avoir le choix &raquo; selon l&rsquo;expression de Giddens (Giddens, 1991, 80).</p> <h1>R&eacute;f&eacute;rences bibliographiques</h1> <p>ANGOT J., MEIER O. (1998), &laquo; Les probl&egrave;mes de l&eacute;gitimit&eacute;s au sein d&rsquo;un mode d&rsquo;organisation non hi&eacute;rarchique : le cas d&rsquo;une &lsquo;reprise en main&rsquo;, <em>7&egrave;me conf&eacute;rence internationale de management strat&eacute;gique</em>, 27-28-29 mai.</p> <p>BACHELET R. (1997), <em>Organisation et gestion des risques en salle des march&eacute;s financiers : appareil, march&eacute;, r&eacute;seau,</em> Th&egrave;se de Doctorat en sciences de gestion, Universit&eacute; Paris Dauphine.</p> <p>BADOT O. (1998), <em>Th&eacute;orie de l&rsquo;entreprise agile</em>, L&rsquo;Harmattan.</p> <p>BAREIL C. (2016), <em>Vers une gestion plus humaine du changement organisationnel</em>, HEC Montr&eacute;al.</p> <p>BULLETIN OFFICIEL (2006), <em>R&eacute;novation de l&#39;enseignement des langues vivantes &eacute;trang&egrave;res</em>, n&deg; 23, 8 juin, <a href="https://www.education.gouv.fr/">http://education.gouv.fr</a>.</p> <p>CAVET A. 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(2011), <em>De l&rsquo;emploi du temps aux emplois des temps : vers une approche globale du temps scolaire</em>, &Eacute;ditions Berger-Levrault</p> <h1>Notes</h1> <p><a href="#lien_nbp_1" name="nbp_1">1</a>&nbsp;Le terme &laquo; Kalamazoo &raquo;, antonomase de la soci&eacute;t&eacute; qui les fabriquait, d&eacute;signait ces &eacute;normes cahiers &agrave; la couverture verte, qui pr&eacute;sentaient c&ocirc;te &agrave; c&ocirc;te les trois bulletins annuels, celui du premier trimestre se trouvant &agrave; droite. Chaque enseignant devait attendre son tour pour pouvoir les remplir.</p> <p><a href="#lien_nbp_2" name="nbp_2">2</a> Les indications pour l&rsquo;utilisation de la plateforme de formation M@gist&egrave;re font allusion &agrave; ce droit &agrave; la d&eacute;connexion repris dans l&#39;article 55, chapitre II, de la loi Travail du 21 juillet 2016, intitul&eacute; &laquo; Adaptation du droit du travail &agrave; l&#39;&egrave;re du num&eacute;rique &raquo;. Cependant, notre observation sur le terrain montre que parfois, le d&eacute;lai entre r&eacute;ception d&rsquo;une information et ex&eacute;cution demand&eacute;e n&rsquo;est pas respect&eacute;. Par exemple, une demande ou une information re&ccedil;ue par mail en fin de soir&eacute;e ne peut raisonnablement pas &ecirc;tre appliqu&eacute;e ou connue le lendemain dans la matin&eacute;e par un enseignant (de la m&ecirc;me fa&ccedil;on qu&rsquo;un &eacute;l&egrave;ve ne devrait pas recevoir de la part des enseignants des consignes de travail sur le cahier de texte en ligne un dimanche.)</p> <p><a href="#lien_nbp_3" name="nbp_3">3</a> Minist&egrave;re - chefs d&#39;&eacute;tablissements - professeurs - &eacute;l&egrave;ves</p>