<p><em><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Par Le&iuml;la NADJI LIPHA, Laboratoire interdisciplinaire d&rsquo;&eacute;tude du Politique &ndash; Hannah Arendt &ndash; OMI Universit&eacute; Paris-Est</span></span></span></em></p> <h1>Introduction : sur la n&eacute;cessit&eacute; de questionner le changement</h1> <p>&nbsp;</p> <blockquote> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">&laquo; <i>Il faut parfois tout changer pour que rien ne change</i> &raquo; (G. Lampedusa, 2007)</span></span></span></p> </blockquote> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">L&rsquo;inqui&eacute;tude de l&rsquo;aristocrate, d&eacute;crit par l&rsquo;&eacute;crivain Lampedusa face aux nombreuses r&eacute;volutions en marche, rappelle combien les changements g&eacute;n&egrave;rent d&rsquo;autres changements de fa&ccedil;on irr&eacute;m&eacute;diable. De nos jours aussi, plus que jamais, le changement s&rsquo;invite dans chaque strate de la vie sociale particuli&egrave;rement, au c&oelig;ur des entreprises et de leur organisation. Qu&rsquo;est-ce qui change dans le changement, est-il diff&eacute;rent, pourrait-on s&rsquo;interroger ? Depuis les temps anciens les &ecirc;tres humains plongent dans une course effr&eacute;n&eacute;e, elle se d&eacute;roule avec en ligne de mire la continuit&eacute; de la vie ou, la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;une survie. Si nous voulons que &laquo; rien ne change &raquo;, sous-entendu, continuer &agrave; vivre en tentant d&rsquo;aller toujours vers mieux, alors devons-nous non seulement changer, mais tout changer en permanence ?</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Habituellement, le changement est per&ccedil;u comme &laquo; l&rsquo;acte par lequel un sujet permanent se modifie, ou est modifi&eacute; dans quelqu&rsquo;un ou quelques-uns de ses caract&egrave;res &raquo; (Lalande, 2010, 138). Il s&rsquo;agit alors d&rsquo;une modification, venant de l&rsquo;int&eacute;rieur ou impos&eacute;e par l&rsquo;ext&eacute;rieur, ne bouleversant apparemment rien de la structure initiale. Ou bien, il est &eacute;galement possible d&rsquo;&eacute;voquer le changement quand il s&rsquo;agit de la &laquo; transformation d&rsquo;une chose en une autre, ou substitution d&rsquo;une chose &agrave; une autre &raquo; (Kant, <em>in</em> Lalande, 2010,138).</span></span></span></p> <blockquote> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">&laquo; <em>Le changement fait partie de la vie des organisations, soit pour conserver l&rsquo;&eacute;quilibre, soit pour se reproduire soit pour se transformer</em> &raquo;. (Guilhon, 1998)</span></span></span></p> </blockquote> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Cette distinction appelle d&rsquo;autres notions &eacute;voqu&eacute;es &agrave; travers un changement. Ainsi, celle d&rsquo;alt&eacute;ration, (Aristote), quant &agrave; elle, r&eacute;v&egrave;le une atteinte de la qualit&eacute; : &laquo; le fait de devenir ou de rendre autre &raquo; (Lalande, 2010, 38), en conservant l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;aller vers un mieux, am&eacute;liorer, ou bien, en le d&eacute;naturant. Le sens commun actuel est envisag&eacute; dans l&rsquo;axe de privation de qualit&eacute;. Dire d&rsquo;une chose qu&rsquo;elle est alt&eacute;r&eacute;e signifiant qu&rsquo;elle aurait perdu une part d&rsquo;elle-m&ecirc;me. Nous avons tous et toutes entendu un jour &laquo; avant c&rsquo;&eacute;tait mieux &raquo;, &laquo; on aurait mieux fait de ne rien faire &raquo;. Des propos parfois guid&eacute;s par ce que l&rsquo;on nomme &laquo; r&eacute;sistance au changement &raquo;, mais, avec le temps r&eacute;v&eacute;lant tant&ocirc;t une r&eacute;elle d&eacute;gradation, ou tant&ocirc;t, plut&ocirc;t la bonification d&rsquo;une situation. En effet, souvent le changement qui nous pousse d&rsquo;un &eacute;tat &agrave; un autre, constitue la perte de cet &eacute;tat, au b&eacute;n&eacute;fice suppos&eacute; d&rsquo;un autre qui chacun le souhaite sera mieux ou meilleur.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">A l&rsquo;inverse de ce &laquo; tout &raquo; qui change pour en d&eacute;finitive ne rien changer, serait-il permis de dire : il faut parfois ne rien changer pour que tout change ? Le changement est-il &laquo; si nouveau &raquo; en d&eacute;finitive ? Depuis l&rsquo;Antiquit&eacute;, la philosophie s&rsquo;est int&eacute;ress&eacute;e au monde en cherchant &agrave; montrer des &laquo; choses qui autrement resteraient inconnues &raquo;. Le discours philosophique, ou <em>logos</em>, r&eacute;v&egrave;le le monde &agrave; travers le spectacle de son changement. Un monde est une forme de tout, &laquo; un tout &raquo; en mouvement (H&eacute;raclite) : &laquo; le &lsquo;monde&rsquo; sera un environnement dynamique au sein duquel des choses ont lieu &raquo;. Cette dynamique apparait dans la vision d&rsquo;un changement permanent d&rsquo;un &laquo; tout qui s&rsquo;&eacute;coule &raquo;. Cette id&eacute;e est plus que jamais l&agrave;, dans le prisme du monde du travail quotidien actuel. Le changement est omnipr&eacute;sent, m&ecirc;me s&rsquo;il est regard&eacute; depuis un autre lieu que celui des antiques philosophes, le monde continue de changer. Le changement ph&eacute;nom&egrave;ne permanent traverse les &eacute;poques : &laquo; On ne peut pas entrer deux fois dans le m&ecirc;me fleuve. Tout s&rsquo;&eacute;coule &raquo; (H&eacute;raclite). L&rsquo;eau qui passe aujourd&rsquo;hui, n&rsquo;est pas la m&ecirc;me eau que celle d&rsquo;hier : la vie porte en elle le changement. Le changement, &laquo; dans et de &raquo; la vie sociale, est devenu aussi banal que stable (Bourricaud, 1962). Pourrait-il y avoir une vie en l&rsquo;absence de changement ? A quoi peut-il servir de vouloir changer quelque chose d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; qui de toutes fa&ccedil;ons changera malgr&eacute;-nous, et/ou &agrave; cause de nous ?</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Les nouvelles technologies mues par Internet, acc&egrave;s &agrave; un r&eacute;seau mondial, ont produit un ensemble de ph&eacute;nom&egrave;nes tels que &laquo; l&rsquo;hyper-connexion &raquo; (permanence du temps pass&eacute; sur les r&eacute;seaux), la surcharge en informations (dite parfois &laquo; infob&eacute;sit&eacute; &raquo;) et l&rsquo;imm&eacute;diatet&eacute; (la possibilit&eacute; d&rsquo;avoir tout et tout de suite). Il en d&eacute;coule un ensemble combin&eacute; de facteurs tout autant &agrave; l&rsquo;origine d&rsquo;instabilit&eacute;s per&ccedil;ues comme destructrices que d&rsquo;opportunit&eacute;s voulues cr&eacute;atrices. Il devient commun d&rsquo;&eacute;voquer : les mutations du monde du travail sous l&rsquo;effet des transformations num&eacute;riques de l&rsquo;&egrave;re digital. L&rsquo;adjectif &laquo; digital &raquo;<a href="#nbp_1" name="lien_nbp_1">1</a> signifie aussi<a href="#nbp_2" name="lien_nbp_2">2</a> &laquo; qui appartient et se rapporte aux doigts &raquo;, &agrave; qui appartient ce doigt sinon &agrave; l&rsquo;homme ? L&rsquo;homme n&rsquo;est-il pas, en quelque sorte, dans une volont&eacute; d&rsquo;agir, de telle sorte qu&rsquo;il ambitionne de ma&icirc;triser les incertitudes dans lesquelles le plongent la nature, pour devenir ma&icirc;tre de ces changements ? Dans ce contexte, en mouvance permanente, il r&egrave;gne une complexit&eacute; issue d&rsquo;un environnement o&ugrave; les interactions se d&eacute;veloppent simultan&eacute;ment &agrave; plusieurs niveaux ouverts par un nouvel espace presque sans limite, le virtuel. Il semblerait qu&rsquo;il y ait quelque chose de nouveau, &agrave; travers ces changements, qui plonge l&rsquo;homme, en lui faisant croire en l&rsquo;immensit&eacute; d&rsquo;un champ de possibles ? Il devient alors essentiel de s&rsquo;interroger sur la place, et le r&ocirc;le, que l&rsquo;homme prend sp&eacute;cifiquement dans la part du monde d&eacute;di&eacute;e au travail ?</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Quel qu&rsquo;en soit le sens, elle exprime la r&eacute;alit&eacute; d&rsquo;une mutation profonde, acc&eacute;l&eacute;r&eacute;e o&ugrave;, plus que jamais, la p&eacute;rennit&eacute; des entreprises repose sur leurs capacit&eacute;s &agrave; d&eacute;tecter les mod&egrave;les de demain pour mieux les r&eacute;interpr&eacute;ter. &laquo; Le changement devient, de nos jours, la r&egrave;gle et la stabilit&eacute; l&rsquo;exception &raquo; (Vandangeon-Derumez, 1998). Depuis quelques ann&eacute;es d&eacute;j&agrave; le changement s&rsquo;est invit&eacute; dans les entreprises comme une r&egrave;gle de fonctionnement. Il s&rsquo;installe non plus comme une sorte de ph&eacute;nom&egrave;ne permanent r&eacute;curent qui suit son court au fil du temps d&rsquo;une mani&egrave;re naturelle mais, il s&rsquo;impose comme une nouvelle forme de gouvernance oblig&eacute;e et incontournable. Le monde qui change devient alors &agrave; une sorte d&rsquo;imp&eacute;ratif : le monde doit changer. Le management des organisations est dor&eacute;navant soumis &agrave; des successions sans fin de projets. Ils provoquent des changements, leur dynamique s&rsquo;inscrit dans une volont&eacute; permanente de transformations appel&eacute;es innovations et port&eacute;es par la qu&ecirc;te d&rsquo;une performance toujours plus forte de collectifs d&rsquo;individus comp&eacute;tents. Les dirigeants d&eacute;cident avec plus ou moins de perspicacit&eacute;, ou de savoir-faire, des strat&eacute;gies toujours plus complexes (au sens de leur multiplicit&eacute;). La clef de voute du changement repose sur la transmission d&rsquo;une information. La communication devient un vecteur essentiel. Il n&rsquo;existera pas de changement r&eacute;ussi sans une bonne communication. Bien souvent, cette derni&egrave;re est toutefois tronqu&eacute;e parce que l&rsquo;on ne dit pas tout aux personnes concern&eacute;es, mais juste le n&eacute;cessaire. Nombreux sont ceux qui s&rsquo;int&eacute;ressent &agrave; la fa&ccedil;on de r&eacute;duire le plus possible les r&eacute;sistances des individus concern&eacute;s, sans jamais pour autant s&rsquo;int&eacute;resser aux cons&eacute;quences pour ces derniers de ces &eacute;volutions dans leur vie au travail. C&rsquo;est dans la parole recueillie aupr&egrave;s des travailleurs que na&icirc;t notre raisonnement.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Dans un premier temps, nous pr&eacute;senterons bri&egrave;vement la singularit&eacute; de notre cheminement m&eacute;thodologique, ancr&eacute;e dans la r&eacute;alit&eacute; subjective de notre propre exp&eacute;rience issue d&rsquo;enqu&ecirc;tes de terrain. Notre approche discursive est b&acirc;tie autour d&rsquo;une interrogation qui nait de la rencontre m&ecirc;me entre une pratique professionnelle et des concepts emprunt&eacute;s &agrave; la philosophie. Il existe ici une volont&eacute; d&rsquo;&eacute;clairer une situation face &agrave; laquelle notre champ disciplinaire habituel se heurte, il ne nous permet plus de r&eacute;pondre. A partir de l&agrave;, nous &eacute;mettrons l&rsquo;hypoth&egrave;se que tenter de comprendre ces situations de changements permanents orchestr&eacute;s par l&rsquo;homme ouvre &agrave; l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une <em>obsolescence de l&rsquo;homme</em> au monde du travail, envisag&eacute; comme nouveau paradigme. Ce concept convoque lui-m&ecirc;me l&rsquo;hypoth&egrave;se de la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;une &eacute;thique commune qu&rsquo;il nous appartient de penser et dont nous sugg&egrave;rerons une piste d&rsquo;&eacute;bauche.</span></span></span></p> <h1>Le chemin de la pens&eacute;e comme m&eacute;thodologie r&eacute;flexive</h1> <p>&nbsp;</p> <blockquote> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">&laquo; <em>Ils nous conduiront en des lieux que nous devons traverser pour parvenir au point o&ugrave; le seul secours, c&rsquo;est de sauter. Seul un saut nous porte jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;endroit de la pens&eacute;e</em> &raquo;. (Heidegger, 1952)</span></span></span></p> </blockquote> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">L&rsquo;&eacute;thique porte au-del&agrave; d&rsquo;une morale s&rsquo;attachant &agrave; d&eacute;finir les limites incertaines du bien et du mal. Elle &eacute;voque les m&oelig;urs, au sens du vivre ensemble en un lieu, une &eacute;poque, sp&eacute;cifiques (<em>habitus</em>). Nous inscrivons notre d&eacute;marche dans cette philosophie pratique. Autrement dit, la philosophie porte ici son int&eacute;r&ecirc;t sur la <em>praxis</em> consid&eacute;r&eacute;e comme un ensemble d&rsquo;activit&eacute;s guidant le vivre ensemble. Nous pourrions exprimer une fa&ccedil;on d&rsquo;agir pour pratiquer la philosophie, mais il est surtout question d&rsquo;exprimer une forme de r&eacute;flexion n&eacute;e de l&rsquo;agir.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Le sujet nait dans une pratique professionnelle confront&eacute;e &agrave; une interrogation : celle de consultante expert<a href="#nbp_3" name="lien_nbp_3">3</a> en sant&eacute; et conditions de travail, aupr&egrave;s des instances repr&eacute;sentatives du personnel (&laquo; ex-<a href="#nbp_4" name="lien_nbp_4">4</a>comit&eacute;s d&rsquo;hygi&egrave;ne de sant&eacute; et conditions de travail &raquo;). Ce travail consiste depuis &agrave; r&eacute;aliser des enqu&ecirc;tes qualitatives<a href="#nbp_5" name="lien_nbp_5">5</a> aupr&egrave;s de salari&eacute;s par le mandat de leurs repr&eacute;sentants. Ces interventions se r&eacute;alisent face &agrave; des situations particuli&egrave;res : quand il existe un risque grave ou bien, quand un projet est dit important. L&rsquo;expert intervient parce qu&rsquo;&agrave; un moment donn&eacute;, les dirigeants n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; suffisamment explicites, ou bien, qu&rsquo;ils n&rsquo;ont pas agi face &agrave; la gravit&eacute; d&rsquo;une situation. Les enqu&ecirc;tes &eacute;valuent les impacts possibles d&rsquo;un projet sur les conditions de travail et leurs impacts sur la sant&eacute;, et les dispositifs de pr&eacute;vention. Cette activit&eacute; porte au plus pr&egrave;s des hommes et des femmes &agrave; travers leur rapport v&eacute;cu &agrave; la r&eacute;alit&eacute; de leur travail exprim&eacute; dans les entretiens dont &laquo; <em>L&rsquo;objectif est de saisir le sens d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne complexe tel qu&rsquo;il est per&ccedil;u par les participants et le chercheur dans une dynamique de co-construction du sens </em>&raquo; (Imbert, 2010)</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Le sujet d&eacute;velopp&eacute; parle de situations o&ugrave; l&rsquo;expert est requis face &agrave; un &laquo; projet important &raquo; source de changements profonds. L&rsquo;expert apporte des &eacute;clairages &agrave; travers un diagnostic. Il n&rsquo;emp&ecirc;che pas les projets de se r&eacute;aliser, il vient juste pond&eacute;rer les &eacute;lans enthousiastes parfois d&eacute;vastateurs d&rsquo;une politique continuelle de changements peu maitris&eacute;s. Il participe &agrave; la r&eacute;introduction d&rsquo;une forme de dialogue social.</span></span></span></p> <blockquote> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">&laquo; <em>Et nous dans tout &ccedil;a ? O&ugrave;, est-ce qu&rsquo;on est, nous ?</em> &raquo;</span></span></span></p> </blockquote> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Par ces quelques mots, les salari&eacute;s<a href="#nbp_6" name="lien_nbp_6">6</a> d&rsquo;une entreprise internationale de transport s&rsquo;exprimaient sur le plan social de leur entreprise, annon&ccedil;ant la suppression de quelques six cent cinquante-trois emplois soit, un tiers des salari&eacute;s. Ces derniers allaient se retrouver sans travail dans les six mois &agrave; venir. &laquo; <em>On ne parle pas de nous</em> &raquo; disaient-ils encore. Les chauffeurs livreurs quant &agrave; eux, ruminaient une col&egrave;re sourde : un an auparavant ils &eacute;taient d&eacute;sign&eacute;s ambassadeurs de l&rsquo;entreprise. On leur expliquait alors la port&eacute;e incontournable de leur travail. Ce jour-l&agrave;, la vitrine de cette soci&eacute;t&eacute; internationale explosait en mille morceaux : les ambassadeurs rejoindraient le banc de touche de ceux qui devraient partir. Le travail d&rsquo;expert consistait &agrave; dire qu&rsquo;ils &eacute;taient l&agrave;, que derri&egrave;re les &laquo; 4 &agrave; 5 % de la masse salariale &raquo;<a href="#nbp_7" name="lien_nbp_7">7</a> dont on se d&eacute;lestait, pour dynamiser l&rsquo;&eacute;quilibre budg&eacute;taire menac&eacute; du groupe, peut-&ecirc;tre &agrave; juste titre. Derri&egrave;re les chiffres, il y avait juste des vies devenues invisibles, sans int&eacute;r&ecirc;t derri&egrave;re le sentiment d&rsquo;une raison strat&eacute;gique d&eacute;nu&eacute;e de raisonnable. &laquo; <em>O&ugrave; sommes-nous ? </em>&raquo;, cette interrogation marque l&rsquo;esprit du philosophe : que r&eacute;pondre &agrave; de tels propos ? &laquo; <em>O&ugrave; sommes-nous ?</em> &raquo;, ou bien, quelle sera leur place demain dans ce monde du travail, si les d&eacute;cisions semblent ne plus se soucier de leur devenir ou simplement de leur pr&eacute;sence ? &Eacute;tait-ce l&agrave; l&rsquo;expression d&rsquo;une nouvelle forme de d&eacute;shumanisation &agrave; laquelle nous assistons sans presque rien pouvoir y faire ? Les salari&eacute;s ne se sentaient plus consid&eacute;r&eacute;s &agrave; travers ce projet qui allait bouleverser leur environnement de travail. &laquo; Consid&eacute;rer &raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire, &laquo; tenir compte de &raquo;, on ne semble pas tenir compte de leur pr&eacute;sence. Ils se sentent rejet&eacute;s au-del&agrave; de l&rsquo;exclusion, du projet qui les concerne. Ce n&rsquo;est pas l&rsquo;exclusion des hommes qui marque les esprits mais bien la fa&ccedil;on dont on leur montre &agrave; quel point ils n&rsquo;ont plus de valeur, que ce &laquo; qu&rsquo;ils valent &raquo;, que leur vie n&rsquo;est plus au c&oelig;ur du processus strat&eacute;gique. Et, cette interrogation se retrouve &agrave; la lecture de nombreux projets de changement dans les communications transmises pour avis aux repr&eacute;sentants des salari&eacute;s. Cette question &laquo; o&ugrave; sommes-nous ? &raquo; et ce constat &laquo; on ne parle pas de nous &raquo; se r&eacute;p&egrave;tent dans la plupart des consultations et dossiers d&rsquo;informations pr&eacute;sent&eacute;s qui ne font cas que d&rsquo;une absolue n&eacute;cessit&eacute; li&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;conomie ou bien, &agrave; l&rsquo;am&eacute;lioration suppos&eacute;e de la technologie. Cette question devient essentielle, de la place des hommes dans les changements qui les concernent, parce qu&rsquo;ils en paraissent exclus tant ils sont d&eacute;pass&eacute;s.</span></span></span></p> <h1>Dans quel monde sommes-nous?</h1> <p>&nbsp;</p> <blockquote> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">&laquo; <em>Il ne suffit pas de changer le monde. Nous le changeons de toute fa&ccedil;on. Nous devons aussi interpr&eacute;ter ce changement pour pouvoir le changer &agrave; son tour. Afin que le monde ne continue pas de changer sans nous. Et que nous ne nous retrouvions pas &agrave; la fin, dans un monde sans hommes </em>&raquo;. (Anders, 2002)</span></span></span></p> </blockquote> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Pour comprendre ces changements provoqu&eacute;s par l&rsquo;homme, en saisir les possibles cons&eacute;quences, voir les d&eacute;tourner et les orienter. Il devient urgent d&rsquo;agir pour &ecirc;tre des acteurs responsables, afin de survivre &agrave; ses propres actions. De nos jours, il se passe quelque chose de nouveau : l&rsquo;&egrave;re digitale plonge les hommes dans l&rsquo;hypermodernit&eacute;, une forme paradoxale et in&eacute;dite (Lipovetsky, 1983). Est-ce l&agrave; un nouveau monde ? Il se passe quelque chose de nouveau dans le monde o&ugrave; nous vivons, mais aussi, et surtout, dans le monde que nous voulons cr&eacute;er. Il s&rsquo;agit l&agrave; de l&rsquo;heure de la raison num&eacute;rique, &laquo; dans une appr&eacute;hension des faits qui ordonne les pratiques &raquo; (Sadin, 2015). Le cheminement dans un discours raisonn&eacute; tend &agrave; apporter un peu de clart&eacute; sur ces notions qui courent dans le monde hypermoderne. Nous proposons une d&eacute;lib&eacute;ration &eacute;thique clarifiante autour du ph&eacute;nom&egrave;ne, o&ugrave; les transformations profondes dans les organisations li&eacute;es &agrave; l&rsquo;introduction du num&eacute;rique, entrainent tout autant des mutations du travail que des m&eacute;tamorphoses du sujet (Godart, 2017). Comment faire alors pour conserver une &laquo; vie bonne &raquo; (Aristote) au sein des entreprises ? Comment faire, quand de nouvelles souffrances envahissent les organisations sous la forme d&rsquo;une v&eacute;ritable pand&eacute;mie sociale pour revenir vers une vie meilleure ? La vie est-elle toujours bonne si nous n&rsquo;en sommes plus les penseurs, et les acteurs de cet &eacute;lan num&eacute;ris&eacute; que nous avons pourtant cr&eacute;&eacute;, et que tout porte &agrave; croire qu&rsquo;il existe sans plus se soucier de nous : &laquo; o&ugrave; sommes-nous &raquo;.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">A l&rsquo;aube du XXI&egrave;me si&egrave;cle, de nombreux penseurs s&#39;accordent &agrave; identifier une sorte de d&eacute;liquescence sociale. Elle s&rsquo;exprime &agrave; travers : l&#39;&egrave;re du vide (Lipovetsky, 1983), la postmodernit&eacute; (Lyotard), la modernit&eacute; liquide (Bauman). Tout se passe comme si, il n&rsquo;&eacute;tait plus possible de faire face &agrave; un syst&egrave;me ferm&eacute; (Ellul, 1977) : l&rsquo;on assiste &agrave; une sorte d&rsquo;explosion des barri&egrave;res d&eacute;limitant les contours. Une infinit&eacute; de possibilit&eacute;s semblent s&rsquo;offrir aux hommes dans un tout qui se niche &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle mondiale et se r&eacute;alise dans une forme d&rsquo;imm&eacute;diatet&eacute; d&rsquo;un tout toujours possible et permanent. Ce &laquo; o&ugrave; &raquo; qui cherche un lieu dans un espace qui d&eacute;passe totalement la raison parce que les limites du possible n&rsquo;ont justement plus de limite. Nous sommes tout &agrave; la fois proches et loin des autres, qui eux-m&ecirc;mes ne sont plus l&agrave;, mais demeurent pr&eacute;sents dans la permanence. Comment s&rsquo;y retrouver alors face &agrave; ce nouvel infini ?</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Les organisations sociales (entreprises priv&eacute;es ou associations, organismes publics) se sont toutes empar&eacute;es dans une fr&eacute;n&eacute;sie acc&eacute;l&eacute;r&eacute;e du changement permanent et imp&eacute;ratif : il faut passer au num&eacute;rique. Il passe pour une r&egrave;gle strat&eacute;gique de pilotage entendue comme une &eacute;vidence. Les entreprises changent tout le temps, elles changent pour changer, mais qu&rsquo;en est-il des hommes ? Cependant, &agrave; force de changer tout le temps, peut-on encore en percevoir les changements ? Si ces derniers ne s&rsquo;arr&ecirc;tent jamais, sous-entendu, jamais suffisamment pour que nous les saisissions, que percevons nous ? Nous l&rsquo;&eacute;voquions en introduction : &laquo; Il faut parfois tout changer pour que rien ne change &raquo;. Le &laquo; tout &raquo; appelle le rien ou encore, il s&rsquo;&eacute;chappe chaque jour un peu plus, &agrave; tel point qu&rsquo;il ne reste rien : serait-ce le vide ? Les hommes n&rsquo;ont plus m&ecirc;me le temps de se saisir de ce qui est, que d&eacute;j&agrave;, autre chose est l&agrave;, et cette spirale sans fin, &laquo; liquide &raquo; insaisissable, o&ugrave; ils ne sont plus que d&eacute;pass&eacute;s en permanence.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">L&rsquo;entreprise est ce monde social o&ugrave; se joue une grande part des changements (Ollivier, 2001). Il englobe tout &agrave; la fois l&rsquo;activit&eacute;, &agrave; travers un ensemble de <em>praxis</em> constitu&eacute;es de m&eacute;tiers, de techniques, de dimension &eacute;conomique, mais &eacute;galement les lieux o&ugrave; les acteurs entrent en jeu, couvrant l&rsquo;&eacute;chelle mondiale d&rsquo;une toile ou d&rsquo;un r&eacute;seau. Aujourd&rsquo;hui, les activit&eacute;s et la communication se r&eacute;alisent m&ecirc;me hors des murs de l&rsquo;entreprise : les fronti&egrave;res se dissolvent. C&rsquo;est bien au-del&agrave; de l&rsquo;environnement sensoriel imm&eacute;diat qu&rsquo;il faut penser. L&rsquo;ampleur du ph&eacute;nom&egrave;ne emp&ecirc;cherait de raisonner convenablement : elle d&eacute;passe la capacit&eacute; de l&rsquo;homme &agrave; imaginer. Ils ne sont plus capables d&rsquo;appr&eacute;hender le monde quand il les distance tout en se d&eacute;veloppant sans limite, et, qu&rsquo;il d&eacute;borde des esprits, et, surtout, quand il marche &agrave; un &laquo; pas duquel nous serions incapables de marcher &raquo; (Anders, 1956). La vie sociale nouvelle s&rsquo;articule &eacute;galement autour d&rsquo;oppos&eacute;s antinomiques permanent d&rsquo;un univers &laquo; paradoxant &raquo; (De Gaulejac, 1991). L&rsquo;homme devient tout &agrave; la fois cet &ecirc;tre pr&eacute;sent et absent d&rsquo;un monde qui devient proche, envahissant et, qui demeure pourtant si &eacute;loign&eacute;. Comment - &ecirc;tre - d&egrave;s lors que la r&eacute;alit&eacute; lui &eacute;chappe et le d&eacute;passe ?</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Dans cette &laquo; infinit&eacute; &raquo;, d&rsquo;un monde augment&eacute; de la dimension virtuelle, vient se nicher l&rsquo;<em>obsolescence de la vie des hommes au sein des organisations sociales</em>. Cet &eacute;tat des lieux t&eacute;moigne de l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;un nouveau paradigme : <em>celui de l&rsquo;obsolescence de l&rsquo;homme au monde du travail </em>(Anders, 1956-2002).</span></span></span></p> <h1>L&rsquo;obsolescence de l&rsquo;homme au monde du travail ?</h1> <p>&nbsp;</p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">La question se pose dans l&rsquo;expression m&ecirc;me : &laquo; l&rsquo;homme au monde du travail &raquo;, et non pas, &laquo; l&rsquo;homme dans le monde du travail &raquo;. Cette interrogation lancinante renait dans l&rsquo;expression des salari&eacute;s face aux projets suppos&eacute;s les concerner dont la communication et les motivations ne tient aucun compte d&rsquo;eux : &laquo; o&ugrave; sommes-nous ? &raquo;, &laquo; dedans ou dehors &raquo;, &laquo; avant ou apr&egrave;s &raquo; ? Parler de &laquo; l&rsquo;homme dans le monde du travail &raquo;, cela signifierait que l&rsquo;homme a encore sa place dans le monde du travail. Anders pose d&egrave;s le premier tome de son essai, et dans le titre d&rsquo;un autre texte, l&rsquo;id&eacute;e que &laquo; l&rsquo;homme est sans monde &raquo; (Anders, 2015). Un homme sans monde ne peut plus &ecirc;tre un homme dans le monde. Question relative &agrave; ce monde qui continue de fonctionner ind&eacute;pendamment des hommes dont la valeur serait devenue &laquo; obsol&egrave;te &raquo;, &agrave; savoir sans int&eacute;r&ecirc;t. Il serait n&eacute;cessaire de s&rsquo;int&eacute;resser &agrave; ce lien particulier de l&rsquo;homme au monde du travail.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">L&rsquo;obsolescence de l&rsquo;homme au monde du travail num&eacute;ris&eacute; n&rsquo;est pas une d&eacute;shumanisation des entreprises. L&rsquo;homme est toujours l&agrave;, m&ecirc;me s&rsquo;il ne sait plus &laquo; o&ugrave; &raquo; exactement, m&ecirc;me si, il n&rsquo;est plus au c&oelig;ur des pr&eacute;occupations : il est d&eacute;pass&eacute;, &laquo; obsol&egrave;te &raquo;. Mais, l&rsquo;a-t-il d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; ? L&rsquo;obsolescence ne devient possible que parce qu&rsquo;il y a eu un processus de <em>honte prom&eacute;th&eacute;enne</em> (Anders, 1956). L&rsquo;homme aurait honte de ne pas avoir &eacute;t&eacute; produit, au sens de con&ccedil;u, par l&rsquo;homme. Nous le voyons bien que les ordinateurs et autres objets connect&eacute;s sont plus que jamais consid&eacute;r&eacute;s comme &laquo; sup&eacute;rieurs &raquo; &agrave; l&rsquo;homme. Lui qui est limit&eacute;, lui qui peut faillir errare humanum est. Est-ce &agrave; dire de ces objets qu&rsquo;ils sont meilleurs que l&rsquo;homme ? S&rsquo;il est vrai que &laquo; les instruments ont pris de l&rsquo;avance sur nous &raquo; (Anders, 1956), alors nous devenons simplement &laquo; d&eacute;pass&eacute;s &raquo;, obsol&egrave;tes. Tout se passe comme si les hommes devenaient insaisissables dans cette masse d&rsquo;informations num&eacute;ris&eacute;es. Le d&eacute;passement serait alors non pas seulement &ecirc;tre d&eacute;pass&eacute; par les objets, mais aussi &ecirc;tre d&eacute;pass&eacute;s avec les objets dont ils ignorent o&ugrave; ils les transportent. Plus ils pensent s&rsquo;en rapprocher, et plus la possibilit&eacute; de rattraper les objets qu&rsquo;il cr&eacute;&eacute; s&rsquo;&eacute;loigne.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">La d&eacute;faillance de la machine peut &ecirc;tre li&eacute;e &agrave; son fonctionnement lui-m&ecirc;me et, dans ce cas, qui d&rsquo;autre que l&rsquo;homme peut intervenir pour r&eacute;parer les erreurs parce qu&rsquo;il demeure pr&eacute;sent par la pens&eacute;e et l&rsquo;agir ? Qui d&rsquo;autre que l&rsquo;homme peut induire et lancer le programme qui d&eacute;cide du fonctionnement de la machine. Qui d&rsquo;autre que l&rsquo;homme peut par son doigt donner vie &agrave; l&rsquo;univers digitalis&eacute; ?</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Anders articule ses id&eacute;es autour d&rsquo;un constat, la d&eacute;signation de trois r&eacute;volutions industrielles : la premi&egrave;re a consist&eacute; &agrave; cr&eacute;er des machines pour remplacer les hommes, la seconde vint avec l&rsquo;arriv&eacute;e des machines pour construire les machines. C&rsquo;est dans la troisi&egrave;me qu&rsquo;il consolide son concept d&rsquo;obsolescence : elle se d&eacute;finit &agrave; partir du moment o&ugrave; nous r&eacute;alisons parce que nous pouvons le faire : &laquo; ce qui peut &ecirc;tre fait doit &ecirc;tre fait &raquo;. Elle pourrait s&rsquo;appeler l&rsquo;&egrave;re digitale. Le possible devient injonction, le &laquo; je peux faire &raquo; s&rsquo;est transform&eacute; en &laquo; je dois faire &raquo;. Le faisable s&rsquo;&eacute;mancipe des questionnements, du &laquo; pourquoi je fais ? &raquo;, &laquo; est-ce je peux faire &raquo; ou &laquo; comment je fais &raquo;. L&rsquo;impossible devient alors invraisemblable : rien ne doit &ecirc;tre impossible. La loi du possible s&rsquo;impose partout, comme une exigence inqui&eacute;tante : ai-je encore la possibilit&eacute; de ne pas faire, de ne pas &ecirc;tre celui-l&agrave; m&ecirc;me qui ne sait pas faire ? L&rsquo;entreprise doit permettre de gagner toujours plus d&rsquo;argent, et si la plus-value n&rsquo;est pas r&eacute;alis&eacute;e par la production, alors, il faut diminuer la masse salariale dont le co&ucirc;t devient insupportable. Toutefois, &laquo; les limites de l&rsquo;homme exigent d&rsquo;&ecirc;tre vraiment trac&eacute;es &agrave; partir de l&rsquo;homme tel qu&rsquo;il est &raquo;, rappelle Anders avec sagesse (Anders, 1956).</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Le &laquo; tout est possible &raquo; ne se pr&eacute;sente-t-il pas &eacute;galement comme un espoir nouveau s&rsquo;ouvrant &agrave; l&rsquo;homme ? Est-ce que nous sommes en train de devenir autre, un homme augment&eacute; par cette puissance qu&rsquo;il a lui-m&ecirc;me g&eacute;n&eacute;r&eacute;e ? La technique devient une possibilit&eacute; pour l&rsquo;homme d&rsquo;&ecirc;tre, de se r&eacute;aliser et de construire comme individu. L&rsquo;individuation, se mat&eacute;rialisant dans le rapport &agrave; la technique. Elle est port&eacute;e par Simondon, selon lui, la technique est intimement li&eacute;e et une part m&ecirc;me de l&rsquo;homme, puisqu&rsquo;il en est le g&eacute;niteur. Il voit une forme de <em>transindividualit&eacute;</em> entre l&rsquo;homme et l&rsquo;objet technique. Il permet &agrave; l&rsquo;homme non plus de s&rsquo;&eacute;manciper mais de s&rsquo;accomplir gr&acirc;ce &agrave; ce rapport privil&eacute;gi&eacute; de la technique qui devient nature dans l&rsquo;homme. Autrement dit, la nature cr&eacute;&eacute;e par l&rsquo;homme pour l&rsquo;homme. L&rsquo;accomplissement, c&rsquo;est devenir soi, une forme d&rsquo;individuation qui s&rsquo;exprime dans et par la technique. Cette technologie va plus vite que notre esprit, elle traite les informations et permet de r&eacute;duire consid&eacute;rablement, dans l&rsquo;absolu, nos erreurs. L&rsquo;accomplissement, serait merveilleux, sans nul doute envisageable si l&rsquo;homme n&rsquo;&eacute;tait pas sous le joug de cette forme d&rsquo;abaissement devant les capacit&eacute;s de ces nouveaux &laquo; outils num&eacute;riques &raquo;. Il serait en train de s&rsquo;effacer et de laisser place aux algorithmes et autres logiciels jusqu&rsquo;&agrave; diriger sa vie, parce que comme le disait Anders, il entrerait plus que jamais dans la <em>honte prom&eacute;th&eacute;enne</em>. La technique accouch&eacute;e de l&rsquo;homme prenant la place de la nature tant et si bien qu&rsquo;&agrave; nouveau elle le plonge dans une forme d&rsquo;incertitude. Tout se passe comme si, l&rsquo;obsolescence de l&rsquo;homme devenait r&eacute;alit&eacute;.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Dans cette vision, l&rsquo;homme obsol&egrave;te ne peut &eacute;chapper &agrave; son destin. Toutefois, les hommes sont encore bien pr&eacute;sents et sans leur participation &agrave; cette transformation, il ne peut y avoir de prima de cette vision id&eacute;ologique. Le monde digital ne sera rien si les machines ne fonctionnent pas, qui pourra alors les r&eacute;parer si ce ne sont les hommes ? L&rsquo;agir humain est encore et toujours bien r&eacute;el et pr&eacute;sent, ne serait-ce que parce que l&rsquo;homme est en capacit&eacute; de penser et qu&rsquo;il doit plus que jamais s&rsquo;en rappeler. Et c&rsquo;est dans cet agir, qui imprime l&rsquo;intervention de l&rsquo;homme que le chemin est &agrave; consolider. L&rsquo;&eacute;thique devient alors dans cette acceptation permettre la possibilit&eacute; du chemin de la pens&eacute;e.</span></span></span></p> <h1>Conclusion</h1> <p>&nbsp;</p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Penser &agrave; changer ne peut se faire, si l&rsquo;homme lui-m&ecirc;me ne pense pas les changements et sa place dans les changements qu&rsquo;il peut d&eacute;cider de faire. Il ne doit et ne peut pas oublier de penser le changement, c&rsquo;est-&agrave;-dire penser &agrave; construire le changement pour qu&rsquo;il n&rsquo;expulse pas l&rsquo;homme mais pour que, au contraire, il lui redonne une place enti&egrave;re. Si le monde changeait depuis l&rsquo;Antiquit&eacute; par la nature en &eacute;chappant aux hommes, doit-il reproduire par la technique une nouvelle forme de changement dont il serait exclu ? L&rsquo;&egrave;re digitale n&rsquo;est-elle pas celle o&ugrave;, l&rsquo;homme, est celui qui appuie sur le bouton pour lancer la machine ? Ne peut-il penser avant que d&rsquo;appuyer, ou r&eacute;fl&eacute;chir au bouton sur lequel il veut le faire ? Le changement redevient, malgr&eacute; lui, une sorte de r&egrave;gle permanente qui lui &eacute;chappe encore, d&egrave;s lors qu&rsquo;il reste sur place. Au-del&agrave; du fait qu&rsquo;il est essentiel de s&rsquo;interroger sur le pourquoi des changements (au sens de leur int&eacute;r&ecirc;t) et le comment faire (pour les r&eacute;aliser). Ne doit-il pas interroger sur la fa&ccedil;on dont il doit agir et penser la fa&ccedil;on dont il habite sa vie ?</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">Ce nouveau paradigme de l<em>&rsquo;obsolescence de l&rsquo;homme au monde du travail</em>, appelle un incontournable questionnement &eacute;thique. Etre bien, les hommes y travaillent depuis fort longtemps. S&rsquo;il existe une issue &agrave; cette id&eacute;ologie mercantile et technocratique &eacute;voqu&eacute;e, elle se pose dans l&rsquo;action des hommes eux-m&ecirc;mes. Face &agrave; ce constat, l&rsquo;homme doit refonder une &eacute;thique. Il pousse plus que jamais l&rsquo;homme &agrave; d&eacute;finir et agir ensemble le monde commun dans lequel il voudrait vivre, &agrave; commencer au sein de lieux de production que sont les entreprises. Nous croyons en la n&eacute;cessit&eacute; de la construction d&rsquo;une &eacute;thique de la maturit&eacute; (Gabor, 1972), elle 8 ouvre &agrave; une individuation de soi en relation avec la r&eacute;alit&eacute; technique (Simondon, 1958). Elle ne sera possible qu&rsquo;une fois ancr&eacute;e dans une prise de conscience de notre responsabilit&eacute; collective commune (Jonas, 1979) issue de relations intersubjectives impr&eacute;gn&eacute;es d&rsquo;une forme de consid&eacute;ration (Pelluchon, 2018).</span></span></span></p> <h1>R&eacute;f&eacute;rences bibliographiques</h1> <p>&nbsp;</p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">ABDALLAH L.B., AMMAR-MAMLOUK Z.B. (2007), &laquo; Changement organisationnel et &eacute;volution des comp&eacute;tences. Cas des entreprises industrielles tunisiennes &raquo;, <em>Revue des Sciences de Gestion</em>, vol. 226-227, n&deg;4, 133-146.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">ANDERS G. (2002, paru en 1956), <em>L&rsquo;obsolescence de l&rsquo;homme (tome 1) : Sur l&rsquo;&acirc;me &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de la deuxi&egrave;me r&eacute;volution industrielle</em>, Tome I, Trad. de l&rsquo;allemand par C. David, Ivrea, Paris.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">ANDERS G. (2011, paru en 2002), <em>L&rsquo;obsolescence de l&rsquo;homme (tome 2) : Sur la destruction de la vie &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de la troisi&egrave;me r&eacute;volution industrielle</em>, Trad. de l&rsquo;allemand par C. David, Fario, Paris.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">ANDERS G. (2015), <em>L&rsquo;homme sans monde-&eacute;crits sur l&rsquo;art et la litt&eacute;rature</em>, Traduit par C. David, Fario, Paris.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">ARENDT H. (1989), <em>La crise dans la culture</em>, Gallimard.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">ARISTOTE (1997), <em>Ethique &agrave; Gnosimaque</em>, Flammarion.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">BAUMAN Z. (2003), <em>Vivre dans la modernit&eacute; liquide - Entretiens</em>, Facult&eacute; des sciences sociales de Strasbourg.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">BAUMAN Z. (2016), <em>La vie liquide</em>, Fayard-Pluriel.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">ELLUL J. (2012), <em>Le syst&egrave;me technicien</em>, Cherche Midi.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">GABOR D. (1972), <em>The mature society</em>, Secker &amp;Warburg.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">GODART E., GORI R. (2018), <em>Les m&eacute;tamorphoses des subjectivit&eacute;s &agrave; l&#39;&egrave;re du num&eacute;rique</em>, Er&egrave;s.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">GODART E. (2018), <em>La psychanalyse va-l-elle dispara&icirc;tre ?</em>, Albin Michel.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">GUILHON A. (1998), &laquo; Le changement organisationnel est un apprentissage &raquo;, <em>Revue fran&ccedil;aise de gestion</em>, 120, 98-107.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">HEIDEGGER M. (2008), <em>Qu&rsquo;appelle-t-on penser ?</em>, PUF, Quadrige, Paris.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">HERACLITE (2011), <em>Fragments </em>(fragments 134 et 136 dans traduction de Marcel Conche), Presses Universitaires de France.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">IMBERT G. (2010), &laquo; L&#39;entretien semi-directif : &agrave; la fronti&egrave;re de la sant&eacute; publique et de l&#39;anthropologie &raquo;, <em>Recherche en soins infirmiers</em>, 2010/3, n&deg;102, 23-34.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">JONAS H. (1990), <em>Le principe responsabilit&eacute;</em>, Flammarion.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">LALANDE A. (2010), <em>Vocabulaire technique et critique de la philosophie</em>, Quadrige-PUF, Paris.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">di LAMPEDUSA G.T. (2007), <em>Le Gu&eacute;pard</em>, Poche.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">LYOTARD J .F. (1979), <em>La condition postmoderne</em>, Editions de minuit.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">LEVINAS E. (2006), <em>Alt&eacute;rit&eacute; et transcendance</em>, Paris, Poche.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">LIPOVETSKY G. (1983),<em> L&rsquo;&egrave;re du vide</em>, Gallimard.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">LIPOVETSKY G., SEBASTIEN C. (2004), <em>Les temps hypermodernes</em>, Grasset.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">MORIN E. (2017), <em>Connaissance, ignorance, myst&egrave;re</em>, Fayard.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">PELLUCHON C. (2018), <em>Ethique de la consid&eacute;ration</em>, Seuil.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">SADIN E. (2015), <em>La vie algorithmique, Critique de la raison num&eacute;rique</em>, L&rsquo;Echapp&eacute;e, Paris.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">SIMONDON G. (2012), <em>Du mode d&rsquo;existence des objets techniques</em> (nouvelle &eacute;dition revue et corrig&eacute;e), Aubier, Paris.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0">TESTART J. (2015), <em>L&rsquo;humanitude au pouvoir</em>, Seuil, Paris.</span></span></span></p> <hr /> <h1>Notes</h1> <p>&nbsp;</p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0"><a href="#lien_nbp_1" name="nbp_1">1</a> <a href="http://www.academie-francaise.fr/digital">http://www.academie-francaise.fr/digital</a></span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0"><a href="#lien_nbp_2" name="nbp_2">2</a> L&rsquo;origine comme nous le rappelle l&rsquo;acad&eacute;mie fran&ccedil;aise latine digitalis, ou digitus, qui a donn&eacute; digit en anglais qui veut dire chiffre. Si l&rsquo;acad&eacute;mie nous invite &agrave; ne pas confondre et pr&eacute;f&eacute;rer le terme de num&eacute;rique. Nous lui pr&eacute;f&eacute;rons justement celui anglais de digital qui dans sa racine latine, ne nous permet pas d&rsquo;oublier la pr&eacute;sence de l&rsquo;homme &agrave; l&rsquo;origine de cette &egrave;re et des techniques.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0"><a href="#lien_nbp_3" name="nbp_3">3</a> Les cabinets d&rsquo;expertises aupr&egrave;s des instances repr&eacute;sentatives du personnel sont agr&eacute;&eacute;s par le minist&egrave;re du Travail. Les &eacute;volutions du cadre r&egrave;glementaire actuel se dirigent en faveur d&rsquo;une habilitation au processus d&rsquo;acquisition moins complexe.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0"><a href="#lien_nbp_4" name="nbp_4">4</a> La nouvelle loi du travail pr&eacute;voit la fusion des instances repr&eacute;sentatives du personnel en un comit&eacute; social &eacute;conomique ou CSE (Ordonnance n&deg; 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative &agrave; la nouvelle organisation du dialogue social et &eacute;conomique dans l&#39;entreprise).</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0"><a href="#lien_nbp_5" name="nbp_5">5</a> La m&eacute;thodologie consiste &agrave; r&eacute;aliser des entretiens individuels et/ou collectifs approfondis d&rsquo;une heure et demie &agrave; 3 heures, durant lesquelles la personne peut s&rsquo;exprimer.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0"><a href="#lien_nbp_6" name="nbp_6">6</a> Propos tenus par la plupart des 100 salari&eacute;s participants &agrave; l&rsquo;enqu&ecirc;te mais aussi, entendus sur d&rsquo;autres enqu&ecirc;tes de projets importants.</span></span></span></p> <p><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0"><a href="#lien_nbp_7" name="nbp_7">7</a> Propos exprim&eacute;s par un membre de l&rsquo;&eacute;quipe dirigeante.</span></span></span></p>