Faire d’une peau, humaine, animale, un seul et même tissu, une toile de sensibilité où se reflètent les stigmates d’une histoire individuelle et collective, tel pourrait être l’un des objectifs de l’artiste coréano-américaine Miru Kim. A travers son &oelig;uvre hybride, mêlant performance et photographie, intitulée « The Pig That Therefore I Am », Miru Kim place l’empathie au c&oelig;ur d’un récit intimiste, où la chair de l’artiste se mêle à celle de l’animal esclave, animal-aliment, interrogeant le statut de chacun. En engageant sa propre chair, Miru Kim s’inscrit dans une démarche à la fois expérimentale, plastique et émotionnelle, s’en remettant au canal du corps<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>, chemin privilégié vers l’empathie. Les images devenant vecteurs d’émotions<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a>, l’empathie prend forme à travers une esthétique singulière au service d’un dire, d’une puissance émotionnelle à même de (ré)susciter la compassion tout à la fois envers le corps animal et le corps humain, corps trop longtemps arrachés l’un à l’autre, privés d’un droit à vivre, à être pleinement, l’un sous le coup de l’exploitation et d’une mise à distance nécessaire à celle-ci, l’autre sous les effets d’une entaille sacrificielle supposant que l’homme ne peut advenir sans s’affranchir de la bête et s’arracher à ce tissu naturel et vivant qui est pourtant intimement le sien. Corps contre corps, peau à peau, le sujet et l’objet ne font plus qu’un<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. L’empathie renaît à travers l’expérience partagée, la rencontre nue où rien d’autre n’est en jeu que de vivre, sentir et communiquer avec cet autre qui nous ressemble étrangement. Résonnent alors les mots de l’artiste : « J'expose ma peau écorchée sous la forme d'une photographie (…) d'où émane l'aura des corps mêlés. Sur cette peau suspendue, les âmes animales et humaines se mélangent comme l'eau et la terre, créant des lignes subtiles et les formes fugaces d'un rivage boueux.<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title="">[4]</a> » C’est, peut-être, dans les plis et les replis de ce « rivage boueux », terre fertile et vibrante de vie, matière résolument hybride, que peut s’extraire la forme première d’une empathie profonde et sincère à l’endroit de l’autre et de soi. Notre proposition s’inscrira dans une démarche pluridisciplinaire, s’en remettant aux champs de l’esthétique, des arts et de la philosophie, voire de l’éthologie au regard des processus biologiques engagés. Nous nous interrogerons sur la forme – ou plus exactement l’une des formes, les lieux et les modalités d’émergence de l’empathie dans l’espace de la création artistique. <div>  <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> Frans de Waal (2018) : La dernière étreinte, Le monde fabuleux des émotions animales… et ce qu’il révèle de nous. Paris : Les Liens qui Libèrent, p.212 </div> <div id="ftn2"> <a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> Moliner Pascal (2016) : Psychologie sociale de l’image. Grenoble : Presses universitaires de Grenoble (PUG), p.18 </div> <div id="ftn3"> <a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a> Traduction personnelle des propos de l’artiste Miru Kim publiés sur son site internet : « the subject and the object become one », accessibles à l’adresse suivante : http://mirukim.com/writing-pig </div> <div id="ftn4"> <a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title="">[4]</a> Ibid. « I put my flayed skin on display in the form of a photograph (…) from which emanates the aura of mingled bodies. On that hanging skin, the animal and human souls blend like water and soil, creating subtle lines and fleeting shapes of a muddy shore. »   </div> </div>