La notion d’empathie est un des noyaux thématiques de la phénoménologie depuis ses débuts et en grand partie responsable du fait que cette école philosophique soit en vigueur encore aujourd’hui. En effet, au cours des divers branchements et développements de cette école, certains de ses concepts capitaux, comme celui de l’épochè ou celui de l’intentionnalité, se sont doucement affaiblis, devenant de moins en moins présents dans la pratique phénoménologique elle-même et au-delà. Toutefois, les concepts produits par l’analyse phénoménologique du vécu corporel, comme celui de chair ou incarnation, ont eu le sort opposé, acquérant de l’ampleur et enrichissant une discussion pluridisciplinaire sur nos expériences somatiques qui continue de nos jours. Le lexique et les idées phénoménologiques sur cet aspect de notre vie semblent avoir résonné avec leur moment d’apparition et même avoir répondu à un besoin de l’Occident en tant que culture d’adresser, de faire face au corps comme une toute autre chose qu’un objet. La notion d’empathie fait partie de cette famille de concepts, évoquant la donation des autres sujets et de leur vécus en nous-mêmes, dans notre propre chair. Il s’agit d’un rapport interpersonnel très singulier fondé sur nos corporéités mutuelles, différent de la perception, la représentation et toute autre forme de donation ou de mise en présence. Nous proposons dans cet article d’analyser en profondeur la notion phénoménologique d’empathie, spécifiquement sa déclinaison en empathie kinesthésique et le rôle que ce concept  joue dans les analyses esthétiques des arts performatiques aujourd’hui. En effet, d’un point de vue philosophique, le pas de l’empathie en général à l’empathie kinesthésique n’est pas simple, puisque l’idée d’empathie est celle d’une sorte de compréhension somatique particulière de l’autre qui implique tous nos sens et ressentis. Dans un contexte phénoménologique, voire philosophique, il y a ainsi peu de sens à parler d’une empathie kinesthésique, comme il y aurait peu de sens à parler d’une empathie visuelle ou olfactive. Ce terme peut pourtant avoir un sens précis, pertinent et utile pour la post-phénoménologie qui est en train de se faire. Dans une première partie, en parcourant les diverses phénoménologies de l’empathie, depuis leur apparition pour s’opposer aux position de Theodor Lipps sur la question, nous éclairciront ce vécu des vécus de l’autre qui n’est surtout pas décodage, traduction ou assimilation. Dans une deuxième partie, nous retracerons les divers usages de la notion d’empathie kinesthésique, née au dix-neuvième siècle dans des études scientifiques sur le mimétisme moteur et reprise abondamment dans les études esthétiques sur la dance à partir des années 2000. Finalement, dans une troisième partie nous thématiserons la fonction de vase communiquant entre philosophie, science et esthétique à laquelle cette notion semble vouée dorénavant.