<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:107%">« A woeful pageant have we here beheld » : Esquisse d’une esthétique de la compassion dans le théâtre de William Shakespeare</span></span></b></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:107%">Point d’intersection complexe entre des discours et des pratiques littéraires, politiques, théologiques, religieuses durant la première modernité, en Angleterre, la notion de compassion est une expression émotionnelle consubstantielle à la représentation théâtrale et au récit littéraire qui s’y exprime alors. Elle participe de la construction de l’identité des personnages, tout comme celle des spectateurs ou lecteurs, et oriente profondément la relation entre soi et les autres. </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-size:12.0pt">Les dictionnaires de la première modernité anglaise, et notamment ceux d’Henry Cockeram, (<i>The English Dictionary : or, an Interpreter of Hard English </i>Words, 1623) et de Cotgrave (Cotgrave, Randle, <i>A French-English Dictionary</i>, 1650), nous donnent comme définition pour le terme de <i>compassion </i>celle de<i> pity, mercie</i>. Ces définitions tirent la notion vers un sens religieux, celui de la charité, et soulignent le pacte émotionnel entre les protagonistes de l’expérience : il s’agit de partager la souffrance d’autrui (souffrir avec) et des traductions comme « apitoiement », « commisération », « pitié », « miséricorde », voire « mansuétude » ou « indulgence », que l’on retrouve dans des textes français contemporains de ceux de Shakespeare évoquent ce contexte en filigrane. Du point de vue anthropologique, on observe une forme de lien profondément empathique, qui inspire une communauté de sentiment, dans le partage d’une expérience existentielle. <i>De facto</i>, le lien qui se tisse alors, instaure une relation dans laquelle s’exprime une forme d’amour humain, face à la souffrance déplorée, et induit un geste de compassion vers l’autre souffrant. A la faveur des nombreuses pièces où Shakespeare nous donne à entendre le discours de la souffrance, s’élabore une réflexion sur la compassion comme signe d’humanité. Cet élan identificatoire, qui inspire un geste d’union entre témoins et personnages dolents, incarne l’humanité face à la barbarie responsable de la souffrance déplorée. L’étude de ces personnages-témoins nous montre qu’il est essentiel, du point de vue dramatique, que ces derniers expriment leur élan empathique vers la victime, afin que s’établisse avec le spectateur dans la salle, de manière symétrique, un jeu et un lien d’identification. Une évaluation de l’impact du genre littéraire sur le fonctionnement de la compassion dans notre corpus shakespearien complètera cette analyse. Le pouvoir émotionnel du spectacle théâtral sur le spectateur, constitue un sujet de réflexion qui traverse l’œuvre du dramaturge élisabéthain. Le ressort de la compassion lui permet de moduler les effets des scènes pathétiques, en privilégiant alternativement le mode mimétique ou le mode diégétique. </span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:"Calibri", sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:107%">Au-delà de l’expérience strictement anthropologique, la notion de souffrance, si présente dans l’Angleterre de la première modernité, se décline au prisme esthétique de l’intertexte biblique.<a name="_Hlk69027428">Qu’il s’agisse de la tradition de la déploration inspirée du <i>planctus Mariae</i> médiéval ou de l’évocation des cycles des <i>Mystery Plays</i>, Shakespeare déploie une variété de situations scéniques qui mettent en œuvre cet intertexte et composent une forme d’esthétique de la compassion, dont nous esquisserons les contours.</a></span></span></span></span></span></p>
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