<p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Toute organisation na&icirc;t au sein d&rsquo;un territoire pour, ensuite, si elle a la possibilit&eacute; de cro&icirc;tre, s&rsquo;&eacute;tendre &agrave; d&rsquo;autres territoires. Ce faisant, les organisations qui grandissent voient leurs liens avec leur territoire initial et leurs nouveaux territoires d&rsquo;implantation s&rsquo;att&eacute;nuer, se diluer, et parfois se r&eacute;duire &agrave; des pratiques fossilis&eacute;es qui ne v&eacute;hiculent plus de lien r&eacute;el entre l&rsquo;organisation et ses territoires d&rsquo;activit&eacute;. En acc&eacute;dant &agrave; une certaine taille, l&rsquo;organisation semble promouvoir sa durabilit&eacute; mais, dans le m&ecirc;me temps, elle en fragilise le socle car elle ne dispose plus de ce lien vital qui la relie au concret incarn&eacute;. L&rsquo;organisation devient une chose soumise &agrave; l&rsquo;usure corrosive du temps.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">L&rsquo;inscription dans un territoire (ou dans des territoires) permet &agrave; une organisation d&rsquo;affronter les &eacute;volutions environnementales et culturelles, parce que l&rsquo;incarnation dans un territoire permet le face-&agrave;-face. Ce face-&agrave;-face d&eacute;pend des engagements personnels de chaque acteur mais il peut &ecirc;tre facilit&eacute; ou entrav&eacute; par les structures et les normes existantes. L&rsquo;inscription dans un territoire est une condition de l&rsquo;&eacute;mergence et de la poursuite d&rsquo;interactions sociales porteuses de dynamisme et de vie. Notre d&eacute;finition des territoires englobe &agrave; la fois l&rsquo;existence de normes (institutions) qui constituent les r&egrave;gles du jeu du territoire consid&eacute;r&eacute; (North, 1990), et l&rsquo;existence d&rsquo;une communaut&eacute; incarn&eacute;e dans ce territoire. Trois &eacute;l&eacute;ments constituent donc un territoire&nbsp;: l&rsquo;espace<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[1]</span></span></a> (qui n&rsquo;est pas n&eacute;cessairement g&eacute;ographique mais qui peut &eacute;galement &ecirc;tre virtuel&nbsp;: par exemple un r&eacute;seau), la communaut&eacute; qui habite ce territoire, et les normes qui r&eacute;gissent le vivre-ensemble au sein du territoire.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">La th&eacute;orie des organisations explique le d&eacute;veloppement des organisations mais elle a plus de difficult&eacute;s &agrave; analyser leur d&eacute;clin<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[2]</span></span></a>. Les raisons avanc&eacute;es pour expliquer le d&eacute;clin sont souvent la perte de la capacit&eacute; &agrave; innover, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; s&rsquo;adapter aux &eacute;volutions de l&rsquo;environnement (Mone, McKinley et Barker, 1998). L&rsquo;organisation s&rsquo;&eacute;tant rigidifi&eacute;e, elle devient progressivement incapable de modifier ses processus pour r&eacute;pondre aux nouvelles opportunit&eacute;s et menaces. Mais, cette rigidification est-elle simplement li&eacute;e au temps<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[3]</span></span></a> ou d&eacute;pend-elle &eacute;galement de facteurs relationnels&nbsp;? La litt&eacute;rature acad&eacute;mique (Cameron, Whetten et Kim, 1987) a &eacute;tudi&eacute; le d&eacute;clin des organisations en recherchant les corr&eacute;lations avec des facteurs structurels (centralisation, absence de vision &agrave; long terme, conflits, etc.). Autrement dit, des facteurs communs pourraient expliquer le d&eacute;clin des organisations quelles qu&rsquo;elles soient. Notre th&egrave;se s&rsquo;&eacute;loigne de ce postulat car nous sugg&eacute;rons que c&rsquo;est la perte du face-&agrave;-face, d&rsquo;une interaction directe et personnelle avec les parties prenantes qui conduit l&rsquo;organisation &agrave; une forme de rigidit&eacute; cadav&eacute;rique et, par voie de cons&eacute;quence, &agrave; son d&eacute;clin. Le face-&agrave;-face ne se mesure pas, il ne peut que se d&eacute;duire d&rsquo;un certain nombre de facteurs structurels. Notre th&egrave;se ne s&rsquo;oppose donc pas aux travaux acad&eacute;miques ant&eacute;rieurs mais elle en offre une possible extension.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">De par sa croissance, l&rsquo;organisation tend &agrave; s&rsquo;affranchir des territoires dans lesquels elle est implant&eacute;e<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[4]</span></span></a>, le lien se distend entre l&rsquo;organisation et les diverses communaut&eacute;s des territoires o&ugrave; elle intervient et, <em>in fine</em>, quand des crises surviennent, l&rsquo;organisation est emport&eacute;e car elle ne dispose plus de l&rsquo;ancrage territorial qui lui permettrait de r&eacute;sister. Le territoire permet donc de mat&eacute;rialiser, d&rsquo;incarner la relation de l&rsquo;organisation &agrave; ses parties prenantes. Au lieu de g&eacute;rer des relations abstraites, l&lsquo;ancrage territorial oblige l&rsquo;organisation &agrave; appr&eacute;hender chacune de ses parties prenantes comme un visage, c&rsquo;est-&agrave;-dire une singularit&eacute;, une unicit&eacute;, qui ne se fond pas dans une d&eacute;finition abstraite et d&eacute;sincarn&eacute;e.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">La disparition progressive des interactions sociales s&rsquo;explique par la d&eacute;sagr&eacute;gation du cadre favorable &agrave; ces interactions. C&rsquo;est parce que l&rsquo;organisation perd le lien avec ses territoires d&rsquo;implantation, que le cadre naturel dans lequel s&rsquo;exer&ccedil;aient les interactions entre les acteurs organisationnels (entre l&rsquo;organisation et ses parties prenantes) se d&eacute;grade et devient inhospitalier.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">&Agrave; travers deux cas particuliers, nous appr&eacute;hendons cette confrontation de l&rsquo;organisation &agrave; ses territoires dans la dur&eacute;e. Le premier cas est celui d&rsquo;une coop&eacute;rative foresti&egrave;re o&ugrave; nous avons eu une posture d&rsquo;observation participante en tant qu&rsquo;administrateur puis pr&eacute;sident du conseil d&rsquo;administration avant de redevenir simple adh&eacute;rent et membre du comit&eacute; qualit&eacute;. Le second cas est celui de General Motors pour lequel nous nous limitons aux sources accessibles sur Internet et &agrave; l&rsquo;analyse qu&rsquo;en a faite Alfred Chandler (1962) et, plus r&eacute;cemment, Susan Helper et Rebecca Henderson (2014).</span></span></p> <ol> <li style="text-align:justify"><span style="font-size:14pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif">L&rsquo;interaction avec les parties prenantes, fondement de la vitalit&eacute; des organisations</span></span></li> </ol> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">La premi&egrave;re partie de notre th&egrave;se est que la vitalit&eacute; d&rsquo;une organisation d&eacute;pend de ses interactions avec ses parties prenantes. Pour &eacute;laborer cette hypoth&egrave;se, nous partons de l&rsquo;observation du d&eacute;veloppement des coop&eacute;ratives en France en nous appuyant sur le cas particulier des coop&eacute;ratives foresti&egrave;res.</span></span></p> <ol> <li style="list-style-type:none"> <ol> <li style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><em>La perte des interactions relationnelles</em></span></span></li> </ol> </li> </ol> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Les coop&eacute;ratives foresti&egrave;res sont initialement n&eacute;es du regroupement de quelques propri&eacute;taires forestiers d&eacute;sireux de disposer d&rsquo;une surface foresti&egrave;re suffisante pour pouvoir embaucher des techniciens sylvicoles, faire appel de fa&ccedil;on comp&eacute;titive &agrave; des entreprises d&rsquo;exploitation foresti&egrave;re (abattage des arbres, entretien des for&ecirc;ts, plantations) et pouvoir n&eacute;gocier les ventes de produits forestiers &agrave; des entreprises de transformation du bois. La logique &eacute;conomique a conduit ces coop&eacute;ratives foresti&egrave;res &agrave; s&lsquo;&eacute;tendre progressivement en recrutant de nouveaux adh&eacute;rents puis &agrave; fusionner avec les coop&eacute;ratives foresti&egrave;res voisines, jusqu&rsquo;&agrave; la situation actuelle o&ugrave; la France est couverte par quelques grosses coop&eacute;ratives foresti&egrave;res qui ont conserv&eacute; des liens avec leurs r&eacute;gions d&rsquo;origine mais qui disposent de la possibilit&eacute; d&rsquo;agir quasiment partout en France, d&rsquo;exporter et de nouer des contrats d&rsquo;approvisionnement r&eacute;gulier aupr&egrave;s de scieries ou d&rsquo;usines de production de p&acirc;te &agrave; papier.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Ind&eacute;pendamment des difficult&eacute;s techniques ou m&eacute;t&eacute;orologiques, les coop&eacute;ratives foresti&egrave;res sont confront&eacute;es &agrave; la difficult&eacute; de maintenir un lien avec leurs adh&eacute;rents coop&eacute;rateurs. La solution retenue consiste g&eacute;n&eacute;ralement &agrave; mettre en place des assembl&eacute;es locales d&rsquo;adh&eacute;rents qui &eacute;lisent des d&eacute;l&eacute;gu&eacute;s pour l&rsquo;assembl&eacute;e g&eacute;n&eacute;rale qui elle-m&ecirc;me &eacute;lit les administrateurs. Pour une coop&eacute;rative de plusieurs milliers d&rsquo;adh&eacute;rents, le taux de participation reste tr&egrave;s faible (inf&eacute;rieur &agrave; 10%). On a alors des coop&eacute;ratives, anim&eacute;es par un petit noyau d&rsquo;administrateurs, qui p&eacute;riodiquement sont confront&eacute;es &agrave; des contestations &eacute;parses quand des chantiers d&rsquo;exploitation foresti&egrave;re se sont mal d&eacute;roul&eacute;s et que des propri&eacute;taires forestiers sont m&eacute;contents de la coop&eacute;rative et souhaitent le manifester. Le suivi des indicateurs de qualit&eacute; est donc fondamental pour &eacute;viter ces contestations. N&eacute;anmoins, l&rsquo;extension territoriale rend difficile l&rsquo;&eacute;mergence de contestations puisque les propri&eacute;taires forestiers m&eacute;contents subissent des co&ucirc;ts d&rsquo;agence &eacute;lev&eacute;s (li&eacute;s en particulier &agrave; l&rsquo;&eacute;loignement g&eacute;ographique) pour nouer des relations entre eux.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Le principal m&eacute;canisme de contr&ocirc;le sur la gestion de la coop&eacute;rative est le r&eacute;sultat financier et le renouvellement des dirigeants en cas de difficult&eacute;s &eacute;conomiques (renouvellement g&eacute;n&eacute;ralement occasionn&eacute; par une fusion qui permet &agrave; une coop&eacute;rative en bonne sant&eacute; de reprendre la coop&eacute;rative en difficult&eacute; et d&rsquo;&eacute;tendre ainsi son territoire d&rsquo;exercice). En raison de la logique d&rsquo;expansion territoriale, la coop&eacute;rative perd progressivement ce qui faisait sa sp&eacute;cificit&eacute;&nbsp;: le r&ocirc;le multiple des adh&eacute;rents, fournisseurs de mati&egrave;res premi&egrave;res, clients pour des prestations d&rsquo;entretien ou de plantation et propri&eacute;taires-dirigeants de la coop&eacute;rative.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">L&rsquo;&eacute;volution logique est celle qui a conduit &agrave; la formation du Cr&eacute;dit Agricole, du Cr&eacute;dit Mutuel ou de la BPCE (Banque Populaire Caisse d&rsquo;&Eacute;pargne). Les dirigeants sont &eacute;lus par une cascade de conseils avec &agrave; la base les adh&eacute;rents, mais l&rsquo;interposition de diff&eacute;rentes strates de conseils favorise une concentration du pouvoir entre un nombre limit&eacute; de personnes (Cartier, Naszalyi et Pig&eacute;, 2012). La cons&eacute;quence en est qu&rsquo;en cas de difficult&eacute;s la solution ne peut qu&rsquo;&ecirc;tre externe<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[5]</span></span></a>. Dans ces m&eacute;canismes &eacute;conomiques, la cons&eacute;quence est la constitution de g&eacute;ants de plus en plus importants qui ne se diff&eacute;rencient pas des autres acteurs de l&rsquo;&eacute;conomie capitaliste.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Une illustration est le Cr&eacute;dit Agricole dont la holding a la forme d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; anonyme cot&eacute;e d&eacute;tenue &agrave; 56% par le bais d&rsquo;une SAS elle-m&ecirc;me d&eacute;tenue &agrave; 100% par les caisses r&eacute;gionales. Si, &agrave; la base, la propri&eacute;t&eacute; reste entre les mains des adh&eacute;rents sur le principe <em>un homme une voix</em>&nbsp;; le contr&ocirc;le r&eacute;el est un m&eacute;lange complexe de jeu des march&eacute;s financiers et de jeux relationnels entre un nombre limit&eacute; de personnes (les administrateurs et pr&eacute;sidents des caisses r&eacute;gionales).</span></span></p> <ol> <li style="list-style-type:none"> <ol start="2"> <li style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><em>Le face-&agrave;-face, condition de la vitalit&eacute;</em></span></span></li> </ol> </li> </ol> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><em>La performance d&rsquo;une entreprise ou d&rsquo;une organisation est suppos&eacute;e sujette &agrave; une d&eacute;gradation pour des causes al&eacute;atoires non sp&eacute;cifi&eacute;es qui ne sont ni irr&eacute;sistibles ni si durables qu&rsquo;elles emp&ecirc;chent un retour aux niveaux de performance pr&eacute;alables, &agrave; condition que les dirigeants focalisent leur attention et leur &eacute;nergie &agrave; cette t&acirc;che. La d&eacute;gradation de la performance est traduite typiquement et g&eacute;n&eacute;ralement, c&rsquo;est-&agrave;-dire pour les entreprises et les autres organisations, par une d&eacute;gradation absolue et relative de la qualit&eacute; du produit ou du service fourni</em> (Hirschman, 1970, p.4).</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">&Agrave; la diff&eacute;rence d&rsquo;Albert Hirschman, nous nous int&eacute;ressons &agrave; la possibilit&eacute; que la d&eacute;t&eacute;rioration de la performance soit irr&eacute;sistible et durable. Notre question de recherche est donc&nbsp;: pourquoi certaines organisations se r&eacute;v&egrave;lent-elles incapables de r&eacute;pondre &agrave; des changements environnementaux alors que leurs dirigeants sont comp&eacute;tents, motiv&eacute;s et qu&rsquo;ils disposent des syst&egrave;mes d&rsquo;information sur l&rsquo;&eacute;tat de leur environnement et les attentes de leurs parties prenantes&nbsp;?</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Dans son ouvrage, Albert Hirschman explique que les parties prenantes insatisfaites manifestent leur m&eacute;contentement par deux voies alternatives&nbsp;: en s&rsquo;adressant aux dirigeants, &agrave; l&rsquo;opinion publique ou &agrave; <em>n&rsquo;importe qui de dispos&eacute; &agrave; &eacute;couter</em> (Hirschman, 1970, p.4)&nbsp;; ou en quittant l&rsquo;organisation. John Galbraith (1952) observe que cette alternative n&rsquo;existe pas syst&eacute;matiquement en raison de la concentration des march&eacute;s et de la construction des monopoles et oligopoles. En France, chacun peut &ecirc;tre insatisfait du service rendu par la Sncf et pourtant ne pas pouvoir recourir &agrave; une entreprise alternative. Dans une telle situation, l&rsquo;organisation en situation de monopole ou d&rsquo;oligopole peut se satisfaire de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;insatisfaction de certaines de ses parties prenantes sans pour autant voir sa survie menac&eacute;e &agrave; court terme.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">La th&eacute;orie des parties prenantes permet d&rsquo;explorer les situations o&ugrave; des parties prenantes sont consid&eacute;r&eacute;es comme l&eacute;gitimes mais o&ugrave;, pourtant, elles ne disposent pas d&rsquo;un pouvoir suffisant pour que leurs revendications soient prises en compte. Selon certains auteurs (Mitchell, Agle et Wood, 1997), cette absence de prise en compte s&rsquo;expliquerait par l&rsquo;absence d&rsquo;urgence ressentie par les dirigeants. C&rsquo;est sans doute l&rsquo;explication qui conviendrait au cas de la Sncf. Mais cette explication nous semble insuffisante. M&ecirc;me si les dirigeants sont convaincus de la n&eacute;cessit&eacute; de prendre en compte les attentes de leurs parties prenantes, ils peuvent ne pas y parvenir pour des raisons qui leur sont inaccessibles, <em>parce que ces parties prenantes leur sont devenues &eacute;trang&egrave;res</em>. Un &ecirc;tre humain peut &ecirc;tre chosifi&eacute;, instrumentalis&eacute;. Il peut certes &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme un individu distinct des autres mais sans reconna&icirc;tre sa singularit&eacute;, sa personnalit&eacute;, ce qui fait qu&rsquo;il est unique au monde et ne pourra jamais &ecirc;tre remplac&eacute;.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><em>Dire &laquo;&nbsp;Tu&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est n&rsquo;avoir aucune chose pour objet. Car o&ugrave; il y a une chose, il y a une autre chose&nbsp;; chaque &laquo;&nbsp;Cela&nbsp;&raquo; confine &agrave; d&rsquo;autres &laquo;&nbsp;Cela&nbsp;&raquo;. &laquo;&nbsp;Cela&nbsp;&raquo; n&rsquo;existe que parce qu&rsquo;il est limit&eacute; par d&rsquo;autres &laquo;&nbsp;Cela&nbsp;&raquo;. Mais l&agrave; o&ugrave; l&rsquo;on dit &laquo;&nbsp;Tu&nbsp;&raquo;, il n&rsquo;y a aucune chose. &laquo;&nbsp;Tu&nbsp;&raquo; ne confine &agrave; rien. Celui qui dit &laquo;&nbsp;Tu&nbsp;&raquo; n&rsquo;a aucune chose, il n&rsquo;a rien. Mais il est dans la relation</em> (Buber, 1938, p.8).</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">L&rsquo;opposition fondamentale entre le rapport aux choses et le rapport aux &ecirc;tres n&rsquo;est pas li&eacute;e &agrave; la chose observ&eacute;e, contempl&eacute;e, mais au regard que l&rsquo;on porte sur elle. C&rsquo;est le &laquo;&nbsp;Tu&nbsp;&raquo; mis en avant par Marin Buber qui transforme la relation du sujet &agrave; l&rsquo;objet car elle pose deux sujets l&rsquo;un en face de l&rsquo;autre. Reconna&icirc;tre l&rsquo;autre dans sa singularit&eacute;, c&rsquo;est le regarder en face (L&eacute;vinas, 1974).</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">&Agrave; l&rsquo;origine, toute organisation est fond&eacute;e sur une reconnaissance de l&rsquo;autre. Avec la structuration de l&rsquo;organisation et sa croissance, cette connaissance se trouve d&eacute;cal&eacute;e en un cercle de plus en plus &eacute;loign&eacute; de la r&eacute;alit&eacute; des parties prenantes qui interagissent avec le r&eacute;el. Le dirigeant d&rsquo;une entreprise de plusieurs milliers d&rsquo;employ&eacute;s n&rsquo;a plus besoin de descendre dans son usine, dans ses ateliers de fabrication ou dans ses magasins, il lui suffit de collecter des informations, de prendre ses d&eacute;cisions et de les communiquer pour qu&rsquo;elles soient appliqu&eacute;es. Parce que l&rsquo;&ecirc;tre humain est confront&eacute; &agrave; des capacit&eacute;s cognitives limit&eacute;es, il doit s&rsquo;entourer d&rsquo;une structure, d&rsquo;une hi&eacute;rarchie, pour assurer l&rsquo;ex&eacute;cution de travaux demandant la coordination de multiples acteurs.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Cette structure organis&eacute;e, qui s&rsquo;appuie sur la connaissance des lois scientifiques, est &agrave; la fois la condition de la r&eacute;ussite des organisations et la cause de leur disparition. Parce que l&rsquo;organisation se r&eacute;ifie progressivement, parce qu&rsquo;elle substitue des m&eacute;canismes informels de coordination aux m&eacute;canismes personnels, la relation de face-&agrave;-face se trouve limit&eacute;e &agrave; des sph&egrave;res pr&eacute;cises de chaque organisation. Le dirigeant ne rencontre plus que tr&egrave;s occasionnellement l&rsquo;employ&eacute; au service des clients. Certes, il dispose de tous les outils d&rsquo;information pour avoir une repr&eacute;sentation synth&eacute;tique des attentes des clients mais il n&rsquo;a plus le face-&agrave;-face, l&rsquo;appr&eacute;hension de la singularit&eacute;.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">La th&egrave;se que nous proposons peut donc &ecirc;tre formalis&eacute;e ainsi&nbsp;: les organisations, qui sont initialement des structures destin&eacute;es &agrave; faciliter les &eacute;changes et coop&eacute;rations entre personnes, tendent naturellement &agrave; se fossiliser en grandissant et en vieillissant. Cette fossilisation se traduit par de multiples aspects, en particulier le d&eacute;veloppement des r&egrave;gles bureaucratiques et de contr&ocirc;le qui viennent peu &agrave; peu remplacer les interactions humaines afin de faciliter la pr&eacute;vision et la gestion des processus. Ce faisant, le lien entre les dirigeants et leurs diverses parties prenantes se distend jusqu&rsquo;&agrave; perdre toute r&eacute;alit&eacute;. Notre question de recherche est&nbsp;: ce lien peut-il &agrave; nouveau se cr&eacute;er ou existe-t-il un stade au-del&agrave; duquel le lien est irr&eacute;m&eacute;diablement d&eacute;truit et comment peut-on cr&eacute;er ou recr&eacute;er ce lien&nbsp;?</span></span></p> <ol> <li style="list-style-type:none"> <ol start="3"> <li style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><em>La fossilisation des interactions sociales, le cas de General Motors</em></span></span></li> </ol> </li> </ol> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">General Motors a domin&eacute; le march&eacute; automobile mondial pendant un demi-si&egrave;cle pour aboutir &agrave; une mise en faillite en 2009. Le groupe est n&eacute; en 1908 &agrave; partir du regroupement de diverses entreprises li&eacute;es &agrave; l&rsquo;automobile sous la direction de William Durant. En 1910, Durant fut oblig&eacute; de c&eacute;der le contr&ocirc;le de son entreprise aux banquiers mais il r&eacute;cup&eacute;ra le contr&ocirc;le en 1916. Apr&egrave;s une tr&egrave;s forte p&eacute;riode d&rsquo;expansion, la crise de 1920 obligea General Motors &agrave; revoir ses m&eacute;canismes de management et de gouvernance&nbsp;:</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><em>Le plan de Sloan, approuv&eacute; par le conseil d&rsquo;administration le 29 d&eacute;cembre, entra imm&eacute;diatement en application. La structure qu&rsquo;il cr&eacute;a reste jusqu&rsquo;&agrave; aujourd&rsquo;hui la base de l&rsquo;organisation de l&rsquo;entreprise. Elle dura parce qu&rsquo;elle transforma General Motors d&rsquo;un agglom&eacute;rat d&rsquo;entreprises, principalement automobiles, en une seule entreprise coordonn&eacute;e. Cela fut fait par la cr&eacute;ation r&eacute;ussie d&rsquo;un office g&eacute;n&eacute;ral pour coordonner, &eacute;valuer, fixer des buts g&eacute;n&eacute;raux et des politiques pour les nombreuses divisions op&eacute;rationnelles</em> (Chandler, 1962, p.130).</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">General Motors a renforc&eacute; ses fonctions de coordination en les centralisant, mais elle a simultan&eacute;ment maintenu l&rsquo;autonomie op&eacute;rationnelle des diff&eacute;rentes marques et activit&eacute;s de production du groupe. Chaque entit&eacute; (filiale du groupe) pouvait r&eacute;pondre aux besoins sp&eacute;cifiques de ses clients tout en s&rsquo;appuyant sur une infrastructure commune. C&rsquo;est ce qui a permis &agrave; General Motors de d&eacute;tr&ocirc;ner Ford qui &eacute;tait une entreprise monolithique, incapable de r&eacute;pondre de fa&ccedil;on efficace &agrave; l&rsquo;&eacute;mergence des demandes vari&eacute;es de ses clients.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Cette transformation de General Motors au d&eacute;but des ann&eacute;es 1920s, qui fut en partie la mise en &oelig;uvre des transformations effectu&eacute;es pr&eacute;c&eacute;demment au sein du groupe am&eacute;ricain DuPont de Nemours, permit non seulement &agrave; General Motors de dominer l&rsquo;industrie automobile mondiale pendant un demi-si&egrave;cle, mais elle fut aussi imit&eacute;e par toutes les grandes organisations. Pourtant, cette m&ecirc;me structure n&rsquo;a pas emp&ecirc;ch&eacute; General Motors de conna&icirc;tre un d&eacute;clin r&eacute;gulier &agrave; partir des ann&eacute;es 1970s pour aboutir &agrave; une cessation de paiement en 2009 et &ecirc;tre nationalis&eacute;e par le gouvernement am&eacute;ricain avant d&rsquo;&ecirc;tre r&eacute;introduite en Bourse en 2010.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><em>Pourquoi les processus de d&eacute;veloppement de produits &eacute;taient-ils si lents et si co&ucirc;teux et ses capacit&eacute;s de conception si mauvaises&nbsp;? Pourquoi le r&eacute;seau de fournisseurs de GM et ses op&eacute;rations d&rsquo;assemblage &eacute;taient-ils moins productifs que ceux de ses concurrents, et pourquoi la qualit&eacute; de sa production &eacute;tait-elle si faible&nbsp;? Pourquoi ces tendances ont-elles persist&eacute; pendant si longtemps&nbsp;? Un courant de recherche consid&egrave;re que ces probl&egrave;mes &eacute;taient des d&eacute;faillances de perception et de motivation. Les probl&egrave;mes de perception &ndash; l&rsquo;incapacit&eacute; &agrave; reconna&icirc;tre que le monde est en train de changer &ndash; viennent du fait que les dirigeants tendent &agrave; d&eacute;pendre totalement des mod&egrave;les mentaux et des croyances qui ont soutenu initialement le succ&egrave;s de l&rsquo;entreprise. Les probl&egrave;mes de motivation &ndash; ou le refus d&rsquo;agir y compris quand le besoin de changement a &eacute;t&eacute; reconnu &ndash; peut survenir quand l&rsquo;environnement comp&eacute;titif d&rsquo;un secteur d&rsquo;activit&eacute; est faible et/ou que les dirigeants sont insuffisamment motiv&eacute;s pour agir dans l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de l&rsquo;entreprise </em>(Helper et Henderson,<em> </em>2014, p.54).</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">L&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;une incapacit&eacute; des dirigeants &agrave; sortir de leur cadre cognitif n&rsquo;explique pas tout. D&egrave;s les ann&eacute;es 1970s, General Motors a &eacute;tudi&eacute; les pratiques de Toyota pour s&rsquo;en inspirer. General Motors a notamment d&eacute;velopp&eacute; le projet Saturn qui, bien qu&rsquo;&eacute;tant en lui-m&ecirc;me une r&eacute;ussite, n&rsquo;a jamais pu &ecirc;tre &eacute;tendu &agrave; l&rsquo;ensemble du groupe.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><em>GM s&rsquo;est d&eacute;battu si longtemps parce que les pratiques de Toyota &eacute;taient enracin&eacute;es dans le d&eacute;ploiement g&eacute;n&eacute;ralis&eacute; des contrats relationnels &ndash; des accords fond&eacute;s sur des mesures subjectives de performance qui ne pouvaient pas &ecirc;tre parfaitement sp&eacute;cifi&eacute;s ex ante ni contr&ocirc;l&eacute;s ex post et qui tenaient en raison des perspectives futures &ndash; et l&rsquo;histoire de GM, sa structure organisationnelle et ses pratiques manag&eacute;riales rendaient tr&egrave;s difficile le maintien de tels accords que ce soit en interne ou entre l&rsquo;entreprise et ses fournisseurs</em>. (...) <em>La question de la cr&eacute;dibilit&eacute; apparut parce qu&rsquo;il &eacute;tait difficile pour GM de modifier des comportements pass&eacute;s et pour les employ&eacute;s et fournisseurs de GM de croire que ces comportements &eacute;taient en train de changer</em> (Helper et Henderson,<em> </em>2014, p.55 et 62).</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Dans l&rsquo;approche th&eacute;orique que nous d&eacute;veloppons, la cr&eacute;dibilit&eacute; est li&eacute;e au face-&agrave;-face. Ce qui fait qu&rsquo;une parole est tenue pour vraie ind&eacute;pendamment des moyens de contr&ocirc;le et de coercition est que la parole s&rsquo;adresse d&rsquo;une personne &agrave; une autre dans un face-&agrave;-face o&ugrave; l&rsquo;autre est reconnu dans sa singularit&eacute;. La force de Toyota est donc d&rsquo;avoir trouv&eacute; des moyens pour maintenir ce face-&agrave;-face tout en se d&eacute;veloppant. Inversement, la situation de domination mondiale de General Motors l&rsquo;a progressivement &eacute;loign&eacute;e de la prise en compte des attentes r&eacute;elles de ses parties prenantes pour devenir un jouet des march&eacute;s financiers.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Selon notre th&egrave;se, une organisation se d&eacute;grade parce qu&rsquo;elle a perdu le lien avec ses parties prenantes, parce que la vie qui s&rsquo;insufflait en elle du fait des interactions avec ses parties prenantes, cette vie s&rsquo;est progressivement retir&eacute;e, remplac&eacute;e par des m&eacute;canismes de coordination formels qui font abstraction de la r&eacute;alit&eacute; des personnes pour ne plus consid&eacute;rer que des individus dans leur substituabilit&eacute;.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">S&rsquo;il n&rsquo;est pas possible de cr&eacute;er <em>ex nihilo</em> des interactions sociales, il est n&eacute;anmoins possible de leur donner un cadre favorable pour qu&rsquo;elles puissent se d&eacute;velopper. Ce cadre nous l&rsquo;appr&eacute;hendons sous le terme de <em>territoire</em>. Un territoire est un construit social o&ugrave; des communaut&eacute;s d&rsquo;acteurs interagissent en fonction des normes locales (des <em>institutions</em> en anglais) qui r&eacute;gissent ces interactions. Les interactions d&eacute;pendent des acteurs mais le jeu dans lequel s&rsquo;exercent ces interactions est r&eacute;gi par les normes qui s&rsquo;appliquent au sein du territoire consid&eacute;r&eacute;.</span></span></p> <ol start="2"> <li style="text-align:justify"><span style="font-size:14pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif">Le ph&eacute;nom&egrave;ne d&rsquo;entropie normative</span></span></li> </ol> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><em>Comme l&rsquo;entropie augmente, l&rsquo;univers, et tous les syst&egrave;mes clos au sein de l&rsquo;univers, tendent naturellement &agrave; se d&eacute;grader et &agrave; perdre leur sp&eacute;cificit&eacute;, &agrave; &eacute;voluer du moins au plus probable &eacute;tat, d&rsquo;un &eacute;tat organisationnel et de diff&eacute;renciation dans lequel des diff&eacute;rences et des formes existent, vers un &eacute;tat de chaos et d&rsquo;uniformit&eacute;. (&hellip;) Mais, bien que l&rsquo;univers dans son ensemble, si bien entendu il existe un univers global, tende &agrave; se d&eacute;grader, il y a des enclaves locales dont la direction semble inverse &agrave; celle de l&rsquo;univers en g&eacute;n&eacute;ral et dans lesquelles il y a une tendance limit&eacute;e et temporaire &agrave; l&rsquo;accroissement de l&rsquo;organisation. La vie trouve sa demeure dans certaines de ces enclaves</em> (Wiener, 1954, p.12).</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">L&rsquo;entropie est le terme physique pour d&eacute;signer le ph&eacute;nom&egrave;ne qui conduit un syst&egrave;me d&rsquo;un &eacute;tat tr&egrave;s diff&eacute;renci&eacute; vers un &eacute;tat indiff&eacute;renci&eacute;. Dans le cas des organisations, cela signifie la perte de l&rsquo;innovation, l&rsquo;incapacit&eacute; &agrave; r&eacute;agir et &agrave; s&rsquo;adapter &agrave; un environnement changeant. L&rsquo;organisation n&rsquo;est plus innerv&eacute;e par la vie, elle sombre dans la mort, c&rsquo;est-&agrave;-dire la rigidit&eacute;, la r&eacute;ponse standardis&eacute;e et bureaucratis&eacute;e incapable de s&rsquo;adapter aux nuances de la vie, au face-&agrave;-face avec des &ecirc;tres humains toujours singuliers dans leur &ecirc;tre.</span></span></p> <ol> <li style="list-style-type:none"> <ol> <li style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><em>L&rsquo;inscription dans le cadre de la cybern&eacute;tique</em></span></span></li> </ol> </li> </ol> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Pour Norbert Wiener (1954), quasiment tout peut &ecirc;tre appr&eacute;hend&eacute; sous forme d&rsquo;un message qui est transmis et re&ccedil;u. Les liens entre l&rsquo;organisation et ses diverses parties prenantes peuvent donc &ecirc;tre appr&eacute;hend&eacute;s comme autant de canaux de communication qui, s&rsquo;ils ne sont pas entretenus, perdent petit &agrave; petit leur efficacit&eacute; et deviennent incapables de transmettre un signal compr&eacute;hensible entre les acteurs. Toute transmission de message entrainant n&eacute;cessairement une perte d&rsquo;information, l&rsquo;absence d&rsquo;attention aux canaux de transmission peut conduire &agrave; une transmission d&eacute;pourvue de sens pour celui qui r&eacute;ceptionne l&rsquo;information. On a alors la naissance de monologues, chaque interlocuteur communique mais sa communication n&rsquo;est pas per&ccedil;ue comme porteuse de sens par celui qui la re&ccedil;oit car elle trop parasit&eacute;e, brouill&eacute;e par des interf&eacute;rences externes ou par des conventions qui d&eacute;truisent le contenu informatif du message. De surcro&icirc;t, le destinataire peut aussi avoir perdu les codes, les normes, qui lui permettaient initialement de d&eacute;coder l&rsquo;information transmise.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Dans une approche purement cybern&eacute;tique, il suffirait de concevoir de nouveaux canaux de transmission ou de r&eacute;nover les anciens canaux pour permettre le r&eacute;tablissement de la communication. Mais le canal de transmission ne suffit pas. En lui-m&ecirc;me il n&rsquo;est que le support mat&eacute;riel d&rsquo;une onde. Il lui manque la dimension de <em>dia-logue</em> (au sens &eacute;tymologique une parole s&eacute;par&eacute;e, distincte, l&rsquo;inverse d&rsquo;un <em>mono-logue</em>).</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Dans son ouvrage <em>Tristes tropiques</em>, Claude L&eacute;vi-Strauss (1955), relate son exp&eacute;dition au Br&eacute;sil &agrave; la d&eacute;couverte des tribus indiennes le long de la ligne t&eacute;l&eacute;graphique Rodon. Il d&eacute;crit l&rsquo;abandon progressif de la ligne t&eacute;l&eacute;graphique, objet pourtant d&rsquo;efforts humains colossaux lors de son &eacute;tablissement, en raison &agrave; la fois du manque d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t qui lui est port&eacute; et de l&rsquo;&eacute;mergence d&rsquo;autres modes de communication. Ce qui appara&icirc;t dans ce r&eacute;cit de voyage, c&rsquo;est le contraste entre une technologie, un moyen de communication qui a modifi&eacute; la vie d&rsquo;une r&eacute;gion, et une v&eacute;ritable rencontre de communaut&eacute;s distinctes et diff&eacute;rentes. La communication a transform&eacute; les rapports humains mais elle ne s&rsquo;est pas inscrite durablement dans la possibilit&eacute; d&rsquo;un face-&agrave;-face, elle s&rsquo;est limit&eacute;e &agrave; une coexistence de groupes humains.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Dans le cadre de notre r&eacute;flexion, les observations de Claude L&eacute;vi-Strauss d&eacute;montrent que le canal de communication fut insuffisant. Son impact principal fut la disparition acc&eacute;l&eacute;r&eacute;e des tribus indiennes et non leur int&eacute;gration dans un r&eacute;seau social. Seuls des individus survivent, mais les communaut&eacute;s en tant que telles ont disparu. Il ne suffit donc pas d&rsquo;&eacute;tablir des canaux de communication pour assurer l&rsquo;exercice effectif d&rsquo;une communication. Il faut aussi que les informations &eacute;chang&eacute;es soient fiables (que le contenu r&eacute;ceptionn&eacute; corresponde au contenu envoy&eacute;) et porteuses de sens. Dans le cas des tribus indiennes observ&eacute;es par L&eacute;vi-Strauss, l&rsquo;information &eacute;tait d&eacute;nu&eacute;e de sens car elle &eacute;tait &agrave; sens unique&nbsp;: les communaut&eacute;s indiennes ne pouvaient que se soumettre ou dispara&icirc;tre car aucune signification positive (porteuse de sens pour les autres communaut&eacute;s) n&#39;&eacute;tait accord&eacute;e &agrave; leur mode de vie.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Le canal de communication (la structure) permet le transfert d&rsquo;une communication en restituant plus ou moins fid&egrave;lement le contenu du message mais il n&rsquo;est pas la garantie d&rsquo;une communication effective. Si les acteurs ne souhaitent pas diffuser d&rsquo;information pertinente, le canal peut &ecirc;tre fiable et effectif et cependant se r&eacute;v&eacute;ler inutile. Il existe donc une dimension humaine qui renvoie aux rapports humains, &agrave; la confiance qu&rsquo;une personne accorde &agrave; une autre et qui la conduit &agrave; lui transmettre des informations porteuses de sens. Dans le cas contraire, on se limite &agrave; la transmission de bruit&nbsp;: des informations d&eacute;pourvues de signification.</span></span></p> <ol> <li style="list-style-type:none"> <ol start="2"> <li style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><em>L&rsquo;&eacute;loignement progressif du territoire initial</em></span></span></li> </ol> </li> </ol> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Quand une organisation &eacute;merge, elle s&rsquo;appuie sur un petit r&eacute;seau d&rsquo;acteurs qui se connaissent et qui partagent des normes communes<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[6]</span></span></a>. L&rsquo;organisation d&eacute;veloppe &eacute;galement des normes qui lui sont propres et qui r&eacute;sultent des interactions entre les diverses parties prenantes. Quand l&rsquo;organisation grandit, ces normes initiales constituent l&rsquo;ADN de l&rsquo;organisation, ce qui lui permet de se d&eacute;velopper sans perdre son identit&eacute;.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">L&rsquo;organisation est une communaut&eacute; d&rsquo;acteurs (eux-m&ecirc;mes individus, organisations ou soci&eacute;t&eacute;s) r&eacute;unis par des liens divers. L&rsquo;ADN de l&rsquo;organisation n&rsquo;est donc pas quelque chose de d&eacute;finitivement fig&eacute;. Il &eacute;volue en fonction des parties prenantes et des r&eacute;ponses organisationnelles aux obstacles ou opportunit&eacute;s rencontr&eacute;s. En ce sens, l&rsquo;organisation s&lsquo;apparente au monde v&eacute;g&eacute;tal des plantes<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[7]</span></span></a> o&ugrave; un m&ecirc;me arbre peut pr&eacute;senter des g&eacute;nomes diff&eacute;rents selon ses branches ma&icirc;tresses (Hall&eacute;, 2005, p.50-53).</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Pour les organisations, l&rsquo;enjeu de la durabilit&eacute; serait donc de permettre une diversification d&rsquo;une identit&eacute; commune pour permettre son adaptation &agrave; des environnements distincts. Une organisation qui fossilise son identit&eacute; initiale, et qui se contente de dupliquer &agrave; l&rsquo;identique ce qui fait son identit&eacute;, devient incapable de s&rsquo;adapter &agrave; des changements environnementaux ou &agrave; des contextes normatifs distincts. Elle ne peut qu&rsquo;imposer aux territoires o&ugrave; elle s&rsquo;implante son mode de fonctionnement. Le territoire devient abstrait et n&rsquo;est plus que le lieu de reproduction d&rsquo;une identit&eacute; incapable de s&rsquo;adapter &agrave; des &eacute;volutions.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Au fur et &agrave; mesure que l&rsquo;organisation se focalise sur des enjeux abstraits (que ce soient la valeur boursi&egrave;re de l&rsquo;entreprise ou des questions doctrinales d&eacute;pourvues d&rsquo;implications concr&egrave;tes), les enjeux de pouvoirs se r&eacute;duisent &agrave; un nombre limit&eacute; d&rsquo;acteurs d&eacute;connect&eacute;s du quotidien de l&rsquo;organisation. La satisfaction concr&egrave;te des diverses parties prenantes est ignor&eacute;e au b&eacute;n&eacute;fice d&rsquo;une repr&eacute;sentation statistique qui ne peut que repr&eacute;senter imparfaitement des r&eacute;alit&eacute;s d&eacute;j&agrave; pass&eacute;es (par exemple des employ&eacute;s, des clients ou des fournisseurs qui ont cess&eacute; de travailler avec l&rsquo;entreprise parce que celle-ci s&rsquo;av&eacute;rait incapable de les &eacute;couter et de prendre en compte leurs demandes concr&egrave;tes).</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Le face-&agrave;-face dispara&icirc;t quand l&lsquo;organisation implante des m&eacute;canismes formels de coordination. L&rsquo;organisation continue &agrave; collecter des informations et &agrave; les analyser mais elle perd la capacit&eacute; &agrave; interagir sur le vivant, elle ne peut que g&eacute;rer des processus morts, des op&eacute;rations de transformation qui n&rsquo;impliquent pas les personnes et qui, par cons&eacute;quent, ne peuvent atteindre la vie et s&rsquo;ins&eacute;rer dans les mouvements d&rsquo;&eacute;volution que cette vie entra&icirc;ne. La fossilisation de l&rsquo;organisation entra&icirc;ne une lutte avec le territoire, et les acteurs qui y vivent, pour assurer la reproduction &agrave; l&rsquo;identique des rapports contractuels. Si l&rsquo;organisation acquiert la victoire, le territoire est r&eacute;duit &agrave; n&rsquo;&ecirc;tre qu&rsquo;un substrat au sein duquel l&rsquo;organisation puise ses ressources. Si le territoire affirme sa supr&eacute;matie, l&rsquo;organisation ne peut que d&eacute;cliner ou s&rsquo;adapter.</span></span></p> <ol> <li style="list-style-type:none"> <ol start="3"> <li style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif"><em>La reconstruction d&rsquo;un face &agrave; face</em></span></span></li> </ol> </li> </ol> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">La durabilit&eacute; exige deux conditions&nbsp;: l&rsquo;existence de canaux de transmission et l&rsquo;existence d&rsquo;un dialogue, ce que J&uuml;rgen Habermas (1992) a synth&eacute;tis&eacute; sous la notion d&rsquo;&eacute;thique de la discussion. Avec les moyens modernes de communication, la difficult&eacute; de la durabilit&eacute; est renforc&eacute;e car les canaux de transmission donnent l&rsquo;apparence d&rsquo;une retransmission parfaite de l&rsquo;information. Mais l&rsquo;information &eacute;mise n&rsquo;est pas l&rsquo;information re&ccedil;ue car les codes entre l&rsquo;&eacute;mission et la r&eacute;ception ne sont pas les m&ecirc;mes. Ces codes d&rsquo;&eacute;mission et de r&eacute;ception sont li&eacute;s aux normes qui r&eacute;gissent les territoires d&rsquo;implantation des acteurs. L&rsquo;&eacute;loignement du territoire et la gestion abstraite des donn&eacute;es g&eacute;n&egrave;rent une perte d&rsquo;information car tout un pan de l&rsquo;information inaccessible par des donn&eacute;es num&eacute;ris&eacute;es dispara&icirc;t. Cette perte d&rsquo;information est aggrav&eacute;e quand l&rsquo;information se r&eacute;duit &agrave; une succession de donn&eacute;es financi&egrave;res<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[8]</span></span></a>. Il n&rsquo;y a plus de dialogue car il n&rsquo;y a plus de possibilit&eacute;s d&rsquo;exprimer ce qui n&rsquo;est pas exprimable sous forme chiffr&eacute;e.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Reconstruire le face-&agrave;-face devient une n&eacute;cessit&eacute; de survie pour l&rsquo;organisation car cela devient le seul moyen de r&eacute;tablir une v&eacute;ritable communication avec ses acteurs. Le face-&agrave;-face fait &eacute;clater la repr&eacute;sentation chiffr&eacute;e car il apporte un suppl&eacute;ment de sens &agrave; des repr&eacute;sentations abstraites, il rend singulier ce qui n&rsquo;&eacute;tait qu&rsquo;un concept. Ce face-&agrave;-face s&rsquo;inscrit n&eacute;cessairement dans un territoire car le face &agrave; la face n&rsquo;est pas seulement la rencontre de deux singularit&eacute;s, il est cette rencontre dans un lieu incarn&eacute;, marqu&eacute; par une histoire, une culture, des croyances.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">La force de Toyota par rapport &agrave; General Motors n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; d&rsquo;avoir un meilleur mod&egrave;le manag&eacute;rial mais d&rsquo;avoir un mod&egrave;le qui permettait de prendre en compte la r&eacute;alit&eacute; des normes qui r&eacute;gissent le comportement des acteurs dans les diff&eacute;rents pays o&ugrave; l&rsquo;entreprise s&rsquo;est implant&eacute;e. C&rsquo;est &agrave; partir de cette connaissance des contraintes, des habitudes, des repr&eacute;sentations des acteurs que l&rsquo;organisation peut tout &agrave; la fois maintenir les principes qui la constituent (son ADN) et adapter ses principes &agrave; la r&eacute;alit&eacute; des acteurs et de leur environnement.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Cette capacit&eacute; &agrave; appr&eacute;hender la r&eacute;alit&eacute; d&rsquo;un environnement, le concret d&rsquo;un territoire, d&eacute;pend des personnes qui dirigent et animent chaque organisation mais elle d&eacute;pend &eacute;galement des structures, des m&eacute;canismes, qui r&eacute;gissent les rapports des parties prenantes au sein de l&rsquo;organisation et les modalit&eacute;s de prise en compte de leurs int&eacute;r&ecirc;ts. <em>In fine</em>, la durabilit&eacute; d&rsquo;une organisation d&eacute;pend donc des caract&eacute;ristiques de sa gouvernance.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Le crit&egrave;re d&rsquo;une bonne gouvernance peut s&rsquo;&eacute;valuer selon l&rsquo;efficience (la capacit&eacute; &agrave; produire au moindre co&ucirc;t les biens ou les services demand&eacute;s par les clients) mais cette efficience est instantan&eacute;e, elle ne prend pas en compte la dur&eacute;e, l&rsquo;inscription de l&rsquo;organisation dans un temps o&ugrave; les prix peuvent fluctuer, o&ugrave; les march&eacute;s peuvent &ecirc;tre imparfaits, o&ugrave; les externalit&eacute;s peuvent &ecirc;tre ignor&eacute;es. Pour &ecirc;tre durable, une organisation doit s&rsquo;affranchir de la maximisation de l&rsquo;efficience &agrave; court terme pour se mettre en situation d&rsquo;&eacute;quilibre instable impliquant l&rsquo;exigence du mouvement et donc du dialogue avec ses parties prenantes.</span></span></p> <ol start="3"> <li style="text-align:justify"><span style="font-size:14pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif">Conclusion</span></span></li> </ol> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Selon notre th&egrave;se, l&rsquo;organisation d&eacute;veloppe un cadre favorable aux interactions sociales quand elle maintient une proximit&eacute; avec ses territoires et qu&rsquo;elle permet un v&eacute;ritable dialogue avec ses parties prenantes. La diff&eacute;rence avec les logiques actuelles de communication est l&rsquo;insistance sur la bilat&eacute;ralit&eacute; du dialogue&nbsp;: chaque acteur est &agrave; la fois r&eacute;cepteur et &eacute;metteur. Par rapport au mod&egrave;le cybern&eacute;tique, la diff&eacute;rence tient &agrave; ce r&ocirc;le d&rsquo;&eacute;metteur des parties prenantes de l&rsquo;organisation. Dans le mod&egrave;le cybern&eacute;tique, l&rsquo;information qui revient &agrave; l&rsquo;organisation de la part de ses parties prenantes (le <em>feedback</em>) est le reflet de l&rsquo;information initialement &eacute;mise par l&rsquo;organisation en direction de ses diverses parties prenantes. Une repr&eacute;sentation physique en est le radar. Ce dernier permet d&rsquo;appr&eacute;hender un objet et de le localiser dans l&rsquo;espace gr&acirc;ce &agrave; la r&eacute;flexion sur l&rsquo;objet des ondes &eacute;mises. Ce n&rsquo;est donc pas l&rsquo;objet qui &eacute;met, l&rsquo;objet ne fait que r&eacute;fl&eacute;chir les ondes re&ccedil;ues<a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[9]</span></span></a>.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Dans un dialogue, chaque acteur ne fait pas que r&eacute;pondre &agrave; la partie oppos&eacute;e, il d&eacute;veloppe &eacute;galement sa propre argumentation et peut introduire des &eacute;l&eacute;ments nouveaux non initialement envisag&eacute;s par l&rsquo;acteur initial. Ce dialogue entre l&rsquo;organisation et les parties prenantes est une condition de la durabilit&eacute; des organisations car c&rsquo;est elle qui permet &agrave; l&rsquo;organisation de s&rsquo;enrichir d&rsquo;apports nouveaux, d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; l&lsquo;entropie.</span></span></p> <ol start="4"> <li style="text-align:justify"><span style="font-size:14pt"><span style="font-family:&quot;Arial&quot;,sans-serif">Bibliographie</span></span></li> </ol> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Buber, M. (1923). <em>Je et Tu, La vue en dialogue</em>. Aubier, 1938.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Cameron, K. S., Whetten, D. A., &amp; Kim, M. U. (1987). Organizational dysfunctions of decline. <em>Academy of Management journal</em>, <em>30</em>(1), 126-138.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Cartier, J-B., Naszalyi, P. &amp; Pig&eacute;, B. (2012), &laquo;&nbsp;Organisations de l&rsquo;&eacute;conomie sociale et solidaire&nbsp;: quelle th&eacute;orie de la gouvernance&nbsp;?&nbsp;&raquo;, in <em>Management des entreprises de l&rsquo;&eacute;conomie sociale et solidaire</em>, DeBoeck, p.41-63.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Chandler, A. D. (1962). <em>Strategy and structure: Chapters in the history of the industrial enterprise</em>. MIT press, 1990.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Fridenson, P. (1989). Les organisations, un nouvel objet. <em>Annales. Histoire, Sciences Sociales</em>, Vol. 44, No. 6, pp. 1461-1477.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Galbraith, J. (1952). <em>American capitalism: The concept of countervailing power</em>. Houghton Mifflin.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Gu&eacute;rin, I. (2015). <em>La microfinance et ses d&eacute;rives, &eacute;manciper, discipliner ou exploiter&nbsp;?</em> IRD &eacute;ditions.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Habermas, J. (1992). <em>De l&rsquo;&eacute;thique de la discussion</em>. Flammarion.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Hall&eacute;, F. (2005). <em>Plaidoyer pour l&rsquo;arbre</em>. Actes Sud.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Helper, S., &amp; Henderson, R. (2014). Management practices, relational contracts, and the decline of General Motors. <em>Journal of </em><em>Economic Perspectives</em>, <em>28</em>(1), 49-72.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Hirschman, A. O. (1970). <em>Exit, voice, and loyalty: Responses to decline in firms, organizations, and states</em>. Harvard university press.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Levinas, E. (1974). <em>Autrement qu&rsquo;&ecirc;tre, ou au-del&agrave; de l&rsquo;essence</em>. Livre de Poche, 2004.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Levine, C. H. (1978). Organizational decline and cutback management. <em>Public administration review</em>, <em>38</em>(4), 316-325.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">L&eacute;vi-Strauss, C. (1955). <em>Tristes tropiques</em>. Plon.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Mitchell, R. K., Agle, B. R., &amp; Wood, D. J. (1997). Toward a theory of stakeholder identification and salience: Defining the principle of who and what really counts. <em>Academy of management review</em>, <em>22</em>(4), 853-886.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Mone, M. A., McKinley, W., &amp; Barker III, V. L. (1998). Organizational decline and innovation: A contingency framework. <em>Academy of management review</em>, <em>23</em>(1), 115-132.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Pig&eacute;, B. (2014). Les fronti&egrave;res des Organisations. Enjeux et repr&eacute;sentation.<em> Prospective et Strat&eacute;gie</em>, <em>4-5</em>, 13-28.</span></span></p> <p style="margin-left:1pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">Wiener, N. (1954). <em>The Human Use of Human Beings: Cybernetics and Society</em>, Free Association Books, 1989.</span></span></p> <div>&nbsp; <hr /> <div id="ftn1"> <p style="margin-left:1.15pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[1]</span></span></a> Et, par cons&eacute;quent, l&rsquo;existence de fronti&egrave;res (Pig&eacute;, 2014).</span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p style="margin-left:1.15pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[2]</span></span></a> Une recherche sur Google Scholar montre que les termes <em>d&eacute;clin</em> (en fran&ccedil;ais) ou <em>decline</em> (en anglais) appliqu&eacute;s aux organisations renvoient &agrave; des parties prenantes ou &agrave; des environnements naturels ou politiques. Le d&eacute;clin des organisations est rarement un th&egrave;me trait&eacute; en tant que tel. En effet, l&rsquo;organisation est g&eacute;n&eacute;ralement appr&eacute;hend&eacute;e comme une structure, un cadre contractuel au sein duquel le renouvellement vient des acteurs eux-m&ecirc;mes (Fridenson, 1989). Une organisation qui d&eacute;cline est donc une organisation qui ne parvient plus &agrave; renouveler ses parties prenantes.</span></span></p> </div> <div id="ftn3"> <p style="margin-left:1.15pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[3]</span></span></a> Un courant acad&eacute;mique (Levine, 1978) consid&egrave;re que c&rsquo;est la rar&eacute;faction des ressources disponibles qui entra&icirc;ne l&rsquo;incapacit&eacute; de l&rsquo;organisation &agrave; s&rsquo;adapter.</span></span></p> </div> <div id="ftn4"> <p style="margin-left:1.15pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[4]</span></span></a> Comme l&rsquo;illustre une r&eacute;plique de Clint Eastwood dans le film &laquo;&nbsp;Gran Torino&nbsp;&raquo; (2008) &agrave; propos des marques de voiture, l&rsquo;insertion d&rsquo;une organisation dans un territoire implique une forme d&rsquo;engagement r&eacute;ciproque entre les citoyens du territoire concern&eacute; et l&rsquo;organisation.</span></span></p> </div> <div id="ftn5"> <p style="margin-left:1.15pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[5]</span></span></a> On retrouve le m&ecirc;me cas de figure avec les organisations de microfinance en Afrique (Gu&eacute;rin, 2015) et le r&ocirc;le central du m&eacute;canisme de reprise des actifs en cas de difficult&eacute;s de gestion.</span></span></p> </div> <div id="ftn6"> <p style="margin-left:1.15pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[6]</span></span></a> On le voit notamment dans le r&ocirc;le des <em>clusters</em> (par exemple, la <em>Silicon Valley</em> en Californie) ou des incubateurs d&rsquo;entreprises pour favoriser les interactions sociales dans un cadre restreint o&ugrave; les acteurs sont amen&eacute;s &agrave; partager un grand nombre de normes communes.</span></span></p> </div> <div id="ftn7"> <p style="margin-left:1.15pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[7]</span></span></a> La long&eacute;vit&eacute; de certaines plantes s&rsquo;explique par leur capacit&eacute; &agrave; faire &eacute;voluer leur identit&eacute; voire &agrave; faire coexister plusieurs identit&eacute;s &agrave; partir d&rsquo;une identit&eacute; commune initiale.</span></span></p> </div> <div id="ftn8"> <p style="margin-left:1.15pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[8]</span></span></a> Puisqu&rsquo;&agrave; travers les prix on introduit une repr&eacute;sentation de l&rsquo;offre et de la demande qui est davantage repr&eacute;sentative des rapports de force entre les acteurs que de l&rsquo;&eacute;quilibre entre une offre et une demande dans des conditions de concurrence pure et parfaite o&ugrave; tous les acteurs b&eacute;n&eacute;ficieraient d&rsquo;une dotation initiale de ressources leur permettant d&rsquo;agir sur les march&eacute;s.</span></span></p> </div> <div id="ftn9"> <p style="margin-left:1.15pt; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title=""><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:&quot;Times&quot;,serif">[9]</span></span></a> Les avions furtifs sont des avions qui au lieu de renvoyer les ondes re&ccedil;ues les absorbent et suppriment ainsi le <em>feedback</em>.</span></span></p> </div> </div>