<p>Les organisations sont complexes, fortement technologis&eacute;es, et &eacute;voluent dans un environnement de plus en plus turbulent, ce qui tend &agrave; les rendre vuln&eacute;rables. Dans un tel contexte, des auteurs ont notamment abord&eacute; la question des risques communicationnels et informationnels encourus par les organisations (Moinet, 2014; Sauvajol-Rialland, 2014; Bouzon, 2001; Bonneville et Grosjean, 2007). Ces risques renvoient &agrave; une ambig&uuml;it&eacute;, &eacute;quivocit&eacute; g&eacute;n&eacute;r&eacute;es par l&rsquo;usage de donn&eacute;es num&eacute;rique, &agrave; la perte de contr&ocirc;le de l&rsquo;information dans les organisations (surcharge informationnelle) ou aux risques de d&eacute;sorganisation des collectifs (probl&egrave;mes de coordination des actions, de collaborations, etc.). Par exemple, dans le contexte du travail en r&eacute;seau, les acteurs font reposer la coordination de leurs actions sur de nouveaux modes de communication ayant un recours massif aux donn&eacute;es num&eacute;riques, &agrave; l&rsquo;utilisation de syst&egrave;mes d&rsquo;information, etc. Or, malgr&eacute; toutes les pr&eacute;cautions techniques et tentatives de mieux contr&ocirc;ler l&rsquo;information qui circule, de permettre une meilleure communication, de nombreux chercheurs d&eacute;crivent les TIC comme des agents ambigus, capables de modifier tr&egrave;s profond&eacute;ment notre rapport &agrave; autrui et au support, &agrave; l&rsquo;&eacute;criture, &agrave; la lecture, &agrave; l&rsquo;espace et au temps (Borzeix et Fraenkel, 2005). En effet, l&rsquo;introduction de diverses technologies telles que les Workflows, ERP et autres accentuent la pluris&eacute;mioticit&eacute; (Lacoste, 2005) et l&rsquo;imbrication des formes langagi&egrave;res et des supports&nbsp;: m&eacute;lange de langage oral, d&rsquo;&eacute;crits, d&rsquo;images, de chiffres, de codes, de tableaux, etc. Les jargons de m&eacute;tiers, les langages d&rsquo;experts ou de sp&eacute;cialistes se c&ocirc;toient, se chevauchent, s&rsquo;interp&eacute;n&egrave;trent et peuvent parfois g&eacute;n&eacute;rer de la confusion, voire des erreurs de manipulations, autrement dit rendre vuln&eacute;rable ces nouvelles formes d&rsquo;organisation et les confronter &agrave; un nouveau type de risques&nbsp;: les risques communicationnels.&nbsp;</p> <p>De plus, le recours &agrave; l&rsquo;utilisation d&rsquo;&eacute;crans et de m&eacute;diations informatiques dans les organisations s&rsquo;accompagne ind&eacute;niablement d&rsquo;une intellectualisation du travail, d&rsquo;une distance croissante aux choses, d&rsquo;un tournant symbolique, qui comme le souligne Lacoste (2005) tend &agrave; substituer l&rsquo;intervention sur les signes &agrave; la manipulation directe. Ainsi, avec l&rsquo;introduction des TIC, la communication dans les organisations &laquo;&nbsp;s&rsquo;incarne dans une pluralit&eacute; de modalit&eacute;s s&eacute;miotiques compl&eacute;mentaires&nbsp;: gestes et actes, graphiques et images, paroles et &eacute;crits&nbsp;&raquo; (Lacoste, 2005, p.30). L&rsquo;&eacute;criture, qui a toujours &eacute;t&eacute; pr&eacute;sente dans les organisations, rev&ecirc;t aujourd&rsquo;hui des formes multiples (formulaires &eacute;lectroniques, espaces de partage de donn&eacute;es, etc.) et il est ind&eacute;niable que la pr&eacute;sence de technologies tels que les &eacute;crans de contr&ocirc;le et autres tendent &agrave; modifier l&rsquo;environnement de travail. En effet, les objets mat&eacute;riels ne sont plus pr&eacute;sents, plus visibles en tant que tels. Ils sont objets de repr&eacute;sentations, de symbolisations sous la forme de textes &eacute;crits sur des &eacute;crans, sous forme d&rsquo;imageries num&eacute;riques, de tableaux, de diagrammes (pensons aux op&eacute;rateurs de salles de contr&ocirc;le, aux contr&ocirc;leurs a&eacute;riens, etc.). Par ailleurs, tout en modifiant l&rsquo;environnement de travail, les TIC ont aussi permis une num&eacute;risation de l&rsquo;information. En effet, les donn&eacute;es num&eacute;riques se pr&eacute;sentent sous la forme d&rsquo;un &laquo;&nbsp;ensemble d&rsquo;impulsions &eacute;lectromagn&eacute;tiques, immat&eacute;rielles, fuyantes, et caract&eacute;ris&eacute;es par leur aptitude &agrave; dispara&icirc;tre sans laisser de trace (pour &ecirc;tre &eacute;ventuellement remplac&eacute;es par d&rsquo;autres, toujours sans trace de la substitution)&nbsp;&raquo; (Caprioli et Sorieul, 1997, p.383). N&eacute;anmoins la num&eacute;risation des donn&eacute;es offre de nombreux avantages, parmi lesquels la rapidit&eacute;, la souplesse et la facilit&eacute; d&rsquo;acc&egrave;s. Ainsi, nous assistons depuis de nombreuses ann&eacute;es au sein des organisations &agrave; l&rsquo;affranchissement de l&rsquo;information de son support-papier. Or, cette information re&ccedil;oit par sa num&eacute;risation une ubiquit&eacute; permettant d&rsquo;y avoir acc&egrave;s en diff&eacute;rents temps et lieux. Ainsi, l&rsquo;ubiquit&eacute; num&eacute;rique reconfigure totalement nos possibilit&eacute;s d&rsquo;acc&egrave;s &agrave; l&rsquo;information (Bachimont, 1999), tout en faisant appara&icirc;tre de nouvelles probl&eacute;matiques&nbsp;(perte de sens, perte de confiance, perte de contr&ocirc;le, etc.). Le recours &agrave; l&rsquo;information num&eacute;rique peut g&eacute;n&eacute;rer un &eacute;tat d&rsquo;ins&eacute;curit&eacute; associ&eacute; aux donn&eacute;es num&eacute;riques (Bonneville et Grosjean, 2007), et confronter les individus (devant travailler &agrave; partir de celles-ci) &agrave; l&rsquo;&eacute;quivocit&eacute; (Weick, 2001), autrement dit &laquo;&nbsp;&agrave; la pr&eacute;sence d&rsquo;interpr&eacute;tations multiples pour une m&ecirc;me situation&nbsp;&raquo; (Allard-Poesi, 2003, p.99).</p> <p>Ajoutons &agrave; ceci que la r&eacute;seautification des organisations rend n&eacute;cessaire la mise &agrave; disposition et en circulation de l&rsquo;information. Celle-ci demeure ainsi la matrice fondamentale qui rend justement possible le travail en r&eacute;seau, le travail &agrave; distance et la coordination des actions. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; l&rsquo;information permet une certaine fluidification des communications, de l&rsquo;autre cette fluidification des communications entraine souvent une &laquo;&nbsp;congestion&nbsp;&raquo; du fait de la sur-utilisation, ou mauvaise utilisation, de l&rsquo;information en tant que telle (Lalhou, 2000, 2002). Par exemple, Helmersen et al., (2001) distinguent &laquo; la surcharge informationnelle &raquo; de la &laquo; surcharge communicationnelle &raquo;. La surcharge informationnelle renvoie aux difficult&eacute;s qu&rsquo;un individu rencontre pour traiter un volume important d&rsquo;informations, pour les localiser, les r&eacute;cup&eacute;rer, les stocker, les retrouver, les v&eacute;rifier et filtrer celles qui sont importantes, les comprendre, les int&eacute;grer et r&eacute;agir au contenu. Quant &agrave; la surcharge communicationnelle, elle renvoie aux difficult&eacute;s rencontr&eacute;es par un individu du fait d&rsquo;un exc&egrave;s de sollicitations de la part de son entourage et de ses diff&eacute;rents interlocuteurs; ceci exigeant de lui une disponibilit&eacute; imm&eacute;diate. La juxtaposition de ces deux ph&eacute;nom&egrave;nes peut litt&eacute;ralement &eacute;puiser ceux qui en font l&rsquo;exp&eacute;rience continuellement, les amener &agrave; la perception tr&egrave;s d&eacute;stabilisante d&rsquo;une perte de contr&ocirc;le et du sens de leur activit&eacute; (Vacherand-Revel, 2007). L&rsquo;impact de ces deux types de surcharges se multiplie donc dans les organisations, du fait de l&rsquo;omnipr&eacute;sence des t&acirc;ches et des proc&eacute;dures que les &laquo;&nbsp;travailleurs du savoir&nbsp;&raquo; - &laquo;&nbsp;knowledge workers&nbsp;&raquo; doivent accomplir quotidiennement, en se servant des dispositifs num&eacute;riques en tant qu&rsquo;outils de travail qui ne cessent d&rsquo;&eacute;voluer.&nbsp; &nbsp;</p> <p>Ainsi, nos organisations sont soumises &agrave; de multiples risques communicationnels et informationnels qui tendent &agrave; les d&eacute;stabiliser, &agrave; leur faire perdre le contr&ocirc;le, autant de situations qui peuvent les conduire &agrave; la d&eacute;sorganisation, &agrave; l&rsquo;effondrement et qui les rendent de plus en plus vuln&eacute;rables.</p> <p>Le pr&eacute;sent num&eacute;ro entend apporter des &eacute;clairages sur les voies de la r&eacute;silience des organisations. Parmi les questions soumises &agrave; r&eacute;flexion&nbsp;:</p> <ul> <li>Comment les organisations r&eacute;agissent-elles face &agrave; ces risques communicationnels et informationnels ?</li> <li>Comment font-elles pour r&eacute;duire l&rsquo;&eacute;quivocit&eacute;, la perte de sens et ainsi limiter leur vuln&eacute;rabilit&eacute; ?</li> <li>Comment les collectifs de travail s&rsquo;organisent-ils pour r&eacute;agir et maintenir ainsi une forme de fiabilit&eacute; et p&eacute;rennit&eacute; organisationnelle dans ce contexte de surcharge informationnelle et communicationnelle ?</li> </ul> <p>Nous avons pens&eacute; qu&rsquo;il &eacute;tait pertinent de mieux saisir les modes d&rsquo;expression de ces risques au sein des organisations, d&rsquo;en identifier l&rsquo;impact sur la fiabilit&eacute; des organisations, mais aussi de comprendre &laquo;&nbsp;les bricolages&nbsp;&raquo; (Weick, 2001) mis en &oelig;uvre par les acteurs organisationnels afin d&rsquo;assurer la fiabilit&eacute; et la p&eacute;rennit&eacute; de leur organisation, d&rsquo;en r&eacute;duire la vuln&eacute;rabilit&eacute; et de les rendre ainsi plus r&eacute;silientes (Vogus et Sutcliffe, 2007; Vogus, 2011).</p> <p>L&rsquo;accent de ce num&eacute;ro a &eacute;t&eacute; mis sur des &eacute;tudes empiriques, des &eacute;tudes de terrain qui nous plongeront au c&oelig;ur de l&rsquo;organisation afin de saisir et comprendre les processus par lesquels les organisations improvisent, bricolent des strat&eacute;gies afin d&rsquo;&ecirc;tre moins vuln&eacute;rables aux risques informationnels et communicationnels et ainsi devenir (peut-&ecirc;tre) plus r&eacute;silientes.</p> <h2>R&eacute;f&eacute;rences&nbsp;cit&eacute;s</h2> <p>Allard-Poesi, f.&nbsp;(2003). &laquo;&nbsp;Sens collectif et construction collective du sens&nbsp;&raquo;, in le sens de l&rsquo;action (coordonn&eacute; par b. Vidaillet), vuibert, paris, p. 91-112.</p> <p>Bachimont, B. (1999). &laquo;&nbsp;Du texte &agrave; l&rsquo;hypotexte&nbsp;: les parcours de la m&eacute;moire documentaire&nbsp;&raquo;, in Lenay C., Havelange, V., technologies, id&eacute;ologies, pratiques. M&eacute;moire de la technique et techniques de la m&eacute;moire, p. 195-225</p> <p>Bonneville, L., Grosjean, S. (2007). &laquo;&nbsp;Quand l&rsquo;ins&eacute;curit&eacute; num&eacute;rique fait figure de r&eacute;sistance au changement organisationnel&nbsp;&raquo;, in actes du colloque de l&rsquo;ins&eacute;curit&eacute; num&eacute;rique &agrave; la vuln&eacute;rabilit&eacute; de la soci&eacute;t&eacute;, congr&egrave;s du centre de coordination pour la recherche et l&#39;enseignement en informatique et soci&eacute;t&eacute; (CREIS), Paris, France, p. 139-152.</p> <p>Borzeix, A., Fraenkel, B. (2005). Langage et travail. Communication, cognition, action, CNRS &eacute;ditions, Paris.</p> <p>Bouzon, A. (2001). &laquo;&nbsp;Risques et communication dans les organisations contemporaines&nbsp;&raquo;, communication&amp;organisation, n&deg;20, p. 27-46.</p> <p>Helmersen, P., Jalalian, A., Moran, G., Norman, F. (2001). Impacts of information overload, (report p947), EURESCOM.</p> <p>Lacoste, M. (2005). &laquo;&nbsp;Peut-on travailler sans communiquer&nbsp;?&nbsp;&raquo;, in Borzeix, A., Fraenkel, B., langage et travail. Communication, cognition, action, Paris, CNRS &eacute;ditions, p. 21-54.</p> <p>Lahlou, C. (2002). &laquo;&nbsp;Travail de bureau et d&eacute;bordement cognitif&nbsp;&raquo;, in Jourdan I.M. et Theureau J. (eds.), Charge mentale : notion floue et vrai probl&egrave;me, Toulouse, Octar&egrave;s, p. 73-91.</p> <p>Lahlou, S. (2000). &laquo;&nbsp;Attracteurs cognitifs et travail de bureau&nbsp;&raquo;, Intellectica, 2000/1, 30, p.75-113.</p> <p>Moinet, N. (2014). Les risques informationnels, d&rsquo;une vision statique &agrave; une conception dynamique, Documentaliste-sciences de l&rsquo;information, 2014/3, Vol.51, p. 44-46.</p> <p>Sauvajol-Rialland, Caroline (2014). Infob&eacute;sit&eacute;, gros risques et vrais rem&egrave;des, l&rsquo;expansion management review, 2014/1, n.152, p. 110-118.</p> <p>Vacherand-Revel, J. (2007). &laquo;&nbsp;Enjeux de la m&eacute;diatisation du travail coop&eacute;ratif distribu&eacute; dans les &eacute;quipes de projets de conception&nbsp;&raquo;, pistes, vol.9, n&deg;2, p. 1-17.</p> <p>Vogus T.J., Sutcliffe K.M. (2007). Organizational resilience: towards a theory and research agenda, IEEE, p. 3418- 3422.</p> <p>Vogus, T.J. (2011). &ldquo;Mindful organizing. Establishing and extending the foundations of highly reliable performance&rdquo;, chapter 50, in K. Cameron &amp; G. Spreitzer (eds.), handbook of positive organizational scholarship, oxford university press, p. 664-676.</p> <p>Weick, K.E. (2001). &laquo;&nbsp;technology as equivoque: sensemaking in new technologies&nbsp;&raquo;, in making sense in the organization (Weick, K.E.), blackwell publishing, p. 148-175.</p> <p>Weick, K., Sutcliffe, K.M., Obstfeld, D. (1999). &ldquo;Organizing for high reliability: processes of collective mindfulness&rdquo;, in B.M. Staw, &amp; L.L. Cummings (eds.), Research in organizational behavior, vol.21, Greenwich, CT: Jai Press, inc, p. 81-123.</p>