<p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Dans l&rsquo;impressionnante production livresque en lien avec la comm&eacute;moration du centenaire du d&eacute;but de la Premi&egrave;re Guerre mondiale, l&rsquo;essai de Nicolas Mariot, chercheur au CNRS, se distingue par sa volont&eacute; d&rsquo;affronter un sujet neuf. Issu d&rsquo;un m&eacute;moire d&rsquo;habilitation &agrave; diriger les recherches, ce livre pose en effet la question des comportements et des repr&eacute;sentations des intellectuels au front. On sait que l&rsquo;histoire des intellectuels est un des champs historiographiques les plus f&eacute;conds de ces trente derni&egrave;res ann&eacute;es. Pourtant, on suit l&rsquo;auteur lorsque celui-ci affirme que l&rsquo;histoire des intellectuels combattants restait &agrave; &eacute;crire. Les sp&eacute;cialistes d&rsquo;histoire des intellectuels s&rsquo;&eacute;taient jusque-l&agrave; principalement int&eacute;ress&eacute;s aux prises de position de nature politique des clercs pendant la guerre<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a>, sans aborder le probl&egrave;me sp&eacute;cifique de ces intellectuels au front.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Pour cette enqu&ecirc;te, Nicolas Mariot s&rsquo;appuie sur le cas de 42 t&eacute;moignages d&rsquo;intellectuels, s&eacute;lectionn&eacute;s selon trois crit&egrave;res. Ne sont tr&egrave;s logiquement retenus que les intellectuels ayant effectivement &eacute;t&eacute; pr&eacute;sents sur le front. Ensuite, le chercheur n&rsquo;int&egrave;gre &agrave; son corpus que des documents pr&eacute;alablement publi&eacute;s, parmi lesquels une large majorit&eacute; de correspondances. Enfin, il ne s&rsquo;int&eacute;resse qu&rsquo;aux intellectuels dont il a pu &eacute;tablir la biographie afin de mener &agrave; bien l&rsquo;indispensable travail d&rsquo;analyse sociologique du groupe ainsi constitu&eacute;. Ces deuxi&egrave;me et troisi&egrave;me crit&egrave;res appellent quelques commentaires. Dans sa volont&eacute; de montrer les limites voire les apories des travaux pr&eacute;c&eacute;dents <span style="letter-spacing:-.1pt">sur l&rsquo;exp&eacute;rience combattante, Nicolas</span> Mariot assume r&eacute;utiliser afin de les r&eacute;interpr&eacute;ter ce qu&rsquo;il qualifie de &laquo;&nbsp;sources les plus communes ou canoniques&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;405), soit un corpus d&eacute;j&agrave; accessible et connu. Mais en quoi ce choix entra&icirc;nait-il d&rsquo;exclure d&rsquo;int&eacute;grer au corpus des documents in&eacute;dits, tir&eacute;s des nombreux fonds d&rsquo;archives&nbsp;o&ugrave; sont conserv&eacute;es des lettres de combattants&nbsp;?<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a> Certes, Nicolas Mariot explique que cette limitation &agrave; 42 t&eacute;moignages autorise une analyse int&eacute;grale de leur contenu et que la prise en compte d&rsquo;autres documents ne modifierait probablement les r&eacute;sultats de la recherche que de mani&egrave;re marginale. Mais le probl&egrave;me de la limitation &agrave; ces livres d&eacute;j&agrave; publi&eacute;s est le sentiment de retomber une fois de plus sur les &laquo;&nbsp;grands&nbsp;&raquo; intellectuels, en tout cas sur des t&eacute;moins dont la vision de la guerre est d&eacute;j&agrave; connue&nbsp;; l&rsquo;&eacute;diteur n&rsquo;h&eacute;site d&rsquo;ailleurs pas &agrave; mettre en avant la notori&eacute;t&eacute; des t&eacute;moins dans le pri&egrave;re <span style="letter-spacing:.1pt">d&rsquo;ins&eacute;rer en quatri&egrave;me de couverture&nbsp;: &laquo;&nbsp;Guillaume Apollinaire, Henri Barbusse,</span> Marc Bloch, Maurice Genevoix, Georges Duhamel ou L&eacute;on Werth&nbsp;: les intellectuels combattants ont laiss&eacute; &agrave; la post&eacute;rit&eacute; des textes o&ugrave; la guerre est superbement d&eacute;crite et analys&eacute;e&nbsp;&raquo;. Peut-&ecirc;tre faudrait-il se r&eacute;soudre, en histoire des intellectuels comme il est couramment d&rsquo;usage dans les recherches de sociologie, &agrave; anonymer les t&eacute;moins, en pr&eacute;cisant seulement leurs propri&eacute;t&eacute;s sociales, de mani&egrave;re &agrave; &eacute;chapper aux poids de la notori&eacute;t&eacute; et de l&rsquo;autorit&eacute; symbolique de ces grands noms. Enfin, en ce qui concerne la possibilit&eacute; d&rsquo;&eacute;tablir la biographie des t&eacute;moins, on regrette &ndash;&nbsp;mais l&rsquo;auteur n&rsquo;est probablement pour rien dans ce choix&nbsp;&ndash; que l&rsquo;ouvrage ne comporte pas un bref dictionnaire biographique des t&eacute;moins mobilis&eacute;s&nbsp;; peut-&ecirc;tre est-ce l&agrave; une observation contradictoire avec leur notori&eacute;t&eacute; pr&eacute;c&eacute;demment not&eacute;e, mais nul lecteur ne peut conna&icirc;tre toutes les informations d&eacute;cisives pour la compr&eacute;hension, telles que l&rsquo;&acirc;ge, les origines sociales ou la position sociale du t&eacute;moin. L&rsquo;absence de cette rubrique<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></a> qui aurait rendu la lecture du livre plus ais&eacute;e est d&rsquo;autant plus &eacute;tonnante que, nous y reviendrons, l&rsquo;&eacute;diteur a pris soin de publier en fin d&rsquo;ouvrage un chapitre cons&eacute;quent sur les &laquo;&nbsp;&eacute;chafaudages&nbsp;&raquo; de la recherche de Nicolas Mariot.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Destin&eacute; &agrave; &laquo;&nbsp;un grand public &eacute;clair&eacute;&nbsp;&raquo;, le livre de Nicolas Mariot poss&egrave;de d&rsquo;incontestables qualit&eacute;s de clart&eacute; dans la r&eacute;daction et dans la pr&eacute;sentation de la recherche. Le plan propos&eacute; est simple &agrave; suivre et s&rsquo;organise en trois parties, apr&egrave;s un long et n&eacute;cessaire prologue dans lequel l&rsquo;auteur pr&eacute;sente les caract&eacute;ristiques sociologiques des t&eacute;moins retenus. Dans la premi&egrave;re partie, &laquo;&nbsp;La mat&eacute;rialit&eacute; d&rsquo;une rencontre&nbsp;&raquo;, Nicolas Mariot s&rsquo;attache &agrave; interroger la sp&eacute;cificit&eacute; de la situation des intellectuels au front, analysant les logiques de distinction qui ont &eacute;t&eacute; &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans ce contexte si particulier&nbsp;: aisance mat&eacute;rielle g&eacute;n&eacute;ralement sup&eacute;rieure, traduite par les colis re&ccedil;us, confort am&eacute;lior&eacute; pour ceux des intellectuels suivis qui sont grad&eacute;s, etc. La deuxi&egrave;me partie &laquo;&nbsp;Le savant et le populaire, <i>in vivo</i>&nbsp;&raquo; adopte une d&eacute;marche de type anthropologique, afin de saisir au plus pr&egrave;s la perception de l&rsquo;exp&eacute;rience de guerre des intellectuels. Le chapitre consacr&eacute; au corps attire particuli&egrave;rement l&rsquo;attention, en ce que la question physique met pour une fois les intellectuels en position domin&eacute;e, la plupart des t&eacute;moins rapportant leurs difficult&eacute;s &agrave; s&rsquo;adapter au niveau de &laquo;&nbsp;performance&nbsp;&raquo; exig&eacute; dans le cadre des combats. On lit aussi avec un fort int&eacute;r&ecirc;t les consid&eacute;rations, apparemment tr&egrave;s nombreuses, des t&eacute;moins sur les comportements des soldats issus des classes populaires. Le regard manque tr&egrave;s g&eacute;n&eacute;ralement d&rsquo;empathie et les intellectuels se plaignent tr&egrave;s majoritairement de la promiscuit&eacute; subie avec des hommes dont les centres d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t (bricoler, s&rsquo;imbiber consciencieusement et jouer aux cartes, pour simplifier) sont tr&egrave;s <span style="letter-spacing:.1pt">g&eacute;n&eacute;ralement vilipend&eacute;s. Cette deuxi&egrave;me partie, qui s&rsquo;appuie sur des lectures pr&eacute;cises des travaux de sociologues, de Jean-Claude Passeron et Claude Grignon &ndash; d&rsquo;o&ugrave; le titre &ndash; &agrave; Philippe Coulangeon</span> (excellents d&eacute;veloppements sur la tendance actuelle &agrave; l&rsquo;omnivoracit&eacute; en <span style="letter-spacing:-.1pt">mati&egrave;re de pratiques culturelles), est particuli&egrave;rement</span> convaincante. Mais c&rsquo;est nettement dans la troisi&egrave;me partie (&laquo;&nbsp;Corps et &acirc;mes&nbsp;&raquo;) que l&rsquo;auteur avance les analyses les plus fortes. Son objectif est d&rsquo;affronter de mani&egrave;re renouvel&eacute;e la question fort classique&nbsp;: comment-ont-ils tenu, &laquo;&nbsp;ils&nbsp;&raquo; d&eacute;signant ici les t&eacute;moins et les soldats issus des classes populaires qu&rsquo;ils observent&nbsp;? Les r&eacute;ponses fournies insistent sur le caract&egrave;re sociologiquement inscrit du patriotisme, Nicolas Mariot multipliant les preuves des diff&eacute;rences entre &laquo;&nbsp;ses&nbsp;&raquo; intellectuels qui ont totalement int&eacute;rioris&eacute; la dimension patriotique de leur &laquo;&nbsp;sacrifice&nbsp;&raquo; et des soldats issus des cat&eacute;gories populaires qui, selon les t&eacute;moins, ne font g&eacute;n&eacute;ralement preuve d&rsquo;aucune ferveur patriotique <span style="letter-spacing:-.2pt">particuli&egrave;re. Autre &eacute;l&eacute;ment essentiel de cette troisi&egrave;me partie, Nicolas Mariot</span> observe la mani&egrave;re par laquelle les intellectuels &eacute;tudi&eacute;s se font &laquo;&nbsp;instituteurs de guerre&nbsp;&raquo;, &agrave; savoir qu&rsquo;ils mettent leurs qualit&eacute;s p&eacute;dagogiques au service d&rsquo;une diffusion de la cause.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Il arrive que les enjeux scientifiques d&rsquo;une recherche ne soient pas directement perceptibles pour le lecteur. C&rsquo;est une grande qualit&eacute; du travail de Nicolas Mariot que d&rsquo;afficher clairement ses objectifs, d&egrave;s l&rsquo;introduction et surtout dans la postface &laquo;&nbsp;&Eacute;chafaudages&nbsp;&raquo;, dont on ne saurait trop saluer la publication dans un ouvrage publi&eacute; &agrave; destination d&rsquo;un public non forc&eacute;ment sp&eacute;cialiste. De mani&egrave;re explicite, Nicolas Mariot situe son &eacute;tude dans une perspective de discussion des travaux ayant abord&eacute; l&rsquo;exp&eacute;rience combattante depuis une vingtaine d&rsquo;ann&eacute;es, dans le cadre de l&rsquo;&eacute;cole de <span style="letter-spacing:-.2pt">P&eacute;ronne (notamment <i>14-18, Retrouver la guerre </i>de St&eacute;phane Audoin-Rouzeau</span> et Annette Becker), expliquant la t&eacute;nacit&eacute; des soldats par un consentement d&ucirc; &agrave; la haine de l&rsquo;ennemi et au patriotisme. Nicolas Mariot juge la d&eacute;monstration &laquo;&nbsp;circulaire&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;existence d&rsquo;une culture de haine est prouv&eacute;e par les violences, elles-m&ecirc;mes &eacute;tant provoqu&eacute;es par cette culture&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;389). L&rsquo;auteur veut redonner une &laquo;&nbsp;&eacute;paisseur sociale&nbsp;&raquo; &agrave; l&rsquo;&eacute;tude de la t&eacute;nacit&eacute; combattante, remarquant le manque d&rsquo;&eacute;tudes sur la composition sociale de l&rsquo;arm&eacute;e fran&ccedil;aise. Son travail s&rsquo;inscrit donc dans un programme de recherche sur les diff&eacute;rentiations sociales<a name="_ftnref4"></a><a href="#_ftn4"><sup><span style="color:black">[4]</span></sup></a>, qui aboutit &agrave; une profonde remise en cause de sch&eacute;mas d&rsquo;analyse dominants conf&eacute;rant au patriotisme une valeur d&rsquo;explication excessive &ndash;&nbsp;et surtout peu prouv&eacute;e. En quelque sorte, Nicolas Mariot rend aux &eacute;lites ce qui leur appartient&nbsp;: un discours sp&eacute;cifique que l&rsquo;on a souvent trop rapidement consid&eacute;r&eacute; comme l&rsquo;expression d&rsquo;une repr&eacute;sentation commune. Son ouvrage constitue une contribution d&eacute;cisive &agrave; l&rsquo;historiographie sociale <span style="letter-spacing:-.2pt">de la Premi&egrave;re Guerre mondiale. On saluera le ton avec lequel Nicolas Mariot</span> livre ses conclusions, restant toujours dans le cadre de la controverse scientifique, sans c&eacute;der &agrave; la tentation facile de la pol&eacute;mique, notamment sur le plan politique.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Mais Nicolas Mariot ne s&rsquo;est pas limit&eacute; &agrave; mettre en &eacute;vidence le foss&eacute; entre les &eacute;lites et les cat&eacute;gories populaires. Il aurait pu, suivant en cela les travaux de Christophe Charle dont il reconna&icirc;t s&rsquo;&ecirc;tre particuli&egrave;rement inspir&eacute;, proposer une &eacute;tude sur &laquo;&nbsp;les &eacute;lites de la R&eacute;publique<a name="_ftnref5"></a><a href="#_ftn5"><sup><span style="color:black">[5]</span></sup></a> dans les tranch&eacute;es&nbsp;&raquo;. Bien des observations correspondent d&rsquo;ailleurs &agrave; cette confrontation entre &eacute;lites et classes populaires, &agrave; cette v&eacute;ritable &laquo;&nbsp;lutte des classes&nbsp;&raquo; (titre originel du m&eacute;moire d&rsquo;habilitation dont est tir&eacute; l&rsquo;ouvrage). Cependant, et sans r&eacute;ellement expliquer ce choix<a name="_ftnref6"></a><a href="#_ftn6"><sup><span style="color:black">[6]</span></sup></a>, Nicolas Mariot a &agrave; la fois restreint son groupe et &eacute;largi ses perspectives en se consacrant &agrave; cette &eacute;tude des intellectuels au front. Et son &oelig;uvre constitue une tr&egrave;s int&eacute;ressante exp&eacute;rience d&rsquo;histoire de l&rsquo;intellectualit&eacute; en milieu hostile. Rares sont en effet les travaux qui abordent l&rsquo;intellectuel dans toutes ses dimensions, au-del&agrave; de ses gestes distinctifs que sont la prise de parole, la p&eacute;tition ou le manifeste. Cette approche de &laquo;&nbsp;l&rsquo;intellectualit&eacute; comme mani&egrave;re d&rsquo;&ecirc;tre quotidienne, socialement constitu&eacute;e et reconnue&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;22) apporte beaucoup &agrave; notre connaissance de ce groupe social, au-del&agrave; du simple contexte de la Premi&egrave;re Guerre mondiale. Nicolas Mariot note, &agrave; rebours d&rsquo;une repr&eacute;sentation courante qui absolutise les diff&eacute;rences sociales, politiques et religieuses (combien d&rsquo;ouvrages sur les intellectuels catholiques, communistes, etc.&nbsp;?), que &laquo;&nbsp;ces distinctions internes seront de peu de poids face &agrave; la d&eacute;couverte du peuple des tranch&eacute;es&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;49). Globalement, quelles que soient leurs appartenances et propri&eacute;t&eacute;s, les intellectuels partagent une m&ecirc;me distance vis-&agrave;-vis de leurs &laquo;&nbsp;camarades&nbsp;&raquo; et expriment en g&eacute;n&eacute;ral leur d&eacute;ception vis-&agrave;-vis d&rsquo;un peuple fran&ccedil;ais peu patriote. On est frapp&eacute; par le peu de consid&eacute;ration exprim&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de ces soldats des classes populaires, &agrave; de tr&egrave;s rares exceptions pr&egrave;s &ndash;&nbsp;notamment le sociologue durkheimien Robert Hertz, tu&eacute; en 1915. Ce dernier est un des seuls intellectuels &eacute;tudi&eacute;s &agrave; faire le lien entre ses pr&eacute;occupations intellectuelles et scientifiques et son exp&eacute;rience de la guerre, ainsi lorsqu&rsquo;il &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les journ&eacute;es sont longues &ndash;&nbsp;mais je ne suis pas de ceux qui s&rsquo;ennuient, d&rsquo;abord je lis un peu&nbsp;&ndash; et puis je trouve toujours de l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t &agrave; &eacute;couter les hommes causer entre eux. Parfois je recueille des bribes de folklore argonnais ou lorrain et cela me fait penser aux enqu&ecirc;tes men&eacute;es dans ta compagnie, ch&egrave;re femme. Et leurs propos sont toujours savoureux et instructifs&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;258). Toujours dans cette id&eacute;e de d&eacute;finir l&rsquo;intellectualit&eacute;, on note sans r&eacute;elle surprise que lire, &eacute;crire et donner des le&ccedil;ons de hauteur morale constituent les <i>conatus </i>principaux des intellectuels. Sur ce dernier point, Nicolas Mariot note d&rsquo;ailleurs qu&rsquo;il y a maintien de la condition intellectuelle au-del&agrave; du contexte&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;intellectuel au front ne signe plus de p&eacute;tition, et certainement pas contre l&rsquo;action du gouvernement, mais il est celui qui, plus que jamais, distribue ses avis, toujours et &agrave; tout propos&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;381).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Il&nbsp;est des points que Nicolas Mariot aborde, mais un peu rapidement, du moins dans cette version publi&eacute;e de sa recherche. Ainsi, dans son objectif de montrer que l&rsquo;intellectualit&eacute; est une qualit&eacute; socialement reconnue, l&rsquo;auteur n&rsquo;ignore pas les t&eacute;moignages &eacute;manant d&rsquo;autres acteurs que les intellectuels. Mais ce recours reste assez limit&eacute;&nbsp;: Nicolas Mariot ne &laquo;&nbsp;retourne le miroir&nbsp;&raquo; que pour &eacute;voquer la question de la t&eacute;nacit&eacute;, principalement avec les carnets et correspondances de Joseph Astier,</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Antoine Martin et Marcel Papillon&nbsp;; or, ces t&eacute;moins n&rsquo;&eacute;voquent que les grad&eacute;s &ndash;&nbsp;on retrouve ici la probl&eacute;matique des &eacute;lites&nbsp;&ndash;, mais pas sp&eacute;cifiquement les intellectuels. &laquo;&nbsp;Le combattant intellectuel voit n&eacute;cessairement des hommes du peuple autour de lui&nbsp;; l&rsquo;inverse n&rsquo;est pas vrai&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;14), &eacute;crit rapidement l&rsquo;auteur. L&rsquo;information est essentielle&nbsp;et aurait pu donner lieu &agrave; davantage de d&eacute;veloppements&nbsp;: l&rsquo;intellectuel n&rsquo;est ainsi pas per&ccedil;u comme tel, si ce n&rsquo;est par lui-m&ecirc;me (&agrave; destination de ses correspondants, qui sont soit des intellectuels eux-m&ecirc;mes, soit des membres de sa famille soucieux du maintien de l&rsquo;identit&eacute; de leur fr&egrave;re, fils ou mari) et par ses semblables. De m&ecirc;me, Nicolas Mariot n&rsquo;aborde que de mani&egrave;re incidente la question de la m&eacute;moire du combat chez les intellectuels. Le probl&egrave;me de la comparaison entre le t&eacute;moignage contemporain des &eacute;v&eacute;nements (dans les lettres et les carnets) et les &eacute;crits ult&eacute;rieurs aurait pu &ecirc;tre d&eacute;velopp&eacute;, le cas d&rsquo;Henri Barbusse semblant particuli&egrave;rement int&eacute;ressant. Enfin, l&rsquo;auteur, qui n&rsquo;a &laquo;&nbsp;trouv&eacute; nulle trace d&rsquo;amiti&eacute;s entre soldats d&rsquo;origines diverses qui aient surv&eacute;cu au conflit&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;379), exprime l&agrave; une r&eacute;alit&eacute; qui aurait m&eacute;rit&eacute; de plus amples d&eacute;veloppements.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">N&eacute;anmoins, un excellent crit&egrave;re d&rsquo;&eacute;valuation d&rsquo;une recherche r&eacute;side dans les perspectives qu&rsquo;elle ouvre. De ce point de vue, l&rsquo;ouvrage de Nicolas Mariot s&rsquo;av&egrave;re particuli&egrave;rement f&eacute;cond. L&rsquo;auteur estime avec raison que ses pr&eacute;occupations peuvent et doivent rejoindre celles de chercheurs travaillant sur d&rsquo;autres espaces, d&rsquo;autres th&egrave;mes ou d&rsquo;autres p&eacute;riodes. S&rsquo;il insiste sur l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t d&rsquo;une comparaison synchronique &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle europ&eacute;enne (les intellectuels italiens ou allemands ont-ils observ&eacute; le m&ecirc;me comportement que leurs pairs fran&ccedil;ais&nbsp;?), Nicolas Mariot cite d&rsquo;autres exp&eacute;riences extr&ecirc;mes travers&eacute;es par des intellectuels au XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle&nbsp;: la R&eacute;sistance &ndash;&nbsp;il note que, sur ce point, les remarquables pistes de recherche &eacute;nonc&eacute;es notamment par Antoine Prost et Fran&ccedil;ois Marcot<a name="_ftnref7"></a><a href="#_ftn7"><sup><span style="color:black">[7]</span></sup></a> n&rsquo;ont pas souvent &eacute;t&eacute; suivies&nbsp;&ndash;, l&rsquo;immersion des </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">pr&ecirc;tres-ouvriers, l&rsquo;&eacute;tablissement en usine des ann&eacute;es 1968, l&rsquo;exp&eacute;rience concentrationnaire. Pour avoir abord&eacute; cette derni&egrave;re exp&eacute;rience dans le cadre d&rsquo;une recherche doctorale sur l&rsquo;intellectuel Michel de Bo&uuml;ard, historien d&eacute;port&eacute; &agrave; Mauthausen, il semble en effet qu&rsquo;il y a l&agrave; une possibilit&eacute; d&rsquo;enqu&ecirc;te int&eacute;ressante. Si l&rsquo;on ne saurait se prononcer apr&egrave;s <span style="letter-spacing:.2pt">l&rsquo;&eacute;tude d&rsquo;un seul cas et si les sources sont probablement diff&eacute;rentes &ndash;&nbsp;dans le cas de Michel</span><span style="letter-spacing:.1pt"> de Bo&uuml;ard, il n&rsquo;existe pas de document contemporain de son s&eacute;jour &agrave; Mauthausen mais, en revanche, les lettres envoy&eacute;es &agrave; son &eacute;pouse depuis le camp de Compi&egrave;gne ont &eacute;t&eacute; conser</span>v&eacute;es&nbsp;&ndash;, il appara&icirc;t que les &eacute;tudes de la repr&eacute;sentation des cod&eacute;tenus issus des classes populaires et du maintien de l&rsquo;intellectualit&eacute; (ce que Louis Martin-Chauffier, lui-m&ecirc;me d&eacute;tenu &agrave; Compi&egrave;gne, appela &laquo;&nbsp;rentrer dans [son] ordre&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref8"></a><a href="#_ftn8"><sup><span style="color:black">[8]</span></sup></a>) pendant la d&eacute;tention puissent &ecirc;tre men&eacute;es &agrave; bien. Certes, il est toujours d&eacute;licat d&rsquo;envisager une v&eacute;ritable comparaison des comportements entre des situations tr&egrave;s diff&eacute;rentes, mais la d&eacute;marche suivie par Nicolas Mariot peut <i>a minima </i>servir de mod&egrave;le<a name="_ftnref9"></a><a href="#_ftn9"><sup><span style="color:black">[9]</span></sup></a>.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica">Revenons &agrave; notre observation initiale. Dans la pr&eacute;c&eacute;dente livraison de cette revue, Nicolas Mariot constatait que, parmi les nombreux livres sur la Grande Guerre publi&eacute;s depuis juin&nbsp;2013, il y avait &laquo;&nbsp;peu de livres marquants&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;du point de vue des enqu&ecirc;tes neuves ou originales&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref10"></a><a href="#_ftn10"><sup><span style="color:#0563c1">[10]</span></sup></a></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica">. Son livre s&rsquo;inscrit incontestablement dans cette petite cat&eacute;gorie.</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Voir notamment Christophe Prochasson, Anne Rasmussen, <i>Au nom de la patrie : les intellectuels et la Premi&egrave;re Guerre mondiale, 1910-1919, </i>Paris, La D&eacute;couverte, 1996.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="letter-spacing:-.05pt">Un exemple&nbsp;: le fonds Maurice Prou (qui devient directeur de l&rsquo;&Eacute;cole des chartes en 1916), conserv&eacute; &agrave; la biblioth&egrave;que municipale de Sens, regroupe de tr&egrave;s nombreuses lettres in&eacute;dites envoy&eacute;es par des chartistes.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Le lecteur peut certes se r&eacute;f&eacute;rer au tr&egrave;s utile dictionnaire biographique des t&eacute;moins de la Grande Guerre, sur le site du Collectif de recherche international et de d&eacute;bat sur la Guerre de 1914-1918 (CRID) dont Nicolas Mariot est l&rsquo;un des principaux animateurs&nbsp;: <a href="http://www.crid1418.org/temoins/"><span style="color:#0563c1">http://www.crid1418.org/temoins/</span></a></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn4"></a><a href="#_ftnref4"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Fran&ccedil;ois Bouloc, R&eacute;my Cazals et Andr&eacute; Loez (dir.), <i>Identit&eacute;s troubl&eacute;es. Les appartenances sociales et nationales &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve de la guerre 1914-1918, </i>Toulouse, Privat, 2011.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn5"></a><a href="#_ftnref5"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[5]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Christophe Charle, <i>Les <span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>lites de la R&eacute;publique, 1880-1900, </i>Paris,<i> </i>Fayard, 1987.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn6"></a><a href="#_ftnref6"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[6]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="letter-spacing:-.05pt">L&rsquo;auteur note cependant qu&rsquo;un tel int&eacute;r&ecirc;t pour l&rsquo;histoire des intellectuels dans un milieu social inconnu correspond peut-&ecirc;tre &agrave; son exp&eacute;rience personnelle d&rsquo;&laquo;&nbsp;intello de service&nbsp;&raquo; lorsqu&rsquo;il &eacute;tait en internat au lyc&eacute;e.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn7"></a><a href="#_ftnref7"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[7]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Antoine Prost (dir.), <i>La R&eacute;sistance, une histoire sociale, </i>Paris, <span style="text-transform:uppercase">L</span>&rsquo;Atelier, 1997.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn8"></a><a href="#_ftnref8"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[8]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Louis Martin-Chauffier, <i>L&rsquo;Homme et la b&ecirc;te, </i>Paris, Gallimard, 1947, p. 75&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je redoutais que, parmi les distractions du camp, ne figurassent les conf&eacute;rences. Je me sentais bien incapable de m&rsquo;astreindre &agrave; un travail qui me f&icirc;t rentrer dans mon ordre.&nbsp;&raquo;</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn9"></a><a href="#_ftnref9"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[9]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="letter-spacing:-.15pt">On notera une autre port&eacute;e de l&rsquo;ouvrage dans le cadre de l&rsquo;interrogation sur la nature et la r&eacute;alit&eacute; du patriotisme comme sentiment partag&eacute;. Si l&rsquo;auteur &eacute;vite soigneusement tout parall&egrave;le entre la situation de 1914-1918 et les injonctions contemporaines au patriotisme (&eacute;conomique ou autre), la sociologue Julie Pagis s&rsquo;appuie sur l&rsquo;ouvrage de Nicolas Mariot pour &eacute;tayer son argumentation contre l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un patriotisme universellement partag&eacute;. Julie Pagis, &laquo;&nbsp;Non, le patriotisme n&rsquo;a rien d&rsquo;universel&nbsp;!&nbsp;&raquo;, <i>Lib&eacute;ration, </i>25-26&nbsp;octobre 2014.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn10"></a><a href="#_ftnref10"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[10]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Julien Mary et Yannis Thanassekos, &laquo;&nbsp;D&rsquo;une historiographie &agrave; l&rsquo;autre, 14-18/39-45&nbsp;: jeux de miroir et perspectives crois&eacute;es. Entretien avec Andr&eacute; Loez et Nicolas Mariot&nbsp;&raquo;, <i>En jeu. Histoire et m&eacute;moires vivantes, </i>n&deg;&nbsp;3, juin 2014, pp. 21-45, ici p. 22.</span></span></span></span></p>