<p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">La probl&eacute;matique du pr&eacute;sent dossier et le p&eacute;rim&egrave;tre de ses champs d&rsquo;investigation ont &eacute;t&eacute; con&ccedil;us et d&eacute;termin&eacute;s il y a plusieurs mois de cela, longtemps avant les attentats terroristes sanglants qui ont &eacute;t&eacute; perp&eacute;tr&eacute;s &agrave; Paris<span style="letter-spacing:-.1pt"> les 7 et 9&nbsp;janvier 2015. La l&eacute;gitime condamnation unanime de ces actes qui constituent, sans doute, pour la France et l&rsquo;Europe, une sorte d&rsquo;&eacute;quivalent traumatique du 11&nbsp;septembre 2001 outre-Atlantique soul&egrave;ve cependant la question tout aussi l&eacute;gitime des cons&eacute;quences directes, sur le plan de l&rsquo;&Eacute;tat de droit et des libert&eacute;s fondamentales, des strat&eacute;gies et des mesures &agrave; adopter face aux menaces bien r&eacute;elles du terrorisme international. Bien que sous des tonalit&eacute;s diff&eacute;rentes, la rh&eacute;torique qui semble pr&eacute;valoir chez un grand nombre de responsables politiques et d&rsquo;observateurs est d&eacute;sormais celle d&rsquo;un &laquo;&nbsp;&eacute;tat de guerre&nbsp;&raquo; d&eacute;clar&eacute; <i>de facto</i>. L&rsquo;usage d&rsquo;une telle notion, m&ecirc;me </span>sous des dehors m&eacute;taphoriques, peut toutefois devenir une source d&rsquo;inqui&eacute;tudes dans la mesure o&ugrave;, consacr&eacute;e et rigoureusement encadr&eacute;e par des textes juridiques, cette notion d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;tat de guerre&nbsp;&raquo; se trouve ouvertement associ&eacute;e<span style="letter-spacing:-.1pt"> &agrave; d&rsquo;autres cat&eacute;gories juridico-politiques, comme celle d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;tat d&rsquo;exception&nbsp;&raquo; notamment, et par suite, des restrictions &agrave; l&rsquo;exercice des libert&eacute;s publiques que cette situation exceptionnelle implique. C&rsquo;est l&agrave; une des questions, charg&eacute;e d&rsquo;actualit&eacute;, qui se situe pr&eacute;cis&eacute;ment au c&oelig;ur m&ecirc;me de notre dossier.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">H&eacute;ritage antique, la d&eacute;mocratie n&rsquo;a cess&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre en d&eacute;bat depuis la R&eacute;volution fran&ccedil;aise, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">enjeu privil&eacute;gi&eacute; des luttes partisanes et de discussions th&eacute;oriques. Mais il est vrai aussi que l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration de l&rsquo;histoire durant <span style="letter-spacing:-.1pt">ces derni&egrave;res d&eacute;cennies &ndash;&nbsp;construction europ&eacute;enne, crises des &Eacute;tats-nations, institutionnalisation des souverainet&eacute;s</span> post-nationales, mondialisation &eacute;conomique, effondrement des r&eacute;gimes <span style="letter-spacing:-.1pt">sovi&eacute;tiques, primat des march&eacute;s financiers, prolif&eacute;ration des conflits et </span>des interventions militaires en p&eacute;riph&eacute;rie et, dans leur sillage, irruption d&rsquo;op&eacute;rations et d&rsquo;attentats terroristes &agrave; grande &eacute;chelle, etc.&nbsp;&ndash; a cr&eacute;&eacute; un cadre in&eacute;dit, radicalement nouveau, qui porte le d&eacute;bat sur le pr&eacute;sent et l&rsquo;avenir de la d&eacute;mocratie vers son point d&rsquo;&eacute;bullition.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Sous le rapport des questionnements politiques et juridiques que vise &agrave; soulever le pr&eacute;sent dossier, la p&eacute;riode qui s&rsquo;ouvre avec la Grande <span style="letter-spacing:-.3pt">Guerre et qui se cl&ocirc;ture avec la Seconde</span> Guerre mondiale s&rsquo;av&egrave;re d&eacute;cisive. C&rsquo;est dans ce contexte g&eacute;n&eacute;ral en effet qu&rsquo;ont fait irruption de nouveaux ph&eacute;nom&egrave;nes dans la sph&egrave;re politique (guerres mondiales, guerres civiles, r&eacute;volutions, fascismes, national-socialisme, guerre des partisans, communisme, guerre froide, luttes de lib&eacute;ration nationale, etc.) aussi bien que les tentatives, quasi simultan&eacute;es, cherchant &agrave; les rendre intelligibles sur le plan conceptuel et th&eacute;orique&nbsp;: nouveaux questionnements, notamment, sur le &laquo;&nbsp;statut&nbsp;&raquo; de concepts politiques et juridiques tels que ceux de <i>souverainet&eacute;</i>, d&rsquo;<i>&Eacute;tat de droit</i>, de <i>l&eacute;galit&eacute;</i>, de <i>l&eacute;gitimit&eacute;</i>, de <i>repr&eacute;sentation</i>, de <i>parlementarisme</i>, d&rsquo;<i>&eacute;tat d&rsquo;exception</i>, de <i>dictature</i>, d&rsquo;<i>&Eacute;tat total</i>, de<i> totalitarisme</i>, etc.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Certes, notre dossier n&rsquo;a pas pour objectif de livrer un r&eacute;capitulatif exhaustif de toutes ces discussions &agrave; la lumi&egrave;re des questions du pr&eacute;sent. Son objectif est plus modeste, mais plus pr&eacute;cis aussi. Parmi toutes ces interrogations, il y en a une, en effet, qui semble aujourd&rsquo;hui &eacute;merger de fa&ccedil;on &agrave; la fois significative et persistante&nbsp;: celle de l&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;tat d&rsquo;exception&nbsp;&raquo;. Si dans les ann&eacute;es&nbsp;1920 et&nbsp;1930 elle occupait d&eacute;j&agrave; une place &eacute;minente dans les discussions politiques, nous sommes contraints de constater qu&rsquo;elle revient de nos jours en force, tambour battant, au c&oelig;ur m&ecirc;me des grands questionnements qui travaillent la th&eacute;orie politique&nbsp;; en t&eacute;moigne le nombre croissant de publications sur ce sujet depuis une quinzaine d&rsquo;ann&eacute;es. Tout donne &agrave; penser que l&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;tat d&rsquo;exception&nbsp;&raquo; a acquis la puissance d&rsquo;une cat&eacute;gorie politique &agrave; partir de laquelle sont appel&eacute;s &agrave; &ecirc;tre red&eacute;finis et redistribu&eacute;s les statuts (&eacute;pist&eacute;mologiques) et les places (strat&eacute;giques) de la plupart des concepts classiques de la conceptualit&eacute; politico-juridique.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Au lendemain des attentats du 11&nbsp;septembre 2001 et des mesures exceptionnelles qui virent alors le jour (parmi lesquelles l&rsquo;<i>USA Patriot Act</i>), le philosophe italien Giorgio Agamben fut l&rsquo;un des premiers intellectuels &agrave; exhumer la notion d&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;tat d&rsquo;exception&nbsp;&raquo;, qu&rsquo;il empruntait aux r&eacute;flexions d&rsquo;auteurs des ann&eacute;es&nbsp;1920 et&nbsp;1930, cherchant &agrave; lui donner une pertinence actuelle. Dans son <i>&Eacute;tat d&rsquo;exception</i>, traitant de la situation des d&eacute;tenus sur la base navale de Guantanamo, il soutient que &laquo;&nbsp;la seule comparaison possible est la situation juridique des juifs dans les <i>Lager</i> nazis&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a>. Parce que le camp de concentration est interpr&eacute;t&eacute; comme l&rsquo;espace o&ugrave; r&egrave;gne l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception devenu la r&egrave;gle, celui-ci composerait &laquo;&nbsp;la matrice secr&egrave;te, le <i>nomos</i> de l&rsquo;espace politique dans lequel nous vivons encore&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a>. La g&eacute;n&eacute;ralisation et la banalisation des pratiques exceptionnelles t&eacute;moigneraient de l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;un nouveau paradigme de gouvernement. Nos &Eacute;tats d&eacute;mocratiques seraient ni plus ni moins tomb&eacute;s sous la coupe du r&egrave;gne infaillible de l&rsquo;exception faisant d&eacute;sormais loi.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Agamben a forg&eacute; ce constat non seulement en partant des raisonnements de Carl Schmitt et de Walter Benjamin, qu&rsquo;il confronte en vue de d&eacute;gager les liens intrins&egrave;ques entre exception et pouvoir souverain, mais aussi en prolongeant l&rsquo;hypoth&egrave;se foucaldienne d&rsquo;un nouveau mode sp&eacute;cifique d&rsquo;exercice du pouvoir &mdash; ce que Michel Foucault a appel&eacute; la &laquo;&nbsp;biopolitique&nbsp;&raquo;. &Agrave; partir de la seconde moiti&eacute; du XVIII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, le pouvoir, nous dit Foucault, se serait modifi&eacute; en prenant la vie (biologique) des hommes comme objet de son exercice&nbsp;; celui-ci ne porterait plus sur un territoire, mais sur <i>la vie</i> et <i>le vivant</i>, qui deviennent alors <i>un probl&egrave;me politique</i>, un enjeu des strat&eacute;gies politiques. Identifi&eacute; par Foucault au milieu des ann&eacute;es 1970, ce &laquo;&nbsp;biopouvoir&nbsp;&raquo; met en &eacute;vidence un rapport in&eacute;dit entre le pouvoir et la vie, engendrant des m&eacute;canismes de contr&ocirc;le r&eacute;put&eacute;s sp&eacute;cifiquement modernes, qui &eacute;chapperaient sensiblement aux th&eacute;ories classiques de la souverainet&eacute; (contractualistes ou territoriales)<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></a>.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&Agrave; vrai dire, l&rsquo;id&eacute;e selon laquelle nous conna&icirc;trions aujourd&rsquo;hui un &laquo;&nbsp;&eacute;tat d&rsquo;exception permanent&nbsp;&raquo; est devenue un v&eacute;ritable lieu commun chez un grand nombre de penseurs et de philosophes du politique, quoique ceux-ci ne partagent pas n&eacute;cessairement les conclusions de Giorgio Agamben (en particulier son assimilation de la r&eacute;alit&eacute; politique occidentale &agrave; celle de l&rsquo;univers concentrationnaire nazi). Alain Brossat, par exemple, comprend la situation pr&eacute;sente comme un &eacute;tat &laquo;&nbsp;de prolif&eacute;ration du r&eacute;gime de l&rsquo;exception rampante&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref4"></a><a href="#_ftn4"><sup><span style="color:black">[4]</span></sup></a> qu&rsquo;illustreraient les pratiques polici&egrave;res &agrave; la fois locales et mondiales. Partant de l&rsquo;analyse de cette m&ecirc;me prolif&eacute;ration, Jean-Claude Paye diagnostique pour sa part &laquo;&nbsp;la fin de l&rsquo;&Eacute;tat de droit&nbsp;&raquo; et le passage de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception &agrave; la dictature<a name="_ftnref5"></a><a href="#_ftn5"><sup><span style="color:black">[5]</span></sup></a>. Toni Negri, quant &agrave; lui, voit dans l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception g&eacute;n&eacute;ralis&eacute; le mode de gouvernance propre &agrave;<i> l&rsquo;Empire</i>, c&rsquo;est-&agrave;-dire de cette nouvelle forme de l&rsquo;imp&eacute;rialisme fond&eacute;e sur le march&eacute; globalis&eacute;. Dans <i>Multitude</i>, il affirme avec Michael Hardt que la guerre se serait, de nouveau, immisc&eacute;e au sein de l&rsquo;espace social. En cons&eacute;quence&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i>L&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception est devenu permanent et g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;</i>&nbsp;; l&rsquo;exception est devenue la r&egrave;gle, et elle &eacute;tend son emprise tant sur les relations internationales que sur le territoire national&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref6"></a><a href="#_ftn6"><sup><span style="color:black">[6]</span></sup></a>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">&Agrave; l&rsquo;&eacute;poque de la R&eacute;publique de </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">Weimar, c&rsquo;est un juriste conservateur, Carl Schmitt, s&eacute;rieusement compromis</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> avec le r&eacute;gime national-socialiste &agrave; partir de 1933 et dont l&rsquo;antis&eacute;mitisme n&rsquo;a jamais fait d&eacute;faut, qui donna &agrave; cette notion ses lettres de noblesse&nbsp;: &laquo;&nbsp;Est souverain celui qui d&eacute;cide de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref7"></a><a href="#_ftn7"><sup><span style="color:black">[7]</span></sup></a>, &eacute;crit-il dans sa <i>Th&eacute;ologie politique</i> de 1922. En d&rsquo;autres termes, pour Schmitt, la fonctionnalit&eacute; de l&rsquo;ordre juridique serait, en dernier ressort, garantie par la d&eacute;claration d&rsquo;un &eacute;tat d&rsquo;exception, par une d&eacute;cision du souverain, qui rendrait la norme de nouveau applicable &agrave; l&rsquo;avenir du fait de la suspension de son efficacit&eacute;. Dans le cas d&rsquo;exception, l&rsquo;&Eacute;tat suspendrait le droit en vertu d&rsquo;un droit d&rsquo;autoconservation&nbsp;; la d&eacute;cision souveraine aurait pour dessein de conserver le droit <i>en le suspendant</i>. S&rsquo;il souhaite conserver le droit devant le cas critique qui en menace l&rsquo;existence, l&rsquo;&Eacute;tat souverain n&rsquo;aurait d&rsquo;autre choix que de recourir &agrave; des mesures exceptionnelles &ndash; que d&rsquo;instaurer une situation exceptionnelle durant laquelle &laquo;&nbsp;l&rsquo;&Eacute;tat subsiste tandis que le droit recule&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref8"></a><a href="#_ftn8"><sup><span style="color:black">[8]</span></sup></a>. La puissance &eacute;tatique aurait donc pour mission de recr&eacute;er les conditions d&rsquo;existence de l&rsquo;&laquo;&nbsp;&Eacute;tat normal&nbsp;&raquo;, ce qui pr&eacute;suppose l&rsquo;identification de l&rsquo;&laquo;&nbsp;ennemi int&eacute;rieur&nbsp;&raquo; mena&ccedil;ant la situation de normalit&eacute;<a name="_ftnref9"></a><a href="#_ftn9"><sup><span style="color:black">[9]</span></sup></a>. Cette id&eacute;e schmittienne de suspension du droit <i>au nom du droit lui-m&ecirc;me</i> afin de neutraliser l&rsquo;ennemi int&eacute;rieur &ndash; sorte d&rsquo;actualisation de l&rsquo;antique &laquo;&nbsp;dictature commissariale&nbsp;&raquo; (dictature romaine) &ndash; a &eacute;videmment connu de funestes concr&eacute;tisations durant les ann&eacute;es 1930.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&Agrave; la m&ecirc;me &eacute;poque, &agrave; l&rsquo;autre bout de l&rsquo;&eacute;chiquier politique et partant du droit <span style="letter-spacing:-.1pt">de gr&egrave;ve constitutionnellement garanti,</span> le philosophe Walter Benjamin n&rsquo;a pas manqu&eacute; de relever une &laquo;&nbsp;contradiction objective&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref10"></a><a href="#_ftn10"><sup><span style="color:black">[10]</span></sup></a> au c&oelig;ur m&ecirc;me de l&rsquo;ordre juridique&nbsp;: ce dernier, tol&eacute;rant la violence qu&rsquo;implique l&rsquo;exercice de ce droit (de gr&egrave;ve), n&rsquo;h&eacute;site pourtant pas &agrave; la r&eacute;primer par des mesures exceptionnelles d&egrave;s lors que cette violence prend la forme d&rsquo;une gr&egrave;ve g&eacute;n&eacute;rale insurrectionnelle. Benjamin radicalisera cette r&eacute;f&eacute;rence &agrave; <i>l&rsquo;exception</i> et au <i>cas critique</i> dans ses th&egrave;ses <i>Sur le concept d&rsquo;histoire</i>, texte posthume et hautement embl&eacute;matique, r&eacute;dig&eacute; &agrave; Paris peu avant son suicide fin septembre&nbsp;1940. Pour lui&nbsp;: &laquo;&nbsp;S&rsquo;effarer que les &eacute;v&eacute;nements que nous vivons soient &ldquo;encore&rdquo; possibles au XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, c&rsquo;est marquer un &eacute;tonnement qui n&rsquo;a rien de philosophique&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref11"></a><a href="#_ftn11"><sup><span style="color:black">[11]</span></sup></a>. L&rsquo;exp&eacute;rience en cours du national-socialisme aurait d&eacute;montr&eacute;, selon lui, &agrave; la fois l&rsquo;inanit&eacute; du &laquo;&nbsp;progr&egrave;s&nbsp;&raquo; comme &laquo;&nbsp;norme historique&nbsp;&raquo; et le divorce entre le pouvoir fond&eacute; sur la norme et l&rsquo;exercice du pouvoir qui ne peut reposer que sur un &laquo;&nbsp;&eacute;tat d&rsquo;exception&nbsp;&raquo; se donnant tous les attributs de la r&egrave;gle&nbsp;: &laquo;&nbsp;La tradition des opprim&eacute;s nous enseigne que l&rsquo;&ldquo;&eacute;tat d&rsquo;exception&rdquo; dans lequel nous vivons est la r&egrave;gle.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref12"></a><a href="#_ftn12"><sup><span style="color:black">[12]</span></sup></a> Aussi, pour Benjamin, &laquo;&nbsp;nous consoliderons [&hellip;] notre position dans la lutte contre le fascisme&nbsp;&raquo; en luttant pour &laquo; instaurer le v&eacute;ritable &eacute;tat d&rsquo;exception&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref13"></a><a href="#_ftn13"><sup><span style="color:black">[13]</span></sup></a>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">De nos jours, ces deux auteurs (aux noms desquels il faut sans doute adjoindre celui de Foucault) sont souvent pr&eacute;sent&eacute;s comme des penseurs &laquo;&nbsp;visionnaires&nbsp;&raquo;&nbsp;; leurs r&eacute;flexions respectives auraient, entre autres, autoris&eacute; l&rsquo;appr&eacute;hension des tendances actuelles &agrave; la <i>banalisation de l&rsquo;exception</i>, pathologie qu&rsquo;aurait engendr&eacute;e la d&eacute;mocratie lib&eacute;rale aujourd&rsquo;hui <i>en crise</i>, que Schmitt et Benjamin, bien que partant de points de vue diam&eacute;tralement oppos&eacute;s, avaient radicalement critiqu&eacute;e. Mais plus encore, le concept d&rsquo;&laquo;&nbsp;exception&nbsp;&raquo;, qu&rsquo;ils contribu&egrave;rent tous deux &agrave; forger, loin de se r&eacute;duire &agrave; un instrument capable de diagnostiquer les maux dont souffrirait la d&eacute;mocratie lib&eacute;rale, serait &agrave; m&ecirc;me de d&eacute;gager une voie de <i>sortie de crise</i>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">Ici, comme ailleurs cependant, ce sont toujours des contextes et des &eacute;v&eacute;nements concrets qui nous obligent &agrave; r&eacute;interroger la place, la port&eacute;e et l&rsquo;efficacit&eacute; des outils conceptuels dont nous disposons. Dans le cas qui nous pr&eacute;occupe, il ne s&rsquo;agit de rien de moins que de la &laquo;&nbsp;crise&nbsp;&raquo; (ou des crises), tout aussi profonde(s) qu&rsquo;aigu&euml;(s), dans laquelle (ou dans lesquelles) semble s&rsquo;enfoncer, depuis les derni&egrave;res d&eacute;cennies, le monde &ndash; et l&rsquo;Europe en particulier. &Agrave; titre d&rsquo;exemple, nous pouvons relever les sp&eacute;cificit&eacute;s politiques qui caract&eacute;risent la crise des pays m&eacute;diterran&eacute;ens membres de l&rsquo;Union europ&eacute;enne et de la zone euro (Gr&egrave;ce, Espagne, Italie et Portugal). Le &laquo;&nbsp;cas&nbsp;&raquo; grec semble constituer ici un paradigme r&eacute;v&eacute;lateur&nbsp;: selon certains observateurs avis&eacute;s, depuis le premier M&eacute;morandum de 2010 impos&eacute; par la &laquo;&nbsp;Tro&iuml;ka&nbsp;&raquo; [Banque centrale europ&eacute;enne (BCE), Commission europ&eacute;enne et Fonds mon&eacute;taire international (FMI)], toutes les mesures d&rsquo;aust&eacute;rit&eacute; ont &eacute;t&eacute; d&eacute;cid&eacute;es dans le cadre de la d&eacute;claration, <i>de facto</i>, d&rsquo;un &laquo;&nbsp;&eacute;tat d&rsquo;exception permanent&nbsp;&raquo;, voire d&rsquo;un &laquo;&nbsp;&eacute;tat de guerre&nbsp;&raquo;, qui autorise le contournement des contraintes constitutionnelles et des r&egrave;gles &eacute;l&eacute;mentaires du fonctionnement de la d&eacute;mocratie parlementaire.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">Du Sud au Nord, le &laquo;&nbsp;cas&nbsp;&raquo; grec ne risque-t-il pas de se g&eacute;n&eacute;raliser&nbsp;? Nombre de signes de la crise actuelle ne d&eacute;montreraient-ils pas que nous sommes au seuil d&rsquo;une incompatibilit&eacute; entre les principes de la d&eacute;mocratie d&eacute;lib&eacute;rative et les principes d&rsquo;une mondialisation &eacute;conomique centr&eacute;e sur le primat des march&eacute;s financiers&nbsp;? La &laquo;&nbsp;nouvelle gouvernance&nbsp;&raquo; qui fait la part belle aux experts, &agrave; la technocratie et &agrave; des ex&eacute;cutifs extra-parlementaires, ne risque-t-elle pas de faire valoir un </span></span></span><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">nouvel</span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <i>ordre politique</i> fond&eacute; sur un &eacute;tat d&rsquo;exception g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;&nbsp;? Le flagrant d&eacute;ficit d&eacute;mocratique des organisations internationales et supranationales (BCE, Commission europ&eacute;enne, FMI, etc.), l&rsquo;amputation d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments constitutifs des souverainet&eacute;s nationales ainsi que l&rsquo;autonomisation croissante des ex&eacute;cutifs vis-&agrave;-vis des proc&eacute;dures de la d&eacute;mocratie d&eacute;lib&eacute;rative ne risquent-t-ils pas de produire, <i>in fine</i>, en s&rsquo;accumulant, un nouveau type de r&eacute;gime politique qu&rsquo;incarnerait l&rsquo;oxymore d&rsquo;une &laquo;&nbsp;d&eacute;mocratie sans <i>d&eacute;mos</i>&nbsp;&raquo;&nbsp;? Quels sont les effets de ces processus sans doute en cours sur l&rsquo;<i>&Eacute;tat de droit&nbsp;</i>?</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">La multiplication possible des d&eacute;clinaisons de l&rsquo;&laquo;&nbsp;exception&nbsp;&raquo; cr&eacute;erait un environnement politico-juridique opaque qui ne peut qu&rsquo;inqui&eacute;ter&nbsp;: les fronti&egrave;res entre &laquo;&nbsp;&eacute;tat de n&eacute;cessit&eacute;&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;&eacute;tat d&rsquo;urgence&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;&eacute;tat d&rsquo;exception&nbsp;&raquo; sont susceptibles de s&rsquo;av&eacute;rer extraordinairement poreuses et d&rsquo;une telle ind&eacute;termination juridique que nombre d&rsquo;abus et de d&eacute;rives deviendraient possibles. M&ecirc;me si le l&eacute;gislateur s&rsquo;efforce d&rsquo;<i>encadrer juridiquement </i>toutes ces mesures d&rsquo;exception afin de prot&eacute;ger les libert&eacute;s publiques et individuelles, n&rsquo;encourt-on pas le risque d&rsquo;<i>int&eacute;grer</i> du m&ecirc;me geste ces limitations dans le droit, dans la norme, de sorte qu&rsquo;ici aussi l&rsquo;exception deviendrait la r&egrave;gle&nbsp;? Mais, au fond, doit-on se demander, l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception repr&eacute;sente-t-il un concept f&eacute;cond &agrave; partir duquel il nous serait envisageable de penser une <i>sortie de crise&nbsp;</i>? La place qu&rsquo;il occupe dans les pens&eacute;es politiques du XXI<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle est-elle la <i>cons&eacute;quence</i> d&rsquo;une conceptualit&eacute; politique d&eacute;su&egrave;te, devenue dysfonctionnelle&nbsp;? Ou, au contraire, est-elle le <i>sympt&ocirc;me</i> d&rsquo;une r&eacute;surgence &laquo;&nbsp;r&eacute;actionnaire&nbsp;&raquo; plus ou moins larv&eacute;e, plus ou moins assum&eacute;e&nbsp;?</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Les diff&eacute;rentes contributions qui composent le pr&eacute;sent dossier ne pr&eacute;tendent &eacute;videmment pas r&eacute;pondre &agrave; l&rsquo;ensemble de ces questionnements on ne peut plus actuels. Elles participeront toutefois, pensons-nous, &agrave; &eacute;clairer utilement certains de leurs aspects saillants &agrave; la fois sur le plan des th&eacute;ories politiques et juridiques qui ont pour &eacute;picentre la question de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception, et sur celui, pragmatique, de l&rsquo;&eacute;valuation de ces th&eacute;orisations confront&eacute;es aux exp&eacute;riences politiques en cours aux &Eacute;tats-Unis, en Europe et dans l&rsquo;espace colonial et postcolonial.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">On l&rsquo;a vu plus haut, Schmitt, Benjamin,</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Foucault et Agamben ont contribu&eacute; &agrave; penser &ndash;&nbsp;chacun &agrave; sa mani&egrave;re&nbsp;&ndash; l&rsquo;importance de l&rsquo;exception relativement &agrave; l&rsquo;exercice du pouvoir. Saisir au mieux l&rsquo;actualit&eacute; politique qui est la n&ocirc;tre par le biais de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception ne pouvait faire l&rsquo;impasse sur une r&eacute;&eacute;valuation et une mise en perspective <i>critique</i> de ces th&egrave;ses&nbsp;; elles nous donnent &agrave; penser, tout en posant un certain nombre de difficult&eacute;s. Ces th&egrave;ses seront discut&eacute;es dans un premier ensemble d&rsquo;articles, plus th&eacute;oriques, qui permettront de recadrer et de sp&eacute;cifier les enjeux philosophiques et intellectuels que charrie la p&eacute;riode de crise (et des crises) que notre monde traverse.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Nicolas Bertrand nous propose, &agrave; partir de ses recherches sur les r&eacute;glementations internes des camps de concentration nazis, une critique serr&eacute;e des th&egrave;ses de Giorgio Agamben, selon lesquelles l&rsquo;institution des camps serait le r&eacute;sultat ultime de l&rsquo;expansion de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception devenu, de la sorte, la &laquo;&nbsp;loi&nbsp;&raquo; m&ecirc;me (ou le<i> nomos</i>) de l&rsquo;espace politique dans lequel nous vivons aujourd&rsquo;hui encore. Norman Ajari &eacute;largit le champ g&eacute;opolitique de notre questionnement &agrave; partir des r&eacute;flexions de politologues et philosophes africains qui s&rsquo;efforcent de penser dans toute son &eacute;tendue l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception au sein de l&rsquo;espace colonial et postcolonial, en confrontant de fa&ccedil;on critique les th&egrave;ses de Giorgio Agamben, de Carl Schmitt et de Michel Foucault &ndash; les &laquo;&nbsp;prises de terre&nbsp;&raquo; du projet colonialiste pr&eacute;supposeraient en fait la &laquo;&nbsp;prise des vies&nbsp;&raquo; des populations autochtones, racialement qualifi&eacute;es d&rsquo;inf&eacute;rieures, de non civilis&eacute;es, de barbares.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Louis Carr&eacute; revient, quant &agrave; lui, sur l&rsquo;emprunt que fait le m&ecirc;me Agamben au th&egrave;me foucaldien de la &laquo;&nbsp;biopolitique&nbsp;&raquo; ainsi que sur l&rsquo;hypoth&egrave;se selon laquelle une forme d&rsquo;exception y serait en jeu. Il soutient que nous aurions l&agrave; affaire &agrave; deux r&eacute;gimes d&rsquo;exception distincts, &agrave; deux mani&egrave;res diff&eacute;rentes d&rsquo;envisager les liens entre le biopouvoir et l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception. Mais toutes deux, la &laquo;&nbsp;biopolitique souveraine&nbsp;&raquo; (Agamben) et la &laquo;&nbsp;biopolitique gouvernementale&nbsp;&raquo; (Foucault), posent &agrave; leur fa&ccedil;on de r&eacute;els d&eacute;fis &agrave; nos d&eacute;mocraties lib&eacute;rales contemporaines, parmi lesquels cette menace diagnostiqu&eacute;e par Foucault &laquo;&nbsp;d&rsquo;un &Eacute;tat o&ugrave; les fonctions de gouvernement seraient hypertrophi&eacute;es jusqu&rsquo;&agrave; la gestion quotidienne des individus&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref14"></a><a href="#_ftn14"><sup><span style="color:black">[14]</span></sup></a>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Un second ensemble de contributions se confronte tr&egrave;s directement &agrave; nos r&eacute;alit&eacute;s actuelles, &agrave; des cas singuliers et concrets (r&eacute;alit&eacute;s nationales et europ&eacute;enne), d&eacute;celant et mettant en question sur le plan empirique cette logique de g&eacute;n&eacute;ralisation de l&rsquo;exception. Nos d&eacute;mocraties et nos &Eacute;tats de droit sont-ils en train de d&eacute;river vers des r&eacute;gimes d&rsquo;exception&nbsp;? Que nous disent les sp&eacute;cialistes (juristes, historiens et sociologues) de ces r&eacute;alit&eacute;s tangibles&nbsp;?</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">Partant des textes juridiques promulgu&eacute;s &agrave; la suite des attentats du 11&nbsp;septembre 2001, Jean-Claude Paye observe que la transformation de l&rsquo;ordre juridique aux &Eacute;tats-Unis r&eacute;v&egrave;le un changement de r&eacute;gime politique, &agrave; savoir la fin de l&rsquo;&Eacute;tat de droit et le passage &agrave; une forme d&rsquo;organisation qui concentre tous les pouvoirs aux mains du seul ex&eacute;cutif. S&rsquo;op&egrave;re ainsi un clivage dans l&rsquo;exercice de la puissance &eacute;tatique, de sorte que le l&eacute;gislatif ne puisse pas exercer de contr&ocirc;le sur les actes de l&rsquo;ex&eacute;cutif. La s&eacute;paration des pouvoirs, telle que formul&eacute;e par le pr&eacute;sident Obama, devient synonyme d&rsquo;absence de surveillance de l&rsquo;action pr&eacute;sidentielle.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">La contribution de Fran&ccedil;ois Saint-Bonnet, intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;&Eacute;tat d&rsquo;exception et djihadisme&nbsp;&raquo;, actualise de fa&ccedil;on &eacute;clairante la probl&eacute;matique g&eacute;n&eacute;rale du dossier. Selon son analyse du cas fran&ccedil;ais (auquel l&rsquo;auteur ne r&eacute;duit pas non plus sa r&eacute;flexion), la r&eacute;action contre le terrorisme djihadiste ne peut aucunement &ecirc;tre l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception, et la r&eacute;ponse p&eacute;nale ne saurait non plus suffire. Ne craignant pas la mort, le djihadiste repr&eacute;sente un d&eacute;fi pour le droit moderne qui consid&egrave;re la crainte de la mort comme fondamentale. Par l&agrave; m&ecirc;me, le djihadisme est aussi un challenge pour la modernit&eacute; politique, auquel on ne peut r&eacute;pondre qu&rsquo;en redonnant un contenu substantiel &agrave; la concitoyennet&eacute;.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Antonio Ruggeri cherche &agrave; savoir, pour sa part, si la situation italienne peut aujourd&rsquo;hui &ecirc;tre regard&eacute;e comme une exception permanente. Il souligne combien il est difficile de r&eacute;pondre &agrave; cette inqui&eacute;tante question, en particulier lorsqu&rsquo;on consid&egrave;re le caract&egrave;re probl&eacute;matique de la distinction op&eacute;r&eacute;e entre la fonction de garantie (Cours constitutionnelles, Cours et Conventions de protection des droits fondamentaux) et la fonction d&rsquo;orientation politique (fonctions ex&eacute;cutives et l&eacute;gislatives). Cette indistinction contribuerait ainsi &agrave; produire un m&eacute;lange inextricable entre des &eacute;l&eacute;ments propres &agrave; l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception et propres &agrave; l&rsquo;&Eacute;tat de droit&nbsp;; m&eacute;lange dont l&rsquo;&eacute;quilibre interne serait d&rsquo;autant plus d&eacute;licat et incertain que les contraintes et pressions &eacute;conomico-financi&egrave;res s&rsquo;affirmeraient sous la forme d&rsquo;un dilemme majeur, celui de la survie, du salut de l&rsquo;&Eacute;tat et de la nation. L&rsquo;auteur d&eacute;montre &agrave; quel point, en Italie, le fonctionnement activiste des organes de garantie, faisant l&rsquo;impasse sur la question de savoir qui gardera les &laquo;&nbsp;gardiens&nbsp;&raquo;, rel&egrave;ve partiellement du paradigme d&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;article d&rsquo;Akritas Ka&iuml;datzis nous ram&egrave;ne &eacute;galement &agrave; l&rsquo;actualit&eacute; la plus br&ucirc;lante, en traitant de la situation grecque telle qu&rsquo;elle existe aujourd&rsquo;hui m&ecirc;me, sous le concept d&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception. Ici, comme pour le cas italien, l&rsquo;approche est essentiellement juridique et politique&nbsp;; elle se rapporte, en grande partie tout au moins, &agrave; la fa&ccedil;on dont la question de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception s&rsquo;articule &agrave; la gestion de la crise &eacute;conomique et financi&egrave;re qui taraude la Gr&egrave;ce depuis 2010. L&rsquo;analyse propos&eacute;e montre tout autant la complexit&eacute; de la situation que la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;apporter des nuances dans l&rsquo;&eacute;valuation des processus juridico-politiques quant aux rapports qu&rsquo;entretiennent &Eacute;tat de droit, &eacute;tat d&rsquo;exception et d&eacute;mocratie. Tout donne &agrave; penser que, dans ces deux cas, Italie et Gr&egrave;ce, les contraintes et pressions &eacute;conomiques, qui d&eacute;coulent notamment de la crise financi&egrave;re et de la dette souveraine frappant le sud m&eacute;diterran&eacute;en, finissent par cr&eacute;er une situation d&rsquo;&laquo;&nbsp;extr&ecirc;me n&eacute;cessit&eacute;&nbsp;&raquo; qui affecte de fa&ccedil;on d&eacute;terminante aussi bien la sph&egrave;re politique (&Eacute;tat de droit et fonctionnement des institutions d&eacute;mocratiques) que la sph&egrave;re juridique (organes de garantie des libert&eacute;s fondamentales).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">Enfin, compte tenu du r&ocirc;le d&eacute;cisif que jouent aujourd&rsquo;hui les structures et les institutions supranationales, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">et singuli&egrave;rement les institutions de l&rsquo;Union europ&eacute;enne et les Trait&eacute;s qui lui conf&egrave;rent sa physionomie actuelle, nous avons jug&eacute; utile de solliciter le philosophe Jean-Marc Ferry en vue d&rsquo;un entretien qu&rsquo;il nous a gentiment accord&eacute;. Nous connaissons le vif int&eacute;r&ecirc;t du Pr.&nbsp;Ferry pour les aspects philosophiques et politiques de l&rsquo;unification europ&eacute;enne en tant que projet de soci&eacute;t&eacute; et pour l&rsquo;avenir du vivre-ensemble dans les conditions nouvelles qui accompagnent la mondialisation. Les questions ne manquent pas &agrave; cet &eacute;gard. De quelle mani&egrave;re et sous quelles conditions le projet europ&eacute;en nous oblige-t-il &agrave; repenser &agrave; nouveaux frais les cat&eacute;gories classiques de la philosophie politique et juridique telles que la souverainet&eacute;, l&rsquo;&Eacute;tat de droit, la d&eacute;mocratie, la l&eacute;gitimit&eacute;, la l&eacute;galit&eacute;, l&rsquo;exception, etc.&nbsp;? Comment penser l&rsquo;&eacute;cart inqui&eacute;tant entre les intentions et les id&eacute;aux programmatiques de l&rsquo;unification europ&eacute;enne et les r&eacute;alit&eacute;s de leur mise en &oelig;uvre, souvent jug&eacute;es bien d&eacute;cevantes&nbsp;? Comment combler le &laquo;&nbsp;d&eacute;ficit d&eacute;mocratique&nbsp;&raquo;, parfois criant, des institutions supranationales, europ&eacute;ennes en particulier&nbsp;? L</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie des march&eacute;s financiers est-elle compatible avec l&rsquo;exercice et les proc&eacute;dures de la d&eacute;mocratie d&eacute;lib&eacute;rative&nbsp;? Nombre de questions abord&eacute;es par les diff&eacute;rents contributeurs du dossier sont reprises et repens&eacute;es dans le cadre de ce riche entretien conclusif, qui vient synth&eacute;tiser une bonne part des pr&eacute;occupations de ce dossier.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt">&nbsp;</p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt">&nbsp;</p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:-.1pt">&Agrave; l&rsquo;origine, ce dossier comprenait douze articles, difficiles &agrave; faire tenir dans les limites habituelles de la revue. Pour des imp&eacute;ratifs de format, deux contributions ont &eacute;t&eacute; publi&eacute;es dans la rubrique </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:-.1pt">Varia<i> des num&eacute;ros suivants. Nous les avons rajout&eacute;es &agrave; cette version num&eacute;rique.</i></span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Giorgio&nbsp;Agamben, <i>&Eacute;tat d&rsquo;exception</i>, Paris, Seuil, 2002, p.&nbsp;13.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Giorgio&nbsp;Agamben, <i>Moyens sans fins. Notes sur la politique, </i>Paris, Payot &amp; Rivages, 2002, p.&nbsp;47.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Michel Foucault a d&eacute;velopp&eacute; l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un &laquo;&nbsp;biopouvoir&nbsp;&raquo; en particulier dans le premier tome de l&rsquo;<i>Histoire de la sexualit&eacute;</i> (<i>La volont&eacute; de savoir</i>, Paris, Gallimard, 1976) et dans <i>Il faut d&eacute;fendre la soci&eacute;t&eacute;</i>. <i>Cours au Coll&egrave;ge de France (1976),</i> Paris, Gallimard-Seuil, 1997.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn4"></a><a href="#_ftnref4"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Alain Brossat, <i>Tous Coupat tous coupables</i>, Paris, Nouvelles &Eacute;ditions Lignes, 2009, p.&nbsp;19.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn5"></a><a href="#_ftnref5"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[5]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Jean-Claude Paye, <i>La fin de l&rsquo;&Eacute;tat de droit. La lutte antiterroriste, de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception &agrave; la dictature</i>, Paris, La Dispute, 2004.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn6"></a><a href="#_ftnref6"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[6]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Michael Hardt, Antonio Negri, <i>Multitude. Guerre et d&eacute;mocratie &agrave; l&rsquo;&acirc;ge de l&rsquo;Empire</i>, Paris, La D&eacute;couverte, 2004, p.&nbsp;20. Les auteurs soulignent.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn7"></a><a href="#_ftnref7"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[7]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Carl&nbsp;Schmitt, <i>Th&eacute;ologie politique. Quatre chapitres sur la th&eacute;orie de la souverainet&eacute;</i>, dans <i>Th&eacute;ologie politique</i>, Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Nrf&nbsp;&raquo;, 1988, p.&nbsp;15.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn8"></a><a href="#_ftnref8"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[8]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>Ibid.</i>, p.&nbsp;22.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn9"></a><a href="#_ftnref9"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[9]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Schmitt &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Cette t&acirc;che n&eacute;cessaire de pacification intra-&eacute;tatique peut &eacute;galement amener l&rsquo;&Eacute;tat, lorsque la situation est critique, et tant qu&rsquo;il subsiste comme unit&eacute; politique, &agrave; d&eacute;finir de son propre chef l&rsquo;ennemi du dedans, l&rsquo;ennemi public&nbsp;&raquo; (<i>La Notion de politique</i>, Paris, Flammarion, 2009).</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn10"></a><a href="#_ftnref10"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[10]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Walter&nbsp;Benjamin, &laquo;&nbsp;Critique de la violence&nbsp;&raquo;, dans <i>&OElig;uvres <span style="text-transform:uppercase">i</span></i>, Paris, Gallimard, 2000, p.&nbsp;217.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn11"></a><a href="#_ftnref11"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[11]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="letter-spacing:-.05pt">&laquo;&nbsp;Sur le concept d&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;, dans<i> &OElig;uvres<span style="text-transform:uppercase"> iii</span></i>, Paris, Gallimard, 2000, p.&nbsp;433. Ce texte a &eacute;t&eacute; publi&eacute; pour la premi&egrave;re fois en 1942, apr&egrave;s la disparition de Benjamin, par l&rsquo;Institut de recherches sociales de Los Angeles.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn12"></a><a href="#_ftnref12"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[12]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>Ibid.</i>, p.&nbsp;433.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn13"></a><a href="#_ftnref13"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[13]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>Ibid</i>.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn14"></a><a href="#_ftnref14"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[14]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Michel Foucault, &laquo;&nbsp;Va-t-on extrader Klaus Croissant&nbsp;?&nbsp;&raquo;, dans <i>Dits et &eacute;crits (1976-1988),</i> Paris, Gallimard, 2001, p.&nbsp;362.</span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p>