<p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Parmi les faits tragiques du pass&eacute;, il en est que certains pouvoirs dominants voudraient laisser dans l&rsquo;oubli tant ils noircissent l&rsquo;image et le pr&eacute;sent des soci&eacute;t&eacute;s qu&rsquo;ils administrent. C&rsquo;est pourtant leur reconnaissance, et d&rsquo;abord leur connaissance, qui seules permettent de d&eacute;passer cette noirceur et d&rsquo;accorder, dans la mesure du possible, une forme de r&eacute;paration et de justice &agrave; leurs victimes.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Un petit livre de Claude Torracinta r&eacute;cemment publi&eacute; rend compte avec une grande clart&eacute; d&rsquo;une affaire qui, sur le plan symbolique, repr&eacute;sente sans doute pour le Canton de Gen&egrave;ve ce que vaut pour la Suisse la demande adress&eacute;e aux autorit&eacute;s nazies au lendemain de l&rsquo;Anschluss d&rsquo;apposer un signe distinctif dans les passeports des ressortissants juifs allemands et autrichiens&nbsp;: le sinistre tampon &laquo;&nbsp;J&nbsp;&raquo; pour l&rsquo;existence duquel un pr&eacute;sident de la Conf&eacute;d&eacute;ration a pr&eacute;sent&eacute; des excuses le 7 mai 1995, sans pr&eacute;ciser pour autant qui en avait pris effectivement l&rsquo;initiative.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Rosette Wolczak a 15 ans et demi lorsqu&rsquo;elle passe clandestinement la fronti&egrave;re franco-genevoise le 24 septembre 1943. Elle obtient une autorisation de s&eacute;jour conforme aux directives f&eacute;d&eacute;rales de l&rsquo;&eacute;poque. Mais elle est refoul&eacute;e le 16 octobre pour des raisons disciplinaires. Trois jours plus tard, elle est arr&ecirc;t&eacute;e et conduite &agrave; l&rsquo;h&ocirc;tel Pax d&rsquo;Annemasse. Elle est conduite &agrave; Drancy le 23 octobre. Elle est d&eacute;port&eacute;e le 20 novembre par le convoi 62 qui la m&egrave;ne &agrave; Auschwitz-Birkenau o&ugrave; elle arrive le 23 novembre 1943 pour &ecirc;tre assassin&eacute;e.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Comment ce drame a-t-il &eacute;t&eacute; possible&nbsp;? Pourquoi Rosette a-t-elle &eacute;t&eacute; refoul&eacute;e, &laquo;&nbsp;pour l&rsquo;exemple&nbsp;&raquo;&nbsp;? Pour l&rsquo;expliquer, il faut prendre en compte un contexte dans lequel s&eacute;vissaient des acteurs qui, du c&ocirc;t&eacute; suisse, se sont rendus coupables d&rsquo;arbitraire, de refoulements illicites et de mauvais traitements envers des r&eacute;fugi&eacute;s. Rosette a ainsi &eacute;t&eacute; victime de l&rsquo;intransigeance, et de l&rsquo;antis&eacute;mitisme patent, de l&rsquo;officier de police Daniel Odier. Mais Claude Torracinta n&rsquo;a pas tort d&rsquo;insister aussi sur la responsabilit&eacute; plus g&eacute;n&eacute;rale d&rsquo;un autre officier de police qui &eacute;tait en m&ecirc;me temps secr&eacute;taire g&eacute;n&eacute;ral du D&eacute;partement de justice et police, Arthur Guillermet. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Quelles ont &eacute;t&eacute; par ailleurs ces &laquo;&nbsp;raisons disciplinaires&nbsp;&raquo; qui ont men&eacute; la jeune Rosette &agrave; l&rsquo;expulsion, &agrave; la d&eacute;portation et &agrave; la mort&nbsp;? Les archives indiquent qu&rsquo;elle a reconnu avoir eu des relations sexuelles avec un r&eacute;fugi&eacute; et qu&rsquo;elle est &laquo;&nbsp;accus&eacute;e de conduite ind&eacute;cente avec des soldats charg&eacute;s de la garde du camp lors d&rsquo;une soir&eacute;e organis&eacute;e par des r&eacute;fugi&eacute;s le 29 septembre &agrave; l&rsquo;occasion de Rosh Hashana, le Nouvel an juif&nbsp;&raquo; (p. 59). Le 13 octobre, les autorit&eacute;s d&eacute;cident de</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black"> &laquo;&nbsp;</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">faire un exemple</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black">&nbsp;&raquo;&nbsp;: </span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">non pas avec les soldats, mais avec cette jeune fille juive qui avait pourtant droit &agrave; la protection face &agrave; la menace nazie. Ainsi</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black">,</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Daniel Odier</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black"> &laquo;&nbsp;</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">insiste sp&eacute;cialement pour que ce refoulement ait lieu le plus rapidement possible. Il faut absolument arriver &agrave; des sanctions contre des r&eacute;fugi&eacute;s qui ne m&eacute;ritent pas l&rsquo;accueil que nous leur r&eacute;servons en Suisse</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black">&nbsp;&raquo; (</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">p 61). Quels qu&rsquo;aient pu &ecirc;tre par ailleurs les esprits de l&rsquo;&eacute;poque en mati&egrave;re de m&oelig;urs, la disproportion et la gravit&eacute; de cette d&eacute;cision sont absolument consternantes.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">L&rsquo;auteur de <i>Rosette, pour l&rsquo;exemple</i> a men&eacute; une enqu&ecirc;te rigoureuse dont on comprend bien qu&rsquo;il nous dise qu&rsquo;elle n&rsquo;en est pas moins douloureuse. Il a parfaitement raison de ne pas entrer dans les controverses sur le nombre exact de refoul&eacute;s juifs par la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale en citant l&rsquo;historien Marc Perrenoud (p. 15) qui souligne fort &agrave; propos qu&rsquo;&agrave; &laquo;&nbsp;supposer que le nombre de Juifs refoul&eacute;s n&rsquo;atteint que quelques milliers de personnes, ce serait une confirmation de l&rsquo;analyse de la CIE1<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a> qui a affirm&eacute; que ces victimes auraient pu &ecirc;tre accept&eacute;es sans risque alimentaire, politique ou militaire pour la Suisse&nbsp;&raquo; (dans <i>Le Temps</i>, 26 avril 2013). Il inscrit son r&eacute;cit du tragique destin de cette jeune fille aussi bien dans son contexte g&eacute;n&eacute;ral qu&rsquo;en lien avec le sort d&rsquo;autres r&eacute;fugi&eacute;s ou victimes. Parmi la soixantaine d&rsquo;enfants de moins de 16 ans refoul&eacute;s &agrave; cette &eacute;poque, le cas d&rsquo;Eric Rosenzweig, qui l&rsquo;a &eacute;t&eacute; pour un vol de porte-monnaie farouchement ni&eacute;, est lui aussi choquant. Il a heureusement surv&eacute;cu. L&rsquo;auteur mentionne &eacute;galement le destin de l&rsquo;un des r&eacute;fugi&eacute;s &laquo;&nbsp;compromis dans l&rsquo;affaire Wolczak et consorts&nbsp;&raquo;&nbsp;(p.&nbsp;62)&nbsp;: Lucien Mar&eacute;chal sera en effet tu&eacute; par des Allemands dans le massacre d&rsquo;Hab&egrave;re-Lullin de la nuit du 25 au 26 d&eacute;cembre 1943. Il n&rsquo;&eacute;tait toutefois pas indispensable, dans ce beau livre d&rsquo;histoire et de m&eacute;moire, d&rsquo;&eacute;voquer bri&egrave;vement et sans explication &laquo;&nbsp;deux crimes de guerre dans le m&ecirc;me village&nbsp;&raquo; (p. 63) en relation avec une fusillade de prisonniers allemands d&eacute;but septembre 1944. En effet, c&rsquo;est bien le m&ecirc;me village, ce sont bien deux trag&eacute;dies, probl&eacute;matiques l&rsquo;une comme l&rsquo;autre, mais c&rsquo;est brouiller l&rsquo;intelligibilit&eacute; de ce pass&eacute; que de les qualifier avec une m&ecirc;me formule en &eacute;crasant ce qui les distingue. </span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Claude Torracinta avait d&eacute;j&agrave; &eacute;voqu&eacute; le sort funeste de Rosette Wolczak dans le film documentaire <i>M&eacute;moires de la fronti&egrave;re</i> qu&rsquo;il avait r&eacute;alis&eacute; en 2002 avec Bernard Romy (voir l&rsquo;extrait o&ugrave; il est question de ce refoulement sur https://www.youtube.com/watch?v=B3OwBRVGAhs<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a>). Le dramaturge Michel Beretti lui a aussi consacr&eacute; une pi&egrave;ce, <i>4928</i>, en 2012 (http://michelberetti.net/2/107/4928&amp;o=4918). Plus r&eacute;cemment, le 27 janvier 2016, Claire Lucchetta-Rentchnik, ancienne pr&eacute;sidente de la Licra qui conna&icirc;t bien le fr&egrave;re de la victime, avait bien s&ucirc;r en t&ecirc;te le sort de Rosette lors du d&eacute;voilement d&rsquo;une plaque comm&eacute;morative &agrave; l&rsquo;&eacute;cole des Cropettes, pr&egrave;s de la gare de Gen&egrave;ve. Son texte pr&eacute;cise que cette &eacute;cole avait servi durant la Seconde Guerre mondiale</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black"> &laquo;&nbsp;</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">de camp de triage de l&rsquo;arm&eacute;e pour les r&eacute;fugi&eacute;s pass&eacute;s clandestinement en Suisse. Parmi les centaines de juifs qui y transit&egrave;rent</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black">, </span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">certains, hommes, femmes et enfants, furent refoul&eacute;s</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.1pt">&agrave;</span> <span style="letter-spacing:-.1pt">la fronti&egrave;re. Une partie d&rsquo;entre eux furent ensuite arr&ecirc;t&eacute;s, d&eacute;port&eacute;s puis assassin&eacute;s dans les camps de la mort</span></span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&nbsp;&raquo;.</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Et Rosette parmi eux.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Apr&egrave;s cette belle contribution de Claude Torracinta au travail d&rsquo;histoire et de m&eacute;moire, et pour rendre encore mieux justice &agrave; Rosette Wolczak, une plaque comm&eacute;morative plus explicite n&rsquo;aurait-elle pas sa place &agrave; l&rsquo;&eacute;cole des Plantaporr&ecirc;ts, o&ugrave; se trouvait le camp o&ugrave; elle a &eacute;t&eacute; plac&eacute;e&nbsp;? Comment faire en sorte que son nom s&rsquo;inscrive dans la m&eacute;moire collective d&rsquo;un pr&eacute;sent qui ne nous &eacute;pargne pas d&rsquo;autres drames et d&rsquo;autres responsabilit&eacute;s&nbsp;? Dans sa pr&eacute;face, l&rsquo;ancienne pr&eacute;sidente de la Conf&eacute;d&eacute;ration Ruth Dreifuss s&rsquo;inqui&egrave;te &agrave; juste titre du fait que &laquo;&nbsp;le souvenir du pass&eacute; s&rsquo;estompe lorsqu&rsquo;il n&rsquo;est pas refoul&eacute;&nbsp;&raquo; (p. 10). Loin de quelque trop-plein de m&eacute;moire que ce soit, les drames contemporains de l&rsquo;asile lui ont inspir&eacute; un beau titre&nbsp;: &laquo;&nbsp;Rosette, contre l&rsquo;oubli&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;antis&eacute;mitisme d&eacute;clar&eacute; ou oblique qui impr&egrave;gne une importante partie de sa population et surtout sa classe dirigeante, qui n&rsquo;h&eacute;site pas &agrave; exhiber des certificats d&rsquo;aryanit&eacute; pour d&eacute;fendre ses int&eacute;r&ecirc;ts &eacute;conomiques dans les territoires contr&ocirc;l&eacute;s par l&rsquo;Allemagne, l&rsquo;emp&ecirc;che d&rsquo;&ecirc;tre &agrave; la hauteur de la mission humanitaire tr&egrave;s haute qu&rsquo;elle aime &agrave; se donner&nbsp;&raquo;, r&eacute;sumait l&rsquo;historien Daniel Bourgeois &agrave; propos de la Suisse dans un article du journal <i>L&rsquo;Hebdo</i> (19 janvier 2011, http://www.hebdo.ch/ce_que_savaient_vraiment_les_suisses_82351_.html). C&rsquo;est bien dans ce contexte qu&rsquo;il faut replacer le destin tragique et embl&eacute;matique de Rosette Wolczak et des autres victimes de refoulement par les autorit&eacute;s suisses de l&rsquo;&eacute;poque de la Seconde Guerre mondiale.&nbsp; </span></span></span></span></p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> La Commission ind&eacute;pendante d&rsquo;experts Suisse-Seconde Guerre mondiale pr&eacute;sid&eacute;e par l&rsquo;historien Jean-Fran&ccedil;ois Bergier, pour laquelle Marc Perrenoud &eacute;tait conseiller scientifique et dont les travaux ont &eacute;t&eacute; publi&eacute;s en 2002</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Toutes les r&eacute;f&eacute;rences sur Internet ont &eacute;t&eacute; consult&eacute;es le 4 juillet 2016.</span></span></span></span></p>