<p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Le premier dossier de ce num&eacute;ro&nbsp;1 d&rsquo;<i>En Jeu. Histoire &amp; m&eacute;moires vivantes</i> est consacr&eacute; aux mus&eacute;es traitant de la R&eacute;sistance et de la D&eacute;portation. Ce choix n&rsquo;est &eacute;videmment pas neutre et rev&ecirc;t &agrave; la fois un caract&egrave;re de n&eacute;cessit&eacute; et d&rsquo;urgence. N&eacute;cessit&eacute; tout d&rsquo;abord, en ce sens que ces mus&eacute;es ne sont pas des &laquo;&nbsp;mus&eacute;es d&rsquo;histoire&nbsp;&raquo; comme les autres&nbsp;; ils assurent en effet la mission cruciale, selon nous, de transmettre une exp&eacute;rience &eacute;troitement reli&eacute;e &agrave; l&rsquo;histoire europ&eacute;enne mais de port&eacute;e mondiale, celle de la lutte antifasciste et du combat men&eacute; contre le nazisme et le fascisme, et contre les collaborateurs. Urgence ensuite, en ce que nombre de ces structures mus&eacute;ales, fond&eacute;es par d&rsquo;anciens r&eacute;sistants et/ou d&eacute;port&eacute;s, se trouvent aujourd&rsquo;hui &agrave; un moment particuli&egrave;rement d&eacute;licat de leur histoire dans un contexte o&ugrave; les repr&eacute;sentants de la g&eacute;n&eacute;ration des acteurs de la R&eacute;sistance et des fondateurs de ces mus&eacute;es sont de moins en moins nombreux&nbsp;; soixante-dix ans apr&egrave;s la Lib&eacute;ration, cette situation soul&egrave;ve la question d&eacute;licate de la p&eacute;rennit&eacute; et du devenir de ces &eacute;tablissements. Certains n&rsquo;ouvrent d&eacute;j&agrave; plus que sur rendez-vous et quelques jours seulement durant la p&eacute;riode estivale et touristique&nbsp;et la liste des mus&eacute;es menac&eacute;s de fermeture pour raison budg&eacute;taire s&rsquo;allonge. Sur ces probl&egrave;mes mat&eacute;riels amplifi&eacute;s encore par &laquo;&nbsp;la crise &eacute;conomique&nbsp;&raquo; que traversent nos soci&eacute;t&eacute;s, se greffent les effets pr&eacute;occupants du relativisme, cette mani&egrave;re de tendre &agrave; placer sur un m&ecirc;me plan les martyrs et leurs bourreaux, tous victimes d&rsquo;une m&ecirc;me guerre, qui gagne insidieusement, sous diff&eacute;rentes formes, des parts de plus en plus importantes du march&eacute; m&eacute;moriel et id&eacute;ologique. Autant dire que ce premier dossier consacr&eacute; aux mus&eacute;es de la R&eacute;sistance et de la D&eacute;portation s&rsquo;inscrit particuli&egrave;rement dans un contexte de crise existentielle, de sens et de brouillage de rep&egrave;res. Afin d&rsquo;&eacute;clairer quelque peu la situation et de dresser un premier &eacute;tat des lieux en France et en Italie, ce dossier a fait appel &agrave; des chercheurs familiers de l&rsquo;&eacute;tude des narrations mus&eacute;ales au croisement de plusieurs disciplines&nbsp;: histoire et didactique de l&rsquo;histoire, sociologie et science politique. Toutefois, les cinq articles qui composent ce dossier ne rel&egrave;vent ni de la mus&eacute;ographie, ni de la mus&eacute;ologie mais de la <i>mus&eacute;ohistoire</i>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">En effet, la <i>mus&eacute;ohistoire</i> a pour finalit&eacute; l&rsquo;&eacute;tude des narrations des pass&eacute;s historiques pr&eacute;sent&eacute;es au public dans les espaces mus&eacute;aux, indiff&eacute;remment du nom port&eacute; par ces derniers&nbsp;: mus&eacute;e, m&eacute;morial, historial, centre d&rsquo;interpr&eacute;tation, centre d&rsquo;histoire, etc.<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a> Elle prend en compte tous les &eacute;l&eacute;ments participant &agrave; la mise en sc&egrave;ne et en r&eacute;cit du pass&eacute;&nbsp;: textes (titres, cartels, l&eacute;gendes, chronologies, etc.) bien s&ucirc;r, mais aussi tous les objets (armes, outils, etc.) et documents mobilis&eacute;s (photographies, affiches, tracts, documents audiovisuels, documents authentiques et/ou reproductions, t&eacute;moignages, &oelig;uvres d&rsquo;art, etc.)&nbsp;; <span style="letter-spacing:-.1pt">sont &eacute;galement pris en compte les dispositifs architecturaux et sc&eacute;nographiques con&ccedil;us pour donner du sens &agrave; l&rsquo;ensemble de l&rsquo;exposition&nbsp;: pentes, &eacute;tages, couloirs, jeux d&rsquo;&eacute;clairage et de sons, couleurs, jeux d&rsquo;&eacute;chelle, bornes interactives, hologrammes, insertion d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments fictionnels, etc. La mus&eacute;ohistoire confronte ces narrations au savoir historien&nbsp;et t&acirc;che de rep&eacute;rer les cha&icirc;nes de causalit&eacute; retenues par l&rsquo;exposition, les points de vue&nbsp;; elle rel&egrave;ve les erreurs factuelles, les oublis plus ou moins volontaires (amn&eacute;sies) de m&ecirc;me que les obsessions m&eacute;morielles (hypermn&eacute;sies)&nbsp;; elle distingue panth&eacute;ons (les h&eacute;ros) et piloris (les bourreaux, tra&icirc;tres). Ce faisant, elle mesure les airs du temps (les paradigmes dominants)&nbsp;: entre concurrence des m&eacute;moires h&eacute;ro&iuml;ques (r&eacute;sistants) et victimaires (civils ordinaires, pers&eacute;cut&eacute;s raciaux), &laquo;&nbsp;victimisation&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;d&eacute;politisation&nbsp;&raquo; du propos, &laquo;&nbsp;</span>d&eacute;conflictualisation&nbsp;&raquo; du r&eacute;cit et discours id&eacute;ologiques plus ou moins implicites, etc. Enfin, la mus&eacute;ohistoire s&rsquo;int&eacute;resse particuli&egrave;rement au sens du propos, aux messages et aux valeurs qui sous-tendent les expositions&nbsp;; elle questionne leur port&eacute;e&nbsp;en r<span style="letter-spacing:.1pt">epla&ccedil;ant syst&eacute;matiquement les diff&eacute;rents &eacute;l&eacute;ments observ&eacute;s dans leurs contextes politiques, sociaux, culturels, &eacute;conomiques de production. &Agrave; ce titre, le r&ocirc;le des fondateurs et des initiateurs de projet mus&eacute;al (les entrepreneurs de m&eacute;moire, les communaut&eacute;s m&eacute;morielles), celui des diff&eacute;rentes tutelles, des financeurs, des administrateurs et des gestionnaires entre dans le questionnement.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Selon trois focales diff&eacute;rentes, les trois premiers articles sont consacr&eacute;s au paysage m&eacute;moriel mus&eacute;al fran&ccedil;ais&nbsp;: le N&deg;&nbsp;1 (F. Rousseau) traite d&rsquo;un corpus compos&eacute; d&rsquo;une quinzaine d&rsquo;&eacute;tablissements cr&eacute;&eacute;s/refond&eacute;s entre&nbsp;1964 et&nbsp;2012, r&eacute;partis sur l&rsquo;ensemble du territoire national, et dont la marque premi&egrave;re est l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute;, en termes de taille, de moyen, de contexte. Cette &eacute;tude compar&eacute;e questionne notamment les notions de &laquo;&nbsp;r&eacute;sistance&nbsp;&raquo; et de &laquo;&nbsp;r&eacute;sistant&nbsp;&raquo;, t&acirc;che d&rsquo;en pr&eacute;ciser les contours d&rsquo;un site &agrave; l&rsquo;autre. Ce parcours met &eacute;galement au jour les tentations pr&eacute;sentes consistant &agrave; minorer la R&eacute;sistance et &agrave; d&eacute;mon&eacute;tiser, voire criminaliser certains actes de r&eacute;sistance par rapport &agrave; d&rsquo;autres. L&rsquo;article N&deg;&nbsp;2 (C. Heimberg) est quant &agrave; lui centr&eacute; sur l&rsquo;histoire du Mus&eacute;e de Morette &eacute;lev&eacute; &agrave; la m&eacute;moire des combattants des Gli&egrave;res, ce haut lieu de la R&eacute;sistance qui a effectu&eacute; lors du dernier quinquennat une rentr&eacute;e fracassante sur la sc&egrave;ne publique. Dans ses lignes de force et ses faiblesses, la narration mus&eacute;ale aujourd&rsquo;hui offerte aux publics est ici mise en perspective&nbsp;; le r&ocirc;le des entrepreneurs de m&eacute;moires successifs est &eacute;clair&eacute;&nbsp;; et les enjeux proprement m&eacute;moriels et civiques li&eacute;s &agrave; la transmission de cette histoire sont questionn&eacute;s par-del&agrave; les <span style="letter-spacing:-.1pt">controverses historiographiques o&ugrave; l&rsquo;on</span> croise &agrave; nouveaux tentatives r&eacute;visionnistes et tentations relativistes. L&rsquo;article N&deg;&nbsp;3 (B. Pascal), &eacute;largit la focale au &laquo;&nbsp;terroir m&eacute;moriel&nbsp;&raquo; normand, si&egrave;ge du d&eacute;barquement alli&eacute; du 6&nbsp;juin 1944. L&rsquo;&eacute;tude men&eacute;e fait percevoir &agrave; quel point l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement &laquo;&nbsp;d&eacute;barquement alli&eacute;&nbsp;&raquo; domine radicalement le champ m&eacute;moriel de Basse-Normandie au point de rendre quasiment invisible dans cette r&eacute;gion toute m&eacute;moire de la R&eacute;sistance locale except&eacute; dans son seul lien avec le D&eacute;barquement. Ce ph&eacute;nom&egrave;ne d&rsquo;&eacute;clipse de la m&eacute;moire r&eacute;sistante constitue une exception troublante dans le paysage m&eacute;moriel mus&eacute;al de la R&eacute;sistance. Avec l&rsquo;article N&deg;&nbsp;4 que l&rsquo;on doit &agrave; C.&nbsp;Silingardi, le directeur g&eacute;n&eacute;ral de l&rsquo;Institut national pour l&rsquo;histoire du mouvement de lib&eacute;ration en Italie, la situation des mus&eacute;es italiens consacr&eacute;s &agrave; la R&eacute;sistance et &agrave; la D&eacute;portation semble &agrave; bien des aspects comparable &agrave; celle connue en France&nbsp;: aux difficult&eacute;s li&eacute;es &agrave; la disparition des derniers acteurs et t&eacute;moins de l&rsquo;&eacute;poque s&rsquo;ajoutent l&agrave; aussi les contraintes financi&egrave;res&nbsp;; mais en Italie, plus qu&rsquo;en France, la m&eacute;moire r&eacute;sistante ou partisane subit aujourd&rsquo;hui les assauts et la concurrence acharn&eacute;e men&eacute;s contre elle par les porteurs d&eacute;complex&eacute;s de la m&eacute;moire fasciste. Enfin, retour en France mais sur la toile, avec l&rsquo;article N&deg;&nbsp;5 (O. Glassey et S.&nbsp;Prezioso), qui compl&egrave;te ce premier dossier en abordant les faces virtuelles de 46&nbsp;mus&eacute;es fran&ccedil;ais consacr&eacute;s &agrave; la R&eacute;sistance et &agrave; la D&eacute;portation. Cette contribution questionne les investissements de l&rsquo;internet par les mus&eacute;es et tente d&rsquo;&eacute;valuer les effets de pratique et de sens induits par l&rsquo;ouverture de ces nouveaux espaces. Entrent-ils en concurrence avec les mus&eacute;es r&eacute;els&nbsp;? Se substituent-ils &agrave; ceux-ci&nbsp;? Ou tentent-ils d&rsquo;attirer le chaland vers le mus&eacute;e r&eacute;el&nbsp;? Telles sont quelques-unes des questions abord&eacute;es dans cet article.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Au total, ce dossier n&rsquo;a pas la pr&eacute;tention de couvrir l&rsquo;ensemble du panorama fran&ccedil;ais ou italien et n&rsquo;est pas clos. En effet, bien d&rsquo;autres structures exigeraient des &eacute;tudes sp&eacute;cifiques, et beaucoup d&rsquo;autres probl&eacute;matiques pourraient &ecirc;tre abord&eacute;es et/ou approfondies. Par ailleurs, d&rsquo;autres espaces, notamment en Europe orientale et balkanique, appellent d&rsquo;autres &eacute;tudes. Cela fera l&rsquo;objet d&rsquo;un second dossier&hellip; &Agrave; suivre.</span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">La <i>mus&eacute;ohistoire</i> a &eacute;t&eacute; d&eacute;finie lors d&rsquo;un programme de recherches soutenu par l&rsquo;Agence nationale de la recherche (ANR) et conduit &agrave; l&rsquo;universit&eacute; Paul Val&eacute;ry de Montpellier entre 2009 et 2012 (programme Les Pr&eacute;sents des Pass&eacute;s). Patrick Louvier, Julien Mary, Fr&eacute;d&eacute;ric Rousseau (dir.), <i>Pratiquer la mus&eacute;ohistoire. La guerre et l&rsquo;histoire au mus&eacute;e. Pour une visite critique,</i> Outremont (Canada),&nbsp; Ath&eacute;na &Eacute;ditions, 2012 ; Fr&eacute;d&eacute;ric Rousseau (dir.), <i>Les pr&eacute;sents des pass&eacute;s douloureux. Essais de mus&eacute;ohistoire,</i> Paris, Michel Houdiard &Eacute;diteur, 2012.</span></span></span></span></span></p>