<p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">V<i>otre livre est avant tout celui d&rsquo;un philosophe positionn&eacute; &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur du champ historiographique. Jusqu&rsquo;ici, les interventions des philosophes dans le domaine historiographique visaient essentiellement des questions de m&eacute;thodologie et d&rsquo;&eacute;pist&eacute;mologie, le cas le plus significatif &eacute;tant celui de Paul Ric&oelig;ur, bien s&ucirc;r. Avec vous, un pas suppl&eacute;mentaire a &eacute;t&eacute; franchi. Vous intervenez de plain-pied &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur m&ecirc;me de l&rsquo;enqu&ecirc;te historique proprement dite, au c&oelig;ur m&ecirc;me du travail de l&rsquo;historien, puisque vous rectifiez, documents &agrave; l&rsquo;appui, un paradigme historiographique socialement et solidement install&eacute; jusqu&rsquo;ici. Autrement dit, bien que philosophe, vous faites &oelig;uvre d&rsquo;historien. Est-ce &agrave; dire, comme certains l&rsquo;ont affirm&eacute;, que la question du g&eacute;nocide est trop importante pour la laisser aux seules mains des historiens ou, pour le dire poliment, est-ce bien l&agrave;, s&rsquo;agissant de la criminalit&eacute; sp&eacute;cifiquement nazie, d&rsquo;un objet historique qui appelle immanquablement une approche pluridisciplinaire&nbsp;?</i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Fran&ccedil;ois Azouvi</span></span></span></b><a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">[1]</span></span></span></sup></a><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Je ne crois pas du tout que ce soit un objet trop important pour &ecirc;tre laiss&eacute; aux seuls historiens, certainement pas. Ce que je constate en revanche, c&rsquo;est qu&rsquo;ils ne s&rsquo;y sont pas attaqu&eacute;s dans la longue dur&eacute;e, d&rsquo;une part, et, d&rsquo;autre part, qu&rsquo;ils sont rest&eacute;s la plupart du temps dans une approche r&eacute;solument disciplinaire. Les sp&eacute;cialistes du cin&eacute;ma ont &eacute;crit sur le cin&eacute;ma et la Shoah, les sp&eacute;cialistes de litt&eacute;rature ont regard&eacute; du c&ocirc;t&eacute; des romans et de la Shoah, etc. Or, de toute &eacute;vidence, on ne peut pas sur un sujet pareil se cantonner &agrave; une seule dimension. Je pense qu&rsquo;on commet l&agrave; une erreur tr&egrave;s pr&eacute;judiciable. Dans la mesure o&ugrave; il s&rsquo;agit de montrer comment, par quelles voies, le g&eacute;nocide des juifs a compl&egrave;tement envahi les soci&eacute;t&eacute;s occidentales, on est bien forc&eacute; de prendre en compte tous les domaines dans lesquels cet &eacute;v&eacute;nement a &eacute;t&eacute; re&ccedil;u </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">et pens&eacute;. Quand on se limite &agrave; l&rsquo;histoire des comm&eacute;morations, &agrave; l&rsquo;histoire politique, &agrave; l&rsquo;histoire du cin&eacute;ma ou &agrave; l&rsquo;histoire d&rsquo;un roman, on manque compl&egrave;tement l&rsquo;objet. L&rsquo;objet, c&rsquo;est un fait social total, comme disait Marcel Mauss. Il faut lui donner ses multiples dimensions.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Si ce travail n&rsquo;avait pas &eacute;t&eacute; fait pour la France, est-ce qu&rsquo;il a &eacute;t&eacute; entam&eacute; ailleurs&nbsp;? Plus g&eacute;n&eacute;ralement, est-ce qu&rsquo;il y a eu un contexte, des &eacute;l&eacute;ments, des recherches, des circonstances qui ont nourri votre r&eacute;flexion et qui ont rendu possible votre travail&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> Oui, c&rsquo;est apr&egrave;s avoir lu le livre de Peter Novick, <i>L&rsquo;Holocauste dans la vie am&eacute;ricaine,</i> que j&rsquo;ai eu l&rsquo;id&eacute;e du mien. Je l&rsquo;ai trouv&eacute; passionnant et il m&rsquo;a fait appara&icirc;tre la n&eacute;cessit&eacute; du sujet s&rsquo;agissant de la France. J&rsquo;ai regard&eacute; ce qui existait et j&rsquo;ai d&eacute;couvert, &agrave; ma </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">stup&eacute;faction, que le travail n&rsquo;avait pas &eacute;t&eacute; fait alors qu&rsquo;il avait &eacute;t&eacute; effectu&eacute; pour les &Eacute;tats-Unis, pour Isra&euml;l, pour l&rsquo;Allemagne. Il restait la France. Or, le cas fran&ccedil;ais est, &agrave; l&rsquo;&eacute;vidence, et pour des raisons diverses, de premi&egrave;re importance. Par ailleurs, je suis comme tout le monde, c&rsquo;est-&agrave;-dire que l&rsquo;air du temps nous invite &agrave; des r&eacute;flexions sur la m&eacute;moire<span style="letter-spacing:.1pt">.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Pouvez-vous nous pr&eacute;ciser cet &laquo;&nbsp;air du temps&nbsp;&raquo;&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.3pt">Fr. A.&nbsp;: </span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.3pt">J&rsquo;ai &eacute;t&eacute; tr&egrave;s instruit par le livre de Ric&oelig;ur, <i>La M&eacute;moire, l&rsquo;histoire, l&rsquo;oubli, </i>qui m&rsquo;avait int&eacute;ress&eacute; tant par son contenu que par la pol&eacute;mique qu&rsquo;il avait d&eacute;clench&eacute;e. Ce fut une pol&eacute;mique &eacute;trange, parce que s&rsquo;il y avait quelqu&rsquo;un dans le paysage fran&ccedil;ais qui &eacute;tait compl&egrave;tement insoup&ccedil;onnable, me semble-t-il, c&rsquo;&eacute;tait vraiment lui. La r&eacute;action violente qu&rsquo;il a suscit&eacute;e, y compris dans son entourage proche, m&rsquo;a fait r&eacute;fl&eacute;chir. Il y a eu aussi les pol&eacute;miques autour des livres de Todorov, de Littell&hellip; Tout cela &agrave; un moment s&rsquo;agr&egrave;ge et puis, en fin de compte, on se dit&nbsp;: c&rsquo;est ce livre qu&rsquo;il faut &eacute;crire. Mais je dois vous dire que, pendant toute la p&eacute;riode de gestation, j&rsquo;ai &eacute;t&eacute; persuad&eacute; que quelqu&rsquo;un d&rsquo;autre allait le publier avant moi. Parce qu&rsquo;il me paraissait tellement &eacute;vident que le sujet s&rsquo;imposait et que le vide &eacute;tait manifeste.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">Les sources et les documents que vous mobilisez pour contester &laquo;&nbsp;le Mythe du grand silence&nbsp;&raquo; en France &eacute;taient d&eacute;j&agrave; l&agrave;, depuis des ann&eacute;es, avant 2000. Pensez-vous qu&rsquo;il y a eu &agrave; la fin des ann&eacute;es 1990, au d&eacute;but des ann&eacute;es 2000, une conjoncture qui a en quelque sorte lib&eacute;r&eacute; l&rsquo;espace d&rsquo;interpr&eacute;tation de la r&eacute;ception du g&eacute;nocide, rendant ainsi possible un ouvrage comme le v&ocirc;tre&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Je ne pense pas. J&rsquo;ai plut&ocirc;t l&rsquo;impression inverse, en r&eacute;alit&eacute;. Je r&eacute;ponds &agrave; votre question &agrave; la lumi&egrave;re de la fa&ccedil;on dont mon livre a &eacute;t&eacute; re&ccedil;u. Il a &eacute;t&eacute; re&ccedil;u par un grand silence, et par deux prix&nbsp;! Il y a eu quelques articles, y compris de bons articles, mais, globalement, la presse s&rsquo;est tue, et en particulier la presse de gauche. <i>Lib&eacute;ration</i> n&rsquo;a pas dit un mot, <i>Le Monde</i> a fait une br&egrave;ve trois mois apr&egrave;s, <i>T&eacute;l&eacute;rama </i>pas un mot non plus, <i>L&rsquo;Observateur</i> a consenti &agrave; r&eacute;agir apr&egrave;s que le Centre national du livre m&rsquo;eut r&eacute;compens&eacute;&hellip; Je m&rsquo;attendais &agrave; un vrai d&eacute;bat, parce que je savais bien que j&rsquo;attaquais des historiens consacr&eacute;s et que, moi, j&rsquo;&eacute;tais d&eacute;butant dans ce domaine. Or, c&rsquo;est la strat&eacute;gie du silence qui a pr&eacute;valu. Le sentiment que j&rsquo;ai aujourd&rsquo;hui, c&rsquo;est que le moment n&rsquo;est pas encore venu de pouvoir dire ces choses, que la doxa &agrave; ce sujet est encore toute puissante, &agrave; la fois de la part des historiens qui ont fait carri&egrave;re autour de la th&egrave;se du &laquo;&nbsp;grand silence&nbsp;&raquo;, et aussi de la part de grandes figures &ndash; je pense aux Klarsfeld, par exemple, &agrave; qui je fais pourtant un sort tr&egrave;s favorable dans mon livre.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">M&eacute;rit&eacute; d&rsquo;ailleurs</span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&hellip;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt"> Bien s&ucirc;r, mais ils n&rsquo;ont pas r&eacute;agi. Ni eux ni Simone Veil, ni Claude Lanzmann&hellip;</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Et dans les revues historiques&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Tr&egrave;s peu de chose.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Henry Rousso, lui, a r&eacute;agi, en proposant un compte rendu dans </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Marianne<i> et en d&eacute;battant avec vous.</i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> Mais il est le seul. Il a &eacute;t&eacute; plus que <i>flair play</i>, il a &eacute;t&eacute; remarquable parce que je bouscule ses th&egrave;ses, mais il est entr&eacute; dans le d&eacute;bat. Il a argument&eacute;, m&rsquo;a fait des objections que je trouve int&eacute;ressantes. Bref, il a fait ce que normalement tout historien concern&eacute; par mon travail aurait d&ucirc; faire&nbsp;: discuter, critiquer.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Vous pensez donc que c&rsquo;est toujours la doxa du &laquo;&nbsp;grand silence&nbsp;&raquo; qui pr&eacute;domine&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Je le pense, mais j&rsquo;ai une nuance &agrave; apporter &agrave; ce jugement, c&rsquo;est votre pr&eacute;sence ici, l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t que quelqu&rsquo;un comme Simon Perego<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a></span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> t&eacute;moigne &agrave; l&rsquo;endroit de mon livre, d&rsquo;autres encore. Je pense que, dans la jeune g&eacute;n&eacute;ration, dans la g&eacute;n&eacute;ration de ceux qui sont en train de faire des th&egrave;ses ou qui les ont termin&eacute;es, il y a l&agrave; plus de libert&eacute;. Pour eux, mon livre existe, il occupe une place, ils s&rsquo;y int&eacute;ressent et je dirais qu&rsquo;ils le lisent de fa&ccedil;on plus naturelle.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Pensez-vous que le silence autour de votre ouvrage est d&ucirc; au fait que vous &ecirc;tes per&ccedil;u comme ext&eacute;rieur au champ historique ou est-ce &agrave; cause de la th&egrave;se que vous d&eacute;fendez&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Les deux&nbsp;!</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Un article de Michael Bernstein, intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Hommage &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me. La Shoah et l&rsquo;hyperbole de la catastrophe&nbsp;&raquo;, paru en 1998 dans le num&eacute;ro&nbsp;101 de la revue </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Le D&eacute;bat,<i> avait une position tr&egrave;s proche de la v&ocirc;tre et n&rsquo;a pas non plus fait l&rsquo;objet de discussions et de commentaires</i>. <i>Il mobilise, certes, moins de sources que vous, mais sa th&egrave;se est, pour faire bref, que, s&rsquo;il a fallu du temps, ce n&rsquo;&eacute;tait pas pour &laquo;&nbsp;briser le silence&nbsp;&raquo; &ndash; car silence il n&rsquo;y a pas eu d&egrave;s 1948-1949 &ndash; mais pour &eacute;laborer et <span style="letter-spacing:-.1pt">imposer un certain type de discours sur la Shoah, un discours hyperbolique de la catastrophe et de l&rsquo;apocalypse</span></i><span style="letter-spacing:-.1pt">. <i>Il associe &agrave; cela la recherche tortueuse de la nomination de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement &ndash; &laquo;&nbsp;chose&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;chose sans nom&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;abomination m&eacute;taphysique&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;novum&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;mysterium tremendum&nbsp;&raquo;, etc.</i></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> C&rsquo;est vrai. Il a raison et, d&rsquo;ailleurs, c&rsquo;est quelque chose que je me reproche apr&egrave;s coup d&rsquo;avoir insuffisamment marqu&eacute;&nbsp;: le changement de paradigme dans la compr&eacute;hension de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, autour des ann&eacute;es 1980. Je l&rsquo;ai fait, mais de mani&egrave;re un peu oblique, sans th&eacute;matiser pour lui-m&ecirc;me ce changement. Cela vient du fait qu&rsquo;il y a des traces de ce discours hyperbolique d&egrave;s 1944, notamment chez les intellectuels chr&eacute;tiens. La continuit&eacute; m&rsquo;a plus frapp&eacute; que la rupture. Mais j&rsquo;aurais d&ucirc; marquer l&rsquo;une et l&rsquo;autre.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Qu&rsquo;est ce qui vous a inspir&eacute; ce titre&nbsp;: </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Le Mythe du grand silence&nbsp;?</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.05pt"> Cela vient de l&rsquo;historienne am&eacute;ricaine, Hasia Diner, dont le livre s&rsquo;intitule&nbsp;: <i>We Remember with Reverence and Love&nbsp;: American Jews and the Myth of Silence after the Holocaust, 1945-1962.</i>Comme vous le voyez, le vent de l&rsquo;historiographie est en train de tourner&nbsp;: je ne suis pas seul &agrave; d&eacute;noncer la mythologie du grand silence. En Isra&euml;l, Anita Shapira, elle aussi, s&rsquo;attaque &agrave; cette mythologie.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Concernant tous</span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> ces &eacute;l&eacute;ments<i> de connaissance et de m&eacute;morisation du g&eacute;nocide que vous mettez &agrave; jour, &agrave; partir de quand pensez-vous qu&rsquo;ils deviennent un savoir suffisamment construit pour &ecirc;tre &eacute;tabli comme un &eacute;l&eacute;ment fort d&rsquo;une m&eacute;moire collective&nbsp;? &Agrave; partir de quand le g&eacute;nocide est-il vraiment entr&eacute; dans la m&eacute;moire collective&nbsp;?</i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> J&rsquo;ai du mal &agrave; vous r&eacute;pondre parce que je pense qu&rsquo;il y entre en plusieurs fois. Et je crois qu&rsquo;il faut abandonner l&rsquo;id&eacute;e&nbsp;: &laquo;&nbsp;avant, il n&rsquo;y &eacute;tait pas, apr&egrave;s il y est&nbsp;&raquo;. Il y a plusieurs seuils. L&rsquo;un d&rsquo;eux est &eacute;videmment la repr&eacute;sentation du <i>Vicaire<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><b><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></b></a></i></span></span><i>&thinsp;</i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">, en France comme dans les autres pays occidentaux. Je ne pense pas, pour ce qui est de la France, que le proc&egrave;s Eichmann soit l&rsquo;un de ces seuils. Henry Rousso est d&rsquo;accord avec moi l&agrave;-dessus. Je crois qu&rsquo;il y a l&agrave; une illusion r&eacute;trospective. Si le proc&egrave;s a &eacute;t&eacute; capital en Isra&euml;l, cela n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; le cas pour la France, qui &eacute;tait occup&eacute;e &agrave; cette date par les &laquo;&nbsp;&eacute;v&eacute;nements&nbsp;&raquo; d&rsquo;Alg&eacute;rie. Et puis cela se passait &agrave; J&eacute;rusalem, pas &agrave; Paris.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Le proc&egrave;s Eichmann est un &eacute;v&eacute;nement en Isra&euml;l, un tournant</span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&hellip;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Oui, et cela s&rsquo;explique parfaitement bien, mais on a extrapol&eacute; &agrave; partir du cas isra&eacute;lien. Je pense aussi que l&rsquo;erreur vient du fait qu&rsquo;on a plaqu&eacute; sur les ann&eacute;es 1960 l&rsquo;importance que nous donnons aujourd&rsquo;hui &agrave; l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement. Nous sommes l&agrave; dans un exemple type de projection r&eacute;trospective&hellip; C&rsquo;est <i>Le Vicaire</i> qui est le v&eacute;ritable &eacute;v&eacute;nement, le moment charni&egrave;re. Les ann&eacute;es qui pr&eacute;c&egrave;dent ont permis l&rsquo;accumulation d&rsquo;un grand savoir, d&rsquo;une v&eacute;ritable connaissance de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement dans la soci&eacute;t&eacute; fran&ccedil;aise. Mais avec <i>Le Vicaire</i>, il se produit quelque chose de tout &agrave; fait neuf&nbsp;: le g&eacute;nocide des juifs devient l&rsquo;affaire des non-juifs. Cela me para&icirc;t capital. C&rsquo;est pour cela que je dis qu&rsquo;il entre &agrave; ce moment dans l&rsquo;espace public au sens d&rsquo;Habermas, c&rsquo;est-&agrave;-dire dans l&rsquo;espace de la critique, parce que les catholiques se sentent interpell&eacute;s. Or, en France, ils sont la majorit&eacute;.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Il entre dans l&rsquo;espace public de fa&ccedil;on, effectivement, tout &agrave; fait pol&eacute;mique.</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Je suis profond&eacute;ment convaincu de la grande valeur des pol&eacute;miques dans la fabrication des images sociales. En philosophie, la pol&eacute;mique est tr&egrave;s souvent consid&eacute;r&eacute;e comme une sorte de sous-cat&eacute;gorie ou de basse &oelig;uvre. Les philosophes sont cens&eacute;s se trouver sur la premi&egrave;re marche du podium, puis leur doctrine se d&eacute;graderait en pol&eacute;miques. Je ne crois pas du tout &agrave; cette vision-l&agrave;, je crois au contraire que la pol&eacute;mique, c&rsquo;est la vie de l&rsquo;esprit. C&rsquo;est la vie des id&eacute;es et tant qu&rsquo;une doctrine ou une &oelig;uvre ne font pas pol&eacute;mique, c&rsquo;est qu&rsquo;elles ne sont pas vraiment encore entr&eacute;es dans la chair sociale, dans le tissu social.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Vous ne trouvez pas que ce rejet de la pol&eacute;mique est un ph&eacute;nom&egrave;ne plut&ocirc;t r&eacute;cent&nbsp;? En effet, d&egrave;s le XVIII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, les pamphlets sont un genre courant et le XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; avare en pol&eacute;miques dans le domaine philosophique, loin s&rsquo;en faut&nbsp;!</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Oui, c&rsquo;est vrai. C&rsquo;est peut-&ecirc;tre un ph&eacute;nom&egrave;ne r&eacute;cent.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Et la litt&eacute;rature, le cin&eacute;ma, le th&eacute;&acirc;tre sont les vecteurs les plus efficaces de cette pol&eacute;mique, jouent-ils un plus grand r&ocirc;le que la production savante&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Bien s&ucirc;r. La production savante joue un r&ocirc;le d&eacute;cisif pour fabriquer du savoir, c&rsquo;est un truisme, et parfois aussi pour nourrir les &oelig;uvres de fiction. Mais les romans, le cin&eacute;ma ou le th&eacute;&acirc;tre ont une place beaucoup plus importante dans la construction d&rsquo;une repr&eacute;sentation sociale.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Quel r&ocirc;le attribuez-vous aux victimes du g&eacute;nocide qui ont surv&eacute;cu dans la formation de ce savoir&nbsp;? &Agrave; l&rsquo;image de ceux qui ont travaill&eacute; tr&egrave;s t&ocirc;t sur cette question au Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), des survivants se sont &eacute;galement attel&eacute;s &agrave; la production d&rsquo;un savoir sur leur exp&eacute;rience.</span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <i>Est-ce que leur travail a eu un r&ocirc;le particulier ou une ampleur particuli&egrave;re, comme cela est le cas de plusieurs d&eacute;port&eacute;s r&eacute;sistants devenus historiens&nbsp;?</i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Oui, bien s&ucirc;r. M&ecirc;me si ces auteurs du CDJC ne font pas des succ&egrave;s de librairie comme le font des romanciers, &agrave; l&rsquo;instar de Pierre Gascar, de Roger Ikor, d&rsquo;Andr&eacute; Schwarz-Bart ou d&rsquo;Anna Langfus qui re&ccedil;oivent le prix Goncourt dans les ann&eacute;es 1950 et au d&eacute;but des ann&eacute;es 1960. Les premiers romans d&rsquo;&Eacute;lie Wiesel ont eu surtout un succ&egrave;s d&rsquo;estime&hellip; Il y a le journal d&rsquo;Anne Franck qui est un cas &agrave; part, parce que &ccedil;a a &eacute;t&eacute; un best-seller. Mais je pense que cette ligne-l&agrave; est quand m&ecirc;me tr&egrave;s <span style="letter-spacing:-.1pt">importante pour fabriquer une m&eacute;moire, une conscience, une sensibilit&eacute;, je dirais. Oui, une sensibilit&eacute;, parce que les travaux</span> des historiens ont la froideur qui convient &agrave; des ouvrages de ce type, tandis qu&rsquo;avec les r&eacute;cits des survivants, on est dans la gamme du v&eacute;cu et c&rsquo;est tr&egrave;s important pour incarner l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&Agrave; ce propos, des voix de plus en plus insistantes nous disent aujourd&rsquo;hui que, pour ce qui est de la compr&eacute;hension du g&eacute;nocide et des crimes nazis, la litt&eacute;rature peut faire mieux que l&rsquo;histoire. Une sorte de nouvelle doxa d&rsquo;apr&egrave;s laquelle, la discipline historique ayant &eacute;chou&eacute; &agrave; nous faire comprendre Auschwitz, c&rsquo;est &agrave; la <span style="letter-spacing:-.1pt">litt&eacute;rature de prendre le relais et c&rsquo;est l&rsquo;avalanche de romans que nous connaissons</span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> Je suis perplexe parce que je pense plusieurs choses &agrave; la fois. Ce conflit entre t&eacute;moignages et travaux d&rsquo;historiens, cette id&eacute;e que les t&eacute;moignages auraient plus de v&eacute;rit&eacute;, ils ne datent pas d&rsquo;aujourd&rsquo;hui. On trouve cela de fa&ccedil;on assez r&eacute;currente dans la p&eacute;riode que j&rsquo;ai &eacute;tudi&eacute;e. Mais c&rsquo;est vrai </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">qu&rsquo;aujourd&rsquo;hui, cela a pris une forme peut-&ecirc;tre plus agressive. Je pense <span style="letter-spacing:-.2pt">&ndash;&nbsp;c&rsquo;est une de mes th&egrave;ses &ndash; que l&rsquo;extraordinaire</span> fortune de la fictionnalisation<span style="letter-spacing:.1pt"> de la Shoah depuis une quinzaine d&rsquo;ann&eacute;es signifie que le processus de reconnaissance de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement est achev&eacute;. Je pense que, dans les ann&eacute;es 1980-1990, le travail de la m&eacute;moire d&rsquo;Auschwitz s&rsquo;est achev&eacute; en France. Il s&rsquo;est achev&eacute; au sens o&ugrave;, chez Hegel, l&rsquo;histoire est finie. Elle continue quand m&ecirc;me, certes, mais sur un mode diff&eacute;rent, sur le mode de la r&eacute;p&eacute;tition notamment, sur le mode de la caricature parfois, et je pense que la fictionnalisation est aussi l&rsquo;un des sympt&ocirc;mes de cet ach&egrave;vement. Bien s&ucirc;r, il va continuer &agrave; y avoir des travaux d&rsquo;historiens, mais enfin, je crois qu&rsquo;aujourd&rsquo;hui on sait &agrave; peu pr&egrave;s tout ce qu&rsquo;il y a &agrave; savoir&hellip; Je pense qu&rsquo;il y aura toujours place pour des travaux plus philosophiques, d&rsquo;interpr&eacute;tation, je pense par exemple au travail de Marcel Gauchet, des &oelig;uvres de r&eacute;flexion sur le ph&eacute;nom&egrave;ne totalitaire, sur le d&eacute;lire nazi. Mais je ne suis pas s&ucirc;r que l&rsquo;on d&eacute;couvre encore des quantit&eacute;s de faits qui bouleverseront notre connaissance. Alors, d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, les t&eacute;moins meurent, de l&rsquo;autre, l&rsquo;historiographie en est r&eacute;duite &agrave; d&eacute;battre de questions de d&eacute;tail&hellip; alors, il reste la fiction.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">Vous montrez tr&egrave;s bien la prise de conscience du g&eacute;nocide d&rsquo;embl&eacute;e, d&egrave;s 1944-1945. Nous avons &eacute;t&eacute; surpris par la faible place que vous r&eacute;servez au proc&egrave;s international de Nuremberg. Cela nous a d&rsquo;autant plus surpris que c&rsquo;&eacute;tait un des &eacute;l&eacute;ments du Mythe du grand silence, cette id&eacute;e que le g&eacute;nocide avait &eacute;t&eacute; absent &agrave; Nuremberg, alors qu&rsquo;il appara&icirc;t par exemple d&egrave;s l&rsquo;argumentaire du procureur g&eacute;n&eacute;ral</span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">&hellip;</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Vous avez tout &agrave; fait raison et c&rsquo;est un manque dans mon livre. Pour le coup, c&rsquo;est un manque dont je me suis aper&ccedil;u moi-m&ecirc;me en l&rsquo;&eacute;crivant. Il y en a d&rsquo;autres&hellip; Je n&rsquo;ai pas bien su <span style="letter-spacing:.3pt">int&eacute;grer l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement &agrave; mon r&eacute;cit. J&rsquo;ai &eacute;t&eacute; constamment partag&eacute; entre le d&eacute;sir</span> d&rsquo;&ecirc;tre complet et le souci de ne pas r&eacute;p&eacute;ter ce qui se trouvait ailleurs. Cela m&rsquo;a fait faire parfois des choix, aller vite sur certains points. De la m&ecirc;me fa&ccedil;on, d&rsquo;ailleurs, je n&rsquo;ai pas non plus parl&eacute; des proc&egrave;s de France, du proc&egrave;s P&eacute;tain, par exemple, pour la m&ecirc;me raison. Parce que je ne voyais pas comment dire du neuf par rapport &agrave; ce que j&rsquo;avais d&eacute;j&agrave; lu.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Vous rappelez la r&eacute;alit&eacute; d&rsquo;un &laquo;&nbsp;syndrome de Vichy&nbsp;&raquo;, selon l&rsquo;expression, mais vous avancez qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas eu un &laquo;&nbsp;syndrome de la Shoah&nbsp;&raquo;. Est-ce que cela signifie que l&rsquo;existence d&rsquo;une chape sur la question de Vichy n&rsquo;a pas affect&eacute; la formation d&rsquo;une conscience sur le g&eacute;nocide&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.2pt">C&rsquo;est compliqu&eacute;. Je maintiens qu&rsquo;il n&rsquo;y a, &agrave; mon avis, pas eu de &laquo;&nbsp;syndrome de la Shoah&nbsp;&raquo; en France, et qu&rsquo;il y a quand-m&ecirc;me eu un &laquo;&nbsp;syndrome de Vichy&nbsp;&raquo;&nbsp;; je suis convaincu par les argu</span>ments de H<span style="letter-spacing:.1pt">enry Rousso. Est-ce que l&rsquo;un a contamin&eacute; l&rsquo;autre&nbsp;? &Agrave; l&rsquo;&eacute;vidence, le syndrome de Vichy a contamin&eacute; la question juive du fait du &laquo;&nbsp;retard &agrave; l&rsquo;allumage&nbsp;&raquo; de la part de l&rsquo;&Eacute;tat. Si l&rsquo;&Eacute;tat fran&ccedil;ais n&rsquo;avait pas &eacute;t&eacute; impliqu&eacute; dans la collaboration, il n&rsquo;y aurait pas eu la m&ecirc;me r&eacute;sistance de la part de nos dirigeants &agrave; juger les criminels. J&rsquo;ai &eacute;t&eacute;, par exemple, tr&egrave;s frapp&eacute; quand j&rsquo;ai lu les r&eacute;cits de ceux qui entouraient Mitterrand&nbsp;: Jacques Attali ou d&rsquo;autres. M&ecirc;me dans le cas de Barbie, Mitterrand a &eacute;t&eacute; incroyablement r&eacute;ticent. Il a c&eacute;d&eacute; &agrave; la pression de certains de ses proches, &agrave; commencer par Robert Badinter. Sans parler m&ecirc;me des pr&eacute;sidents ant&eacute;rieurs. Donc, l&agrave;, je crois qu&rsquo;il y a vraiment eu une contamination de la m&eacute;moire juive par la m&eacute;moire de Vichy. Mais je pense que ce syndrome de Vichy n&rsquo;a pas emp&ecirc;ch&eacute; la conscience du g&eacute;nocide d&rsquo;entrer dans l&rsquo;opinion fran&ccedil;aise.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">Finalement, vous pr&eacute;sentez un processus que vous qualifiez de normal, de progressif, par </span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">&laquo;&nbsp;cercles concentriques qui vont en s&rsquo;&eacute;largissant et qui finissent par occuper tout l&rsquo;espace&nbsp;&raquo;<i> jusqu&rsquo;&agrave; la sph&egrave;re &eacute;tatique. </i></span></span></span><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">&Agrave; ce sch&eacute;ma, Henry Rousso pr&eacute;f&egrave;re toujours</span></span></span></i><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;r&eacute;volution dans la perception du pass&eacute;&nbsp;&raquo; <i>selon les d&eacute;cennies, soulignant le </i>&laquo;&nbsp;foss&eacute; qui existe entre la place quantitative et qualitative du souvenir de la Shoah dans le d&eacute;bat public des ann&eacute;es&nbsp;1990 et&nbsp;2000 et celle qu&rsquo;elle avait en 1945 ou en 1963&nbsp;&raquo;.<i> Que lui r&eacute;pondez-vous sur ce point&nbsp;?</i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Je crois qu&rsquo;il a raison. Quantitativement, c&rsquo;est un fait &eacute;vident, et qualitativement, je crois, comme je vous le disais, qu&rsquo;on a chang&eacute; de paradigme, quelque part dans les ann&eacute;es 1970-1980.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Du fait de l&rsquo;entr&eacute;e dans la sph&egrave;re de l&rsquo;&Eacute;tat et donc seulement du fait de l&rsquo;action politique&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Pas&nbsp;seulement parce qu&rsquo;on est face &agrave; un ph&eacute;nom&egrave;ne international. Le g&eacute;nocide des juifs devient l&rsquo;embl&egrave;me du mal. Et il est vrai que c&rsquo;est une coupure majeure&nbsp;; elle est qualitative avant d&rsquo;&ecirc;tre quantitative et elle se fait dans tous les pays occidentaux. Donc, l&rsquo;explication par l&rsquo;entr&eacute;e de l&rsquo;&Eacute;tat fran&ccedil;ais dans le travail m&eacute;moriel, au cours des ann&eacute;es 1970, ne suffit pas. Je pense que la mont&eacute;e du consensus antitotalitaire dans tous les pays occidentaux y est pour beaucoup. L&rsquo;effondrement de l&rsquo;id&eacute;ologie communiste et, a fortiori, &eacute;videmment la chute du Mur participent &agrave; la fabrication de cette conscience antitotalitaire occidentale. Alors, dans ce contexte, le g&eacute;nocide des juifs prend la valeur de paradigme du mal. Je n&rsquo;&eacute;puise pas le ph&eacute;nom&egrave;ne en disant cela, je le sais.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;&eacute;v&eacute;nement est-il d&eacute;sormais sacralis&eacute;&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> Oui, c&rsquo;est cela. Une sacralisation&nbsp;de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement&nbsp;! Ce ph&eacute;nom&egrave;ne n&rsquo;est pas une cr&eacute;ation ex nihilo dans les ann&eacute;es 1980, je vous le disais. La sacralisation de la Shoah commence d&egrave;s 1944, et les &eacute;crivains catholiques sont les premiers &agrave; le faire&hellip; On voit bien comment cela monte &agrave; bas bruit dans les ann&eacute;es 1940, 1950, 1960&hellip; il y a vraiment une sacralisation de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement qui va croissante et qui, dans les ann&eacute;es 1970 et 1980, devient une sorte d&rsquo;&eacute;vidence. En 1985, il y a <i>Shoah</i></span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:.2pt">de Claude Lanzmann qui, pour moi, marque l&rsquo;apog&eacute;e de ce ph&eacute;nom&egrave;ne de sacralisation&nbsp;: le film lui-m&ecirc;me et, ce qui est surtout int&eacute;ressant, les commentaires du film, avec l&rsquo;utilisation massive d&rsquo;un vocabulaire th&eacute;ologique, religieux. Lanzmann parle de r&eacute;surrection, d&rsquo;incarnation, d&rsquo;&eacute;v&eacute;nement originaire, etc.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Tout y est&hellip;</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Oui, avec un discours qui &agrave; ce moment-l&agrave; est parfaitement recevable. Personne, ou presque, ne dit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mais enfin, arr&ecirc;tez&nbsp;! De quoi parle-t-on&nbsp;?&nbsp;&raquo;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">On pourrait dire que le film </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Shoah<i> a fini par remplacer l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement</i>&hellip;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.05pt"> Oui, absolument&nbsp;! Et d&rsquo;ailleurs, dans les m&ecirc;mes ann&eacute;es, le troisi&egrave;me volume de <i>Temps et R&eacute;cit</i> de Paul Ric&oelig;ur consacre des pages tr&egrave;s fortes &agrave; Auschwitz, dans lesquelles le philosophe n&rsquo;est jamais &agrave; court de superlatifs pour sacraliser l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, c&rsquo;est </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&laquo;&nbsp;l&rsquo;uniquement unique&nbsp;&raquo;, le <i>tremendum horrendum</i> sym&eacute;trique du <i>tremendum fascinosum </i>par lequel Rudolf Otto qualifiait le sacr&eacute;. On a le sentiment que Ric&oelig;ur, si vous me permettez, cherche &agrave; monter sur le plus de majuscules possibles pour qualifier l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, on est dans la sacralit&eacute; la plus compl&egrave;te. C&rsquo;est aussi le moment o&ugrave; &Eacute;lie Wiesel</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:.05pt">demande aux juifs de revendi</span>quer l&rsquo;Holocauste &laquo;&nbsp;comme un chapitre glorieux&nbsp;&raquo; de leur histoire. Ce ph&eacute;nom&egrave;ne de sacralisation de l&rsquo;horreur a pour moi, quand m&ecirc;me, quelque chose d&rsquo;un peu myst&eacute;rieux, je vous l&rsquo;avoue. Mais, en tout cas, c&rsquo;est un fait qu&rsquo;Auschwitz est devenu le paradigme du mal.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Si les m&eacute;moires de la d&eacute;portation r&eacute;sistante n&rsquo;ont jamais &eacute;t&eacute; &laquo;&nbsp;h&eacute;g&eacute;moniques&nbsp;&raquo; dans les ann&eacute;es 1950-1960, ne laissent-elles pas, &agrave; partir des ann&eacute;es 1970, un espace plus grand aux autres m&eacute;moires&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Cela peut se dire dans les deux sens&nbsp;! La sacralisation de la m&eacute;moire juive contribue &agrave; marginaliser la m&eacute;moire de la r&eacute;sistance.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Tout &agrave; fait. Justement, selon vous, la doxa du grand silence sur le g&eacute;nocide serait-elle solidaire d&rsquo;une autre doxa, qui lui est contemporaine, celle d&rsquo;une m&eacute;moire de la r&eacute;sistance qui, de la Lib&eacute;ration jusqu&rsquo;aux ann&eacute;es 1980, aurait d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment occult&eacute; la m&eacute;moire du g&eacute;nocide&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Je ne suis pas tr&egrave;s comp&eacute;tent pour vous r&eacute;pondre. Je n&rsquo;ai pas constat&eacute; une telle occultation d&eacute;lib&eacute;r&eacute;e, voil&agrave; ce que je peux dire.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Les auteurs que vous citez comme exemple du Mythe du grand silence incluent dans leurs travaux, sans exception, cette th&eacute;matique de l&rsquo;occultation d&eacute;lib&eacute;r&eacute;e de la m&eacute;moire du g&eacute;nocide par la m&eacute;moire politique et r&eacute;sistante</span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Oui, bien s&ucirc;r. Je crois que ce sont les deux pi&egrave;ces du m&ecirc;me puzzle.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Le Mythe du grand silence est-il &eacute;galement solidaire d&rsquo;une autre th&egrave;se d&rsquo;apr&egrave;s laquelle le crit&egrave;re de l&rsquo;unicit&eacute; de la Shoah ne serait pas de l&rsquo;ordre de l&rsquo;&eacute;thique &ndash;&nbsp;au sens o&ugrave; toute horreur est unique &ndash; mais de l&rsquo;ordre de la sp&eacute;cificit&eacute; du peuple extermin&eacute;, du peuple juif&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> Bien s&ucirc;r. Et je m&rsquo;inscris compl&egrave;tement en faux l&agrave;-dessus&nbsp;! Je pense que l&rsquo;on a &agrave; faire l&agrave; &agrave; un vrai discours id&eacute;ologique, pour le coup. D&rsquo;abord, la notion de peuple juif est quelque chose qui me laisse tr&egrave;s perplexe, comme elle laissait perplexe Raymond Aron. Je pense qu&rsquo;il faudrait d&eacute;j&agrave; historiciser consid&eacute;rablement cette notion parce que elle n&rsquo;a pas le m&ecirc;me sens aujourd&rsquo;hui et en 1950. Et, d&rsquo;autre part, de quoi parle-t-on quand on dit que l&rsquo;unicit&eacute; du g&eacute;nocide d&eacute;pendrait de son objet, c&rsquo;est-&agrave;-dire du peuple juif&nbsp;? Alors, &agrave; ce compte-l&agrave;, le g&eacute;nocide arm&eacute;nien serait sp&eacute;cifique parce que c&rsquo;est le peuple arm&eacute;nien qui &eacute;tait vis&eacute;, le g&eacute;nocide cambodgien &agrave; cause du peuple cambodgien, etc. C&rsquo;est ridicule&nbsp;!</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">D&egrave;s l&rsquo;imm&eacute;diat apr&egrave;s-guerre et au moins jusqu&rsquo;aux ann&eacute;es 1970, on pense &agrave; l&rsquo;extermination des juifs en termes d&rsquo;universalit&eacute;, comme un crime universel. Aujourd&rsquo;hui, cette dimension d&rsquo;universalit&eacute; est d&eacute;valoris&eacute;e, critiqu&eacute;e m&ecirc;me car elle occulterait l&rsquo;identit&eacute; juive des victimes. Pensez-vous qu&rsquo;il s&rsquo;agit ici aussi d&rsquo;une th&egrave;se erron&eacute;e&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> Absolument&nbsp;! La perspective d&rsquo;universalit&eacute; a &eacute;t&eacute; extr&ecirc;mement pr&eacute;sente au d&eacute;but et elle a permis de penser le g&eacute;nocide. Je pense aussi qu&rsquo;il est pr&eacute;judiciable de perdre cet horizon d&rsquo;universalit&eacute; et de rabattre le g&eacute;nocide sur la seule dimension juive. Paul Thibaud a &eacute;crit l&agrave;-dessus des choses que je crois tr&egrave;s exactes.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Comme chez Ric&oelig;ur pour qui, les victimes</span></span></span></i><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> d&rsquo;Auschwitz </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;sont, par excellence, les d&eacute;l&eacute;gu&eacute;es aupr&egrave;s de notre m&eacute;moire de toutes les victimes de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;&nbsp;?</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> Oui&nbsp;! Si vous voulez, je crois qu&rsquo;il faut chercher &agrave; tenir ensemble les deux bouts de la cha&icirc;ne. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, il faut r&eacute;sister &agrave; la tentation (ou &agrave; la tentative) de diluer ce qu&rsquo;il y a eu de juif dans le g&eacute;nocide, danger de dilution qui est pr&eacute;sent dans les ann&eacute;es d&rsquo;apr&egrave;s-guerre par exemple. Je dirais qu&rsquo;on peut aller trop vite &agrave; l&rsquo;universel, et dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;que le g&eacute;nocide soit arriv&eacute; aux juifs, c&rsquo;est une p&eacute;rip&eacute;tie inessentielle, car c&rsquo;est l&rsquo;esp&egrave;ce humaine qui est l&eacute;s&eacute;e&hellip;&nbsp;&raquo; On ne peut pas faire cela, parce que l&rsquo;extermination des juifs est quand m&ecirc;me inscrite dans une longue histoire de la pers&eacute;cution. Il faut garder le moment de la particularit&eacute; juive dans la dialectique qu&rsquo;impose la compr&eacute;hension du g&eacute;nocide. Il ne faut pas passer trop vite &agrave; l&rsquo;universel. Mais je pense aussi qu&rsquo;il ne faut pas rabattre le g&eacute;nocide des juifs sur la seule dimension juive. La perspective d&rsquo;humanit&eacute; est absolument capitale&nbsp;! L&agrave;-dessus, il faut relire quelques bons auteurs, &agrave; commencer par Hannah Arendt.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">Et comment expliquez-vous ce mouvement de pens&eacute;e qui consiste &agrave; r&eacute;cuser, depuis les ann&eacute;es 1970-1980, ce principe d&rsquo;universalit&eacute; visant &agrave; saisir la signification, le sens, </span></span></span></i><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">de cet &eacute;v&eacute;nement sursignifi&eacute;&nbsp;? Y a-t-il un contexte plus g&eacute;n&eacute;ral qui a favoris&eacute; un tel mouvement&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt"> Oui, je pense que c&rsquo;est une partie de la r&eacute;ponse &agrave; la question que vous posiez tout &agrave; l&rsquo;heure, &agrave; propos de la sacralisation et de l&rsquo;absolutisation de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement. On est dans la m&ecirc;me p&eacute;riodisation. C&rsquo;est en m&ecirc;me temps </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">que tout cela se fabrique, &agrave; la fois la sacralisation du g&eacute;nocide et son repli sur la seule dimension juive. On est, dans ces ann&eacute;es-l&agrave;, dans un moment<span style="letter-spacing:.2pt"> d&rsquo;exaltation des diff&eacute;rences, &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle de l&rsquo;Occident tout entier.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Du point de vue de la r&eacute;ception, il y a un autre point qui nous int&eacute;resse parce qu&rsquo;il concerne la transmission de cette m&eacute;moire en milieu scolaire&nbsp;: c&rsquo;est le passage du Mythe du grand silence dans l&rsquo;enseignement. Ce passage, on le voit dans les manuels scolaires, prend souvent sinon toujours des formes vraiment caricaturales &ndash; comme lorsqu&rsquo;on laisse entendre qu&rsquo;avant l&rsquo;&oelig;uvre de Claude Lanzmann, il n&rsquo;y aurait aucune allusion au g&eacute;nocide. Nous avons not&eacute; que vous aviez commenc&eacute; &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir sur ce qui allait devenir votre ouvrage dans le cadre d&rsquo;un s&eacute;minaire avec vos &eacute;tudiants. Nous aimerions conna&icirc;tre leurs r&eacute;actions car, sans doute, &eacute;taient-ils eux-m&ecirc;mes impr&eacute;gn&eacute;s du Mythe du grand silence&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Ils &eacute;taient un peu surpris. Parfois r&eacute;calcitrants.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Ah, &ccedil;a, c&rsquo;est int&eacute;ressant, pour le coup&nbsp;!</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Oui, parfois un &eacute;tudiant explosait&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mais, enfin, &ccedil;a ne peut pas &ecirc;tre vrai&nbsp;!&nbsp;&raquo; Au d&eacute;but, j&rsquo;avais des anciens d&eacute;port&eacute;s dans mon s&eacute;minaire. Certains d&rsquo;entre eux n&rsquo;ont pas support&eacute; que je leur explique que leur voix avait &eacute;t&eacute; entendue&nbsp;! Ce qui est d&rsquo;ailleurs tr&egrave;s int&eacute;ressant parce que, au fond, ils acceptent l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;il y a eu le silence, qu&rsquo;ils ont cri&eacute; dans le d&eacute;sert, mais ils ne supportent pas l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;ils ont &eacute;t&eacute; entendus. C&rsquo;est passionnant, comme ph&eacute;nom&egrave;ne&hellip;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Et comment la communaut&eacute; juive, des familles, les associations ont-elles re&ccedil;u votre travail&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.3pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.3pt"> Surtout par le silence&nbsp;! J&rsquo;ai eu quelques d&eacute;bats, dont un au m&eacute;morial de la Shoah qui s&rsquo;est bien pass&eacute;, avec Henry Rousso, mais finalement peu de r&eacute;actions.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt">Avez-vous pr&eacute;sent&eacute; votre ouvrage en Isra&euml;l&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> J&rsquo;ai fait trois d&eacute;bats-conf&eacute;rences devant des publics tr&egrave;s diff&eacute;rents et c&rsquo;&eacute;tait tr&egrave;s int&eacute;ressant parce que c&rsquo;&eacute;taient des publics exigeants, qui connaissaient vraiment le sujet et son historiographie. Dans un cas, c&rsquo;&eacute;tait devant un public d&rsquo;enfants cach&eacute;s. Ils &eacute;taient donc acteurs de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement. <span style="letter-spacing:-.1pt">Certains ont r&eacute;agi, et de fa&ccedil;on tr&egrave;s instructive pour moi. J&rsquo;avoue que ce que j&rsquo;ai fait en Isra&euml;l m&rsquo;a davantage int&eacute;ress&eacute; que</span> ce qui s&rsquo;est d&eacute;roul&eacute; en France.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Et pas de courrier de lecteurs, notamment d&rsquo;enseignants&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Si, des courriers de lecteurs, pas mal. Favorables. Des courriers d&rsquo;enfants de r&eacute;sistants. Des courriers de non-juifs.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Des r&eacute;sistants&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Oui. Me disant&nbsp;: &laquo;&nbsp;Vous dites ce qu&rsquo;on a toujours pens&eacute;.&nbsp;&raquo;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;intuition de tout cela a donc exist&eacute; chez beaucoup de gens, m&ecirc;me parfois avec des petits bouts de recherche&hellip;</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Mais bien s&ucirc;r&nbsp;! Par exemple, dans mon entourage, le nombre de non-juifs qui m&rsquo;ont dit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Oui&nbsp;! Bien s&ucirc;r&nbsp;! Vous enfoncez des portes ouvertes&nbsp;!&nbsp;&raquo;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Malgr&eacute; tout, pour revenir &agrave; cette question de l&rsquo;enseignement des m&eacute;moires du g&eacute;nocide, n&rsquo;&ecirc;tes-vous pas inquiet, en toute honn&ecirc;tet&eacute;, quand on voit comment cette doxa a impr&eacute;gn&eacute; les programmes <span style="letter-spacing:-.1pt">scolaires de fa&ccedil;on caricaturale, en ajoutant</span> le temps pris pour changer un programme scolaire&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> On peut &ecirc;tre inquiet &agrave; mon avis pour deux raisons. D&rsquo;abord parce que &ndash;&nbsp;mais c&rsquo;est habituel &ndash; il y a toujours une inertie des programmes par rapport &agrave; la recherche. Mais aussi pour une raison beaucoup plus profonde, que nous avons esquiss&eacute;e tout &agrave; l&rsquo;heure, quand je vous disais que les d&eacute;port&eacute;s n&rsquo;acceptent pas bien que leur parole ait &eacute;t&eacute; entendue. C&rsquo;est qu&rsquo;en fait le repli dans la souffrance a quelque chose de doux, si j&rsquo;ose dire, s&rsquo;agissant d&rsquo;eux. Ils se sont habitu&eacute;s &agrave; penser que leur solitude a &eacute;t&eacute; totale, non seulement pendant la trag&eacute;die, mais apr&egrave;s. Et &agrave; cette croyance, ils ne d&eacute;sirent pas renoncer. Quant &agrave; ceux qui, n&eacute;s apr&egrave;s la guerre, campent sur l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un grand silence qu&rsquo;eux seuls auraient trou&eacute;, ils sont dans un r&ocirc;le formidablement valoris&eacute;&nbsp;; ils n&rsquo;accepteront pas facilement d&rsquo;en sortir.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Mais est-ce que cette persistance de la doxa sur le plan historiographique n&rsquo;est pas due aussi &agrave; un certain type de r&eacute;flexes ou d&rsquo;habitus propres aux corporations disciplinaires&nbsp;? De camper sur son paradigme&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Oui, s&ucirc;rement. Je dirais que c&rsquo;est le plus normal, le plus &eacute;l&eacute;mentaire, le plus habituel. Certains historiens ont b&acirc;ti toute leur carri&egrave;re sur cette id&eacute;e. Ce n&rsquo;est pas facile d&rsquo;en changer. Henry Rousso n&rsquo;est pas dans ce cas, il pense, il r&eacute;fl&eacute;chit, il avance.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Merci beaucoup, un grand merci.</span></span></i></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:.1pt">Fr. A.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"> Merci &agrave; vous.</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Interview r&eacute;alis&eacute;e le 14 novembre 2013 &agrave; Paris.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.2pt">Simon Perego, doctorant au Centre d&rsquo;histoire de Sciences-Po, pr&eacute;pare une th&egrave;se sur les m&eacute;moires et les repr&eacute;sentations de l&rsquo;exp&eacute;rience de la Seconde Guerre mondiale au sein du monde juif en France entre 1944 et 1967.</span></span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.2pt">Rolf Hochhuth, <i>Le Vicaire,</i> Paris, Seuil, 1963 (trad. Fran&ccedil;oise Martin et Jean Amsler), 318 p., r&eacute;&eacute;dition 2002. La premi&egrave;re de cette pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre a eu lieu en France en 1963, au th&eacute;&acirc;tre de l&rsquo;Ath&eacute;n&eacute;e, &agrave; Paris.</span></span></span></span></span></span></p>