<p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo; Toujours la question&nbsp;: comment est-ce arriv&eacute;, qu&rsquo;est-ce que &ccedil;a veut dire&nbsp;?&nbsp;&raquo; (<i>RF </i>406)&nbsp;: si la question lanc&eacute;e par D&ouml;blin dans son immense fresque <i>Novembre&nbsp;1918</i> se pose &agrave; tous avec insistance au cours de ces ann&eacute;es 1930 qui voient s&rsquo;affirmer les fascismes europ&eacute;ens et grandir la menace d&rsquo;une nouvelle guerre mondiale, la r&eacute;ponse qu&rsquo;&eacute;labore le roman politiquement engag&eacute; de cette &eacute;poque porte plus loin que les autres. L&rsquo;enqu&ecirc;te, n&eacute;cessairement historique, dans laquelle se lance ce roman pour comprendre comment le monde se trouve &agrave; nouveau au bord du pr&eacute;cipice vient buter contre ce qui constitue encore la &laquo;&nbsp;derni&egrave;re catastrophe&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a>&nbsp;: la Premi&egrave;re Guerre mondiale, qui s&rsquo;impose d&egrave;s les ann&eacute;es 1930 comme l&rsquo;origine des maux &agrave; venir, immense plaie encore b&eacute;ante, cause terrible aux effets plus terribles encore.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Mais le roman engag&eacute; de ces ann&eacute;es ne s&rsquo;en tient pas l&agrave;. En ces temps de comm&eacute;moration, il ne semble pas inutile de restituer sa voix dans le concert des c&eacute;l&eacute;brations. &Agrave; travers deux fresques romanesques engag&eacute;es, l&rsquo;une fran&ccedil;aise, l&rsquo;autre allemande, &eacute;crites &agrave; la veille de la Seconde Guerre mondiale, nous voudrions analyser la le&ccedil;on d&rsquo;histoire que d&eacute;livre ce type de roman. Complexifiant les explications causales contemporaines, <i>Novembre&nbsp;1918 </i>de D&ouml;blin et <i>Le Monde r&eacute;el</i> d&rsquo;Aragon font du premier conflit mondial un objet de laboratoire, et non l&rsquo;origine aussi inexplicable qu&rsquo;ind&eacute;passable de tous les maux pr&eacute;sents &ndash; non une matrice, mais un mod&egrave;le exemplaire permettant l&rsquo;observation et la compr&eacute;hension de m&eacute;canismes tout pr&ecirc;ts &agrave; se d&eacute;ployer &agrave; nouveau. La d&eacute;monstration n&rsquo;est pas seulement historique&nbsp;: elle est r&eacute;solument politique. Accomplissement de l&rsquo;&eacute;criture historique r&ecirc;v&eacute;e par Walter Benjamin qui, &laquo;&nbsp;bross[ant] &agrave; contresens le poil trop luisant de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;, en fait &eacute;clater le &laquo;&nbsp;continuum&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a> pour la restituer aux vaincus des historiographies officielles&nbsp;?</span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">Le&ccedil;on d&rsquo;histoire, le&ccedil;on politique</span></span></span></b></span></span></h2> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Tout droit vers l&rsquo;ab&icirc;me&nbsp;: concordance des temps et exercices de transposition</span></span></i></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">L&rsquo;horizon des intrigues romanesques du <i>Monde r&eacute;el </i>et de <i>Novembre&nbsp;1918,</i> c&rsquo;est la catastrophe pass&eacute;e&nbsp;; l&rsquo;horizon de la narration et de l&rsquo;&eacute;criture romanesques, c&rsquo;est la compr&eacute;hension du pr&eacute;sent &ndash;&nbsp;et, peut-&ecirc;tre, la conjuration d&rsquo;un tr&egrave;s probable avenir<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></a>. Afin de comprendre comment et pourquoi le monde s&rsquo;approche &agrave; si grands pas d&rsquo;une nouvelle catastrophe, Aragon et D&ouml;blin retracent la marche de leurs pays, quelques ann&eacute;es plus t&ocirc;t, vers la guerre <i>(Le Monde r&eacute;el) </i>ou vers l&rsquo;an&eacute;antissement de tous les espoirs r&eacute;volutionnaires <i>(Novembre&nbsp;1918)&nbsp;</i>: quels sont les rouages qui expliquent cette incompr&eacute;hensible r&eacute;p&eacute;tition &agrave; quelque vingt ans d&rsquo;&eacute;cart&nbsp;? Multipliant les exercices de transposition, les deux fresques invitent leurs lecteurs &agrave; reconna&icirc;tre dans les situations nationales d&eacute;crites non seulement une image mais une explication des situations d&rsquo;&eacute;criture.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Aragon revendique dans ses pr&eacute;faces cette superposition des temporalit&eacute;s pass&eacute;e, pr&eacute;sente et future, faisant de cette r&egrave;gle de concordance des temps une cl&eacute; de lecture explicite du <i>Monde r&eacute;el&nbsp;</i>: &laquo;&nbsp;Et que sonnent &agrave; B&acirc;le les cloches, ce sont &agrave; la fois celles de la veille de 14, celles de 39 qui approche&nbsp;&raquo; (<i>LCB </i>709), &eacute;crit-il en 1967. Quant au narrateur d&ouml;blinien, c&rsquo;est au c&oelig;ur des narrations, et non plus seulement dans leurs marges p&eacute;ritextuelles, qu&rsquo;il multiplie les allusions esquissant le portrait d&rsquo;une Allemagne essentiellement guerri&egrave;re et profond&eacute;ment antis&eacute;mite&nbsp;: plus encore que celle de 1918, c&rsquo;est de celle de 1937 dont il s&rsquo;agit. L&rsquo;avertissement est parfois explicite&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le pays, avec dans les veines le poison qu&rsquo;il n&rsquo;avait pu &eacute;liminer au cours de la r&eacute;volution, se remettait peu &agrave; peu de la guerre et se pr&eacute;parait &agrave; la suivante&nbsp;&raquo; (<i>K&amp;R </i>683). Le jeu de miroirs entre pass&eacute; et pr&eacute;sent est ici consubstantiel au projet romanesque&nbsp;; la recherche des origines du mal est aussi constat de l&rsquo;actualit&eacute; de ce dernier&nbsp;: triste permanence.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Renvois ponctuels ou structurels, appels &agrave; la transposition ou constat de la permanence des m&eacute;canismes d&eacute;crits&nbsp;: <i>Le Monde r&eacute;el </i>et <i>Novembre&nbsp;1918</i> font du pass&eacute; &laquo;&nbsp;la pr&eacute;-histoire du pr&eacute;sent&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondant &agrave; l&rsquo;exhortation contemporaine de Lukacs &laquo;&nbsp;&agrave; donner une vie po&eacute;tique &agrave; des forces historiques, sociales et humaines qui, au cours d&rsquo;une longue &eacute;volution, ont fait de notre vie actuelle ce qu&rsquo;elle est&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref4"></a><a href="#_ftn4"><sup><span style="color:black">[4]</span></sup></a>. L&rsquo;histoire sert ici de terrain d&rsquo;observation. La d&eacute;monstration est d&rsquo;ailleurs privil&eacute;gi&eacute;e aux d&eacute;pens du suspens romanesque&nbsp;: on conna&icirc;t la fin, reste &agrave; savoir comment elle s&rsquo;est impos&eacute;e et comment elle menace de triompher &agrave; nouveau. Aussi les fresques dessinent-elles des trajectoires lin&eacute;aires, menant tout droit vers l&rsquo;ab&icirc;me.&nbsp;La Premi&egrave;re Guerre mondiale est pourtant &agrave; peine pr&eacute;sente dans <i>Le Monde r&eacute;el</i> et dans <i>Novembre&nbsp;1918</i>&nbsp;: les intrigues du premier s&rsquo;arr&ecirc;tent &agrave; son seuil&nbsp;; celles des tomes de la t&eacute;tralogie allemande commencent alors qu&rsquo;elle s&rsquo;ach&egrave;ve. Elle n&rsquo;en est pas moins omnipr&eacute;sente&nbsp;: horizon ou origine, elle d&eacute;cide absolument, tyranniquement, du cours des intrigues et du sort des personnages<a name="_ftnref5"></a><a href="#_ftn5"><sup><span style="color:black">[5]</span></sup></a>. Ainsi obscurcit-elle le grand rassemblement socialiste de B&acirc;le, &laquo;&nbsp;cette f&ecirc;te o&ugrave; s&rsquo;&eacute;l&egrave;ve un double parfum d&rsquo;encens et de pourriture, [laissant] pr&eacute;sager des terribles charniers du Masurenland et de Verdun&nbsp;&raquo; (<i>LCB&nbsp;</i>997), de m&ecirc;me que les d&eacute;buts de la R&eacute;publique de Weimar, sans cesse menac&eacute;e par &laquo;&nbsp;la chenille <span style="letter-spacing:-.2pt">noir-blanc-rouge [qui] serpente &agrave; travers</span> le pays&nbsp;&raquo; (<i>PT&nbsp;</i>21), <span style="letter-spacing:.1pt">couleurs d&rsquo;une arm&eacute;e imp&eacute;riale qui minera de l&rsquo;int&eacute;rieur le nouveau r&eacute;gime. &laquo;&nbsp;L&rsquo;intervention du d&eacute;tective ou du policier est d&eacute;clench&eacute;e par un &eacute;v&eacute;nement dont la survenue vient d&eacute;chirer le tissu, qui semblait jusque-l&agrave; sans d&eacute;faut, de la r&eacute;alit&eacute;&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref6"></a><a href="#_ftn6"><sup><span style="color:black">[6]</span></sup></a>, estime Luc Boltanski&nbsp;: c&rsquo;est la guerre &ndash; &agrave; venir pour le temps narr&eacute; comme pour celui de la narration &ndash; qui joue ce r&ocirc;le dans nos deux fresques, faisant &eacute;clater les apparences lisses de soci&eacute;t&eacute;s apais&eacute;es. Rendue in&eacute;vitable par cette faille devenue b&eacute;ance, l&rsquo;investigation historique doit en rechercher </span>les origines, et ainsi d&eacute;voiler ce principe<span style="letter-spacing:.1pt"> de menace non aboli. M&ecirc;me quand il a recours au pass&eacute;, c&rsquo;est au pr&eacute;sent que se conjugue le roman engag&eacute;.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">R&eacute;sultats de l&rsquo;enqu&ecirc;te pr&eacute;liminaire&nbsp;: la confusion des genres</span></span></i></b></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Or la question &laquo;&nbsp;comment en est-on arriv&eacute; l&agrave;&nbsp;?&nbsp;&raquo; ne reste pas sans r&eacute;ponse dans les deux cycles romanesques, qui identifient les principaux responsables de la catastrophe et les m&eacute;canismes sur lesquels ils se sont appuy&eacute;s. Le roman historique permet en effet d&rsquo;observer les nations fran&ccedil;aise et allemande dans une dynamique forclose, dont les romans marquent les &eacute;tapes, exposent les logiques et explorent les ressorts. Point de suspense ici, mais une interpr&eacute;tation coh&eacute;rente et globale qui autorise la formulation d&rsquo;une accusation r&eacute;sonnant au pass&eacute; et au pr&eacute;sent&nbsp;: ce qui a conduit ces nations au bord puis au c&oelig;ur de l&rsquo;ab&icirc;me, c&rsquo;est la collusion des int&eacute;r&ecirc;ts. Leurs conclusions peuvent diff&eacute;rer, mais le constat politique des deux romanciers est le m&ecirc;me&nbsp;: si les r&eacute;gimes politiques d&eacute;crits sont radicalement incapables d&rsquo;assurer la paix ext&eacute;rieure et int&eacute;rieure &ndash; et semblent ne pas m&ecirc;me le souhaiter &ndash;, s&rsquo;ils sont intrins&egrave;quement li&eacute;s &agrave; la guerre, c&rsquo;est parce qu&rsquo;ils reposent sur la confusion des int&eacute;r&ecirc;ts publics et int&eacute;r&ecirc;ts priv&eacute;s <i>(Le Monde r&eacute;el), </i>entre ceux de la nouvelle r&eacute;publique et ceux de l&rsquo;ancien r&eacute;gime qui refuse de s&rsquo;avouer vaincu <i>(Novembre&nbsp;1918).</i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Ainsi, <i>Le Monde r&eacute;el </i>d&eacute;nonce inlassablement un gouvernement plac&eacute; sous la tutelle du pouvoir financier&nbsp;: &laquo;&nbsp;La bataille parlementaire n&rsquo;&eacute;tait que la fa&ccedil;ade derri&egrave;re laquelle se poursuivaient les tractations v&eacute;ritables&nbsp;&raquo; (<i>LCB&nbsp;</i>925)<i>. </i>Non seulement les industriels et les hommes d&rsquo;affaires mis en sc&egrave;ne ont pour seul but la poursuite de leurs propres int&eacute;r&ecirc;ts et l&rsquo;extension de leur empire financier, mais en plus et surtout, ils corrompent le pouvoir politique dont ils ont besoin pour consolider leurs monopoles. Or, cette corruption devient d&eacute;pendance, et la sph&egrave;re politique se transforme en filiale des grandes entreprises priv&eacute;es&nbsp;: l&rsquo;assembl&eacute;e &eacute;lue se contente d&rsquo;ent&eacute;riner les d&eacute;cisions prises dans les conseils d&rsquo;administration, les dotant au passage d&rsquo;un semblant de l&eacute;gitimit&eacute; mais aussi de la force <span style="letter-spacing:-.1pt">bien r&eacute;elle de l&rsquo;&Eacute;tat. Ainsi de &laquo;&nbsp;l&rsquo;affaire du Maroc&nbsp;&raquo;, dont il est beaucoup question dans <i>Les Cloches de B&acirc;le</i>. Quand le personnage de Wisner d&eacute;clare&nbsp;ne pas trop avoir de &laquo;&nbsp;toutes [s]es disponibilit&eacute;s</span> pour soutenir l&rsquo;&oelig;uvre admirable que la France entreprend au Maroc&nbsp;&raquo; (779), on comprend que l&rsquo;ing&eacute;rence fran&ccedil;aise men&eacute;e par Lyautey (&laquo;&nbsp;en attendant, depuis qu&rsquo;il est l&agrave;-bas, les actions montent&nbsp;&raquo;, 779) repr&eacute;sente, en fait, la couverture et le bras arm&eacute; de l&rsquo;implantation financi&egrave;re de l&rsquo;entreprise Wisner. Le capitalisme, en particulier dans ses extensions coloniales, est parvenu &agrave; faire d&eacute;fendre ses seuls int&eacute;r&ecirc;ts par l&rsquo;&Eacute;tat lui-m&ecirc;me, et si besoin est par l&rsquo;arm&eacute;e nationale. Luc Boltanski d&eacute;crit ce tour de passe-passe&nbsp;:</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">&laquo;&nbsp;&Agrave; la diff&eacute;rence de l&rsquo;&Eacute;tat, le capitalisme, m&ecirc;me s&rsquo;il s&rsquo;adosse &agrave; des moyens qui sont loin d&rsquo;&ecirc;tre sans violence, ne poss&egrave;de pas le &quot;monopole de la violence physique l&eacute;gitime&quot;. La violence qu&rsquo;il exerce [&hellip;] ne peut, par l&agrave;, se d&eacute;ployer sans le soutien des &Eacute;tats, comme le montre &agrave; l&rsquo;&eacute;vidence l&rsquo;exemple du colonialisme.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref7"></a><a href="#_ftn7"><sup><span style="color:black">[7]</span></sup></a></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Quesnel, le personnage du grand industriel au c&oelig;ur d&rsquo;un immense r&eacute;seau de relations et de d&eacute;pendances, proclame la sup&eacute;riorit&eacute; absolue des int&eacute;r&ecirc;ts &eacute;conomiques sur tous les autres&nbsp;: &laquo;&nbsp;&quot;L&rsquo;heure est venue o&ugrave; l&rsquo;industrie, pour vivre, doit &ecirc;tre plac&eacute;e au-dessus de la loi&quot;&nbsp;&raquo; (<i>LBQ </i>212)&nbsp;; euph&eacute;misme pour rappeler que c&rsquo;est l&rsquo;industrie qui dicte ses lois &agrave; la loi r&eacute;publicaine. Dans <i>Le Monde r&eacute;el,</i> l&rsquo;&Eacute;tat national est si domin&eacute; par le capital qu&rsquo;il n&rsquo;est pas m&ecirc;me assez souverain pour d&eacute;cider de la guerre ou de la paix. &Agrave; l&rsquo;&eacute;chelle locale, nationale et internationale, &laquo;&nbsp;la vie &eacute;conomique du pays, voil&agrave; o&ugrave; est la r&eacute;alit&eacute;&nbsp;&raquo; (<i>LBQ </i>66), avec la guerre pour horizon.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Si la collusion d&eacute;nonc&eacute;e par D&ouml;blin met en sc&egrave;ne des acteurs quelque peu diff&eacute;rents, elle n&rsquo;en est pas moins redoutablement n&eacute;faste. <i>L&rsquo;Empereur partit, les g&eacute;n&eacute;raux rest&egrave;rent&nbsp;</i>: le titre du roman de Theodor Plievier, publi&eacute; en 1932, r&eacute;sume d&rsquo;un trait la situation politique de l&rsquo;imm&eacute;diate apr&egrave;s-guerre en Allemagne, qui pousse D&ouml;blin &agrave; d&eacute;placer la cible par rapport au <i>Monde r&eacute;el. </i>Il n&rsquo;y est plus question de l&rsquo;entr&eacute;e en guerre, mais de sa sortie&nbsp;; et la collusion d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts contradictoires n&rsquo;est plus celle de la corruption du pouvoir politique par le pouvoir &eacute;conomique </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">mais celle, non moins insupportable, qui lie les repr&eacute;sentants de la nouvelle Allemagne aux g&eacute;n&eacute;raux du Reich pourtant r&eacute;volu. <span style="letter-spacing:-.1pt">La ligne t&eacute;l&eacute;phonique secr&egrave;te qui relie la chancellerie berlinoise, si&egrave;ge du nouveau pouvoir r&eacute;publicain, et le quartier g&eacute;n&eacute;ral de Kassel, place forte de l&rsquo;&eacute;tat-major conservateur, est &eacute;rig&eacute;e au rang de symbole&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le soir Ebert parla comme &agrave; son habitude avec Kassel [&hellip;] sur la ligne t&eacute;l&eacute;phonique secr&egrave;te 998 qui, depuis la guerre, reliait la chancellerie au QG&nbsp;&raquo; (<i>PT&nbsp;</i>33). Celui qui a proclam&eacute; la r&eacute;publique s&rsquo;entretient ainsi avec ceux qui la contestent de toutes leurs forces&nbsp;: l&rsquo;ordre nouveau se soumet, volontairement, &agrave; l&rsquo;ordre ancien. La trahison est enti&egrave;re&nbsp;: au lieu de se tourner vers l&rsquo;avenir, le nouveau gouvernement se tourne vers le pass&eacute;.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">L&rsquo;enqu&ecirc;te men&eacute;e par le roman engag&eacute; des ann&eacute;es 1930 autour de la Premi&egrave;re Guerre mondiale d&eacute;passe donc formidablement l&rsquo;&eacute;tablissement d&rsquo;une chronologie. Elle ne met pas simplement au jour l&rsquo;encha&icirc;nement d&rsquo;une catastrophe &agrave; une autre. En s&rsquo;interrogeant sur ce qui a rendu possible le d&eacute;sastre de la Premi&egrave;re Guerre mondiale, ce sont les ordres &eacute;tablis dans leur ensemble qui sont remis en cause. L&rsquo;entreprise g&eacute;n&eacute;alogique fait en effet apercevoir que la catastrophe est intimement li&eacute;e aux pouvoirs en </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">place, reposant sur l&rsquo;alliance ill&eacute;gitime d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts contraires, signant le d&eacute;voiement des principes r&eacute;publicains et d&eacute;mocratiques. L&rsquo;enqu&ecirc;te du roman</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt"> engag&eacute; est donc aussi politique qu&rsquo;historique. Elle ne se contente pas de restituer une certaine intelligibilit&eacute; de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement&nbsp;: elle &eacute;tablit les responsabilit&eacute;s et dresse la liste des coupables. Permettant l&rsquo;observation de m&eacute;canismes sociaux et politiques </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">tout pr&ecirc;ts &agrave; se red&eacute;ployer &ndash;&nbsp;typiquement capitalistes selon Aragon, typiquement allemands selon D&ouml;blin&nbsp;&ndash;, la plong&eacute;e dans l&rsquo;histoire r&eacute;cente n&rsquo;est donc pas un d&eacute;tour&nbsp;: elle est accusation permanente.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.05pt">En &eacute;largissant le cadre chronologique et en r&eacute;inscrivant le premier conflit mondial dans son contexte (imp&eacute;rialisme et colonialisme figurent en bonne part), le roman engag&eacute; &eacute;largit aussi les termes de l&rsquo;analyse, in&eacute;vitablement historique mais surtout intrins&egrave;quement politique. Loin de constituer l&rsquo;apog&eacute;e de l&rsquo;union nationale, la Premi&egrave;re Guerre mondiale y figure comme un outil de d&eacute;monstration politique et, &agrave; ce titre, de l&rsquo;engagement litt&eacute;raire. Si </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">les m&eacute;canismes d&eacute;voil&eacute;s par le romancier<span style="letter-spacing:.05pt"> fran&ccedil;ais et par le romancier allemand diff&egrave;rent, l&rsquo;enjeu reste constant&nbsp;: il s&rsquo;agit de d&eacute;noncer les coupables, pass&eacute;s et pr&eacute;sents, et non de d&eacute;plorer&nbsp;; de comprendre et non de comm&eacute;morer.</span></span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">&laquo;&nbsp;Faire &eacute;clater le continuum de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo; ou faire surgir les possibles</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align: justify; text-indent: 8.5pt;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">D&egrave;s lors, le roman engag&eacute; des ann&eacute;es 1930 enr&ocirc;le le geste historiographique dans &laquo;&nbsp;la lutte contre le fascisme&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref8"></a><a href="#_ftn8"><sup><span style="color:black">[8]</span></sup></a> appel&eacute;e de ses v&oelig;ux par Walter Benjamin. &laquo;&nbsp;<i>Avec l&rsquo;histoire, on veut quelque chose</i>&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref9"></a><a href="#_ftn9"><sup><span style="color:black">[9]</span></sup></a>, pr&eacute;venait D&ouml;blin. Contestation de la pr&eacute;tention &agrave; l&rsquo;objectivit&eacute;, cette affirmation est aussi revendication de la dimension militante du recours &agrave; l&rsquo;histoire, d&eacute;tach&eacute;e de la description &eacute;v&eacute;nementielle. S&rsquo;il est vrai que &laquo;&nbsp;l&rsquo;histoire </span></span></span><span lang="DE" style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">[&hellip;]</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> se charge de pas mal des id&eacute;es des hommes&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref10"></a><a href="#_ftn10"><sup><span style="color:black">[10]</span></sup></a>, selon les mots d&rsquo;Aragon, le roman historique entend r&eacute;investir ce pouvoir d&rsquo;influence. Outil de compr&eacute;hension et de d&eacute;nonciation, le roman historique est aussi outil de mobilisation.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">En livrant leur propre interpr&eacute;tation de la Premi&egrave;re Guerre mondiale, qui est aussi celle de leur camp politique, Aragon et D&ouml;blin s&rsquo;inscrivent ainsi dans la perspective expos&eacute;e par Walter Benjamin </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">dans son texte &laquo;&nbsp;Sur le concept<i> </i>d&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;<i>&nbsp;</i>: la d&eacute;marche historienne ou historiographique peut, doit, &ecirc;tre un instrument efficace dans la lutte id&eacute;ologique et politique contre le fascisme. Il est frappant de constater, dans cet article r&eacute;dig&eacute; dans les premiers mois de 1940, le lien &eacute;tabli entre l&rsquo;urgence pr&eacute;sente et la n&eacute;cessit&eacute; du souvenir historique&nbsp;: faire de l&rsquo;histoire et s&rsquo;engager dans le temps pr&eacute;sent ne font qu&rsquo;un. L&rsquo;adversaire l&rsquo;a d&rsquo;ailleurs compris, et le premier danger auquel r&eacute;pond la d&eacute;marche historique, c&rsquo;est celui de la confiscation du pass&eacute; &ndash;&nbsp;et de ses morts&nbsp;&ndash; par la classe dominante. C&rsquo;est au moment o&ugrave; retentit la menace de sa r&eacute;duction au rang de justification du pouvoir en place que l&rsquo;entreprise historique prend tout son sens, devient intrins&egrave;quement r&eacute;sistance.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Aussi le roman engag&eacute; des ann&eacute;es 1930 substitue-t-il au discours causal, &eacute;num&eacute;rant dates importantes et grandes actions<a name="_ftnref11"></a><a href="#_ftn11"><sup><span style="color:black">[11]</span></sup></a>, l&rsquo;&eacute;vocation de silhouettes anonymes, surgissant brutalement dans les r&eacute;cits romanesques pour en dispara&icirc;tre aussit&ocirc;t. C&rsquo;est le jeune Badois dont le narrateur aragonien se souvient soudain dans les derni&egrave;res pages des <i>Cloches de B&acirc;le</i>&nbsp;:</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&laquo;&nbsp;[&hellip;] C&rsquo;&eacute;tait un Badois, ce gosse de la classe 19. [&hellip;] quand ce gar&ccedil;on de dix-neuf ans, perdu, aveugl&eacute;, arriva sur nous qui &eacute;tions &agrave; l&rsquo;abri du talus de la route, les mains lanc&eacute;es en avant, je vis qu&rsquo;il avait quelque chose d&rsquo;anormal au visage. Un instant il h&eacute;sita, puis comme quelqu&rsquo;un qui a tr&egrave;s mal &agrave; la t&ecirc;te, il porta sa paume gauche &agrave; son visage et le serra un peu dans ses doigts. Quand sa main redescendit, elle tenait une chose sanglante, innommable&nbsp;: son nez. Ce qu&rsquo;il &eacute;tait advenu de sa figure, pensez-y un peu longuement&hellip;&nbsp;&raquo; (<i>LCB </i>998)</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Anonyme, celui que la propagande avait d&eacute;fini comme l&rsquo;ennemi devient un simple soldat&nbsp;: plus d&rsquo;alli&eacute; ou d&rsquo;ennemi, mais un corps en d&eacute;composition&nbsp;; point d&rsquo;h&eacute;ro&iuml;sme, mais les indescriptibles ravages de la guerre. Par instant, le roman engag&eacute; rend visibles ces anonymes que les grands hommes au pouvoir mis en sc&egrave;ne pr&eacute;f&egrave;rent souvent ne pas voir. Ce souci de rendre chair aux anonymes de l&rsquo;histoire, de les arracher au statut d&rsquo;abstractions auquel les avaient confin&eacute;s les puissants et l&rsquo;histoire officielle telle que ceux-ci l&#39;&eacute;crivent anime aussi D&ouml;blin. &Agrave; nouveau, c&rsquo;est dans l&rsquo;&eacute;vocation de la Premi&egrave;re Guerre mondiale&nbsp;que cette pr&eacute;occupation prend corps, dans le refus de circonscrire son r&eacute;cit &agrave; l&rsquo;&eacute;grenage de batailles et de g&eacute;n&eacute;raux. Entre les chapitres &laquo;&nbsp;&Eacute;crasante d&eacute;faite&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;&Agrave; terre&nbsp;&raquo; de <i>Bourgeois et soldats</i> alternent le r&eacute;cit historique tel qu&rsquo;il pourrait figurer dans un mauvais manuel (expos&eacute; de la strat&eacute;gie militaire du g&eacute;n&eacute;ral Ludendorff et de la contre-offensive, &eacute;num&eacute;ration des divisions et des villes &agrave; d&eacute;fendre ou &agrave; conqu&eacute;rir), et un r&eacute;cit qui, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque, n&rsquo;a trouv&eacute; sa place que dans le roman&nbsp;: celui qui s&rsquo;attache aux civils, aux flots de r&eacute;fugi&eacute;s dont la vie est an&eacute;antie par les protagonistes du chapitre pr&eacute;c&eacute;dent&nbsp;:</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;Comment cependant rivaliser de vitesse avec les balles, les bombes et les grenades&nbsp;? Comment &eacute;viter d&rsquo;&ecirc;tre pris et broy&eacute; entre les deux fronts&nbsp;? On s&rsquo;enfuit &agrave; pied, en charrette, les enfants aux bras, les lits sur le dos, pour tomber au milieu des nouvelles lignes allemandes.&nbsp;&raquo; (<i>B&amp;S </i>220)</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Reconfigurer le partage du &laquo;&nbsp;sensible&nbsp;&raquo; historique, pour reprendre l&rsquo;expression de Jacques Ranci&egrave;re, c&rsquo;est &agrave; la fois se choisir les bons h&eacute;ros et inscrire dans la m&eacute;moire romanesque le sort d&rsquo;anonymes vou&eacute;s &agrave; l&rsquo;oubli&nbsp;: D&ouml;blin et Aragon &eacute;laborent dans leurs romans une &laquo;&nbsp;histoire justici&egrave;re&nbsp;&raquo;, maraudant dans ce qui constituait encore dans les ann&eacute;es 1930 les marges et les silences de la grande Histoire<a name="_ftnref12"></a><a href="#_ftn12"><sup><span style="color:black">[12]</span></sup></a>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Le roman historique entretient donc un lien particulier avec l&rsquo;engagement, d&egrave;s lors qu&rsquo;il partage une conception agissante du recours &agrave; l&rsquo;histoire et entend participer &agrave; la mobilisation du pass&eacute; dans le combat pr&eacute;sent. L&rsquo;objet historique n&rsquo;est pas coup&eacute; du moment depuis lequel il est envisag&eacute;. Le d&eacute;tour par le pass&eacute; permet de d&eacute;montrer &agrave; la fois la permanence de certains (dys)fonctionnements et la possibilit&eacute; de la lutte.</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> C&rsquo;est l&rsquo;objet qu&rsquo;assigne D&ouml;blin au roman historique de l&rsquo;exil&nbsp;:</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;Le combat infatigable de tous, surtout des pauvres et des domin&eacute;s, pour obtenir la libert&eacute;, la paix, une v&eacute;ritable soci&eacute;t&eacute;, &agrave; l&rsquo;unisson avec la nature, donne assez d&rsquo;exemples de vaillance, de force et d&rsquo;h&eacute;ro&iuml;sme.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref13"></a><a href="#_ftn13"><sup><span style="color:black">[13]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&Agrave; d&eacute;faut d&rsquo;un ancrage dans l&rsquo;espace, dont l&rsquo;exil&eacute; est par d&eacute;finition priv&eacute;, le roman historique offre un ancrage dans le temps plus ou moins long des luttes collectives. Le combat pr&eacute;sent est ainsi dot&eacute; d&rsquo;une profondeur et d&rsquo;une ampleur invisibles au premier abord&nbsp;: la solidarit&eacute; de ceux qui luttent est non seulement internationale, mais elle est aussi &laquo;&nbsp;intertemporelle&nbsp;&raquo;, tissant des liens qui ne sont pas circonscrits au pr&eacute;sent. Du m&ecirc;me coup, les lutteurs d&rsquo;aujourd&rsquo;hui sont moins seuls qu&rsquo;ils ne le redoutent&nbsp;: leurs rangs sont gonfl&eacute;s de tous ceux qui ont lutt&eacute; hier. &Agrave; l&rsquo;histoire donc de convaincre &ndash; et en premier lieu de la possibilit&eacute; de la lutte. Elle se r&eacute;v&egrave;le plus riche de mod&egrave;les que ne sauraient l&rsquo;&ecirc;tre les fictions romanesques&nbsp;: Jaur&egrave;s, Clara Zetkin <i>(Le Monde r&eacute;el),</i> Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg <i>(Novembre&nbsp;1918)</i> y surgissent comme autant de phares dont la lumi&egrave;re &ndash;&nbsp;celle de leur courage mais aussi de leurs analyses et de leurs engagements&nbsp;&ndash; continue de briller.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;histoire collective telle qu&rsquo;elle est d&eacute;clin&eacute;e par <i>Le Monde r&eacute;el</i> et <i>Novembre 1918 </i>ne se r&eacute;sume pourtant pas &agrave; un r&eacute;servoir d&rsquo;exemples &agrave; suivre ou d&rsquo;enseignements transhistoriques&nbsp;: en s&rsquo;emparant du pass&eacute; national r&eacute;cent, les deux cycles mettent en &eacute;vidence la n&eacute;cessit&eacute; de continuer une lutte qu&rsquo;aucun pr&eacute;tendu &laquo;&nbsp;progr&egrave;s&nbsp;&raquo; ne saurait &eacute;teindre. C&rsquo;est &agrave; cette condition que ces romans peuvent &ecirc;tre qualifi&eacute;s &agrave; la fois d&rsquo;historiques et d&rsquo;engag&eacute;s. Destin&eacute;s &agrave; comprendre &laquo;&nbsp;comment en est-on arriv&eacute; l&agrave;&nbsp;&raquo;, les cycles envisag&eacute;s fr&ocirc;lent en effet &agrave; chaque instant la tentation du d&eacute;terminisme&nbsp;: exposant m&eacute;canismes et engrenages, &eacute;laborant des relations de causalit&eacute; entre tel &eacute;tat de fait (d&eacute;voiement des principes d&eacute;mocratiques, supr&eacute;matie du syst&egrave;me capitaliste) et tel &eacute;v&eacute;nement (le d&eacute;clenchement de guerres mondiales, la confiscation d&rsquo;un mouvement r&eacute;volutionnaire), les fresques semblent d&eacute;montrer le caract&egrave;re in&eacute;vitable de ce qu&rsquo;ils d&eacute;crivent et annoncent. Explorant les ressorts de &laquo;&nbsp;la machine infernale&nbsp;&raquo; (Aragon), elles en d&eacute;crivent aussi la puissance redoutable. L&rsquo;engagement ne fait gu&egrave;re bon m&eacute;nage avec le fatalisme &ndash; que celui-ci soit d&rsquo;un joyeux optimisme ou d&rsquo;un accablant pessimisme&nbsp;: il requiert la conviction qu&rsquo;il est possible d&rsquo;influencer l&rsquo;histoire, dans un sens contraire &agrave; celui qui est d&eacute;cid&eacute; par les pouvoirs en place&nbsp;; le roman historique engag&eacute; requiert, quant &agrave; lui, la conviction qu&rsquo;une autre histoire &eacute;tait possible.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Aussi, en m&ecirc;me temps qu&rsquo;ils d&eacute;voilent les impitoyables m&eacute;canismes de la catastrophe, Aragon et D&ouml;blin m&eacute;nagent-ils la possibilit&eacute; d&rsquo;un espoir, plus ou moins t&eacute;nu selon les cycles romanesques, maintenant l&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;une action efficace&nbsp;: &laquo;&nbsp;[&hellip;] dans cette &eacute;poque de fatalisme, nous avons &agrave; r&eacute;v&eacute;ler au lecteur, en chaque cas concret, sa puissance de faire et de d&eacute;faire, bref, d&rsquo;agir&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref14"></a><a href="#_ftn14"><sup><span style="color:black">[14]</span></sup></a>, &eacute;crira Sartre quelques ann&eacute;es plus tard. La marge est mince&nbsp;: les d&eacute;monstrations romanesques font si bien la preuve de la force infiniment sup&eacute;rieure des pouvoirs dominants, qu&rsquo;elles n&rsquo;accablent pas seulement ceux qu&rsquo;elles accusent, mais aussi ceux qu&rsquo;elles devraient encourager. Pourtant, la marge existe. D&rsquo;abord, les romans &laquo;&nbsp;d&eacute;sacralisent&nbsp;&raquo; la machine infernale en lui donnant un visage, ou plut&ocirc;t des visages, tout &agrave; fait humain&nbsp;: la fatalit&eacute; qui semble s&rsquo;abattre sur le temps des intrigues n&rsquo;est pas une force aveugle, divine et arbitraire&nbsp;; elle r&eacute;sulte de d&eacute;cisions tout humaines, de volont&eacute;s individuelles. Le combat peut d&egrave;s lors ne pas &ecirc;tre tout &agrave; fait in&eacute;gal&nbsp;: les puissances sup&eacute;rieures ne le sont pas par nature, elles peuvent donc &ecirc;tre renvers&eacute;es. En t&eacute;moigne la personnalisation accomplie par les romans, qui font de certains personnages l&rsquo;incarnation en m&ecirc;me temps que la quintessence des m&eacute;canismes d&eacute;crits et d&eacute;cri&eacute;s&nbsp;: Ebert dans <i>Novembre&nbsp;1918 </i>et le cercle qui gravite autour de Quesnel dans <i>Le Monde r&eacute;el</i> sont d&eacute;sign&eacute;s comme les responsables des situations envisag&eacute;es, et donc comme des individus &agrave; abattre. Les cycles romanesques ne sont pas des appels au meurtre, mais ils sont appels au combat, rendu au champ des possibles. Aussi l&rsquo;annonce du pire n&rsquo;&eacute;clipse-t-elle pas la possibilit&eacute; d&rsquo;un autre avenir&nbsp;: c&rsquo;est &laquo;&nbsp;la femme de demain&nbsp;&raquo; (<i>LCB </i>1001), c&eacute;l&eacute;br&eacute;e alors que r&eacute;sonne le tocsin de B&acirc;le.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Plus encore&nbsp;: non seulement les catastrophes et les d&eacute;faites ne viennent &agrave; bout ni des r&eacute;sistances ni des espoirs, mais elles n&rsquo;&eacute;taient pas in&eacute;vitables. Si les aboutissements historiques des intrigues romanesques illustrent la puissance du m&eacute;canisme de la domination, ils n&rsquo;effacent pas tout &agrave; fait les possibles de l&rsquo;histoire, &agrave; l&rsquo;image de la conclusion d&eacute;finie par Paul Ric&oelig;ur dans <i>Temps et r&eacute;cit&nbsp;</i>:</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;Suivre une histoire, c&rsquo;est avancer au milieu de contingences et de p&eacute;rip&eacute;ties sous la conduite d&rsquo;une attente qui trouve son accomplissement dans la <i>conclusion</i>. Cette conclusion n&rsquo;est pas logiquement impliqu&eacute;e par quelques pr&eacute;misses ant&eacute;rieures. Elle donne &agrave; l&rsquo;histoire un &quot;point final&quot;, lequel, &agrave; son tour, fournit le point de vue d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;histoire peut &ecirc;tre aper&ccedil;ue comme formant un tout. Comprendre l&rsquo;histoire, c&rsquo;est comprendre comment et pourquoi les &eacute;pisodes successifs ont conduit &agrave; cette conclusion, laquelle, loin d&rsquo;&ecirc;tre pr&eacute;visible, doit &ecirc;tre finalement acceptable, comme congruente avec les &eacute;pisodes rassembl&eacute;s.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref15"></a><a href="#_ftn15"><sup><span style="color:black">[15]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Les romanciers font comprendre &laquo;&nbsp;comment et pourquoi les &eacute;pisodes successifs ont conduit &agrave; cette conclusion&nbsp;&raquo;&nbsp;; mais ils n&rsquo;oublient pas qu&rsquo;une autre &laquo;&nbsp;conclusion&nbsp;&raquo; aurait pu s&rsquo;imposer&nbsp;: la coh&eacute;rence de la d&eacute;monstration n&rsquo;exclut pas l&rsquo;&eacute;vocation d&rsquo;autres possibles. Le roman historique engag&eacute; se permet d&rsquo;envisager ce qui aurait pu se passer, infiniment plus libre et plus lib&eacute;rateur en cela que le discours historique &ndash; tel, du moins, que le con&ccedil;oivent nos romanciers pour mieux s&rsquo;opposer &agrave; lui. Savourant la libert&eacute; que leur accorde le &laquo;&nbsp;mentir-</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">vrai&nbsp;&raquo; romanesque, Aragon et D&ouml;blin utilisent la marge inh&eacute;rente &agrave; l&rsquo;&eacute;criture fictionnelle, affranchie des obligations m&eacute;thodologiques de la science historique, pour &laquo;&nbsp;faire &eacute;clater le continuum de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref16"></a><a href="#_ftn16"><sup><span style="color:black">[16]</span></sup></a>, selon les mots de Benjamin, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">et rappeler la possibilit&eacute; d&rsquo;une histoire alternative.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Novembre&nbsp;1918 </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">et le premier <i>Monde r&eacute;el </i>replongent ainsi dans ce que l&rsquo;historien allemand Reinahrt Koselleck nomme &laquo;&nbsp;le futur pass&eacute;&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref17"></a><a href="#_ftn17"><sup><span style="color:black">[17]</span></sup></a> ou &laquo;&nbsp;horizon d&rsquo;attente&nbsp;&raquo; et que d&eacute;crit ainsi Antoine Prost&nbsp;:</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;L&rsquo;horizon d&rsquo;attente est la pr&eacute;sence pour eux [les hommes du pass&eacute;], du futur&nbsp;: un horizon qui ne se d&eacute;couvre jamais dans son ensemble, comme l&rsquo;historien peut aujourd&rsquo;hui le voir, mais qui se laisse concr&egrave;tement appr&eacute;hender par &eacute;l&eacute;ments successifs&nbsp;: les hommes du pass&eacute; devront attendre pour le d&eacute;couvrir. Ce futur pass&eacute; est fait d&rsquo;anticipations, d&rsquo;alternatives possibles, d&rsquo;espoirs et de craintes.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref18"></a><a href="#_ftn18"><sup><span style="color:black">[18]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Le tour pris par le cours de l&rsquo;histoire n&rsquo;&eacute;tait qu&rsquo;une option, puissante et coh&eacute;rente certes, mais une option parmi d&rsquo;autres seulement&nbsp;: l&rsquo;aboutissement est logique, il n&rsquo;&eacute;tait pas in&eacute;vitable. M&ecirc;lant &agrave; leur connaissance de l&rsquo;avenir historique la m&eacute;connaissance qui est celle des personnages, Aragon et D&ouml;blin repr&eacute;sentent l&#39;histoire telle qu&#39;elle s&#39;est d&eacute;roul&eacute;e tout en &eacute;voquant la fa&ccedil;on dont elle aurait pu &ndash;&nbsp;et aurait d&ucirc;&nbsp;&ndash; se d&eacute;rouler&nbsp;: si les voix de Jaur&egrave;s, de Liebknecht, de Clara Zetkin et de Rosa Luxemburg avaient &eacute;t&eacute; entendues, un autre d&eacute;nouement serait advenu &ndash;&nbsp;infiniment pr&eacute;f&eacute;rable &agrave; la catastrophe qui s&rsquo;est impos&eacute;e.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">En faisant r&eacute;sonner ces voix, les romans esquissent une sorte de &laquo;&nbsp;what if history&nbsp;&raquo;, une discr&egrave;te histoire contrefactuelle, qu&rsquo;il revient au lecteur d&rsquo;imaginer en se faisant &laquo;&nbsp;le d&eacute;tecteur des <i>possibles enfouis dans le pass&eacute; effectif</i>&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref19"></a><a href="#_ftn19"><sup><span style="color:black">[19]</span></sup></a> &eacute;voqu&eacute; par Paul Ric&oelig;ur&nbsp;: arrach&eacute;s &agrave; l&rsquo;oubli, ces possibles non accomplis peuvent inspirer l&rsquo;avenir. Or, en ouvrant l&rsquo;espace du possible, le roman historique ouvre celui de l&rsquo;engagement. Le d&eacute;tour par l&rsquo;histoire nationale r&eacute;cente et le gouffre de la Premi&egrave;re Guerre mondiale n&rsquo;est donc pas seulement appel &agrave; la transposition&nbsp;: il est aussi appel &agrave; l&rsquo;imagination &ndash;&nbsp;politique&nbsp;&ndash; du lecteur. L&rsquo;auteur de <i>Temps et r&eacute;cit</i> fait du pass&eacute; une promesse de l&rsquo;avenir&nbsp;:</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;Il faut lutter contre la tendance &agrave; ne consid&eacute;rer le pass&eacute; que sous l&rsquo;angle de l&rsquo;achev&eacute;, de l&rsquo;inchangeable, du r&eacute;volu. Il faut rouvrir le pass&eacute;, raviver en lui des potentialit&eacute;s inaccomplies, emp&ecirc;ch&eacute;es, voire massacr&eacute;es. Bref, &agrave; l&rsquo;encontre de l&rsquo;adage qui veut que l&rsquo;avenir soit &agrave; tous &eacute;gards ouvert et contingent, et le pass&eacute; univoquement clos et n&eacute;cessaire, il faut rendre nos attentes plus d&eacute;termin&eacute;es et notre exp&eacute;rience plus ind&eacute;termin&eacute;e.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref20"></a><a href="#_ftn20"><sup><span style="color:black">[20]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Cette obligation de &laquo;&nbsp;rouvrir&nbsp;le pass&eacute;&nbsp;&raquo;, d&rsquo;en rappeler la multiplicit&eacute; des acteurs et des r&ecirc;ves, le roman historique engag&eacute; des ann&eacute;es 1930 la remplit, transfigurant le pass&eacute; national en champ des possibles alors m&ecirc;me qu&rsquo;il le d&eacute;crit comme un champ de ruines&nbsp;: &agrave; n&rsquo;en pas douter un enseignement v&eacute;ritablement transhistorique.</span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.05pt">L&rsquo;expression de l&rsquo;historien allemand Hermann Heimpel a &eacute;t&eacute; analys&eacute;e par Henri Rousso dans son dernier ouvrage, <i>La Derni&egrave;re Catastrophe. L&rsquo;histoire, le pr&eacute;sent, le contemporain, </i>Paris, Gallimard,&nbsp;&laquo;&nbsp;Nrf essais&nbsp;&raquo;, 2012.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Walter Benjamin, &laquo; Sur le concept d&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;, <i>&Eacute;crits fran&ccedil;ais, </i>Paris, Gallimard, &laquo; Folio essais &raquo;, 1991, p. 436.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Avenir d&eacute;j&agrave; r&eacute;alis&eacute; quand D&ouml;blin &eacute;crit les derniers volumes de sa t&eacute;tralogie, &agrave; nouveau contraint &agrave; l&rsquo;exil apr&egrave;s son installation en France suite au d&eacute;clenchement de la Seconde Guerre mondiale.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn4"></a><a href="#_ftnref4"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Georg Lukacs, <i>Le Roman historique</i>, traduit de l&rsquo;allemand par Robert Sailley, Paris, Payot et Rivages, 2000 [1937], p. 56.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn5"></a><a href="#_ftnref5"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[5]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.05pt">Aragon souligne lui-m&ecirc;me l&rsquo;importance capitale de la guerre dans l&rsquo;&eacute;conomie du <i>Monde r&eacute;el, </i>&agrave; la fois point d&rsquo;orgue et point de d&eacute;part de l&rsquo;entreprise romanesque&nbsp;: &laquo;&nbsp;Tous les romans du <i>Monde r&eacute;el</i> ont pour perspective ou pour fin l&rsquo;apocalypse moderne, la guerre. La guerre y semble, dans le monde moderne, remplacer comme apoth&eacute;ose le mariage et la multiplicit&eacute; des enfants &agrave; na&icirc;tre.&nbsp;&raquo; La bascule dans &laquo;&nbsp;l&rsquo;apocalypse&nbsp;&raquo; parach&egrave;ve la figure de la boucle&nbsp;: &laquo;&nbsp;le roman se termine, est termin&eacute; je veux dire, pr&eacute;cis&eacute;ment lorsque <i>son commencement se trouve &ecirc;tre une fin</i>&nbsp;&raquo; (Aragon, <i>Je n&rsquo;ai jamais appris &agrave; &eacute;crire</i></span> <i><span style="letter-spacing:-.05pt">ou les Incipit,</span></i><span style="letter-spacing:-.05pt"> Paris, Flammarion, &laquo;&nbsp;Champs&nbsp;&raquo;, 1969, pp. 66-91).</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn6"></a><a href="#_ftnref6"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[6]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Luc Boltanski, <i>&Eacute;nigmes et complots. Une enqu&ecirc;te &agrave; propos d&rsquo;enqu&ecirc;tes, </i>Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Nrf essais&nbsp;&raquo;, 2012, p. 158.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn7"></a><a href="#_ftnref7"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[7]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Luc <span style="font-variant:small-caps">B</span>oltanski, <i>&Eacute;nigmes et complots&hellip;, op. cit., </i>p. 167.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn8"></a><a href="#_ftnref8"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[8]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Walter Benjamin, &laquo;&nbsp;Sur le concept d&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;, <i>art. cit., </i>p. 430.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn9"></a><a href="#_ftnref9"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[9]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> D&ouml;blin, &laquo;&nbsp;Le roman historique et nous&nbsp;&raquo;, <i>Aufs&auml;tze zur Literatur, </i>Fribourg, Olten, 1963, p. 173. Je traduis.&nbsp;</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn10"></a><a href="#_ftnref10"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[10]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.05pt">Aragon, &laquo;&nbsp;Le roman terrible&nbsp;&raquo;, <i>Europe, </i>n&deg; 192, d&eacute;cembre 1938, cit&eacute; dans la biographie de Pierre Daix, <i>Aragon, </i>Paris, Tallandier, 2005, p. 373.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn11"></a><a href="#_ftnref11"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[11]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> C&rsquo;est ainsi que nos romanciers ont tendance &agrave; caricaturer le discours historien, pour mieux s&rsquo;en distinguer&nbsp;: il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;une strat&eacute;gie, d&rsquo;une vision elle-m&ecirc;me engag&eacute;e de l&rsquo;entreprise historiographique, et non d&rsquo;une description objective de cette derni&egrave;re.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn12"></a><a href="#_ftnref12"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[12]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Il va sans dire que la d&eacute;marche historienne d&rsquo;aujourd&rsquo;hui n&rsquo;a rien de commun avec cette vision r&eacute;duite et r&eacute;ductrice qu&rsquo;en donnent, dans les ann&eacute;es 1930, Aragon et D&ouml;blin.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn13"></a><a href="#_ftnref13"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[13]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="font-variant:small-caps">D</span>&ouml;blin<span style="font-variant:small-caps">, </span>&laquo;&nbsp;Le roman historique et nous&nbsp;&raquo;, <i>art. cit.,</i> p. 186. Je traduis.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn14"></a><a href="#_ftnref14"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[14]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Jean-Paul Sartre<span style="font-variant:small-caps">, </span><i>Qu&rsquo;est-ce que la litt&eacute;rature&nbsp;?</i>,&nbsp;Paris, Gallimard, &laquo;&nbsp;Folio essais&nbsp;&raquo;, 1985 [1947], p. 288.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn15"></a><a href="#_ftnref15"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[15]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> &nbsp;&nbsp; <span style="letter-spacing:-.15pt">Paul Ric&oelig;ur, <i>Temps et r&eacute;cit, t. 1. L&rsquo;intrigue et le r&eacute;cit historique</i>,</span><i> </i><span style="letter-spacing:-.15pt">Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;Points essais&nbsp;&raquo;, 1991 [1983], p.&nbsp;130.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn16"></a><a href="#_ftnref16"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[16]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Walter Benjamin, &laquo;&nbsp;Sur le concept d&rsquo;histoire &raquo;, <i>art. cit</i>.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn17"></a><a href="#_ftnref17"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[17]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> C&rsquo;est le titre d&rsquo;un de ses ouvrages&nbsp;: Reinahrt Koselleck, <i>Le Futur pass&eacute;. Contribution &agrave; la s&eacute;mantique des temps historiques, </i>traduit de l&rsquo;allemand par Jochen et Marie-Claire Hoock<span style="font-variant:small-caps">,</span> Paris, &Eacute;ditions de l&rsquo;EHESS, 1990.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn18"></a><a href="#_ftnref18"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[18]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Antoine Prost<span style="font-variant:small-caps">,</span> <i>Douze Le&ccedil;ons sur l&rsquo;histoire,</i> Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;Points histoire&nbsp;&raquo;, 1996, p. 181.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn19"></a><a href="#_ftnref19"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[19]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.05pt">Paul Ric&oelig;ur, <i>Temps et r&eacute;cit, t. 3. Le temps racont&eacute;, </i>Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;Points essais&nbsp;&raquo;, 1985, p. 347.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn20"></a><a href="#_ftnref20"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[20]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <i><span style="letter-spacing:-.05pt">Ibid., </span></i><span style="letter-spacing:-.05pt">p. 390.</span></span></span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p>