<p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">En France, les d&eacute;bats qui portent sur les rapports entre la th&eacute;orie d&eacute;coloniale et les arts rel&egrave;vent plus souvent de la controverse et de l&rsquo;invective que de la r&eacute;flexion th&eacute;orique. Comme le souligne l&rsquo;historienne de l&rsquo;art Anne Lafont, bien que nous vivions dans un monde souvent travaill&eacute; par une &laquo;&nbsp;lutte [&hellip;] concr&egrave;te pour la survie individuelle mais aussi sociale et politique, comme pour l&rsquo;acc&egrave;s aux ressources naturelles et encore au partage des richesses&nbsp;&raquo;, dans les soci&eacute;t&eacute;s europ&eacute;ennes, &laquo;&nbsp;ce sont les domaines du symbolique qui crispent et aimantent les d&eacute;finitions identitaires de tous bords<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[1]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Dans le champ particulier des arts de la sc&egrave;ne, la dramaturge Marine Bachelot Nguyen fait ainsi le diagnostic d&rsquo;un espace public fran&ccedil;ais dans lequel &laquo;&nbsp;beaucoup de d&eacute;bats complexes et n&eacute;cessaires ne peuvent avoir lieu, tout questionnement sur l&rsquo;&oelig;uvre ou le geste de l&rsquo;artiste entant imm&eacute;diatement assimilé à un acte de censure. Où par un curieux retournement, les r&eacute;ticents s&rsquo;affichent en r&eacute;sistants, et brandissent h&eacute;ro&iuml;quement le drapeau de la d&eacute;mocratie, de la d&eacute;fense de l&rsquo;art, de la libert&eacute; d&rsquo;expression<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[2]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Le surinvestissement politique des questions de la repr&eacute;sentation, de la culture et de la cr&eacute;ation, du fait de l&rsquo;urgence qu&rsquo;elles rev&ecirc;tent pour les parties prenantes, n&rsquo;autorise que rarement le questionnement ou l&rsquo;explicitation des termes m&ecirc;me du d&eacute;bat. Satur&eacute;e d&rsquo;affects aussi puissants que contradictoires dans l&rsquo;espace public francophone, submerg&eacute;e par la pol&eacute;mique, la notion de &laquo;&nbsp;d&eacute;colonial&nbsp;&raquo; semble avoir &eacute;t&eacute; d&eacute;connect&eacute;e de ses origines, qui s&rsquo;enracinent dans un courant de la th&eacute;orie critique n&eacute; en Am&eacute;rique Latine au tournant du si&egrave;cle. Faisant le diagnostic d&rsquo;un inach&egrave;vement des grands mouvements anticoloniaux du pass&eacute;, le groupe &laquo;&nbsp;Modernit&eacute;/Colonialit&eacute;/D&eacute;colonialit&eacute;&nbsp;&raquo; (MCD) na&icirc;t en 1998 et rassemble des chercheurs issus de diverses disciplines des sciences humaines et sociales, r&eacute;unis par l&rsquo;ambition de fonder un nouveau paradigme intellectuel pour penser les injustices propres au monde d&rsquo;apr&egrave;s la Guerre Froide. En s&rsquo;inspirant d&rsquo;une part de l&rsquo;h&eacute;ritage du mouvement des non-align&eacute;s fond&eacute; &agrave; la Conf&eacute;rence de Bandung en 1955, et de l&rsquo;ambition interdisciplinaire et critique de l&rsquo;&Eacute;cole de Francfort<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[3]</span></span></span></span></a> de l&rsquo;autre, la pens&eacute;e d&eacute;coloniale vise &agrave; d&eacute;velopper une perspective encr&eacute;e dans les int&eacute;r&ecirc;ts du Tiers Monde et des minorit&eacute;s ethniques du Nord global. &laquo;&nbsp;Aujourd&rsquo;hui, la pens&eacute;e d&eacute;coloniale engage l&rsquo;&eacute;galit&eacute; mondiale et la justice &eacute;conomique, mais affirme que la d&eacute;mocratie occidentale et le socialisme ne sont pas les seuls mod&egrave;les qui puissent orienter notre pens&eacute;e et nos actes. Les arguments d&eacute;coloniaux proposent le communautaire comme alternative au capitalisme et au communisme<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[4]</span></span></span></span></a>.&nbsp;&raquo; Il s&rsquo;agit, apr&egrave;s les ind&eacute;pendances formelles de l&rsquo;Afrique et de l&rsquo;Asie, de remettre en cause la permanence d&rsquo;une d&eacute;pendance et d&rsquo;&eacute;changes in&eacute;gaux entre le Nord et le Sud global&nbsp;; non seulement sur le plan &eacute;conomique et diplomatique, mais &eacute;galement aux niveaux &eacute;pist&eacute;mologique et symbolique. Les pens&eacute;es, les visions du monde et les expressions artistiques europ&eacute;ennes et nord-am&eacute;ricaines apparaissent comme h&eacute;g&eacute;moniques &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle du globe, allouant peu de place &agrave; la majorit&eacute; de l&rsquo;humanit&eacute;. C&rsquo;est ce ph&eacute;nom&egrave;ne de prolongement du colonial par d&rsquo;autres moyens que les th&eacute;oriciens du groupe MCD, d&rsquo;apr&egrave;s le sociologue p&eacute;ruvien An&iacute;bal Quijano, ont nomm&eacute; &laquo;&nbsp;colonialit&eacute;&nbsp;&raquo;.</span></span> </span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">&Agrave; partir de ce m&ecirc;me fondement th&eacute;orique, les diff&eacute;rents penseurs li&eacute;s au groupe MCD ou inspir&eacute;s par ses r&eacute;flexions ont d&eacute;ploy&eacute; des travaux caract&eacute;ris&eacute;s par des accents divers, chacun pla&ccedil;ant au c&oelig;ur de la discussion des th&egrave;mes singuliers et &eacute;laborant un appareil conceptuel propre, souvent idiosyncrasique. C&rsquo;est ainsi, par exemple, que le philosophe portoricain Nelson Maldonado-Torres analyse le lien entre modernit&eacute; et colonialit&eacute; comme une normalisation de l&rsquo;&eacute;tat de guerre. L&rsquo;anthropologue colombien Arturo Escobar se concentre pour sa part sur la dimension &eacute;cologique de la colonialit&eacute;<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[5]</span></span></span></span></a>. Dans la version du th&eacute;oricien argentin Walter Mignolo, figure principale du dialogue entre esth&eacute;tique et pens&eacute;e d&eacute;coloniale, la notion centrale est celle de <i>d&eacute;prise</i> (<i>deliking</i>). Il s&rsquo;agirait de se d&eacute;faire de l&rsquo;&eacute;vidence de la pens&eacute;e rationaliste issue de l&rsquo;h&eacute;ritage europ&eacute;en, pour rendre possible d&rsquo;autres formes de r&eacute;flexion&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;h&eacute;ritage le plus durable de la Conf&eacute;rence de Bandung est la &ldquo;d&eacute;prise&rdquo; d&rsquo;avec le capitalisme et le communisme i.e. d&rsquo;avec la th&eacute;orie politique des Lumi&egrave;res (lib&eacute;ralisme, r&eacute;publicanisme &ndash; Locke, Montesquieu) et de l&rsquo;&eacute;conomie politique (Smith) ainsi que de son adversaire, le socialisme-communisme. Une fois cette d&eacute;prise effectu&eacute;e, il faut se tourner vers les modes de vie et de pens&eacute;e disqualifi&eacute;s depuis la Renaissance par la th&eacute;ologie chr&eacute;tienne, laquelle poursuit son expansion &agrave; travers la philosophie s&eacute;culi&egrave;re et la philosophie des sciences, car il n&rsquo;y a pas d&rsquo;issue dans la modernit&eacute; (Gr&egrave;ce, Rome, la Renaissance, les Lumi&egrave;res). S&rsquo;y engager c&rsquo;est sombrer dans l&rsquo;illusion qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas d&rsquo;autre mani&egrave;re de penser, de faire, ou de vivre<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[6]</span></span></span></span></a>.&nbsp;&raquo; La critique des Lumi&egrave;res, on le voit, fait partie int&eacute;grante de la critique d&eacute;coloniale telle que l&rsquo;articule Mignolo. Or, comme on&nbsp;l&rsquo;a not&eacute; plus haut, cette perspective ne se limite pas aux questions &eacute;conomiques et politiques, mais comprend de plein droit le plan esth&eacute;tique&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;Eurocentrisme n&rsquo;est pas un probl&egrave;me g&eacute;ographique, mais &eacute;pist&eacute;mique et esth&eacute;tique (c&rsquo;est-&agrave;-dire celui du contr&ocirc;le de la connaissance et des subjectivit&eacute;s<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[7]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Cet article se donne pour objectif de d&eacute;finir&nbsp;l&rsquo;une des notions centrales du discours d&eacute;colonial sur l&rsquo;art et l&rsquo;eurocentrisme&nbsp;: celle d&rsquo;<i>aestheSis d&eacute;coloniale</i>. On verra de quel paradigme elle se distingue, et on &eacute;valuera les objectifs qu&rsquo;elle se donne. Pour ce faire, le d&eacute;tour par les philosophes du si&egrave;cle des Lumi&egrave;res sera indispensable. Tout d&rsquo;abord parce que Mignolo lui-m&ecirc;me pr&eacute;sente son projet comme une critique radicale de la philosophie esth&eacute;tique kantienne. Mais aussi parce que, comme on t&acirc;chera de le d&eacute;montrer, malgr&eacute; la d&eacute;prise de toute tradition europ&eacute;enne qu&rsquo;il revendique, son propre projet semble &eacute;trangement voisin de la pens&eacute;e de Rousseau telle qu&rsquo;elle s&rsquo;exprime dans la <i>Lettre &agrave; D&rsquo;Alembert sur les spectacles</i>. Dans un premier temps, cet article reviendra bri&egrave;vement sur la r&eacute;flexion kantienne sur le beau de la <i>Critique de la facult&eacute; de juger</i> et la critique qu&rsquo;en formulent les critiques d&rsquo;art d&eacute;coloniaux. Deuxi&egrave;mement, on rappellera certains arguments de Rousseau visant au d&eacute;passement de l&rsquo;art th&eacute;&acirc;tral, en les pr&eacute;sentant comme la pr&eacute;figuration d&rsquo;une tradition romantique et avant-gardiste dont l&rsquo;aestheSis d&eacute;coloniale, malgr&eacute; ses vell&eacute;it&eacute;s de critique de l&rsquo;art europ&eacute;en, semble toujours tributaire. Enfin, en prenant appui sur les r&eacute;flexions d&rsquo;un penseur des Lumi&egrave;res plus m&eacute;connu, l&rsquo;esclave affranchi Ottobah Cugoano, initiateur de la tradition radicale noire, on t&acirc;chera d&rsquo;esquisser les contours d&rsquo;une pens&eacute;e et d&rsquo;une pratique de l&rsquo;art v&eacute;ritablement d&eacute;coloniales.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">La critique d&eacute;coloniale de l&rsquo;esth&eacute;tique kantienne</span></span></b></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Dans un contexte global d&eacute;crit comme marqu&eacute; par l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie europ&eacute;enne et nord-am&eacute;ricaine, la r&eacute;flexion d&eacute;coloniale sur l&rsquo;art se donne la mission de favoriser d&rsquo;autres formes d&rsquo;&eacute;nonciation, issues d&rsquo;espaces g&eacute;ographiques, intellectuels et affectifs traditionnellement n&eacute;glig&eacute;s par le <i>statu quo</i>. Selon Mignolo, la colonialit&eacute; s&rsquo;exprime dans l&rsquo;art, mais cet &eacute;tat de fait ne s&rsquo;explique pas seulement de fa&ccedil;on synchronique, par les rapports de force entre des espaces de production artistique dont l&rsquo;influence et la l&eacute;gitimit&eacute; sont in&eacute;gales. Il insiste aussi, et surtout, sur une dimension diachronique&nbsp;: la constitution de l&rsquo;esth&eacute;tique en tant que discipline rev&ecirc;t dans son analyse une dimension irr&eacute;ductiblement coloniale. Reprenant une g&eacute;n&eacute;alogie traditionnelle de la constitution de l&rsquo;esth&eacute;tique comme discipline, il en donne une interpr&eacute;tation conforme &agrave; la vision d&eacute;coloniale.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:11.0pt"><span style="line-height:150%">Le mot et le concept d&rsquo;esth&eacute;tique sont entr&eacute;s dans le lexique de la philosophie europ&eacute;enne moderne au dix-huiti&egrave;me si&egrave;cle. Le philosophe allemand Alexandre Gottlieb Baumgarten a publi&eacute; en 1750 un trait&eacute; intitul&eacute; <i>Esth&eacute;tique</i>. Le concept est d&eacute;riv&eacute; du terme grec <i>aesthesis</i> qui d&eacute;signe les sens et les &eacute;motions d&eacute;riv&eacute;es des sens. [&hellip;] Puis vint Emmanuel Kant, qui s&rsquo;empara du terme et &agrave; partir de l&agrave; fonda l&rsquo;Esth&eacute;tique comme une branche de la philosophie. [&hellip;] L&rsquo;esth&eacute;tique philosophique devient la th&eacute;orie du beau et du sublime et la th&eacute;orie du g&eacute;nie artistique.&nbsp;L&rsquo;art (du latin <i>ars</i>), qui signifie simplement la comp&eacute;tence, d&eacute;riv&eacute; de <i>po&iuml;esis</i>, qui veut dire &laquo;&nbsp;faire&nbsp;&raquo; en grec, se voit coupl&eacute; &agrave; l&rsquo;esth&eacute;tique&nbsp;: la comp&eacute;tence du g&eacute;nie pour faire des objets artistiques qui embrassent la beaut&eacute;. Cet h&eacute;ritage s&rsquo;est transmis jusqu&rsquo;au discussions actuelles autour de l&rsquo;esth&eacute;tique postmoderne (Ranci&egrave;re) et de l&rsquo;art altermoderne (Bourriaud).<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:11.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[8]</span></span></span></span></a></span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Marchant lui aussi dans les pas du th&eacute;oricien argentin, le sociologue Rolando Vasquez&nbsp;pr&eacute;cise cette pens&eacute;e&nbsp;: &laquo;&nbsp;Des philosophes comme Kant, comme le dit Mignolo, ont &eacute;t&eacute; cruciaux pour le d&eacute;veloppement du concept d&rsquo;esth&eacute;tique et pour sa transformation en une mani&egrave;re de r&eacute;gler, de normer le beau, le sublime et de fa&ccedil;on plus g&eacute;n&eacute;rale &agrave; mes yeux, en une mani&egrave;re de r&eacute;gler les sens et la perception du monde au travers de cat&eacute;gories de pens&eacute;e et de notions d&rsquo;esth&eacute;tique fortement eurocentriques&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[9]</span></span></span></span></a>. Cette accusation de formalisme prononc&eacute;e contre l&rsquo;esth&eacute;tique de Kant peut surprendre. En effet, l&rsquo;une des caract&eacute;ristiques les plus souvent remarqu&eacute;es de la <i>Critique de la facult&eacute; de juger</i> tient en son refus d&rsquo;une conception traditionaliste du beau, fond&eacute;e par exemple sur les immuables canons de beaut&eacute; de la statuaire grecque, avec ses proportions norm&eacute;es et son esth&eacute;tique convenue. Aux yeux du philosophe allemand, face &agrave; une &oelig;uvre, l&rsquo;on n&rsquo;est pas confront&eacute; &agrave; un outil, &agrave; un objet disposant d&rsquo;une finalit&eacute; d&eacute;termin&eacute;e, mais au contraire &agrave; un objet qui &laquo;&nbsp;doit sembler aussi libre de toute contrainte par des r&egrave;gles arbitraires que s&rsquo;il s&rsquo;agissait d&rsquo;un produit de la simple nature<a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[10]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Ainsi le jugement de go&ucirc;t peut-il exercer son pouvoir librement, loin de l&rsquo;accaparement qui r&eacute;sulte d&rsquo;une confrontation avec les produits des arts m&eacute;caniques, c&rsquo;est-&agrave;-dire de la technique, qui n&rsquo;existent que pour servir &agrave; quelque chose, pour r&eacute;pondre &agrave; une fin.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Certes, des r&egrave;gles sont &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans la production artistique, mais</span></span> <span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Kant d&eacute;place le sens de la l&eacute;gislation en pla&ccedil;ant la r&egrave;gle au niveau, non plus de la production, mais de la r&eacute;ception. L&rsquo;artiste g&eacute;nial n&rsquo;est pas celui qui se conforme &agrave; un cahier des charges avec le maximum de talent ou de <i>maestria</i>. La v&eacute;ritable r&egrave;gle n&rsquo;est plus le faisceau de r&egrave;glementations de l&rsquo;&Eacute;cole, mais les codes, toujours renouvel&eacute;s, que fixe la nature par l&rsquo;interm&eacute;diaire du g&eacute;nie. Celui qui fixe la r&egrave;gle, c&rsquo;est l&rsquo;artiste g&eacute;nial, que les autres artistes auront par la suite le souhait d&rsquo;imiter. Or le g&eacute;nie est un talent qui produit sans &ecirc;tre capable d&rsquo;expliciter les r&egrave;gles d&eacute;termin&eacute;es de cette production. Comme on ne peut trouver de r&egrave;gle d&eacute;termin&eacute;e dans ce qu&rsquo;il produit, ladite production est toujours originale. Les r&egrave;gles de l&rsquo;art, selon Kant, ne sont que celles de la nature, qu&rsquo;il appartient au g&eacute;nie de r&eacute;v&eacute;ler.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Les beaux-arts se d&eacute;finissent, selon Kant, par la propension &agrave; susciter ce qu&rsquo;il nomme des &laquo;&nbsp;Id&eacute;es esth&eacute;tiques&nbsp;&raquo;&nbsp;: des intuitions auxquelles aucun concept n&rsquo;est ad&eacute;quat. </span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">En d&rsquo;autres termes l&rsquo;Id&eacute;e esth&eacute;tique est une &laquo;&nbsp;repr&eacute;sentation de l&rsquo;imagination qui donne beaucoup &agrave; penser, sans qu&rsquo;aucune pens&eacute;e d&eacute;termin&eacute;e, c&rsquo;est-&agrave;-dire de <i>concept</i>, puisse lui &ecirc;tre ad&eacute;quate et que par cons&eacute;quent aucune langue ne peut compl&egrave;tement exprimer et rendre intelligible<a href="#_ftn11" name="_ftnref11" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[11]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. L&rsquo;Id&eacute;e esth&eacute;tique ne peut jamais &ecirc;tre subsum&eacute;e sous quelque concept que ce soit et, partant, &ecirc;tre exprim&eacute;e ad&eacute;quatement par la parole. L&rsquo;Id&eacute;e esth&eacute;tique cause un engendrement perp&eacute;tuel de pens&eacute;es, permis par l&rsquo;impossibilit&eacute; de l&rsquo;explication pleinement rationnelle.</span></span> <span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Kant d&eacute;finit l&rsquo;Id&eacute;e esth&eacute;tique comme une repr&eacute;sentation de l&rsquo;imagination.</span></span> <span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">L&rsquo;imagination est la capacit&eacute; qui n&rsquo;a jamais fini de conna&icirc;tre, car elle se confronte &agrave; ce qui est proprement inconnaissable. L&rsquo;imagination permet de changer le monde, et est en m&ecirc;me temps un r&eacute;v&eacute;lateur de la libert&eacute;.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">La conception kantienne de l&rsquo;art n&rsquo;est pas la plus formelle qui soit. D&egrave;s lors, comment comprendre la critique d&eacute;coloniale qui la d&eacute;peint comme une ambition normative de r&eacute;glage des sens&nbsp;? D&rsquo;une part, comme le souligne Pedro Pablo G&oacute;mez, une approche d&eacute;coloniale entend s&rsquo;ouvrir au point de vue des peuples historiquement tenus pour d&eacute;nu&eacute;s de g&eacute;nie&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;esth&eacute;tique d&eacute;coloniale &eacute;coute les voix et la visibilit&eacute;, les savoir-faire des non-humains class&eacute;s sous le seuil de l&rsquo;humain comme les barbares ou cannibales, d&eacute;pourvus de sensibilit&eacute; de go&ucirc;t, de capacit&eacute; de juger et du g&eacute;nie n&eacute;cessaire pour faire de l&rsquo;art, incapables de produire un art original et modulable<a href="#_ftn12" name="_ftnref12" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[12]</span></span></span></span></a>.&nbsp;&raquo;</span></span> <span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Peut-&ecirc;tre s&rsquo;agirait-il alors de renverser la d&eacute;finition individuelle et &eacute;lective du g&eacute;nie h&eacute;rit&eacute;e de l&rsquo;<i>Aufkl&auml;rung</i> pour rejoindre, suivant C&eacute;saire, une notion plus d&eacute;mocratique d&rsquo;un g&eacute;nie populaire&nbsp;: &laquo;&nbsp;le peuple, nos peuples lib&eacute;r&eacute;s de leurs entraves, nos peuples et leur g&eacute;nie cr&eacute;ateur enfin d&eacute;barrass&eacute; de ce qui le contrarie ou le st&eacute;rilise<a href="#_ftn13" name="_ftnref13" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[13]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. </span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Mais l&rsquo;approche de Mignolo se veut &agrave; la fois plus sp&eacute;culative et plus radicale que cela. Il ne s&rsquo;agit pas simplement d&rsquo;&eacute;tendre le domaine du g&eacute;nie, mais de d&eacute;placer radicalement les fronti&egrave;res de l&rsquo;esth&eacute;tique. &Agrave; ses yeux, le p&eacute;ch&eacute; originel de la structuration moderne et coloniale du sentir r&eacute;side dans &laquo;&nbsp;la s&eacute;paration entre l&rsquo;esth&eacute;tique (une th&eacute;orie philosophique du go&ucirc;t et du g&eacute;nie dans les pratiques occidentales et non-occidentales que les r&eacute;cits occidentaux qualifient d&rsquo;artistiques) et l&rsquo;<i>aesthesis</i> (un terme grec qui se r&eacute;f&egrave;re aux sens)<a href="#_ftn14" name="_ftnref14" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[14]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Mais la question fondamentale qu&rsquo;il soul&egrave;ve est celle de la s&eacute;paration comme telle, c&rsquo;est-&agrave;-dire le grand partage op&eacute;r&eacute; par Kant entre, d&rsquo;une part, les &laquo;&nbsp;beaux-arts&nbsp;&raquo;, comme lieu du g&eacute;nie et de l&rsquo;expression des Id&eacute;es esth&eacute;tiques et, de l&rsquo;autre, les arts de l&rsquo;agr&eacute;able, qui ne visent qu&rsquo;&agrave; produire plaisir et satisfaction.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Aux yeux de Mignolo, la mise &agrave; distance du domaine esth&eacute;tique, sa s&eacute;paration d&rsquo;avec la vie quotidienne et pratique constitue un geste colonial et eurocentrique, en rupture avec les traditions du sentir issues du Sud global. &laquo;&nbsp;L&rsquo;aestheSis d&eacute;coloniale se r&eacute;f&egrave;re &agrave; toute pens&eacute;e ou pratique qui d&eacute;fait un genre particulier d&rsquo;esth&eacute;tique, de sentir&nbsp;: celle du sujet colonis&eacute;. Les artistes d&eacute;coloniaux ne veulent pas cr&eacute;er de beaux objets installations, musiques, multim&eacute;dia, etc. mais cr&eacute;er afin de d&eacute;coloniser les sensibilit&eacute;s, de transformer l&rsquo;esth&eacute;Tique coloniale en aestheSis d&eacute;coloniale. &Agrave; cet &eacute;gard, l&rsquo;esth&eacute;Tique est l&rsquo;image qui se refl&egrave;te dans le miroir de l&rsquo;esth&eacute;tique imp&eacute;riale/coloniale dans la tradition kantienne<a href="#_ftn15" name="_ftnref15" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[15]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. L&rsquo;approche que Mignolo qualifie d&rsquo;aestheSis d&eacute;coloniale s&rsquo;apparente ainsi &agrave; une contre-proposition, &agrave; rebours de ce qu&rsquo;il d&eacute;crit comme l&rsquo;esth&eacute;tique kantienne et coloniale, qui trouve sa finalit&eacute; dans la fabrication d&rsquo;objets d&rsquo;art s&eacute;par&eacute;s, produits dans la solitude du g&eacute;nie, et vou&eacute;s &agrave; nourrir une pratique de consommation esth&eacute;tique sp&eacute;cifique.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Parent&eacute; de l&rsquo;aestheSis d&eacute;coloniale, de la pens&eacute;e de Rousseau et de&nbsp;l&rsquo;avant-gardisme</span></span></b></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><i><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">La Critique de la facult&eacute; de juger</span></span></i><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%"> de Kant place le d&eacute;sint&eacute;ressement au principe de la notion m&ecirc;me de beaux-arts&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Chacun doit reconna&icirc;tre qu&rsquo;un jugement sur la beaut&eacute; en lequel se m&ecirc;le le plus petit int&eacute;r&ecirc;t est tr&egrave;s partial et ne peut &ecirc;tre un jugement de go&ucirc;t pur. Pour jouer le r&ocirc;le de juge en mati&egrave;re de go&ucirc;t il ne faut pas se soucier le moins du monde de l&rsquo;existence de l&rsquo;objet<a href="#_ftn16" name="_ftnref16" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[16]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Cette approche s&rsquo;oppose diam&eacute;tralement &agrave; celle qu&rsquo;un autre philosophe majeur du XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle, Rousseau, d&eacute;veloppe &agrave; propos du th&eacute;&acirc;tre dans sa <i>Lettre &agrave; D&rsquo;Alembert</i>. Pour Rousseau, il n&rsquo;y a de sens &agrave; examiner l&rsquo;art th&eacute;&acirc;tral que par rapport &agrave; ses possibles effets sur le spectateur. Autrement dit, il est n&eacute;cessairement li&eacute; &agrave; un certain int&eacute;r&ecirc;t social&nbsp;: le th&eacute;&acirc;tre influe sur ses spectateurs, il les transforme, c&rsquo;est pourquoi il importe au philosophe d&rsquo;&eacute;valuer les vices et les vertus de cet art en termes sociaux et politiques. Si l&rsquo;art contribue &agrave; fa&ccedil;onner la soci&eacute;t&eacute; et l&rsquo;esprit de ceux qui s&rsquo;y exposent, alors il serait de mauvaise foi de vouloir entretenir avec lui un rapport d&eacute;sint&eacute;ress&eacute;.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Rousseau critique le th&eacute;&acirc;tre en tant que divertissement &eacute;tranger &agrave; la raison, laquelle ne saurait trouver sa place au th&eacute;&acirc;tre, car elle y susciterait l&rsquo;ennui au lieu du plaisir recherch&eacute;. Et c&rsquo;est bien cette recherche du plaisir qui fait probl&egrave;me&nbsp;: le th&eacute;&acirc;tre offre au spectateur ce qu&rsquo;il est d&eacute;j&agrave; enclin &agrave; appr&eacute;cier. Il appuie sur ses penchants &eacute;motifs, des go&ucirc;ts d&eacute;j&agrave;-l&agrave; qui ne demandent qu&rsquo;&agrave; trouver satisfaction. En cons&eacute;quence, il y a une fondamentale impuissance de l&rsquo;art &agrave; contribuer &agrave; une r&eacute;forme &eacute;thique de son public. M&ecirc;me l&rsquo;empathie avec les personnages est d&eacute;crite comme profond&eacute;ment tautologique&nbsp;: &laquo;&nbsp;On ne saurait se mettre &agrave; la place de gens qui ne nous ressemblent point<a href="#_ftn17" name="_ftnref17" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[17]</span></span></span></span></a>.&nbsp;&raquo; Au spectacle, on ne se transforme pas, on se contemple soi-m&ecirc;me, dans la satisfaction de ses propres vices. On se divertit de ses propres tares morales. En outre, en excitant des &eacute;motions puissantes, le th&eacute;&acirc;tre ne permet pas de s&rsquo;en lib&eacute;rer. On s&rsquo;y accoutume au point d&rsquo;en m&eacute;conna&icirc;tre les m&eacute;faits&nbsp;:</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:11.0pt"><span style="line-height:150%">En favorisant tous nos penchants, il donne un nouvel ascendant &agrave; ceux qui nous dominent&nbsp;; les continuelles &eacute;motions qu&rsquo;on y ressent nous &eacute;nervent, nous affaiblissent, nous rendent plus incapables de r&eacute;sister &agrave; nos passions&nbsp;; et le st&eacute;rile int&eacute;r&ecirc;t qu&rsquo;on prend &agrave; la vertu ne sert qu&rsquo;&agrave; contenter notre amour-propre, sans nous contraindre &agrave; la pratiquer<a href="#_ftn18" name="_ftnref18" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:11.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[18]</span></span></span></span></a>.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Aux yeux de Rousseau, tous ces vices v&eacute;hicul&eacute;s par le th&eacute;&acirc;tre ont une seule et m&ecirc;me racine&nbsp;: la repr&eacute;sentation, c&rsquo;est-&agrave;-dire la mani&egrave;re dont les spectateurs sont d&rsquo;embl&eacute;e s&eacute;par&eacute;s de l&rsquo;action et passifs. Dans <i>De La Grammatologie</i>, Derrida avait expos&eacute; la condamnation par Rousseau de la repr&eacute;sentation comme telle&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mais le th&eacute;&acirc;tre lui-m&ecirc;me est travaill&eacute; par le mal profond de la repr&eacute;sentation. Il est cette corruption elle-m&ecirc;me. Car la sc&egrave;ne n&#39;est pas menac&eacute;e par autre chose que par elle-m&ecirc;me. [&hellip;] Ce que Rousseau critique en derni&egrave;re instance, ne nous y trompons pas, ce n&#39;est pas le contenu du spectacle, le sens par lui repr&eacute;sent&eacute;, quoiqu&rsquo;il le critique aussi : c&rsquo;est la re-pr&eacute;sentation elle-m&ecirc;me. Tout comme dans l&rsquo;ordre politique, la menace a la forme du repr&eacute;sentant<a href="#_ftn19" name="_ftnref19" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[19]</span></span></span></span></a>.&nbsp;&raquo; Il en appelle au contraire &agrave; une qu&ecirc;te de l&rsquo;immanence, de la pr&eacute;sence du public &agrave; lui-m&ecirc;me, de l&rsquo;imm&eacute;diatet&eacute; apais&eacute;e.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Ainsi, par contraste avec l&rsquo;impi&eacute;t&eacute;, la grossi&egrave;ret&eacute; et&nbsp;la perversit&eacute; du th&eacute;&acirc;tre moderne, Rousseau fait l&rsquo;apologie du th&eacute;&acirc;tre de l&rsquo;ancienne Gr&egrave;ce&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ces grands et superbes spectacles donn&eacute;s sous le ciel, &agrave; la face de toute une nation, n&rsquo;offraient de toutes parts que des combats, des victoires, des prix, des objets capables d&rsquo;inspirer aux Grecs une ardente &eacute;mulation, et d&rsquo;&eacute;chauffer leurs c&oelig;urs de sentiments d&rsquo;honneur et de gloire<a href="#_ftn20" name="_ftnref20" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[20]</span></span></span></span></a>.&nbsp;&raquo; Pour faire &eacute;cho aux explications de Derrida, la valeur sup&eacute;rieure d&rsquo;un tel th&eacute;&acirc;tre aux yeux de Rousseau ne s&rsquo;explique pas essentiellement par les vertus qu&rsquo;il met en sc&egrave;ne et le caract&egrave;re moral que le philosophe pr&ecirc;te &agrave; ces r&eacute;cits, mais bien plut&ocirc;t par son caract&egrave;re non repr&eacute;sentationnel. Comme le souligne Philippe Lacoue-Labarthe, la trag&eacute;die grecque est bien davantage que du th&eacute;&acirc;tre aux yeux de Rousseau, c&rsquo;est une forme d&rsquo;instruction qui vise &agrave; pr&eacute;munir les citoyens contre l&rsquo;ivresse de la libert&eacute;<a href="#_ftn21" name="_ftnref21" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[21]</span></span></span></span></a>. Elle les rassemble dans une communion d&rsquo;allure religieuse, o&ugrave; les acteurs &eacute;taient &laquo;&nbsp;plut&ocirc;t regard&eacute;s comme des pr&ecirc;tres que comme des baladins<a href="#_ftn22" name="_ftnref22" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[22]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;, et o&ugrave; chacun prend part &agrave; la construction d&rsquo;une conscience nationale commune. Elle est donc par&eacute;e d&rsquo;une fonction pratique et politique qui la d&eacute;finit comme autre chose et davantage qu&rsquo;un spectacle&nbsp;: une participation populaire par laquelle les spectateurs sont plut&ocirc;t des citoyens, activement impliqu&eacute;s dans la construction de la communaut&eacute; politique &agrave; laquelle ils appartiennent.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Toutefois, le diagnostic qu&rsquo;offre Rousseau de sa propre &eacute;poque le conduit &agrave; douter de l&rsquo;opportunit&eacute; d&rsquo;une r&eacute;p&eacute;tition des buts et m&eacute;thodes de la trag&eacute;die grecque. Certes, avance-t-il, &laquo;&nbsp;des pi&egrave;ces tir&eacute;es comme celles des Grecs des malheurs pass&eacute;s de la patrie, ou des d&eacute;fauts pr&eacute;sents du peuple, pourraient offrir aux spectateurs des le&ccedil;ons utiles<a href="#_ftn23" name="_ftnref23" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[23]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Cependant, dans le contexte de petites nations comme la R&eacute;publique de Gen&egrave;ve &agrave; laquelle s&rsquo;int&eacute;resse particuli&egrave;rement Rousseau, il craint que les vertus des protagonistes ne soient pas appr&eacute;ci&eacute;es &agrave; leur exacte mesure. Ainsi &eacute;crit-il&nbsp;: &laquo;&nbsp;dans ce si&egrave;cle plaisant o&ugrave; rien n&rsquo;&eacute;chappe au ridicule, hormis la puissance, on n&rsquo;ose parler d&rsquo;h&eacute;ro&iuml;sme que dans les grands &Eacute;tats, quoiqu&rsquo;on n&rsquo;en trouve que dans les petits<a href="#_ftn24" name="_ftnref24" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[24]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Soumis au go&ucirc;t du public de th&eacute;&acirc;tre, les efforts des fondateurs de Gen&egrave;ve, qui ne sont pas li&eacute;s &agrave; la puissance d&rsquo;une grande nation, encourent le risque de passer pour d&eacute;risoires, et donc ridicules. Ils pourraient bien &ecirc;tre raill&eacute;s au lieu d&rsquo;&ecirc;tre lou&eacute;s.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Mais finalement, &agrave; la faveur d&rsquo;un renversement dialectique murement pr&eacute;par&eacute; tout au long de la <i>Lettre</i>, Rousseau finit par avancer que ce qu&rsquo;il prescrit pour la r&eacute;forme de la soci&eacute;t&eacute;, ce n&rsquo;est pas moins de spectacle, mais davantage&nbsp;: une augmentation de l&rsquo;intensit&eacute; du spectacle. Non pas en multipliant les pi&egrave;ces et les repr&eacute;sentations, mais au contraire en poussant la logique m&ecirc;me du th&eacute;&acirc;tre beaucoup plus loin et hors d&rsquo;elle-m&ecirc;me. Le th&eacute;&acirc;tre est exclusif&nbsp;: il s&eacute;pare le dedans et le dehors. Il enferme, obscurcit et immobilise. C&rsquo;est pourquoi il faudrait lui substituer ce que Rousseau appelle la f&ecirc;te publique ou r&eacute;publicaine, communion de citoyens, afin qu&rsquo;ils s&rsquo;admirent r&eacute;ciproquement et s&rsquo;entre-contemplent. Il ne s&rsquo;agit plus d&rsquo;assister &agrave; un spectacle. Dans la f&ecirc;te civile, c&rsquo;est le peuple lui-m&ecirc;me, le peuple entier, qui devient &agrave; la fois spectacle et spectateur, au-del&agrave; de toute s&eacute;paration, car ce peuple est &agrave; lui-m&ecirc;me le spectacle le plus digne aux yeux de Rousseau&nbsp;: &laquo;&nbsp;Qu&rsquo;y montrera-t-on&nbsp;?&nbsp; Rien, si l&rsquo;on veut. Avec la libert&eacute;, partout o&ugrave; r&egrave;gne l&rsquo;affluence, le bien-&ecirc;tre y r&egrave;gne aussi. Plantez au milieu d&rsquo;une place un piquet couronn&eacute; de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous aurez une f&ecirc;te<a href="#_ftn25" name="_ftnref25" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[25]</span></span></span></span></a>.&nbsp;&raquo; Une telle f&ecirc;te, commente Philippe Lacoue-Labarthe, &laquo;&nbsp;c&rsquo;est la trag&eacute;die grecque, mais la trag&eacute;die grecque <i>moins la sc&egrave;ne</i>, c&rsquo;est-&agrave;-dire moins <i>les </i>divisions germinales de ce qui deviendra &ldquo;th&eacute;&acirc;tre&rdquo; [&hellip;]&nbsp;: repr&eacute;sentation de <i>rien</i>, dit Rousseau, sinon des spectateurs eux-m&ecirc;mes<a href="#_ftn26" name="_ftnref26" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[26]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Son objectif est de faciliter l&rsquo;&eacute;closion du partage unanime de valeurs communes. Toutes les formes de violence qui d&rsquo;ordinaire s&eacute;parent, &eacute;loignent, tournent les membres de la communaut&eacute; les uns contre les autres, seraient transform&eacute;es en jeux, en concours, en comp&eacute;titions fraternelles. Par la gr&acirc;ce de la f&ecirc;te, les sources d&rsquo;opposition ou de discorde deviennent des occasions d&rsquo;&eacute;mulation. L&rsquo;inimiti&eacute; est d&eacute;pass&eacute;e dans l&rsquo;all&eacute;gresse, le plaisir na&iuml;f et la joie du jeu.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Bien qu&rsquo;on y distingue sans peine l&rsquo;influence de Platon, lorsqu&rsquo;il la formule en 1758, cette anti-esth&eacute;tique de Rousseau apparait comme une id&eacute;e neuve, en rupture avec les conceptions ordinaires de l&rsquo;art. L&rsquo;originalit&eacute; et la radicalit&eacute; du projet intellectuel et politique qui la sous-tend, c&rsquo;est-&agrave;-dire une <i>critique de la s&eacute;paration</i>, n&rsquo;&eacute;chappera pas aux successeurs de Rousseau. D&egrave;s sa &laquo;&nbsp;pr&eacute;histoire&nbsp;&raquo; dans le <i>Plus vieux programme syst&eacute;matique de l&rsquo;id&eacute;alisme allemand</i> d&eacute;couvert par Rosenzweig dans les papiers de Hegel en 1917 et dat&eacute; de 1796 ou 1797, il s&rsquo;agit de d&eacute;passer la s&eacute;paration du sujet et de l&rsquo;objet h&eacute;rit&eacute;e de Kant. Ce texte, attribu&eacute; parfois &agrave; Hegel lui-m&ecirc;me, d&rsquo;autres fois &agrave; Schelling, &agrave; H&ouml;lderlin, voire aux trois r&eacute;unis, peut se lire comme un manifeste. Le projet de d&eacute;passement de Kant s&rsquo;y formule comme un d&eacute;passement de la diff&eacute;rence entre l&rsquo;individu et la collectivit&eacute; qui fait &eacute;cho aux r&eacute;flexions de Rousseau. Ce projet est celui d&rsquo;une r&eacute;alisation de l&rsquo;<i>identit&eacute;</i> &agrave; travers ce que Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe nomment, dans <i>L&rsquo;Absolu litt&eacute;raire</i>, une &laquo;&nbsp;volont&eacute; de syst&egrave;me<a href="#_ftn27" name="_ftnref27" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[27]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. L&rsquo;&eacute;criture philosophique, po&eacute;tique, litt&eacute;raire, ne visent pas ici &agrave; r&eacute;pondre &agrave; un probl&egrave;me d&rsquo;ordre esth&eacute;tique, mais &agrave; une question qui proc&egrave;de de la vie, qu&rsquo;il s&rsquo;agit de r&eacute;concilier avec elle-m&ecirc;me.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Ce projet, qui na&icirc;t &agrave; la modernit&eacute; avec Rousseau, traverse l&rsquo;id&eacute;alisme et le romantisme allemands, deviendra tout &agrave; fait explicite dans les avant-gardes artistiques du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle, du futurisme jusqu&rsquo;aux situationnistes et &agrave; Guy Debord, auteur d&rsquo;une fameuse <i>Critique de la s&eacute;paration</i>. Comme l&rsquo;&eacute;crit le th&eacute;oricien de la litt&eacute;rature allemand Peter B&uuml;rger&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce que les avant-gardes avaient en vue, c&rsquo;est un d&eacute;passement (<i>Aufhebung</i>) de l&rsquo;art, au sens h&eacute;g&eacute;lien du terme&nbsp;: l&rsquo;art ne doit pas seulement &ecirc;tre d&eacute;truit&nbsp;; il doit &ecirc;tre transf&eacute;r&eacute; dans la vie pratique, de mani&egrave;re &agrave; y &ecirc;tre conserv&eacute;, d&ucirc;t-il pour cela &ecirc;tre transform&eacute;<a href="#_ftn28" name="_ftnref28" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[28]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. S&rsquo;inspirant de la r&eacute;flexion de B&uuml;rger, Olivier Quintyn r&eacute;sume et pr&eacute;cise cette id&eacute;e&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;art comme domaine s&eacute;par&eacute; doit &ecirc;tre d&eacute;pass&eacute;, au sens h&eacute;g&eacute;lien du terme, c&rsquo;est-&agrave;-dire absorb&eacute; et relev&eacute; dans une nouvelle pratique de la vie<a href="#_ftn29" name="_ftnref29" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[29]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Cette histoire politico-artistique est celle de projets qui visent &agrave; enrichir, voir &agrave; transfigurer, l&rsquo;insupportable banalit&eacute; et la d&eacute;testable solitude de la vie moderne en la t&eacute;lescopant avec l&rsquo;art au point que les deux en deviennent indiscernables.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">&Agrave; c&ocirc;t&eacute; de la norme kantienne du beau et du sublime, la pr&eacute;c&eacute;dant m&ecirc;me, a toujours exist&eacute; la critique de la s&eacute;paration, dont l&rsquo;inventeur est Rousseau et que parach&egrave;vera l&rsquo;esprit romantique. L&rsquo;objet de cet esprit romantique est&nbsp;l&rsquo;autocritique de la civilisation europ&eacute;enne, notamment en vue de sa r&eacute;g&eacute;n&eacute;rescence, comme l&rsquo;avait d&eacute;j&agrave; soulign&eacute; Edward Said<a href="#_ftn30" name="_ftnref30" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[30]</span></span></span></span></a>. Si l&rsquo;ambition de l&rsquo;</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">aestheSis d&eacute;coloniale dont Mignolo pose les bases, comme il l&rsquo;affirme, est celle d&rsquo;une critique de l&rsquo;eurocentrisme, alors sa mise en cause de l&rsquo;esth&eacute;tique kantienne est insuffisante pour mener cette t&acirc;che &agrave; bien. D&rsquo;autant que le paradigme qu&rsquo;il lui oppose partage toutes les caract&eacute;ristiques fondamentales de l&rsquo;autre tendance lourde de l&rsquo;esth&eacute;tique moderne&nbsp;: cet arc qui va de Rousseau et du romantisme jusqu&rsquo;aux avant-gardes, puis &agrave; ce que le critique d&rsquo;art Nicolas Bourriaud a qualifi&eacute; d&rsquo;esth&eacute;tique relationnelle, qui r&eacute;side dans &laquo;&nbsp;l&rsquo;invention de relations entre des sujets&nbsp;; [par lesquelles] chaque &oelig;uvre d&rsquo;art particuli&egrave;re serait la proposition d&rsquo;habiter un monde en commun, et le travail de chaque artiste, un faisceau de rapports avec le monde, qui g&eacute;n&eacute;rerait d&rsquo;autres rapports, et ainsi de suite, &agrave; l&rsquo;infini<a href="#_ftn31" name="_ftnref31" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[31]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Il est d&rsquo;autant plus important de le souligner que l&rsquo;art contemporain est nettement plus structur&eacute; par les injonctions au d&eacute;passement de l&rsquo;art et &agrave; la transfiguration de la vie inaugur&eacute;es par Rousseau que par le concept kantien du beau.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">En limitant la critique de la construction historique de nos modes de perceptions esth&eacute;tiques &agrave; une th&eacute;orie &laquo;&nbsp;bourgeoise&nbsp;&raquo; telle que celle de Kant, on ne touche du doigt qu&rsquo;une petite partie du probl&egrave;me. Autrement dit, si l&rsquo;on a comme Mignolo le projet de d&eacute;coloniser l&rsquo;art et l&rsquo;esth&eacute;tique, on ne saurait se contenter d&rsquo;en pointer le caract&egrave;re normatif. Il importe &eacute;galement de montrer les limites des formes qui se sont construites dans le rejet de cette norme ou dans le r&ecirc;ve de sa transfiguration. La centration, pr&ocirc;n&eacute;e par Mignolo, &laquo;&nbsp;sur les habitudes que la modernit&eacute;/colonialit&eacute; a implant&eacute; en chacun de nous&nbsp;; sur la fa&ccedil;on font la modernit&eacute;/colonialit&eacute; a fonctionn&eacute; et fonctionne toujours de fa&ccedil;on &agrave; nier, d&eacute;savouer, distordre et nier les savoirs, les subjectivit&eacute;s, les sens du monde et les visions de la vie<a href="#_ftn32" name="_ftnref32" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[32]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo; renouvelle le lexique du projet romantico-avant-gardiste, mais n&rsquo;en alt&egrave;re pas v&eacute;ritablement le contenu. Une m&ecirc;me g&eacute;n&eacute;alogie semble courir de la <i>Lettre</i> de Rousseau jusqu&rsquo;&agrave; la pens&eacute;e de l&rsquo;art de Mignolo, fond&eacute;e sur un projet de transfiguration de la vie quotidienne, de contestation de la modernit&eacute; depuis le lieu d&rsquo;un savoir oubli&eacute; ou n&eacute;glig&eacute;, et de r&eacute;conciliation entre l&rsquo;esth&eacute;tique savante et la vie sensible ordinaire. L&rsquo;exotisme de l&rsquo;&eacute;vocation, voire de l&rsquo;invocation, r&eacute;p&eacute;t&eacute;e du Sud Global comme lieu privil&eacute;gi&eacute; de la d&eacute;colonialit&eacute; ne suffit pas &agrave; convaincre de l&rsquo;originalit&eacute; de </span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">l&rsquo;</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">aestheSis d&eacute;coloniale par rapport &agrave; la pens&eacute;e europ&eacute;enne de l&rsquo;art. </span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">L&rsquo;un des traits qui rendent possible la parent&eacute; de l&rsquo;approche de Mignolo et des critiques europ&eacute;ennes de la s&eacute;paration tient &agrave; l&rsquo;absence d&rsquo;hostilit&eacute; de son projet &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de la modernit&eacute; coloniale. Il ne s&rsquo;agit pas de s&rsquo;attaquer &agrave; l&rsquo;ordre du monde europ&eacute;ocentriste, de le critiquer sans rel&acirc;che afin de lui substituer un projet civilisationnel plus exigeant. Au contraire, comme le souligne Catherine Walsh dans l&rsquo;ouvrage qu&rsquo;elle cosigne avec Mignolo, son int&eacute;r&ecirc;t se porte sur &laquo;&nbsp;la fa&ccedil;on dont le projet et la <i>praxis</i> d&eacute;coloniales se forment dans les f&ecirc;lures de l&rsquo;ordre dominant pour les &eacute;largir, ce que j&rsquo;ai appel&eacute; ses fissures d&eacute;coloniales<a href="#_ftn33" name="_ftnref33" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[33]</span></span></span></span></a> &raquo;. Un tel projet d&eacute;colonial consiste donc &agrave; se distinguer de l&rsquo;ordre colonial europ&eacute;en en revendiquant une originalit&eacute; sp&eacute;cifique, mais sans aller jusqu&rsquo;&agrave; une remise en cause de son existence m&ecirc;me. </span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">L&rsquo;</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">aestheSis d&eacute;coloniale est porteuse d&rsquo;une critique de la &laquo;&nbsp;modernit&eacute;/colonialit&eacute;&nbsp;&raquo; au nom de la diversit&eacute; des points de vue, du pluralisme des mani&egrave;res de voir et de faire, mais non pas comme la vaste entreprise de d&eacute;shumanisation, de production de &laquo;&nbsp;sous-personnes<a href="#_ftn34" name="_ftnref34" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[34]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo; qu&rsquo;y avait vu le philosophe jama&iuml;cain Charles Mills. En cons&eacute;quence, l&rsquo;objectif est d&rsquo;inventer d&rsquo;autres mani&egrave;res de vivre ou de sentir &agrave; distance de la colonialit&eacute;, mais nullement de s&rsquo;y attaquer comme &agrave; un ordre intrins&egrave;quement injuste et producteur d&rsquo;indignit&eacute;. &Agrave; cet &eacute;gard, il s&rsquo;agit d&rsquo;un projet de r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration du monde et de diversification. De Rousseau &agrave; Mignolo, les critiques de la s&eacute;paration ont essentiellement cherch&eacute; &agrave; transfigurer l&rsquo;existence quotidienne en cherchant &agrave; m&ecirc;ler l&rsquo;art et la vie, mais sans se risquer &agrave; chercher la rupture et la remise en cause radicale de la signification m&ecirc;me de l&rsquo;art et de la vie.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><b><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Ottobah Cugoano, Jeannette Ehlers et l&rsquo;esth&eacute;tique de la tradition radicale noire</span></span></b></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Ottobah Cugoano est un ancien esclave, n&eacute; au milieu du XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle sur des terres qui appartiennent aujourd&rsquo;hui &agrave; l&rsquo;&Eacute;tat du Ghana. Captur&eacute;, r&eacute;duit en esclavage et conduit aux Am&eacute;riques, il conna&icirc;t les affres de la d&eacute;shumanisation. &Agrave; la faveur de nombreuses p&eacute;rip&eacute;ties, il apprend &agrave; lire et &agrave; &eacute;crire, se fait chr&eacute;tien, parvient &agrave; se faire affranchir. Il finira ses jours en Angleterre, o&ugrave; il se retrouvera employ&eacute; de Richard et Maria Cosway, deux fameux peintres britanniques de l&rsquo;&eacute;poque. En 1787, &agrave; Londres, paraissent les <i>R&eacute;flexions et sentiments sur le nuisible et vicieux trafic de l&rsquo;esclavage et le commerce des &ecirc;tres humains, humblement soumis aux habitants de Grande-Bretagne par Ottobah Cugoano, natif d&rsquo;Afrique</i>. Une traduction fran&ccedil;aise para&icirc;t un an plus tard. Cette publication est donc &agrave; peu pr&egrave;s contemporaine de celles des grands textes de m&eacute;taphysique de Kant de la fin du XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle et des <i>Confessions </i>de Rousseau. L&rsquo;ouvrage de Cugoano est certainement la premi&egrave;re critique de l&rsquo;ordre esclavagiste jamais publi&eacute;e par un auteur noir dans une langue europ&eacute;enne. &Agrave; cet &eacute;gard, il n&rsquo;est pas surprenant que Mignolo le tienne pour l&rsquo;un des fondateurs de la pens&eacute;e d&eacute;coloniale<a href="#_ftn35" name="_ftnref35" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[35]</span></span></span></span></a>.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Selon l&rsquo;historien Ryan Hanley, &laquo;&nbsp;les vues politiques de Cugoano &eacute;taient uniques car elles d&eacute;ployaient le langage du nouveau radicalisme politique pour combattre les discriminations raciales en Grande Bretagne. [&hellip;] Cugoano a us&eacute; de son &eacute;ducation et de sa position de relative s&eacute;curit&eacute; financi&egrave;re pour faire avancer les int&eacute;r&ecirc;ts d&rsquo;un r&eacute;seau de Noirs politis&eacute;s dans la m&eacute;tropole. &Agrave; cet &eacute;gard, il peut &ecirc;tre vu comme le p&egrave;re du radicalisme noir britannique<a href="#_ftn36" name="_ftnref36" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[36]</span></span></span></span></a>.&nbsp;&raquo; Cugoano est l&rsquo;un des inventeurs m&eacute;connus d&rsquo;un mouvement de pens&eacute;e que le politologue africains-am&eacute;ricain Cedric Robinson qualifie de &laquo;&nbsp;tradition radicale noire&nbsp;&raquo;. Par cette formule, il d&eacute;signe &laquo;&nbsp;le d&eacute;veloppement continu d&rsquo;une conscience collective, inform&eacute;e par les luttes historiques pour la lib&eacute;ration et motiv&eacute;e par un sens partag&eacute; de la n&eacute;cessit&eacute; de pr&eacute;server l&rsquo;&ecirc;tre collectif, la totalit&eacute; ontologique<a href="#_ftn37" name="_ftnref37" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[37]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une tradition de la contestation sociale fond&eacute;e sur le rejet massif de l&rsquo;ordre des plantations, infus&eacute; de cultures, de cosmogonies et pens&eacute;es th&eacute;ologiques d&rsquo;ascendance africaine.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Le po&egrave;te et th&eacute;oricien africain-am&eacute;ricain Fred Moten a soulign&eacute; la dimension esth&eacute;tique du concept de tradition radicale noire<a href="#_ftn38" name="_ftnref38" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[38]</span></span></span></span></a>. Lu comme sa manifestation au si&egrave;cle des Lumi&egrave;res, le texte de Cugoano permet d&rsquo;imaginer une autre critique de Kant que celle que formule Mignolo, une critique qui ne se contenterait pas de r&eacute;p&eacute;ter l&rsquo;appel rousseauiste &agrave; la r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration sociale, mais oserait franchir le pas de la critique de la civilisation europ&eacute;enne en tant que telle, dont Cedric Robinson esquisse le projet. En effet, selon lui, la &laquo;&nbsp;civilisation europ&eacute;enne n&rsquo;est pas le produit du capitalisme. Au contraire, le caract&egrave;re du capitalisme ne peut se comprendre que dans le contexte historique au sein duquel il est apparu<a href="#_ftn39" name="_ftnref39" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[39]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. Le capitalisme, &agrave; ses yeux, n&rsquo;est pas comme chez Marx, en rupture avec la f&eacute;odalit&eacute;. &Agrave; l&rsquo;inverse, il repr&eacute;sente la poursuite du f&eacute;odalisme europ&eacute;en par d&rsquo;autres moyens, qui sont ceux de la conqu&ecirc;te coloniale, du racisme moderne et de la n&eacute;grophobie esclavagiste. Les penseurs de </span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">l&rsquo;</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">aestheSis d&eacute;coloniale rejettent les conceptions kantiennes de beau comme du sublime, mais un d&eacute;placement d&eacute;cisif de ce dernier &agrave; partir des intuitions de la tradition radicale noire pourrait &ecirc;tre la clef d&rsquo;une conception plus franchement d&eacute;coloniale de l&rsquo;art et de l&rsquo;exp&eacute;rience esth&eacute;tique. Dans sa troisi&egrave;me <i>Critique</i>, Kant d&eacute;finit le sublime &agrave; partir des exemples suivants&nbsp;:</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:11.0pt"><span style="line-height:150%">Des rochers se d&eacute;tachant audacieusement et comme une menace sur un ciel o&ugrave; d&rsquo;orageux nuages s&rsquo;assemblent et s&rsquo;avancent dans les &eacute;clairs et les coups de tonnerre, des volcans en toute leur puissance d&eacute;vastatrice, les ouragans que suit la d&eacute;solation, l&rsquo;immense oc&eacute;an dans toute sa fureur, les chutes d&rsquo;un fleuve puissant, etc., ce sont l&agrave; choses qui r&eacute;duisent notre pouvoir de r&eacute;sister &agrave; quelque chose de d&eacute;risoire en comparaison de la force qui leur appartient. Mais, <i>si nous nous trouvons en s&eacute;curit&eacute;</i>, le spectacle est d&rsquo;autant plus attrayant qu&rsquo;il n&rsquo;est plus propre &agrave; susciter la peur&nbsp;; et nous nommons volontiers ces objets sublimes, parce qu&rsquo;ils &eacute;l&egrave;vent les forces de l&rsquo;&acirc;me au-dessus de l&rsquo;habitude moyenne et nous font d&eacute;couvrir en nous un pouvoir de r&eacute;sistance d&rsquo;un tout autre genre, qui nous donne le courage de nous mesurer avec l&rsquo;apparente toute-puissance de la nature.<a href="#_ftn40" name="_ftnref40" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:11.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[40]</span></span></span></span></a></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">On a trop rarement soulign&eacute; que le concept kantien de sublime &eacute;tait intrins&egrave;quement li&eacute; au sentiment de <i>s&eacute;curit&eacute;</i> du spectateur. Le sublime d&eacute;finit une esth&eacute;tique s&eacute;curitaire. Son moteur est le contraste entre la dangerosit&eacute; du monde et le caract&egrave;re inoffensif du chez-soi, la r&eacute;assurance de l&rsquo;environnement imm&eacute;diat. L&rsquo;effet rass&eacute;r&eacute;nant du sublime proc&egrave;de de l&rsquo;artificiel sentiment d&rsquo;un sujet qui s&rsquo;imagine rivaliser avec les &eacute;l&eacute;ments, faire jeu &eacute;gal avec eux, pour la seule raison qu&rsquo;il se trouve hors d&rsquo;atteinte. L&rsquo;univers peut bien d&eacute;flagrer de toutes parts, le sujet qui se sait en s&eacute;curit&eacute; n&rsquo;a rien &agrave; craindre des tourments que son raffut annonce. Cette s&eacute;curit&eacute; que l&rsquo;esth&eacute;tique europ&eacute;enne promet au sujet, celle de la tradition radicale noire la lui refuse. Pour s&rsquo;en faire une id&eacute;e, on peut comparer au texte de Kant ce passage des <i>R&eacute;flexions</i> de Cugoano&nbsp;: </span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:11.0pt"><span style="line-height:150%">Les guerres, les tremblements de terre, les orages, le tonnerre, les ouragans, les insectes destructeurs, les saisons st&eacute;riles, l&rsquo;incl&eacute;mence de l&rsquo;air, les dettes nationales, l&rsquo;oppression des princes, la r&eacute;bellion des sujets, etc. sont des maux que le courroux c&eacute;leste verse sur les peuples et les princes injustes&nbsp;; &laquo;&nbsp;parce que le m&eacute;chant est pris dans son iniquit&eacute; m&ecirc;me&nbsp;&raquo; (<i>&Eacute;z&eacute;c.</i>, ch. 39, v. 23). Pourquoi un forfait aussi grand que la traite l&rsquo;esclavage des Africains n&rsquo;attirerait-il pas sur l&rsquo;Europe des calamit&eacute;s terribles&nbsp;? On ne pense pas aux coups que la sage col&egrave;re de Dieu lancera peut-&ecirc;tre bient&ocirc;t contre la nation anglaise. On ne pense pas que l&rsquo;&Ecirc;tre supr&ecirc;me lui pr&eacute;pare, peut-&ecirc;tre actuellement, des supplices proportionn&eacute;s &agrave; l&rsquo;horreur qu&rsquo;inspire l&rsquo;&eacute;pouvantable oppression des malheureux Africains.<a href="#_ftn41" name="_ftnref41" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:11.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[41]</span></span></span></span></a></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Comme le propos de Kant sur le sublime, le discours de Cugoano convoque &eacute;l&eacute;ments hostiles et calamit&eacute;s. La m&ecirc;me atmosph&egrave;re orageuse y r&egrave;gne. Mais il ne l&rsquo;installe pas aux fins d&rsquo;en &eacute;pargner le spectateur europ&eacute;en, lui offrant le loisir d&rsquo;en contempler la fureur &agrave; bonne distance &ndash; mais au contraire pour l&rsquo;y confronter frontalement. Les Africains n&rsquo;ont aucun droit &agrave; la s&eacute;curit&eacute; dans laquelle se drapent les amateurs d&rsquo;art europ&eacute;ens. Cugoano leur annonce la chute du rempart de confort qui les s&eacute;pare du monde, rendant possible une soci&eacute;t&eacute; o&ugrave; la traite et l&rsquo;esclavage n&eacute;griers font partie des fondements de l&rsquo;ordre social. Cet assaut contre le sublime, c&rsquo;est-&agrave;-dire contre la s&eacute;curit&eacute; affective du spectateur, mais en m&ecirc;me temps et du m&ecirc;me coup contre ses vell&eacute;it&eacute;s de communaut&eacute; imm&eacute;diate et de &laquo;&nbsp;f&ecirc;te civile&nbsp;&raquo;, constitue l&rsquo;un des moteurs de l&rsquo;esth&eacute;tique de la tradition radicale noire. Elle s&rsquo;&eacute;carte &agrave; la fois de Kant et de Rousseau.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">La performance artistique de la dano-trinidadienne Jeannette Ehlers intitul&eacute;e <i>Whip it good</i> est un excellent exemple de cette approche. Par une r&eacute;f&eacute;rence ironique ou am&egrave;re aux <i>Minstrel shows</i> am&eacute;ricains, o&ugrave; les acteurs blancs se barbouillaient la peau de noir pour camper des N&egrave;gres outr&eacute;s et caricaturaux, l&rsquo;artiste se pr&eacute;sente au public le visage maquill&eacute; de blanc. Cependant, son fard &agrave; elle ne semble viser ni la ressemblance ni la parodie, des personnes blanches &ndash; bien qu&rsquo;il les &eacute;voque irr&eacute;sistiblement. La face blanchie rappelle &eacute;galement les rituels religieux o&ugrave; les fid&egrave;les se couvrent le visage de cendre, &agrave; la fa&ccedil;on des catholiques &agrave; l&rsquo;or&eacute;e du Car&ecirc;me ou des S&acirc;dhu hindous. Elle convoque l&rsquo;image du Baron Samedi, figure bien connue de la culture populaire ha&iuml;tienne, esprit des morts au maquillage squelettique. Jeannette Ehlers est simplement v&ecirc;tue de tissus blancs&nbsp;; ses pieds sont nus et elle est coiff&eacute;e d&rsquo;un turban &eacute;galement blanc. Au sol, est enroul&eacute; un long fouet noir &agrave; gros manche et &agrave; corde goudronn&eacute;e, semblable &agrave; ceux auxquels les colons avaient recours dans les Cara&iuml;bes et le Sud des &Eacute;tats-Unis pour flageller leurs esclaves. Face &agrave; elle est tendue une large toile, plus haute qu&rsquo;elle de plusieurs t&ecirc;tes. Elle se saisit du fouet, prend son &eacute;lan et frappe de toutes ses forces. Le claquement est assourdissant et la corde z&egrave;bre la toile d&rsquo;un long impact noir. Au sol est pos&eacute; un r&eacute;cipient rempli d&rsquo;une poudre de jais, semblable &agrave; une suie tr&egrave;s sombre. L&rsquo;artiste en enduit son arme avant de frapper encore. Elle r&eacute;it&egrave;re son geste, avant de tendre le fouet au public qui l&rsquo;entoure.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Se saisir du fouet, le manipuler, le lancer &agrave; pleine force, en encaisser le ressac et se d&eacute;couvrir assourdi par son bruit&nbsp;; tout cela repr&eacute;sente certainement une exp&eacute;rience &eacute;trange, inconfortable et inaccoutum&eacute;e pour le public de ce d&eacute;but de XXI<sup>e</sup> si&egrave;cle. Cependant, comme les r&eacute;cits d&rsquo;esclave en portent t&eacute;moignage, cet instrument faisait partie de la vie quotidienne des plantations entre les XVI<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> si&egrave;cles. En plusieurs de ses articles, le <i>Code Noir </i>l&eacute;gif&egrave;re sur son usage comme moyen de sanctionner les infractions commises par les N&egrave;gres. Comme l&rsquo;&eacute;crit Cugoano, &laquo;&nbsp;ceux qui procurent et volent les esclaves sont les plus grands brigands du monde&nbsp;; ils ont perdu toute esp&egrave;ce de sensibilit&eacute;<a href="#_ftn42" name="_ftnref42" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[42]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;. La performance de Jeannette Ehlers permet de prendre toute la mesure de l&rsquo;insensibilit&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire de l&rsquo;effort de d&eacute;shumanisation, sur laquelle s&rsquo;est b&acirc;tie l&rsquo;&eacute;conomie du monde atlantique depuis de XVI<sup>e</sup> si&egrave;cle. Ainsi, l&rsquo;incomparable puissance d&rsquo;&eacute;vocation de <i>Whip it good</i> tient au fait que l&rsquo;&oelig;uvre ne cherche pas &agrave; reproduire une <i>image</i> de l&rsquo;esclavage n&eacute;grier, &agrave; la mani&egrave;re des nombreux films historiques qui, au cours des derni&egrave;res d&eacute;cennies, ont pris ces &eacute;v&eacute;nements pour pr&eacute;texte ou pour toile de fond. Il entreprend de restituer la <i>subjectivit&eacute; esclavagiste</i> elle-m&ecirc;me. Il donne &agrave; quiconque p&eacute;n&egrave;tre dans le p&eacute;rim&egrave;tre de la performance la mesure de la force, de la d&eacute;termination et de la hargne n&eacute;cessaire pour appliquer de tels coups &agrave; une personne humaine. Par sa pr&eacute;sence incarn&eacute;e, Jeannette Ehlers porte, enfin, un regard noir sur cette subjectivit&eacute;. Un regard empreint de dignit&eacute;. Cette &oelig;uvre me semble appartenir &agrave; cette renaissance artistique noire dont parle l&rsquo;historienne et critique d&rsquo;art africaine-am&eacute;ricaine Tina Campt&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les artistes contemporains noirs cr&eacute;ent de nouvelles mani&egrave;res de visualiser la lutte et la transcendance noires et, ce faisant, ils offrent de nouvelles trajectoires &agrave; la socialit&eacute; noire<a href="#_ftn43" name="_ftnref43" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[43]</span></span></span></span></a>.&nbsp;&raquo;</span></span></span></span></span></p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Contrairement &agrave; </span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">l&rsquo;</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">aestheSis d&eacute;coloniale, l&rsquo;approche radicale noire de Jeannette Ehlers ne cherche pas l&rsquo;extase communautaire r&ecirc;v&eacute;e par Rousseau, mais vise au contraire la mise au jour nue, crue, brutale et souvent assez d&eacute;rangeante d&rsquo;antagonismes esth&eacute;tiques (et sociaux, voire ontologiques) r&eacute;ellement existants. Elle redonne &agrave; voir la fa&ccedil;on dont, selon le mot fameux de Frantz Fanon, &laquo;&nbsp;le N&egrave;gre souffre dans son corps autrement que le Blanc<a href="#_ftn44" name="_ftnref44" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[44]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;, faisant voler en &eacute;clats les r&ecirc;ves exalt&eacute;s d&rsquo;immanence sociale du romantisme. C&rsquo;est un pr&eacute;lude &agrave; la reconqu&ecirc;te par les Noirs de leurs propres regards. Ce faisant, Ehlers ne tombe pas dans un travers judicieusement soulign&eacute; par Tina Campt&nbsp;: &laquo;&nbsp;On ajoute une nouvelle perspective &ndash; une perspective noire &ndash; mais sans n&eacute;cessairement contester les pr&eacute;misses fondamentales des cadres de perception existants de la noirceur<a href="#_ftn45" name="_ftnref45" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[45]</span></span></span></span></a>.&nbsp;&raquo; La critique de l&rsquo;ordre civilisationnel europ&eacute;en, en tant que condition, catalyseur et instaurateur du capitalisme, du colonialisme et de la n&eacute;grophobie modernes, fait partie int&eacute;grante du travail de l&rsquo;artiste. Il est na&iuml;f d&rsquo;imaginer une quelconque &laquo;&nbsp;r&eacute;-existence<a href="#_ftn46" name="_ftnref46" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[46]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo;, r&eacute;conciliation du sensible, de l&rsquo;artistique et du communautaire, sans reconna&icirc;tre qu&rsquo;aucune diff&eacute;rence existentielle et intellectuelle forte n&rsquo;est v&eacute;ritablement possible dans un monde o&ugrave; la d&eacute;shumanisation raciale demeure<a href="#_ftn47" name="_ftnref47" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[47]</span></span></span></span></a>.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="text-indent:36pt; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span style="line-height:150%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:150%">Le projet d&rsquo;aestheSis d&eacute;coloniale initi&eacute; par Walter Mignolo se pr&eacute;sente comme une critique radicale de l&rsquo;eurocentrisme dans l&rsquo;art qui, &agrave; ses yeux, plonge ses racines dans l&rsquo;esth&eacute;tique de Kant. On a t&acirc;ch&eacute; de d&eacute;montrer que, loin d&rsquo;&ecirc;tre une pens&eacute;e et une pratique in&eacute;dite de l&rsquo;art, distincte des traditions europ&eacute;ennes, cette vision d&eacute;coloniale r&eacute;p&eacute;tait un canon avant-gardiste &eacute;labor&eacute; par un autre grand philosophe des Lumi&egrave;res europ&eacute;ennes&nbsp;: Rousseau. En effet, l&rsquo;aestheSis d&eacute;coloniale se propose comme une critique de la s&eacute;paration et une r&eacute;conciliation de l&rsquo;art et de la vie quotidienne sensible, ce qui repr&eacute;sente un prolongement davantage qu&rsquo;une rupture avec les projets du romantisme, des avant-gardes artistiques et de certaines tendances lourdes de l&rsquo;art contemporain occidental. Si l&rsquo;on consent &agrave; la pertinence d&rsquo;une critique de l&rsquo;eurocentrisme dans l&rsquo;esth&eacute;tique, alors elle ne pourra &ecirc;tre r&eacute;alis&eacute;e qu&rsquo;au sein d&rsquo;un autre paradigme. On a propos&eacute; &agrave; cette fin d&rsquo;&eacute;changer l&rsquo;approche d&eacute;coloniale latino-am&eacute;ricaine pour une autre, celle pour laquelle, selon l&rsquo;&eacute;crivain ha&iuml;tien Ren&eacute; Depestre, &laquo;&nbsp;au commencement de l&#39;histoire d&eacute;coloniale, &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle d&rsquo;Ha&iuml;ti et du monde, il y a le g&eacute;nie de Toussaint Louverture<a href="#_ftn48" name="_ftnref48" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[48]</span></span></span></span></a>&nbsp;&raquo; &ndash; c&rsquo;est-&agrave;-dire ce que Cedric Robinson a nomm&eacute; &laquo;&nbsp;la tradition radicale noire&nbsp;&raquo;. Cette esth&eacute;tique vise l&rsquo;abolition &agrave; la fois du sentiment de s&eacute;curit&eacute; qui &eacute;manait du sublime kantien et du r&ecirc;ve de r&eacute;conciliation et d&rsquo;ins&eacute;paration de l&rsquo;avant-gardisme rousseauiste. &Agrave; travers l&rsquo;exemple de la performance <i>Whip it good</i> de l&rsquo;artiste Jeannette Ehlers, nous avons d&eacute;crit l&rsquo;effort de pens&eacute;e que repr&eacute;sente la tradition radicale noire. Non pas une performance narcissique d&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; ou d&rsquo;exotisme, mais une mobilisation de l&rsquo;art au service d&rsquo;une <i>connaissance</i> de la condition noire et colonis&eacute;e dans son historicit&eacute;, sa dignit&eacute;, et sa capacit&eacute; de survie<a href="#_ftn49" name="_ftnref49" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[49]</span></span></span></span></a>.</span></span></span></span></span></p> <div>&nbsp; <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[1]</span></span></span></span></a> Anne Lafont, &laquo;&nbsp;L&rsquo;universel, ici et ailleurs&nbsp;&raquo;, <i>Esprit</i>, n&deg; 461, 2020, p. 44.</span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[2]</span></span></span></span></a> Marine Bachelot Nguyen, &laquo;&nbsp;R&eacute;ticences &ldquo;&agrave; la fran&ccedil;aise&rdquo;&nbsp;&raquo;, <i>Tumultes</i>, n&deg; 54, 2020, p. 31.</span></span></p> </div> <div id="ftn3"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[3]</span></span></span></span></a> Max Horkheimer, <i>Th&eacute;orie traditionnelle et Th&eacute;orie critique</i>, Paris, Gallimard, 1970.</span></span></p> </div> <div id="ftn4"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[4]</span></span></span></span></a> Walter D. Mignolo, &laquo;&nbsp;G&eacute;opolitique de la sensibilit&eacute; et du savoir. (D&eacute;)colonialit&eacute;, pens&eacute;e frontali&egrave;re et d&eacute;sob&eacute;issance &eacute;pist&eacute;mologique&nbsp;&raquo;, <i>Mouvements</i>, n<sup>o</sup> 73, 2013, p. 182.</span></span></p> </div> <div id="ftn5"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[5]</span></span></span></span></a> Nelson Maldonado-Torres, <i>Against war. Views from the underside of modernity</i>, Durham, Duke University Press, 2008 ; Arturo Escobar, <i>Sentir-penser avec la Terre</i>, Paris, Seuil, 2018, p. 55-56&nbsp;; Arturo Escobar, &laquo;&nbsp;Worlds and knowledges otherwise. The Latin-American Modernity/Coloniality research program&nbsp;&raquo;, <i>Cultural Studies</i>, Vol. 21, n<sup>o</sup> 2-3, 2007, p. 179-210.</span></span></p> </div> <div id="ftn6"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[6]</span></span></span></span></a> Walter D. Mignolo, &laquo;&nbsp;G&eacute;opolitique de la sensibilit&eacute; et du savoir. (D&eacute;)colonialit&eacute;, pens&eacute;e frontali&egrave;re et d&eacute;sob&eacute;issance &eacute;pist&eacute;mologique&nbsp;&raquo;, art. cit<i>.</i>, p. 183.</span></span></p> </div> <div id="ftn7"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[7]</span></span></span></span></a> Walter D. Mignolo et Catherine E. Walsh, <i>On Decoloniality. Concepts, Analytics, Praxis</i>, Durham, Duke University Press, 2018, p. 125. Ma traduction.</span></span></p> </div> <div id="ftn8"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[8]</span></span></span></span></a> Rub&eacute;n Gaztambide-Fern&aacute;ndez, &laquo;&nbsp;Decolonial options and artistic/aestheSic entanglements&nbsp;: An interview with Walter Mignolo&nbsp;&raquo;, <i>Decolonization&nbsp;: Indigeneity, Education and Society</i>, vol. 3, n&deg; 1, 2014, p. 200. Ma traduction.</span></span></p> </div> <div id="ftn9"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[9]</span></span></span></span></a> &laquo;&nbsp;Entretien avec Rolando Vasquez&nbsp;&raquo;, en annexe de&nbsp;: Walter D. Mignolo, <i>La D&eacute;sob&eacute;issance &eacute;pist&eacute;mique. Rh&eacute;torique de la modernit&eacute;, logique de la colonialit&eacute; et grammaire de la d&eacute;colonialit&eacute;</i>, trad. Yasmine Jouhari et Marc Maesschalck, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2015, p. 176.</span></span></p> </div> <div id="ftn10"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref10" name="_ftn10" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[10]</span></span></span></span></a> Emmanuel Kant, <i>Critique de la facult&eacute; de juger</i>, trad. Alexis Philonenko, Paris, Vrin, 2000, p. 202-203.</span></span></p> </div> <div id="ftn11"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref11" name="_ftn11" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[11]</span></span></span></span></a> <i>Ibid.</i>, p. 213.</span></span></p> </div> <div id="ftn12"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref12" name="_ftn12" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[12]</span></span></span></span></a> Pedro Pablo G&oacute;mez, Ang&eacute;lica Gonz&aacute;lez V&aacute;squez et Gabriel Ferreira Zacarias, &laquo;&nbsp;&ldquo;Esth&eacute;tique d&eacute;coloniale&rdquo;, entretien avec Pedro Pablo G&oacute;mez&nbsp;&raquo;, <i>Marges. Revue d&rsquo;art contemporain</i>, n&deg; 23, 2016, p. 104.</span></span></p> </div> <div id="ftn13"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref13" name="_ftn13" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[13]</span></span></span></span></a> Aim&eacute; C&eacute;saire, &laquo;&nbsp;Culture et colonisation&nbsp;&raquo; (1956), <i>&Eacute;crits politiques. 1935-1956</i>, Paris, Jean-Michel Place, 2016, p. 357.</span></span></p> </div> <div id="ftn14"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref14" name="_ftn14" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[14]</span></span></span></span></a> Walter D. Mignolo et Catherine E. Walsh, <i>On Decoloniality</i>, <i>op. cit.</i>,<i> </i>p. 220. Ma traduction.</span></span></p> </div> <div id="ftn15"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref15" name="_ftn15" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[15]</span></span></span></span></a> Rub&eacute;n Gaztambide-Fern&aacute;ndez, &laquo;&nbsp;Decolonial options and artistic/aestheSic entanglements&nbsp;&raquo;, <i>art. cit.</i>, p. 201. Ma traduction.</span></span></p> </div> <div id="ftn16"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref16" name="_ftn16" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[16]</span></span></span></span></a> Emmanuel Kant, <i>Critique de la facult&eacute; de juger</i>, <i>op. cit.</i>, pp. 65-66.</span></span></p> </div> <div id="ftn17"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref17" name="_ftn17" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[17]</span></span></span></span></a> Jean-Jacques Rousseau, <i>Lettre &agrave; D&rsquo;Alembert</i>, Paris, Flammarion, 2003, p. 69.</span></span></p> </div> <div id="ftn18"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref18" name="_ftn18" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[18]</span></span></span></span></a> <i>Ibid</i>., p. 108.</span></span></p> </div> <div id="ftn19"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref19" name="_ftn19" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[19]</span></span></span></span></a> Jacques Derrida, <i>De La Grammatologie</i>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1962, p. 430.</span></span></p> </div> <div id="ftn20"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref20" name="_ftn20" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[20]</span></span></span></span></a> Jean-Jacques Rousseau, <i>Lettre &agrave; D&rsquo;Alembert</i>, <i>op. cit.</i>, p. 131.</span></span></p> </div> <div id="ftn21"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref21" name="_ftn21" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[21]</span></span></span></span></a> Philippe Lacoue-Labarte, <i>Po&eacute;tique de l&rsquo;histoire</i>, Paris, Galil&eacute;e, 2002, p. 118.</span></span></p> </div> <div id="ftn22"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref22" name="_ftn22" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[22]</span></span></span></span></a> Jean-Jacques Rousseau, <i>Lettre &agrave; D&rsquo;Alembert</i>, <i>op. cit.</i>, p. 130.</span></span></p> </div> <div id="ftn23"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref23" name="_ftn23" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[23]</span></span></span></span></a> <i>Ibid.</i>, p. 176.</span></span></p> </div> <div id="ftn24"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref24" name="_ftn24" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[24]</span></span></span></span></a> <i>Ibid.</i>, p. 177.</span></span></p> </div> <div id="ftn25"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref25" name="_ftn25" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[25]</span></span></span></span></a> <i>Ibid.</i>, p. 182.</span></span></p> </div> <div id="ftn26"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref26" name="_ftn26" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[26]</span></span></span></span></a> Philippe Lacoue-Labarte, <i>Po&eacute;tique de l&rsquo;histoire</i>, <i>op. cit.</i>, p. 129.</span></span></p> </div> <div id="ftn27"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref27" name="_ftn27" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[27]</span></span></span></span></a> Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe, <i>L&rsquo;Absolu Litt&eacute;raire&nbsp;: Th&eacute;orie de la litt&eacute;rature du romantisme allemand</i>, Paris, Seuil, 1978, p. 47.</span></span></p> </div> <div id="ftn28"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref28" name="_ftn28" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[28]</span></span></span></span></a> Peter B&uuml;rger, <i>Th&eacute;orie de l&rsquo;avant-garde</i>, trad. Jean-Pierre Cometti, Paris, Questions Th&eacute;oriques, 2013, p. 82-83.</span></span></p> </div> <div id="ftn29"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref29" name="_ftn29" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[29]</span></span></span></span></a> Olivier Quintyn, <i>Valences de l&rsquo;avant-garde</i>, Paris, Questions Th&eacute;oriques, 2015, p. 36.</span></span></p> </div> <div id="ftn30"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref30" name="_ftn30" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[30]</span></span></span></span></a> Edward Said, <i>L&rsquo;Orientalisme : L&rsquo;Orient cr&eacute;&eacute; par l&rsquo;Occident</i>, trad. Catherine Malamoud, Paris, Seuil, 2005, p. 136-137.</span></span></p> </div> <div id="ftn31"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref31" name="_ftn31" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[31]</span></span></span></span></a> Nicolas Bourriaud, <i>Esth&eacute;tique relationnelle</i>, Paris, Les Presses du R&eacute;el, 1998, p. 20-21.</span></span></p> </div> <div id="ftn32"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref32" name="_ftn32" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[32]</span></span></span></span></a> Walter D. Mignolo et Catherine E. Walsh, <i>On Decoloniality</i>, <i>op. cit.</i>,<i> </i>p. 4. Ma traduction.</span></span></p> </div> <div id="ftn33"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref33" name="_ftn33" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[33]</span></span></span></span></a> <i>Ibid.</i>, p. 24.</span></span></p> </div> <div id="ftn34"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref34" name="_ftn34" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[34]</span></span></span></span></a> Charles W. Mills, <i>Blackness Visible: Essays on Philosophy and Race</i><i>, </i>Ithaca, Cornell University Press, 1998, p. 6. Voir aussi: <span lang="EN-US" style="background:white"><span style="color:#1e2025">Charles W. Mills, <i><span style="border:none windowtext 1.0pt; padding:0cm">The Racial Contract</span></i>, Ithaca, Cornell University Press, 1997.</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn35"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref35" name="_ftn35" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[35]</span></span></span></span></a> Walter D. Mignolo, <i>La D&eacute;sob&eacute;issance &eacute;pist&eacute;mique</i>, <i>op. cit.</i>, p. 35.</span></span></p> </div> <div id="ftn36"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref36" name="_ftn36" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[36]</span></span></span></span></a> Ryan Hanley, <i>Beyond Slavery and Abolition: Black British writing c. 1770-1830</i>, Londres, Cambridge, 2019, pp.174-175. Ma traduction.</span></span></p> </div> <div id="ftn37"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref37" name="_ftn37" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[37]</span></span></span></span></a> Cedric Robinson, <i>Black Marxism: The making of the Black radical tradition</i>, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2000, p. 171. Ma traduction.</span></span></p> </div> <div id="ftn38"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref38" name="_ftn38" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[38]</span></span></span></span></a> Fred Moten, <i>In the Break: The aesthetic of the Black radical tradition</i>, Minneapolis, Minnesota University Press, 2003. Ma traduction.</span></span></p> </div> <div id="ftn39"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref39" name="_ftn39" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[39]</span></span></span></span></a> <i>Ibid.</i>, p. 24.</span></span></p> </div> <div id="ftn40"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref40" name="_ftn40" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[40]</span></span></span></span></a> Emmanuel Kant, <i>Critique de la facult&eacute; de juger</i>, <i>op. cit.</i>, p. 142. C&rsquo;est moi qui souligne.</span></span></p> </div> <div id="ftn41"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref41" name="_ftn41" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[41]</span></span></span></span></a> Ottobah Cugoano, <i>R&eacute;flexions sur la traite et l&rsquo;esclavage des N&egrave;gres</i>, Paris, La D&eacute;couverte, 2009, p. 81-82.</span></span></p> </div> <div id="ftn42"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref42" name="_ftn42" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[42]</span></span></span></span></a> <i>Ibid.</i>, p. 45.</span></span></p> </div> <div id="ftn43"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref43" name="_ftn43" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[43]</span></span></span></span></a> Tina M. Campt, <i>A Black gaze: Artists changing how we see</i>, Cambridge, The MIT Press, 2021, p. 47. Ma traduction.</span></span></p> </div> <div id="ftn44"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref44" name="_ftn44" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[44]</span></span></span></span></a> Frantz Fanon, <i>&OElig;uvres</i>, Paris, La D&eacute;couverte, 2011, p. 175.</span></span></p> </div> <div id="ftn45"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref45" name="_ftn45" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[45]</span></span></span></span></a> Tina M. Campt, <i>A Black gaze</i>, <i>op. cit.</i>, p. 7. </span></span></p> </div> <div id="ftn46"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref46" name="_ftn46" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[46]</span></span></span></span></a> Walter D. Mignolo et Catherine E. Walsh, <i>On Decoloniality</i>, <i>op. cit.</i>,<i> </i>p. 18.</span></span></p> </div> <div id="ftn47"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref47" name="_ftn47" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[47]</span></span></span></span></a> Norman Ajari, <i>Noirceur : Race, genre, classe et pessimisme dans la pens&eacute;e africaine-am&eacute;ricaine au XXI<sup>e</sup> si&egrave;cle</i>, Paris, Divergences, 2022, p. 79-80.</span></span></p> </div> <div id="ftn48"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref48" name="_ftn48" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[48]</span></span></span></span></a> Ren&eacute; Depestre, <i>Le M&eacute;tier &agrave; m&eacute;tisser</i>, Paris, Stock, 1998, p. 25.</span></span></p> </div> <div id="ftn49"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><a href="#_ftnref49" name="_ftn49" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[49]</span></span></span></span></a> Norman Ajari, <i>La Dignit&eacute; ou la mort</i>, Paris, La D&eacute;couverte, 2019.</span></span></p> </div> </div>