<p class="texte" dir="ltr">La red&eacute;couverte de la citoyennet&eacute; aurait entra&icirc;n&eacute;, entend-on dire ici ou l&agrave;, un exc&egrave;s de z&egrave;le pr&eacute;judiciable &agrave; ce terme, remis &agrave; la mode lors du Bicentenaire de la R&eacute;volution fran&ccedil;aise et qui serait, aujourd&rsquo;hui, employ&eacute; parfois &agrave; tort et &agrave; travers. C&rsquo;est ainsi que les critiques n&rsquo;ont pas manqu&eacute;, cette derni&egrave;re d&eacute;cennie, contre la notion d&rsquo;entreprise citoyenne (voir par exemple&nbsp;: G. Lipovetsky, 1992, ou J.L.Dherse &amp; Dom H. Minguet, 1998). Mais pendant le m&ecirc;me temps on ne compte plus les programmes d&rsquo;&eacute;ducation &agrave; la citoyennet&eacute;.&nbsp;</p> <p class="texte" dir="ltr">S. Duchesne (1997) a bien montr&eacute; la particularit&eacute; de la situation fran&ccedil;aise, caract&eacute;ris&eacute;e par la difficult&eacute; &agrave; penser la citoyennet&eacute; autrement qu&rsquo;en rapport avec la communaut&eacute; nationale, ce qui n&rsquo;est pas le cas dans les autres pays europ&eacute;ens ou aux Etats-Unis. Elle a, par ailleurs, mis en &eacute;vidence un effet d&rsquo;&acirc;ge&nbsp;: les repr&eacute;sentations de la citoyennet&eacute; suivent moins fr&eacute;quemment le mod&egrave;le de l&rsquo;h&eacute;ritage chez les jeunes g&eacute;n&eacute;rations, et plus souvent le <em>mod&egrave;le des scrupules</em><a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a><em>.</em></p> <p class="texte" dir="ltr">Il n&rsquo;&eacute;tait donc pas inutile d&rsquo;aller voir sur le terrain ce que de jeunes &eacute;tudiants, avant d&rsquo;&ecirc;tre happ&eacute;s par la vie professionnelle, associaient spontan&eacute;ment &agrave; ce terme dans le cadre d&rsquo;une question ouverte.</p> <p class="texte" dir="ltr">Les r&eacute;sultats qui suivent ont &eacute;t&eacute; expos&eacute;s lors d&rsquo;une communication pr&eacute;sent&eacute;e derni&egrave;rement &agrave; la deuxi&egrave;me Biennale Ado du GERPA<a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a>. La question ouverte &eacute;tait la suivante&nbsp;: &laquo;Pourriez-vous dire ce que c&rsquo;est pour vous qu&rsquo;&ecirc;tre un(e) citoyen(ne)&nbsp;?&raquo;. On a proc&eacute;d&eacute; &agrave; l&rsquo;analyse de contenu des r&eacute;ponses de 62 &eacute;tudiants en Lettres et Sciences humaines de la r&eacute;gion parisienne interrog&eacute;s en 2000 et 2001. Par ailleurs, on leur avait pos&eacute; deux questions ferm&eacute;es, emprunt&eacute;es toutes deux au questionnaire du CEVIPOF (D. Boy &amp; N. Mayer, 1997), l&rsquo;une concernant leur sentiment d&rsquo;appartenance territoriale, l&rsquo;autre leur auto-affiliation politique sur une &eacute;chelle en 7 points.&nbsp;</p> <p class="texte" dir="ltr">Apr&egrave;s recodage des r&eacute;ponses &agrave; ces deux questions, on obtient les auto-descriptions suivantes&nbsp;:</p> <p class="texte" dir="ltr">Une moiti&eacute; des jeunes interrog&eacute;s se d&eacute;crit comme &laquo;se sentant seulement Fran&ccedil;ais&raquo; ou &laquo;plus Fran&ccedil;ais qu&rsquo;Europ&eacute;en&raquo;&nbsp;: nous les appellerons &laquo;Nationalistes&raquo;. Un quart se d&eacute;crit comme &laquo;se sentant autant Fran&ccedil;ais qu&rsquo;Europ&eacute;en&raquo; ou &laquo;plus Europ&eacute;en que Fran&ccedil;ais&raquo; ou &nbsp;&laquo;seulement Europ&eacute;en&raquo;. Nous les appellerons&nbsp; &laquo;&nbsp;Europ&eacute;anistes&raquo;. Le quart restant ne souhaite pas se situer.</p> <p class="texte" dir="ltr">Une moiti&eacute; se situe &agrave; gauche (&eacute;chelons 1, 2, ou 3), un tiers au centre (&eacute;chelon 4) et 15 % &agrave; droite (&eacute;chelons 5, 6, ou 7).</p> <p class="texte" dir="ltr">On n&rsquo;observe aucun lien entre les r&eacute;ponses &agrave; ces deux questions<a class="footnotecall" href="#ftn3" id="bodyftn3">3</a>.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;analyse de contenu des r&eacute;ponses &agrave; la question ouverte concernant la citoyennet&eacute; a permis de mettre &agrave; jour deux grilles, l&rsquo;une fond&eacute;e sur les verbes employ&eacute;s, l&rsquo;autre sur les notions, g&eacute;n&eacute;ralement des substantifs, auxquels les jeunes interrog&eacute;s faisaient appel pour r&eacute;pondre. Les r&eacute;sultats figurent dans les deux tableaux ci-apr&egrave;s.</p> <p class="texte" dir="ltr"><img alt="Image1" src="https://numerev.com/images/cpp/docannexe/image/1628/img-1.jpg" style="width:6.5417inch;height:5.8646inch;margin-left:0.0in;margin-right:0.0in;margin-top:0mm;margin-bottom:0mm;padding-top:0.0602in;padding-bottom:0.0602in;padding-left:0.1102in;padding-right:0.1102in;border:none" /></p> <p class="texte" dir="ltr"><img alt="Image2" src="https://numerev.com/images/cpp/docannexe/image/1628/img-2.jpg" style="width:6.448inch;height:6.0835inch;margin-left:0.0in;margin-right:0.0in;margin-top:0mm;margin-bottom:0mm;padding-top:0.0602in;padding-bottom:0.0602in;padding-left:0.1102in;padding-right:0.1102in;border:none" /></p> <p class="texte" dir="ltr">Les cat&eacute;gories ainsi apparues sont clairement d&eacute;limit&eacute;es et les chiffres montrent que les jeunes donnent souvent plusieurs directions &agrave; leurs r&eacute;ponses (5 codages environ par r&eacute;ponse).</p> <p class="texte" dir="ltr">Le tri crois&eacute; en fonction de l&rsquo;auto-affiliation politique montre deux variations nettes, l&rsquo;une pour la grille des verbes et l&rsquo;autre pour la grille des notions, variations qui sont li&eacute;es l&rsquo;une &agrave; l&rsquo;autre. Lorsque l&rsquo;on passe de la gauche &agrave; la droite, la proportion de codages &laquo;Voter&raquo; diminue r&eacute;guli&egrave;rement (de 33% &agrave; 24%), celle de codages &laquo;Appartenir &agrave;&raquo; augmente r&eacute;guli&egrave;rement (de 16% &agrave; 29%). Et parall&egrave;lement la proportion de codages &laquo;D&eacute;mocratie&raquo; diminue (de 16% &agrave; 4%), celle de codages &laquo;Territoire&raquo; augmente (de 19% &agrave; 32%).</p> <p class="texte" dir="ltr">Le tri crois&eacute; en fonction du sentiment d&rsquo;appartenance territoriale permet de noter une diff&eacute;rence dans la fa&ccedil;on de se monter actif entre les nationalistes et les europ&eacute;anistes&nbsp;: chez les premiers, on d&eacute;compte une fr&eacute;quence sup&eacute;rieure de&nbsp; codages &laquo;Voter&raquo; (35%&gt;21%), tandis que chez les seconds on observe une fr&eacute;quence sup&eacute;rieure de codages &laquo;Conna&icirc;tre&raquo; (11%&gt;5%). Et par ailleurs l&rsquo;analyse des notions confirme une diff&eacute;rence de conception nette&nbsp;:</p> <p class="texte" dir="ltr">Les r&eacute;ponses des nationalistes donnent plus souvent lieu au codage &laquo;Autrui&raquo;, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse des &laquo;autres&raquo; ou de la &laquo;communaut&eacute;&raquo;, ainsi qu&rsquo;au codage &laquo;Probl&egrave;me politique, &eacute;conomique, ou social&raquo;.</p> <p class="texte" dir="ltr">Les r&eacute;ponses des europ&eacute;anistes conduisent plus souvent, elles, aux codages &laquo;Histoire, culture, langue, traditions&raquo;, &laquo;Lois et r&egrave;glements&raquo;, et &laquo;Institutions&raquo;.</p> <p class="texte" dir="ltr">Cet aspect plus savant des r&eacute;ponses des europ&eacute;anistes se trouve confirm&eacute; par le fait que leurs r&eacute;ponses sont plus riches&nbsp;: en moyenne 5,3 codages contre seulement 4,6 pour les nationalistes.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;analyse factorielle qui a &eacute;t&eacute; effectu&eacute;e sur ces donn&eacute;es confirme la proximit&eacute; entre les europ&eacute;anistes et le verbe &laquo;s&rsquo;int&eacute;resser&raquo;, et la proximit&eacute; entre les jeunes se situant &agrave; gauche et la &laquo;d&eacute;mocratie&raquo;. Elle fait ressortir aussi l&rsquo;<strong>expertise</strong> de celles et ceux qui s&rsquo;int&eacute;ressent, par opposition au <strong>sentimentalisme</strong> de celles et ceux qui con&ccedil;oivent d&rsquo;&ecirc;tre citoyens avant tout comme des concitoyens.</p> <p class="texte" dir="ltr">En conclusion, la combinatoire entre les diff&eacute;rentes facettes de la citoyennet&eacute; chez ces jeunes &eacute;tudiants para&icirc;t &agrave; la fois riche, structur&eacute;e et parcourue par un sentiment de r&eacute;versibilit&eacute; de bon augure&nbsp;: j&rsquo;ai des droits, mais aussi des devoirs, &agrave; commencer par le vote. Et si leur c&oelig;ur balance entre sentiment, expertise et action, et pour les &laquo;sentimentaux&raquo; entre un territoire et un autrui g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;, gageons que le &laquo;destin commun&raquo; de leur g&eacute;n&eacute;ration, pour reprendre les termes de K. Mannheim, fera appel &agrave; tous ces aspects compl&eacute;mentaires de la citoyennet&eacute;.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> &nbsp;Dans le premier mod&egrave;le (mod&egrave;le de l&rsquo;h&eacute;ritage), l&rsquo;auteur observe une assimilation entre citoyennet&eacute; et nationalit&eacute;, et le r&ocirc;le de la famille dans la transmission&nbsp;; dans le second (mod&egrave;le des scrupules), elle observe la primaut&eacute; donn&eacute;e aux relations inter-individuelles et l&rsquo;id&eacute;e que le citoyen vit en soci&eacute;t&eacute;. Dans le deux cas, le citoyen a des devoirs.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> &nbsp;Colloque des 2-5 juillet 2001&nbsp;: les jeunes et la loi&nbsp;: rep&egrave;res, transgressions, violences, interventions sociales.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn3" id="ftn3">3</a> &nbsp;Ce qui n&rsquo;est pas le cas si on propose un &eacute;ventail de territoires plus large, incluant la ville et la r&eacute;gion au niveau infra-national, et le monde au niveau supra-national. Par ailleurs, dans le cas pr&eacute;sent, un quart des jeunes interrog&eacute;s n&rsquo;a pas souhait&eacute; r&eacute;pondre &agrave; la question sur le sentiment d&rsquo;appartenance territoriale.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Boy D. &amp; Mayer N. (1997), <em>L&rsquo;&eacute;lecteur a ses raisons</em>, Paris, Presses de Sciences Po, 250 p.&nbsp;</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Dherse J.L. &amp; Minguet Dom H. (1998), <em>L&rsquo;&eacute;thique ou le chaos&nbsp;?</em> ,Paris, Presses de la Renaissance, 375 p.&nbsp;</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Duchesne S. (1997), <em>Citoyennet&eacute; &agrave; la fran&ccedil;aise</em>, Paris, Presses de Sciences Po, 330 p.&nbsp;</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Lipovetsky G. (1992), <em>Le cr&eacute;puscule du devoir</em>, Paris, Gallimard, 292 p.&nbsp;</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Mannheim K&nbsp;. (1928), <em>Le probl&egrave;me des g&eacute;n&eacute;rations</em>, Paris, Nathan, 1990, 123 p.&nbsp;</p>