<h1 dir="ltr" id="heading1">I. Les attitudes vieillissent... ou seulement leurs indicateurs&nbsp;?</h1> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;id&eacute;e de personnalit&eacute; autoritaire a &eacute;t&eacute; bien accueillie lors de la parution de l&rsquo;ouvrage d&rsquo;Adorno (1950) et de ses collaborateurs. Elle a &eacute;t&eacute; discut&eacute;e, on a tent&eacute; de la d&eacute;velopper de diff&eacute;rentes mani&egrave;res, puis l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t a d&eacute;cru. Toutefois, p&eacute;riodiquement elle ressurgit, mais en g&eacute;n&eacute;ral pour peu de temps, comme si on sentait qu&rsquo;il y a l&agrave; une piste int&eacute;ressante, mais qui finalement ne se r&eacute;v&egrave;le pas si f&eacute;conde.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;il faut une personnalit&eacute; particuli&egrave;re pour endosser une certaine vision du monde est vraisemblable et s&eacute;duisante<a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a>. Mais les conditions ont chang&eacute;, le monde n&rsquo;est plus le m&ecirc;me, nous avons d&rsquo;autres exp&eacute;riences de l&rsquo;autoritarisme est du totalitarisme&nbsp;; les op&eacute;rationnalisations adopt&eacute;es ont vieilli comme on pouvait s&rsquo;y attendre. Mais qu&rsquo;est est-il des concepts, de l&rsquo;id&eacute;e-m&ecirc;me de personnalit&eacute; autoritaire&nbsp;? Que peut-on en conserver&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">Le vieillissement est &eacute;vident pour la plupart des diff&eacute;rentes &eacute;chelles, dont le contenu porte la marque de l&rsquo;&eacute;poque, ce qui est normal, mais qui les rend inutilisables aujourd&rsquo;hui. Il faudrait en trouver des &eacute;quivalents, ce qui est certainement possible, mais prendra du temps.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ce qui est plus important, &agrave; c&ocirc;t&eacute; de cette obsolescence normale des outils, c&rsquo;est que la mani&egrave;re m&ecirc;me de poser le probl&egrave;me porte fortement la marque de l&rsquo;&eacute;poque et des conditions de la recherche. Pour les auteurs, pour la plupart des Allemands antinazis r&eacute;fugi&eacute;s aux Etats-Unis, ce qu&rsquo;il fallait &eacute;tudier et expliquer, c&rsquo;&eacute;tait le nazisme et le fascisme, dictatures d&rsquo;extr&ecirc;me-droite fond&eacute;es sur le nationalisme et le racisme. Ce n&rsquo;est que plus tard qu&rsquo;a &eacute;t&eacute; avanc&eacute;e l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un totalitarisme comprenant aussi le stalinisme. Juste apr&egrave;s la guerre pendant laquelle l&rsquo;URSS s&rsquo;&eacute;tait battue aux c&ocirc;t&eacute;s des d&eacute;mocraties occidentales et alors que les communistes avaient &eacute;t&eacute; des antifascistes particuli&egrave;rement actifs, cette assimilation &eacute;tait impensable. Reprendre aujourd&rsquo;hui l&rsquo;id&eacute;e de personnalit&eacute; autoritaire suppose au moins qu&rsquo;on se pose le probl&egrave;me. Les syst&egrave;mes autoritaires sont certainement plus divers qu&rsquo;on ne le supposait.</p> <p class="texte" dir="ltr">En particulier, ils ne sont pas n&eacute;cessairement autoritaires dans tous les domaines, comme l&rsquo;&eacute;taient les fascismes ou le communisme. Les champs &eacute;conomique et politico-culturel peuvent se trouver dissoci&eacute;s. La dictature chilienne &eacute;tait &agrave; la fois ultralib&eacute;rale dans le domaine &eacute;conomique et tr&egrave;s autoritaire dans tous les autres. Inversement&nbsp;; la plupart des sociaux-d&eacute;mocrates sont dirigistes (mais est-ce une forme att&eacute;nu&eacute;e de l&rsquo;autoritarisme&nbsp;? Il faudra y revenir) en &eacute;conomie et lib&eacute;raux partout ailleurs. Comment ces diff&eacute;rences, &eacute;videntes politiquement et historiquement, s&rsquo;articulent-elles avec l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;<em>une</em> personnalit&eacute; autoritaire&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">On peut aussi mettre en cause un aspect plus fondamental&nbsp;: l&rsquo;absence de sym&eacute;trie, dans la formulation m&ecirc;me du probl&egrave;me, entre autoritarisme et d&eacute;mocratie. Il est manifeste que, pour les auteurs, ce qui est &agrave; expliquer, c&rsquo;est la personnalit&eacute; autoritaire, et pas le fait d&rsquo;&ecirc;tre d&eacute;mocrate. L&rsquo;autoritarisme est pour eux une pathologie, et un peut rapprocher leur attitude de celle du m&eacute;decin qui ne cherche &agrave; rendre compte que de la maladie, la bonne sant&eacute; &eacute;tant per&ccedil;ue comme un &eacute;tat naturel qui va de soi et donc n&rsquo;appelle aucune explication. Pourtant, nous connaissons suffisamment de cas o&ugrave; la d&eacute;mocratie appara&icirc;t plus comme l&rsquo;aboutissement d&rsquo;une lutte que comme un r&eacute;gime naturel<a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a>. &nbsp;Faut-il alors supposer une &laquo;&nbsp;personnalit&eacute; d&eacute;mocratique&nbsp;&raquo;, sym&eacute;trique et compl&eacute;mentaire de la personnalit&eacute; autoritaire&nbsp;? Celle-ci devra-t-elle &ecirc;tre simplement d&eacute;finie comme le contraire, le n&eacute;gatif de celle-ci, ou pr&eacute;sente-t-elle des traits sp&eacute;cifiques<a class="footnotecall" href="#ftn3" id="bodyftn3">3</a>&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">La notion de personnalit&eacute; autoritaire a-t-elle encore une pertinence dans le cadre d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; d&eacute;mocratique&nbsp;? Peut-on consid&eacute;rer qu&rsquo;&ecirc;tre partisan du dirigisme &eacute;conomique ou de l&rsquo;ordre moral, pour prendre des exemples tr&egrave;s diff&eacute;rents, en sont des manifestations&nbsp;?</p> <h1 dir="ltr" id="heading2">II. La personnalit&eacute; autoritaire dans la d&eacute;mocratie</h1> <p class="texte" dir="ltr">On a reproch&eacute; &agrave; l&rsquo;id&eacute;e de personnalit&eacute; autoritaire de psychologiser abusivement la politique. Il reste en effet &agrave; comprendre comment et pourquoi des personnalit&eacute;s autoritaires, dans certains contextes et &agrave; certains moments, forment des mouvements et des syst&egrave;mes autoritaires, et pas dans d&rsquo;autres. D&rsquo;o&ugrave; la question compl&eacute;mentaire&nbsp;: que deviennent-elles dans ces autres circonstances&nbsp;? Se manifestent-elles comme une opposition &agrave; la d&eacute;mocratie, ou en constituent-elles une opposition, voire un simple courant&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">A mesure qu&rsquo;on s&rsquo;&eacute;loignait de la guerre, la r&eacute;f&eacute;rence aux r&eacute;gimes fascistes s&rsquo;est peu &agrave; peu estomp&eacute;e, et c&rsquo;est dans le cadre d&rsquo;&eacute;tudes g&eacute;n&eacute;rales sur les attitudes politiques, men&eacute;es dans les d&eacute;mocraties occidentales, que certains auteurs ont retrouv&eacute; l&rsquo;autoritarisme, mais comme une dimension parmi d&rsquo;autres. Eysenck, par exemple, dans sa Psychologie de la politique (1954), obtient par analyse factorielle deux dimensions orthogonales, la dimension gauche-droite, et ce qu&rsquo;il appelle <em>tough mided</em> oppos&eacute; &agrave; <em>tender minded</em>, opposition retrouv&eacute;e, avec des nuances, par de nombreux auteurs sous des noms divers&nbsp;:Rokeach (1960) distingue les esprits ouverts et ferm&eacute;s (<em>open and closed minds</em>). Lipset (1960) parle <em>du working-class authoritarianusm,</em> qu&rsquo;il oppose au lib&eacute;ralisme d&rsquo;autres cat&eacute;gories sociales.</p> <p class="texte" dir="ltr">Quels que soient les termes utilis&eacute;s, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de types distincts ou de dimensions continues, les contenus se ressemblent malgr&eacute; leurs diff&eacute;rences. Un premier groupe peut &ecirc;tre assimil&eacute; aux autoritaires&nbsp;: ils sont partisans d&rsquo;un &eacute;tat fort, intervenant dans tous les domaines, ils aiment l&rsquo;ordre et sont attach&eacute;s aux traditions, alors que les autres, les lib&eacute;raux se m&eacute;fient de l&rsquo;&eacute;tat, veulent diminuer l&rsquo;emprise des lois et des r&egrave;gles, pr&eacute;f&egrave;rent le contrat &agrave; la loi, sont oppos&eacute;s &agrave; toute censure et sont partisans de la lib&eacute;ration des m&oelig;urs.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ces distinctions sont certainement pertinentes, mais on peut s&rsquo;interroger sur l&rsquo;homog&eacute;n&eacute;it&eacute; de cette dimension et sur son ind&eacute;pendance par rapport &agrave; l&rsquo;axe gauche-droite. Les relations entre ces deux dimensions ont vari&eacute; selon les &eacute;poques.</p> <p class="texte" dir="ltr">Pendant longtemps la gauche a &eacute;t&eacute; dirigiste, jacobine en France, se m&eacute;fiant des libert&eacute;s formelles qui ne profitent qu&rsquo;aux plus forts et croyant &agrave; la possibilit&eacute; et aux vertus d&rsquo;une gestion rationnelle, volontariste, de la soci&eacute;t&eacute;<a class="footnotecall" href="#ftn4" id="bodyftn4">4</a>. Depuis quelques ann&eacute;es, la &laquo;&nbsp;deuxi&egrave;me gauche&nbsp;&raquo; a pris des positions oppos&eacute;es, pr&eacute;conisant une d&eacute;centralisation pouss&eacute;e, acceptant le libre jeu du march&eacute; et pr&eacute;conisant une politique contractuelle, tout en restant de gauche, en particulier par son attachement &agrave; l&rsquo;&eacute;tat-providence et &agrave; la lutte contre les in&eacute;galit&eacute;s.</p> <p class="texte" dir="ltr">La droite, elle, a en g&eacute;n&eacute;ral &eacute;t&eacute; lib&eacute;rale en &eacute;conomie, malgr&eacute; en France une forte tradition colbertienne se perp&eacute;tuant jusqu&rsquo;au gaullisme, et autoritaire dans tous les autres domaines. Mais aux Etats-Unis les libertariens, qui ont quelques &eacute;mules en Europe, sont oppos&eacute;s &agrave; l&rsquo;intervention de l&rsquo;Etat dans tous les domaines, allant jusqu&rsquo;&agrave; pr&eacute;coniser la l&eacute;galisation des drogues et d&eacute;fendant les objecteurs de conscience pendant la guerre du Vietnam, au nom &agrave; la fois du droit fondamental de chacun de choisir son mode de vie, et aussi par une confiance dans les m&eacute;canismes du march&eacute;, qu&rsquo;ils voudraient &eacute;tendre &agrave; tous les domaines, ce qui les distingue des anarchistes.</p> <p class="texte" dir="ltr">Il y a quelques ann&eacute;es, une enqu&ecirc;te du CEVIPOF (1990) sur les attitudes politiques n&rsquo;a mis en &eacute;vidence aucune corr&eacute;lation entre le lib&eacute;ralisme &eacute;conomique et le lib&eacute;ralisme culturel. Mais ce peut n&rsquo;&ecirc;tre qu&rsquo;une illusion statistique, valable uniquement sur le plan descriptif, montrant qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas de lien n&eacute;cessaire entre eux. Il est &agrave; mon avis probable qu&rsquo;il existe des groupes qui diff&egrave;rent par les relations qu&rsquo;ils &eacute;tablissent entre ces deux domaines, l&rsquo;agr&eacute;gation de ces groupes dans une enqu&ecirc;te g&eacute;n&eacute;rale se trouvant donner le m&ecirc;me r&eacute;sultat statistique que si, pour chaque individu, il y avait r&eacute;ellement ind&eacute;pendance.</p> <p class="texte" dir="ltr">La premi&egrave;re recherche sur la personnalit&eacute; autoritaire, sans le dire explicitement, pensait expliquer en m&ecirc;me temps l&rsquo;opposition gauche-droite, la droite &eacute;tant assimil&eacute;e &agrave; l&rsquo;autoritarisme. Les travaux ult&eacute;rieurs ont plus ou moins clairement dissoci&eacute; les deux dimensions. L&rsquo;analyse historique montre que, s&rsquo;il s&rsquo;agit bien de deux dimensions conceptuellement distinctes, elles se sont toujours trouv&eacute;es li&eacute;es de diverses fa&ccedil;ons. Il serait int&eacute;ressant d&rsquo;&eacute;tudier ces diverses configurations, leurs successions ou leurs simultan&eacute;it&eacute;s, leurs transformations.</p> <p class="texte" dir="ltr">On a surtout retenu de la recherche sur la personnalit&eacute; autoritaire la description de celle-ci, en occultant le plus souvent ce qui &eacute;tait la pr&eacute;occupation essentielle de ses auteurs, son <em>explication</em>, dans la ligne des travaux men&eacute;s depuis plusieurs ann&eacute;es par l&rsquo;Institut de Recherches Sociales de Francfort sur la famille. Il serait maintenant int&eacute;ressant de se poser &agrave; nouveau le probl&egrave;me de la gen&egrave;se des attitudes politiques..</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> &nbsp;Mais elle n&rsquo;est peut-&ecirc;tre qu&rsquo;une manifestation de l&rsquo;&laquo;erreur fondamentale&raquo; d&eacute;nonc&eacute;e par de nombreux psychologues sociaux, et qui consiste &agrave; surestimer le r&ocirc;le des facteurs &laquo;dispositionnels&raquo; par rapport aux &laquo;situationnels&raquo;. Une part importante de la psychologie sociale r&eacute;cente vise &agrave; le montrer. Citons entre autres les exp&eacute;riences de Milgram sur la soumission &agrave; l&rsquo;autorit&eacute;, qu&rsquo;on peut consid&eacute;rer comme une r&eacute;futation de l&rsquo;id&eacute;e de personnalit&eacute; autoritaire.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> &nbsp;Le probl&egrave;me de la sym&eacute;trie dans la mani&egrave;re de poser un probl&egrave;me d&rsquo;explication se retrouve dans de nombreux domaines. La dissym&eacute;trie r&eacute;v&egrave;le souvent les pr&eacute;suppos&eacute;s, souvent implicites, des chercheurs, et la sumonter constitue une avanc&eacute;e importante. A ses d&eacute;buts, la criminologie se demandant pourquoi on devient d&eacute;linquent ou &eacute;viant, pas pourquoi on respecte les lois et les normes. Des historiens des religions croyants se sont pench&eacute;s sur les h&eacute;r&eacute;sies pas sur l&rsquo;orthodoxie. Les premiers sociologues de la science se limitaient &agrave; expliquer les erreurs scientifiques ou les &eacute;checs, les th&eacute;ories et les r&eacute;sultats exp&eacute;rimentaux &laquo;valides&raquo; s&rsquo;expliquant naturellement par leur v&eacute;rit&eacute; et l&rsquo;emploi de bonnes m&eacute;thodes. On peut accumuler les exemples.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn3" id="ftn3">3</a> &nbsp;S&rsquo;il est n&eacute;cessaire de poser un probl&egrave;me de fa&ccedil;on sym&eacute;trique, cela n&rsquo;entra&icirc;ne pas que les solutions doivent n&eacute;cessairement l&rsquo;&ecirc;tre.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn4" id="ftn4">4</a> &nbsp;La plupart des utopies, qui sont en g&eacute;n&eacute;ral consid&eacute;r&eacute;es comme des pr&eacute;curseurs du socialisme, sont extr&ecirc;mement autoritaires, r&eacute;glant tous les d&eacute;tails de la vie par volont&eacute; de rationalit&eacute;.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Adorno, T.W. et al (1950) The Authoritarian Personality</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">CEVIPOF (1990) L&rsquo;Electeur Fran&ccedil;ais en Questions</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Eysenck, H.J. (1954) The Psychology of Politics</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Lipset, S.M.(1960) Political Man</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Rokeach, M. (1960) The Open and Closed Mind</p>