<blockquote> <p class="citation" dir="ltr">&laquo;&nbsp;Le probl&egrave;me central pour moi, est toujours de savoir comment on peut obtenir ce changement radical des hommes avant le changement r&eacute;volutionnaire des institutions de base, sociales et politiques.&nbsp;&raquo; <em>Herbert Marcuse.</em></p> </blockquote> <h1 dir="ltr" id="heading1">Changer d&rsquo;abord &laquo;&nbsp;l&rsquo;infrastructure de l&rsquo;homme&nbsp;&raquo;</h1> <p class="texte" dir="ltr">&Agrave; l&rsquo;encontre de la &laquo;&nbsp;philosophie positive&raquo; qui impose sa fausse rationalit&eacute; oppressive et son principe de rendement &agrave; une &laquo;&nbsp;soci&eacute;t&eacute; close&nbsp;&raquo;, la &laquo;&nbsp;th&eacute;orie critique&nbsp;&raquo; revendique &laquo;&nbsp;le pouvoir du n&eacute;gatif&nbsp;&raquo; et l&rsquo;irruption d&rsquo;une contre-culture r&eacute;alisant l&rsquo;humain et &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;largissement du domaine de la libert&eacute;&nbsp;&raquo;. Elle r&eacute;v&egrave;le et d&eacute;nonce le caract&egrave;re irrationnel cach&eacute; de la rationalit&eacute; instrumentale triomphante. Contre <em>l&rsquo;univers &eacute;tabli du discours &eacute;tabli</em> elle projette une transformation radicale de l&rsquo;&ecirc;tre-l&agrave; r&eacute;pressif du monde politico-techno-marchand install&eacute; dont elle construit l&rsquo;interpr&eacute;tation et produit la r&eacute;futation par l&rsquo;usage de concepts philosophiques qui - transcendant la r&eacute;alit&eacute; donn&eacute;e - la r&eacute;f&egrave;re &agrave; son insuffisance d&rsquo;&ecirc;tre, &agrave; ses finalit&eacute;s non r&eacute;alis&eacute;es, &agrave; ses promesses de libert&eacute;, de bonheur, d&rsquo;&eacute;galit&eacute; et de justice non tenues. Parce qu&rsquo;elle est en contradiction avec ses id&eacute;aux d&eacute;cr&eacute;t&eacute;s, &laquo;&nbsp;la soci&eacute;t&eacute; existante est devenue ill&eacute;gitime, ill&eacute;gale&nbsp;: elle a enfreint sa propre loi.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Sous la pouss&eacute;e de ce &laquo;&nbsp;pouvoir du n&eacute;gatif&nbsp;&raquo; d&eacute;mystifiant des positivit&eacute;s et des croyances install&eacute;es, il faudrait, pour que la Lib&eacute;ration effective advienne, que &laquo;&nbsp;l&rsquo;infrastructure de l&rsquo;homme&nbsp;&raquo; change, que son appareil psychique et &laquo;&nbsp;instinctuel&nbsp;&raquo; connaisse une mutation fondamentale entra&icirc;nant une conversion, une <em>prise de conscience</em> et l&rsquo;urgence d&rsquo;un mode de vie <em>autre</em>, non ali&eacute;n&eacute;, laissant place &agrave; l&rsquo;h&eacute;donisme, et &agrave; un principe de r&eacute;alit&eacute; non sur-r&eacute;pressif.</p> <p class="texte" dir="ltr">Telle est la probl&eacute;matique de Marcuse qui pr&eacute;suppose l&rsquo;accomplissement pr&eacute;alable de ce que la R&eacute;volution se propose pr&eacute;cis&eacute;ment de r&eacute;aliser, &agrave; savoir le &laquo;&nbsp;changement radical des hommes <em>avant</em> le changement r&eacute;volutionnaire des institutions.&nbsp;&raquo; En ce cercle vertueux qui inverse cause et cons&eacute;quence de la logique r&eacute;volutionnaire marxiste, r&eacute;side la posture <em>libertaire</em> qui int&egrave;gre <em>l&rsquo;utopie</em> &agrave; la <em>praxis</em>, pose la puissance de l&rsquo;esprit et des id&eacute;es au centre du projet de Lib&eacute;ration, consid&eacute;rant que l&rsquo;imaginaire poss&egrave;de &agrave; terme le pouvoir de structurer le r&eacute;el et de changer le monde. C&rsquo;est l&rsquo;une des raisons pour lesquelles Marcuse, dans un entretien publi&eacute; par <em>L&rsquo;Express,</em> datant de septembre 1968, se r&eacute;f&eacute;rant aux slogans des &eacute;tudiants fran&ccedil;ais en r&eacute;volte d&eacute;clare&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il y a un graffiti que j&rsquo;aime beaucoup, c&rsquo;est&nbsp;: &ldquo;Soyez r&eacute;alistes, demandez l&rsquo;impossible&rdquo;. C&rsquo;est magnifique. Et aussi&nbsp;: &ldquo;M&eacute;fiez-vous, les oreilles ont des murs.&rdquo; C&rsquo;est r&eacute;aliste&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Une fois prise la mesure de l&rsquo;obstacle massif et majeur se dressant devant la Lib&eacute;ration, constitu&eacute; par le syst&egrave;me &eacute;conomique technique et financier du capitalisme, une fois estim&eacute;s sa pesante mat&eacute;rialit&eacute; et son ancrage dans <em>l&rsquo;infrastructure</em> qui le supporte (ressources, milieu g&eacute;ophysique, sources d&rsquo;&eacute;nergie, forces productives, rapports de production, r&eacute;partition des richesses, commerce, machines, techniques, etc.) et qui a model&eacute; en profondeur les modes d&rsquo;existence de nos soci&eacute;t&eacute;s industrielles d&eacute;velopp&eacute;es, il convient de prendre toute la mesure d&rsquo;un autre obstacle s&rsquo;opposant lui aussi &agrave; la Lib&eacute;ration, non mat&eacute;riel celui-l&agrave;, mais toutefois tr&egrave;s puissant car il verrouille culturellement, m&eacute;taphysiquement le syst&egrave;me, et assure sa perduration.</p> <p class="texte" dir="ltr">Cet autre obstacle au changement n&rsquo;est pas <em>infrastructurel</em> et mat&eacute;riel, mais immat&eacute;riel, <em>superstructurel </em>et id&eacute;ationnel.Il s&rsquo;agit de <em>l&rsquo;id&eacute;ologie</em> dominante, qui est toujours comme le pr&eacute;cise Marx, celle de la classe dominante. Cette <em>superstructure</em> d&eacute;termine une vision collective invers&eacute;e, fausse, du monde et des rapports sociaux. Elle regroupe la politique, le droit, la religion, la philosophie, la science, la morale, l&rsquo;art, etc., instances imbriqu&eacute;es qui construisent et d&eacute;terminent les repr&eacute;sentations du monde v&eacute;cu sous l&rsquo;effet des d&eacute;terminations infrastructurelles dont cette superstructure est l&rsquo;&eacute;manation et la l&eacute;gitimation involontaire et inconsciente.</p> <p class="texte" dir="ltr">Mais il convient - en sus de cette interpr&eacute;tation marxiste classique du fonctionnement social et politique de nos soci&eacute;t&eacute;s industrielles avanc&eacute;es - de prendre en consid&eacute;ration la mise en &eacute;vidence par Marcuse d&rsquo;un troisi&egrave;me obstacle au changement de soci&eacute;t&eacute;, d&rsquo;un obstacle non plus seulement institutionnel et socialement ext&eacute;rieur, mais <em>int&eacute;rieur &agrave; l&rsquo;homme</em> lui-m&ecirc;me, un pouvoir instituant de la r&eacute;alit&eacute; sociale, institu&eacute; par la structuration auto-r&eacute;pressive du psychisme de l&rsquo;individu, ayant, sous l&rsquo;influence du principe de r&eacute;alit&eacute;, incorpor&eacute; la contrainte et la r&eacute;pression des pulsions induites par le syst&egrave;me, et les reproduisant. Il s&rsquo;agit de la structure psycho-affective que Marcuse appelle non sans r&eacute;f&eacute;rence subversive &agrave; Marx, &laquo;&nbsp;l&rsquo;infrastructure de l&rsquo;homme.&nbsp;&raquo; Ce concept est dissident par rapport &agrave; la th&eacute;orie de Marx, &eacute;tant donn&eacute; que pour ce dernier l&rsquo;infrastructure ne peut &ecirc;tre que mat&eacute;rielle et sociale, et pas individuelle et psychique, et que c&rsquo;est, selon Marx, de cette base mat&eacute;rielle &eacute;conomique &laquo;&nbsp;d&eacute;terminante en derni&egrave;re instance&nbsp;&raquo;, qu&rsquo;il faut partir - pour expliquer l&rsquo;univers politique et social, les &eacute;tats de conscience, les repr&eacute;sentations collectives, les normes et les valeurs sociales - et non pas de ces r&eacute;alit&eacute;s id&eacute;ationnelles et des complexions int&eacute;rieures des acteurs qui ne sont que des &laquo;&nbsp;reflets&nbsp;&raquo; de la vie mat&eacute;rielle sans aucune consistance. Or, Marcuse, tout en int&eacute;grant partiellement cette vision r&eacute;aliste anti-m&eacute;taphysique de l&rsquo;histoire et du monde, n&rsquo;int&egrave;gre pas pour autant le paradigme mat&eacute;rialiste-&eacute;conomiciste marxiste. Il d&eacute;passe dialectiquement l&rsquo;opposition binaire infrastructure mat&eacute;rielle/superstructure culturelle, par la position d&rsquo;un troisi&egrave;me terme, par le recours &agrave; une m&eacute;diation de nature empirico-transcendantale. Il s&rsquo;agit de la mise en &eacute;vidence d&rsquo;une <em>infrastructure interm&eacute;diaire</em> entre le monde mat&eacute;riel et le monde culturel, infrastructure non pas de la soci&eacute;t&eacute;, mais &laquo;&nbsp;de l&rsquo;homme&nbsp;&raquo;, d&eacute;signant une r&eacute;alit&eacute; anthropologique, une entit&eacute; psychique ayant int&eacute;rioris&eacute; l&rsquo;ext&eacute;riorit&eacute;. La dissidence paradigmatique r&eacute;side en outre dans l&rsquo;affirmation de la puissance d&eacute;terminante de cette infrastructure &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des rapports sociaux et de la vie mat&eacute;rielle. Il s&rsquo;agit pr&eacute;cis&eacute;ment d&rsquo;un d&eacute;passement du mat&eacute;rialisme, d&rsquo;un retour de l&rsquo;id&eacute;alisme, d&rsquo;un &laquo;&nbsp;retournement du mat&eacute;rialisme historique en id&eacute;alisme social&nbsp;&raquo;. L&rsquo;infrastructure de l&rsquo;homme, sa dimension instinctuelle, pulsionnelle, est d&eacute;sormais potentiellement r&eacute;volutionnaire et peut g&eacute;n&eacute;rer une nouvelle morale, une nouvelle culture, un nouvel id&eacute;al, m&ecirc;me si cette infrastructure a &eacute;t&eacute; en un premier temps induite et d&eacute;termin&eacute;e par des instances &eacute;conomiques&nbsp;; et c&rsquo;est cette morale cette contre-culture qui modifieront la r&eacute;alit&eacute;. C&rsquo;est <em>maintenant</em> elle, qui sera d&eacute;terminante en premi&egrave;re instance, &laquo;&nbsp;radicalement&nbsp;&raquo;, du &laquo;&nbsp;changement r&eacute;volutionnaire des institutions de base, sociales et politiques.&nbsp;&raquo; Comme chez Antonio Gramsci, ce sont les id&eacute;es, les repr&eacute;sentations que se font les hommes, qui poss&egrave;dent le pouvoir de changer le monde. Le r&ocirc;le de l&rsquo;imagination est &eacute;galement d&eacute;terminant.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ce changement radical de l&rsquo;homme - qu&rsquo;il s&rsquo;agit de p&eacute;dagogiquement produire par une <em>praxis</em> ad&eacute;quate - entra&icirc;nant un changement radical de soci&eacute;t&eacute;, ne proc&eacute;dera pas comme le d&eacute;fend Marx, d&rsquo;un changement dans l&rsquo;infrastructure de la soci&eacute;t&eacute;, mais r&eacute;sultera selon Marcuse, d&rsquo;une <em>praxis</em> <em>&eacute;mancipatrice et r&eacute;demptrice</em>, &oelig;uvre d&rsquo;une &laquo;&nbsp;avant-garde&nbsp;&raquo; d&rsquo;intellectuels &eacute;clair&eacute;s. L&rsquo;all&eacute;gorie platonicienne de la Caverne se rappelle &agrave; nous, en ce que le philosophe qui est sorti en pleine lumi&egrave;re et a contempl&eacute; les r&eacute;alit&eacute;s, &agrave; savoir les id&eacute;es, retourne aupr&egrave;s des prisonniers pour leur enseigner la v&eacute;rit&eacute;, les guider hors de la Caverne, et d&eacute;passer les apparences. C&rsquo;est en la mise en &eacute;vidence de cette <em>infrastructure anthropique non mat&eacute;rielle</em>, <em>non collective mais partag&eacute;e,</em> et en tant que telle d&eacute;terminante des rapports sociaux, que consiste l&rsquo;originalit&eacute; de l&rsquo;analyse marcusienne du r&ocirc;le de l&rsquo;id&eacute;ologie, au sein de l&rsquo;&Eacute;cole de Francfort.</p> <p class="texte" dir="ltr">Cette originalit&eacute; tient &agrave; l&rsquo;int&eacute;gration des outils de la psychanalyse freudienne &agrave; l&rsquo;analyse politique marxiste revisit&eacute;e. C&rsquo;est selon lui en modelant cette infrastructure <em>de l&rsquo;homme et non de la soci&eacute;t&eacute;</em>, que l&rsquo;id&eacute;ologie dominante d&eacute;ploie son emprise sur les individus. Il existe en cons&eacute;quence <em>une sous-id&eacute;ologie des domin&eacute;s</em>, r&eacute;sultantde l&rsquo;int&eacute;riorisation de l&rsquo;id&eacute;ologie des dominants, les domin&eacute;s consentant &agrave; la domination et la reproduisant inconsciemment &agrave; leur d&eacute;triment, s&rsquo;&eacute;panouissant m&ecirc;me paradoxalement dans la culture r&eacute;pressive, dans &laquo;&nbsp;la servitude volontaire&nbsp;&raquo;, dans le respect des usages, du droit et des institutions, &eacute;prouvant - en une &laquo;&nbsp;fausse conscience&nbsp;&raquo;, en une &laquo;&nbsp;conscience heureuse qui croit que le r&eacute;el est rationnel et que le syst&egrave;me satisfait les besoins&nbsp;&raquo; - un &laquo;&nbsp;faux bonheur&nbsp;&raquo; et une &laquo;&nbsp;fausse libert&eacute;.&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;Plus &eacute;crasante se fait la puissance de l&rsquo;appareil de domination, plus effective sa reproduction dans la conscience et dans la structure pulsionnelle des domin&eacute;s, et plus s&rsquo;accro&icirc;t l&rsquo;importance d&rsquo;une pratique intellectuelle qui &eacute;lucide et qui &eacute;duque.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Il pourra en effet se faire, &agrave; rebours de l&rsquo;action dominatrice de l&rsquo;appareil id&eacute;ologique, que sous l&rsquo;effet d&rsquo;une pratique &eacute;mancipatoire de la connaissance philosophique, l&rsquo;id&eacute;ologie des domin&eacute;s - ces derniers d&eacute;fendant lucidement leurs int&eacute;r&ecirc;ts r&eacute;els - se transmue en connaissance vraie, abandonne la fausse conscience pour la vraie, et s&rsquo;oppose &agrave; l&rsquo;id&eacute;ologie des dominants. Notons en passant que la classe dominante qui impose sa vision du r&eacute;el, d&eacute;veloppe elle-m&ecirc;me une fausse conscience de soi et de cette r&eacute;alit&eacute; &eacute;conomique qu&rsquo;elle croit illusoirement dominer et l&eacute;gitimement vouloir gouverner. Mais ce passage &agrave; la connaissance vraie de la part des domin&eacute;s supposerait d&eacute;j&agrave; la conscientisation acquise. C&rsquo;est encore une fois le cercle vertueux libertaire qui s&rsquo;active. Comme Platon, Marcuse pr&eacute;suppose que l&rsquo;Ignorance est la r&eacute;elle source du Mal. En tout cas, c&rsquo;est la description pr&eacute;cise du fonctionnement de l&rsquo;appareil psychique en termes psychanalytiques, de ses m&eacute;canismes d&rsquo;identification, de projection, de transfert, d&rsquo;incorporation, d&rsquo;introjection, etc., qui permet de comprendre <em>comment</em> l&rsquo;id&eacute;ologie a prise sur les individus, et donc comment s&rsquo;en lib&eacute;rer.</p> <p class="texte" dir="ltr">Marcuse &agrave; la diff&eacute;rence de Marx ne s&rsquo;en tient donc pas - pour d&eacute;crire l&rsquo;id&eacute;ologie - &agrave; des repr&eacute;sentations et &agrave; des dynamiques collectives et <em>impersonnelles</em>, mais entre dans la description du m&eacute;canisme complexe de la subjectivit&eacute; des acteurs sociaux, proc&egrave;de &agrave; l&rsquo;analyse des processus psychiques individuels, en m&ecirc;me temps que communs, permettant seuls d&rsquo;expliquer pr&eacute;cis&eacute;ment <em>comment</em> l&rsquo;id&eacute;ologie peut s&rsquo;imposer et se maintenir, comment les valeurs et les normes s&rsquo;incorporent, se cristallisent et se f&eacute;tichisent. C&rsquo;est par l&rsquo;action de la persuasion de l&rsquo;appareil &eacute;ducatif, des m&eacute;dias et des discours politiques, c&rsquo;est par la synchronisation des &eacute;motions sous l&rsquo;effet d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements collectifs r&eacute;it&eacute;r&eacute;s et ritualis&eacute;s (spectacles sportifs, remises de r&eacute;compenses, grandes manifestations populaires, etc.) et de discours d&eacute;clencheurs, que se construit et s&rsquo;entretient une <em>weltanschauung</em> collective, une vision du monde partag&eacute;e.</p> <p class="texte" dir="ltr">Par ce concept d&rsquo;infrastructure de l&rsquo;homme (et non de la soci&eacute;t&eacute;) s&rsquo;&eacute;claire ce qui lie l&rsquo;individuel au collectif, la psychologie &agrave; la sociologie et &agrave; la science politique. Cette infrastructure de l&rsquo;homme est la m&eacute;diation dialectique manquante chez Marx, entre le concept d&rsquo;infrastructure et celui de superstructure, permettant de comprendre le lien de l&rsquo;homme au monde. Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, mais je ne peux ici d&eacute;velopper, ce concept marcusien &eacute;claire un autre concept, celui de <em>sous-id&eacute;ologie des domin&eacute;s</em>. C&rsquo;est en effet en cette infrastructure de l&rsquo;homme que se r&eacute;alise l&rsquo;alchimie de la domination, par incorporation de l&rsquo;id&eacute;ologie des dominants. &laquo;&nbsp;Le r&egrave;gne de la marchandise, la manipulation de la productivit&eacute; du travail et de la satisfaction des besoins ne mobilisent pas seulement la conscience mais aussi la structure pulsionnelle pour la reproduction de l&rsquo;&eacute;tat de chose existant &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur et &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur du monde du travail. La socialisation r&eacute;pressive de la conscience et de la structure pulsionnelle est aujourd&rsquo;hui partie int&eacute;grante du <em>processus mat&eacute;riel de reproduction</em>.&nbsp;&raquo; C&rsquo;est la raison pour laquelle il faut lib&eacute;rer les consciences et les inconscients.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ajoutons dans le registre de cette dissidence de Marcuse &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de Marx, le statut sup&eacute;rieur de l&rsquo;art dans la sph&egrave;re culturelle, art qui n&rsquo;est pour Marx qu&rsquo;une id&eacute;ologie sans valeur propre, alors que Marcuse insiste sur sa valeur lib&eacute;ratoire, sur la puissance &eacute;minemment r&eacute;volutionnaire de la dimension esth&eacute;tique, porteuse de valeurs insurrectionnelles et h&eacute;donistes au regard du positivisme, de l&rsquo;utilitarisme et du productivisme inh&eacute;rents au capitalisme. De m&ecirc;me pour la philosophie, que Marcuse remet &agrave; son tour sur ce qu&rsquo;il estime &ecirc;tre ses pieds, c&rsquo;est-&agrave;-dire en t&ecirc;te, apr&egrave;s que Marx ait pr&eacute;tendu la remettre lui aussi sur ses pieds, en renversant l&rsquo;id&eacute;alisme en mat&eacute;rialisme. Marcuse &agrave; l&rsquo;inverse insiste sur le pouvoir r&eacute;volutionnaire de la th&eacute;orie et des id&eacute;es. La philosophie n&rsquo;est &laquo; la premi&egrave;re des sciences &raquo; que si &laquo; elle se met &agrave; la premi&egrave;re place . &raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">C&rsquo;est sur cette question strat&eacute;gique pour ce syst&egrave;me marcusien, unissant la dimension superstructurelle culturelle, et la dimension psycho-sociale infrastructurelle <em>de l&rsquo;homme</em>, que je focaliserai mon analyse, de mani&egrave;re &agrave; cerner ce qui constitue la sp&eacute;cificit&eacute; de l&rsquo;engagement de ce freudo-marxisme sur le versant des positions <em>libertaires</em>, et ce, en relative dissidence m&eacute;thodologique r&eacute;volutionnaire du Marx mat&eacute;rialiste seconde mani&egrave;re, en continuit&eacute; en revanche par rapport aux th&egrave;ses de Hegel. Il est en effet principalement question dans cette th&eacute;orie critique, de connaissance vraie, de prise de conscience, de philosophie sociale, d&rsquo;un <em>combat intellectuel et d&rsquo;intellectuels pour la v&eacute;rit&eacute;</em> - d&rsquo;un combat men&eacute; certes <em>par</em> une avant-garde &eacute;clair&eacute;e, d&rsquo;un combat conduit d&rsquo;abord par quelques-uns, mais engag&eacute; <em>pour tous</em>, ce qui n&rsquo;est pas sans nous &eacute;voquer &agrave; la fois &laquo;&nbsp;les plus fiers et les mieux inspir&eacute;s&nbsp;&raquo; d&rsquo;Etienne de La Bo&eacute;tie, mais &eacute;galement, pour la p&eacute;riode r&eacute;cente, les &laquo;&nbsp;intellectuels organiques&nbsp;&raquo; d&rsquo;Antonio Gramsci. Dans les deux cas est d&eacute;sign&eacute;e une avant-garde &eacute;clair&eacute;e, instruite par la Raison et par l&rsquo;&eacute;tude, agissant non pas mat&eacute;riellement mais id&eacute;ologiquement, comprenant et exprimant par r&eacute;flexion ce que ressent le peuple qui n&rsquo;est pas encore en &eacute;tat de dire, ni encore de faire. Les hommes instruits constituant cette avant-garde m&egrave;nent une lutte contre-id&eacute;ologique, contre-culturelle, et contre-dominante, dirig&eacute;e contre l&rsquo;assujettissement et l&rsquo;enfermement mat&eacute;riel collectif, mais aussi contre la cl&ocirc;ture des consciences s&rsquo;effectuant par verrouillage des inconscients. Le risque auquel est soumise cette avant-garde, et qui est aussi sa tentation, est de vouloir sortir de son r&ocirc;le de conseil, du <em>conseillisme</em>, de s&rsquo;instituer en parti, et de gouverner au nom de la classe ouvri&egrave;re, ce qui serait reconstruire la prison que l&rsquo;on s&rsquo;efforce de d&eacute;molir. Il s&rsquo;agit de la tentation dite <em>substitutionniste</em> qui consiste en la substitution du pouvoir du parti au pouvoir de la classe r&eacute;volutionnaire, puis de la substitution du pouvoir de la direction bureaucratique du parti, &agrave; la direction du parti lui-m&ecirc;me, ce qui s&rsquo;ach&egrave;ve en bureaucratie totalitaire.</p> <p class="texte" dir="ltr">Il faut donc d&rsquo;abord, &laquo;&nbsp;avant&nbsp;&raquo;, lib&eacute;rer, les consciences et les inconscients. &laquo;&nbsp;Il devient primordial de d&eacute;velopper la conscience et les besoins de l&rsquo;individu. (&hellip;) Le changement radical de la conscience devient le d&eacute;but, le premier pas vers le changement de l&rsquo;existence sociale, vers l&rsquo;apparition du nouveau Sujet. Du point de vue historique, nous nous trouvons de nouveau dans une &ldquo;p&eacute;riode de Lumi&egrave;res&rdquo;, qui pr&eacute;c&egrave;de un changement historique.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">En cons&eacute;quence, la <em>nouvelle r&eacute;volution</em> pr&ocirc;n&eacute;e par cette <em>nouvelle gauche</em>&nbsp;(r&eacute;cusant &agrave; la fois le capitalisme de la soci&eacute;t&eacute; industrielle avanc&eacute;e, le stalinisme, l&rsquo;anarchisme ainsi que les partis autoritaires et bureaucratiques qui se substituent &agrave; la volont&eacute; du peuple&nbsp;: l&eacute;ninistes, trotskystes, mao&iuml;stes, etc.), est fondamentalement une <em>r&eacute;volution culturelle</em> et une <em>r&eacute;volution permanente</em> (qui n&rsquo;est toutefois ni trostkyste, ni mao&iuml;ste), une r&eacute;volution des consciences, une <em>r&eacute;volution int&eacute;rieure et ant&eacute;rieure</em> &agrave; la r&eacute;volution politique mat&eacute;rielle effective (voir l&rsquo;exergue). &laquo;&nbsp;Le mouvement prit d&egrave;s le d&eacute;but la forme d&rsquo;une &ldquo;r&eacute;volution culturelle&rdquo;. (&hellip;) L&rsquo;autonomie par opposition &agrave; l&rsquo;organisation bureaucratique-autoritaire.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment sur cette conscience de soi, sur cette conscientisation, sur cette int&eacute;riorit&eacute; et cette subjectivit&eacute; n&eacute;glig&eacute;es et d&eacute;valoris&eacute;es par Marx - mobilisant son mat&eacute;rialisme pour stigmatiser l&rsquo;id&eacute;alisme et l&rsquo;individualisme bourgeois - que Marcuse fait pr&eacute;cis&eacute;ment porter ses analyses psychanalytiques, politiques et sociales &agrave; la fois, estimant d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on - &agrave; rebours de l&rsquo;orthodoxie mat&eacute;rialiste marxiste - qu&rsquo;une r&eacute;volution dans &laquo;&nbsp;l&rsquo;infrastructure de l&rsquo;homme&nbsp;&raquo;, s&rsquo;originant en une critique, r&eacute;volutionnant les superstructures culturelles et les visions du monde id&eacute;ologiquement accr&eacute;dit&eacute;es, finira par d&eacute;stabiliser et r&eacute;volutionner les infrastructures sociales et les modes de vie. Marcuse proc&egrave;de &agrave; une revalorisation de la conscience, des id&eacute;es et fondamentalement de la connaissance qui redevient d&egrave;s lors - dans la grande tradition de l&rsquo;esprit de la Renaissance et des Lumi&egrave;res - un moteur de l&rsquo;histoire. &Agrave; Marx qui affirme dans <em>L&rsquo;id&eacute;ologie allemande </em>que &laquo;&nbsp;ce n&rsquo;est pas la conscience qui d&eacute;termine la vie, mais la vie qui d&eacute;termine la conscience&nbsp;&raquo;, Marcuse pourrait r&eacute;pondre&nbsp;: la vie commence certes par d&eacute;terminer historiquement en grande part la conscience, mais une nouvelle conscience d&eacute;sali&eacute;n&eacute;e, r&eacute;veill&eacute;e et lib&eacute;r&eacute;e par la vertu de la th&eacute;orie critique - par ce que Marx nomme p&eacute;jorativement une &laquo;&nbsp;critique intellectuelle&nbsp;&raquo; - peut en retour lib&eacute;rer la vie, modifier les d&eacute;terminations sociales en acte, et comme le dit encore Marx &laquo;&nbsp;renverser les rapports sociaux.&nbsp;&raquo; Et ce renversement qui est pour Marx est d&rsquo;abord un renversement &laquo;&nbsp;pratique&nbsp;&raquo;, est pour Marcuse un renversement th&eacute;orique qui se fait pratique politique et sociale. La <em>theoria</em> devient <em>praxis</em>.</p> <h1 dir="ltr" id="heading2">Quelle Lib&eacute;ration possible hors de la d&eacute;mocratie totalitaire&nbsp;?</h1> <p class="texte" dir="ltr">La connaissance authentique, et sa distribution sociale tr&egrave;s restreinte, l&rsquo;ignorance, et sa distribution sociale majoritaire, et soigneusement entretenue, sont des enjeux politiques majeurs. Les concepts, les mots d&rsquo;ordre, les slogans, les injonctions &agrave; penser et &agrave; ressentir, en usage dans une soci&eacute;t&eacute;, sont des armes strat&eacute;giques de contr&ocirc;le. Il faut inventer une <em>contre-culture</em> et des <em>contre-concepts</em> pour lutter contre la rh&eacute;torique de cette d&eacute;mocratie &eacute;conomique et marchande, qui consolide la domination en neutralisant toute contestation. Car il s&rsquo;agit d&rsquo;une d&eacute;mocratie bien particuli&egrave;re, que j&rsquo;ai nomm&eacute;e en l&rsquo;un de mes ouvrages, une <em>d&eacute;mocratie disciplinaire</em>, qui nous donne l&rsquo;illusion de poss&eacute;der un pouvoir de d&eacute;cision, qui consolide la d&eacute;pendance de ses adeptes, en vue de promouvoir la rentabilit&eacute; et la productivit&eacute;. &laquo;&nbsp;Le fait de pouvoir &eacute;lire librement des ma&icirc;tres ne supprime ni les ma&icirc;tres ni les esclaves.&nbsp;&raquo; Et &laquo;&nbsp;si par d&eacute;mocratie on entend que des individus libres se gouvernent eux-m&ecirc;mes et ont &eacute;galement acc&egrave;s &agrave; la justice, alors la r&eacute;alisation de la d&eacute;mocratie passe par l&rsquo;abolition de la pseudo-d&eacute;mocratie existante.&nbsp;&raquo; Marcuse pour sa part emploie pour d&eacute;signer cette <em>fausse d&eacute;mocratie</em> l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;d&eacute;mocratie totalitaire&nbsp;&raquo;. Elle se caract&eacute;rise par le fait qu&rsquo;&laquo;&nbsp; elle ne se sert pas de la terreur, mais de l&rsquo;int&eacute;riorisation des m&eacute;canismes d&rsquo;int&eacute;gration.&nbsp;&raquo; Elle se maintient par une &laquo;&nbsp;tol&eacute;rance r&eacute;pressive&nbsp;&raquo; qui neutralise toute mise en cause radicale en banalisant les points de vue, les autorisant et les relativisant tous, mais se maintient aussi par une &laquo;&nbsp;contre-r&eacute;volution pr&eacute;ventive.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Il ne s&rsquo;agit plus maintenant, pour sortir de ce r&eacute;gime politique bien particulier - qui se sert de la satisfaction consum&eacute;riste et de la bonne conscience faussement humaniste et faussement &eacute;galitariste pour perdurer - de convoquer ce que Marcuse nomme &laquo;&nbsp;l&rsquo;humanisme socialiste&nbsp;&raquo; du jeune Marx, trop sujet &agrave; r&eacute;cup&eacute;ration, mais il faut en appeler au &laquo;&nbsp;radicalisme de la Nouvelle Gauche&nbsp;&raquo;, caract&eacute;ris&eacute; par &laquo;&nbsp;une violente solidarit&eacute; dans la d&eacute;fense&nbsp;&raquo;, solidarit&eacute; contre la puissance technique et id&eacute;ologique du capitalisme. Quant &agrave; d&eacute;finir la nouvelle forme d&rsquo;organisation non r&eacute;pressive alternative &agrave; cette fausse d&eacute;mocratie vendant un bonheur &agrave; cr&eacute;dit, cela est impossible <em>a priori</em>. Mais Marcuse &eacute;nonce tout de m&ecirc;me les institutions transcendantales de toute Lib&eacute;ration potentielle, conditions n&eacute;cessaires mais toutefois non suffisantes&nbsp;: &laquo;&nbsp;propri&eacute;t&eacute; collective, contr&ocirc;le et planification collectifs des modes de production et de la r&eacute;partition des ressources.&nbsp;&raquo; Mais cette Lib&eacute;ration envisag&eacute;e dans un esprit libertaire, est d&rsquo;autant plus compliqu&eacute;e &agrave; r&eacute;aliser qu&rsquo;&laquo;&nbsp; aucune exp&eacute;rience de Lib&eacute;ration individuelle ou de groupe ne peut &eacute;chapper &agrave; la contamination du syst&egrave;me m&ecirc;me qu&rsquo;elle combat.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Cette question de l&rsquo;institution d&rsquo;une nouvelle forme de vie lib&eacute;r&eacute;e, post-capitaliste, est r&eacute;currente dans les questions qui ont &eacute;t&eacute; pos&eacute;es de toute part &agrave; Marcuse. Nous pouvons r&eacute;sumer sa r&eacute;ponse en restituant la m&eacute;taphore &agrave; laquelle il eut recours lors d&rsquo;une conf&eacute;rence tenue en juillet 1967 devant les &eacute;tudiants et les professeurs de l&rsquo;Universit&eacute; libre de Berlin-ouest&nbsp;: &laquo;&nbsp;Si l&rsquo;on veut construire une maison &agrave; la place d&rsquo;une prison, il faut d&rsquo;abord d&eacute;molir la prison, sinon on ne peut m&ecirc;me pas commencer &agrave; construire la maison.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Le mod&egrave;le politique de la <em>r&eacute;demption</em>, qui irrigue la pens&eacute;e libertaire de Marcuse, n&rsquo;est pas la situation de l&rsquo;homme &agrave; l&rsquo;&eacute;tat de nature, mais comme pour Rousseau, celle de l&rsquo;homme &agrave; l&rsquo;&eacute;tat sauvage. La fameuse bont&eacute; naturelle ressortit de cet &eacute;tat-l&agrave;, et Rousseau, voulant fonder empiriquement sa th&eacute;orie, se r&eacute;clame des r&eacute;cits ethnologiques de son temps&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&#39;exemple des sauvages qu&#39;on a presque tous trouv&eacute;s &agrave; ce point semble confirmer que le genre humain &eacute;tait fait pour y rester toujours, que cet &eacute;tat est la v&eacute;ritable jeunesse du monde, et que tous les progr&egrave;s ult&eacute;rieurs ont &eacute;t&eacute; en apparence autant de pas vers la perfection de l&#39;individu, et en effet vers la d&eacute;cr&eacute;pitude de l&#39;esp&egrave;ce.&nbsp;&raquo; Marcuse en sa th&eacute;orie de l&rsquo;histoire h&eacute;rit&eacute;e de Hegel, lui-m&ecirc;me h&eacute;ritier de Rousseau, se situe sur ce versant optimiste et utopique de l&rsquo;histoire, visant &agrave; la fin du processus, &agrave; une restauration du bonheur collectif initial. La fin doit retrouver le commencement et l&rsquo;Absolu redevenir sujet. Mais pour ce faire il ne suffit pas de laisser faire, mais tout &agrave; l&rsquo;inverse, de lutter pour inverser le processus de d&eacute;g&eacute;n&eacute;ration du lien social initi&eacute; par l&rsquo;entr&eacute;e des collectivit&eacute;s humaines dans l&rsquo;&eacute;conomie capitaliste et la gouvernance technique.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;itin&eacute;raire intellectuel de Marcuse est marqu&eacute; selon son propre r&eacute;cit, par des &eacute;v&eacute;nements historiques majeurs. &laquo;&nbsp;Apr&egrave;s la d&eacute;faite de la r&eacute;volution en Allemagne, j&rsquo;ai cherch&eacute; &agrave; comprendre, avec l&rsquo;aide de Marx et de Freud, ce qui s&rsquo;&eacute;tait pass&eacute;&nbsp;: la destruction et la violence contre-r&eacute;volutionnaires&nbsp;; la SA, les SS&nbsp;; les raisons pour lesquelles une r&eacute;volution qui paraissait n&eacute;cessaire n&rsquo;avait pas &eacute;t&eacute; prise en charge par les masses.&nbsp;&raquo; Il explique qu&rsquo;en 1923 il s&rsquo;adonnait &agrave; la lecture des marxistes critiques du stalinisme&nbsp;: Korsch et Lukacs, privil&eacute;giant le jeune Marx. Le but recherch&eacute; &eacute;tait pr&eacute;cise-t-il &laquo;&nbsp;surtout l&rsquo;&eacute;mancipation radicale de l&rsquo;homme - de ses sens, de sa sensibilit&eacute; - et la r&eacute;volutionnarisation tant de sa conscience que de son inconscient.&nbsp;&raquo; Il ajoute, prenant en cela le contre-pied du mat&eacute;rialisme historique strict, que le marxisme avait oubli&eacute; de prendre en consid&eacute;ration quelque chose de fondamental, la n&eacute;cessit&eacute; pr&eacute;r&eacute;volutionnaire d&rsquo;un &laquo;&nbsp;changement radical dans la conscience et dans l&rsquo;inconscient des individus&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte" dir="ltr">C&rsquo;est donc dans cette sph&egrave;re id&eacute;ationnelle touchant &agrave; &laquo;&nbsp;la structure de l&rsquo;homme&nbsp;&raquo;, donc &agrave; cette sph&egrave;re essentielle n&eacute;glig&eacute;e par Marx, &agrave; savoir la psychologie, non pas la psychologie positiviste - celle que nous nommerions maintenant cognitiviste, qui renforce la conception d&eacute;sincarn&eacute;e m&eacute;canique et instrumentale de la vie psychique d&rsquo;<em>un homme qui n&rsquo;est personne </em>- mais la psychologie de l&rsquo;inconscient, celle qui prend en consid&eacute;ration les affects et les pulsions d&rsquo;<em>un homme qui est quelqu&rsquo;un</em>, qui a une histoire, des relations et un environnement, car c&rsquo;est &agrave; ce niveau que se joue la construction politique et id&eacute;ologique de la structure de l&rsquo;homme, cette structure qu&rsquo;il faut r&eacute;former. C&rsquo;est donc la prise en consid&eacute;ration de la dimension &eacute;motionnelle et id&eacute;ationnelle de l&rsquo;humain, qui doit guider le combat pour la Lib&eacute;ration. Il faut changer le mode d&rsquo;exp&eacute;rimentation de la r&eacute;alit&eacute; et d&eacute;velopper la dimension esth&eacute;tique et le pouvoir de l&rsquo;imagination.</p> <h1 dir="ltr" id="heading3">La Lib&eacute;ration, une inversion des valeurs et une praxis collective</h1> <p class="texte" dir="ltr">Cette Lib&eacute;ration qui n&rsquo;est pas au sens strict une r&eacute;volution mais bien plut&ocirc;t une subversion, <em>une inversion des valeurs</em>, peut se d&eacute;finir ainsi&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;exp&eacute;rience de la joie sans culpabilit&eacute;, de la vie sans renoncement, de la victoire de la solidarit&eacute; sur l&rsquo;&eacute;go&iuml;sme, tout cela &eacute;quivaut &agrave; un rejet et &agrave; une subversion de la morale vitale du capitalisme.&nbsp;&raquo; C&rsquo;est donc dans la sph&egrave;re de l&rsquo;id&eacute;ologie, dans l&rsquo;univers des repr&eacute;sentations et des exp&eacute;riences de vie, dans <em>l&rsquo;Erfharung</em> et non dans <em>l&rsquo;Experiment</em>, que doit se mener la lutte, sur le terrain des repr&eacute;sentations, des &eacute;motions, des sentiments et des affects. Il faut abandonner et disqualifier les valeurs fondatrices du capitalisme&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;&acirc;pret&eacute;, la comp&eacute;tition, l&rsquo;agressivit&eacute;, la virilit&eacute;, l&rsquo;auto-affirmation, etc.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Ce qui impose un programme &eacute;mancipatoire capable d&rsquo;&eacute;lever le niveau de conscience des masses. Cette posture d&eacute;finit ce qu&rsquo;il nomme lui-m&ecirc;me, nous l&rsquo;avons vu, &laquo;&nbsp;la Gauche Nouvelle&nbsp;&raquo;, qui ne peut efficacement lutter contre &laquo;&nbsp;la concentration des forces de r&eacute;pression&nbsp;&raquo; qu&rsquo;en &eacute;rigeant des formes d&eacute;centralis&eacute;es et diss&eacute;min&eacute;es de r&eacute;sistance, plut&ocirc;t que des partis organis&eacute;s et bureaucratis&eacute;s confiscant le pouvoir au nom du peuple. Il &eacute;voque alors ce que l&rsquo;on peut nommer la d&eacute;mocratie directe&nbsp;: les &laquo;&nbsp;conseils ouvriers&nbsp;&raquo; (rappelant les <em>soviets</em> de Russie), les &laquo;&nbsp;conseils de quartier&nbsp;&raquo;, les &laquo;&nbsp;conseils d&rsquo;&eacute;tudiants&nbsp;&raquo;, de &laquo;&nbsp;techniciens&nbsp;&raquo;, de &laquo;&nbsp;femmes&nbsp;&raquo;, toutes formes de r&eacute;sistance et de revendication qui devront se rassembler, et qui nous &eacute;voquent les <em>coordinations</em> actuelles pr&eacute;sentes dans les mouvements de contestation, se substituant la plupart du temps aux syndicats et aux partis politiques traditionnels.</p> <p class="texte" dir="ltr">Marcuse toutefois, en ce projet r&eacute;volutionnaire nouvelle mani&egrave;re, prend ses distances avec l&rsquo;id&eacute;e l&eacute;niniste d&rsquo;une avant-garde autoproclam&eacute;e, mais il avance tout de m&ecirc;me la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;une activit&eacute; &eacute;ducatrice (<em>Aufkl&auml;rung</em>)<em>,</em> &eacute;manant d&rsquo;une <em>avant-garde intellectuelle</em>, mais qui ne saurait jamais se confondre avec le r&ocirc;le recteur d&rsquo;un parti. La marge de man&oelig;uvre est ici &eacute;troite, entre autoritaire et libertaire. La r&eacute;sistance n&rsquo;est pas pour lui le fait d&rsquo;une &eacute;lite, mais d&rsquo;individus et de groupes &eacute;duqu&eacute;s (d&rsquo;o&ugrave; le r&ocirc;le toujours central des &eacute;tudiants, en marge de l&rsquo;appareil de production, donc libres) conscients et responsables. On ne peut que noter l&rsquo;actualit&eacute; de Marcuse sur ces questions strat&eacute;giques de la lutte et de la r&eacute;sistance, et particuli&egrave;rement du r&ocirc;le des universit&eacute;s. En effet, et nous retrouvons une fois encore en ces propos l&rsquo;inspiration rousseausite, &laquo;&nbsp;il existe un droit naturel de r&eacute;sistance pour ceux qui ne peuvent plus supporter un ordre de r&eacute;pression inhumaine, de destructions inhumaines.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">S&rsquo;affrontent ce faisant dans le champ des th&eacute;ories politiques - qui est un champ de bataille id&eacute;ologique - non pas une conception historique, qui serait d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; <em>rationnelle</em> et <em>r&eacute;aliste</em>, et de l&rsquo;autre, une conception r&eacute;volutionnaire non-historique, qualifi&eacute;e d&rsquo;<em>utopique</em> et d&rsquo;i<em>rrationnelle</em> par le pouvoir &eacute;tabli, mais plus fondamentalement, deux conceptions de l&rsquo;histoire contradictoires, porteuses d&rsquo;une anthropologie oppos&eacute;e (comp&eacute;titive ou coop&eacute;rative), symptomatiques d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts divergents et de luttes continues pour la d&eacute;fense de ces int&eacute;r&ecirc;ts. L&rsquo;histoire est le lieu de ces affrontements incessants. Dans la perspective de Marcuse elle est le produit d&rsquo;une <em>praxis collective</em> que seule une <em>logique dialectique</em> peut appr&eacute;hender en son essence. C&rsquo;est cette logique dialectique, cette dialectique des Lumi&egrave;res - transcendant par sa bi dimensionnalit&eacute; (distinction du Vrai et du Faux) la logique formelle, positiviste, moniste (le r&eacute;el seul est Vrai) et collaborationniste, en accord avec la domination et la r&eacute;pression en cours - qui permet que la philosophie critique &laquo;&nbsp;appr&eacute;hende le monde comme un univers <em>historique</em> o&ugrave; les faits &eacute;tablis sont l&rsquo;&oelig;uvre de la praxis historique de l&rsquo;homme. C&rsquo;est cette praxis (intellectuelle et mat&eacute;rielle) qui est la r&eacute;alit&eacute; &agrave; atteindre dans les donn&eacute;es de l&rsquo;exp&eacute;rience, celle que la logique dialectique appr&eacute;hende.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;histoire est le r&eacute;sultat instable, la concr&eacute;tion d&rsquo;une lutte id&eacute;ologique toujours en cours, la cristallisation d&rsquo;un rapport de forces qui n&rsquo;a pour l&rsquo;instant pas encore tourn&eacute; en faveur des domin&eacute;s. Mais il ne faut pas tomber dans la conception mat&eacute;rialiste t&eacute;l&eacute;ologique marxiste de l&rsquo;histoire, somme toute optimiste, anticipant la fin du capitalisme comme n&eacute;cessaire, comme inscrite dialectiquement dans la logique m&ecirc;me d&rsquo;un syst&egrave;me vou&eacute; &agrave; l&rsquo;autodestruction par ses contradictions internes. L&rsquo;histoire n&rsquo;est en aucun cas non plus, con&ccedil;ue m&eacute;caniquement par Marcuse, comme ce qui cautionne et conf&egrave;re <em>de facto</em> &eacute;paisseur et l&eacute;gitimit&eacute; &agrave; des associations, organisations, corporations, hi&eacute;rarchies, in&eacute;galitaires et d&eacute;shumanisantes. Elle est pens&eacute;e comme le lieu ordinaire transitoire et provisoire (jusqu&rsquo;&agrave; la Lib&eacute;ration) de constitution de l&rsquo;illusion id&eacute;ologique, qui est en fin de compte toujours le m&eacute;canisme par lequel s&rsquo;effectue le travestissement de l&rsquo;artifice en nature, de l&rsquo;irrationalit&eacute; en Raison, du mensonge en v&eacute;rit&eacute;. Le capitalisme d&eacute;veloppant des strat&eacute;gies de r&eacute;sistance et d&rsquo;int&eacute;gration infinies de ses contestations, il ne faut pas esp&eacute;rer son extinction prochaine. Il vit, il se nourrit de ses crises et des guerres qu&rsquo;il g&eacute;n&egrave;re. La lutte doit &ecirc;tre permanente et son issue n&rsquo;est en rien certaine. L&rsquo;histoire du n&eacute;gatif s&rsquo;affronte contin&ucirc;ment &agrave; l&rsquo;histoire contre-r&eacute;volutionnaire qui est l&rsquo;histoire positiviste.</p> <p class="texte" dir="ltr">C&rsquo;est contre cette histoire positiviste, fataliste, acceptante des dominations en cours que la <em>pens&eacute;e libertaire</em> de Marcuse engage une lutte de d&eacute;mystification et d&rsquo;&eacute;mancipation sans assurance aucune d&rsquo;une victoire. Mais c&rsquo;est une gu&eacute;rilla qui est men&eacute;e. Et c&rsquo;est la Raison qui m&egrave;ne la lutte contre &laquo;&nbsp;l&rsquo;organisation administrative de la pens&eacute;e&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;l&rsquo;empirisme <em>pur&nbsp;</em>&raquo;, &laquo;&nbsp;le positivisme&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;le mensonge&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;l&rsquo;ignorance&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;la violence&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;l&rsquo;oppression&nbsp;&raquo;, et &laquo;&nbsp;l&rsquo;exploitation.&nbsp;&raquo; La t&acirc;che est difficile car il faut remonter le courant du sens commun, s&rsquo;affronter &agrave; une logique de l&rsquo;&eacute;vidence, lutter m&ecirc;me contre &laquo;&nbsp;le rationnel qui est devenu le support le plus efficace de la mystification. (&hellip;) Dans la routine journali&egrave;re de la maison, du magasin, du bureau, la magie et la sorcellerie op&egrave;rent, on se laisse aller &agrave; l&rsquo;extase et les r&eacute;ussites rationnelles masquent l&rsquo;irrationalit&eacute; de l&rsquo;ensemble du syst&egrave;me.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Le probl&egrave;me du changement de la soci&eacute;t&eacute; est donc un probl&egrave;me permanent et jamais r&eacute;solu. Ce changement doit s&rsquo;appuyer sur un &laquo;&nbsp;refus total&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;une contestation permanente.&nbsp;&raquo; Nous rencontrons ici ce qui est en r&eacute;alit&eacute; pour Marcuse le moteur m&ecirc;me de l&rsquo;histoire, &agrave; savoir non pas comme dans l&rsquo;orthodoxie marxiste, le changement mat&eacute;riel de la soci&eacute;t&eacute; comme condition pr&eacute;alable au changement des consciences et des rapports sociaux, mais bien plut&ocirc;t la modification pr&eacute;alable de ce que l&rsquo;on peut nommer les formes de conscience et de sensibilit&eacute;. La lutte id&eacute;ologique passe ici au premier plan, indication claire qu&rsquo;il ne s&rsquo;agit plus d&rsquo;une posture r&eacute;volutionnaire mat&eacute;rialiste au sens strict mais qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;une posture libertaire ayant int&eacute;gr&eacute; la part n&eacute;cessaire d&rsquo;utopie indispensable &agrave; la subversion des valeurs. &laquo;&nbsp;Il ne s&rsquo;agit pas seulement de changer les institutions mais plut&ocirc;t, et c&rsquo;est plus important, de changer totalement les hommes dans leurs attitudes, dans leurs instincts, dans leurs buts, dans leurs valeurs, etc.&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Il s&rsquo;agit donc bien d&rsquo;un changement qualitatif devant s&rsquo;attaquer &agrave; la &laquo;&nbsp;nature&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;aux fondements m&ecirc;mes de l&rsquo;acceptation et du refoulement&nbsp;&raquo;, &agrave; &laquo;&nbsp;l&rsquo;infrastructure de l&rsquo;homme&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;il faudrait qu&rsquo;elle se situe hors de l&rsquo;ordre &eacute;tabli, le refuse en bloc, et se propose une transmutation radicale des valeurs.&nbsp;&raquo; Cette injonction &eacute;voque <em>Die Umwertung aller Werte</em>, la transvaluation nietzsch&eacute;enne des valeurs, et n&rsquo;est en tout cas pas marxiste, en ce sens que ce changement des consciences est pos&eacute; comme non pas comme cons&eacute;cutif &agrave; un changement mat&eacute;riel, mais comme &laquo;&nbsp;une des conditions pr&eacute;alables de la r&eacute;volution.&nbsp;&raquo; Marcuse cite d&rsquo;ailleurs l&rsquo;aphorisme 275 du <em>Gai savoir</em> et le commente dans son analyse des <em>Fondements biologiques du socialisme&nbsp;</em>: &laquo;&nbsp;&raquo;&nbsp;<em>Quelle est la marque de la libert&eacute; r&eacute;alis&eacute;e&nbsp;?</em> Ne plus rougir de soi.&nbsp;&raquo; La raison de ces hommes et de ces femmes se mod&egrave;lerait sur leur imagination, et le processus de production tendrait &agrave; devenir un processus de cr&eacute;ation.&nbsp;&raquo; Ce travail de <em>transvaluation des valeurs</em> doit &ecirc;tre confi&eacute; &agrave; ce qu&rsquo;il nomme une avant-garde qui, comme je l&rsquo;ai pr&eacute;cis&eacute;, doit avoir pour mission d&rsquo;augmenter le niveau de conscience des masses. La Lib&eacute;ration passe par l&rsquo;&eacute;ducation, par l&rsquo;&eacute;mancipation intellectuelle.</p> <h2 dir="ltr" id="heading4">Marcuse un gauchiste libertaire ni spontan&eacute;iste ni anarchiste</h2> <p class="texte" dir="ltr">Marcuse met prioritairement et r&eacute;guli&egrave;rement l&rsquo;accent sur les superstructures sociales&nbsp;: culture de masse, savoirs ordinaires, mais aussi savoir savants, et ce en distanciation du marxisme seconde mani&egrave;re qui remettant la philosophie id&eacute;aliste sur ses pieds, stigmatise l&rsquo;utopisme et privil&eacute;gie les infrastructures en tant que r&eacute;alit&eacute;s d&eacute;terminantes des formes de conscience collectives. Marcuse, lui, met en &eacute;vidence, gr&acirc;ce &agrave; son int&eacute;gration des acquis de la psychanalyse, gr&acirc;ce &agrave; sa psychologie politique, le pouvoir de l&rsquo;id&eacute;ologie, de l&rsquo;imaginaire et des repr&eacute;sentations. Ces r&eacute;alit&eacute;s d&rsquo;un autre ordre que mat&eacute;riel sont des composantes <em>d&rsquo;une autre infrastructure</em> qui n&rsquo;est pas &eacute;conomique mais <em>anthropologique</em>&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;infrastructure de l&rsquo;homme&nbsp;&raquo;, ses pulsions sublim&eacute;es et refoul&eacute;es, ses plaisirs fabriqu&eacute;s, ses aspirations disciplin&eacute;es, ses &eacute;motions contr&ocirc;l&eacute;es, ses d&eacute;sirs format&eacute;s, ses id&eacute;aux. Mais compte tenu de cette &eacute;pist&eacute;mologie et de son anthropologie, qu&rsquo;en est-il de <em>sa posture politique&nbsp;</em>? Dans l&rsquo;entretien publi&eacute; en janvier 1973 dans <em>Le Nouvel Observateur</em>, il r&eacute;cuse le qualificatif de <em>spontan&eacute;iste</em> et d&eacute;nie en &ecirc;tre le p&egrave;re &laquo;&nbsp;On a pr&eacute;tendu que j&rsquo;&eacute;tais le p&egrave;re du &laquo;&nbsp;spontan&eacute;isme&nbsp;&raquo;&nbsp;; on m&rsquo;a accus&eacute; de voir dans le sous-prol&eacute;tariat et dans les &eacute;tudiants la force r&eacute;volutionnaire d&eacute;cisive. Ce sont des stupidit&eacute;s. La spontan&eacute;it&eacute; n&rsquo;est pas r&eacute;volutionnaire par elle-m&ecirc;me. Elle peut &ecirc;tre r&eacute;actionnaire&nbsp;: elle peut r&eacute;sulter de l&rsquo;introjection de besoins fa&ccedil;onn&eacute;s dans l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de l&rsquo;ordre &eacute;tabli.&nbsp;&raquo; La spontan&eacute;it&eacute; doit &ecirc;tre &eacute;duqu&eacute;e.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le spontan&eacute;isme est l&rsquo;une des composantes politiques attribu&eacute;es au mouvement de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht fondateurs du mouvement spartakiste - au sein duquel milita Marcuse - fondateurs dont il rappelle que les assassinats ont &eacute;t&eacute; un &eacute;v&eacute;nement d&eacute;clencheur de sa nouvelle position politique, confirmant ses doutes concernant la social-d&eacute;mocratie &laquo;&nbsp;car ce sont bien les sociaux-d&eacute;mocrates qui sont responsable de ces deux assassinats.&nbsp;&raquo; Le spontan&eacute;isme est &eacute;galement pr&eacute;sent dans la th&eacute;orie de Bakounine (adversaire de Marx au sein de la Premi&egrave;re Internationale) connu entre autres pour son ouvrage <em>La r&eacute;volte spontan&eacute;e</em>. Il y d&eacute;fendait l&rsquo;autogestion contre la bureaucratie de l&rsquo;&Eacute;tat et fut le promoteur d&rsquo;un socialisme libertaire. Appartenant &agrave; la gauche h&eacute;g&eacute;lienne, il d&eacute;veloppa lui aussi cette id&eacute;e dialectique du <em>pouvoir du n&eacute;gatif</em>, cette n&eacute;gativit&eacute; &eacute;tant &agrave; m&ecirc;me de d&eacute;truire l&rsquo;&eacute;tat de chose existant. L&rsquo;on voit bien &agrave; quel point cette id&eacute;e h&eacute;g&eacute;lienne de la puissance du n&eacute;gatif nourrit &eacute;galement les th&egrave;ses de Marcuse. Mais Bakounine pousse cette n&eacute;gativit&eacute; &agrave; son terme extr&ecirc;me dans la logique de l&rsquo;anarchisme, voulant totalement d&eacute;truire l&rsquo;&eacute;tat de chose existant, ce qui n&rsquo;est nullement le cas de Marcuse qui ne se dit pas spontan&eacute;iste parce qu&rsquo;il croit en la n&eacute;cessit&eacute; pr&eacute;alable d&rsquo;une p&eacute;dagogie des masses, et qu&rsquo;il faut organiser la spontan&eacute;it&eacute; lorsqu&rsquo;elle se manifeste, &eacute;tant susceptible d&rsquo;orientations antagonistes&nbsp;: r&eacute;volution ou r&eacute;action, car &laquo;&nbsp;les d&eacute;sirs et aspirations individuels ne sont pas imm&eacute;diatement politiques&hellip;&nbsp;&raquo;. Marcuse ne se dit pas non plus anarchiste bien qu&rsquo;il d&eacute;fende l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;&laquo;&nbsp; une organisation sans les &ldquo;chefs&rdquo; des anciens partis ou gouvernements politiques&nbsp;&raquo;, pas anarchiste donc, parce qu&rsquo;il ne pense pas que l&rsquo;anarchisme soit un but et une solution en lui-m&ecirc;me, mais seulement une composante d&rsquo;un processus r&eacute;volutionnaire plus large et plus organis&eacute;. &laquo;&nbsp;Je crois seulement que l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment anarchiste est une force tr&egrave;s puissante et tr&egrave;s progressiste. Et qu&rsquo;il faut pr&eacute;server et &eacute;l&eacute;ment comme un des facteurs d&rsquo;un processus pus large et plus structur&eacute;.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Rappelons que dans le contexte de cet entretien datant de 1973, le terme <em>spontan&eacute;iste </em>renvoie &agrave; l&rsquo;actualit&eacute;, &agrave; des organisations <em>gauchistes</em> faisant partie de ce mouvement de mai 1968, qui revendiquait souvent la spontan&eacute;it&eacute; dans ses actions contestataires. Ce terme est &eacute;videmment aussi une r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la <em>Gauche prol&eacute;tarienne,</em> &agrave; ceux que l&rsquo;on appela les Mao-Spontex, en r&eacute;f&eacute;rence aux actions dites spontan&eacute;istes qu&rsquo;ils menaient. Il s&rsquo;agissait d&rsquo;une organisation mao&iuml;ste se r&eacute;clamant du mouvement du 22 mars, ainsi que de l&rsquo;anarchisme, tout en int&eacute;grant de mani&egrave;re paradoxale une composante autoritaire.</p> <p class="texte" dir="ltr">Marcuse donc, bien que libertaire ne se reconna&icirc;t pas anarchiste. &laquo;&nbsp;Non, je ne suis pas anarchiste parce que je ne peux pas imaginer comment on peut combattre une soci&eacute;t&eacute; qui est mobilis&eacute;e et organis&eacute;e dans sa totalit&eacute; contre tout mouvement r&eacute;volutionnaire, contre toute opposition effective, je ne vois pas comment on peut combattre une telle soci&eacute;t&eacute;, une telle force concentr&eacute;e, force militaire, force polici&egrave;re, etc., sans aucune organisation. &Ccedil;a ne marche pas.&nbsp;&raquo; En d&eacute;pit des critiques &eacute;mises par les communistes, et plus particuli&egrave;rement par L&eacute;nine, concernant le gauchisme consid&eacute;r&eacute; par lui comme une manifestation de petits bourgeois, dans son ouvrage de 1920 intitul&eacute; <em>La maladie infantile du communisme (le gauchisme)</em>, Marcuse le d&eacute;fend. Signalons que dans ces ann&eacute;es post-soixante-huit, le gauchisme se revendiquait comme tel, se voulant en opposition aux partis politiques se r&eacute;clamant du communisme. D&rsquo;ailleurs Daniel Cohn-Bendit - auquel Marcuse fait r&eacute;f&eacute;rence dans cet entretien pour signaler en quoi lui-m&ecirc;me se dissocie aussi du l&eacute;ninisme - publie un ouvrage en r&eacute;ponse &agrave; L&eacute;nine intitul&eacute; <em>Le gauchisme, rem&egrave;de &agrave; la maladie s&eacute;nile du communisme</em>. Marcuse assume donc cette position de gauchisme et retourne la critique au Parti communiste devenu selon lui, depuis L&eacute;nine, le contraire d&rsquo;un parti r&eacute;volutionnaire. Quant au gauchisme, &laquo;&nbsp;c&rsquo;est la r&eacute;ponse d&rsquo;une minorit&eacute; r&eacute;volutionnaire &agrave; ce parti de l&rsquo;ordre qu&rsquo;est devenu le Parti communiste, et qui n&rsquo;est plus le parti de L&eacute;nine, mais un parti social-d&eacute;mocrate.&nbsp;&raquo; Ceux qui ont v&eacute;cu les &eacute;v&eacute;nements de mai 1968 ont encore en m&eacute;moire l&rsquo;&eacute;lan r&eacute;volutionnaire unissant &eacute;tudiants et ouvriers r&eacute;alisant une action politique, et ce, &laquo;&nbsp;contre les consignes implicites du parti communiste et de la CGT.&nbsp;&raquo; C&rsquo;est donc le gauchisme qui selon Marcuse incarne maintenant la dimension r&eacute;volutionnaire de cette fameuse avant-garde non l&eacute;niniste constitu&eacute;e par les &eacute;tudiants en lutte, non int&eacute;gr&eacute;s dans les appareils des partis. &laquo;&nbsp;de ce point de vue, on peut effectivement parler de groupes &ldquo;privil&eacute;gi&eacute;s&rdquo;, d&rsquo;une &ldquo;&eacute;lite&rdquo; ou m&ecirc;me d&rsquo;une &ldquo;avant-garde&rdquo;. Mais d&rsquo;un autre c&ocirc;t&eacute;, ce furent pr&eacute;cis&eacute;ment ces &ldquo;privil&egrave;ges&rdquo; - le fait de rester &agrave; l&rsquo;&eacute;cart du processus de production, de ne pas y &ecirc;tre int&eacute;gr&eacute; &ndash; qui pouss&egrave;rent au d&eacute;veloppement d&rsquo;une conscience politique radicalis&eacute;e.&nbsp;&raquo;</p> <h1 dir="ltr" id="heading5">Cinquante ans plus tard</h1> <p class="texte" dir="ltr">Depuis un demi-si&egrave;cle, l&rsquo;histoire a poursuivi son &oelig;uvre. Le capitalisme s&rsquo;est mondialis&eacute; et a renforc&eacute; sa mutation en n&eacute;ocapitalisme financier encore plus destructeur de l&rsquo;humanit&eacute; de l&rsquo;homme. Le r&eacute;gime sovi&eacute;tique s&rsquo;est &eacute;vanoui avec la chute du mur de Berlin. La Chine s&rsquo;est convertie au capitalisme. Il demeure quelques tyrannies communistes de par le monde, et il semble bien que conform&eacute;ment aux pr&eacute;dictions et aux craintes de Marcuse, la soci&eacute;t&eacute; am&eacute;ricaine soit en train d&rsquo;imposer sa culture et sa civilisation &agrave; une part de plus en plus importante de la plan&egrave;te. L&rsquo;opposition de fond au capitalisme et &agrave; ses valeurs n&rsquo;est maintenant plus celle des r&eacute;gimes communistes, ni de l&rsquo;anarchisme, ni du l&eacute;ninisme, ni du mao&iuml;sme, ni du trotskysme, ni du situationnisme, ni celle de la classe ouvri&egrave;re, qui n&rsquo;est plus une force r&eacute;volutionnaire - la lutte des classes ayant c&eacute;d&eacute; la place &agrave; ce que Marcuse nomme &laquo;&nbsp;la collaboration de classes&nbsp;&raquo; - et qui n&rsquo;aspire qu&rsquo;&agrave; int&eacute;grer la classe moyenne et &agrave; b&eacute;n&eacute;ficier des bienfaits de la soci&eacute;t&eacute; de consommation, ni celle des &eacute;tudiants qui attendent avant tout de leurs dipl&ocirc;mes qu&rsquo;ils leur donnent acc&egrave;s &agrave; un emploi, n&rsquo;esp&eacute;rant m&ecirc;me plus un m&eacute;tier. Les anciennes guerres des ann&eacute;es soixante et soixante-dix ont cess&eacute;, mais bien d&rsquo;autres aussi destructrices, sinon plus, ont pris logiquement le relais&nbsp;; logiquement puisque la soci&eacute;t&eacute; capitaliste, &laquo;&nbsp;la soci&eacute;t&eacute; close sur l&rsquo;int&eacute;rieur s&rsquo;ouvre vers l&rsquo;ext&eacute;rieur par l&rsquo;expansion &eacute;conomique, politique et militaire.&nbsp;&raquo; La guerre est en effet la continuation de l&rsquo;&eacute;conomie et du commerce par d&rsquo;autres moyens.</p> <p class="texte" dir="ltr">La situation est de nos jours d&rsquo;autant plus catastrophique qu&rsquo;&agrave; cette emprise et exploitation int&eacute;rieures et ext&eacute;rieures croissantes du capitalisme, qui est par essence une colonisation sans cesse augment&eacute;e, s&rsquo;ajoute ce que l&rsquo;on nomme sa crise - en r&eacute;alit&eacute; son fonctionnement cyclique - qui laisse en souffrance une part de plus en plus grande de la population mondiale et m&ecirc;me s&rsquo;en nourrit. A cette d&eacute;composition interne du syst&egrave;me, qui se survit toutefois dans une perp&eacute;tuelle fuite en avant, s&rsquo;ajoute une nouvelle menace, bien plus grande encore, &agrave; la fois int&eacute;rieure et ext&eacute;rieure elle aussi, qui est celle du nouvel ennemi id&eacute;ologique inattendu du capitalisme, adversaire inimaginable dans les ann&eacute;es soixante, ennemi qui n&rsquo;est plus - comme l&rsquo;&eacute;tait autrefois le marxisme - de nature politique, mais de nature religieuse, qui ne revendique pas l&rsquo;&eacute;galit&eacute; des humains mais la sup&eacute;riorit&eacute; d&rsquo;une caste sacerdotale et de ses affili&eacute;s. Il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;un totalitarisme int&eacute;griste th&eacute;ocratique, &oelig;uvrant &agrave; une r&eacute;volution culturelle et cultuelle mondiale, initiant une mondialisation d&rsquo;une nouvelle sorte, clairement dirig&eacute;e contre les valeurs de la soci&eacute;t&eacute; lib&eacute;rale avanc&eacute;e.</p> <p class="texte" dir="ltr">Mais cette r&eacute;volution fondamentaliste et religieuse n&rsquo;est ni &eacute;clair&eacute;e, ni progressiste, ni ouvri&egrave;re, ni &eacute;tudiante, comme l&rsquo;esp&eacute;rait Marcuse. Elle se situe aux antipodes m&ecirc;mes de la pens&eacute;e libertaire, des valeurs d&eacute;mocratiques et humanistes. Elle pr&ecirc;che l&rsquo;ob&eacute;issance et la soumission, le renoncement &agrave; la Raison, &agrave; toute pens&eacute;e et conduite libre, pr&eacute;tendant gouverner l&rsquo;existence publique comme l&rsquo;existence priv&eacute;e, repliant la morale et le droit sur la seule loi de Dieu. Cette r&eacute;volution arm&eacute;e n&rsquo;est pas du tout - contrairement aux esp&eacute;rances marcusiennes - le produit d&rsquo;une avant-garde intellectuelle lucide, voulant d&eacute;truire le capitalisme pour instaurer une soci&eacute;t&eacute; enfin humanis&eacute;e, mais &eacute;mane tout &agrave; l&rsquo;inverse d&rsquo;une force surgie du pass&eacute;, profond&eacute;ment r&eacute;actionnaire, r&eacute;trograde, r&eacute;gressive, programmant la d&eacute;shumanisation de cet humain encore en voie d&rsquo;humanisation, et annon&ccedil;ant la venue d&rsquo;un nouveau Moyen-&Acirc;ge et de son appareil inquisitorial. Id&eacute;ologie tyrannique, in&eacute;galitaire et liberticide, opposant la loi de Dieu &agrave; la Loi Naturelle, et aux Droits de l&rsquo;Homme, la foi au savoir, et la religion &agrave; la philosophie, s&rsquo;imposant par la violence faite aux esprits et aux corps, voulant plus que tout et &agrave; tout prix, la mort de la Raison et l&rsquo;extinction des Lumi&egrave;res, la fin d&rsquo;un monde.</p> <p class="texte" dir="ltr">Se pourrait-il alors que la formule <em>socialisme ou barbarie</em>, invent&eacute;e par Rosa Luxembourg en 1916, et reprise par Corn&eacute;lius Castoriadis et Claude Lefort en 1948, donnant naissance &agrave; une organisation anti-l&eacute;niniste proche du communisme de conseils, r&eacute;cusant &agrave; la fois fascisme capitalisme et r&eacute;gime sovi&eacute;tique, formule reprise enfin par Marcuse lui-m&ecirc;me en cette affirmation&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;alternative classique&nbsp;: &ldquo;socialisme ou barbarie&rdquo; est aujourd&rsquo;hui plus actuelle que jamais&nbsp;&raquo;, se pourrait-il que cette formule destin&eacute;e &agrave; incarner une certaine pens&eacute;e libertaire, c&egrave;de la place &agrave; cette autre formule, modifiant l&rsquo;imputation de barbarie faite &agrave; la fois au capitalisme, au fascisme et au stalinisme, pour la destiner &agrave; une nouvelle barbarie&nbsp;? Il s&rsquo;agirait alors d&rsquo;une formule infiniment plus sombre en raison de sa dimension apor&eacute;tique condamnant peut-&ecirc;tre toute Lib&eacute;ration possible. Cette nouvelle alternative se formulerait ainsi&nbsp;: <em>capitalisme ou barbarie</em>&nbsp;? Marcuse maintiendrait-il en notre temps, l&rsquo;actualit&eacute; de la formule qu&rsquo;il &eacute;nonce en son temps&nbsp;? Inviterait-il encore de nos jours &agrave; &laquo;&nbsp;d&eacute;molir la prison&nbsp;&raquo; que constitue la soci&eacute;t&eacute; lib&eacute;rale avanc&eacute;e, sachant qu&rsquo;elle risque d&rsquo;&ecirc;tre remplac&eacute;e, non pas par une maison commune auto-g&eacute;r&eacute;e, mais par un bagne et une barbarie radicale&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">La question clef, caract&eacute;ristique de notre actualit&eacute; est peut-&ecirc;tre alors la suivante&nbsp;: peut-on maintenant, face &agrave; ce danger majeur qu&rsquo;est l&rsquo;imp&eacute;rialisme religieux terroriste, toujours vouloir la mort du capitalisme sans tuer la d&eacute;mocratie et les Droits de l&rsquo;Homme&nbsp;? Ce qui pr&eacute;suppose r&eacute;solue cette autre question&nbsp;: peut-on expulser le capitalisme de notre d&eacute;mocratie - fut-elle &laquo;&nbsp;fausse&nbsp;&raquo; - sans ouvrir la porte &agrave; une tyrannie&nbsp;? Plus simplement, qu&rsquo;en est-il du projet r&eacute;volutionnaire en tant de guerre&nbsp;?</p>