<p class="texte" dir="ltr">Nous devons &agrave; Pierre Kropotkine, bien avant Foucault et Goffman, la mise en perspective de la question des prisons et des asiles, comme pivot de l&rsquo;analyse et de la critique du pouvoir. D&rsquo;autant que ses r&eacute;flexions et ses mises en garde devant tout r&eacute;gime devenant r&eacute;pressif et autoritaire sont pr&eacute;monitoires. Le XX<sup>e</sup> si&egrave;cle nous l&rsquo;a sinistrement montr&eacute;, et nous esp&eacute;rons que les d&eacute;rives autoritaires &agrave; nouveau perceptibles ne gagnent pas les esprits du XXI<sup>e</sup>.</p> <p class="texte" dir="ltr">La port&eacute;e et les limites de la critique sur tout enfermement est la mesure de l&rsquo;attachement aux droits de l&rsquo;homme et du citoyen. Cela concerne nos valeurs humanistes et r&eacute;publicaines. Inutile d&rsquo;insister sur l&rsquo;actualit&eacute; du probl&egrave;me&nbsp;: &laquo;&nbsp;Guantanamo&nbsp;&raquo; en est un triste exemple. Car il y a l&agrave; une grave entorse aux principes de justice au sein d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; auto-proclam&eacute;e libre et d&eacute;mocratique. C&rsquo;est avec raison donc que le candidat Obama s&rsquo;est engag&eacute; &agrave; sa fermeture dans un court d&eacute;lai. L&rsquo;ex&eacute;cution de cette promesse en dira long sur la fermet&eacute; de ses autres engagements.</p> <p class="texte" dir="ltr">Chose &eacute;tonnante, l&rsquo;ouvrage dont nous rendons compte est un in&eacute;dit en fran&ccedil;ais. C&rsquo;est une tentative de faire l&rsquo;&eacute;tat de la condition carc&eacute;rale en Russie et en France et (j&rsquo;ajouterai) extensible aux autres lieux d&rsquo;enfermement. II s&rsquo;agit d&rsquo;un recueil des textes publi&eacute;s pour la premi&egrave;re fois en 1887. Et malgr&eacute; le ton sobre et mesur&eacute; avec lequel l&rsquo;auteur nous d&eacute;crit les conditions infamantes de ces endroits de r&eacute;clusion, c&rsquo;est une d&eacute;nonciation sans concessions et un t&eacute;moignage personnel. Il venait de passer quelques ann&eacute;es dans la prison de Clairvaux d&rsquo;o&ugrave; il r&eacute;ussit &agrave; sortir gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;intervention de V. Hugo et de G. Clemenceau.</p> <p class="texte" dir="ltr">La description laisse place &agrave; l&rsquo;analyse et ensuite &agrave; la prescription radicale&nbsp;: l&rsquo;abolition de toute forme d&rsquo;enfermement. Il se situe dans la ligne droite et visionnaire d&rsquo;une sociologie politique, dont le but est de lib&eacute;rer l&rsquo;homme de ses chaines au sens propre et comme au figur&eacute;. Il rappelle la solidarit&eacute; n&eacute;cessaire de l&rsquo;entourage, de l&rsquo;&eacute;ducation et de l&rsquo;insertion. C&lsquo;est ainsi un vrai pr&eacute;curseur d&rsquo;une &laquo;&nbsp;correction&nbsp;&raquo; par les ressources humaines positives et non seulement par la punition. Car la recherche de l&rsquo;humain doit se faire par l&rsquo;humain. Kropotkine &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;un prisonnier pourra acqu&eacute;rir un savoir-faire technique, mais il n&rsquo;apprendra jamais &agrave; l&rsquo;aimer. Dans la plupart des cas, il apprendra &agrave; le ha&iuml;r&nbsp;&raquo;. Les lieux d&rsquo;enfermement, voire les prisons, conclut-il, n&rsquo;am&eacute;liorent pas la conscience morale des d&eacute;tenus. Car le sens moral, rappelons-le, se perd dans le d&eacute;sespoir et la d&eacute;pression. Et ce jugement reste davantage valable lorsque la soci&eacute;t&eacute; tout enti&egrave;re se pr&eacute;cipite dans l&rsquo;ali&eacute;nation et l&rsquo;instauration des mondes clos.</p>