<p class="texte"><strong>DOSSIER : L&#39;AVENIR DE LA DEMOCRATIE</strong></p> <p class="texte"><em>Christian Cauvin est professeur &eacute;m&eacute;rite de gestion dans le groupe HEC o&ugrave; il enseigne la strat&eacute;gie financi&egrave;re. Il a publi&eacute;&nbsp;Au-del&agrave; de la mondialisation. Construire le monde de demain en 2016&nbsp;et&nbsp;La fin du capitalisme et la n&eacute;cessaire invention d&rsquo;un monde nouveau en 2014.</em></p> <p class="texte"><strong>SOMMAIRE</strong></p> <p><strong>L&rsquo;euro et l&#39;Europe</strong></p> <p><strong>L&rsquo;euro et la monnaie</strong></p> <p><strong>Deux fables, le troc comme monnaie premi&egrave;re et la neutralit&eacute; institutionnelle de la monnaie</strong></p> <p>Le troc</p> <p>La neutralit&eacute; institutionnelle de la monnaie</p> <p><strong>Les &eacute;tapes de la financiarisation et de la cr&eacute;ation de l&rsquo;euro</strong></p> <p>Le recours aux march&eacute;s financiers</p> <p>Le d&eacute;ni de d&eacute;mocratie</p> <p><strong>L&rsquo;euro et ses cons&eacute;quences</strong></p> <p>L&rsquo;Europe des march&eacute;s</p> <p>Les cons&eacute;quences pour les populations</p> <p>Les constats</p> <p><strong>Les monnaies nouvelles</strong></p> <p>Les monnaies &eacute;lectroniques</p> <p>Les monnaies locales</p> <p><strong>Choisir</strong></p> <p class="texte">&nbsp;</p> <p class="texte">La question de l&rsquo;euro comporte deux volets majeurs&nbsp;: celui de l&rsquo;Europe et celui de la monnaie.</p> <h1 class="texte">L&rsquo;euro et l&#39;Europe</h1> <p class="texte">S&rsquo;agissant de l&rsquo;Europe, il n&rsquo;est pas difficile de caract&eacute;riser ce qui s&rsquo;est construit depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Apr&egrave;s les d&eacute;sastres de la guerre, l&rsquo;aspiration &agrave; la paix &eacute;tait g&eacute;n&eacute;rale. Pourtant, deux voies pouvaient s&rsquo;ouvrir&nbsp;: une Europe des peuples et des cultures dans l&rsquo;esprit de la conf&eacute;rence de Philadelphie et des orientations du Conseil National de la R&eacute;sistance fran&ccedil;ais ou une Europe des march&eacute;s assurant la r&eacute;ussite d&rsquo;un capitalisme mondialis&eacute; et financiaris&eacute;. Il n&rsquo;est probablement pas inutile de rappeler combien la p&eacute;riode ouverte par la crise de 1929 au plan &eacute;conomique et prolong&eacute;e par la deuxi&egrave;me guerre mondiale au plan g&eacute;opolitique a ouvert des perspectives nouvelles permettant d&rsquo;envisager des transformations radicales pour sortir du syst&egrave;me capitaliste et conduire &agrave; des soci&eacute;t&eacute;s dans lesquelles l&rsquo;homme retrouve la place centrale que lui a confisqu&eacute; la marchandise.</p> <p class="texte">Les secousses &eacute;conomiques, financi&egrave;res et mon&eacute;taires provoqu&eacute;es par la crise de 1929 avaient conduit &agrave; contester la pr&eacute;&eacute;minence actionnariale par la reconnaissance des parties prenantes (&laquo;&nbsp;stakeholders&nbsp;&raquo;) et non des seuls actionnaires (&laquo;&nbsp;stockholders&nbsp;&raquo;)&nbsp;; dans le m&ecirc;me esprit, la s&eacute;paration des banques de d&eacute;p&ocirc;t et des banques d&rsquo;affaires &eacute;tait act&eacute;e d&egrave;s 1933.</p> <p class="texte">Avec la guerre, ce sont les principes de justice sociale qui animent les Alli&eacute;s auxquels le pr&eacute;sident Roosevelt propose une rencontre &agrave; Philadelphie le 10 Mai 1944, bien avant la fin de la guerre et quelques mois avant les orientations &eacute;conomiques et mon&eacute;taires de Bretton Woods, le 22 Juillet 1944.</p> <p class="texte">Rappeler les principes fondamentaux de la Conf&eacute;rence est indispensable aujourd&rsquo;hui tant la r&eacute;gression est consid&eacute;rable depuis 1944&nbsp;:</p> <ul class="texte"> <li> <p class="texte">Le travail n&rsquo;est pas une marchandise.</p> </li> <li> <p class="texte">La pauvret&eacute;, o&ugrave; qu&rsquo;elle existe, constitue un danger pour la prosp&eacute;rit&eacute; de tous.</p> </li> <li> <p class="texte">La Conf&eacute;rence reconnait l&rsquo;obligation solennelle de r&eacute;aliser la pl&eacute;nitude de l&rsquo;emploi, l&rsquo;&eacute;l&eacute;vation des niveaux de vie et un salaire minimum vital.</p> </li> </ul> <p class="texte">Pour le Conseil National de la R&eacute;sistance, c&rsquo;est le 15 Mars 1944 que son Programme est adopt&eacute; &agrave; l&rsquo;unanimit&eacute; de ses membres. Synth&eacute;tiquement, outre le retour de la d&eacute;mocratie apr&egrave;s la guerre avec le suffrage universel et la libert&eacute; de la presse, il pr&eacute;voit, au plan &eacute;conomique &laquo;&nbsp;l&rsquo;&eacute;viction des grandes f&eacute;odalit&eacute;s &eacute;conomiques et financi&egrave;res de la direction de l&rsquo;&eacute;conomie&nbsp;&raquo; par les nationalisations et des mesures sociales avec le r&eacute;tablissement d&rsquo;un syndicalisme ind&eacute;pendant et &laquo;&nbsp;un plan complet de s&eacute;curit&eacute; sociale&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte">Une Europe nouvelle &eacute;tait possible ancr&eacute;e sur la paix, la justice et l&rsquo;&eacute;galit&eacute;, mais une fois la paix acquise, l&rsquo;&eacute;conomie est devenue dominante. La cr&eacute;ation de la CECA pour le charbon et l&rsquo;acier a &eacute;t&eacute; le premier jalon, mais le moment essentiel a &eacute;t&eacute; la signature de l&rsquo;Acte unique europ&eacute;en permettant de cr&eacute;er un march&eacute; int&eacute;rieur unique en 1986 et d&rsquo;aboutir ensuite &agrave; la mise en circulation de l&rsquo;euro le 1<sup>er</sup> Janvier 2002. Les trait&eacute;s europ&eacute;ens ont pris leur forme la plus d&eacute;taill&eacute;e avec le trait&eacute; de Lisbonne en 2009&nbsp;: ils sont tr&egrave;s r&eacute;v&eacute;lateurs de l&rsquo;Europe qui s&rsquo;est finalement construite&nbsp;: pas d&rsquo;harmonisation sociale, pas d&rsquo;harmonisation fiscale mais un principe de fonctionnement &eacute;conomique, la concurrence, assorti de la libert&eacute; de circulation des biens, des services, des humains et des capitaux, le tout couronn&eacute; par l&rsquo;euro, monnaie unique, g&eacute;r&eacute;e par une institution ind&eacute;pendante, la Banque Centrale Europ&eacute;enne. L&rsquo;Europe qui s&rsquo;est patiemment construite jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;euro en 2002 et au trait&eacute; de Lisbonne en 2009 est l&rsquo;apoth&eacute;ose d&rsquo;un syst&egrave;me, le capitalisme, atteignant sa phase de financiarisation. Elle n&rsquo;est pas le prolongement des espoirs et des projets n&eacute;s &agrave; la fin de la guerre, les tentatives d&rsquo;&eacute;mancipation, notamment en mati&egrave;re d&rsquo;emploi ou de protection sociale ayant rapidement avort&eacute; sous l&rsquo;action des puissances financi&egrave;res. Celles-ci ont &eacute;t&eacute; puissamment aid&eacute;es par les gouvernements des Etats-Unis d&egrave;s 1944. En effet, &agrave; Bretton Woods le choix du dollar comme monnaie pivot pour le monde a &eacute;t&eacute; impos&eacute; &agrave; Keynes, le repr&eacute;sentant du Royaume Uni qui proposait une v&eacute;ritable monnaie nouvelle et internationale, le bancor. L&rsquo;Europe est le laboratoire de la construction d&rsquo;un monde occidental marchand permettant d&rsquo;illustrer &laquo;&nbsp;in vitro&nbsp;&raquo; la victoire d&eacute;finitive du march&eacute; capitaliste et de son fonctionnement. Comme on vient de l&rsquo;indiquer, le seul principe de fonctionnement est celui de la concurrence, encore faut-il pr&eacute;ciser ce que celle-ci signifie. Les trait&eacute;s retiennent &laquo;&nbsp;la concurrence libre et non fauss&eacute;e&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire une concurrence que rien ne doit pouvoir entraver&nbsp;: un march&eacute;, un prix et le libre jeu des offreurs et des demandeurs sans qu&rsquo;aucune &eacute;paisseur sociale, culturelle ou li&eacute;e &agrave; des traditions ou des coutumes ne puisse intervenir&nbsp;; tout produit, quelle que soit sa nature, doit pouvoir &ecirc;tre propos&eacute; partout dans le monde, par tout offreur le souhaitant et pour tout acqu&eacute;reur potentiel. La concurrence, c&rsquo;est la concurrence de tous contre tous, les entreprises au premier chef mais aussi les travailleurs et, &agrave; pr&eacute;sent, les Etats. Afin qu&rsquo;elles ne subissent aucune entrave, la libre circulation mais &eacute;galement la libre installation sont grav&eacute;es dans le marbre des trait&eacute;s.</p> <p class="texte">On s&rsquo;&eacute;tonne parfois que ni le volet fiscal, ni le volet social ne figurent dans les trait&eacute;s europ&eacute;ens. Il faut toute la na&iuml;vet&eacute;, sans doute r&eacute;elle d&rsquo;un Jacques Delors et celle vraisemblablement feinte d&rsquo;un Val&eacute;ry Giscard d&rsquo;Estaing pour d&eacute;fendre que le volet de la monnaie et du march&eacute; unique n&rsquo;&eacute;tait que le premier d&rsquo;un ensemble plus vaste o&ugrave; les enjeux sociaux, fiscaux et environnementaux auraient eu toute leur place. La logique de la construction europ&eacute;enne, celle, non pr&eacute;sent&eacute;e aux populations concern&eacute;es bien &eacute;videmment, d&rsquo;un march&eacute; unifi&eacute; assurant la g&eacute;n&eacute;ration optimale des profits et l&rsquo;accumulation de la rente ne peut &ecirc;tre entrav&eacute;e par des obligations sociales ou une harmonisation fiscale. L&rsquo;Europe sociale n&rsquo;aura pas lieu comme l&rsquo;&eacute;crivaient d&eacute;j&agrave; Fran&ccedil;ois Denord et Robert Schwarz en 2009 (Raisons d&rsquo;agir) tandis que, pour sa part, Robert Salais d&eacute;non&ccedil;ait le viol d&rsquo;Europe en 2013 (PUF). L&rsquo;Europe est bien le terrain d&rsquo;action d&rsquo;un capitalisme mondial qui vient s&rsquo;articuler &agrave; la domination am&eacute;ricaine.</p> <p class="texte">Il est souvent object&eacute; qu&rsquo;on ne peut aujourd&rsquo;hui envisager autre chose qu&rsquo;une &eacute;conomie de march&eacute;&nbsp;: certes, mais une distinction essentielle doit &ecirc;tre retenue ici. Le march&eacute;, comme lieu de l&rsquo;&eacute;change, lieu de m&eacute;diation permettant la rencontre d&rsquo;offreurs et de demandeurs de biens et de services, s&rsquo;impose partout dans le monde et &agrave; toutes les &eacute;poques. Mais, ce qui est profond&eacute;ment singulier avec le capitalisme, c&rsquo;est qu&rsquo;il instaure une rupture d&eacute;cisive quant &agrave; la d&eacute;finition et au fonctionnement du march&eacute;. Le march&eacute;, &agrave; travers les &acirc;ges et les civilisations, est un instrument harmonieux de pacification, de d&eacute;veloppement et de solidarit&eacute; communautaire. A condition cependant de ne pas s&rsquo;inscrire dans la stricte recherche du profit pour lui-m&ecirc;me. C&rsquo;est ainsi que le bazar oriental scelle, du septi&egrave;me au quinzi&egrave;me si&egrave;cle une alliance particuli&egrave;re du peuple et des marchands contre l&rsquo;Etat et que l&rsquo;Islam proscrit l&rsquo;usure. C&rsquo;est ainsi &eacute;galement que la Chine confuc&eacute;enne favorise le march&eacute; comme en attestent les r&eacute;cits de Marco Polo aux treizi&egrave;me et quatorzi&egrave;me si&egrave;cles mais en s&rsquo;inscrivant contre l&rsquo;&eacute;mergence du capitalisme puisqu&rsquo;elle ne peut admettre la recherche du profit pour lui-m&ecirc;me. L&rsquo;&eacute;change est recherch&eacute;, encourag&eacute; dans ces deux contextes de l&rsquo;Orient islamique et de la Chine confuc&eacute;enne, le profit est reconnu mais non sa prolif&eacute;ration&nbsp;: ni chr&eacute;matistique (l&rsquo;enrichissement comme fin et non comme moyen) ni pl&eacute;onexie (recherche compulsive du toujours plus). Avec le capitalisme, le march&eacute; n&rsquo;est plus un instrument pour les &eacute;changes et la soci&eacute;t&eacute; dans son ensemble, il devient la finalit&eacute;, il faut &eacute;changer pour d&eacute;gager des profits et accumuler de la richesse.</p> <p class="texte">Il faut fermement opposer cette argumentation au contresens ambiant, savamment entretenu par la doxa &eacute;conomique&nbsp;: le capitalisme n&rsquo;est pas le march&eacute;, entendu g&eacute;n&eacute;ralement dans toutes les soci&eacute;t&eacute;s du monde comme le moyen de r&eacute;aliser des &eacute;changes, il est une instance autonome riv&eacute;e sur sa propre prolif&eacute;ration. C&rsquo;est pourquoi Fernand Braudel argumentait clairement qu&rsquo;on peut penser capitalisme et march&eacute; comme des contraires. On peut pr&eacute;ciser cette distinction majeure &agrave; partir de la formalisation simple du circuit de l&rsquo;&eacute;change selon qu&rsquo;il a une vocation instrumentale ou qu&rsquo;il est &agrave; lui-m&ecirc;me sa propre fin.</p> <p class="texte">Quand un march&eacute; est construit comme un moyen d&rsquo;&eacute;change, la monnaie est l&rsquo;interm&eacute;diaire entre les produits pour permettre leur conversion. Ainsi un &eacute;change de c&eacute;r&eacute;ales (A) contre des tissus (A&rsquo;) correspond au cycle A-M-A&rsquo; o&ugrave; M repr&eacute;sente la monnaie. A l&rsquo;arriv&eacute;e, les c&eacute;r&eacute;ales et les tissus ont chang&eacute; de mains, conform&eacute;ment aux attentes des parties en pr&eacute;sence, la monnaie n&rsquo;&eacute;tant que le moyen pratique pour assurer l&rsquo;&eacute;change.</p> <p class="texte">Quand un march&eacute; est construit comme une institution permettant d&rsquo;accroitre la richesse, donc la quantit&eacute; de monnaie M d&eacute;tenue par un investisseur, la formule devient M-A-M&rsquo; et la marchandise n&rsquo;a plus gu&egrave;re d&rsquo;importance en elle-m&ecirc;me, sinon qu&rsquo;elle permet le d&eacute;gagement d&rsquo;une plus-value. On comprend ici que l&rsquo;&eacute;volution du capitalisme vers des produits de nature financi&egrave;re, anticipant virtuellement des variations futures, est d&eacute;j&agrave; l&agrave; dans les formes premi&egrave;res du capitalisme et, tout simplement, dans sa nature intrins&egrave;que. On l&rsquo;a ignor&eacute; le plus souvent mais le capitalisme est indiff&eacute;rent &agrave; ce qu&rsquo;il produit, ce qui ne l&rsquo;a pas emp&ecirc;ch&eacute; de satisfaire des attentes comme on a pu le constater notamment pendant les trente glorieuses. Il n&rsquo;a pas de valeurs, il est sans axiologie et c&rsquo;est bien pour cela qu&rsquo;on ne peut en attendre un projet de civilisation.</p> <p class="texte">Le march&eacute; libre et concurrentiel, pr&ocirc;n&eacute; par le discours officiel europ&eacute;en, est en r&eacute;alit&eacute; bien diff&eacute;rent de la &laquo;&nbsp;concurrence libre et non fauss&eacute;e&nbsp;&raquo;. Avec le march&eacute; capitaliste o&ugrave; le profit est la loi, ce qui anime les offreurs, et particuli&egrave;rement les plus puissants, compte tenu des moyens de tous ordres dont ils disposent, c&rsquo;est la recherche d&rsquo;un monopole, officiel ou de fait. L&rsquo;histoire du capitalisme est jalonn&eacute;e de la proximit&eacute; qui s&rsquo;&eacute;tablit entre les marchands, les financiers, les industriels et l&rsquo;autorit&eacute; politique repr&eacute;sent&eacute;e par les princes hier ou les &eacute;lus du syst&egrave;me d&eacute;mocratique aujourd&rsquo;hui. La r&eacute;alit&eacute;, c&rsquo;est que diff&eacute;rents gouvernements agissent en faveur des firmes multinationales au d&eacute;triment des entreprises europ&eacute;ennes qui paient leurs imp&ocirc;ts et&hellip; des contribuables citoyens qui sont dans la m&ecirc;me situation. Comme l&rsquo;affirme tranquillement Robert Thiel, dirigeant de la Silicon Valley, la concurrence est pr&eacute;cis&eacute;ment ce que les firmes multinationales et en particulier les GAFA veulent &eacute;viter en d&eacute;veloppant leurs avantages comp&eacute;titifs et leurs r&eacute;seaux. Que des gouvernements les encouragent et pratiquent les rescrits fiscaux et autres tax rulings ne peut nous &eacute;tonner mais devrait dessiller les yeux des thurif&eacute;raires les plus convaincus de l&rsquo;Europe actuelle, celle qui a choisi comme Pr&eacute;sident Jean-Claude Juncker, sans doute en raison de ses hauts faits de guerre fiscale en faveur des entreprises multinationales. Doit-on rappeler qu&rsquo;en 2014 le consortium de journalistes ICIJ a r&eacute;v&eacute;l&eacute; dans l&rsquo;affaire Lux Leaks que les rescrits fiscaux luxembourgeois ont &eacute;t&eacute; utilis&eacute;s par de grandes soci&eacute;t&eacute;s multinationales pour r&eacute;duire tr&egrave;s fortement et parfois supprimer leur imposition.</p> <p class="texte">Un march&eacute; capitaliste concurrentiel mais une recherche syst&eacute;matique des possibilit&eacute;s d&rsquo;&eacute;viter la concurrence pour les plus puissants, un espace europ&eacute;en unifi&eacute; par la monnaie et des trait&eacute;s coh&eacute;rents par rapport &agrave; la dynamique financi&egrave;re de g&eacute;n&eacute;ration des profits et d&rsquo;accumulation de la rente. Telle est la situation de l&rsquo;Union europ&eacute;enne aujourd&rsquo;hui.</p> <h1 class="texte">L&rsquo;euro et la monnaie</h1> <p class="texte">S&rsquo;interroger sur l&rsquo;euro aujourd&rsquo;hui, c&rsquo;est donc le situer dans la logique europ&eacute;enne, mais c&rsquo;est aussi r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; son statut de monnaie.</p> <p class="texte">Ce qu&rsquo;il faut avancer, c&rsquo;est qu&rsquo;une Europe des peuples et des cultures implique n&eacute;cessairement la sortie des trait&eacute;s europ&eacute;ens qui organisent la pr&eacute;dation financi&egrave;re mais qu&rsquo;elle implique &eacute;galement la sortie de l&rsquo;euro qui ne peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme une simple modalit&eacute; instrumentale, axiologiquement neutre, du fonctionnement &eacute;conomique.</p> <p class="texte">Quand on cherche &agrave; caract&eacute;riser la monnaie, on constate g&eacute;n&eacute;ralement qu&rsquo;elle est quelque chose que l&rsquo;on comprend mal. Pourquoi un objet, un bien, naturel ou artificiel, en vient-il &agrave; assurer l&rsquo;&eacute;quilibre du fonctionnement social tant au plan &eacute;conomique que symbolique, pour les &eacute;changes de biens et de services, ou pour la perp&eacute;tuation des relations sociales&nbsp;? Tout cela a toujours &eacute;t&eacute; &eacute;trange et obscur pour le citoyen. Pourquoi&nbsp;?</p> <p class="texte">Ce dont il faut prendre acte, c&rsquo;est que la monnaie a une double dimension&nbsp;: une dimension symbolique qui permet de &laquo;&nbsp;faire soci&eacute;t&eacute;&nbsp;&raquo; et d&rsquo;assurer la souverainet&eacute; d&rsquo;une entit&eacute; sociale et politique, et une dimension instrumentale qui permet d&rsquo;assurer les relations entre des groupes d&eacute;sireux de commercer et d&rsquo;&eacute;changer des biens et des services dont ils ont la propri&eacute;t&eacute; ou la maitrise de la fabrication.</p> <p class="texte">Il est donc n&eacute;cessaire de clarifier la place de l&rsquo;euro dans le dispositif europ&eacute;en. Cette r&eacute;flexion peut se conduire selon les quatre temps suivants&nbsp;:</p> <ul class="texte"> <li> <p class="texte">En premier lieu, la critique des deux fables colport&eacute;es par la doxa &eacute;conomique sur la nature de la monnaie, celle du troc et celle de la monnaie comme technique neutre et purement instrumentale.</p> </li> <li> <p class="texte">Ensuite la description des &eacute;tapes de la financiarisation et de la cr&eacute;ation de l&rsquo;euro en revisitant les trente glorieuses et en indiquant la double mutation majeure&nbsp;:</p> </li> </ul> <p class="texte">Les march&eacute;s financiers deviennent la seule source de financement possible alors qu&#39;auparavant le circuit du Tr&eacute;sor public permettait le financement.</p> <ul class="texte"> <li> <p class="texte">Le d&eacute;ni de d&eacute;mocratie est constitu&eacute; avec le fonctionnement de la BCE, la perte de souverainet&eacute; des Etats et la proposition d&rsquo;un f&eacute;d&eacute;ralisme &laquo;&nbsp;furtif&nbsp;&raquo; s&rsquo;appliquant &agrave; figer des situations h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes.</p> </li> <li> <p class="texte">Dans un troisi&egrave;me temps, la mesure des cons&eacute;quences de la cr&eacute;ation de l&rsquo;euro sur l&rsquo;activit&eacute; &eacute;conomique des pays de la zone euro et sur les volets sociaux, fiscaux et culturels.</p> </li> <li> <p class="texte">Enfin l&rsquo;&eacute;tude des monnaies &eacute;lectroniques et des monnaies locales permet de compl&eacute;ter l&rsquo;appr&eacute;ciation du r&ocirc;le social de la monnaie.</p> </li> </ul> <h1 class="texte">Deux fables, le troc comme monnaie premi&egrave;re et la neutralit&eacute; institutionnelle de la monnaie</h1> <h2 class="texte">Le troc</h2> <p class="texte">La th&eacute;orie &eacute;conomique classique fait du troc le moment initial des relations d&rsquo;&eacute;change. Adam Smith le pr&eacute;sente dans ses &eacute;crits de 1776 comme l&rsquo;&eacute;tape premi&egrave;re de l&rsquo;&eacute;change avant l&rsquo;instauration de la monnaie puis celle du syst&egrave;me de cr&eacute;dit.</p> <p class="texte">La r&eacute;alit&eacute;, c&rsquo;est que c&rsquo;est exactement l&rsquo;inverse qui se produit historiquement comme le d&eacute;veloppe David Graeber dans 5000 ans d&rsquo;histoire de la dette (LLL, 2013). Le troc est r&eacute;siduel, il n&rsquo;est qu&rsquo;un pis-aller pour des situations de crise comme les ont connues, par exemple, la Russie en 1990, l&rsquo;Argentine en 2002 ou la Gr&egrave;ce depuis les ann&eacute;es 2010.</p> <p class="texte">Ce qui est premier dans une soci&eacute;t&eacute;, c&rsquo;est la confiance entre ceux qui la composent. La confiance permet le cr&eacute;dit et ce n&rsquo;est que lorsque la confiance dispara&icirc;t que la monnaie devient n&eacute;cessaire. Le cr&eacute;dit est ant&eacute;rieur &agrave; la monnaie tandis que le troc lui est post&eacute;rieur. Il n&rsquo;est possible qu&rsquo;entre &eacute;trangers, voire entre ennemis, comme L&eacute;vi-Strauss le constate chez les Nambikwara&nbsp;: jamais il ne s&rsquo;instaure en interne.</p> <p class="texte">Le cycle historique inaugural n&rsquo;est donc pas troc, puis monnaie, puis cr&eacute;dit mais exactement l&rsquo;inverse&nbsp;: le cr&eacute;dit est premier car il est l&rsquo;expression de la confiance structurant la soci&eacute;t&eacute;, il est relay&eacute; par la monnaie quand la confiance fait d&eacute;faut, la monnaie qui, en situation de crise, est suppl&eacute;&eacute;e par le troc comme exp&eacute;dient provisoire et contraint. Le troc est bien un fantasme des &eacute;conomistes, mais la monnaie s&rsquo;impose tr&egrave;s t&ocirc;t comme instrument d&rsquo;exercice du pouvoir en instaurant la dette. La monnaie n&rsquo;est pas le prolongement historique du troc&nbsp;; elle est une institution sociale majeure qui &eacute;tablit un rapport d&rsquo;appartenance &agrave; une collectivit&eacute;. Le socle premier, c&rsquo;est celui qui fonde la soci&eacute;t&eacute;, &agrave; partir de l&rsquo;&eacute;change pour Claude L&eacute;vi-Strauss, &agrave; partir du cycle ternaire du don (donner-recevoir-rendre) pour Marcel Mauss.</p> <h2 class="texte">La neutralit&eacute; institutionnelle de la monnaie</h2> <p class="texte">C&rsquo;est la deuxi&egrave;me fable du fonctionnement mon&eacute;taire. La monnaie est une technique permettant d&rsquo;associer trois exigences&nbsp;: payer, calculer et th&eacute;sauriser.</p> <ul class="texte"> <li> <p class="texte">La monnaie est un moyen d&rsquo;&eacute;change qui permet de payer ses dettes.</p> </li> <li> <p class="texte">Elle est une unit&eacute; de compte qui permet de calculer les mouvements financiers.</p> </li> <li> <p class="texte">Elle est un instrument de stockage de la valeur.</p> </li> </ul> <p class="texte">En somme, avec la monnaie, on paie, on calcule et on &eacute;pargne.</p> <p class="texte">Les soci&eacute;t&eacute;s modernes capitalistes centr&eacute;es sur la g&eacute;n&eacute;ration des profits et la prolif&eacute;ration de la rente consid&egrave;rent que la monnaie n&rsquo;est que l&rsquo;outil de cette dynamique financi&egrave;re et qu&rsquo;elle est donc neutre axiologiquement.</p> <p class="texte">Mais la monnaie est bien davantage qu&rsquo;un simple outil permettant la r&eacute;alisation des &eacute;changes et jug&eacute; &laquo;&nbsp;naturel&nbsp;&raquo; tant par la doctrine &eacute;conomique &laquo;&nbsp;mainstream&nbsp;&raquo; que par la pratique des institutions financi&egrave;res. Les soci&eacute;t&eacute;s primitives ont instaur&eacute; les premi&egrave;res monnaies en leur assignant un r&ocirc;le symbolique majeur dans la structuration de la soci&eacute;t&eacute;&nbsp;: pour ne prendre qu&rsquo;un seul exemple, mentionnons les cauris, signes tangibles de prosp&eacute;rit&eacute; et de puissance pour certaines soci&eacute;t&eacute;s d&rsquo;Afrique ou d&rsquo;Oc&eacute;anie. Sous l&rsquo;Ancien R&eacute;gime en Occident, la monnaie est associ&eacute;e &agrave; la souverainet&eacute;&nbsp;: &agrave; partir de la fin du Moyen Age, le roi est le seul &agrave; avoir le pouvoir de battre la monnaie dont, en contrepartie, il garantit la valeur.</p> <p class="texte">La monnaie est l&rsquo;expression majeure de la souverainet&eacute;&nbsp;: battre monnaie, pr&eacute;lever les imp&ocirc;ts et rendre la justice sont les attributs d&eacute;cisifs de la puissance royale. On ne comprend rien &agrave; la monnaie si on la rabat sur la simple modalit&eacute; op&eacute;ratoire calculatrice de l&rsquo;&eacute;change des biens et des services.</p> <p class="texte">Prenons quelques exemples r&eacute;cents, ceux de l&rsquo;Allemagne, du Royaume Uni et, bien &eacute;videmment des Etats-Unis d&rsquo;Am&eacute;rique.</p> <p class="texte">Abandonner le deutsche mark pour l&rsquo;euro n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; facile pour les Allemands, tant le deutsche mark repr&eacute;sentait la puissance et la domination allemandes. Ils n&rsquo;ont, en r&eacute;alit&eacute;, pas regrett&eacute; longtemps cet abandon puisque l&rsquo;euro s&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment construit &agrave; partir du deutsche mark auquel il a donn&eacute; un champ d&rsquo;action plus large et surtout plus contraignant comme on le d&eacute;veloppera plus loin.</p> <p class="texte">Le Royaume Uni a, difficilement, rejoint l&rsquo;Union europ&eacute;enne avant de la quitter avec le Brexit mais il n&rsquo;a pas voulu entrer dans la zone euro, choix &eacute;galement retenu par la Su&egrave;de ou le Danemark. Ces pays, en conservant leur souverainet&eacute; mon&eacute;taire, ont mieux absorb&eacute; la r&eacute;cession &eacute;conomique cons&eacute;cutive &agrave; la crise dite des &laquo;&nbsp;subprimes&nbsp;&raquo; amorc&eacute;e aux Etats-Unis en 2008. Pour la livre sterling, le choix fait par le Royaume Uni a &eacute;t&eacute; de maintenir une activit&eacute; de services financiers, largement connect&eacute;e aux paradis fiscaux et &agrave; l&rsquo;&eacute;vasion fiscale, politique initi&eacute;e dans les ann&eacute;es 1965‑1973 avec les &laquo;&nbsp;eurodollars&nbsp;&raquo;. Rappelons que ceux-ci ont permis, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque, de contourner la l&eacute;gislation am&eacute;ricaine du Glass Steagall Act qui interdisait la r&eacute;mun&eacute;ration des comptes de d&eacute;p&ocirc;ts des entreprises. Ces &laquo;&nbsp;eurodollars&nbsp;&raquo; ont &eacute;galement permis de faciliter le r&egrave;glement par l&rsquo;URSS de ses &eacute;changes commerciaux. Ils ont permis enfin de d&eacute;velopper une industrie financi&egrave;re florissante et d&rsquo;installer la City de Londres comme un des principaux paradis fiscaux de la plan&egrave;te. Gr&acirc;ce &agrave; la livre sterling, le Royaume Uni a conserv&eacute; sa souverainet&eacute; mon&eacute;taire et des r&eacute;sultats &eacute;conomiques sup&eacute;rieurs aux autres pays europ&eacute;ens comparables, &agrave; l&rsquo;exception de l&rsquo;Allemagne&hellip; jusqu&rsquo;au Brexit.</p> <p class="texte">Pour le dollar, la situation est claire depuis longtemps et, en particulier depuis Bretton Woods en 1944 et, surtout, l&rsquo;abandon de la r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;or en 1971 par Nixon. Rappelons qu&rsquo;&agrave; Bretton Woods, John Maynard Keynes, qui dirigeait la d&eacute;l&eacute;gation britannique a propos&eacute; de fonder le syst&egrave;me mon&eacute;taire mondial sur une unit&eacute; de r&eacute;serve non nationale qu&rsquo;il proposait de nommer le bancor. Mais c&rsquo;est Harry Dexter White, assistant au secr&eacute;taire au Tr&eacute;sor des Etats-Unis qui a eu gain de cause en conf&eacute;rant le r&ocirc;le de pivot au dollar am&eacute;ricain. Le rattachement nominal &agrave; l&rsquo;or &eacute;tait cependant conserv&eacute;. Cependant, le dollar devenait la seule r&eacute;f&eacute;rence, la monnaie mondiale &eacute;tait r&eacute;cus&eacute;e et&hellip; le ver &eacute;tait dans le fruit. En effet, le 15 Ao&ucirc;t 1971, Richard Nixon annonce la fin de la convertibilit&eacute; en or du dollar. Cette mesure, compl&eacute;t&eacute;e par les accords de la Jama&iuml;que de Janvier 1976 mettant un terme d&eacute;finitif au syst&egrave;me des parit&eacute;s fixes mais ajustables, consacre officiellement l&rsquo;abandon du r&ocirc;le l&eacute;gal international de l&rsquo;or. Le dollar est, d&egrave;s lors, le seul seigneur et ma&icirc;tre de la plan&egrave;te mon&eacute;taire.</p> <p class="texte">La mondialisation renforce la g&eacute;n&eacute;ralisation de la zone dollar, dont l&rsquo;euro n&rsquo;est qu&rsquo;un avatar. La g&eacute;opolitique confirme chaque jour le r&ocirc;le de gendarme de la plan&egrave;te que se sont arrog&eacute;s les USA. Avec l&rsquo;arme du dollar comme monnaie mondiale dominante, les USA imposent leurs d&eacute;cisions &agrave; leurs &laquo;&nbsp;partenaires&nbsp;&raquo; europ&eacute;ens qu&rsquo;il s&rsquo;agisse des accords avec l&rsquo;Iran ou des amendes inflig&eacute;es aux banques commer&ccedil;ant en dollars. Un seul exemple suffit pour illustrer cette domination, celui du p&eacute;trole dont toutes les transactions doivent &ecirc;tre libell&eacute;es en dollars quels que soient les vendeurs, les acqu&eacute;reurs, les interm&eacute;diaires et les pays concern&eacute;s. Deux temps dans le rapport de force&nbsp;: on impose le dollar comme monnaie de transaction et on sanctionne ensuite les dites transactions, g&eacute;n&eacute;ralement pour des raisons de concurrence entre groupes multinationaux, la politique am&eacute;ricaine prot&eacute;geant les firmes issues du territoire am&eacute;ricain et pas seulement depuis l&rsquo;arriv&eacute;e &agrave; la pr&eacute;sidence de Donald Trump.</p> <p class="texte">Penser la monnaie comme un simple outil technique de l&rsquo;&eacute;conomie rel&egrave;ve donc au mieux, de la na&iuml;vet&eacute; ou de la m&eacute;connaissance, au pire, de l&rsquo;id&eacute;ologie et de la manipulation.</p> <h1 class="texte">Les &eacute;tapes de la financiarisation et de la cr&eacute;ation de l&rsquo;euro</h1> <p class="texte">Le temps de l&rsquo;apr&egrave;s seconde guerre mondiale est celui de la reconstruction et de la relance des activit&eacute;s &eacute;conomiques. Les Etats sont tr&egrave;s impliqu&eacute;s dans la politique mon&eacute;taire dont ils se servent pour favoriser les projets de d&eacute;veloppement pendant la p&eacute;riode dite des &laquo;&nbsp;trente glorieuses&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte">Ainsi la France mobilise la banque de France et les avances au Tr&eacute;sor public pour financer la politique industrielle du gouvernement. Le contr&ocirc;le de la monnaie, du franc en l&rsquo;occurrence, est indispensable pour obtenir la croissance qui a pu &ecirc;tre constat&eacute;e &agrave; un niveau tr&egrave;s important jusqu&rsquo;&agrave; la premi&egrave;re crise p&eacute;troli&egrave;re de 1974‑76. Les financements g&eacute;r&eacute;s par l&rsquo;Etat ont parfaitement atteint leurs objectifs sans dividendes excessifs de la part des investisseurs et sans crise en termes de dette publique ou de taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t&nbsp;: la France n&rsquo;a en 1980 qu&rsquo;un niveau de dette publique de 20&nbsp;% du PIB contre pr&egrave;s de 100&nbsp;% actuellement.</p> <h2 class="texte">Le recours aux march&eacute;s financiers</h2> <p class="texte">Le changement d&eacute;cisif intervient lorsque le choix politique est fait de recourir aux march&eacute;s financiers pour suppl&eacute;er l&rsquo;Etat dans la t&acirc;che de financement de l&rsquo;&eacute;conomie qu&rsquo;il assurait parfaitement auparavant. Il faut bien comprendre que ce choix politique, conduit partout en Europe et en particulier en France, n&rsquo;a rien d&rsquo;un hasard&nbsp;: il est le d&eacute;ploiement coh&eacute;rent du capitalisme, lorsque celui-ci amorce sa phase de financiarisation. Installer les march&eacute;s financiers &agrave; la place des Etats pour financer l&rsquo;&eacute;conomie, c&rsquo;est renoncer &agrave; conduire une politique industrielle, c&rsquo;est installer durablement le d&eacute;ficit budg&eacute;taire et donc la dette pour le financer&nbsp;puisque le d&eacute;ficit est soit financ&eacute; par les imp&ocirc;ts, soit en l&rsquo;absence d&rsquo;imp&ocirc;ts par la dette. La politique de r&eacute;duction des imp&ocirc;ts des entreprises et des plus fortun&eacute;s induit n&eacute;cessairement une explosion de la dette. C&rsquo;est m&eacute;caniquement acc&eacute;l&eacute;rer les d&eacute;ficits par l&rsquo;effet boule de neige, les taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de la dette exc&eacute;dant largement la croissance de l&rsquo;activit&eacute;&nbsp;; c&rsquo;est conf&eacute;rer aux pr&ecirc;teurs un pouvoir exorbitant sur la conduite des affaires publiques. Quand ceux-ci sont principalement des r&eacute;sidents (les habitants du pays) comme au Japon, l&rsquo;explosion de la dette (247&nbsp;% du PIB &agrave; fin 2016) reste sans cons&eacute;quence mais quand ce sont les non-r&eacute;sidents (c&rsquo;est-&agrave;-dire des entit&eacute;s &eacute;trang&egrave;res comme les fonds de pension et les fonds d&rsquo;investissement de toutes natures cherchant un profit facile, rapide et substantiel) comme c&rsquo;est le cas pour la France, la politique mon&eacute;taire et budg&eacute;taire n&rsquo;appartient plus &agrave; l&rsquo;Etat.</p> <p class="texte">Il est patent que les Etats, confront&eacute;s au tassement de la croissance apr&egrave;s les trente glorieuses, &agrave; partir des ann&eacute;es 1980, et &agrave; l&rsquo;apparition de la r&eacute;cession, ont d&eacute;lib&eacute;r&eacute;ment fait un double choix fiscal et budg&eacute;taire.</p> <p class="texte">Fiscalement, la politique conduite par les gouvernements europ&eacute;ens a &eacute;t&eacute; de favoriser les entreprises et les plus fortun&eacute;s, par la r&eacute;duction des imp&ocirc;ts, ce qui, conjugu&eacute; &agrave; une activit&eacute; &eacute;conomique qui ralentit, a g&eacute;n&eacute;r&eacute; des d&eacute;ficits publics en raison d&rsquo;une diminution des recettes fiscales.</p> <p class="texte">Mon&eacute;tairement, le choix du d&eacute;ficit, c&rsquo;est le choix de la dette. Il faut le dire et le redire car il n&rsquo;y a qu&rsquo;une solution saine pour les finances publiques, c&rsquo;est de proposer une fiscalit&eacute; dont les recettes couvrent les d&eacute;penses. Ne pas le faire, c&rsquo;est choisir d&rsquo;installer la dette et d&rsquo;assurer la prolif&eacute;ration de la rente. Le profit de l&rsquo;actionnaire et les int&eacute;r&ecirc;ts de la dette sont les serviteurs z&eacute;l&eacute;s du syst&egrave;me financier qui nous tient. Progressivement, la sph&egrave;re publique est capt&eacute;e, dig&eacute;r&eacute;e par la sph&egrave;re priv&eacute;e et la dette prosp&egrave;re, d&rsquo;abord la dette publique, celle des Etats, et ensuite la dette priv&eacute;e, celle des entreprises et des m&eacute;nages. Il n&rsquo;y a pas de meilleure strat&eacute;gie d&rsquo;assujettissement des populations que de les marquer du sceau de la dette, provoquant honte et r&eacute;signation. Mais il est manifeste que la dette est construite par un syst&egrave;me financier global avec pr&eacute;cis&eacute;ment le double mouvement de son imposition et de sa stigmatisation&nbsp;: on vous charge d&rsquo;une dette dont vous n&rsquo;&ecirc;tes pas les acteurs et qui vient des politiques conduites en faveur des plus fortun&eacute;s mais on vous la fait porter politiquement en la globalisant et en jouant sur les ressorts psychologiques en convoquant les g&eacute;n&eacute;rations futures (&laquo;&nbsp;nos enfants ou petits-enfants&nbsp;&raquo;, ce qui est toujours efficace dans les chaumi&egrave;res bien que totalement mensonger). Comme l&rsquo;indiquait Marx dans la section 8 du premier livre du Capital&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;la dette publique, voil&agrave; le credo du Capital&nbsp;&raquo; Un seul exemple ici encore pour illustrer les cons&eacute;quences d&eacute;sastreuses pour les finances publiques du recours syst&eacute;matique aux march&eacute;s financiers, celui de l&rsquo;emprunt Giscard de 1973. La somme emprunt&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;poque &eacute;tait de 6,5 milliards de francs. Lorsque les comptes d&eacute;finitifs furent &eacute;tablis en 1988, quinze ans apr&egrave;s, soit la dur&eacute;e de l&rsquo;emprunt, on constata qu&rsquo;entre les remboursements, les int&eacute;r&ecirc;ts et les commissions diverses, 92 milliards de francs avaient &eacute;t&eacute; d&eacute;pens&eacute;s soit quatorze fois la somme initialement emprunt&eacute;e&nbsp;! Stigmatiser et culpabiliser les populations &agrave; partir d&rsquo;un diagnostic id&eacute;ologique de la dette m&eacute;rite r&eacute;flexion. Il faut en effet s&rsquo;arr&ecirc;ter sur cette formule si habituelle, pr&eacute;sent&eacute;e comme la quintessence du bon sens selon laquelle &laquo;&nbsp;on paie ses dettes car sinon on les transmet &agrave; ceux qui viennent apr&egrave;s nous&nbsp;&raquo;. De Bayrou &agrave; Jupp&eacute; et quelques autres, c&rsquo;est la m&ecirc;me antienne culpabilisante. Il faut r&eacute;pondre &agrave; deux niveaux&nbsp;: d&rsquo;abord quant &agrave; la g&eacute;n&eacute;ration de la dette, ensuite quant au remboursement futur.</p> <p class="texte">S&rsquo;agissant de la g&eacute;n&eacute;ration de la dette, il faut rappeler que la dette n&rsquo;apparait que parce qu&rsquo;un d&eacute;ficit est constat&eacute; entre les recettes et les d&eacute;penses de l&rsquo;Etat. Ensuite parce que ce d&eacute;ficit qui logiquement devrait &ecirc;tre couvert par les recettes fiscales ne peut l&rsquo;&ecirc;tre, pr&eacute;cis&eacute;ment en raison de la baisse des recettes fiscales r&eacute;sultant des choix fiscaux des gouvernements qui ciblent la r&eacute;duction de l&rsquo;imposition des r&eacute;mun&eacute;rations les plus &eacute;lev&eacute;es, des patrimoines et des r&eacute;sultats des entreprises&nbsp;: c&rsquo;est ainsi que le taux de l&rsquo;imp&ocirc;t sur les soci&eacute;t&eacute;s qui est actuellement de 33,3&nbsp;% des b&eacute;n&eacute;fices constat&eacute;s par les entreprises va baisser jusqu&rsquo;&agrave; 25&nbsp;% en 2022, c&rsquo;est ainsi &eacute;galement que le CICE (cr&eacute;dit imp&ocirc;t pour la comp&eacute;titivit&eacute; et l&rsquo;emploi) sera de 6&nbsp;% de la masse salariale en 2018 avant d&rsquo;&ecirc;tre remplac&eacute; en 2019 par une baisse directe de cotisations pour les employeurs, c&rsquo;est ainsi aussi que l&rsquo;IFI remplace l&rsquo;ISF pour un rendement quatre fois moins important selon les premi&egrave;res estimations, un ISF qui ne se situait pourtant qu&rsquo; entre 1 et 2&nbsp;% du budget de l&rsquo;Etat&nbsp;!</p> <p class="texte">Ainsi la dette est bien la cons&eacute;quence d&rsquo;une politique d&eacute;lib&eacute;r&eacute;e et non le r&eacute;sultat d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements ou de gabegies concernant les fonds publics. Elle sert en outre d&#39;argumentaire pour r&eacute;duire les d&eacute;penses publiques, particuli&egrave;rement dans les domaines de la sant&eacute;, de l&rsquo;&eacute;ducation ou de la culture au motif qu&rsquo;on ne peut vivre au dessus de ses moyens. Quels moyens&nbsp;? Appartenant &agrave; qui&nbsp;? Le cynisme de ceux qui se sont impos&eacute;s aux manettes de la gestion de nos soci&eacute;t&eacute;s contemporaines est sans limite et la vergogne totalement absente.</p> <p class="texte">Au fond, il n&rsquo;y a dette que parce que les recettes en baisse ne permettent pas de couvrir les d&eacute;penses et parce que les gouvernements choisissent, en lieu et place de l&rsquo;imp&ocirc;t, de s&rsquo;en remettre aux march&eacute;s financiers pour financer le d&eacute;ficit. C&rsquo;est ici la double r&eacute;compense pour les investisseurs&nbsp;: d&rsquo;une part, on r&eacute;duit leur imposition, d&rsquo;autre part on les r&eacute;mun&egrave;re pour les emprunts qu&rsquo;on leur propose de souscrire.</p> <p class="texte">S&rsquo;agissant du remboursement de la dette, on constate un deuxi&egrave;me niveau de manipulation. On rembourse avec l&rsquo;argent de demain, et non avec celui d&rsquo;aujourd&rsquo;hui. C&rsquo;est le principe m&ecirc;me de la dette et de son impact structurant pour l&rsquo;&eacute;conomie quand elle est contract&eacute;e pour financer des projets. La dette, c&rsquo;est comme le cholest&eacute;rol, il y a la bonne et la mauvaise.</p> <p class="texte">La mauvaise, c&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment celle que les Etats supportent parce qu&rsquo;ils n&rsquo;assurent pas leurs recettes fiscales et qu&rsquo;ils confortent la rente des pr&ecirc;teurs en faisant le choix du d&eacute;ficit budg&eacute;taire.</p> <p class="texte">La bonne, c&rsquo;est celle qui enclenche des dynamiques positives en finan&ccedil;ant les projets que nos soci&eacute;t&eacute;s devraient poursuivre dans les domaines notamment de la transition &eacute;nerg&eacute;tique, de l&rsquo;&eacute;ducation, de la recherche, de la culture et de la sant&eacute;.</p> <p class="texte">C&rsquo;est bien pourquoi un audit de la dette publique est une n&eacute;cessit&eacute; citoyenne urgente, et pas seulement pour la Gr&egrave;ce, afin d&rsquo;aboutir &agrave; la r&eacute;pudiation des dettes &laquo;&nbsp;odieuses&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;ill&eacute;gitimes&nbsp;&raquo; qui n&rsquo;auraient jamais d&ucirc; appara&icirc;tre dans un contexte politique et &eacute;conomique non consacr&eacute; au seul enrichissement des puissants. Ce n&rsquo;est pas le remboursement qui est probl&eacute;matique d&egrave;s lors que la dette accompagne les projets d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; qui maitrise ses choix &eacute;conomiques, sociaux et soci&eacute;taux.</p> <p class="texte">Comme l&rsquo;indique Eric Toussaint (<em>Le Syst&egrave;me dette, Histoire des dettes souveraines et de leur r&eacute;pudiation</em>, LLL, 2017), l&rsquo;Histoire offre de nombreuses situations de r&eacute;pudiation de dettes ill&eacute;gitimes, c&rsquo;est-&agrave;-dire non contract&eacute;es dans l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t des citoyens.</p> <p class="texte">Ainsi, en 1865, au moment de la fin de la guerre de S&eacute;cession aux Etats-Unis, les dettes contract&eacute;es par les Sudistes aupr&egrave;s des banques pour financer la guerre sont r&eacute;pudi&eacute;es (14<sup>&egrave;me</sup> amendement &agrave; la Constitution).</p> <p class="texte">Ainsi, les Soviets d&eacute;cr&egrave;tent-ils la r&eacute;pudiation des dettes tsaristes en 1918.</p> <p class="texte">Ainsi, John Snow, le secr&eacute;taire d&rsquo;Etat am&eacute;ricain au Tr&eacute;sor, dix jours apr&egrave;s l&rsquo;invasion de l&rsquo;Irak en 2003, convoque-t-il ses coll&egrave;gues du G7 pour annuler les dettes contract&eacute;es par Saddam Hussein. Il utilise l&rsquo;argument de la dette odieuse et, en octobre 2004, 80&nbsp;% de la dette de l&rsquo;Irak est annul&eacute;e.</p> <p class="texte">R&eacute;pudier des dettes &laquo;&nbsp;odieuses&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;ill&eacute;gitimes&nbsp;&raquo; est donc possible au regard du droit international. C&rsquo;est, au-del&agrave;, absolument n&eacute;cessaire, si on veut conduire un projet politique d&rsquo;&eacute;mancipation.</p> <h2 class="texte">Le d&eacute;ni de d&eacute;mocratie</h2> <p class="texte">C&rsquo;est dans ce contexte que s&rsquo;op&egrave;re la cr&eacute;ation de l&rsquo;euro dans le cadre de la construction europ&eacute;enne. On pourrait s&rsquo;&eacute;tonner que l&rsquo;euro, la monnaie unique, soit le chantier prioritaire et, pour le moment le seul, &agrave; avoir &eacute;t&eacute; mis en &oelig;uvre. Pourquoi ne pas construire une Europe sociale ou une Europe fiscale afin de prouver qu&rsquo;une dynamique nouvelle est enclench&eacute;e et que l&rsquo;Europe des peuples n&rsquo;est pas une vaine rh&eacute;torique mais un socle de r&eacute;alisations communes au service de tous. Ce serait mal comprendre que ce qui se b&acirc;tit &agrave; partir des ann&eacute;es 1980, c&rsquo;est le triomphe du capitalisme lib&eacute;ral, mondialis&eacute;, num&eacute;ris&eacute; et financiaris&eacute;. Surtout pas d&rsquo;unification sociale, fiscale, ni m&ecirc;me budg&eacute;taire mais un outil mon&eacute;taire unique permettant de &laquo;&nbsp;cadenasser&nbsp;&raquo; le dispositif europ&eacute;en. Que se passe-t-il en effet avec la cr&eacute;ation de la monnaie unique&nbsp;? Les Etats membres ne peuvent plus recourir aux ajustements de change comme par le pass&eacute; et dont la vulgate lib&eacute;rale assure qu&rsquo;ils n&rsquo;&eacute;taient que d&eacute;sordres et catastrophes pour les citoyens, ce qui est manifestement faux. L&rsquo;examen attentif des d&eacute;valuations ou r&eacute;&eacute;valuations montre les r&eacute;ussites comme les &eacute;checs des politiques conduites dont le volet mon&eacute;taire n&rsquo;&eacute;tait qu&rsquo;un aspect&nbsp;; un seul exemple, celui de la France en 1959, atteste qu&rsquo;une d&eacute;valuation peut &ecirc;tre un moment&ndash;cl&eacute; pour des choix politiques ou &eacute;conomiques majeurs. Ce qu&rsquo;il se passe avec l&rsquo;euro, c&rsquo;est qu&rsquo;il n&rsquo;y a plus d&rsquo;ajustement mon&eacute;taire possible, donc ne subsiste que la &laquo;&nbsp;d&eacute;valuation comp&eacute;titive&nbsp;&raquo;, celle qui s&rsquo;obtient par la baisse des salaires. Cette cons&eacute;quence d&eacute;sastreuse pour le pouvoir d&rsquo;achat des salari&eacute;s, installant la pr&eacute;carisation et l&rsquo;&eacute;cart grandissant entre les riches et les pauvres, n&rsquo;est pas un effet inattendu et regrettable du nouvel instrument mon&eacute;taire, elle est la logique m&ecirc;me du syst&egrave;me &eacute;conomique qui nous r&eacute;git. L&rsquo;euro se referme sur l&rsquo;Europe comme une chape de plomb et constitue une zone unifi&eacute;e permettant de relayer la zone dollar.</p> <p class="texte">Autre fable habituellement colport&eacute;e, celle d&rsquo;une Europe puissante gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;euro permettant de contrer la puissance am&eacute;ricaine et l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie du dollar. Ici encore, c&rsquo;est l&rsquo;inverse qui se produit. Avec l&rsquo;euro, l&rsquo;Allemagne impose ses conditions de transactions d&eacute;s&eacute;quilibr&eacute;es aux autres Etats de la zone qui ne disposent plus d&rsquo;aucune arme pour r&eacute;tablir les conditions de l&rsquo;&eacute;change. On nous dit que l&rsquo;Europe est puissante lorsque les pays membres s&rsquo;unissent, que &laquo;&nbsp;l&rsquo;union fait la force&nbsp;&raquo; mais la r&eacute;alit&eacute; c&rsquo;est que les voisins s&rsquo;affrontent sur les march&eacute;s car le libre &eacute;change est g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;. Le contexte est celui de la concurrence de tous contre tous, &laquo;&nbsp;la concurrence libre et non fauss&eacute;e&nbsp;&raquo; selon les textes europ&eacute;ens, et, &agrave; l&rsquo;arriv&eacute;e, &laquo;&nbsp;c&rsquo;est l&rsquo;Allemagne qui gagne&hellip;&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte">En effet, l&rsquo;union mon&eacute;taire implique des ajustements en termes de comp&eacute;titivit&eacute; mais ces ajustements sont asym&eacute;triques. Tandis que les pays en perte de comp&eacute;titivit&eacute;, et donc en d&eacute;ficit commercial, instaurent des politiques d&eacute;flationnistes, r&eacute;duisent les salaires et subissent les co&ucirc;ts &eacute;conomiques et sociaux de ces mesures, les pays en gain de comp&eacute;titivit&eacute; et en surplus commercial (l&rsquo;Allemagne principalement) refusent de prendre leur part de l&rsquo;ajustement en stimulant la demande interne, notamment par des investissements publics et en pratiquant une &laquo;&nbsp;r&eacute;&eacute;valuation interne&nbsp;&raquo;, sym&eacute;trique de la &laquo;&nbsp;d&eacute;valuation interne&nbsp;&raquo;, qui se traduirait par une hausse des salaires et des prix plus importante que dans les autres pays et donc une r&eacute;duction du co&ucirc;t d&rsquo;adaptation des pays en difficult&eacute;. En soignant ses propres citoyens, L&rsquo;Allemagne agirait &eacute;galement pour les autres citoyens de l&rsquo;Union europ&eacute;enne, mais le patronat allemand et les march&eacute;s financiers qui le dominent ne le veulent pas. Il faut bien consid&eacute;rer que la balance des &eacute;changes, balance commerciale et balance des paiements, a vocation &agrave; s&rsquo;&eacute;quilibrer pour permettre une activit&eacute; &eacute;conomique harmonieusement port&eacute;e par les diff&eacute;rents pays dans des conditions sociales satisfaisantes pour tous.</p> <p class="texte">Le d&eacute;ficit n&rsquo;est pas souhaitable mais l&rsquo;exc&eacute;dent non plus sauf &agrave; retenir la jungle comme le mod&egrave;le de fonctionnement de l&rsquo;Europe. Officiellement et rh&eacute;toriquement, l&rsquo;Union europ&eacute;enne constitue un espace commun de d&eacute;veloppement et la responsabilit&eacute; des d&eacute;s&eacute;quilibres macro&eacute;conomiques doit n&eacute;cessairement &ecirc;tre partag&eacute;e dans la zone euro. On constate qu&rsquo;il n&rsquo;en est rien et que la perte de comp&eacute;titivit&eacute; des pays &laquo;&nbsp;p&eacute;riph&eacute;riques&nbsp;&raquo; ainsi que le gain de comp&eacute;titivit&eacute; des pays du &laquo;&nbsp;centre&nbsp;&raquo; ne donnent pas lieu &agrave; r&eacute;&eacute;quilibrage. Les pays ne doivent pas s&rsquo;instaurer comme les concurrents d&rsquo;une course qu&rsquo;il faudrait remporter avec le maximum d&rsquo;&eacute;cart, mais des acteurs d&rsquo;un sc&eacute;nario interactif o&ugrave; la solidarit&eacute; doit permettre le d&eacute;veloppement parall&egrave;le de plusieurs mod&egrave;les d&rsquo;activit&eacute; en termes de biens et de services. Cette approche peut, seule, justifier la construction europ&eacute;enne. Sinon on se limite &agrave; une simple union dont la seule finalit&eacute; est de faciliter les op&eacute;rations financi&egrave;res&nbsp;: c&rsquo;est bien ce que nous constatons tous les jours, l&rsquo;euro n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; cr&eacute;&eacute; pour s&rsquo;opposer au dollar, mais, bien au contraire, pour faciliter sa domination.</p> <p class="texte">La Banque centrale europ&eacute;enne, est ind&eacute;pendante des Etats de l&rsquo;Union europ&eacute;enne, mais pas des march&eacute;s financiers dont elle assure la r&eacute;ussite. Ainsi les gouvernements des pays membres sont-ils contraints d&rsquo;&eacute;mettre leur dette en euros qui, du point de vue de chaque pays en question, est de facto une monnaie &eacute;trang&egrave;re sur laquelle ils n&rsquo;ont aucun contr&ocirc;le.</p> <p class="texte">D&eacute;ni de d&eacute;mocratie donc, puisque l&rsquo;ind&eacute;pendance de la BCE qui a &eacute;t&eacute; pr&eacute;sent&eacute;e comme un facteur de progr&egrave;s, favorise en r&eacute;alit&eacute; la sp&eacute;culation et interdit &agrave; la gestion de l&rsquo;euro d&rsquo;accompagner les politiques choisies par les gouvernements. Parler de citoyennet&eacute; europ&eacute;enne dans un tel contexte est un &eacute;vident abus de langage. En effet, tandis qu&rsquo;un gouvernement qui &eacute;met sa dette en monnaie nationale ne peut &ecirc;tre pouss&eacute; dans l&rsquo;illiquidit&eacute; par les march&eacute;s car il est soutenu de fa&ccedil;on inconditionnelle par la banque nationale qui peut toujours &eacute;mettre les liquidit&eacute;s n&eacute;cessaires au remboursement des cr&eacute;anciers, avec l&rsquo;euro comme monnaie unique, la BCE ne soutient pas les gouvernements ce qui facilite les mouvements sp&eacute;culatifs auto-validants. Si les investisseurs craignent un manque de liquidit&eacute;s pour un pays, ils en vendent les titres et ach&egrave;tent les titres &eacute;mis par les pays per&ccedil;us comme moins risqu&eacute;s, ce qui provoque de vastes mouvements sp&eacute;culatifs de capitaux, d&eacute;stabilisant les syst&egrave;mes financiers. D&rsquo;o&ugrave; les &laquo;&nbsp;spreads&nbsp;&raquo;, les &eacute;carts consid&eacute;rables de taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t entre par exemple l&rsquo;Allemagne et l&rsquo;Italie dans le contexte socio-&eacute;conomique actuel.</p> <p class="texte">Certes, la BCE a d&eacute;sormais le pouvoir d&rsquo;arr&ecirc;ter les mouvements d&eacute;stabilisateurs. Ainsi, en 2012, elle a annonc&eacute; son intention d&rsquo;acheter des quantit&eacute;s illimit&eacute;es de titres d&rsquo;Etats en crise avec un effet imm&eacute;diat pour stopper la sp&eacute;culation. Mais cette politique de rachats (le QE, &laquo;&nbsp;quantitative easing&nbsp;&raquo;) n&rsquo;&eacute;tant appuy&eacute;e sur aucune politique globale n&rsquo;a fait que gonfler la quantit&eacute; de liquidit&eacute;s mises sur le march&eacute; et encourager la valorisation des actifs financiers et immobiliers. Une fois encore, c&rsquo;est la rente, d&eacute;j&agrave; pl&eacute;thorique, qui b&eacute;n&eacute;ficie de cette politique. Ce qu&rsquo;il faut, c&rsquo;est que l&rsquo;expression politique des choix des pays europ&eacute;ens s&rsquo;exprime, en termes de transition &eacute;cologique, de grands projets d&rsquo;&eacute;quipement, d&rsquo;innovation technologique, de programmes d&rsquo;&eacute;ducation, de recherche et d&rsquo;innovation. Ce qu&rsquo;il faut en somme, c&rsquo;est qu&rsquo;une souverainet&eacute; politique s&rsquo;affirme au niveau europ&eacute;en et se substitue &agrave; la logique financi&egrave;re sp&eacute;culative uniquement riv&eacute;e sur l&rsquo;accumulation des profits et des commissions des banques.</p> <p class="texte">Mais cela suppose que l&rsquo;Europe existe autrement que comme le coffre-fort des puissants et porte de v&eacute;ritables projets de nature &eacute;conomique, sociale ou culturelle. Il est clair que nous en sommes loin, mais nous ne pouvons &ecirc;tre surpris en observant l&rsquo;histoire europ&eacute;enne.</p> <p class="texte">Soit une v&eacute;ritable Europe se construit, une Europe des peuples et des cultures portant des projets vari&eacute;s et diff&eacute;rents mais reconnus par tous et il est possible d&rsquo;envisager un syst&egrave;me f&eacute;d&eacute;ral articulant la souverainet&eacute; des Etats et un niveau de supra-souverainet&eacute; &agrave; d&eacute;finir.</p> <p class="texte">Soit on conserve le syst&egrave;me actuel tant politique qu&rsquo;&eacute;conomique et l&rsquo;euro joue son r&ocirc;le de gardien technique d&rsquo;un &laquo;&nbsp;f&eacute;d&eacute;ralisme furtif&nbsp;&raquo; o&ugrave; l&rsquo;on postule une situation nouvelle sans les conditions de sa validation. L&rsquo;euro est l&rsquo;instrument de l&rsquo;Europe des march&eacute;s, une Europe vassale de la zone dollar, il n&rsquo;est pas l&rsquo;outil mon&eacute;taire d&eacute;mocratique d&rsquo;une population assumant des enjeux communs.</p> <p class="texte">On a le sentiment que les dirigeants des rouages de l&rsquo;union europ&eacute;enne sont les mandataires des puissances financi&egrave;res et qu&rsquo;ils ont pour mission de faire perdurer et s&rsquo;approfondir la financiarisation du monde tandis que les peuples concern&eacute;s, soit votent peu lors des &eacute;lections europ&eacute;ennes, soit votent en fonction de ressentis imm&eacute;diats comme la peur du d&eacute;classement ou la question des migrants sans jamais faire le lien entre les violents d&eacute;sordres qu&rsquo;ils subissent et le fonctionnement du capitalisme financier. Dans ce dialogue de sourds, l&rsquo;id&eacute;e europ&eacute;enne s&rsquo;ab&icirc;me et les principes pacifiques et g&eacute;n&eacute;reux, pr&eacute;ludes &agrave; sa naissance, perdent du terrain.</p> <p class="texte">Ce volet sur l&rsquo;histoire mon&eacute;taire et la cr&eacute;ation de l&rsquo;euro peut se conclure tr&egrave;s utilement par l&rsquo;histoire du dollar dont on constate qu&rsquo;elle n&rsquo;est pas sans enseignements pr&eacute;cieux pour la compr&eacute;hension de l&rsquo;euro.</p> <p class="texte">Le dollar a &eacute;t&eacute; adopt&eacute; comme monnaie unique le 6 Juillet 1785 par le Congr&egrave;s de la Conf&eacute;d&eacute;ration des Etats-Unis, mais les Etats de la Conf&eacute;d&eacute;ration ont gard&eacute; leurs monnaies et leurs politiques mon&eacute;taires propres. A titre d&rsquo;exemple, le Greenback Party du National Labor Union, cr&eacute;&eacute; en 1874, pr&ocirc;ne une politique mon&eacute;taire inflationniste afin de permettre aux agriculteurs de rembourser leurs dettes. On retrouve l&rsquo;&eacute;ternelle inqui&eacute;tude devant la prolif&eacute;ration de la dette et ses cons&eacute;quences destructrices pour la soci&eacute;t&eacute; depuis Sumer et les H&eacute;breux de l&rsquo;Antiquit&eacute;. A cet &eacute;gard, la politique des Trente Glorieuses s&rsquo;inscrit pleinement dans cette dynamique d&rsquo;absorption des dettes par une inflation r&eacute;currente. Ce n&rsquo;est qu&rsquo;en 1913, 128 ans apr&egrave;s sa cr&eacute;ation, que le syst&egrave;me f&eacute;d&eacute;ral de r&eacute;serve s&rsquo;instaure pour la monnaie, l&rsquo;Etat f&eacute;d&eacute;ral s&rsquo;&eacute;tant renforc&eacute; apr&egrave;s la guerre de S&eacute;cession. Sans Etat f&eacute;d&eacute;ral fort en mesure d&rsquo;assurer une fiscalit&eacute; homog&egrave;ne et d&rsquo;unifier la dette publique, il ne peut y avoir d&rsquo;union mon&eacute;taire p&eacute;renne&nbsp;: fiscalit&eacute;, dette et monnaie sont les trois volets indissolublement li&eacute;s d&rsquo;une souverainet&eacute; accept&eacute;e et effective.</p> <h1 class="texte">L&rsquo;euro et ses cons&eacute;quences</h1> <p class="texte">La chape de plomb id&eacute;ologique postulant la technicit&eacute; et la neutralit&eacute; de l&rsquo;euro est telle que le discours commun accepte l&rsquo;euro comme une &eacute;tape &laquo;&nbsp;naturelle&nbsp;&raquo; dans le cadre de la construction europ&eacute;enne. Si on veut penser en termes europ&eacute;ens et non strictement nationaux, il faut faire des choix communs et la monnaie peut constituer une premi&egrave;re &eacute;tape parfaitement cr&eacute;dible.</p> <p class="texte">Que r&eacute;pondre au discours du progr&egrave;s, de l&rsquo;ouverture et de la nouveaut&eacute; face au conservatisme, au r&eacute;tr&eacute;cissement et aux crispations identitaires&nbsp;?</p> <h2 class="texte">L&rsquo;Europe des march&eacute;s</h2> <p class="texte">Diff&eacute;rents pays europ&eacute;ens, d&rsquo;abord &agrave; 6, puis par &eacute;largissements successifs &agrave; 28, ont fait le choix de construire une certaine Europe. Sur ces 28, 19, soit 70&nbsp;% du total, ont retenu l&rsquo;euro comme monnaie unique. Cette Europe n&rsquo;a pas retenu les dimensions sociales, budg&eacute;taires, fiscales ou culturelles pour sa construction. En revanche, la g&eacute;n&eacute;ralisation du libre-&eacute;change, l&rsquo;&eacute;tablissement d&rsquo;un march&eacute; unique et la cr&eacute;ation d&rsquo;une monnaie unique, l&rsquo;euro, se sont rapidement concr&eacute;tis&eacute;s.</p> <p class="texte">Ainsi s&rsquo;est cr&eacute;&eacute;e une Europe des march&eacute;s contre les peuples et les Etats. Ce n&rsquo;est pas une Europe protectrice mais, au contraire, une Europe de la concurrence de tous contre tous dont la monnaie r&eacute;alise la cl&ocirc;ture efficace puisque les Etats ont accept&eacute; de remettre leur souverainet&eacute; mon&eacute;taire &agrave; une instance non &eacute;lue, cr&eacute;&eacute;e pr&eacute;cis&eacute;ment pour ne pas retenir les options politiques des gouvernements.</p> <p class="texte">Donc, une Europe des march&eacute;s, dot&eacute;e d&rsquo;une instance de d&eacute;cision mon&eacute;taire non d&eacute;mocratique qui a pour cahier des charges deux volets&nbsp;: la gestion de l&rsquo;inflation et celle de la dette publique.</p> <p class="texte">Pour l&rsquo;inflation, les r&eacute;sultats de maitrise de celle-ci d&eacute;passent toutes les esp&eacute;rances puisque les politiques d&rsquo;aust&eacute;rit&eacute; et de compression des salaires, rendues n&eacute;cessaires par l&rsquo;impossibilit&eacute; de d&eacute;valuer, r&eacute;duisent le pouvoir d&rsquo;achat et rel&acirc;chent la pression sur les prix.</p> <p class="texte">Pour la dette publique, la BCE intervient par le QE, le rachat de dettes publiques, mais en l&rsquo;absence de tout fl&eacute;chage politique vers des investissements communs porteurs, ces rachats ne font qu&rsquo;alimenter la sp&eacute;culation sur les actifs immobiliers et financiers.</p> <h2 class="texte">Les cons&eacute;quences pour les populations</h2> <p class="texte">Constatons en d&eacute;tail les cons&eacute;quences concr&egrave;tes pour les populations de ce choix de l&rsquo;euro comme monnaie unique entre des pays tr&egrave;s diff&eacute;rents tant en termes d&rsquo;activit&eacute;s qu&rsquo;en termes d&rsquo;institutions. On ne peut recourir &agrave; une monnaie commune que lorsque les conditions des &eacute;changes sont harmonis&eacute;es tant institutionnellement que culturellement ou socialement. Or, pour l&rsquo;Europe, les march&eacute;s ont impos&eacute; un passage en force avec l&rsquo;assentiment des gouvernements.</p> <p class="texte">Illustrons les situations des citoyens confront&eacute;s aux difficult&eacute;s de leur vie professionnelle.</p> <p class="texte">Vous &ecirc;tes agriculteur et vous constatez les prix insuffisants de vos produits pour vous permettre de vivre tandis que la PAC, politique agricole commune est rabot&eacute;e avant son probable abandon futur et que les marges des distributeurs p&egrave;sent sur vos r&eacute;mun&eacute;rations.</p> <p class="texte">Vous &ecirc;tes salari&eacute; d&rsquo;une entreprise industrielle, ouvrier, technicien, employ&eacute; ou cadre et vous avez &agrave; faire face &agrave; des d&eacute;localisations, des plans sociaux et des conditions de travail et de r&eacute;mun&eacute;ration sans cesse d&eacute;grad&eacute;es.</p> <p class="texte">Vous &ecirc;tes fonctionnaire ou salari&eacute; d&rsquo;une structure intervenant dans le secteur culturel ou dans l&rsquo;administration des collectivit&eacute;s locales et vous constatez que les budgets se r&eacute;duisent chaque ann&eacute;e pour l&rsquo;accomplissement de vos missions.</p> <p class="texte">Vous &ecirc;tes enseignant, infirmier, commer&ccedil;ant ou artisan, vous exercez une profession lib&eacute;rale et vous subissez la pression de normes toujours plus contraignantes et bureaucratiques.</p> <p class="texte">Il ne vous semble pas normal d&rsquo;incriminer l&rsquo;euro pour les situations que vous devez affronter. Certes, l&rsquo;euro n&rsquo;est pas l&rsquo;acteur d&rsquo;origine, celui-ci, c&rsquo;est bien le syst&egrave;me de la finance mondialis&eacute;e recherchant toujours des sources de profits nouveaux ou accrus. Pourtant, l&rsquo;euro joue un r&ocirc;le d&eacute;cisif.</p> <p class="texte">De quelle fa&ccedil;on&nbsp;?</p> <p class="texte">En interdisant de corriger les diff&eacute;rentiels de comp&eacute;titivit&eacute; par le taux de change, pour l&rsquo;agriculture comme pour l&rsquo;industrie ou les services, il conduit &agrave; une pression insoutenable sur les prix, sur les salaires et sur l&rsquo;emploi et aux d&eacute;localisations pour des investisseurs en recherche de profits suppl&eacute;mentaires.</p> <p class="texte">En provoquant des politiques d&rsquo;aust&eacute;rit&eacute; budg&eacute;taire et de r&eacute;cession, il p&egrave;se sur les budgets des collectivit&eacute;s et, en cons&eacute;quence, sur les politiques &eacute;ducatives, artistiques, culturelles ou de recherche.</p> <p class="texte">Toujours moins d&rsquo;Etat, toujours moins de d&eacute;penses pour pallier les d&eacute;ficits pr&eacute;cis&eacute;ment g&eacute;n&eacute;r&eacute;s par la concurrence inter-&eacute;tats au sein de la zone euro, ce qui vuln&eacute;rabilise encore davantage les plus faibles.</p> <h2 class="texte">Les constats</h2> <p class="texte">Tandis que l&rsquo;Allemagne accumule les exc&eacute;dents, pourtant interdits par les trait&eacute;s europ&eacute;ens, la France, mais c&rsquo;est aussi le cas de la plupart des autres pays europ&eacute;ens, voit son industrie d&eacute;vast&eacute;e avec 12&nbsp;% du PIB contre le double il y a encore vingt ans. L&rsquo;euro qui, selon Fran&ccedil;ois Mitterrand, devait mettre l&rsquo;Allemagne sous tutelle, fait exactement l&rsquo;inverse et devient l&rsquo;instrument de son h&eacute;g&eacute;monie. Avec l&rsquo;euro, on fait entrer le renard dans le poulailler mais on prend bien soin de refermer la porte apr&egrave;s l&rsquo;entr&eacute;e du renard&hellip;</p> <p class="texte">Les exportations de l&rsquo;Allemagne d&eacute;passent 1500 milliards de dollars en 2015 contre moins de 500 pour la France, mais la demande int&eacute;rieure est limit&eacute;e en Allemagne par la pression sur les salaires et la limitation des investissements publics. En somme, l&rsquo;Allemagne contraint ses partenaires &agrave; des politiques d&rsquo;aust&eacute;rit&eacute; f&eacute;roces et les renforce avec le temps en se les imposant &agrave; elle-m&ecirc;me pour mieux assurer la prolif&eacute;ration des profits et de la rente. On atteint des sommets dans la brutalit&eacute; et la stupidit&eacute; d&rsquo;un syst&egrave;me &eacute;conomique en d&eacute;connection totale avec les attentes l&eacute;gitimes des populations des soci&eacute;t&eacute;s modernes.</p> <p class="texte">Osons, &agrave; ce stade, ne pas nous censurer et abordons sereinement le cas de l&rsquo;Allemagne. Loin de toute germanophobie, &eacute;videmment condamnable et ridicule, il faut appr&eacute;cier l&rsquo;&eacute;trange rapport que les &eacute;lites fran&ccedil;aises entretiennent avec l&rsquo;Allemagne. C&rsquo;est un rapport fait de peur et d&rsquo;envie curieusement r&eacute;sum&eacute; par le mantra de &laquo;&nbsp;l&rsquo;amiti&eacute; du&nbsp;couple franco-allemand&nbsp;&raquo; g&eacute;n&eacute;ralement c&eacute;l&eacute;br&eacute; lors des &eacute;changes entre les deux pays. La r&eacute;alit&eacute;, c&rsquo;est que l&rsquo;Allemagne m&egrave;ne une politique strictement nationale et qu&rsquo;elle se sert de l&rsquo;euro pour nous interdire de d&eacute;valuer et, en cons&eacute;quence de faire baisser le co&ucirc;t du travail. C&rsquo;est un pays qui renonce &agrave; l&rsquo;&eacute;nergie nucl&eacute;aire au prix d&rsquo;un partenariat &eacute;nerg&eacute;tique avec la Russie en attendant une entente commerciale avec la Chine, tout cela sans jamais consulter ses partenaires. L&rsquo;Allemagne fait durer l&rsquo;euro pour qu&rsquo;il n&rsquo;y ait plus d&rsquo;industrie fran&ccedil;aise, ce qui a conduit le patronat allemand &agrave; accepter les mesures Draghi d&rsquo;assouplissement quantitatif. Comme le disait si pertinemment Konrad Adenauer, qui connaissait le sujet&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;Allemagne est un pays dont je ne voudrais pas &ecirc;tre le voisin&nbsp;&raquo;&nbsp;!</p> <p class="texte">La rigueur et m&ecirc;me la rigidit&eacute;, un rapport distant &agrave; la r&eacute;alit&eacute; et la certitude d&rsquo;&ecirc;tre dans le vrai face &agrave; des partenaires n&eacute;cessairement laxistes et insuffisants, avec des amis comme l&rsquo;Allemagne, on n&rsquo;a plus besoin d&rsquo;ennemis&nbsp;! L&rsquo;attitude envers la Gr&egrave;ce non plus&nbsp;! Depuis plus de dix ans de crise financi&egrave;re, la Gr&egrave;ce qui est pourtant consid&eacute;r&eacute;e au plan philosophique comme le mod&egrave;le de la pens&eacute;e allemande diff&eacute;rentialiste, fait l&rsquo;objet d&rsquo;un acharnement quant au financement de sa dette publique.</p> <p class="texte">Il n&rsquo;est pas inutile ici de rappeler que la Gr&egrave;ce avait particip&eacute; au tour de table europ&eacute;en qui en 1953 a sauv&eacute; l&rsquo;Allemagne de la faillite en b&acirc;tissant un mod&egrave;le de plan de restructuration de la dette publique. Un sommet exceptionnel des pays europ&eacute;ens se tient &agrave; Londres en f&eacute;vrier 1953 qui prend acte des difficult&eacute;s financi&egrave;res de l&rsquo;Allemagne apr&egrave;s l&rsquo;&eacute;chec de la politique de rigueur et d&rsquo;aust&eacute;rit&eacute;, particuli&egrave;rement sur les salaires, du gouvernement allemand de l&rsquo;&eacute;poque. C&rsquo;&eacute;tait il y a 65 ans, mais l&rsquo;Histoire d&eacute;cid&eacute;ment se r&eacute;p&egrave;te. Les cr&eacute;anciers de l&rsquo;Allemagne constatent l&rsquo;incapacit&eacute; de leur d&eacute;biteur de faire face &agrave; ses engagements et reconfigurent, en cons&eacute;quence, leurs attentes.</p> <p class="texte">Un accord, engageant vingt et un pays, dont, ironie de l&rsquo;Histoire, la Gr&egrave;ce fait partie, est obtenu sur les trois volets du montant de la dette, des d&eacute;lais de remboursement et des conditions requises pour proc&eacute;der au remboursement.</p> <p class="texte">Sur le premier volet, le montant de la dette nominale cumul&eacute;e de la RFA est r&eacute;duit de 60&nbsp;%.</p> <p class="texte">Sur le deuxi&egrave;me, deux mesures sont coupl&eacute;es&nbsp;: d&rsquo;une part, un moratoire de 5 ans (de 1953 &agrave; 1958), d&rsquo;autre part, un d&eacute;lai de 30 ans pour rembourser, soit jusqu&rsquo;en 1988.</p> <p class="texte">Enfin, sur le troisi&egrave;me volet, une mesure d&rsquo;intelligence de la logique financi&egrave;re est retenue, celle de la clause de d&eacute;veloppement qui permet au pays d&eacute;biteur de ne pas consacrer plus de 5&nbsp;% de ses revenus d&rsquo;exportation au service de sa dette. En clair, on ne rembourse que si les remboursements sont soutenables pour le pays d&eacute;biteur et ne l&rsquo;&eacute;tranglent pas. C&rsquo;est ainsi que se financent les entreprises aupr&egrave;s des banques&nbsp;: le co&ucirc;t de la dette peut repr&eacute;senter jusqu&rsquo;&agrave; 20&nbsp;% de la marge op&eacute;rationnelle (l&rsquo;EBE), au-del&agrave;, le danger d&rsquo;insolvabilit&eacute; est important. Gr&acirc;ce &agrave; la clause de d&eacute;veloppement, la RFA a pu enclencher un nouveau d&eacute;veloppement apr&egrave;s la guerre. Soixante-cinq ans plus tard, les conditions dans lesquelles la Gr&egrave;ce tente de sortir exsangue et bris&eacute;e du traitement que lui inflige l&rsquo;Union europ&eacute;enne en accord avec le FMI offrent un contre-exemple absolu &agrave; ce qui s&rsquo;est pass&eacute; en 1953.</p> <p class="texte">Mais l&rsquo;explication est simple&nbsp;: en 1953, il existait des Etats souverains qui pouvaient s&rsquo;entendre sur une politique commune. Aujourd&rsquo;hui, les Etats ont d&eacute;missionn&eacute; de leurs pr&eacute;rogatives r&eacute;galiennes et la tro&iuml;ka, l&rsquo;ensemble form&eacute; par la BCE, la Commission europ&eacute;enne et le FMI, dicte le jeu. La cr&eacute;ation de l&rsquo;euro permet ce passage d&rsquo;une logique politique impliquant des Etats &agrave; une logique financi&egrave;re abstraite conduite par les pr&ecirc;teurs dont la seule perspective est leur rentabilit&eacute; &agrave; court terme. Ceux-ci, fonds d&rsquo;investissement ou institutions financi&egrave;res, sont d&rsquo;autant plus &agrave; l&rsquo;aise dans leur pr&eacute;dation que les instances europ&eacute;ennes agissent comme leurs mandataires implicites pour la poursuite de leurs int&eacute;r&ecirc;ts.</p> <h1 class="texte">Les monnaies nouvelles</h1> <p class="texte">Deux types de monnaies nouvelles occupent l&rsquo;espace politique et &eacute;conomique&nbsp;: les monnaies &eacute;lectroniques et les monnaies locales avec des approches et des finalit&eacute;s radicalement diff&eacute;rentes.</p> <h2 class="texte">Les monnaies &eacute;lectroniques</h2> <p class="texte">Les monnaies &eacute;lectroniques ou crypto-monnaies permettent d&rsquo;enregistrer les &eacute;changes effectu&eacute;s entre les membres d&rsquo;un r&eacute;seau utilisant une <em>blockchain</em>. La <em>blockchain</em>, en fran&ccedil;ais chaine de blocs, est un registre de transactions d&eacute;centralis&eacute; et public qui r&eacute;pertorie tous les &eacute;changes entre les membres d&rsquo;un m&ecirc;me r&eacute;seau. Chaque transaction est valid&eacute;e par les ordinateurs des membres du r&eacute;seau en utilisant les technologies de cryptographie, ce qui rend la base de donn&eacute;es en principe inviolable en raison de la d&eacute;multiplication de la puissance des ordinateurs en r&eacute;seau. L&rsquo;objectif des crypto-monnaies est de remettre en cause le monopole des Etats sur la fabrication des devises et le contr&ocirc;le de leurs flux. Il est &eacute;galement de d&eacute;construire le lien entre g&eacute;ographie et monnaie que l&rsquo;assignation soit nationale ou internationale comme dans le cas de l&rsquo;euro. Avec les crypto-monnaies, il s&rsquo;agit de mettre fin au privil&egrave;ge des banques centrales et de tous les organismes qui en d&eacute;pendent. Elles sont totalement d&eacute;mat&eacute;rialis&eacute;es, sans actif tangible et fondent leur valeur sur la fiabilit&eacute; algorithmique qui remplace la confiance humaine. La fiabilit&eacute; algorithmique, c&rsquo;est la transparence&nbsp;; comme l&rsquo;indique le fondateur du bitcoin Satoshi Nakamoto&nbsp;: &laquo;&nbsp;nous proposons un syst&egrave;me qui ne repose plus sur la confiance mais sur des preuves cryptographiques&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte">Il est clair qu&rsquo;avec les monnaies &eacute;lectroniques, c&rsquo;est la question de la souverainet&eacute; qui est pos&eacute;e et notamment celle des Etats qui disparait. Instruments d&rsquo;un syst&egrave;me virtuel, individuel, m&eacute;canique, les crypto-monnaies, comme l&rsquo;affirme Jean Tirole, pourtant &eacute;conomiste lib&eacute;ral, &laquo;&nbsp;ne contribuent pas au bien commun&nbsp;&raquo;. Ajoutons qu&rsquo;elles sont pr&eacute;cieuses pour des transactions qui veulent &eacute;chapper &agrave; tout contr&ocirc;le, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de fiscalit&eacute; ou de r&egrave;glementation, et qu&rsquo;elles vont &ecirc;tre utilis&eacute;es pour des op&eacute;rations de blanchiment d&rsquo;argent, d&rsquo;&eacute;vasion fiscale ou d&rsquo;activit&eacute;s d&eacute;lictueuses concernant des armes, le jeu ou les trafics d&rsquo;&ecirc;tres humains.</p> <h2 class="texte">Les monnaies locales</h2> <p class="texte">Les monnaies locales sont des monnaies compl&eacute;mentaires de la monnaie officielle, en l&rsquo;occurrence l&rsquo;euro pour les 19 pays de l&rsquo;Union europ&eacute;enne qui l&rsquo;ont retenu comme monnaie unique. Les monnaies locales sont adoss&eacute;es &agrave; la monnaie nationale et ne sont utilis&eacute;es que sur un territoire restreint, une ville ou une r&eacute;gion pour, en g&eacute;n&eacute;ral, un &eacute;ventail g&eacute;n&eacute;ralement limit&eacute; de biens et de services. Ce sont surtout des instruments destin&eacute;s &agrave; favoriser l&rsquo;&eacute;conomie locale, appuy&eacute;e sur les communes et les services de proximit&eacute;.</p> <p class="texte">D&egrave;s le Moyen Age, des villes &eacute;mettent des monnaies locales, mais elles se d&eacute;veloppent surtout au 20<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle, apr&egrave;s la crise de 1929. Il appara&icirc;t de plus en plus, &agrave; cet &eacute;gard, que l&rsquo;entr&eacute;e dans la Seconde guerre mondiale a emp&ecirc;ch&eacute; de tirer les enseignements de la crise de 1929, alors que de nombreuses pistes f&eacute;condes s&rsquo;ouvraient pour remettre en cause un syst&egrave;me &eacute;conomique capitaliste manifestement d&eacute;faillant&nbsp;; c&rsquo;est le cas pour la monnaie, mais aussi pour la s&eacute;paration des banques de d&eacute;p&ocirc;ts des banques d&rsquo;affaires (Glass Steagall Act) ou pour la sortie possible du syst&egrave;me actionnarial avec l&rsquo;approche par les <em>stakeholders</em>, les parties prenantes plut&ocirc;t que par les <em>stockholders</em>, les actionnaires (Berle et Means, 1932). Contrairement &agrave; une monnaie nationale, une monnaie locale n&rsquo;est pas g&eacute;r&eacute;e par une banque centrale mais par une association. La France est le premier pays &agrave; avoir reconnu l&eacute;galement les monnaies locales comme moyen de paiement par la loi du 31/07/2014 relative &agrave; l&rsquo;&eacute;conomie sociale et solidaire (ESS). Certaines collectivit&eacute;s locales souhaitent &eacute;galement pouvoir percevoir des recettes ou effectuer des d&eacute;penses en monnaies locales comme par exemple en Normandie ou &agrave; la mairie de Bayonne. D&rsquo;autres pays connaissent d&eacute;j&agrave; ce fonctionnement&nbsp;: ainsi &agrave; Bristol, au Royaume Uni pour le paiement de taxes locales.</p> <p class="texte">La principale vocation des monnaies locales est de favoriser le commerce et la production locale et de relancer l&rsquo;activit&eacute; &eacute;conomique. Elles se pr&eacute;sentent comme une alternative au capitalisme financier dont les flux financiers quotidiens sont &agrave; 95&nbsp;% de nature sp&eacute;culative et d&eacute;connect&eacute;s de l&rsquo;&eacute;conomie r&eacute;elle. Elles sont explicitement destin&eacute;es &agrave; emp&ecirc;cher l&rsquo;&eacute;pargne et la sp&eacute;culation puisque leur cours ne varie pas et qu&rsquo;elles perdent m&ecirc;me une partie de leur valeur lorsqu&rsquo;on les conserve, ceci pour inciter &agrave; une utilisation rapide et &agrave; des transactions dynamisant les territoires. Leurs succ&egrave;s sont ind&eacute;niables avec notamment le WIR en Suisse depuis 1934 ou le &quot;chimgauer&quot; en Bavi&egrave;re avec 7 millions d&rsquo;euros de transaction en 2013, soit dix ans apr&egrave;s sa cr&eacute;ation. Elles favorisent les circuits courts, contribuent &agrave; la pr&eacute;servation de l&rsquo;environnement et sont d&rsquo;indiscutables leviers pour la transition &eacute;cologique. Elles peinent pourtant &agrave; sortir pr&eacute;cis&eacute;ment de la dimension locale qui les caract&eacute;rise et sont accept&eacute;es par le syst&egrave;me dominant comme des soupapes non mena&ccedil;antes pour lui, du moins au stade actuel.</p> <h1 class="texte">Choisir</h1> <p class="texte">Il peut &ecirc;tre enfin utile de s&rsquo;inspirer de la proposition faite aux suisses le 10 Juin 2018 d&rsquo;interdire aux banques de cr&eacute;er de la monnaie. La proposition, dite &laquo;&nbsp;Monnaie pleine&nbsp;&raquo;, vise &agrave; s&eacute;parer les activit&eacute;s bancaires li&eacute;es au paiement et au transfert de monnaie des activit&eacute;s de cr&eacute;dit pouvant alimenter la sp&eacute;culation en cr&eacute;ant deux types de banques. Sp&eacute;culer et r&eacute;mun&eacute;rer son &eacute;pargne resteraient possibles mais aux risques et p&eacute;rils de leurs d&eacute;tenteurs et sans incidence pour ceux qui ne font que d&eacute;poser leur argent dans une banque&nbsp;: on retrouve l&rsquo;inspiration du <em>Glass Steagall Act</em> am&eacute;ricain des ann&eacute;es 1930 lorsqu&rsquo;on a song&eacute; &agrave; contr&ocirc;ler le capitalisme d&eacute;faillant plut&ocirc;t qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;encourager dans son illimitation comme actuellement.</p> <p class="texte">La proposition a &eacute;t&eacute; massivement rejet&eacute;e par les citoyens helv&eacute;tiques, ce qui ne nous surprend pas tant elle est pertinente sur sa critique de l&rsquo;euro et sur le fonctionnement qu&rsquo;il permet au niveau de la BCE&nbsp;: merci cependant aux suisses qui, par leurs votations, font &oelig;uvre p&eacute;dagogique. La cr&eacute;ation de la monnaie <em>ex nihilo</em> par les banques appara&icirc;t aujourd&rsquo;hui plus claire au commun des mortels. Gr&acirc;ces leur en soient rendues&nbsp;! Avec la monnaie pleine, le QE, les rachats de dettes publiques ou priv&eacute;es ne se feraient plus pour le seul int&eacute;r&ecirc;t des banques et de leurs mandants mais pour tous les acteurs &eacute;conomiques citoyens en rendant notamment possible l&rsquo;octroi de pr&ecirc;ts pour la transition &eacute;cologique ou par exemple le financement d&rsquo;un revenu universel.</p> <p class="texte">Il y a bien deux conceptions de la monnaie et de son r&ocirc;le dans la soci&eacute;t&eacute;.</p> <p class="texte">Soit la monnaie continue d&rsquo;&ecirc;tre le bras arm&eacute; d&rsquo;un syst&egrave;me &eacute;conomique, le capitalisme, ayant atteint son stade de mondialisation et de financiarisation et l&rsquo;euro joue parfaitement son r&ocirc;le pour asseoir la domination des puissants et l&rsquo;&eacute;crasement des plus faibles&nbsp;; il facilite, en outre, les bulles sp&eacute;culatives par l&rsquo;accumulation de liquidit&eacute;s inutiles parce que non investies dans l&rsquo;&eacute;conomie r&eacute;elle.</p> <p class="texte">Soit la monnaie retrouve son caract&egrave;re d&rsquo;expression de choix souverains et elle peut s&rsquo;inscrire dans une dynamique plus large que la stricte r&eacute;duction instrumentale dans laquelle les march&eacute;s l&rsquo;inscrivent&nbsp;: on paie, on calcule, on &eacute;pargne. Ces trois aspects existent et continueront d&rsquo;exister quelles que soient les &eacute;volutions futures. Mais l&rsquo;urgence est de refonder politiquement la monnaie pour qu&rsquo;elle exprime la souverainet&eacute; de citoyens enclenchant des dynamiques positives sur des domaines choisis (&eacute;ducation, recherche, innovation, transition &eacute;nerg&eacute;tique et &eacute;cologique&hellip;) et porteurs de projets engageant l&rsquo;ensemble de la collectivit&eacute;.</p> <p class="texte">Les dirigeants politiques de l&rsquo;Europe de l&rsquo;Ouest, en particulier Emmanuel Macron et Angela Merkel, vont nous proposer, pour les prochaines &eacute;lections europ&eacute;ennes, de choisir entre les &laquo;&nbsp;progressistes&nbsp;&raquo; et les &laquo;&nbsp;nationalistes&nbsp;&raquo; pour reprendre la formule qu&rsquo;ils sont en train de r&ocirc;der. Mais celle-ci ne peut pr&eacute;tendre illustrer les choix que les citoyens devront confirmer par leurs votes.</p> <p class="texte">&nbsp;Progressistes disent-ils pour se qualifier, c&rsquo;est vouloir poursuivre et approfondir l&rsquo;Europe qui se constitue depuis plus d&rsquo;un demi-si&egrave;cle. Quelle Europe&nbsp;? Une Europe de la mondialisation &laquo;&nbsp;heureuse&nbsp;&raquo; o&ugrave; les politiques des Etats doivent respecter la &laquo;&nbsp;r&egrave;gle d&rsquo;or&nbsp;&raquo; en termes de d&eacute;ficit budg&eacute;taire et de dette publique limit&eacute;s respectivement &agrave; 3&nbsp;% et 60&nbsp;% du PIB. Une Europe du libre-&eacute;change, de la circulation des biens, des services et des capitaux dont le principe de fonctionnement est la concurrence, la &laquo;&nbsp;concurrence libre et non fauss&eacute;e&nbsp;&raquo;, le march&eacute; &eacute;tant le juge supr&ecirc;me, omniscient et omnipotent. Une Europe de&nbsp;&laquo;&nbsp;l&rsquo;ajustement structurel&nbsp;&raquo; conduisant au d&eacute;mant&egrave;lement de l&rsquo;Etat et des services publics, &agrave; l&rsquo;aust&eacute;rit&eacute; budg&eacute;taire et surtout &agrave; la marchandisation de toutes les activit&eacute;s jusqu&rsquo;aux domaines essentiels de la sant&eacute;, de la culture ou de l&rsquo;&eacute;ducation. Au fond, l&rsquo;Europe des &laquo;&nbsp;progressistes&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est l&rsquo;apoth&eacute;ose du capitalisme, son acm&eacute;, un capitalisme reposant sur une caste sociale oligarchique r&eacute;duite mais connect&eacute;e sous toutes les latitudes.</p> <p class="texte">Nationalistes disent-ils &eacute;galement pour qualifier, ou plut&ocirc;t disqualifier, les rejet&eacute;s de la mondialisation, ses victimes, mais ici encore l&rsquo;appellation est trompeuse. On peut clairement distinguer deux courants bien diff&eacute;rents.</p> <p class="texte">Le premier, effectivement nationaliste, particuli&egrave;rement repr&eacute;sent&eacute; dans les pays de l&rsquo;Est europ&eacute;en, fait de la fermeture des fronti&egrave;res et de la politique anti-migrants un axe fort d&rsquo;une politique autoritaire, avec souvent des consid&eacute;rations racistes&nbsp;: c&rsquo;est dans cette mouvance que se situe le Rassemblement National en France.</p> <p class="texte">Le second courant s&rsquo;oppose &agrave; l&rsquo;oligarchie europ&eacute;iste, celles des puissants de plus en plus riches et de leurs serviteurs z&eacute;l&eacute;s -personnels des m&eacute;dias ou politiciens- en avan&ccedil;ant que le peuple, c&rsquo;est la masse de la population vivant dans et par les r&eacute;seaux, ruraux ou urbains&nbsp;: salari&eacute;s ou non-salari&eacute;s, ils constituent le socle d&rsquo;une d&eacute;mocratie possible, gravement entam&eacute;e par la dynamique destructrice capitaliste, mondialis&eacute;e et financiaris&eacute;e. Ce courant, bien repr&eacute;sent&eacute; par La France Insoumise en France ou par Podemos en Espagne n&rsquo;est pas nationaliste mais souverainiste et surtout ind&eacute;pendant. Ind&eacute;pendant de la tutelle &eacute;tats-unienne qui s&rsquo;exerce sur l&rsquo;Europe tant via l&rsquo;Otan que via la domination mondiale du dollar qui permet &agrave; la puissance am&eacute;ricaine d&rsquo;imposer sa loi. Ce courant est souverainiste mais dans une perspective f&eacute;d&eacute;raliste. L&rsquo;oxymore n&rsquo;est qu&rsquo;apparent, &laquo;&nbsp;local roots, global reach&nbsp;&raquo; comme l&rsquo;indique pertinemment la devise, ce n&rsquo;est qu&rsquo;avec des racines profondes et reconnues qu&rsquo;une ambition globale est possible et peut se construire. Ce qui est certain, c&rsquo;est que cette ambition implique une sortie du capitalisme puisqu&rsquo;il est pr&eacute;cis&eacute;ment la matrice du fonctionnement europ&eacute;en actuel.</p> <p class="texte">Sur la question migratoire, il faut s&rsquo;appliquer &agrave; ne pas &eacute;viter les questions qui f&acirc;chent. Ainsi, &agrave; partir d&rsquo;une lecture difficilement discutable des causes des migrations, les r&eacute;ponses &agrave; apporter doivent &agrave; la fois offrir des possibilit&eacute;s d&rsquo;accueil et d&rsquo;int&eacute;gration mais en les rendant compatibles avec les structures sociales et mentales existantes. De nouvelles soci&eacute;t&eacute;s peuvent se former si les imaginaires s&rsquo;articulent &agrave; la contrainte &eacute;conomique, aujourd&rsquo;hui dominante, mais &eacute;galement aux contraintes culturelles. En effet, les migrations sont d&eacute;clench&eacute;es par deux facteurs, les guerres et la mis&egrave;re &eacute;conomique. En premier lieu, les guerres mais aussi les conflits li&eacute;s aux territoires et aux pratiques culturelles, en particulier religieuses. En second lieu, la mis&egrave;re &eacute;conomique, cons&eacute;quence directe de l&rsquo;apoth&eacute;ose du capitalisme mondial qui installe des conditions d&eacute;sastreuses pour les pays les plus pauvres, notamment en Afrique.</p> <p class="texte">Les &eacute;lections europ&eacute;ennes prochaines placent donc le citoyen devant un choix assez clair. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, les europ&eacute;istes, autoproclam&eacute;s progressistes, qui scellent, via l&rsquo;Europe, la victoire de la mondialisation &laquo;&nbsp;heureuse&nbsp;&raquo;, du march&eacute; comme seul signifiant social et de la marchandise comme seul statut pour les choses comme pour les &ecirc;tres. C&rsquo;est une Europe d&eacute;finitivement arrim&eacute;e &agrave; la puissance am&eacute;ricaine tant en termes &eacute;conomiques que politiques ou juridiques. Les tribunaux am&eacute;ricains, par le biais du dollar, s&rsquo;arrogent d&eacute;sormais un droit de juridiction sur les entreprises europ&eacute;ennes et sur les Etats&nbsp;: ils en font un large usage et l&rsquo;amende de 9 milliards de dollars inflig&eacute;e &agrave; BNP Paribas en 2015 pour contournement des embargos impos&eacute;s par les Etats-Unis n&rsquo;est que le premier signe fort d&rsquo;un pouvoir ne souffrant aucune limitation. Une Europe relais des Etats-Unis se consacrant &agrave; la diffusion et &agrave; la g&eacute;n&eacute;ralisation de l&rsquo;&eacute;conomie capitaliste avec les cons&eacute;quences logiques que ce mod&egrave;le implique en termes d&rsquo;in&eacute;galit&eacute;s, de prolif&eacute;ration de la rente et de r&eacute;duction des humains au statut de marchandises.</p> <p class="texte">De l&rsquo;autre, une sortie organis&eacute;e du syst&egrave;me capitaliste, rendue particuli&egrave;rement n&eacute;cessaire par les enjeux &eacute;cologiques et la n&eacute;cessaire protection de la plan&egrave;te et des humains qui y vivent. Cette sortie, au plan europ&eacute;en, implique que chaque &laquo;&nbsp;peuple&nbsp;&raquo; assure la souverainet&eacute; de son pays pour lui donner la force de construire un ensemble plus vaste. Car s&rsquo;il est patent que l&rsquo;Europe des march&eacute;s financiers est en ordre de marche, en parfaite contigu&iuml;t&eacute; avec les d&eacute;cideurs am&eacute;ricains, l&rsquo;Europe des peuples et des cultures n&rsquo;a, pour le moment, aucune r&eacute;alit&eacute;, malgr&eacute; les apports de l&rsquo;Histoire, depuis les Lumi&egrave;res et les mouvements d&rsquo;&eacute;mancipation qui les ont suivies. L&rsquo;Europe des peuples et des cultures est possible, elle est devant nous, mais elle implique de sortir d&rsquo;un dispositif qui a pr&eacute;cis&eacute;ment pour finalit&eacute; de l&rsquo;interdire en faisant de l&rsquo;Europe un instrument technique et gestionnaire participant d&rsquo;une domination &eacute;conomique mondiale.</p> <p class="texte">Tant que le libre-&eacute;change g&eacute;n&eacute;ralis&eacute; conjugu&eacute; &agrave; une domination actionnariale fera loi, tant que l&rsquo;euro, monnaie unique impos&eacute;e &agrave; un ensemble europ&eacute;en composite et incoh&eacute;rent, sera l&rsquo;arme de l&rsquo;accumulation de la rente, rien ne fera sens au niveau europ&eacute;en. L&rsquo;Europe, oui, mais sur d&rsquo;autres options politiques, permettrait le choix d&rsquo;une monnaie qui serait v&eacute;ritablement commune parce que traduisant des choix partag&eacute;s. Actuellement, l&rsquo;euro n&rsquo;est depuis sa cr&eacute;ation qu&rsquo;un for&ccedil;age au service des march&eacute;s financiers.</p> <p class="texte">Construisons une Europe des peuples et des cultures, une Europe sociale, une Europe fiscale, une Europe du droit du travail, une Europe de la transition &eacute;cologique&hellip;La monnaie viendra ensuite de surcro&icirc;t pour parachever l&rsquo;&oelig;uvre commune.</p> <p class="texte">La monnaie doit &ecirc;tre la conclusion et non l&rsquo;axiome fondateur. Il faut d&rsquo;abord d&eacute;finir la soci&eacute;t&eacute; dans laquelle les citoyens entendent vivre. R&eacute;cuser l&rsquo;euro est indispensable parce qu&rsquo;il est le parfait instrument du syst&egrave;me que nous r&eacute;cusons&nbsp;; on ne peut changer le syst&egrave;me sans revenir sur l&rsquo;euro et cela n&rsquo;a rien &agrave; voir avec des propos alarmistes ou pass&eacute;istes. Il faut tout simplement savoir quelle soci&eacute;t&eacute; nous voulons instaurer et la monnaie s&rsquo;inscrira ensuite logiquement dans cette d&eacute;marche.</p>