<h2 class="texte" style="font-style:italic;">Introduction</h2> <p class="texte">L&agrave; o&ugrave; il y a biais, le biaiseux n&rsquo;est pas loin. Et ce regard biais&eacute; caract&eacute;rise celui qui ne regarde pas les choses en face pour les observer sereinement, voire les affronter d&rsquo;un regard franc. Et biaiser les choses, n&rsquo;est-ce point les d&eacute;former quelque peu par une coupe en travers au d&eacute;triment d&rsquo;une coupe franche&nbsp;? Ce regard en biais modifie donc la perception, sauf &agrave; proposer des anamorphoses, &agrave; l&rsquo;instar d&rsquo;Holbein dans un c&eacute;l&egrave;bre tableau qui se joue des deux regards, de face pour contempler une premi&egrave;re sc&egrave;ne, de biais pour en percer le secret. L&rsquo;artiste a renvers&eacute; le sens des regards<a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a>. Le biais de perception prend avec lui un sens tr&egrave;s relatif dans cet art qui deviendra le propre d&rsquo;une culture baroque enseignant aux hommes quelque chose de leur grandeur et de leur petitesse. Ce jeu d&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; r&eacute;v&egrave;le la limite intrins&egrave;que des positions dont on peut jouer &agrave; l&rsquo;infini. En choisissant de les nommer biais cognitifs, des psychologues contemporains ont fait le choix de l&rsquo;affirmation d&rsquo;un regard scientifique, bien s&ucirc;r d&eacute;nu&eacute; de tout biais, apte &agrave; juger les biais, &agrave; l&rsquo;abri du biaiseux. Nous voudrions ici mettre &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve la th&eacute;orie de deux psychologues&nbsp;: Kahneman et Tversky&nbsp;; dont les travaux ont grandement influenc&eacute; des &eacute;conomistes.</p> <p class="texte">En effet, leur th&eacute;orie des biais cognitifs a ceci de particulier qu&rsquo;elle est le produit de ces travaux int&eacute;ress&eacute;s par les jeux des acteurs dans les march&eacute;s ou dans l&rsquo;exercice de la d&eacute;cision &eacute;conomique<a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a>. Comme nous allons l&rsquo;examiner, leur m&eacute;thode a permis de cataloguer les biais cognitifs comme autant de d&eacute;faillances individuelles ou collectives, biaisant justement les perceptions et les connaissances utiles &agrave; la prise de d&eacute;cision. Reste que cette th&eacute;orie suppose une alternative au biais qui lui sert de r&eacute;f&eacute;rence implicite, s&rsquo;arrogeant, pr&eacute;tendument sans aucun biais, de juger des modalit&eacute;s de perceptions et de connaissance en les qualifiant ainsi de biais&eacute;es. Outre la sagesse baroque cong&eacute;di&eacute;e au profit du regard adroit du scientifique au-dessus des biais, ces &eacute;conomistes et ces psychologues ont ignor&eacute; la crise &eacute;pist&eacute;mologique du 20<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle dont l&rsquo;un des enseignements est qu&rsquo;il est bien difficile de pr&eacute;tendre isol&eacute;ment &agrave; cette objectivit&eacute;, &agrave; cette neutralit&eacute;, &agrave; cette vision en surplomb, &agrave; ce savoir absolu dont les classiques ont cru pouvoir se pr&eacute;valoir. Il faut d&rsquo;urgence relire Merleau-Ponty<a class="footnotecall" href="#ftn3" id="bodyftn3">3</a>. Ce dernier interpelle tout autant la posture improbable du savant que sa qu&ecirc;te absolue d&rsquo;un langage de v&eacute;rit&eacute; absolue. Comment peuvent-ils faire des illusions, des biais, au nom de quelle v&eacute;rit&eacute;&nbsp;?</p> <p class="texte">Notre contribution a donc deux objectifs. Le premier est une critique assez radicale de la th&eacute;orie des biais cognitifs de Kahneman et Tversky dont nous faisons ici l&rsquo;hypoth&egrave;se qu&rsquo;elle est un succ&eacute;dan&eacute; d&rsquo;une position positiviste, voire scientiste, aujourd&rsquo;hui difficile &agrave; tenir<a class="footnotecall" href="#ftn4" id="bodyftn4">4</a>. Le second est une proposition d&rsquo;interpr&eacute;tation de cette multitude de particularismes de perception et de cognition. Pour la soutenir, nous changerons de cadre de r&eacute;f&eacute;rence et adopterons une position propice &agrave; l&rsquo;int&eacute;gration de ces particularit&eacute;s en recourant &agrave; l&rsquo;&eacute;thologie. L&rsquo;enjeu est de montrer les limites de la science rationaliste du politique induite d&rsquo;une science positive de la d&eacute;cision &eacute;manant de la science &eacute;conomique. En effet, la science politique s&rsquo;inspire de la science &eacute;conomique pour justifier son mod&egrave;le de d&eacute;cision et de gouvernement en vertu de cette pr&eacute;tendue rationalit&eacute; &eacute;conomique et de gestion. Il est donc important d&rsquo;&eacute;tudier ces psychologues &agrave; l&rsquo;origine de l&rsquo;&eacute;conomie comportementale &agrave; laquelle se r&eacute;f&egrave;rent la th&eacute;orie &eacute;conomique contemporaine&nbsp;et la logique de la d&eacute;cision publique. La critique se devra d&rsquo;&ecirc;tre d&rsquo;autant plus radicale que bon nombre des r&eacute;f&eacute;rences se sont av&eacute;r&eacute;es trompeuses. Comment celui qui a fait profession de nous &laquo;&nbsp;d&eacute;biaiser&nbsp;&raquo; a-t-il pu ne pas se d&eacute;niaiser des fadaises d&rsquo;un scientisme arrogant&nbsp;? L&agrave; est le myst&egrave;re.</p> <h2 class="texte" style="font-style:italic;">1. Les fondamentaux de la th&eacute;orie de Kahneman et Tversky</h2> <p class="texte">Commen&ccedil;ons par exposer les enseignements de Kahneman et Tversky. Leur th&eacute;orie a influenc&eacute; les &eacute;conomistes qui en ont accept&eacute; les enseignements jusqu&rsquo;&agrave; faire de ces auteurs les ma&icirc;tres de l&rsquo;&eacute;conomie comportementale, Kahneman recevant pour son &oelig;uvre et celle de son ami d&eacute;funt, le prix de la banque de Su&egrave;de en hommage &agrave; Nobel en 2002. Leurs recherches sur les comportements humains lors des d&eacute;cisions comportant des risques ont contribu&eacute; &agrave; cette psychologie cognitive &eacute;clairant la science &eacute;conomique, dont tout particuli&egrave;rement la th&eacute;orie de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e. Leur <em>th&eacute;orie des perspectives</em> introduit plusieurs facteurs qui manifestent des <em>biais cognitifs</em> et plus encore un <em>double syst&egrave;me de pens&eacute;e</em> dont le premier traite l&rsquo;information de fa&ccedil;on plut&ocirc;t tr&egrave;s automatis&eacute;e et heuristique et le second plus lent proc&eacute;dant de fa&ccedil;on moins intuitive et plus rationnelle au prix d&rsquo;un co&ucirc;t cognitif &eacute;lev&eacute;. Rappelons en bri&egrave;vement les principaux traits.</p> <p class="texte">1) La <em>th&eacute;orie des perspectives </em>modifie la th&eacute;orie &eacute;conomique dite de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e<a class="footnotecall" href="#ftn5" id="bodyftn5">5</a>. Cette derni&egrave;re &eacute;nonce que le d&eacute;cideur calcule l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e en combinant les utilit&eacute;s et les probabilit&eacute;s. Ce mod&egrave;le normatif devrait &ecirc;tre mis en &oelig;uvre par un individu pleinement rationnel. Pourtant, cette rationalit&eacute; th&eacute;orique n&rsquo;explique pas les comportements constat&eacute;s qui r&eacute;pondent plus &agrave; une appr&eacute;ciation de l&rsquo;utilit&eacute; dans un contexte qui en modifie la perception. Et la probabilit&eacute; subit des transformations selon une intuition dont les auteurs montrent qu&rsquo;elle d&eacute;forme ou contredit sa seule compr&eacute;hension rationnelle. La mise en perspective op&egrave;re donc du fait que les d&eacute;cideurs relativisent les r&eacute;sultats par une mesure d&rsquo;&eacute;cart entre leur situation de d&eacute;part et la perspective offerte&nbsp;plut&ocirc;t que par la mesure objective d&rsquo;une position initiale, conventionnelle, alors compar&eacute;e aux probabilit&eacute;s de gains. La rationalit&eacute; de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e est dans la pratique modifi&eacute;e d&rsquo;une perception subjective&nbsp;; et nos auteurs de juger cette perception. Elle est biais&eacute;e en recourant &agrave; des raccourcis intuitifs. Cette perspective va justifier des travaux sur les pratiques intuitives de type heuristique &agrave; l&rsquo;origine de la th&eacute;orie des biais cognitifs<a class="footnotecall" href="#ftn6" id="bodyftn6">6</a>. A noter un &eacute;cart de m&eacute;thode entre les th&eacute;oriciens &eacute;conomiques d&eacute;crivant le mod&egrave;le rationnel qui devrait nous gouverner pour autant que nous soyons strictement rationnel et des chercheurs, dont nos auteurs, qui s&rsquo;int&eacute;ressent &agrave; des pratiques observables, du moins pour partie. Nous verrons plus tard avec le paradoxe d&rsquo;Allais que l&rsquo;&eacute;cart de m&eacute;thode est &agrave; l&rsquo;origine d&rsquo;un quiproquo anthropologique qui biaise le dialogue entre les &eacute;conomistes et les psychologues.</p> <p class="texte">2) La <em>th&eacute;orie des biais cognitifs </em>identifie des types de biais dont certains ont &eacute;t&eacute; mis en avant par Kahneman dans le but de d&eacute;montrer les &eacute;carts entre les choix rationnels et les choix effectifs. Pour m&eacute;moire, rappelons le biais de substitution o&ugrave; une r&eacute;ponse est apport&eacute;e &agrave; une question plus simple que celle pos&eacute;e et jug&eacute;e trop complexe, jusqu&rsquo;&agrave; substituer un probl&egrave;me par un autre&nbsp;; le biais d&rsquo;affect qui choisit en vertu d&rsquo;&eacute;motions, d&rsquo;attirances, de rejets affectifs qui priment d&rsquo;autres crit&egrave;res d&rsquo;examen&nbsp;; le biais r&eacute;trospectif surestimant la capacit&eacute; d&rsquo;explication ou de pr&eacute;diction jusqu&rsquo;&agrave; commenter contradictoirement un m&ecirc;me &eacute;v&eacute;nement avec la m&ecirc;me assurance ou encore l&rsquo;ancrage qui caract&eacute;rise la premi&egrave;re id&eacute;e qui fixe l&rsquo;esprit, jouant un r&ocirc;le de r&eacute;f&eacute;rent dans lequel s&rsquo;inscrit le choix, celui-ci &eacute;tant influenc&eacute; par cette ancre. Revenons un instant sur le biais r&eacute;trospectif connu depuis fort longtemps. Il conduit &agrave; expliquer avec certitude un &eacute;v&eacute;nement pourtant tr&egrave;s al&eacute;atoire en l&rsquo;ins&eacute;rant dans un r&eacute;cit coh&eacute;rent o&ugrave; sa pr&eacute;visibilit&eacute; devient a posteriori certaine. Les &eacute;pist&eacute;mologues connaissent bien ce ph&eacute;nom&egrave;ne d&rsquo;insertion dans la th&eacute;orie existante, de ce qui lui &eacute;chappe. Celle-ci r&eacute;siste ainsi aux al&eacute;as d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements impr&eacute;vus mais jug&eacute;s insuffisamment critiques pour se remettre en cause. Ce biais r&eacute;v&egrave;le la r&eacute;sistance &agrave; la critique des th&eacute;ories qui n&rsquo;avaient pas pr&eacute;vu ce qui est advenu, le r&eacute;ins&eacute;rant a posteriori &laquo;&nbsp;au forceps&nbsp;&raquo;. Le lecteur aura compris que ce ph&eacute;nom&egrave;ne manifeste &agrave; la fois le refus de l&rsquo;incertitude et un rapport de rassurance, voire de crainte d&rsquo;interpeler la th&eacute;orie institu&eacute;e, pr&eacute;servant &agrave; travers elle ce en quoi nous croyons et qui nous structure. A l&rsquo;inverse, le changement de point de vue exige de la mobilit&eacute; physique ou intellectuelle.</p> <p class="texte">3) Les <em>deux syst&egrave;mes de pens&eacute;e</em> font l&rsquo;objet d&rsquo;un ouvrage de synth&egrave;se publi&eacute; en 2011 puis 2012 en fran&ccedil;ais, o&ugrave; Kahneman expose sa conception de la pens&eacute;e humaine en s&rsquo;appuyant sur cette m&eacute;taphore des deux syst&egrave;mes. Il &eacute;crit&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Depuis des d&eacute;cennies les psychologues se passionnent pour les deux modes de pens&eacute;e.&nbsp;&raquo; (2012, 28)&nbsp;; ce qui laisse largement supposer que ces modes ont une valeur scientifique. Il en renforce l&rsquo;autorit&eacute; d&rsquo;ailleurs en se r&eacute;f&eacute;rant &agrave; ses inspirateurs&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;adopte des termes sugg&eacute;r&eacute;s &agrave; l&rsquo;origine par les psychologues Keith Stanovitch et Richard West.&nbsp;&raquo; (2012, 29). Il asserte vis-&agrave;-vis du lecteur les deux syst&egrave;mes pour les ancrer&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Quand nous pensons &agrave; nous-m&ecirc;mes, nous nous identifiions au Syst&egrave;me&nbsp;2, le soi conscient, qui raisonne, qui a des convictions, fait des choix et d&eacute;cide que penser et que faire. Bien que le Syst&egrave;me&nbsp;2 croie (faute d&rsquo;orthographe de l&rsquo;&eacute;diteur) &ecirc;tre au c&oelig;ur de l&rsquo;action, c&rsquo;est le Syst&egrave;me&nbsp;1 automatique qui est le h&eacute;ros du livre. Pour moi, le Syst&egrave;me&nbsp;1 produit sans effort les impressions et les sentiments qui sont les sources principales des convictions explicites et des choix d&eacute;lib&eacute;r&eacute;s du Syst&egrave;me&nbsp;2.&nbsp;[&hellip;] Je vous invite &agrave; consid&eacute;rer ces deux syst&egrave;mes comme des agents disposant de leurs propres capacit&eacute;s, limites et fonctions.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;29).&nbsp;Plus que le h&eacute;ros, il serait la victime d&rsquo;une raison convaincue de sa toute-puissance pour d&eacute;noncer les biais de l&rsquo;intuition ou de la perception sans s&rsquo;interroger un instant sur les biais de rationalit&eacute;. L&rsquo;auteur indique que&nbsp;: &laquo;&nbsp;je souhaite surtout ici d&eacute;peindre le fonctionnement de l&rsquo;esprit humain en m&rsquo;inspirant de d&eacute;veloppements r&eacute;cents dans la psychologie cognitive et sociale. L&rsquo;un des plus importants est que nous comprenons d&eacute;sormais les merveilles de la pens&eacute;e intuitive, autant que ses failles.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;18). Le lecteur notera cette certitude que la chose est connue et plus encore que l&rsquo;intuition est d&eacute;masqu&eacute;e dans ses failles. Le second mode de pens&eacute;e recouvre le premier de sa sup&eacute;riorit&eacute; sans jamais proc&eacute;der &agrave; la d&eacute;marche r&eacute;ciproque d&rsquo;une appr&eacute;ciation des biais de la rationalit&eacute; au regard de l&rsquo;intuition. La position &eacute;troitement rationaliste est de nouveau av&eacute;r&eacute;e. Or, les travaux de la physiologie de perception contredisent largement ses propos comme nous le verrons par la suite.</p> <p class="texte">A cet &eacute;gard, Kahneman voit tr&egrave;s bien le terrible biais de son travail. Il subvertit l&rsquo;intuition de la raison et non l&rsquo;inverse, la hi&eacute;rarchie &eacute;tant enseign&eacute;e pour ne pas dire ancr&eacute;e dans les esprits des lecteurs du fait d&rsquo;une critique des biais cognitifs tr&egrave;s s&ucirc;re de ses preuves et d&rsquo;une absence totale d&rsquo;&eacute;quilibre&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;ai pass&eacute; plus de temps &agrave; d&eacute;crire le Syst&egrave;me&nbsp;1, et ai consacr&eacute; de nombreuses pages aux erreurs de jugement intuitif et de choix que je lui attribue. Pourtant, le nombre relatif de pages est un mauvais indicateur de l&rsquo;&eacute;quilibre entre les merveilles et les failles de la pens&eacute;e intuitive.&nbsp;&raquo; (2012, 500). La sup&eacute;riorit&eacute; du Syst&egrave;me&nbsp;2 n&rsquo;est m&ecirc;me pas imagin&eacute;e comme interrogeable malgr&eacute; l&rsquo;introduction d&rsquo;une nuance. Cette hi&eacute;rarchie est d&eacute;finitivement pos&eacute;e affirmant l&rsquo;invuln&eacute;rabilit&eacute; du Syst&egrave;me&nbsp;2 lorsqu&rsquo;il &eacute;crit <em>in fine</em>&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;En principe, il existe un moyen simple de bloquer les erreurs qui proviennent du Syst&egrave;me&nbsp;1&nbsp;: identifiez les signes prouvant que vous vous trouvez dans un champ de mines cognitif, ralentissez, et appelez le Syst&egrave;me&nbsp;2 en renfort.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;502). Il en est de m&ecirc;me de sa m&eacute;taphore dualiste ancr&eacute;e tout au long du livre mais dont il affirme dans ce qui ressemble &agrave; une ultime pirouette qu&rsquo;elle est simplement didactique&nbsp;; ce qui n&rsquo;aura pas &eacute;t&eacute; manifeste pour le lecteur tout au long de son expos&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Et bien s&ucirc;r, vous n&rsquo;avez pas oubli&eacute; que les deux syst&egrave;mes n&rsquo;existent pas vraiment que ce soit dans le cerveau ou ailleurs&nbsp;[&hellip;] J&rsquo;esp&egrave;re que vous trouverez le langage des syst&egrave;mes aussi utile que moi et que vous avez acquis un sens intuitif de leur fonctionnement sans vous &ecirc;tre laiss&eacute; d&eacute;tourner par la question de leur existence suppos&eacute;e.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;499). Il y a de quoi s&rsquo;interroger sur cette strat&eacute;gie pendant pr&egrave;s de cinq cent pages se concluant par l&rsquo;esp&eacute;rance de l&rsquo;ancrage d&rsquo;une figure m&eacute;taphorique et didactique d&eacute;nu&eacute;e d&rsquo;existence, car ind&eacute;montrable en l&rsquo;&eacute;tat. C&rsquo;est pourquoi nous nous concentrerons sur cet ouvrage de synth&egrave;se et sur les travaux de recherche qui ont l&eacute;gitim&eacute; la th&eacute;orie des perspectives et l&rsquo;affirmation des biais cognitifs. Kahneman aurait-il sem&eacute; ses propres biais en se d&eacute;robant de ses positions dans un ultime discours en forme d&rsquo;&eacute;chappatoire&nbsp;?</p> <h2 class="texte" style="font-style:italic;">2. La critique de la th&eacute;orie des biais cognitifs</h2> <p class="texte">L&rsquo;immense majorit&eacute; des &eacute;tudes pr&eacute;sent&eacute;es par Kahneman exprime son aspiration &agrave; une mod&eacute;lisation scientifique o&ugrave; la manifestation du biais tient &agrave; sa confrontation &agrave; la v&eacute;rit&eacute;. Pour &ecirc;tre op&eacute;rante, sa notion de biais suppose ce jugement proc&eacute;dant par r&eacute;f&eacute;rence &agrave; un absolu. En effet, comment affirmer l&rsquo;existence du biais sans recourir &agrave; cet arri&egrave;re-plan d&rsquo;un mod&egrave;le en surplomb jugeant le biais&eacute;&nbsp;? Pour se faire, il propose des exp&eacute;riences pr&eacute;construites et tr&egrave;s artificielles, sous la forme d&rsquo;alternatives et de probl&egrave;mes simplifi&eacute;s, fond&eacute;s sur l&rsquo;existence d&rsquo;une pr&eacute;tendue bonne r&eacute;ponse et dont le protocole de recherche s&rsquo;av&egrave;re toujours tr&egrave;s discutable<a class="footnotecall" href="#ftn7" id="bodyftn7">7</a>. Il &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;nous avons consacr&eacute; notre temps &agrave; inventer des probl&egrave;mes simples et &agrave; <span style="text-decoration:underline;">nous demander ce que nous choisirions</span>.&nbsp;&raquo; (2012, 325). Outre l&rsquo;artifice des exercices dont nous mesurerons progressivement la vacuit&eacute;, sa m&eacute;thode d&eacute;note un prisme exp&eacute;rimental qui masque mal un trait psychologique d&egrave;s plus narcissique&nbsp;: la surestime de soi et une confiance infaillible en ses propres jugements sans prendre une quelconque distance entre l&rsquo;auteur du probl&egrave;me et celui qui tente de le r&eacute;soudre. Il est juge et partie dirait le juriste, improbable observateur observ&eacute; par lui-m&ecirc;me (cf. le surlign&eacute;). L&rsquo;aveu de son temp&eacute;rament intuitif et press&eacute; n&rsquo;en est que plus amusant alors qu&rsquo;il s&rsquo;&eacute;vertue &agrave; en d&eacute;montrer par ailleurs les limites. Il &eacute;crit pour justifier cette m&eacute;thode contestable&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Quand nous nous entendions sur un choix, nous pensions &ndash;&nbsp;presque toujours &agrave; juste titre, comme il s&rsquo;est av&eacute;r&eacute; par la suite&nbsp;&ndash; que la plupart des gens partageraient nos pr&eacute;f&eacute;rences, et nous continuions donc comme si nous disposions de preuves solides. Nous savions, bien s&ucirc;r, qu&rsquo;il nous faudrait v&eacute;rifier nos intuitions ult&eacute;rieurement, mais en jouant le r&ocirc;le &agrave; la fois d&rsquo;exp&eacute;rimentateurs et de sujets, nous avons pu progresser rapidement.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;325-326). C&rsquo;est pourquoi nous nous concentrerons sur leurs d&eacute;monstrations &agrave; l&rsquo;origine de leurs th&eacute;ories des risques et des biais cognitifs. Nous proc&eacute;derons en &eacute;pist&eacute;mologue critique en insistant d&rsquo;abord sur les faiblesses logiques internes dont les incoh&eacute;rences m&eacute;thodologiques. Nous recourrons aussi &agrave; la philosophie des math&eacute;matiques et &agrave; la psychologie de la quantit&eacute; sans oublier une vue plus ph&eacute;nom&eacute;nologique de la d&eacute;cision et les travaux des sciences cognitives dont tout particuli&egrave;rement ceux de physiologie de la perception.</p> <p class="texte">Pour leurs travaux fond&eacute;s sur des probl&egrave;mes &eacute;conomiques et statistiques de choix, leurs limites sont de trois ordres. 1) la <em>fiction de la certitude des gains</em>, 2) le <em>ph&eacute;nom&egrave;ne de d&eacute;contextualisation</em>, 3) L&rsquo;<em>absence de transaction</em>.</p> <p class="texte">1) La <em>fiction de la certitude des gains</em> tient &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me simplicit&eacute; des hypoth&egrave;ses de gain. Si certains jeux de hasard sont construits de la sorte, la vie ne l&rsquo;est pas. En effet, le gain ou la perte sont d&eacute;termin&eacute;s dans des exercices &eacute;conomiques &eacute;l&eacute;mentaires avec cette certitude des alternatives peu fr&eacute;quentes dans l&rsquo;exp&eacute;rience humaine en dehors justement de ces jeux factices construits de la sorte. La plupart des situations de choix d&rsquo;investissement ignore le montant des gains ou des pertes au moment du choix. Il y a des hypoth&egrave;ses, des sp&eacute;culations, des ambitions&nbsp;; mais pas de certitudes. La tr&egrave;s grande majorit&eacute; des situations v&eacute;cues par des d&eacute;cideurs &eacute;conomiques ou politiques confirme cette ind&eacute;termination des r&eacute;sultats au moment de leur choix&nbsp;: dur&eacute;es et budgets effectifs des grands travaux ou programmes, prix de revient ou prix de march&eacute;, rendements financiers, car le nombre consid&eacute;rables de leurs variables les rendent volatiles. Leur choix s&rsquo;accompagne d&rsquo;ailleurs souvent de combinaisons d&rsquo;actions en vue de forcer le destin et de r&eacute;duire ces incertitudes. Ces actions induisent des n&eacute;gociations, des interactions, des influences, d&rsquo;autres d&eacute;cisions compl&eacute;mentaires, parfois m&ecirc;me des arrangements, voire des &laquo;&nbsp;tricheries&nbsp;&raquo;. Ainsi, l&rsquo;hypoth&egrave;se de la connaissance a priori des alternatives est une fiction de laboratoire, soit une exception qui d&eacute;forme les exp&eacute;riences v&eacute;cues, ne leur correspondant que de fa&ccedil;on tr&egrave;s lointaine. Mais, la pratique n&rsquo;est peut-&ecirc;tre pas leur objet.</p> <p class="texte">Un exemple suffit, correspondant &agrave; la quasi-totalit&eacute; de ces probl&egrave;mes dans leur construction. Son examen remet ainsi en cause la logique de nombreux cas &eacute;conomiques soumis &agrave; des choix individuels dont on ne sait pas trop si leur objet est une d&eacute;monstration normative ou une observation empirique des comportements de ceux qui sont expos&eacute;s &agrave; la r&eacute;solution du probl&egrave;me. Kahneman expose le probl&egrave;me de Samuelson<a class="footnotecall" href="#ftn8" id="bodyftn8">8</a>. Lisons-le&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le grand Paul Samuelson s&rsquo;est rendu c&eacute;l&egrave;bre en demandant &agrave; un ami s&rsquo;il accepterait un pari &agrave; pile ou face dans lequel il pourrait perdre cent dollars ou en gagner deux cents. Son ami lui a r&eacute;pondu&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Je ne parierai pas, car je serai plus affect&eacute; par la perte de cent dollars qu&rsquo;enthousiasm&eacute; par le gain de deux cents. Mais je tiens le pari si tu me promets de me laisser faire cent fois le m&ecirc;me.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;405). Kahneman et Tversky reproduiront syst&eacute;matiquement cette structuration &agrave; la mani&egrave;re de Samuelson. Mais l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; est dans la proposition de l&rsquo;exercice. Quelle est la proposition&nbsp;? S&rsquo;agit-il d&rsquo;un jeu &agrave; un tour avec un seul pari dont l&rsquo;objet est de tester la sensibilit&eacute; au risque d&rsquo;une population&nbsp;? S&rsquo;agit-il de tester l&rsquo;intelligence des r&eacute;pondants capables de construire la r&egrave;gle dans laquelle ils seraient gagnants en visant l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e&nbsp;? S&rsquo;agit-il d&rsquo;&eacute;noncer un exercice pour confirmer un r&eacute;sultat certain &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;une norme&nbsp;? Ce n&rsquo;est effectivement pas la m&ecirc;me chose de pr&eacute;senter un exercice dont l&rsquo;unique r&eacute;solution a valeur de norme ou bien de pr&eacute;ciser les conditions dans lesquelles les r&eacute;ponses vont &ecirc;tre &eacute;tudi&eacute;es ou encore de laisser libre le r&eacute;pondant en ayant une ambition d&rsquo;analyse de sa conduite. Samuelson a l&rsquo;intelligence d&rsquo;&eacute;tudier la r&eacute;ponse de son ami. Nous verrons que ce n&rsquo;est jamais le cas de nos auteurs qui pr&eacute;f&egrave;rent la confronter &agrave; leur affirmation en d&eacute;non&ccedil;ant le biais.</p> <p class="texte">Analysons d&rsquo;ailleurs la r&eacute;ponse de l&rsquo;ami de Samuelson qui met en &eacute;vidence deux ambigu&iuml;t&eacute;s. La premi&egrave;re est que la plupart des r&eacute;pondants prennent &agrave; la lettre l&rsquo;expos&eacute; des exercices dont le r&eacute;dig&eacute; porte toujours implicitement l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un &laquo;&nbsp;que fais-tu&nbsp;?&nbsp;&raquo; unique&nbsp;; soit l&rsquo;exp&eacute;rience du simple pari o&ugrave; l&rsquo;analyse effectu&eacute;e par le r&eacute;pondant tient &agrave; cette arri&egrave;re-plan mental d&rsquo;une interpr&eacute;tation des donn&eacute;es en vue d&rsquo;un unique pari. Sa r&eacute;ponse est alors fauss&eacute;e de cette interpr&eacute;tation des conditions de l&rsquo;exercice. Le second est que toute personne famili&egrave;re des probabilit&eacute;s, prendra au pied de la lettre, ici du chiffre, la promesse des probabilit&eacute;s. C&rsquo;est la fiction de la certitude des gains. En effet, un pourcentage devient formellement une certitude au centi&egrave;me tirage. Affirmer que vous avez 60&nbsp;% de chance de gagner cinquante &euro;uros lors d&rsquo;un pari signifie, si cette assertion est absolument vraie, qu&rsquo;au centi&egrave;me tirage, soixante auront &eacute;t&eacute; gagnants et quarante perdants. C&rsquo;est le calcul m&ecirc;me de l&rsquo;ami de Samuelson. Il r&eacute;duit ainsi le risque du pari entre pile et face. Celui-ci est grand pour un seul jet&eacute; de pi&egrave;ce, mais inexistant pour cent jet&eacute;s ou la proportion sera de cinquante piles et cinquante faces. D&egrave;s lors que le parieur dira cent fois l&rsquo;une des r&eacute;ponses, il s&rsquo;assurera cinquante gains et cinquante pertes. Or, le calcul de cinquante pertes de cent dollars et cinquante gains de deux cents dollars produit un gain de cinq milles dollars. Ce cas souligne toute l&rsquo;ambig&uuml;it&eacute; des exercices selon qu&rsquo;on accepte de jouer pour un pari unique ou des paris <em>ad libitum</em> (jusqu&rsquo;&agrave; ce que je sois pleinement satisfait). C&rsquo;est m&ecirc;me une contradiction interne de ces exercices qui introduisent des pourcentages l&agrave; o&ugrave; les conditions de l&rsquo;exercice incitent le plus grand nombre &agrave; croire qu&rsquo;il s&rsquo;agit de d&eacute;cider pour un seul pari. Le flou de l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; rend alors inexploitable les r&eacute;ponses, sauf &agrave; d&eacute;noncer des biais qui n&rsquo;en sont pas puisqu&rsquo;ils sont inh&eacute;rents &agrave; l&rsquo;ambig&uuml;it&eacute; de l&rsquo;expos&eacute;.</p> <p class="texte">Les concepteurs de ces cas sont peu vigilants pour expliciter leur r&egrave;gle du jeu. D&rsquo;ailleurs, s&rsquo;agit-il vraiment de cas d&rsquo;exp&eacute;rience dans leur esprit&nbsp;? On peut en douter. En effet, le pourcentage exprime un taux dont profite l&rsquo;ami de Samuelson. Il le prend &agrave; la lettre &agrave; la fa&ccedil;on d&rsquo;un contrat avec l&rsquo;assurance que le taux est vrai. Ainsi, en l&rsquo;exprimant, l&rsquo;&eacute;conomiste introduit la possibilit&eacute; de jouer cent fois, du fait de l&rsquo;information exprim&eacute;e en &laquo;&nbsp;pour cent&nbsp;&raquo;&nbsp;; ce qui serait bien diff&eacute;rent d&rsquo;une autre r&egrave;gle informant de la probabilit&eacute; d&rsquo;une chance sur deux &agrave; chaque tirage, insistant sur l&rsquo;effet pleinement al&eacute;atoire de la succession des &eacute;ventuels tirages. Et cela a une importance capitale. Que dire au 2<sup>e</sup> tirage ou au 4<sup>e</sup> tirage&nbsp;? Le parieur peut-il opposer le contrat &agrave; celui qui lui vend un taux de 50&nbsp;%&nbsp;? Si deux ou quatre tirages successifs sont identiques dans une s&eacute;rie al&eacute;atoire, l&rsquo;information transmise serait alors jug&eacute;e erron&eacute;e. L&rsquo;analyse des deux assertions&nbsp;: une chance sur deux ou 50&nbsp;%, montre qu&rsquo;on n&rsquo;y dit pas la m&ecirc;me chose. L&rsquo;une expose &agrave; la confrontation de la s&eacute;rie al&eacute;atoire, l&rsquo;autre exprime la probabilit&eacute; prise &agrave; la lettre, cr&eacute;ant de plus une ambigu&iuml;t&eacute; temporelle. Et celle-ci est exploit&eacute;e avec finesse par l&rsquo;ami de Samuelson. Ce cas illustre magistralement le d&eacute;faut de rigueur de l&rsquo;exercice.</p> <p class="texte">Concernant l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; temporelle, elle est pass&eacute;e sous silence. Or, ce n&rsquo;est pas la m&ecirc;me chose de subir les incertitudes d&rsquo;une succession de tirages al&eacute;atoires, m&ecirc;me si le terme en est connu a priori, au lieu d&rsquo;avoir &agrave; l&rsquo;esprit le tirage simultan&eacute; effectuant en un instant la r&egrave;gle certaine des probabilit&eacute;s. En effet, la certitude des gains tient &agrave; l&rsquo;attitude m&ecirc;me de l&rsquo;&eacute;conomiste pour qui les exercices sont des loteries dont les &eacute;l&eacute;ments al&eacute;atoires sont en fait tr&egrave;s relatifs puisqu&rsquo;ils sont r&eacute;ductibles &agrave; des certitudes du fait de distributions certaines pour le calcul &agrave; la fa&ccedil;on d&rsquo;une s&eacute;rie de lanc&eacute;s de d&eacute;s&nbsp;; soit un &eacute;v&eacute;nement r&eacute;p&eacute;titif dans un environnement constant. Concernant l&rsquo;utilit&eacute; des probabilit&eacute;s, Laplace expliquait que pour passer d&rsquo;un hasard apparent &agrave; la certitude en vertu des lois sur des grands nombre&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mon objet &eacute;tant de pr&eacute;senter ici les m&eacute;thodes et les r&eacute;sultats g&eacute;n&eacute;raux de la th&eacute;orie des probabilit&eacute;s, je traite sp&eacute;cialement les questions les plus d&eacute;licates, les plus difficiles, et en m&ecirc;me temps les plus utiles de cette th&eacute;orie. Je m&rsquo;attache surtout, &agrave; d&eacute;terminer la probabilit&eacute; des causes et des r&eacute;sultats indiqu&eacute;s par les &eacute;v&eacute;nements consid&eacute;r&eacute;s en grand nombre, et &agrave; chercher les lois suivant lesquelles cette probabilit&eacute; approche de ses limites, &agrave; mesure que les &eacute;v&eacute;nements se multiplient.&nbsp;&raquo; (1812,&nbsp;2). Or, combien d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements de la vie r&eacute;elle sont r&eacute;ductibles &agrave; la certitude d&rsquo;une loi fond&eacute;e sur les grands nombres du fait de leur r&eacute;p&eacute;tition &agrave; l&rsquo;identique au sens strict&nbsp;?</p> <p class="texte">A ce sujet, l&rsquo;ami de Samuelson n&rsquo;est pas loin de railler l&rsquo;incons&eacute;quence de l&rsquo;exercice en y introduisant une nuance qui restaure imm&eacute;diatement la certitude. En faisant cela, il en conteste la configuration temporelle et donc existentielle de l&rsquo;exercice. En effectuant cent tirages simultan&eacute;s en vertu de la r&egrave;gle &eacute;nonc&eacute;e, le r&eacute;sultat lui est alors connu et imm&eacute;diatement favorable. Mais l&agrave; o&ugrave; la variable temporelle a pour la plupart une signification tr&egrave;s pratique dans l&rsquo;exercice d&rsquo;une succession de tirages favorables ou d&eacute;favorables, l&rsquo;ami de Samuelson n&rsquo;est pas loin de confronter l&rsquo;&eacute;conomiste &agrave; sa suppression dans une logique qui s&rsquo;abstrait du temps pour &eacute;laborer une d&eacute;cision et une action dans l&rsquo;instant. En cons&eacute;quence, cet ami &eacute;met une critique plus fondamentale. Il exprime la diff&eacute;rence entre l&rsquo;appr&eacute;hension existentielle de l&rsquo;exercice incluant ses perspectives d&rsquo;action dans une histoire risqu&eacute;e et son raisonnement plus abstrait restaurant des d&eacute;terminations. Cela constitue pour le moins un &eacute;cart rendu possible par l&rsquo;impr&eacute;cision de l&rsquo;expos&eacute;, entre des individus rompus &agrave; des exercices abstraits et d&rsquo;autres pris dans le jeu du respect des r&egrave;gles du jeu soumises par l&rsquo;autorit&eacute; scientifique, avec cet &eacute;cart de leurs relations aux mondes diff&eacute;rentes de celle du savant. Le biais, s&rsquo;il en est, serait l&agrave;<a class="footnotecall" href="#ftn9" id="bodyftn9">9</a>. Par ailleurs, dans l&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;une exp&eacute;rience tenant compte des personnes soumises aux exercices, qui aurait oubli&eacute; l&rsquo;influence du savant dans l&rsquo;exp&eacute;rience de Milgram&nbsp;? Qui aurait oubli&eacute; que &laquo;&nbsp;la qualit&eacute; des donn&eacute;es perceptives ou cognitives utilis&eacute;es dans la t&acirc;che&nbsp;&raquo;,<a class="footnotecall" href="#ftn10" id="bodyftn10">10</a> d&eacute;termine largement les temps de r&eacute;ponse&nbsp;; ce qui revient &agrave; &eacute;noncer que la confusion implicite d&rsquo;un exercice se retrouve dans le d&eacute;sordre qu&rsquo;il induit dans son appr&eacute;hension puis dans la formulation de la r&eacute;ponse, &agrave; la recherche de cette bonne r&eacute;ponse sous l&rsquo;autorit&eacute; quasi tut&eacute;laire de celui qui pr&eacute;sente. Que d&rsquo;impr&eacute;cisions qui attestent d&rsquo;une n&eacute;gligence du contexte.</p> <p class="texte">2) Le <em>ph&eacute;nom&egrave;ne de</em> <em>d&eacute;contextualisation</em> tient &agrave; l&rsquo;absence de contexte parce que l&rsquo;hypoth&egrave;se simplifi&eacute;e du gain omet les circonstances dans lesquelles les &laquo;&nbsp;joueurs&nbsp;&raquo; auraient &agrave; envisager l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, voire l&rsquo;urgence d&rsquo;esp&eacute;rer le gain dans une v&eacute;ritable exp&eacute;rience de vie. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs une des raisons des avis contradictoires qui &eacute;mergent avec des proportions de preneurs de gains ou de joueurs indiff&eacute;rents aux gains sans analyse de leur psychologie chez Kahneman. Il admet que les exp&eacute;riences ont &eacute;t&eacute; tr&egrave;s souvent men&eacute;es aupr&egrave;s de populations &eacute;duqu&eacute;es, chercheurs, professeurs, &eacute;tudiants qui sont tr&egrave;s loin de repr&eacute;senter la soci&eacute;t&eacute; dans toute sa vari&eacute;t&eacute;. Le psychologue ne s&rsquo;est pas fait sociologue ou anthropologue en imaginant un seul comportement possible, oubliant d&rsquo;autres crit&egrave;res d&rsquo;analyse de populations vari&eacute;es en &acirc;ge, en m&eacute;tier, en culture, en caract&egrave;re physiologique ou psychologique, etc. Son narcissisme lui autorise sans r&eacute;serve une universalisation na&iuml;ve de sa perception&nbsp;! Le mis&eacute;reux affam&eacute; &agrave; qui l&rsquo;on promet d&rsquo;une mani&egrave;re certaine une petite somme ou le risque d&rsquo;avoir ou de ne pas avoir une grande somme pourrait avoir des raisons aux deux pr&eacute;f&eacute;rences, soit pour s&rsquo;assurer un petit gain certain, soit pour parier sur son changement de vie n&rsquo;ayant plus rien &agrave; perdre ou &agrave; gagner par indiff&eacute;rence de sa condition. Pour ma part, je ne parierai pas de son comportement a priori, par d&eacute;faut d&rsquo;intuition sans doute. Les conditions dans lesquelles s&rsquo;effectue le pari m&eacute;ritent un travail plus analytique sur la d&eacute;cision et un autre sur les grands nombres en multipliant les crit&egrave;res et les situations d&rsquo;analyse. A l&rsquo;&eacute;vidence, comme le rappelle Arendt, la premi&egrave;re hypoth&egrave;se implicite et erron&eacute;e de ces travaux, n&rsquo;est autre que de postuler la v&eacute;rit&eacute; de la condition moyenne de l&rsquo;homme moderne d&eacute;termin&eacute;e, connue et contr&ocirc;l&eacute;e<a class="footnotecall" href="#ftn11" id="bodyftn11">11</a>. C&rsquo;est insidieusement l&rsquo;affirmation d&rsquo;un projet politique et anthropologique, en rien une certitude a priori. Et l&rsquo;extension de ses conclusions &agrave; l&rsquo;universalit&eacute; humaine suppose en effet cette simplification vers la r&eacute;duction de l&rsquo;homme &agrave; quelques raisonnements oublieux de tout contexte. L&agrave; est la r&eacute;elle d&eacute;contextualisation.</p> <p class="texte">Notre critique est s&eacute;v&egrave;re parce que la d&eacute;contextualisation d&eacute;limite une conclusion connue avant m&ecirc;me de commencer l&rsquo;exercice. Prenons pour l&rsquo;illustrer l&rsquo;exemple o&ugrave; Kahneman pense contester la th&eacute;orie de Bernoulli<a class="footnotecall" href="#ftn12" id="bodyftn12">12</a> en exposant le cas suivant&nbsp;: &laquo;&nbsp;Probl&egrave;me 3&nbsp;: outre ce que vous poss&eacute;dez d&eacute;j&agrave;, on vous donne 1000&nbsp;&euro;uros. On vous demande maintenant de choisir une de ces options&nbsp;: 50&nbsp;% de chances de gagner 1000&nbsp;&euro;uros ou certitude de toucher 500&nbsp;&euro;uros. Probl&egrave;me 4&nbsp;: outre ce que vous poss&eacute;dez, on vous donne 2000&nbsp;&euro;uros. On vous demande maintenant de choisir une de ces options&nbsp;: 50&nbsp;% de chances de perdre 1000&nbsp;&euro;uros ou certitude de perdre 500 cents &euro;.&nbsp;&raquo; (2012, 337). Apr&egrave;s nous avoir dit qu&rsquo;une majorit&eacute; de r&eacute;pondants au probl&egrave;me&nbsp;3 pr&eacute;f&eacute;rait la certitude l&agrave; o&ugrave; une majorit&eacute; pr&eacute;f&eacute;rait le pari dans le probl&egrave;me&nbsp;4,&nbsp;Kahneman en conclut&nbsp;: &laquo;&nbsp;Si l&rsquo;utilit&eacute; de la richesse est tout ce qui compte, alors, des &eacute;nonc&eacute;s manifestement semblables du m&ecirc;me probl&egrave;me devraient donner des choix identiques. La comparaison, entre des probl&egrave;mes met en lumi&egrave;re le r&ocirc;le &eacute;crasant du point de r&eacute;f&eacute;rence &agrave; partir duquel les options sont &eacute;valu&eacute;es.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;337) La rigueur aurait voulu que Kahneman expose les proportions plut&ocirc;t que d&rsquo;affirmer la grande majorit&eacute;, ce qui laisse supposer que ce n&rsquo;est pas l&rsquo;unanimit&eacute; mais une proportion au mieux des deux tiers pour ne pas se pr&eacute;valoir d&rsquo;une valeur plus flatteuse. Et la connaissance de l&rsquo;&eacute;chantillon m&eacute;riterait quelques pr&eacute;cisions. L&rsquo;exp&eacute;rience commence par un don de mille ou deux milles &euro; dont nous ne savons pas ce qu&rsquo;il repr&eacute;sente pour chacun des r&eacute;pondants, alors que l&rsquo;auteur se pr&eacute;vaut de montrer l&rsquo;importance du point de r&eacute;f&eacute;rence, nous dit-il. En effet, rien n&rsquo;est dit de l&rsquo;effet du don selon la fortune initiale des b&eacute;n&eacute;ficiaires alors que Bernoulli &eacute;voque lui-m&ecirc;me cette question comme nous allons le constater. Et rien n&rsquo;est dit pour expliquer les comportements des minoritaires. Bref, tout cela n&rsquo;explique pas les comportements mais sert de pr&eacute;texte &agrave; la l&eacute;gitimation de la notion de point de r&eacute;f&eacute;rence d&eacute;j&agrave; connue mais qui n&rsquo;est pas un biais comme nous allons le voir.</p> <p class="texte">En effet, Kahneman dit de Bernoulli&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Sa th&eacute;orie est trop simple, un &eacute;l&eacute;ment mobile lui fait d&eacute;faut. La variante manquante est le point de r&eacute;f&eacute;rence, cet &eacute;tat ant&eacute;rieur par rapport auquel les gains et les pertes sont &eacute;valu&eacute;s.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;338). Or, Bernoulli expose d&eacute;j&agrave; les &eacute;carts de perception en prenant l&rsquo;exemple de situation o&ugrave; les circonstances vont modifier la perception d&rsquo;une personne du fait m&ecirc;me de cet environnement&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;utilit&eacute; d&rsquo;un objet peut changer avec les circonstances. Ainsi, m&ecirc;me si un gain donn&eacute; est g&eacute;n&eacute;ralement plus utile &agrave; un pauvre qu&rsquo;&agrave; un riche, il est n&eacute;anmoins concevable, par exemple, qu&rsquo;un riche prisonnier poss&eacute;dant 2000 ducats mais ayant besoin de 2000 ducats suppl&eacute;mentaires pour racheter sa libert&eacute;, accordera alors plus de valeur &agrave; un gain inopin&eacute; de 2000 ducats qu&rsquo;un homme plus pauvre que lui.&nbsp;&raquo; (1968,&nbsp;16). Bernoulli distingue aussi l&rsquo;avantage procur&eacute; par un objet et son utilit&eacute;. Si l&rsquo;avantage est selon lui li&eacute; &agrave; la nature m&ecirc;me de l&rsquo;objet, l&rsquo;utilit&eacute; d&eacute;pend d&rsquo;une &eacute;valuation relative o&ugrave; le gain sera&nbsp;: &laquo;&nbsp;sans doute plus appr&eacute;ci&eacute; par un pauvre que par un homme riche m&ecirc;me si le gain est le m&ecirc;me pour les deux.&nbsp;&raquo; (1968,&nbsp;16) Est-il certain que nous ayons besoin des math&eacute;matiques pour une telle perc&eacute;e conceptuelle&nbsp;? Non. Kahneman a-t-il pris en consid&eacute;ration les propos de Bernoulli&nbsp;? Non. Kahneman dit-il quelque chose de nouveau dans sa notion de point de r&eacute;f&eacute;rence&nbsp;? Non.</p> <p class="texte">Plus encore, la d&eacute;contextualistion se manifeste dans cette expression qui m&eacute;rite une analyse psychologique et logique tout &agrave; la fois&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;La diff&eacute;rence subjective entre 900 et 1000 euros est beaucoup moins importante qu&rsquo;entre 100 et 200 euros.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;339). Ceci semble signifier que ce biais est &agrave; mettre en r&eacute;f&eacute;rence d&rsquo;une diff&eacute;rence objective de cent &euro;uros. L&rsquo;appr&eacute;ciation relative de cette diff&eacute;rence est selon lui subjective et il la nomme &laquo;&nbsp;principe de baisse de sensibilit&eacute;&nbsp;&raquo;. Analysons. Pour affirmer la baisse de sensibilit&eacute;, il faudrait que le point de r&eacute;f&eacute;rence induise un biais de perception diff&eacute;rent d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; objective pour justifier les termes utilis&eacute;s par l&rsquo;auteur. Or, y a-t-il une telle sensibilit&eacute; dans l&rsquo;analyse des &eacute;carts dans l&rsquo;exemple donn&eacute; par le psychologue&nbsp;? L&rsquo;&eacute;cart de cent repr&eacute;sente 1/9<sup>e</sup> ou 1/10<sup>e</sup> en proportion des valeurs ou bien 1/2<sup>e</sup> ou 1. Ceci n&rsquo;a rien de subjectif en arithm&eacute;tique. La valeur num&eacute;rique de cent en proportion d&rsquo;autres valeurs induit une valeur diff&eacute;rente par la construction m&ecirc;me de ces nombres rationnels&nbsp;: a/b. Ceci est objectif au sens de l&rsquo;arithm&eacute;tique &eacute;l&eacute;mentaire et des propri&eacute;t&eacute;s de l&rsquo;ensemble des nombres rationnels. De m&ecirc;me, lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agit de pertes ou de gains, gagner cent ou les perdre n&rsquo;a pas la m&ecirc;me valeur arithm&eacute;tique du fait des rapports de proportion. Dans un cas, c&rsquo;est doubler la valeur de d&eacute;part ou gagner 1/9<sup>e</sup> et la perte est dans un cas de la moiti&eacute; de la valeur ou d&rsquo;un dixi&egrave;me de la valeur. Il y a bien quatre valeurs de proportion diff&eacute;rentes, r&eacute;sultant du calcul des rapports de proportion. Si Kahneman veut nous dire que tout rapport de proportion est subjectif du fait m&ecirc;me de la variable du second terme servant de point de r&eacute;f&eacute;rence par sa fonction de d&eacute;nominateur, le principe de baisse de sensibilit&eacute; n&rsquo;est pas pertinent. En effet, l&rsquo;unit&eacute; rapport&eacute;e &agrave; elle-m&ecirc;me vaut sa totalit&eacute; alors que rapport&eacute; &agrave; l&rsquo;infini elle tend vers z&eacute;ro et ces faits arithm&eacute;tiques ne rel&egrave;vent pas d&rsquo;une baisse de sensibilit&eacute; subjective, mais bien d&rsquo;une baisse de la valeur d&rsquo;un nombre entier dans la construction de nombres rationnels. O&ugrave; sont la subjectivit&eacute; et la sensibilit&eacute;, o&ugrave; est le biais, sauf &agrave; croire en la valeur absolue d&rsquo;un nombre entier, comme si l&rsquo;ensemble des entiers &eacute;taient l&rsquo;&eacute;talon des autres ensembles num&eacute;riques<a class="footnotecall" href="#ftn13" id="bodyftn13">13</a>&nbsp;?</p> <p class="texte">Son expos&eacute; sur les nombres est surprenant en disant qu&rsquo;ils sont l&rsquo;objet du &laquo;&nbsp;processus automatique de la perception, du jugement et de l&rsquo;&eacute;motion. Il faut les consid&eacute;rer comme des caract&eacute;ristiques fonctionnelles du Syst&egrave;me&nbsp;1.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;338). D&rsquo;o&ugrave; Kahneman peut-il affirmer que cela serait le fait d&rsquo;une intuition sauf &agrave; l&rsquo;asserter sans autre forme de proc&egrave;s&nbsp;? Mais que dirait Kahneman face &agrave; un dirigeant qui &agrave; partir d&rsquo;un chiffre d&rsquo;affaires de mille annoncerait son doublement dans les trois ans, soit une nouvelle valeur de deux milles, puis annoncerait trois ans plus tard la m&ecirc;me ambition de croissance en valeur en annon&ccedil;ant 50&nbsp;% de croissance sur la p&eacute;riode. Son actionnaire lui opposerait qu&rsquo;il le trouve peu ambitieux, puisqu&rsquo;il ne doublera pas son chiffre d&rsquo;affaires sur la seconde p&eacute;riode&nbsp;? L&rsquo;un d&eacute;termine la croissance en valeur par un nombre entier constant, l&rsquo;autre par une valeur de proportion. La perspective est intrins&egrave;que &agrave; l&rsquo;usage des diff&eacute;rents ensembles num&eacute;riques. Dans ce cas, le biais serait celui d&rsquo;une intentionnalit&eacute; li&eacute;e &agrave; l&rsquo;usage de certains ensembles num&eacute;riques pour qualifier des sous-jacents. Que vient faire l&rsquo;heuristique dans cette affaire&nbsp;? Il est sans doute l&agrave; plus question d&rsquo;intentionnalit&eacute; dans l&rsquo;usage des nombres, de points de vue qui en conditionnent un usage parmi plusieurs possibles, sans qu&rsquo;il soit question pour autant de biais et de hi&eacute;rarchie de ses intentions et de leurs repr&eacute;sentations. Dans un cas, le dirigeant induit une fonction asymptotique du fait du rapport graduellement d&eacute;croissant de la valeur de r&eacute;f&eacute;rence relativement &agrave; chaque nouvelle valeur annuelle. Dans l&rsquo;autre cas, l&rsquo;actionnaire induit une fonction exponentielle du fait de la constance du coefficient multiplicateur appliqu&eacute;e &agrave; la croissance successivement produite sur chaque nouvelle valeur annuelle. Il est alors question d&rsquo;une pluralit&eacute; des interpr&eacute;tations selon l&rsquo;objet pris en r&eacute;f&eacute;rence et ceux mis en variables. Et ce cas peut se prolonger d&rsquo;une autre s&eacute;rie de nombres rationnels et de fonctions comparant cette croissance &agrave; celle des autres entreprises du secteur&nbsp;; voire du secteur lui-m&ecirc;me. Cette autre mise en perspective peut relativiser l&rsquo;appr&eacute;ciation de cette croissance selon celle du secteur dans laquelle elle s&rsquo;ins&egrave;re. Cet univers des r&eacute;f&eacute;rences arithm&eacute;tiques et des &eacute;critures alg&eacute;briques semble &eacute;tonnamment ignor&eacute; ou exclut de la pens&eacute;e de Kahneman pour justifier un terme &laquo;&nbsp;la diff&eacute;rence subjective&nbsp;&raquo;, en dehors de toute analyse des contextes alg&eacute;briques. Sa pratique r&eacute;currente de la d&eacute;contextualisation lui fait aussi omettre la r&eacute;alit&eacute; des transactions.</p> <p class="texte">3) L&rsquo;<em>absence de transaction</em> s&rsquo;observe dans des jeux o&ugrave; il n&rsquo;y a pas d&rsquo;investissement initial ou de mise. Or, le jeu se fait avec un pari, soit une forme d&rsquo;investissement avec l&rsquo;acceptation d&rsquo;une exposition effective &agrave; un risque. Et celui-ci suppose un degr&eacute; d&rsquo;engagement existentiel, de ses biens pour commencer, de son estime de soi voire de sa vie. En effet, deux types d&rsquo;analyses sont alors indispensables. La premi&egrave;re tient &agrave; la valeur de la mise pour le parieur dans son environnement social, la seconde tient au rapport de cette mise relativement aux diff&eacute;rentes hypoth&egrave;ses de gains dans un contexte psychologique et social. La valeur de la mise d&eacute;pendra de nombreux facteurs&nbsp;: la concurrence d&rsquo;autres investissements plus importants par exemple ou la pression sociale des proches et des cercles d&rsquo;appartenance pressant en faveur d&rsquo;un arbitrage soumis &agrave; la concurrence d&rsquo;autres choix. Or, la vie de l&rsquo;investisseur est fa&icirc;tes d&rsquo;arbitrage complexe entre des types d&rsquo;investissements, une situation de son portefeuille de mises d&eacute;j&agrave; engag&eacute;es avec des esp&eacute;rances de gains &agrave; court ou moyen terme&nbsp;; des projets en concurrences pour un politique,&nbsp;etc. Le d&eacute;cideur agit en &eacute;valuant aussi les b&eacute;n&eacute;fices escompt&eacute;s de ces diff&eacute;rents investissements&nbsp;et de ses latitudes d&rsquo;actions &agrave; un moment donn&eacute;. Mais l&rsquo;investissement se fait aussi par pr&eacute;f&eacute;rence pour un projet assorti de convictions d&rsquo;agir en vertu d&rsquo;autres consid&eacute;rations dont l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e est philanthropique, politique, militante, h&eacute;doniste, etc. avec des formes de valorisation de soi inestimables, donc incommensurables.</p> <p class="texte">Un des cas de Kahneman est embl&eacute;matique de l&rsquo;absence de transaction faussant son exercice. Il &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;La richesse actuelle d&rsquo;Anthony est de un million. La richesse actuelle de Betty est de quatre millions. Ils se voient tous deux offrir un choix entre un pari et une certitude. Le pari&nbsp;: chances &eacute;gales de se retrouver avec un million ou quatre millions ou la certitude&nbsp;: poss&eacute;der deux millions de fa&ccedil;on s&ucirc;re.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;330-331) Il en conclut que le rapport aux gains potentiels d&rsquo;Anthony ou aux pertes probables de Betty l&rsquo;autorise &agrave; dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le mod&egrave;le de Bernoulli ne prenant pas en compte l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un point de r&eacute;f&eacute;rence, la th&eacute;orie de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e ne montre pas le fait pourtant &eacute;vident que le r&eacute;sultat qui sera bon pour Anthony sera mauvais pour Betty.&nbsp;&raquo; (2012, 332). Kahneman passe sous silence une asym&eacute;trie dans le jeu propos&eacute; qui introduit d&rsquo;elle-m&ecirc;me, une fois de plus, le biais qu&rsquo;il pr&eacute;tend ensuite r&eacute;v&eacute;ler. Le lecteur devrait s&rsquo;&eacute;tonner de cette pratique o&ugrave; il oppose deux personnalit&eacute;s dans des situations comparables, nous dit-il, mais diff&eacute;rentes&nbsp;; sur le seul point de sa d&eacute;monstration&nbsp;!</p> <p class="texte">Approfondissons l&rsquo;analyse pour montrer qu&rsquo;en fait, les deux situations sont incomparables et que la d&eacute;monstration n&rsquo;en est pas une. Pour le premier, la transaction passe par une mise de jeu &eacute;gale &agrave; un million pour lequel l&rsquo;ensemble des choix est profitable. Le pari revient &agrave; un jeu &agrave; somme nulle ou &agrave; un gain de trois millions, la certitude lui fait gagner un million. Pour le second, lui est propos&eacute; le m&ecirc;me pari, sans aucune proportion du jeu &agrave; sa mise&nbsp;; ce qui est rarissime dans les jeux r&eacute;els, sauf &agrave; ma connaissance le tapis au poker o&ugrave; chacun met la totalit&eacute; de ses gains sans comparaison des valeurs. Il met sur la table quatre millions pour esp&eacute;rer en sauver deux dans la certitude ou maintenir sa mise dans le cas du pari ou perdre trois millions. L&rsquo;asym&eacute;trie de l&rsquo;engagement ne met pas les deux personnes dans la m&ecirc;me configuration arithm&eacute;tique. Quand Kahneman invoque la c&eacute;cit&eacute; th&eacute;orique&nbsp;; elle s&rsquo;applique formellement &agrave; son exp&eacute;rience, sauf &agrave; ignorer les r&egrave;gles des nombres relatifs. En effet, la diff&eacute;rence de fortune n&rsquo;a rien &agrave; voir dans son raisonnement puisque la r&egrave;gle qu&rsquo;il applique peut s&rsquo;exposer en un seul cas qui revient &agrave; proposer successivement &agrave; Anthony de jouer selon les deux r&egrave;gles suivantes. Tu paries un million pour esp&eacute;rer un million ou quatre millions ou tu as l&rsquo;assurance de gagner un million&nbsp;; en fait sans parier. La seconde r&egrave;gle&nbsp;: tu paries un million avec une chance sur deux de gagner un million soit aucun gain mais possiblement de ne gagner qu&rsquo;un demi-million ou la certitude de ne gagner qu&rsquo;un demi-million, soit une perte d&rsquo;un demi-million par proportionnalit&eacute; des pertes expos&eacute;es pour quatre millions. Pourquoi d&eacute;doubler les personnages et modifier les montants&nbsp;? A quoi joue Kahneman&nbsp;? Que ferait Anthony dans ces deux situations&nbsp;? Anthony ne peut simplement pas adh&eacute;rer &agrave; la seconde. Le probl&egrave;me n&rsquo;est donc pas ici le contexte, mais l&rsquo;&eacute;conomie de la r&egrave;gle. Il est donc inutile d&rsquo;en passer par le faux-semblant de deux personnalit&eacute;s puisque le rapport aux pertes et aux gains n&rsquo;est pas relatif &agrave; la position initiale mais &agrave; la nature du jeu propos&eacute;. Il n&rsquo;est pas l&agrave; question d&rsquo;aversion au risque ou d&rsquo;incoh&eacute;rence des r&eacute;ponses. Si l&rsquo;objectif est de nous d&eacute;montrer que perdre des richesses est plus anxiog&egrave;ne que d&rsquo;esp&eacute;rer en gagner, le sens commun y suffira sans doute. La perte traduit une dette, un manquant ou un passage en-de&ccedil;&agrave; d&rsquo;une valeur de r&eacute;f&eacute;rence dans un syst&egrave;me. Plus j&rsquo;additionne des nombres n&eacute;gatifs, plus le nombre d&eacute;croit par rapport &agrave; la r&eacute;f&eacute;rence, plus je soustrais des nombres n&eacute;gatifs, plus le nombre tend vers la r&eacute;f&eacute;rence ou une valeur positive, par effet de sym&eacute;trie des op&eacute;rations. S&rsquo;agit-il de biais quand pendant des mill&eacute;naires des civilisations ont h&eacute;sit&eacute; dans leur usage et compr&eacute;hension de ces nombres et de ces op&eacute;rations&nbsp;? Il y a plus une r&eacute;flexion li&eacute;e &agrave; la complexit&eacute; croissante des abstractions conduisant &agrave; des choix l&eacute;gitimes. L&agrave; encore, pas de biais.</p> <p class="texte">La th&eacute;orie du biais ne trouve donc aucun appui dans ces cas d&egrave;s qu&rsquo;on les examine d&rsquo;un peu plus pr&egrave;s. Elle n&rsquo;explique donc rien ici. Par contre, s&rsquo;impose la pr&eacute;sence de la pluralit&eacute; des cas observables et l&rsquo;&eacute;tude de leur assimilation dans des mod&egrave;les de compr&eacute;hension, voire de pr&eacute;visions. A cet &eacute;gard, le math&eacute;maticien, logicien et philosophe prometteur, mais malheureusement d&eacute;c&eacute;d&eacute; pr&eacute;matur&eacute;ment, Ramsey (1903-1930) exposait d&eacute;j&agrave; une th&eacute;orie subjective des probabilit&eacute;s dans <em>Truth and probability</em>. Il abandonne le mod&egrave;le de la rationalit&eacute; hypoth&eacute;tique de l&rsquo;agent &eacute;conomique au profit d&rsquo;une th&eacute;orie subjective des probabilit&eacute;s parce que l&rsquo;action humaine est anim&eacute;e de d&eacute;sirs&nbsp;: l&rsquo;utilit&eacute; subjective, et de croyances&nbsp;: la probabilit&eacute; subjective. Il ne s&rsquo;agit pas d&rsquo;y d&eacute;noncer des biais relativement &agrave; une norme rationnelle. Il &eacute;tudie ces variables dont il est possible de rendre compte par une d&eacute;rivation de ces probabilit&eacute;s subjectives. Cette approche statistique introduit une &eacute;tude de la pluralit&eacute; admise pour ce qu&rsquo;elle est&nbsp;; soit une vari&eacute;t&eacute; de situations donn&eacute;es &agrave; observer. C&rsquo;est pourquoi les &eacute;tudes psychologiques et sociales sont importantes. Elles permettent d&rsquo;&eacute;tablir, pour partie peut-&ecirc;tre, une typologie des comportements dans des mod&egrave;les statistiques plus sophistiqu&eacute;s. Elles conduisent &eacute;ventuellement &agrave; reconna&icirc;tre leur impr&eacute;visibilit&eacute; radicale qui serait &agrave; l&rsquo;origine d&rsquo;une rupture &eacute;pist&eacute;mologique in&eacute;dite au-del&agrave; de la math&eacute;matisation des sciences &eacute;conomiques et politiques&nbsp;; d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t d&rsquo;une &eacute;tude des pluralit&eacute;s comportementales. Les choix existent du fait des potentialit&eacute;s d&rsquo;action car il se peut que la d&eacute;cision soit prise en vertu d&rsquo;un r&eacute;pertoire connu de l&rsquo;individu ou de l&rsquo;esp&egrave;ce<a class="footnotecall" href="#ftn14" id="bodyftn14">14</a>.</p> <p class="texte">En synth&egrave;se de cette critique de Kahneman, celui-ci &eacute;taye sa th&eacute;orie des biais cognitifs de deux concepts&nbsp;: le point de r&eacute;f&eacute;rence et le principe de baisse de sensibilit&eacute;. Le lecteur aura not&eacute; qu&rsquo;ils ont en commun de caract&eacute;riser des nombres rationnels dont nous avons vu la logique. Il ne s&rsquo;agit pas de biais, mais d&rsquo;alternatives offertes par des repr&eacute;sentations dans des ensembles num&eacute;riques qui sont autant de points de vue possibles sur des objets et des rapports, soit bien plus une succession d&rsquo;objectivit&eacute;s possibles. Ces descriptions &eacute;quivalentes induisent des corr&eacute;lations logiques et psychologiques vari&eacute;es qu&rsquo;il s&rsquo;agit de comprendre.</p> <h2 class="texte" style="font-style:italic;">3. L&rsquo;alternative &eacute;thologique des particularismes de perception et de connaissance</h2> <p class="texte">Nous avons vu que Kahneman a cette constance quasi-obsessionnelle d&rsquo;un recours &agrave; une r&eacute;f&eacute;rence absolument vraie pour mettre en &eacute;vidence une perception relative dite biais&eacute;e. Or, notre critique avait pour but de contester cette m&eacute;thode confrontant un fait d&eacute;valoris&eacute; par une certitude scientifique intangible. Cette hi&eacute;rarchisation est trompeuse, voire abusive. Trois analyses vont maintenant montrer que ce qu&rsquo;il nomme des biais, selon nous &agrave; tort, sont en fait des particularismes de perception. Nous &eacute;tudierons pour le montrer successivement&nbsp;: 1) La <em>controverse anthropologique</em> autour du paradoxe d&rsquo;Allais, 2) la <em>prudence prax&eacute;ologique </em>quant &agrave; l&rsquo;&eacute;quivalence des finalit&eacute;s d&rsquo;action et 3) l&rsquo;<em>&eacute;thologie de la compl&eacute;mentarit&eacute; </em>des comportements particuliers dans un groupe vivant. Ces trois derniers travaux vont nous faire passer d&rsquo;un rapport hi&eacute;rarchique d&rsquo;une v&eacute;rit&eacute; normative d&eacute;non&ccedil;ant tout le reste comme des biais &agrave; des v&eacute;rit&eacute;s plurielles se composant dans les relations au sein des groupes vivants.</p> <p class="texte">1) La <em>controverse anthropologique</em> autour du paradoxe d&rsquo;Allais<a class="footnotecall" href="#ftn15" id="bodyftn15">15</a> est embl&eacute;matique d&rsquo;une opposition de points de vue insinu&eacute;e par la vision anthropologique agissant en arri&egrave;re-plan de chacun des travaux de ces &eacute;conomistes et psychologues. R&eacute;sumons ce paradoxe, la controverse qui s&rsquo;ensuivit et expliquons-en l&rsquo;origine anthropologique. Le paradoxe remet en cause la th&eacute;orie de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e. Cette rationalit&eacute; se v&eacute;rifie lorsque face &agrave; une succession d&rsquo;alternatives, le &laquo;&nbsp;joueur&nbsp;&raquo; &eacute;met toujours le choix le plus rationnel en vertu d&rsquo;une coh&eacute;rence quant au risque. A d&eacute;faut, l&rsquo;app&eacute;tant ou l&rsquo;averse au risque maintiendra des choix dans la lign&eacute;e de sa coh&eacute;rence, le calcul des probabilit&eacute;s permettant de rep&eacute;rer les meilleurs choix. Le th&eacute;or&egrave;me de Neumann-Morgenstern expos&eacute; en 1947 dans <em>Theory of Games and Economic Behavior</em> &eacute;tablit cette loi selon laquelle le processus de d&eacute;cision r&eacute;pond &agrave; un comportement rationnel motiv&eacute; par une pr&eacute;f&eacute;rence logique pour l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e. Quelques ann&eacute;es plus tard, le statisticien Savage compl&egrave;tera, d&eacute;montrant cette esp&eacute;rance d&rsquo;utilit&eacute; repr&eacute;sentant des probabilit&eacute;s subjectives et des pr&eacute;f&eacute;rences rationnelles. Mais Allais pris Savage au pi&egrave;ge lors d&rsquo;une conf&eacute;rence en lui pr&eacute;sentant les deux choix suivants&nbsp;avec le gain et sa probabilit&eacute;&nbsp;:</p> <p class="texte">Premi&egrave;re alternative&nbsp;: choix A&nbsp;: 5 M&euro; (10&nbsp;%)&nbsp;; 1 M&euro; (89&nbsp;%)&nbsp;; 0 (1&nbsp;%) ou choix B&nbsp;: 1M&euro; (100&nbsp;%).</p> <p class="texte">Deuxi&egrave;me alternative&nbsp;: choix C&nbsp;: 5 M&euro; (10&nbsp;%)&nbsp;; 0 (90&nbsp;%) ou choix D&nbsp;: 1M&euro; (11&nbsp;%)&nbsp;; 0 (89&nbsp;%).</p> <p class="texte">Allais r&eacute;digera ensuite son article de 1953 rest&eacute; c&eacute;l&egrave;bre dans la revue Econometrica par l&rsquo;expos&eacute; de cette situation paradoxale qui contredit cette rationalit&eacute; suppos&eacute;e, critiquant ce qu&rsquo;il nomme les postulats de l&rsquo;&eacute;cole am&eacute;ricaine. Lors de la pr&eacute;sentation du cas, Savage choisira dans la premi&egrave;re alternative, B soit la certitude, puis C dans la seconde soit le choix le plus risqu&eacute; des deux. Ainsi, l&rsquo;un des principaux contributeurs &agrave; la th&eacute;orie de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e allait lui-m&ecirc;me effectuer un choix contredisant sa th&eacute;orie, en combinant une r&eacute;ponse d&rsquo;un homme averse au risque &agrave; un autre app&eacute;tant au risque&nbsp;; soit une attitude incoh&eacute;rente, donc irrationnelle en premi&egrave;re lecture. Par la suite, d&rsquo;autres chercheurs, dont MacGrimmon et Larsson chercheront &agrave; s&eacute;lectionner des groupes d&rsquo;individus r&eacute;put&eacute;s rationnels en &eacute;liminant ceux qui proc&egrave;dent &agrave; des choix irr&eacute;guliers. Malgr&eacute; cette pr&eacute;caution, ils concluront que &laquo;&nbsp;beaucoup de d&eacute;cideurs soigneux et intelligents semblent violer certains axiomes de la th&eacute;orie de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e, m&ecirc;me apr&egrave;s avoir r&eacute;fl&eacute;chi &agrave; leurs choix.&nbsp;&raquo; (1979, 403). D&rsquo;autres travaux confirmeront encore ce r&eacute;sultat, attestant d&rsquo;une violation du mod&egrave;le de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e dans un cas sur quatre, un cas sur deux, voire plus selon les m&eacute;thodes utilis&eacute;es<a class="footnotecall" href="#ftn16" id="bodyftn16">16</a>. La pratique du choix contredit le mod&egrave;le qui d&rsquo;explicatif ne peut plus jouer qu&rsquo;un r&ocirc;le de norme vis&eacute;e.</p> <p class="texte">Dans la premi&egrave;re alternative, la pr&eacute;f&eacute;rence pour la certitude est un choix prudent m&ecirc;me si la probabilit&eacute; de ne rien gagner est tr&egrave;s faible avec une opportunit&eacute; d&rsquo;un m&ecirc;me gain voire d&rsquo;un sup&eacute;rieur. Le choix A fait esp&eacute;rer plus de gain statistiquement&nbsp;; mais l&rsquo;avantage de la certitude face au risque de ne rien gagner s&rsquo;explique d&rsquo;abord par ce passage du jeu au don. En effet, il n&rsquo;y a pas de diff&eacute;rence entre donner une somme et la promettre &agrave; 100&nbsp;%. En cela, le 100&nbsp;% est une borne qui le distingue des valeurs incertaines comprises entre z&eacute;ro et cent. La certitude extrait du probable ou du jeu. Ce choix s&rsquo;explique donc, non par la valeur, mais par l&rsquo;assurance. L&rsquo;exercice reproduit avec des valeurs sensiblement diff&eacute;rentes, maintient la pr&eacute;f&eacute;rence pour la r&eacute;ception du don plut&ocirc;t que d&rsquo;accepter l&rsquo;al&eacute;a du jeu, m&ecirc;me si le gain esp&eacute;r&eacute; est tr&egrave;s nettement sup&eacute;rieur. L&rsquo;alternative oppose bien le don &agrave; un jeu et l&rsquo;&eacute;cart est ici qualitatif. Ensuite, et nous y reviendrons, le joueur se projette sur les r&eacute;sultats. Or comment justifier son choix dans l&rsquo;hypoth&egrave;se A.3 de ne rien gagner&nbsp;? La critique de ses proches et l&rsquo;estime de soi font imm&eacute;diatement craindre la comparaison entre la certitude et assumer l&rsquo;al&eacute;a qui peut advenir. Le statisticien omet l&rsquo;analyse de l&rsquo;anticipation des cons&eacute;quences sociales et psychologiques de la d&eacute;cision.</p> <p class="texte">Dans la deuxi&egrave;me alternative, tout &agrave; l&rsquo;inverse, l&rsquo;attirance pour le gain possible emporte l&rsquo;adh&eacute;sion de Savage alors qu&rsquo;il est plus risqu&eacute; que l&rsquo;autre choix avec un gain inf&eacute;rieur, comme dans la premi&egrave;re alternative. Pourquoi Savage r&eacute;pond-il par cette irr&eacute;gularit&eacute; entre les deux alternatives&nbsp;? Soulignons une ambigu&iuml;t&eacute; de l&rsquo;exercice, comme dans le cas de Samuelson. La personne r&eacute;pondant successivement aux deux alternatives peut avoir un comportement analytique, dissociant les exercices, ou bien, elle a la possibilit&eacute; de prendre un risque dans la seconde alternative faisant alors un lien entre les deux exercices, arguant du premier gain certain pour prendre un risque&nbsp;dans le deuxi&egrave;me choix. Dans cette seconde mani&egrave;re de comprendre la succession des exercices, on admet l&rsquo;argument des compl&eacute;mentarit&eacute;s des d&eacute;cisions dont la coh&eacute;rence est alors de deuxi&egrave;me ordre. Ceci contredit la premi&egrave;re lecture de l&rsquo;irr&eacute;gularit&eacute; de Savage, qui de contradictoire devient une intelligence raisonn&eacute;e de deuxi&egrave;me ordre. En effet, cette ambigu&iuml;t&eacute; t&eacute;moigne d&rsquo;une alternative rationnelle entre la coh&eacute;rence analytique de chacun des choix et une rationalit&eacute; synth&eacute;tique ou disons strat&eacute;gique, s&rsquo;autorisant des choix successifs s&rsquo;&eacute;laborant par compl&eacute;mentarit&eacute;. De ce fait, selon qu&rsquo;on &eacute;tudie le choix de mani&egrave;re analytique ou le d&eacute;cideur dans la construction it&eacute;rative de ses choix, les conclusions ne sont plus les m&ecirc;mes et les interpr&eacute;tations quasi-contradictoires. De nouveau, la discipline voudrait que l&rsquo;expos&eacute; pr&eacute;cise les conditions de l&rsquo;exercice, ce qui n&rsquo;est pas le cas. Il existe donc des implicites perturbant l&rsquo;interpr&eacute;tation des r&eacute;sultats qui sont v&eacute;hicul&eacute;s par les exercices. Cette n&eacute;gligence ou ces croyances inexplicites des &eacute;conomistes sont alors prises en d&eacute;faut a posteriori lors des analyses provoquant des interpr&eacute;tations contradictoires. Le protocole est d&eacute;faillant.</p> <p class="texte">Que dire d&rsquo;un exercice quand il n&eacute;glige &agrave; ce point le sujet qu&rsquo;il pr&eacute;tend par ailleurs observer. Cette confusion m&eacute;thodologique t&eacute;moigne &agrave; elle seule de l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; inh&eacute;rente &agrave; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de l&rsquo;&eacute;conomiste pour le choix et du psychologique pour le d&eacute;cideur. A cet &eacute;gard, Kahneman navigue dans un entre-deux m&eacute;thodologique confus, attestant encore une nouvelle fois de l&rsquo;incompl&eacute;tude des exercices qui font le plus souvent fi des effets de temporalit&eacute;, de m&eacute;morisation, d&rsquo;effet de cumul, de strat&eacute;gie it&eacute;rative, d&rsquo;affordance (possibilit&eacute;s d&rsquo;agir sur un objet), voire de physiologie de la perception et des comportements, etc., soit des dimensions cliniques et psychologiques totalement occult&eacute;es. De plus, pour reprendre une expression d&rsquo;Allais, &laquo;&nbsp;en dehors de la condition de coh&eacute;rence, il n&rsquo;y a pas de crit&egrave;re de la rationalit&eacute; des fins consid&eacute;r&eacute;es en elles-m&ecirc;mes.&nbsp;&raquo;&nbsp;(1953, 521).</p> <p class="texte">Le choix tient donc au basculement du jeu vers le don. Nous sommes dans un calcul born&eacute; qui introduit subrepticement une logique trivalente dont l&rsquo;effet psychologique se comprend &agrave; condition de saisir les limites existentielles des calculs eux-m&ecirc;mes. Faut-il rappeler que ces derniers ne sont pas d&eacute;nu&eacute;s d&rsquo;une valeur existentielle&nbsp;? Expliquons. La logique binaire pose que le vrai et le faux s&rsquo;expriment par opposition du 0 et 1 soit un choix d&eacute;montrable et opposable, le faux &eacute;tant compar&eacute; au vrai pour &ecirc;tre ainsi jug&eacute;. Mais, depuis les conventions du logicien polonais Lukasiewicz, Z&eacute;ro comme 0&nbsp;% sont des n&eacute;gations, soit ici la certitude de ne pas gagner. Un ou cent et 100&nbsp;% sont des affirmations certaines, soit la certitude de gagner. Et ces deux valeurs sont alors des bornes qui ont une valeur d&eacute;termin&eacute;e et absolue d&rsquo;une autre nature que toute les probabilit&eacute;s incertaines contenues dans l&rsquo;intervalle, soit de 1 &agrave; 99&nbsp;%. Les deux bornes appartiennent &agrave; la logique de la d&eacute;monstration s&rsquo;exprimant par des certitudes. M&ecirc;me si elles peuvent se repr&eacute;senter sous la forme de probabilit&eacute;s, elles en sont les bornes et n&rsquo;en sont donc pas <em>in fine</em>. Dans l&rsquo;entre-deux de cet intervalle, se situe une quasi-infinit&eacute; de probabilit&eacute;s dans lequel la progression et la r&eacute;gression de 1&nbsp;% ont une valeur relative&nbsp;; sauf dans les deux cas du passage &agrave; la borne de 1&nbsp;% &agrave; 0&nbsp;% et de 99&nbsp;% &agrave; 100&nbsp;%. D&rsquo;ailleurs, en math&eacute;matique, l&rsquo;intervalle ne se confond pas avec ses bornes. Les analyses de Kahneman ignorent ces r&egrave;gles de passage &agrave; la limite qui ont une consistance tout &agrave; la fois math&eacute;matique et psychologique.</p> <p class="texte">La dimension existentielle des bornes et intervalles est pourtant bien pr&eacute;sente. Montrons le &agrave; travers l&rsquo;engagement existentiel qui s&rsquo;explique par l&rsquo;exemple de la roulette russe. Etre s&ucirc;r de mourir ou &ecirc;tre s&ucirc;r de survivre ne se comparent pas avec l&rsquo;incertitude o&ugrave; le risque r&eacute;sulte de la probabilit&eacute;, du fait d&rsquo;un barillet de revolver charg&eacute; d&rsquo;une balle sur ses six compartiments. Sans balle, le jeu est inoffensif et il est une simulation. Avec six balles, c&rsquo;est un assassinat ou un suicide. L&rsquo;interaction de la quantit&eacute; de balles dans le barillet avec la valeur existentielle du jeu aux deux bornes du syst&egrave;me&nbsp;; ici z&eacute;ro et six, montre bien que les bornes ne sont pas de m&ecirc;me nature que le jeu des probabilit&eacute;s o&ugrave; l&rsquo;engagement existentiel est un pari&nbsp;: mourir ou survivre, donnant un sens tr&egrave;s particulier &agrave; l&rsquo;al&eacute;atoire de la s&eacute;rie qui met un terme au jeu. De ce fait, il existe une diff&eacute;rence consid&eacute;rable avec les jeux d&rsquo;argent&nbsp;: l&rsquo;engagement existentiel dans le jeu. En effet, l&rsquo;ami de Samuelson ne pourrait pas pr&eacute;texter de jouer de l&rsquo;extension d&rsquo;un pari &agrave; cent paris &agrave; la roulette russe qui a la particularit&eacute; de tuer certainement si le joueur doit effectuer tous les tirages. Il est int&eacute;ressant de noter ce cas d&rsquo;inversion de la valeur de la r&eacute;alisation de la totalit&eacute; des op&eacute;rations qui d&eacute;limite le champ de pertinence du type de d&eacute;cision propos&eacute; par les &eacute;conomistes. Dans le cas de Samuelson, il est gagnant si l&rsquo;on r&eacute;alise 100&nbsp;% des options, &agrave; la roulette russe le risque est fatal &agrave; celui qui l&rsquo;entreprend. Et cet effet de la contingence dans la r&eacute;alisation des actions successives engage bien la valeur d&rsquo;existence. Il suffit donc &agrave; modifier substantiellement les choix successifs dans une strat&eacute;gie de deuxi&egrave;me ordre, soit la vue de son engagement au fur et &agrave; mesure des tirages et des actions. Celle-ci explique des contradictions si l&rsquo;on compare la succession des choix dans une s&eacute;rie du fait de l&rsquo;&eacute;ch&eacute;ance du terme de la s&eacute;rie. En effet, son ex&eacute;cution tend vers l&rsquo;accomplissement d&rsquo;un gain ou d&rsquo;une perte.</p> <p class="texte">La controverse se joue donc &agrave; deux niveaux&nbsp;: &eacute;pist&eacute;mologique et psychologique. Le paradoxe est-il seulement un contre-exemple, un cas limite qui s&rsquo;appuie sur l&rsquo;observation de personnes mises en situation et dont il s&rsquo;agit de constater qu&rsquo;elles ne proc&egrave;dent pas en vertu de la th&eacute;orie&nbsp;? A-t-il une port&eacute;e cruciale falsifiant le mod&egrave;le de ses pr&eacute;d&eacute;cesseurs&nbsp;? De m&ecirc;me, la th&eacute;orie a-t-elle pr&eacute;tention &agrave; d&eacute;crire la r&eacute;alit&eacute; des choix ou s&rsquo;agit-il d&rsquo;une norme&nbsp;? L&rsquo;ambig&uuml;it&eacute; r&eacute;v&egrave;le une pluralit&eacute; de points de vue et d&rsquo;intentions qui fixent l&rsquo;attention sur des aspects distincts. Des auteurs, majoritairement les &eacute;conomistes, font fi de la personne en ayant une anthropologie rationnelle &agrave; l&rsquo;esprit pour dire ce qu&rsquo;il convient de construire et de faire en homme rationnel pour effectuer des choix, l&rsquo;objet d&rsquo;&eacute;tude &eacute;tant la rationalit&eacute; calculable du choix. D&rsquo;autres, majoritairement les psychologues, &eacute;tudient la d&eacute;cision et l&rsquo;aversion au risque sur de v&eacute;ritables cohortes pour en induire une &eacute;tude statistique des diff&eacute;rents comportements. Ce quiproquo r&eacute;v&egrave;le l&rsquo;extr&ecirc;me focalisation des chercheurs, s&ucirc;rs de leur position et de leurs r&eacute;f&eacute;rences non-sp&eacute;cifi&eacute;es respectives. Et celles-ci, justement, du fait d&rsquo;&ecirc;tre &eacute;videntes et implicites, sont la source d&rsquo;une opposition jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;incompr&eacute;hension r&eacute;ciproque. Comme le rappelle l&rsquo;&eacute;conomiste Mongin &agrave; propos d&rsquo;Allais&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il tient pour acquis que l&rsquo;hypoth&egrave;se de l&rsquo;utilit&eacute; attendue ne s&rsquo;applique pas &agrave; l&rsquo;homme r&eacute;el et il r&eacute;serve ses contre-exemples &agrave; l&rsquo;homme rationnel, ce qui revient &agrave; diriger contre elle une objection normative. Ses adversaires principaux, Savage et Samuelson, avaient d&rsquo;eux-m&ecirc;mes &eacute;cart&eacute;s toute pr&eacute;tention empirique et campaient d&eacute;j&agrave; sur le terrain de la rationalit&eacute;.&nbsp;&raquo;&nbsp;(2014, 746). D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; Allais s&rsquo;appuie sur une enqu&ecirc;te, voire ce qu&rsquo;il nomme un sondage et il s&rsquo;agit bien a minima d&rsquo;une r&eacute;futation empirique reproduite depuis par d&rsquo;autres chercheurs. La th&eacute;orie est alors falsifi&eacute;e par des exp&eacute;riences qui en montrent les limites de fa&ccedil;on syst&eacute;matique. La controverse est donc &eacute;pist&eacute;mologique entre les tenants d&rsquo;un calcul rationnel d&eacute;terminant le meilleur choix et les tenants de l&rsquo;observation des calculs r&eacute;els effectu&eacute;s en situation par des &eacute;chantillons de population s&eacute;lectionn&eacute;s pour leur aptitude sp&eacute;cifiquement adapt&eacute;e &agrave; ces exercices. Les chercheurs ne visent pas les m&ecirc;mes choses, ils ne regardent pas de la m&ecirc;me mani&egrave;re leur objet.</p> <p class="texte">C&rsquo;est pourquoi la controverse devient psychologique parce que s&rsquo;y joue, en outre, la repr&eacute;sentation de l&rsquo;humain et une projection de soi implicite o&ugrave;, sans l&rsquo;&eacute;noncer formellement, s&rsquo;insinue une anthropologie chez ces scientifiques, d&rsquo;o&ugrave; cette querelle puisqu&rsquo;Allais oppose le comportement de l&rsquo;homme r&eacute;el &agrave; la pr&eacute;diction rationnelle de la coh&eacute;rence des choix en vertu de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e. Cette part de la controverse t&eacute;moigne d&rsquo;un oubli de l&rsquo;humain chez ceux qui se concentrent sur l&rsquo;&eacute;tude du choix. Cela signifie que le choix calculable renvoie au projet de sa mod&eacute;lisation donc de sa r&eacute;plicabilit&eacute; et de la sup&eacute;riorit&eacute; intrins&egrave;que de la d&eacute;cision calcul&eacute;e en vertu d&rsquo;une science math&eacute;matique de la d&eacute;cision. Cette premi&egrave;re vis&eacute;e se construit dans le d&eacute;ni de l&rsquo;attention &agrave; l&rsquo;humain, attestant simplement de la perspective d&rsquo;un syst&egrave;me de normes d&eacute;cisionnelles dont la construction requiert la science &eacute;conomique. Par contre, les travaux r&eacute;alis&eacute;s dans la foul&eacute;e du paradoxe d&rsquo;Allais t&eacute;moignent de cette qu&ecirc;te de l&rsquo;homme rationnel. Il faut le d&eacute;finir, s&eacute;lectionner ceux qui en ont les qualit&eacute;s, &eacute;liminer les autres, constituer un &eacute;chantillon fiable, puis le soumettre aux exercices pour voir comment ils se conforment &agrave; la norme ou s&rsquo;en &eacute;cartent, faute d&rsquo;&ecirc;tre pleinement des agents rationnels&nbsp;: l&rsquo;homme est un objet d&rsquo;&eacute;tude. Ceux-l&agrave; ont une seconde vis&eacute;e anthropologique par la construction mais aussi la reconnaissance d&rsquo;un homme pr&eacute;sent ici et maintenant, admettant cette humanit&eacute; &agrave; comprendre dans ses choix complexes, manifestant des raisons cach&eacute;es et des ruses, voire des d&eacute;sirs et des motivations diverses&nbsp;: sociales, politiques, etc. La simple ambition formelle de parvenir &agrave; une repr&eacute;sentation rationnelle des d&eacute;cisions explicables et pr&eacute;dictibles selon des r&egrave;gles calculables est insuffisante, voire d&eacute;faillante&nbsp;; et elle n&eacute;cessite de s&rsquo;int&eacute;resser aux actions et engagements en recourant par exemple &agrave; la psychologie, &agrave; la sociologie voire la physiologie et les sciences de la cognition et de l&rsquo;action.</p> <p class="texte">En conclusion de cette premi&egrave;re analyse, il ressort que chacun adopte une position fond&eacute;e sur quelques arri&egrave;re-plans &eacute;pist&eacute;mologiques. Or, le paradoxe d&rsquo;Allais illustre magistralement l&rsquo;exc&egrave;s rationaliste d&eacute;non&ccedil;ant des biais alors que le mod&egrave;le peut avoir sa pertinence dans des limites &agrave; pr&eacute;ciser, sans pour autant commander les r&eacute;alit&eacute;s psychologiques et sociales. L&rsquo;enseignement majeur tient l&agrave; encore &agrave; l&rsquo;impr&eacute;cision des conditions requises&nbsp;; comme si ces savants omettaient l&rsquo;analyse pr&eacute;cise des modalit&eacute;s et protocoles de leurs exp&eacute;riences intellectuelles&nbsp;; ce qui requiert a minima une attention de type psychologique ou ph&eacute;nom&eacute;nologique. Ce premier travail montre d&rsquo;ores et d&eacute;j&agrave; que bien plus que des biais face &agrave; une v&eacute;rit&eacute;, nous sommes en pr&eacute;sence de contributions construites selon des horizons diff&eacute;rents, d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;importance de la question prax&eacute;ologique afin de mieux comprendre ces &eacute;carts de perception, chez les savants eux-m&ecirc;mes, du fait de leurs finalit&eacute;s. Ils repr&eacute;sentent sans doute plus des particularismes de perception intellectuelle que des errements ou des biais.</p> <p class="texte">2) la <em>prudence prax&eacute;ologique</em> consiste &agrave; ne pas pr&eacute;juger de l&rsquo;unicit&eacute; des finalit&eacute;s ou de la sup&eacute;riorit&eacute; de l&rsquo;une &agrave; l&rsquo;exclusion des autres, usage pourtant classique dans la recherche normative de la v&eacute;rit&eacute; &agrave; la mani&egrave;re de certains des &eacute;conomistes &eacute;tudi&eacute;s ici. Cette prudence concerne la th&eacute;orie scientifique puisqu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;&eacute;tudier son projet de connaissance o&ugrave; le savant projette de produire une connaissance vraie en vertu de quelques croyances initiales implicites. En effet, le rationalisme scientifique poss&egrave;de son arri&egrave;re-plan philosophique pr&eacute;tendant dire et faire le vrai universel. Historiquement, cette position &eacute;merge dans le pacte apophantique des pythagoriciens selon lequel les nombres et le r&eacute;el sont li&eacute;s, les principes des math&eacute;matiques &eacute;tant ceux de tous les &ecirc;tres. La vraie science serait une math&eacute;matique &eacute;tendue, d&eacute;ductible et applicable aux choses. Or, cette unit&eacute; n&rsquo;existe pas, tant les th&eacute;ories s&rsquo;opposent au sein de chacune des sciences, tant les sciences elles-m&ecirc;mes r&eacute;v&egrave;lent des aspects sp&eacute;cifiques incommensurables les uns aux autres. Il n&rsquo;existe pas de syst&egrave;me int&eacute;gral des sciences, et m&ecirc;me les math&eacute;matiques se subdivisent jusqu&rsquo;&agrave; d&eacute;velopper des sp&eacute;cialit&eacute;s de moins en moins en relation les unes avec les autres<a class="footnotecall" href="#ftn17" id="bodyftn17">17</a>.</p> <p class="texte">A ce sujet, la prax&eacute;ologie d&eacute;veloppe ce sens de la pluralit&eacute; qu&rsquo;on peut r&eacute;sumer ici en quelques points saillants. Comme l&rsquo;&eacute;nonce le prax&eacute;ologue Skirbekk&nbsp;: &laquo;&nbsp;la prax&eacute;ologie est une analyse conceptuelle et une discussion r&eacute;flexive de la fa&ccedil;on dont les activit&eacute;s humaines sont inextricablement m&ecirc;l&eacute;es avec leurs agents et avec les choses qui en sont l&rsquo;objet dans notre monde quotidien.&nbsp;&raquo; (1999, 203)<a class="footnotecall" href="#ftn18" id="bodyftn18">18</a>. Il d&eacute;limite ainsi la pr&eacute;tention &agrave; la d&eacute;monstration en &eacute;voquant le champ de l&rsquo;argumentation qui caract&eacute;rise le discours prax&eacute;ologique. Il constate la limite de la d&eacute;monstration du fait m&ecirc;me de l&rsquo;&eacute;change&nbsp;: &laquo;&nbsp;En argumentant, nous nous reconnaissons les uns les autres non seulement comme rationnels, mais aussi comme finis&nbsp;; c&rsquo;est la raison pour laquelle nous pouvons tous apprendre de tous les autres, et par un effort commun am&eacute;liorer mutuellement notre compr&eacute;hension.&nbsp;&raquo;&nbsp;(1999,&nbsp;136) Il observe l&rsquo;&eacute;volution m&ecirc;me des connaissances scientifiques pour en conclure qu&rsquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;il n&rsquo;y a pas de moment pr&eacute;cis o&ugrave; nous puissions vraiment savoir que dor&eacute;navant rien qui puisse modifier notre consensus ne pourra jamais arriver. M&ecirc;me si la situation id&eacute;ale de parole &eacute;tait r&eacute;alis&eacute;e, et que nous le sachions, nous ne pourrions encore jamais savoir que nous avons atteint le consensus rationnel pr&eacute;cis qui implique logiquement la validit&eacute;.&nbsp;&raquo; (1999,&nbsp;132). Et les finalit&eacute;s diverses expriment nos pr&eacute;f&eacute;rences comme nos int&eacute;r&ecirc;ts&nbsp;: &laquo;&nbsp;Notre conception de la rationalit&eacute; scientifique, bien trop restrictive, fait para&icirc;tre impossible l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une justification rationnelle des normes fondamentales et on trouve en cons&eacute;quence une pseudo-justification &agrave; ce que l&rsquo;on per&ccedil;oit alors comme une lutte entre des int&eacute;r&ecirc;ts particuliers et des pr&eacute;f&eacute;rences particuli&egrave;res, tous &eacute;galement &eacute;trangers &agrave; la rationalit&eacute;.&nbsp;&raquo; (1999,&nbsp;103). Le savoir rationnel est une forme de connaissance utile, mais il ne saurait absorber le monde, les autres perceptions et les autres savoirs. Or, l&rsquo;imprudence de Kahneman tient &agrave; son ignorance des enseignements de la prax&eacute;ologie, entra&icirc;nant sa confusion d&rsquo;o&ugrave; sa d&eacute;nonciation des biais l&agrave; o&ugrave; il est question de point de vue et de particularisme de perception.</p> <p class="texte">Pour preuve, en mati&egrave;re de perception visuelle, Kahneman pr&eacute;juge aussi que l&rsquo;objet a sa v&eacute;rit&eacute; propre alors que la perception et la d&eacute;cision proc&egrave;dent aussi par projection, assimilation, contextualisation en vue d&rsquo;une action accessible. Revenons sur quelques-uns de ces exercices qui font la preuve de sa subordination &agrave; une conception rationaliste de la science. L&rsquo;exercice du <em>conflit </em>donne lieu &agrave; une explication o&ugrave; l&rsquo;auteur adopte un style dont la rh&eacute;torique est assertive et pleine de l&rsquo;argument d&rsquo;autorit&eacute; qui l&rsquo;am&egrave;ne &agrave; d&eacute;crire l&rsquo;exp&eacute;rience du lecteur en pr&eacute;jugeant qu&rsquo;elle induit un seul et unique ph&eacute;nom&egrave;ne. Le lecteur est pri&eacute; d&rsquo;adopter la r&eacute;ponse qui lui est faites expliquant &agrave; sa place son exp&eacute;rience. Deux extraits permettent de se convaincre de cette pratique&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Vous avez sans aucun doute r&eacute;ussi &agrave; accomplir ces deux t&acirc;ches, et vous vous &ecirc;tes s&ucirc;rement aper&ccedil;u que certaines parties &eacute;taient plus faciles que d&rsquo;autres.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;35). Le lecteur est m&ecirc;me un tantinet culpabilis&eacute; dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute;&nbsp;! Kahneman continue en ces termes&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Dans l&rsquo;ensemble, <span style="text-decoration:underline;">vous avez pu r&eacute;agir comme il le fallait</span>, mais vous avez d&ucirc; accomplir un effort pour surmonter l&rsquo;envie de r&eacute;pondre autrement, ce qui vous a ralenti.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;35). L&rsquo;auteur prend l&rsquo;ascendant sur le lecteur en lui prescrivant sa seule bonne r&eacute;ponse, et en y insinuant des jugements normatifs dont l&rsquo;expression surlign&eacute;e est embl&eacute;matique de l&rsquo;attitude d&rsquo;un ma&icirc;tre assujettissant l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve, faisant l&rsquo;&eacute;conomie de toute d&eacute;monstration au profit d&rsquo;assertions &eacute;l&eacute;mentaires.</p> <p class="texte">Lorsque Kahneman utilise l&rsquo;illusion de M&uuml;ller-Lyer ou l&rsquo;illusion de perception visuelle dans le cas de l&rsquo;heuristique en 3D<a class="footnotecall" href="#ftn19" id="bodyftn19">19</a>, il affirme l&rsquo;existence d&rsquo;une perception absolument vraie, les autres &eacute;tant des biais. De plus, il subordonne la perception visuelle &agrave; une mesure vraie confondant le but de la perception visuelle et le fait de la mesure qui n&rsquo;est pas n&eacute;cessairement son objet premier. La r&eacute;duction de la vue &agrave; la mesure est un choix tr&egrave;s r&eacute;ducteur de l&rsquo;analyse. En quoi cela d&eacute;montre-t-il un biais de perception puisque l&rsquo;exercice est une fiction qui vise sa d&eacute;monstration, utilisant l&rsquo;illusion dans ce but&nbsp;? La mesure est autoritairement fa&icirc;tes juge de la vue&nbsp;! A cet &eacute;gard, il est pr&eacute;occupant pour un psychologue de pr&eacute;tendre isoler un seul sens de la sorte alors qu&rsquo;il participe activement d&rsquo;un dispositif infiniment plus complexe dont Kahneman semble faire fi sans s&rsquo;en expliquer<a class="footnotecall" href="#ftn20" id="bodyftn20">20</a>. La capacit&eacute; du joueur de tennis de coordonner ses mouvements du fait de sa perception de la trajectoire d&rsquo;une balle sur quelques dizaines de m&egrave;tres lanc&eacute;e &agrave; plus de cent kilom&egrave;tres par heure soit quelques fractions de seconde d&eacute;note plut&ocirc;t une puissance de perception au service des actes du corps. Nous sommes loin de la passivit&eacute; simpliste et de la confrontation scolaire &agrave; la capacit&eacute; de dire la mesure juste. Sa d&eacute;marche est incons&eacute;quente et sans commune mesure avec l&rsquo;&eacute;tude de l&rsquo;organe de la vue et de ses performances ajust&eacute;es &agrave; un corps. Au passage, nous n&rsquo;avons pas de sonar comme certains c&eacute;tac&eacute;s et ne serions donc pas performants dans les sombres milieux aquatiques. Est-ce un biais ou un fait de limitation des organes des esp&egrave;ces dans leur environnement&nbsp;? En effet, la vue n&rsquo;est pas une norme en soi mais un mode d&rsquo;appr&eacute;hension. Concernant l&rsquo;illusion de M&uuml;ller-Lyer, il pr&eacute;f&egrave;re juger l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; et en omet d&rsquo;&eacute;tudier le processus de d&eacute;cision lui-m&ecirc;me, oubliant de consid&eacute;rer que la perspective cr&eacute;e un fond iconographique prescrivant la diff&eacute;rence de taille, choix pleinement coh&eacute;rent et vrai lui aussi. Il y a l&agrave; concurrence de perception plus que v&eacute;rit&eacute; ou fausset&eacute;.</p> <p class="texte">En conclusion de cette seconde analyse, il ressort que la limite de chaque perception n&rsquo;est pas un biais. Elle invite plut&ocirc;t &agrave; voir comment se jouent des compl&eacute;mentarit&eacute;s, voire des sp&eacute;cialisations pour accro&icirc;tre les possibilit&eacute;s d&rsquo;interaction entre individus percevant diff&eacute;remment. A cet &eacute;gard, le groupe humain est le grand oubli&eacute; des travaux des psychologues et &eacute;conomistes alors que l&rsquo;&eacute;change, le travail, le gain n&rsquo;ont de sens que dans un contexte d&rsquo;interactions sociales et politiques d&rsquo;utilit&eacute;s crois&eacute;es qui viennent surd&eacute;terminer chacun des actes d&rsquo;une ou plusieurs repr&eacute;sentations sociales&nbsp;; d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de tirer profit des travaux des &eacute;thologues. Comment peut-on feindre de faire &oelig;uvre de connaissance en occultant syst&eacute;matiquement les apports d&rsquo;autres sciences qui donnent des orientations plus complexes&nbsp;? D&rsquo;une part, les sciences de l&rsquo;homme montrent que l&rsquo;interaction sociale op&egrave;re de nombreux processus dont la d&eacute;cision<a class="footnotecall" href="#ftn21" id="bodyftn21">21</a>, d&rsquo;autre part, les sciences cognitives et la biologie montrent elles aussi que les processus en question sont d&rsquo;une plus grande complexit&eacute;, bien au-del&agrave; de l&rsquo;analyse formelle des &eacute;conomistes qui peut confiner au simplisme<a class="footnotecall" href="#ftn22" id="bodyftn22">22</a>. Voil&agrave; pourquoi l&rsquo;&eacute;thologie illustre notre propos en montrant que la d&eacute;cision est pour une part collective et que la gestion du risque requiert des particularismes de perception, soit la multiplication b&eacute;n&eacute;fique des points de vue et leur prise en compte au sein du groupe.</p> <p class="texte">3) l&rsquo;<em>&eacute;thologie de la compl&eacute;mentarit&eacute; </em>des comportements particuliers dans un groupe vivant renvoie &agrave; l&rsquo;&eacute;thologie sociale qui &eacute;tudie les structures des soci&eacute;t&eacute;s animales en cherchant &agrave; comprendre les rapports interindividuels et leur adaptation &agrave; des situations vari&eacute;es de leur environnement. L&agrave; o&ugrave; Kahneman compare des comportements biais&eacute;s &agrave; un comportement v&eacute;ridique de r&eacute;f&eacute;rence d&rsquo;un individu isol&eacute;, l&rsquo;&eacute;thologue cherche &agrave; comprendre la pr&eacute;sence de la pluralit&eacute;. Partageons quelques enseignements des recherches d&rsquo;&eacute;thologues, acceptant la vari&eacute;t&eacute; des comportements telle une probable prudence au sein des groupes au service de leur permanence. La pluralit&eacute; &eacute;largit le champ de perception gr&acirc;ce &agrave; chacune des particularit&eacute;s individuelles qui ne sont de ce fait pas des biais ou des d&eacute;formations, mais des particularismes utiles au groupe. Le prudent et l&rsquo;audacieux ont leur place.</p> <p class="texte">A l&rsquo;occasion d&rsquo;un colloque de Cerisy consacr&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;volution des civilisations dans une mondialisation susceptible d&rsquo;uniformisation en 2003, des &eacute;thologues, anthropologues, sociologues et philosophes ont fait &eacute;tat de leurs recherches. Ils se sont int&eacute;ress&eacute;s &agrave; l&rsquo;opportunit&eacute; de d&eacute;velopper une &eacute;thologie des soci&eacute;t&eacute;s humaines, prolongeant les m&eacute;thodes utilis&eacute;es dans l&rsquo;&eacute;tude des communaut&eacute;s animales. L&rsquo;&eacute;thologue Pestel y indiquait&nbsp;: &laquo;&nbsp;Loin d&#39;&ecirc;tre une science pass&eacute;iste qui poursuit les objectifs surann&eacute;s d&#39;une science naturelle qui s&#39;&eacute;teint doucement, l&#39;&eacute;thologie prend les atours d&#39;une science d&#39;avant-garde avec un pied dans les th&eacute;ories de l&#39;&eacute;volution et un pied dans la conception des syst&egrave;mes les plus avanc&eacute;s.&nbsp;&raquo; (2004,&nbsp;57). La pluralit&eacute; des comportements s&rsquo;applique &agrave; des individus dans un groupe de premier niveau (troupeau, horde, famille, ruche, etc.) mais aussi entre ces ensembles constitu&eacute;s qui peuvent adopter des strat&eacute;gies comportementales vari&eacute;es dans des situations semblables. Appliqu&eacute;s aux institutions humaines, les comportements des familles, des premi&egrave;res communaut&eacute;s politiques et des institutions nationales ou internationales deviennent autant d&rsquo;objets d&rsquo;&eacute;tude des comportements de groupe. Cette pluralit&eacute; aurait des raisons d&rsquo;&ecirc;tre qui &eacute;chappent &agrave; la rationalit&eacute; de premier ordre d&rsquo;une logique analytique.</p> <p class="texte">L&rsquo;&eacute;thologie &eacute;largit donc l&rsquo;&eacute;tude aux relations entre les membres d&rsquo;un groupe social et au groupe lui-m&ecirc;me. Tr&egrave;s loin de se focaliser sur des choix restreints soumis &agrave; des arbitrages individuels, elle fait l&rsquo;hypoth&egrave;se que nombre de comportements et de d&eacute;cisions refl&egrave;tent des interactions o&ugrave; chacun participe de la vie d&rsquo;un groupe dont il est une partie avec ses r&ocirc;les, ses dynamiques, ses &eacute;ventuels conflits et ses n&eacute;gociations. Le sociologue Goffman<a class="footnotecall" href="#ftn23" id="bodyftn23">23</a> &eacute;tudia ainsi les interactions sociales parce que l&rsquo;individu est mis en pr&eacute;sence d&rsquo;autrui d&rsquo;o&ugrave; la pr&eacute;sentation de soi dans la mise en sc&egrave;ne de la vie quotidienne. De m&ecirc;me, dans le prolongement de cette ethnographie de la vie quotidienne, les &eacute;thologues privil&eacute;gient l&rsquo;&eacute;tude des comportements d&rsquo;alliance et de coop&eacute;ration entre animaux non apparent&eacute;s pour tenter d&rsquo;&eacute;tablir qu&rsquo;il existe des &eacute;changes structur&eacute;s t&eacute;moignant d&rsquo;un investissement continu en vue de d&eacute;velopper ces coop&eacute;rations et ces accords<a class="footnotecall" href="#ftn24" id="bodyftn24">24</a>. Ces chercheurs mettent en &eacute;vidence le fait de ces alliances o&ugrave; le cong&eacute;n&egrave;re est sollicit&eacute; pour mener une t&acirc;che, jouant alors un r&ocirc;le social dans un but profitable &agrave; l&rsquo;individu et &agrave; sa communaut&eacute;. Plus encore, l&rsquo;interaction accompagne une vie complexe o&ugrave; des r&ocirc;les compl&eacute;mentaires sont connus et utilis&eacute;s au profit du groupe. Les biologistes et psychologues Cheney et Seyfarth montrent bien cette compl&eacute;mentarit&eacute; sociale&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Pour comprendre un rang hi&eacute;rarchique, ou pour pr&eacute;dire quels sont les individus susceptibles de former des alliances, un animal doit s&#39;extraire de sa propre sph&egrave;re d&#39;interaction et reconna&icirc;tre les relations. De telles connaissances s&rsquo;acqui&egrave;rent gr&acirc;ce &agrave; l&#39;observation d&#39;interactions dans lesquelles le singe n&#39;est pas lui-m&ecirc;me engag&eacute;, et par la construction des inf&eacute;rences appropri&eacute;es. Il existe en fait de fortes &eacute;vidences pour soutenir que les singes poss&egrave;dent des connaissances &agrave; propos des relations sociales avec autrui et que de telles connaissances affectent leur comportement.&nbsp;&raquo; (1990,&nbsp;72). Il ressort de ces travaux que ces interactions o&ugrave; les cong&eacute;n&egrave;res s&rsquo;utilisent les uns les autres produisent une intelligence sociale, d&rsquo;o&ugrave; une compr&eacute;hension de l&rsquo;intelligence comme &eacute;tant pour partie une production sociale</p> <p class="texte">Mais le plus &eacute;difiant tient &agrave; la compl&eacute;mentarit&eacute; des perceptions. L&rsquo;&eacute;tude des groupes de babouins est riche d&rsquo;enseignements. Pour chacun des aspects, nous ferons le parall&egrave;le entre les r&eacute;sultats de ces &eacute;tudes et ceux des psychologues concernant l&rsquo;humain. Ces quatre aspects sont les suivants&nbsp;:</p> <p class="paragraphesansretrait"><em>1. Les particularismes de perception et de comportements<br /> 2. Des comportements sp&eacute;cifiques ou missions au profit du groupe<br /> 3. La r&eacute;gulation sociale de l&rsquo;aversion au risque<br /> 4. La prise de risque ou instabilit&eacute; sociale</em></p> <p class="texte">1. <em>Les particularismes de perception et de comportements</em> s&rsquo;observent au sein d&rsquo;une population jug&eacute;e de prime abord homog&egrave;ne dans le groupe&nbsp;: les femelles. Les observations permettent de les classer en plusieurs types. Les gentilles entretiennent des relations avec la plupart des autres femelles. Elles sont sociables, font preuve de peu d&rsquo;agressivit&eacute; et ont des attitudes amicales &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des femelles sans prog&eacute;nitures, hi&eacute;rarchiquement moins consid&eacute;r&eacute;es. Ind&eacute;pendamment de leur position sociale relative, elles constituent un ensemble pacifique au sein du groupe. Cela signifie que leur attitude face &agrave; l&rsquo;agressivit&eacute; est diff&eacute;rente d&rsquo;autres, leur perception et leur r&eacute;ponse constituent un particularisme. Les distantes constituent un deuxi&egrave;me type faisant preuve d&rsquo;agressivit&eacute; avec une partie de leurs cong&eacute;n&egrave;res. Elles ont un cercle plus restreint de relation. Le troisi&egrave;me type correspond aux solitaires. Elles sont plus agressives et leurs relations sont inconstantes. Elles changent de partenaire de toilettage, l&agrave; o&ugrave; l&rsquo;&eacute;pouillage r&eacute;ciproque est &agrave; la fois un service rendu et une attention qui renforce les liens. Ces liens sont pour ces derni&egrave;res d&eacute;crits comme instables et parcellaires par les chercheurs. Elles sont plus stress&eacute;es et ont un rapport amical essentiellement avec les femelles de rang plus &eacute;lev&eacute;. Les chercheurs de l&rsquo;universit&eacute; de Pennsylvanie montrent l&agrave; une vari&eacute;t&eacute; de perceptions, de comportements et d&rsquo;interaction au sein d&rsquo;une population &agrave; certains &eacute;gards homog&egrave;ne, pourtant h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes dans leurs actions.</p> <p class="texte">La psychologie humaine atteste elle aussi d&rsquo;une vari&eacute;t&eacute; de comportements au sein d&rsquo;une population jug&eacute;e homog&egrave;ne. La psychologie de l&rsquo;&eacute;ducation ou la psychologie du travail attestent bien de ces particularismes qui font jouer des r&ocirc;les au sein du groupe, quand bien m&ecirc;me l&rsquo;organisation sociale institue un cadre de r&eacute;f&eacute;rence&nbsp;: le lieu, les buts, des r&egrave;gles, des temps, etc. La psychologie du sport souligne elle aussi ces particularismes de perception et de cognition qu&rsquo;il s&rsquo;agit m&ecirc;me de d&eacute;velopper dans l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t du jeu collectif.</p> <p class="texte">2. <em>Des comportements sp&eacute;cifiques ou missions</em> <em>au profit du groupe</em> s&rsquo;observent alors du fait que certains ont des missions. Depuis les observations de Lorenz, il a &eacute;t&eacute; maintes fois confirm&eacute; la r&eacute;partition des r&ocirc;les lors du d&eacute;placement du groupe de babouins. Il existe une configuration sociale du groupe se d&eacute;pla&ccedil;ant. Devant, le m&acirc;le dominant, puis les femelles et les petits prot&eacute;g&eacute;s lat&eacute;ralement des jeunes adultes et autres m&acirc;les. Cette organisation protectrice fait jouer des r&ocirc;les diff&eacute;rents face au danger. A son apparition, les r&eacute;actions face au risque seront relatives &agrave; ce r&ocirc;le social. Les uns font face, les autres prot&egrave;gent, les femelles et les petits fuient. Ces r&ocirc;les sociaux montrent qu&rsquo;une organisation du groupe en fait autre chose qu&rsquo;un simple agr&eacute;gat d&rsquo;&eacute;gaux. Le groupe se caract&eacute;rise par des sp&eacute;cialisations o&ugrave; chaque membre accomplit des actes li&eacute;s &agrave; une mission particuli&egrave;re.</p> <p class="texte">Le groupe humain d&eacute;veloppe cette identit&eacute; collective motiv&eacute;e par un objectif commun selon des modalit&eacute;s de communication qui attestent d&rsquo;une interd&eacute;pendance. A la diff&eacute;rence des groupes agr&eacute;gatifs connus des logiciens et des math&eacute;maticiens, le groupe vivant induit une architecture sociale informant les membres d&rsquo;une sp&eacute;cification&nbsp;: leur mission. L&agrave; aussi, une multitude de travaux, ceux de Bales, Barrow, Festinger, Oberl&eacute; ou Sherif t&eacute;moignent de cette structure du groupe humain &eacute;tudi&eacute; sous des aspects diff&eacute;rents. Par exemple, les psychologues du travail ont observ&eacute; une structuration des groupes autour de r&ocirc;les constants qui se r&eacute;partissent entre les membres, conduisant &agrave; renforcer des traits de comportements au d&eacute;triment d&rsquo;autres tenus par un tiers<a class="footnotecall" href="#ftn25" id="bodyftn25">25</a>. Or, chacun de ces r&ocirc;les ne traduit pas un biais cognitif mais une sp&eacute;cialisation intentionnelle permettant de concentrer et de d&eacute;velopper l&rsquo;effort d&rsquo;un membre dans un compartiment comportemental au service d&rsquo;un groupe qui capitalise potentiellement sur l&rsquo;ensemble de ces sp&eacute;cialisations. Le passage de l&rsquo;individu au groupe donne une valeur &agrave; chaque point de vue ainsi d&eacute;velopp&eacute;, puisqu&rsquo;il s&rsquo;agit de favoriser une acuit&eacute; particuli&egrave;re parmi d&rsquo;autres acuit&eacute;s pour que le groupe puisse mieux faire qu&rsquo;un individu isol&eacute;, celui-ci &eacute;tant incapable de mobiliser instantan&eacute;ment ses capacit&eacute;s de perception et de cognition dans toutes les directions ou dimensions du fait de sa position et des limites inh&eacute;rentes &agrave; sa localisation et &agrave; ses focalisations en mati&egrave;re d&rsquo;attention et de concentration sur des objets, des perceptions, etc. M&eacute;moriser, relier, observer, initier, entreprendre, rassurer, motiver, r&eacute;guler, etc., voil&agrave; bien autant de missions qui en situation requi&egrave;rent pour chacun un effort cognitif, soit une focalisation de l&rsquo;attention, des sens, des &eacute;motions et des connaissances dirigeants pour une part ces activit&eacute;s. Or, la diff&eacute;rence entre un groupe structur&eacute; et une &laquo;&nbsp;bande&nbsp;&raquo; inorganis&eacute;e tient &agrave; cette compr&eacute;hension des r&ocirc;les dont l&rsquo;acceptation conduit &agrave; une plus grande efficacit&eacute; du collectif relativement &agrave; l&rsquo;individu isol&eacute; ou agr&eacute;g&eacute; dans un ensemble non-structur&eacute;.</p> <p class="texte">3. <em>La r&eacute;gulation sociale de l&rsquo;aversion au risque</em> signifie que celle-ci fait l&rsquo;objet de mesures sociales bien plus que d&rsquo;une d&eacute;lib&eacute;ration individuelle. En effet, dans une autre circonstance, le repos, les babouins s&rsquo;organisent en vertu de leur position hi&eacute;rarchique. Cette organisation du sommeil sur des rochers a pour but de les prot&eacute;ger des pr&eacute;dateurs nocturnes. L&rsquo;aversion au risque ne se traite pas l&agrave; au niveau de l&rsquo;individu mais bien du groupe. Les dominants dorment en s&eacute;curit&eacute; en hauteur et ceux de rangs inf&eacute;rieurs se r&eacute;partissent les niveaux interm&eacute;diaires. Et la gestion du risque conduit &agrave; avoir des guetteurs qui avertiront d&rsquo;une menace par quelques cris stridents. Et selon la nature du risque, ils adopteront un comportement de fuite, de combat des m&acirc;les dominants ou de houspillement collectif afin de dissuader l&rsquo;agresseur d&rsquo;une attaque. Les individus ont bien une fonction au sein du groupe.</p> <p class="texte">Cette r&eacute;gulation sociale face au risque est aussi connue des psychosociologues. Si le groupe induit en son sein une autorit&eacute;, une complaisance, une soumission et pour quelques-uns le sens de la transgression, il est int&eacute;ressant de noter cette exp&eacute;rience du rapport au risque qui r&eacute;v&egrave;le une relation &agrave; ses repr&eacute;sentations sociales dans un jeu des acteurs. L&agrave; encore, les simplismes de Kahneman ont omis ces travaux pourtant riches d&rsquo;enseignements. En effet, Monteil t&eacute;moigne d&rsquo;un jeu d&rsquo;acteurs o&ugrave; il y a autant d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts &agrave; transgresser qu&rsquo;&agrave; respecter les r&egrave;gles du groupe&nbsp;; ce qui de nouveau montre qu&rsquo;il n&rsquo;est pas question de biais et encore moins de v&eacute;rit&eacute; absolue, mais de perceptions, d&rsquo;&eacute;motions et de strat&eacute;gies r&eacute;ciproques<a class="footnotecall" href="#ftn26" id="bodyftn26">26</a>. Et il n&rsquo;est pas sans int&eacute;r&ecirc;t de rapporter cela &agrave; l&rsquo;enchainement des paris de Savage dans les alternatives propos&eacute;es par Allais. Comment ne pas s&rsquo;assurer le gain certain sans aucune prise de risque qui expose &agrave; l&rsquo;al&eacute;a du ridicule. En effet, en cas d&rsquo;&eacute;chec, m&ecirc;me si le risque est r&eacute;duit, on se sait exposer au regard d&rsquo;autrui et &agrave; sa critique qui ne manquera pas de stigmatiser l&rsquo;imprudence Quant &agrave; l&rsquo;estime de soi dans cette hypoth&egrave;se, elle sera celle du regret et de la r&eacute;probation alors que le gain certain &eacute;tait &agrave; port&eacute;e de d&eacute;cision. De m&ecirc;me, la prise de risque dans le second pari devient tout &agrave; fait raisonnable et acceptable dans le regard de l&rsquo;autre. A cet &eacute;gard, le protocole d&rsquo;Allais pose un probl&egrave;me d&rsquo;analyse du fait de la probable discontinuit&eacute; logique li&eacute;e &agrave; l&rsquo;organisation de l&rsquo;exercice face &agrave; la continuit&eacute; psychologique inh&eacute;rente &agrave; la succession de ces exercices dont il est impossible de s&rsquo;abstraire. Il est surprenant que Kahneman ne s&rsquo;interroge pas sur le biais de neutralit&eacute; de ces conditions d&rsquo;exp&eacute;riences de laboratoire qui pr&eacute;tendent faire agir en dehors des autres, assumant le biais du postulat de l&rsquo;individualisme qui conduit &agrave; l&rsquo;isolement factice du d&eacute;cideur. Il est l&agrave; victime d&rsquo;une forme de r&eacute;gulation sociale du fait des pairs qui l&rsquo;entourent, faisant abstraction des risques sociaux inh&eacute;rents aux choix observ&eacute;s par des t&eacute;moins. En effet, certains de ces &eacute;conomistes fascin&eacute;s par leur m&eacute;trique en oublient qu&rsquo;ils sont eux-m&ecirc;mes guid&eacute;s par une norme commune, celle de l&rsquo;optimisation des choix dont rien ne prouve qu&rsquo;elle gouverne ou gouvernera effectivement les d&eacute;cideurs et les soci&eacute;t&eacute;s dont les buts outrepassent cette seule exigence&nbsp;: s&eacute;duction ou contre-partie par exemple dans une soci&eacute;t&eacute;.</p> <p class="texte">4. <em>La prise de risque ou instabilit&eacute; sociale </em>r&eacute;sulte du flux des g&eacute;n&eacute;rations qui interagissent pour graduellement occuper des fonctions sociales dites dominantes. M&ecirc;me si l&rsquo;expression de l&rsquo;agr&eacute;gation de cong&eacute;n&egrave;res sous-entend l&agrave; encore chez certains que l&rsquo;id&eacute;ologie de l&rsquo;individualisme prime l&rsquo;observation, celle-ci admet ces jeux d&rsquo;interactions o&ugrave; les babouins n&eacute;gocient ou se disputent des attributions sociales dont ils per&ccedil;oivent que certains en sont les tenants et qu&rsquo;ils pourraient y pr&eacute;tendre. La stabilit&eacute; sociale demeure dans ces attributions avec des &eacute;pisodes revendicatifs et contestataires, performatifs diront certains&nbsp;; o&ugrave; l&rsquo;institution sociale n&rsquo;est pas remise en cause, mais o&ugrave; certains prennent le risque de s&rsquo;opposer &agrave; la domination pour se l&rsquo;accorder. Cette instabilit&eacute; atteste de positions sp&eacute;cifiques, de perceptions vari&eacute;es et d&rsquo;interactions faites d&rsquo;actes de domination et de soumission. Il n&rsquo;y a aucun biais &agrave; la perception contradictoire de la situation sociale par ces babouins qui ont un int&eacute;r&ecirc;t &agrave; d&eacute;fendre ou &agrave; conqu&eacute;rir des positions et dont une dimension tient &agrave; la dynamique du groupe au sein duquel chacun ne peut &eacute;ternellement se pr&eacute;valoir d&rsquo;une position ou s&rsquo;y soumettre.</p> <p class="texte">Ces ph&eacute;nom&egrave;nes de d&eacute;stabilisation du groupe du fait d&rsquo;une remise en cause des r&ocirc;les donn&eacute;s, pris ou re&ccedil;us sont aussi connus des psychologues. La mutinerie n&rsquo;est-elle pas exemplaire de la contestation de l&rsquo;autorit&eacute; face &agrave; un danger le plus souvent mortel qui autorise une mise en balance d&rsquo;un engagement existentiel manifeste&nbsp;: mourir sous le sabre du commandement ou mourir de faim et de soif par exemple. De m&ecirc;me du partage des gains chez les pirates o&ugrave; loin de la loterie, l&rsquo;engagement vital est en cause. A l&rsquo;int&eacute;rieur du groupe mais aussi dans les relations entre groupes, cette instabilit&eacute; op&egrave;re pour disposer d&rsquo;espaces ou de cong&eacute;n&egrave;res par exemple.</p> <p class="texte">Il ressort de ces &eacute;tudes plusieurs enseignements qui rendent tr&egrave;s parcellaires les conclusions de Kahneman. Premi&egrave;rement, outre l&rsquo;obsession du biais, la totalit&eacute; de ces travaux pr&eacute;sument d&rsquo;une monade&nbsp;: l&rsquo;individu, en situation de choix sans engagement existentiel, comme d&eacute;sincarn&eacute; des effets psychologiques et sociaux de ses choix. C&rsquo;est l&agrave; sans doute la preuve d&rsquo;un rationalisme tout &agrave; la fois universaliste et d&eacute;sincarn&eacute;. Il s&rsquo;abstrait des conditions sociales et du jeu des interactions. Pourtant, rien ne prouve qu&rsquo;il existe un comportement normatif de r&eacute;f&eacute;rence pour appr&eacute;cier celui des autres. Ainsi, en privil&eacute;giant la m&eacute;thode de l&rsquo;analyse individuelle des &eacute;conomistes, qui semblent assez largement cons&eacute;cutive de l&rsquo;hypoth&egrave;se de l&rsquo;individualisme m&eacute;thodologique, Kahneman et ces derniers en omettent d&rsquo;autres mani&egrave;res d&rsquo;&eacute;tudier les comportements, se refusant d&rsquo;avoir un autre regard sur leur objet. A cet &eacute;gard, nous partageons la vive critique de Berthoz lorsqu&rsquo;il &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;erreur des &eacute;conomistes est de croire que la d&eacute;cision est un processus secondaire alors qu&rsquo;il est primaire. C&rsquo;est le fondement m&ecirc;me de notre vie, et probablement de notre conscience car &ecirc;tre conscient, c&rsquo;est d&eacute;cider que le monde est ainsi et non autrement et cela est affaire de d&eacute;sir et de croyance et non d&rsquo;utilit&eacute;.&nbsp;&raquo; (2003,&nbsp;287).</p> <p class="texte">Deuxi&egrave;mement, l&rsquo;&eacute;thologie rejoint la psychologie pour attester des particularismes de perception. Et ces &eacute;tudes ont en commun de s&rsquo;&eacute;loigner de la pr&eacute;tendue th&eacute;orie des biais au profit d&rsquo;une reconnaissance des fonctions de ces points de vue. Ils ont alors une utilit&eacute; sociale tout en prouvant au niveau personnel une agilit&eacute; comme l&rsquo;&eacute;voquait d&eacute;j&agrave; Janet<a class="footnotecall" href="#ftn27" id="bodyftn27">27</a>. Voil&agrave; les signes d&rsquo;une alternative &eacute;thologique aux nombreuses incons&eacute;quences de la th&eacute;orie des biais cognitifs.</p> <h2 class="texte" style="font-style:italic;">Conclusion</h2> <p class="texte">Pour conclure, nous indiquions dans l&rsquo;introduction que la th&eacute;orie &eacute;conomique et ses travaux sur la d&eacute;cision avaient une influence sur la d&eacute;cision publique d&egrave;s lors que la gestion budg&eacute;taire est devenue le travail cardinal du politique. La d&eacute;cision politique oriente ainsi les politiques publiques du fait de cette autorit&eacute; &eacute;manant d&rsquo;une pr&eacute;tendue l&eacute;gitimit&eacute; scientifique fond&eacute;e sur la rationalit&eacute; de gestion dont les d&eacute;cisions sont prises &agrave; la lumi&egrave;re d&rsquo;une raison &eacute;clair&eacute;e d&eacute;nu&eacute;e de biais cognitifs. C&rsquo;est cette d&eacute;monstration que nous relativisons grandement ici. Tirons l&agrave; quelques enseignements de notre critique de la th&eacute;orie des biais cognitifs comme de nos propositions quant &agrave; l&rsquo;int&eacute;gration des particularismes de perception.</p> <p class="texte">Un premier enseignement ressort de l&rsquo;enqu&ecirc;te prax&eacute;ologique et &eacute;thologique. La notion m&ecirc;me d&rsquo;utilit&eacute; n&rsquo;est pas r&eacute;ductible &agrave; une acception pragmatique dont les effets sont imm&eacute;diatement mesurables. L&rsquo;action humaine, la connaissance, la d&eacute;cision peuvent se d&eacute;sint&eacute;resser de l&rsquo;imm&eacute;diat au profit du diff&eacute;r&eacute;, du bifurqu&eacute;, de l&rsquo;indirect, du long terme, du pari. Ainsi, l&rsquo;utilit&eacute; est indissociable de l&rsquo;arri&egrave;re-plan d&rsquo;une s&eacute;lection parmi des intentions et des finalit&eacute;s qui vont bien au-del&agrave; du seul enrichissement mat&eacute;riel. Et ces finalit&eacute;s sont-elles m&ecirc;mes corr&eacute;l&eacute;es aux d&eacute;sirs et plaisirs qui iront de la possession au sacrifice. Le babouin dominant affrontera l&rsquo;adversaire au p&eacute;ril de sa vie pour sauver ses cong&eacute;n&egrave;res sans aucune utilit&eacute; pour lui. L&rsquo;&eacute;thologie des groupes vivants montre que les perceptions et les actions ont toutes leurs utilit&eacute;s dans des situations.</p> <p class="texte">Un second enseignement ressort de l&rsquo;&eacute;tude plus psychologique du paradoxe d&rsquo;Allais. Nous en retirons deux perspectives. La premi&egrave;re est &eacute;thique car il est sans doute souhaitable que le savant s&rsquo;interroge sur l&rsquo;extension de ses propres pratiques qui peuvent inspirer celles des pratiques politiques. L&rsquo;affirmation de la sup&eacute;riorit&eacute; de l&rsquo;homme rationnel conduit &agrave; condamner, exclure, r&eacute;-&eacute;duquer, voire &eacute;liminer lors d&rsquo;un passage &agrave; l&rsquo;acte en faveur de la mise en &oelig;uvre de cette construction exclusive de la rationalit&eacute;. Il faut prendre la mesure de l&rsquo;exclusion cons&eacute;cutive de l&rsquo;affirmation des biaiseux. Pour affirmer le biais, il faut de l&rsquo;arrogance, alors que pour composer les perceptions il faut le sens de ses limites. Le lecteur aura compris que nous cultivons cette autre voie. La premi&egrave;re est par construction inductrice d&rsquo;une vue totalitaire dans ses buts, donc morbide et mortif&egrave;re comme nous l&rsquo;avons &eacute;tudi&eacute; pr&eacute;c&eacute;demment<a class="footnotecall" href="#ftn28" id="bodyftn28">28</a>. La seconde est politique du fait de l&rsquo;acceptation des alt&eacute;rit&eacute;s et de la reconnaissance des incompl&eacute;tudes individuelles. Il est simplement d&eacute;sirable que nous organisions toujours le jeu de la pluralit&eacute; pour qu&rsquo;advienne des groupes sociaux au-del&agrave; d&rsquo;agr&eacute;gats. Il nous appartient de d&eacute;velopper solidairement une acuit&eacute; d&rsquo;esprit tentant de regarder les choses sous toutes leurs coutures&nbsp;; en les sachant toujours inaccessibles, ne c&eacute;dant jamais &agrave; la tentation de se croire muni d&rsquo;un pouvoir panoptique. C&rsquo;est aussi une prudence dans la conduite du chercheur. Retenons d&rsquo;Holbein la vanit&eacute; des instruments de mesure et leur promesse tragique. Alors, ce n&rsquo;est pas de biais mais d&rsquo;illusions qu&rsquo;il s&rsquo;agit si nous ne conc&eacute;dons pas que nos finalit&eacute;s sont toujours les moyens d&rsquo;une autre et que le politique est peut-&ecirc;tre l&rsquo;art de la composition des fins, non de leur exclusion.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> Les ambassadeurs, 1533, Hans Holbein, portrait de Jean de Dinteville et Georges de Selve, collection de la National Gallery de Londres. Figure au premier plan une anamorphose en forme d&rsquo;os de seiche qui, en se d&eacute;pla&ccedil;ant sur le c&ocirc;t&eacute;, se r&eacute;v&egrave;le &ecirc;tre un cr&acirc;ne exprimant &agrave; cette &eacute;poque la vanit&eacute; humaine&nbsp;; portant alors sur le tableau un regard biais&eacute; dont l&rsquo;oblique rasante rend alors incompatible l&rsquo;observation du cr&acirc;ne et la perception des deux ambassadeurs. (Document p&eacute;dagogique en libre acc&egrave;s&nbsp;: SlidePlayer.fr/slide/2449192/)<br /> <img alt="Image 1000000000000115000000C9F075836F.jpg" src="docannexe/image/3828/img-1.jpg" /></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> Le terme a &eacute;t&eacute; introduit dans les ann&eacute;es&nbsp;70 par Kahneman (1934) et Tversky (1937-1996) dans l&rsquo;analyse des d&eacute;cisions irrationnelles. Ces auteurs remettent en cause la th&eacute;orie de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e du fait de leur d&eacute;marche exp&eacute;rimentale en mati&egrave;re d&rsquo;&eacute;conomie et de finance comportementale d&rsquo;o&ugrave; se d&eacute;gage leur th&eacute;orie des perspectives puis leurs conclusions sur les biais cognitifs.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn3" id="ftn3">3</a> Maurice Merleau-Ponty&nbsp;(1908-1961) consacre toute une partie de son ouvrage <em>Le visible et l&rsquo;invisible</em> en 1964 &agrave; la science et sa foi perceptive. Il souligne que&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le psychologue &agrave; son tour s&rsquo;installe dans la position du spectateur absolu. Comme l&rsquo;investigation de l&rsquo;objet ext&eacute;rieur, celle du &laquo;&nbsp;psychique&nbsp;&raquo; ne progresse d&rsquo;abord qu&rsquo;en se mettant elle-m&ecirc;me hors du jeu des relativit&eacute;s qu&rsquo;elle d&eacute;couvre, en sous-entendant un sujet absolu devant lequel se d&eacute;ploie le psychisme en g&eacute;n&eacute;ral&nbsp;[&hellip;] Mais, comme en physique aussi, un moment vient o&ugrave; le d&eacute;veloppement m&ecirc;me du savoir remet en question le spectateur absolu toujours suppos&eacute;. Apr&egrave;s tout, ce physicien dont je parle et &agrave; qui j&rsquo;attribue un syst&egrave;me de r&eacute;f&eacute;rence, c&rsquo;est aussi le physicien qui parle. Apr&egrave;s tout, ce psychisme dont parle le psychologue, c&rsquo;est aussi le sien. Cette physique du physicien, cette psychologie du psychologue, annoncent que d&eacute;sormais, pour la science m&ecirc;me, l&rsquo;&ecirc;tre-objet ne peut plus &ecirc;tre l&rsquo;&ecirc;tre-m&ecirc;me&nbsp;: &laquo;&nbsp;objectif&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;subjectif&nbsp;&raquo; sont reconnus comme deux ordres construits h&acirc;tivement &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;une exp&eacute;rience totale dont il faudrait, en toute clart&eacute;, restituer le contexte.&nbsp;&raquo; (1964,&nbsp;37)&nbsp;Il en conclut que&nbsp;: &laquo;&nbsp;D&egrave;s qu&rsquo;on cesse de penser la perception comme l&rsquo;action du pur objet physique sur le corps humain et le per&ccedil;u comme le r&eacute;sultat &laquo;&nbsp;int&eacute;rieur&nbsp;&raquo; de cette action, il semble que toute distinction du vrai et du faux, du savoir m&eacute;thodique et des fantasmes, de la science et de l&rsquo;imagination, soit ruin&eacute;e.&nbsp;&raquo; (1964,&nbsp;45). De m&ecirc;me concernant le langage, il &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;algorithme, le projet d&rsquo;une langue universelle, c&rsquo;est la r&eacute;volte contre le langage donn&eacute;. On ne veut pas d&eacute;pendre de ses confusions, on veut le refaire &agrave; la mesure de la v&eacute;rit&eacute;, le red&eacute;finir selon la pens&eacute;e de Dieu, recommencer &agrave; z&eacute;ro l&rsquo;histoire de la parole, ou plut&ocirc;t arracher la parole &agrave; l&rsquo;histoire.&nbsp;&raquo; (1969,&nbsp;10).</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn4" id="ftn4">4</a> Le r&eacute;f&eacute;rentiel quelque peu scientiste des auteurs est pos&eacute; par Kahneman d&egrave;s l&rsquo;introduction&nbsp;: &laquo;&nbsp;nous avons pass&eacute; des journ&eacute;es enti&egrave;res &agrave; concevoir des probl&egrave;mes et &agrave; examiner si nos pr&eacute;f&eacute;rences intuitives correspondaient &agrave; la logique du choix.&nbsp;&raquo; (2012,&nbsp;17). La logique du choix affirme bien l&rsquo;existence de la r&eacute;f&eacute;rence non-biais&eacute;e.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn5" id="ftn5">5</a> La th&eacute;orie de l&rsquo;utilit&eacute; esp&eacute;r&eacute;e a &eacute;t&eacute; d&eacute;velopp&eacute;e par Von Neumann&nbsp;(1903-1957) et Morgenstern&nbsp;(1902-1977) dans leur &oelig;uvre majeure de 1944&nbsp;: <em>Theory of Games and Economic Behavior</em>. Elle pr&eacute;dit le comportement des joueurs dans des jeux dit non-coop&eacute;ratifs.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn6" id="ftn6">6</a> Il s&rsquo;agit des travaux r&eacute;unis dans <em>Judgment Under Uncertainly:Heuristics and Biases</em>, de Kahneman, Slovic et Tversky. A noter qu&rsquo;heuristique dans son acception psychologique d&eacute;finit un comportement rapide et intuitif qui fait l&rsquo;&eacute;conomie d&rsquo;un inventaire exhaustif. Dans son sens math&eacute;matique et ses applications informatiques, il s&rsquo;agit d&rsquo;une m&eacute;thode produisant rapidement une solution. Le math&eacute;maticien sp&eacute;cialiste des analyses combinatoires George Polya (1887-1985), par ailleurs linguiste et philosophe, formalise la m&eacute;thode heuristique &eacute;non&ccedil;ant que le probl&egrave;me pos&eacute; est connu, d&eacute;composable en probl&egrave;mes simples plus &eacute;l&eacute;mentaires d&eacute;j&agrave; r&eacute;solus donc traitables. Dans une sens plus &eacute;conomique, l&rsquo;&eacute;conomiste Herbert Simon (1916-2001) est &agrave; l&rsquo;origine de la notion de rationalit&eacute; limit&eacute;e exprim&eacute;e d&egrave;s 1955 pour d&eacute;crire un processus de d&eacute;cision &eacute;conome de temps et d&rsquo;investissement, soit rapide et non-exhaustif pour effectuer un choix pertinent par approximation et enseignements des exp&eacute;riences ant&eacute;rieures.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn7" id="ftn7">7</a> Stanislas Dehaene (1965), psychologue cognitiviste, critique les m&eacute;thodes exp&eacute;rimentales par trop rudimentaires des psychologues qui n&rsquo;int&egrave;grent pas la complexit&eacute;, l&rsquo;analyse syst&eacute;mique et le recours &agrave; plusieurs champs disciplinaire&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;L&rsquo;activit&eacute; mentale autonome, trop souvent n&eacute;glig&eacute;e, doit donc redevenir un objet d&rsquo;&eacute;tude pour la psychologie cognitive. Nos exp&eacute;riences brident souvent les participants dans des t&acirc;ches cognitives tr&egrave;s &eacute;troites. Si l&rsquo;on esp&egrave;re comprendre le flux spontan&eacute; de la conscience, de nouvelle m&eacute;thodes exp&eacute;rimentales, qi laisseraient une bien plus grande libert&eacute; au sujet, devront &ecirc;tre imagin&eacute;es&nbsp;&raquo; (2006, 70)&nbsp;; soit tout l&rsquo;inverse des pratiques de Kahneman.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn8" id="ftn8">8</a> Paul Samuelson (1915-2009), &eacute;conomiste, prix Nobel d&rsquo;&eacute;conomie 1970, il contribue &agrave; l&rsquo;essor d&rsquo;une &eacute;conomie math&eacute;matique inspir&eacute;e par la physique. Le syst&egrave;me &eacute;conomique &agrave; l&rsquo;instar d&rsquo;un syst&egrave;me physique s&rsquo;&eacute;tudie pour en manifester les structures dans des mod&egrave;les qui clarifient les conditions d&rsquo;&eacute;quilibre et de stabilit&eacute;. Il formalise la m&eacute;thode de statique comparative o&ugrave; s&rsquo;examine de mani&egrave;re qualitative une variation des choix cons&eacute;cutive d&rsquo;une modification d&rsquo;une variable&nbsp;: par exemple le prix. Les changements de valeur permettent de corr&eacute;ler &agrave; d&rsquo;autres variations d&rsquo;autres facteurs&nbsp;: par exemple la consommation.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn9" id="ftn9">9</a> L&rsquo;&eacute;conomiste et philosophe de l&rsquo;&eacute;conomie Mongin&nbsp;(1950) rappelle &agrave; ce sujet&nbsp;: &laquo;&nbsp;les agents peuvent douter que les tirages successifs des loteries r&eacute;alisent l&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;ind&eacute;pendance stochastique qui justifie de calculer multiplicativement les probabilit&eacute;s compos&eacute;es. Dans certains cas, ces doutes seront fond&eacute;s, car les ph&eacute;nom&egrave;nes al&eacute;atoires qui sous-tendent les loteries peuvent &ecirc;tre li&eacute;s par des causes communes.&nbsp;&raquo; (2014, 756).</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn10" id="ftn10">10</a> Dehaene explique que &laquo;&nbsp;chaque d&eacute;cision r&eacute;sulte d&rsquo;une accumulation stochastique, dont la pente d&eacute;pend de la qualit&eacute; des donn&eacute;es perceptives ou cognitives utilis&eacute;es dans la t&acirc;che, et qui se poursuit jusqu&rsquo;&agrave; atteindre l&rsquo;un de deux seuils de r&eacute;ponse. Le mod&egrave;le explique la variabilit&eacute; des r&eacute;ponses d&rsquo;un essai &agrave; l&rsquo;autre, et pr&eacute;dit correctement la forme de la distribution des temps de r&eacute;ponse dans de nombreuses t&acirc;ches cognitives simples.&nbsp;&raquo; (2006, 39)&nbsp;; faisant r&eacute;f&eacute;rence &agrave; ces travaux sur la mod&eacute;lisation d&rsquo;une prise de d&eacute;cision &eacute;l&eacute;mentaire par une marche al&eacute;atoire.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn11" id="ftn11">11</a> Hannah Arendt (1906-1944) &eacute;crit &agrave; propos de l&rsquo;analyse &eacute;conomique&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;&eacute;conomie ne put prendre un caract&egrave;re scientifique que lorsque les hommes furent devenus des &ecirc;tres sociaux et suivirent unanimement certaines normes de comportement, ceux qui &eacute;chappaient &agrave; la r&egrave;gle pouvant passer pour asociaux ou anormaux.&nbsp;&raquo; (1983, 81). Comme le rappelle aussi le neurophysiologiste Alain Berthoz (1939), acad&eacute;micien des sciences et professeur au Coll&egrave;ge de France&nbsp;: &laquo;&nbsp;la d&eacute;cision n&rsquo;est pas seulement calcul d&rsquo;une utilit&eacute;, pari sur une probabilit&eacute;. Elle est pr&eacute;diction v&eacute;cue par un esprit incarn&eacute; dans un corps sensible. Elle est le r&eacute;sultat d&rsquo;une hi&eacute;rarchie de multiples m&eacute;canismes embo&icirc;t&eacute;.&nbsp;&raquo; (2003, 77).</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn12" id="ftn12">12</a> Daniel Bernouilli&nbsp;(1700-1782), m&eacute;decin et math&eacute;maticien. Il est l&rsquo;auteur du th&eacute;or&egrave;me qui porte son nom en m&eacute;canique des fluides. Il publie la <em>Th&eacute;orie sur la mesure du risque</em> en 1738 o&ugrave; il &eacute;nonce le paradoxe de Saint P&eacute;tersbourg. Il formalise le rapport entre risque et rendement qui traduit une forme d&rsquo;aversion au risque dont la r&eacute;mun&eacute;ration doit &ecirc;tre plus grande.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn13" id="ftn13">13</a> Hilary Putnam&nbsp;(1926-2016) qui enseigna la logique math&eacute;matique &agrave; Harvard nous dit que&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;m&ecirc;me la notion impr&eacute;dicative d&rsquo;ensemble admet des &eacute;quivalents vari&eacute;s&nbsp;: par exemple, au lieu d&rsquo;identifier, comme je l&rsquo;ai fait, les fonctions avec certains ensembles, j&rsquo;aurais pu identifier des ensembles avec certaines fonctions. Mon opinion personnelle est qu&rsquo;aucune de ces approches ne saurait &ecirc;tre regard&eacute;e comme plus &laquo;&nbsp;vraie&nbsp;&raquo; qu&rsquo;une autre&nbsp;; le royaume des faits math&eacute;matiques admet de multiple &laquo;&nbsp;descriptions &eacute;quivalentes&nbsp;&raquo;.&nbsp;&raquo; (1996, 70).</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn14" id="ftn14">14</a> Kahneman fait fi de la d&eacute;cision comme s&eacute;lection. A ce sujet, Berthoz rappelle que&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;nous disposons d&rsquo;un r&eacute;pertoire de comportements bien d&eacute;finis. La d&eacute;cision est donc d&rsquo;abord s&eacute;lection de comportements d&eacute;j&agrave; pr&eacute;sents. Bien s&ucirc;r, ces comportements peuvent avoir &eacute;t&eacute; appris ou appartenir au r&eacute;pertoire g&eacute;n&eacute;tique de l&rsquo;esp&egrave;ce.&nbsp;&raquo; (2003, 120). Il explique que &laquo;&nbsp;les th&eacute;oriciens ont pris le probl&egrave;me &agrave; l&rsquo;envers. Ils sont partis de l&rsquo;id&eacute;e que la d&eacute;cision est un processus g&eacute;n&eacute;ral, abstrait, qui ob&eacute;it &agrave; des r&egrave;gles formelles, d&eacute;sincarn&eacute;es, et ils ont ensuite essay&eacute; de trouver toutes les exceptions &agrave; ces r&egrave;gles g&eacute;n&eacute;rales et formelles, pour constater en fin de compte que la d&eacute;cision d&eacute;pendait de la t&acirc;che, du contexte, du cadre, du corps, etc. Or, l&rsquo;observation de la nature et des animaux nous enseigne d&rsquo;embl&eacute;e que la d&eacute;cision est construite en fonction des actions possibles pour une esp&egrave;ce donn&eacute;e dans un contexte donn&eacute;. Une th&eacute;orie de la d&eacute;cision devra donc partir de ce fait&nbsp;: le monde est construit par l&rsquo;animal en fonction de ses buts et de la fa&ccedil;on dont il peut y survivre.&nbsp;&raquo; (2003, 121).</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn15" id="ftn15">15</a> Maurice Allais (1911-2010), &eacute;conomiste, prix Nobel 1983, sp&eacute;cialiste de la monnaie, est connu pour son paradoxe et son argumentation contre le consensus de Washington et les perspectives de la mondialisation.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn16" id="ftn16">16</a> Outre les travaux de MacCrimmon de 1968, il faut noter ceux de Moskowitz en 1974 et ceux de Slovic et Tversky. En 1979, ceux de Kahneman et Tversky puis de nouveau ceux de MacCrimmon et Larsson en 1979.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn17" id="ftn17">17</a> Nous invitons le lecteur &agrave; lire le brillant article tr&egrave;s synth&eacute;tique de Patras <em>Enjeux et limites des mod&egrave;les</em> publi&eacute; dans le n&deg;&nbsp;33 des cahiers de psychologie politique o&ugrave; celui-ci rappelle&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Ce que l&#39;on qualifiera ici de &laquo;&nbsp;risque pythagoricien&nbsp;&raquo; tient &agrave; la g&eacute;n&eacute;ralisation abusive et la d&eacute;contextualisation de certaines modalit&eacute;s math&eacute;matiques de connaissance et d&#39;acquisition d&#39;emprise sur le monde. De ce qu&#39;il est possible de quantifier tel ou tel ph&eacute;nom&egrave;ne et d&#39;acc&eacute;der par-l&agrave; &agrave; une forme authentique, profonde et scientifique de connaissance, il ne faut pas se h&acirc;ter de conclure, ni que toute connaissance serait n&eacute;cessairement de cette forme, ni que toute quantification donne acc&egrave;s &agrave; l&#39;&ecirc;tre des choses -sans m&ecirc;me que soit pos&eacute;e la question de sa pertinence et de son domaine de validit&eacute;.&nbsp;&raquo; Il prolonge en ces termes&nbsp;: &laquo;&nbsp;Une telle utilisation de paradigmes math&eacute;matiques et techniques au-del&agrave; de leur domaine de l&eacute;gitimit&eacute;&nbsp;; la confiance qui est accord&eacute;e &agrave; des mod&egrave;les et les mesures qui en sont issues, dont on ne questionne pas la validit&eacute;, soit du fait de difficult&eacute;s techniques ou conceptuelles, soit par le simple jeu de l&#39;inertie et de l&#39;habitude&nbsp;: il s&#39;agit l&agrave; de situations au fond assez classiques, dont seule la r&eacute;p&eacute;tition peut surprendre.&nbsp;&raquo; Il est donc bien incertain que les math&eacute;matiques puissent servir de r&eacute;f&eacute;rent absolu &agrave; la v&eacute;rit&eacute; scientifique.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn18" id="ftn18">18</a> Gunnar Skirbekk (1937), philosophe enseignant &agrave; l&rsquo;universit&eacute; de Bergen, membre de la soci&eacute;t&eacute; royale norv&eacute;gienne des sciences et des lettres, il est l&rsquo;auteur d&rsquo;une &oelig;uvre consid&eacute;rable sur la modernit&eacute;, la rationalit&eacute; et la prax&eacute;ologie dont tout particuli&egrave;rement&nbsp;: <em>Une prax&eacute;ologie de la modernit&eacute;</em> et <em>Rationalit&eacute; et modernit&eacute;.</em></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn19" id="ftn19">19</a> Les sch&eacute;mas pr&eacute;sent&eacute;s par Kahnmeman sont les suivants&nbsp;:<br /> <img alt="Image 10000000000000580000003EAC46EAC0.jpg" src="docannexe/image/3828/img-2.jpg" /><img alt="Image 100000000000006B00000091C16DD991.jpg" src="docannexe/image/3828/img-3.jpg" /><br /> Au lieu d&rsquo;opposer une v&eacute;rit&eacute; partielle &agrave; l&rsquo;illusion de la perception, Berthoz explique plus prudemment&nbsp;: &laquo;&nbsp;les illusions sont des solutions&nbsp;; je voudrais ajouter ici que ces solutions, qui l&egrave;vent les ambigu&iuml;t&eacute;s, sont en r&eacute;alit&eacute; des d&eacute;cisions, des jugements, que prend le cerveau et dont il convient de comprendre les bases neurales. Ainsi la fameuse illusion des cylindres est sans doute aussi une d&eacute;cision que prend le cerveau pour r&eacute;soudre la comp&eacute;tition introduite par la perspective.&nbsp;&raquo; (2003,&nbsp;200). Les cylindres remplacent les silhouettes dans l&rsquo;exemple de Berthoz et il souligne que les deux r&eacute;ponses sont justes. L&rsquo;une fait pr&eacute;valoir l&rsquo;effet de la perspective, l&rsquo;autre fait pr&eacute;valoir la mesure effective des formes.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn20" id="ftn20">20</a> Berthoz pr&eacute;cise tr&egrave;s justement que les sens constituent un ensemble au service, entre autre, d&rsquo;une pratique corporelle&nbsp;: &laquo;&nbsp;Nous n&#39;avons pas que cinq sens. En plus des capteurs de la vision, de l&#39;audition, du toucher, du go&ucirc;t et de l&#39;olfaction nous avons aussi des capteurs qui d&eacute;tectent le mouvement. Chacun de ces sens &agrave; lui seul ne peut pas mesurer le mouvement, c&#39;est la coop&eacute;ration de tous ces sens qui constitue le sixi&egrave;me sens&nbsp;: le sens du mouvement. Le cerveau doit, &agrave; partir de ces sens, reconstruire une perception unique et coh&eacute;rente des relations de notre corps et de l&#39;espace.&nbsp;&raquo; (7 f&eacute;vrier 2000, conf&eacute;rence disponible en ligne&nbsp;: <a href="http://www.canal-u.tv/?redirectVideo=863">http://www.canal-u.tv/?redirectVideo=863</a></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn21" id="ftn21">21</a> Michel de Certeau (1925-1986), philosophe, &eacute;pist&eacute;mologue et th&eacute;ologien, il s&rsquo;&eacute;tonne encore de la permanence de l&rsquo;atomisme&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;atomisme social qui, pendant trois si&egrave;cles, a servi de postulat historique &agrave; une analyse de la soci&eacute;t&eacute; suppose une unit&eacute; &eacute;l&eacute;mentaire, l&rsquo;individu, &agrave; partir de laquelle se composeraient des groupes et &agrave; laquelle il serait toujours possible de les ramener. R&eacute;cus&eacute; par plus d&rsquo;un si&egrave;cle de recherches sociologiques, &eacute;conomiques, anthropologiques ou psychanalytiques (mais en histoire, est-ce un argument&nbsp;?), pareil postulat est hors du champ de cette &eacute;tude.&nbsp;&raquo; (1990,&nbsp;XXXV). Mais il en explique un peu plus loin l&rsquo;origine&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le lib&eacute;ralisme a pour unit&eacute; de base l&rsquo;individu abstrait et il r&egrave;gle tous les &eacute;changes entre ces unit&eacute;s sur le code de l&rsquo;&eacute;quivalence g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;e qu&rsquo;est la monnaie.&nbsp;&raquo; (1990,&nbsp;47).</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn22" id="ftn22">22</a> Berthoz &eacute;tudie la d&eacute;cision sous l&rsquo;angle des sciences cognitives et de la psychologie des &eacute;motions. Il souligne les manques d&rsquo;un travail obtus obnubil&eacute; par l&rsquo;analyse formelle et isol&eacute;e de la d&eacute;cision&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Je cherche aussi &agrave; montrer ici que les th&eacute;ories de la d&eacute;cision fond&eacute;es sur la notion de &laquo;&nbsp;repr&eacute;sentation&nbsp;&raquo; ou d&rsquo;&eacute;laboration des d&eacute;cisions &agrave; partir de r&egrave;gles formelles doivent &ecirc;tre compl&eacute;t&eacute;es, sinon remplac&eacute;es, par une th&eacute;orie fond&eacute;e sur la notion d&rsquo;acte ou d&rsquo;action.&nbsp;&raquo; (2003, 80), ce qui nous ram&egrave;ne &agrave; la prax&eacute;ologie d&rsquo;une part et &agrave; l&rsquo;&eacute;thologie d&rsquo;autre part.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn23" id="ftn23">23</a> Erwing Goffman (1922-1982), sociologue et linguiste de la 2<sup>e</sup> &eacute;cole de Chicago m&egrave;ne un travail sur les interactions sociales, d&eacute;veloppant plusieurs concepts&nbsp;dont l&rsquo;institution totale, la pr&eacute;sentation de soi, la stigmatisation ou encore la ritualisation. Il fait siennes des m&eacute;thodes de recherche et des concepts issus de l&rsquo;&eacute;thologie dont sa r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre majeure de Julian Huxley (1887-1975) <em>Le comportement rituel chez l&rsquo;homme et l&rsquo;animal</em> publi&eacute; en 1971.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn24" id="ftn24">24</a> Nous nous r&eacute;f&eacute;rons ici aux travaux de Dorothy Cheney et Robert Seyfarth, biologiste et psychologue du d&eacute;partement de biologie et psychologie de l&rsquo;universit&eacute; de Pennsylvanie, sp&eacute;cialistes de l&rsquo;&eacute;tude de la socialit&eacute; des primates et ceux plus anciens de Craig Packer sur les coop&eacute;rations r&eacute;ciproques entre non-apparent&eacute;s.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn25" id="ftn25">25</a> La d&eacute;finition du groupe se distingue d&rsquo;un agr&eacute;gat d&rsquo;&eacute;gaux. Il est irr&eacute;ductible &agrave; ce simple ensemble consid&eacute;r&eacute; comme une collection sans architecture particuli&egrave;re, parce qu&rsquo;il y a plusieurs rangs distincts, des fonctions sp&eacute;cifiques, des r&egrave;gles et des buts connus des membres&nbsp;; ce qui conf&egrave;re une originalit&eacute; de point de vue &agrave; ses travaux entre psychologie et sociologie. Et les relations &agrave; &eacute;tudier ne se limitent pas &agrave; celles des membres au sein du groupe car il existe des interactions d&rsquo;un autre ordre entre les groupes constitu&eacute;s, soit une dimension sociale inh&eacute;rente aux relations intergroupes. Pour ce qui est des fonctions, Meredith Belbin&nbsp;(1926), psychosociologue sp&eacute;cialiste des &eacute;quipes a fait un inventaire des comportements en &eacute;tudiant les r&ocirc;les en &eacute;quipe. Il explique que&nbsp;: &laquo;&nbsp;les comportements que les gens adoptent se d&eacute;clinent &agrave; l&rsquo;infini, mais la gamme des comportements utiles, qui contribuent effectivement &agrave; la r&eacute;ussite de l&rsquo;&eacute;quipe, est en revanche limit&eacute;e. Ces comportements peuvent &ecirc;tre rassembl&eacute;s en un nombre d&eacute;fini de groupes, qui nous avons appel&eacute; les &laquo;&nbsp;r&ocirc;les en &eacute;quipe&nbsp;&raquo;&nbsp;: concepteur, priseur, expert (r&ocirc;les r&eacute;flexifs), organisateur, propulseur, perfectionneur (r&ocirc;les actifs), coordinateur, promoteur, soutien (r&ocirc;les relationnels).&nbsp;&raquo; (2006,&nbsp;45).</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn26" id="ftn26">26</a> Jean-Marc Monteil&nbsp;(1947), psychologue sp&eacute;cialiste de la m&eacute;moire et des r&eacute;gulations des comportements et des performances cognitives rend compte de cette ambivalence de ce rapport au regard des autres pour justifier la conformit&eacute; ou la transgression des normes du groupe. Il &eacute;tudie l&rsquo;exemple du respect des consignes de l&rsquo;entraineur pour lui &ecirc;tre fid&egrave;le, loyal et agr&eacute;able, pensant qu&rsquo;il sera sensible &agrave; ce conformisme auquel s&rsquo;oppose la transgression ou la prise d&rsquo;initiative inconsid&eacute;r&eacute;e afin de prouver sa valeur et de d&eacute;montrer &agrave; l&rsquo;entra&icirc;neur son caract&egrave;re. Les deux attitudes inversent le sens de la prise de risque et plus encore la croyance en la repr&eacute;sentation que l&rsquo;autre s&rsquo;en fera, avec l&rsquo;enjeu du renforcement de la relation. Ces exemples t&eacute;moignent de l&rsquo;extr&ecirc;me limite des cas &eacute;conomiques de Kahneman qui n&rsquo;int&egrave;grent jamais l&rsquo;interaction sociale ou les jeux d&rsquo;acteur &agrave; d&eacute;cisions multiples et encore moins l&rsquo;int&eacute;riorisation du regard de l&rsquo;autre et de l&rsquo;estime de soi en cas de succ&egrave;s ou d&rsquo;&eacute;chec.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn27" id="ftn27">27</a> Pierre Janet&nbsp;(1859-1947), philosophe, psychologue et m&eacute;decin indique &agrave; propos de la pluralit&eacute; des points de vue&nbsp;: &laquo;&nbsp;Suivant le point de vue o&ugrave; nous nous pla&ccedil;ons, nous voyons les choses d&rsquo;une mani&egrave;re ou d&rsquo;une autre. Nous apprenons aussi &agrave; changer notre point de vue suivant la position que nous prenons ou que nous imaginons prendre.&nbsp;&raquo; (1935,&nbsp;173).</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn28" id="ftn28">28</a> Nous invitons le lecteur &agrave; lire notre article <em>La raison totalitaire et morbide</em> publi&eacute; dans le n&deg;&nbsp;33 des Cahiers de psychologie politique. <a href="http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=3674">http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=3674</a></p> <p class="bibliographie">Allais, Maurice, <em>Le comportement de l&rsquo;homme rationnel devant le risque&nbsp;: critiques des postulats et axiomes de l&rsquo;&eacute;cole am&eacute;ricaine</em>, 1953, Revue Econometrica, vol.&nbsp;21, n&deg;&nbsp;4, p.&nbsp;503-546</p> <p class="bibliographie">Arendt, Hannah, <em>Condition de l&rsquo;homme moderne</em>, 1983, Paris, Editions Calmann-L&eacute;vy.</p> <p class="bibliographie">Aubert, Jean-Eric et Landrieu, Jos&eacute;, <em>Vers des civilisations mondialis&eacute;es, de l&rsquo;&eacute;thologie &agrave; la prospective</em>, 2004, Paris, Editions de l&rsquo;Aube.</p> <p class="bibliographie">Baumol William J &amp; Golfeld, Stephen, <em>Precursors in Mathematical Economics: an Anthology</em>, 1968, Londres, The London School of Economics and Political Science.</p> <p class="bibliographie">Belbin, Meredith, <em>Les r&ocirc;les en &eacute;quipe</em>, 2006, Paris, Editons Eyrolles.</p> <p class="bibliographie">Berthoz, Alain, <em>Le sens du mouvement</em>, 1997, Paris, Editions Odile Jacob.</p> <p class="bibliographie">Berthoz, Alain, <em>La d&eacute;cision</em>, 2003, Paris, Editions Odile Jacob.</p> <p class="bibliographie">Certeau, Michel de, <em>L&rsquo;invention du quotidien</em>, 1990, Paris, Editions Gallimard.</p> <p class="bibliographie">Cheney, Dorothy et Seyfartg, Robert, <em>How monkeys see the world: inside the mind of another species</em>, 1990, Chicago, University of Chicago Press.</p> <p class="bibliographie">Conein, Bernard, Ethologie et sociologie. <em>Contribution de l&#39;&eacute;thologie &agrave; la th&eacute;orie de l&#39;interaction sociale</em>, 1992, in Revue fran&ccedil;aise de sociologie, n&deg;&nbsp;33-1. P.87-104</p> <p class="bibliographie">Gollier, Christian, Hilton, Denis et Raufaste, Eric, <em>Daniel Kahneman et l&rsquo;analyse de la d&eacute;cision face au risque</em>, 2003, revue d&rsquo;&eacute;conomie politique, vol.&nbsp;113, p.&nbsp;295-307.</p> <p class="bibliographie">Dehaene, Stanislas, <em>Vers une science de la vie mentale</em>, 27 avril 2006, Le&ccedil;on inaugurale au Coll&egrave;ge de France.</p> <p class="bibliographie">Goffman, Erwing, <em>La mise en sc&egrave;ne de la vie quotidienne</em>, 1973, Paris, Les &eacute;ditions de Minuit.</p> <p class="bibliographie">Goffman, Erwing, <em>Les rites d&rsquo;interactions</em>, 1974, Paris, Les &eacute;ditions de Minuit.</p> <p class="bibliographie">Janet, Pierre, <em>Les d&eacute;buts de l&rsquo;intelligence</em>, 1935, Paris, Editions Flammarion.</p> <p class="bibliographie">Kahneman, Daniel, <em>Syst&egrave;me&nbsp;1&nbsp;/&nbsp;Syst&egrave;me&nbsp;2&nbsp;: les deux vitesses de la pens&eacute;e</em>, 2012, Paris, Editions Flammarion.</p> <p class="bibliographie">Kahneman, Daniel &amp; Tversky, Amos, <em>Prospect Theory: An Analysis of Decisions Under Risk</em>, 1979, Econometrica, vol.&nbsp;47, n&deg;&nbsp;2, p.&nbsp;313-327.</p> <p class="bibliographie">Kahneman, Daniel &amp; Tversky, Amos, <em>Choices, Values and Frames</em>,<em> </em>1984, American Psychologist, n&deg;&nbsp;39, p.&nbsp;341-350.</p> <p class="bibliographie">Kahneman, Daniel, Slovic, Paul &amp; Tversky, Amos, <em>Judgment Under Uncertainty: Heuristics and Biases</em>, 1982, Cambridge, Cambridge University Press.</p> <p class="bibliographie">Kahneman, Daniel &amp; Tversky, Amos, <em>On the Psychology of Prediction</em>, 1973, Psychological Review, vol.&nbsp;80, p.&nbsp;237-251.</p> <p class="bibliographie">Kahneman, Daniel &amp; Tversky, Amos, <em>Subjective Probability: A Judgement of Representativeness</em>, 1972, Cognitive Psychology, n&deg;&nbsp;3, p.&nbsp;430-454.</p> <p class="bibliographie">Laplace, Pierre-Simon de, <em>Th&eacute;orie analytique des probabilit&eacute;s</em>, 1812, Paris, Librairie Courcier.</p> <p class="bibliographie">Maccrimmon, Kenneth et Larsson, Stig , <em>Utility Theory&nbsp;: Axioms versus &ldquo;Paradoxes&rdquo;</em>, 1979, in Allais et Hagen, p.&nbsp;333-409.</p> <p class="bibliographie">Martinez, Fr&eacute;d&eacute;ric, <em>L&rsquo;individu face au risque&nbsp;: l&rsquo;apport de Kahneman et Tversky</em>, 2010, Revue Id&eacute;es &eacute;conomiques et sociales n&deg;&nbsp;161, p.&nbsp;15-23.</p> <p class="bibliographie">Merleau-Ponty, Maurice, <em>Le visible et l&rsquo;invisible</em>, 1964, Paris, Editions Gallimard.</p> <p class="bibliographie">Merleau-Ponty, Maurice, <em>La prose du monde</em>, 1969, Paris, Editions Gallimard.</p> <p class="bibliographie">Mongin, Philippe, <em>Le paradoxe d&rsquo;Allais</em>, 2014, Revue &eacute;conomique, vol.&nbsp;65, p.&nbsp;743-779, Paris, Presses de Sciences Po.</p> <p class="bibliographie">Monteil, Jean-Marc, <em>Eduquer et former&nbsp;: perspectives psychosociales</em>, 1989, Grenoble, PUG.</p> <p class="bibliographie">Oberle, Dominique , <em>Le groupe en psychologie sociale</em>, 1990, Paris, Editions Dunod.</p> <p class="bibliographie">Packer, Craig, <em>The reciprocal altruism in olive baboons</em>, 1977, Revue Nature, Volume 265, p.&nbsp;441-443.</p> <p class="bibliographie">Putnam, Hilary, <em>Philosophie de la logique</em>, 1996, Paris, Editions de l&rsquo;Eclat.</p> <p class="bibliographie">Popper, Karl, <em>La logique de la d&eacute;couverte scientifique</em>, 1984, Paris, Editions Payot.</p> <p class="bibliographie">Ramsey, Frank, <em>Truth and probability</em>, 1931, Londres, The Foundations of Mathematics and other Logical Essays, Editions. R.B. Braithwaite, Routledge &amp; Kegan Paul Ltd.</p> <p class="bibliographie">Samuelson, Paul, Les fondements de l&rsquo;analyse &eacute;conomique.</p> <p class="bibliographie">Sherif, Muzaref, <em>Intergroup relations and leadership</em>, 1962, New York, Editions John Wiley &amp; Sons.</p> <p class="bibliographie">Skirbekk, Gunnar, Une prax&eacute;ologie de la modernit&eacute;. Universalit&eacute; et contextualit&eacute; de la raison discursive, 1999, Paris, Editions L&rsquo;Harmattan.</p> <p class="bibliographie">Sturm, Shirley &amp; Latour, Bruno, <em>The Meanings of Social&nbsp;: from Baboons to Humans</em>, <em>Red&eacute;finir le lien social&nbsp;: des babouins aux humains</em>, 1987, Social Science Information n&deg;&nbsp;26, p.&nbsp;783-802, traduction Catherine R&eacute;my.</p>