<p><strong>SOMMAIRE</strong></p> <p><strong>Introduction</strong></p> <p><strong>Retour sur deux cat&eacute;gories fondamentales de la sociologie pour comprendre les nouvelles formes sp&eacute;cifiques du lien social&nbsp;: communaut&eacute; et soci&eacute;t&eacute;</strong></p> <p>D&eacute;finitions crois&eacute;es de la communaut&eacute; et de la soci&eacute;t&eacute;</p> <p>La compr&eacute;hension des formes sociales est avant tout axiologique</p> <p>Les &eacute;cueils de la soci&eacute;t&eacute; moderne</p> <p>La n&eacute;cessit&eacute; de repenser le social</p> <p><strong>Comprendre l&rsquo;opportunit&eacute; de nouvelles formes sociales aujourd&rsquo;hui</strong></p> <p>Postmodernit&eacute; et hypermodernit&eacute;&nbsp;: entre exigence de transformation sociale et exacerbation de l&rsquo;individualisme</p> <p>Repenser le lien social dans l&rsquo;entreprise&nbsp;: entre nouveaux collectifs et nouvelles communaut&eacute;s de travail</p> <p>Caract&eacute;ristiques de la &laquo;&nbsp;communaut&eacute; virtuelle&nbsp;&raquo; comme mode social sur le r&eacute;seau social d&rsquo;entreprise</p> <p><strong>Conclusion</strong></p> <h1 class="texte">Introduction</h1> <p class="texte">Le monde du travail et des grandes organisations est en train de vivre des transformations majeures (Coriat et Weinstein, 1995&nbsp;; Enlart et Charbonnier, 2013), notamment quant aux formes et aux pratiques sociales qu&rsquo;il permet. En effet, il appara&icirc;t dans les organisations contemporaines des r&eacute;alit&eacute;s sociologiques nouvelles, autour de la cat&eacute;gorie de &laquo;&nbsp;communaut&eacute; virtuelle&nbsp;&raquo; (Rheingold, 1995&nbsp;; Turkle, 1995&nbsp;; Proulx et Latzko-Toth, 2000&nbsp;; Casilli, 2010&nbsp;; Galibert <em>et&nbsp;al.</em>, 2012) sur les plateformes collaboratives de type r&eacute;seau social d&rsquo;entreprise (RSE). Desdites &laquo;&nbsp;communaut&eacute;s&nbsp;&raquo; de projet, de pratique, d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t se d&eacute;veloppent, avec comme promesse de repenser le lien social et l&rsquo;activit&eacute; professionnelle. Les communaut&eacute;s de travail renvoient &agrave; un ensemble social choisi et &eacute;ph&eacute;m&egrave;re qui suppose l&rsquo;implication subjective des membres, contrairement au collectif de travail institu&eacute;. De nouveaux collectifs de travail d&eacute;signent, quant &agrave; eux, un groupe social institu&eacute; plus durable, enrichi de l&rsquo;appartenance de ses membres &agrave; des communaut&eacute;s transverses. Cet ensemble peut s&rsquo;identifier au fonctionnement en essaim, en alliant le centre op&eacute;rationnel, fonctionnel aux multiples &eacute;changes et partages de pratiques et de savoirs essentiels au d&eacute;veloppement du groupe ainsi form&eacute;. La communaut&eacute; ne remplace-t-elle pas ainsi le collectif de base&nbsp;? N&rsquo;est-ce pas un tel id&eacute;al communautaire que v&eacute;hiculent ces plateformes collaboratives&nbsp;? (Galibert, 2014&nbsp;; Galibert, 2015).</p> <p class="texte">Mais ces transformations ne peuvent &ecirc;tre pens&eacute;es ind&eacute;pendamment des transformations de la soci&eacute;t&eacute; dans son ensemble, notamment sur le terrain des nouvelles technologies et de l&rsquo;id&eacute;al relationnel de la soci&eacute;t&eacute; en r&eacute;seau (Castells, 1996). Dans ce cadre, Michel Maffesoli (2017) a montr&eacute; le basculement en cours vers un nouveau paradigme qu&rsquo;il qualifie de postmoderne. Comment l&rsquo;h&eacute;ritage des Lumi&egrave;res et du lib&eacute;ralisme politique du XVIII&egrave;me si&egrave;cle, c&rsquo;est-&agrave;-dire la garantie de l&rsquo;individualit&eacute;, des droits individuels et de l&rsquo;ind&eacute;pendance de chacun, qui repose en grande partie sur les capacit&eacute;s humaines rationnelles, peut-il &ecirc;tre assum&eacute; aujourd&#39;hui&nbsp;? En effet, nous sommes en train de vivre des mutations profondes de la soci&eacute;t&eacute;, un changement de paradigme ou des repr&eacute;sentations du vivre-ensemble, vers une recherche de nouvelles formes de solidarit&eacute; qui reposent sur des affects partag&eacute;s. Repenser le social nous impose de revenir &agrave; une anthropologie alternative au paradigme concurrentiel et utilitariste (Chanial et Caill&eacute;, 2008&nbsp;; Fischbach, 2013&nbsp;; Fischabch, 2015), &agrave; partir des notions d&rsquo;interaction, d&rsquo;entraide (Kropotkine, 1906), de convivialit&eacute; (Illich, 1973), d&rsquo;amiti&eacute;, de g&eacute;n&eacute;rosit&eacute; et de sympathie (Mauss, 1979), de d&eacute;lib&eacute;ration et de dialogue (Dejours, 2013&nbsp;; Silva, 2017), notamment. Mais s&rsquo;il semble qu&rsquo;un autre &ecirc;tre social soit possible que le rassemblement d&rsquo;individus ind&eacute;pendants par le seul int&eacute;r&ecirc;t &eacute;go&iuml;ste, il ne s&rsquo;agit pas pour autant de revenir aux formes traditionnelles de la construction d&rsquo;un lien d&eacute;poss&eacute;dant entre des individus identiques, homog&egrave;nes, dont l&rsquo;identit&eacute; ne rel&egrave;verait que du groupe d&rsquo;appartenance. La perspective actuelle donn&eacute;e au social est de permettre l&rsquo;&eacute;mergence d&rsquo;une solidarit&eacute;, d&rsquo;une coh&eacute;sion du collectif tout en garantissant la sp&eacute;cificit&eacute; et l&rsquo;autonomie des personnes constitutives du collectif. Ainsi, la r&eacute;alit&eacute; sociale en devenir ne cherche pas tant &agrave; remettre en cause les droits et les garanties individuelles, conditions de la sp&eacute;cificit&eacute; d&rsquo;individus autonomes, que d&rsquo;inscrire ces droits au sein d&rsquo;une socialit&eacute; essentielle. Le pari soci&eacute;tal actuel que nous devons examiner est celui de construire des personnes compl&eacute;mentaires parce que singuli&egrave;res ou d&rsquo;autant plus singuli&egrave;res et autonomes qu&rsquo;elles appartiennent &agrave; un groupe social solidaire.</p> <p class="texte">Pour bien comprendre ce qui est en jeu, nous devons revenir aux cat&eacute;gories fondamentales d&eacute;velopp&eacute;es par les p&egrave;res de la sociologie fran&ccedil;aise et allemande, Durkheim et T&ouml;nnies, celles de communaut&eacute; et de soci&eacute;t&eacute;. En effet, un double h&eacute;ritage sociologique nous semble fondateur pour repenser le lien social aujourd&#39;hui&nbsp;: d&rsquo;une part, l&rsquo;h&eacute;ritage moderne d&rsquo;une autonomisation et d&rsquo;une responsabilisation de l&rsquo;individu que nous retrouvons derri&egrave;re l&rsquo;imp&eacute;ratif d&rsquo; &laquo;&nbsp;empowerment&nbsp;&raquo;, de prise de pouvoir, de mont&eacute;e en puissance de l&rsquo;individu, un individu con&ccedil;u comme &laquo;&nbsp;entrepreneur de lui-m&ecirc;me&nbsp;&raquo; (Foucault, 2004) selon une subjectivit&eacute; mise &agrave; l&rsquo;honneur par les m&eacute;thodes n&eacute;omanag&eacute;riales autour des notions de gestion de soi et de capital humain (Schultz, 1959&nbsp;; Becker, 1993&nbsp;; Cukier, 2016)&nbsp;; d&rsquo;autre part, l&rsquo;h&eacute;ritage traditionnel des communaut&eacute;s qui tirent leur coh&eacute;rence de l&rsquo;int&eacute;gration de leurs membres au sein d&rsquo;un ensemble qui les constitue et leur donne sens (T&ouml;nnies, 1887), fond&eacute; sur une ontologie relationnelle (Spinoza, 1988&nbsp;; Simondon, 1989&nbsp;; Whitehead, 1979). Des dimensions communautaires que l&rsquo;on retrouve dans les collectifs de travail tels qu&rsquo;ils existaient dans la premi&egrave;re phase de la r&eacute;volution industrielle. Cette volont&eacute; de d&eacute;fendre l&rsquo;existence d&rsquo;un collectif de travail a toujours constitu&eacute; une revendication importante du mouvement ouvrier. Pour paraphraser Yves Clot (2004), le travail collectif est d&rsquo;autant plus efficace qu&rsquo;il s&rsquo;appuie sur un collectif de travail.</p> <p class="texte">Nous nous interrogeons alors, dans le cadre de cet article, sur les formes sociales en construction et les cons&eacute;quences de changement de paradigme sur l&rsquo;organisation du travail (Silva et Strohl, 2016). Quelles sont les transformations &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans la soci&eacute;t&eacute; contemporaine et en son c&oelig;ur, l&#39;entreprise&nbsp;? Quelles sont les formes et les pratiques sociales en devenir&nbsp;? Quelles sont les ruptures et les continuit&eacute;s avec les formes sociologiques de communaut&eacute; et de soci&eacute;t&eacute; pour repenser le lien social&nbsp;? L&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t des exp&eacute;riences actuelles autour du collaboratif ne r&eacute;sulte-t-il pas de la conciliation, voire de la r&eacute;conciliation des h&eacute;ritages&nbsp;pour ne pas reproduire les impasses pass&eacute;es&nbsp;?</p> <p class="texte">Pour r&eacute;pondre &agrave; ces questions, nous reviendrons, dans un premier temps, sur la compr&eacute;hension des notions de communaut&eacute; et de soci&eacute;t&eacute; telles que d&eacute;velopp&eacute;es par T&ouml;nnies et Durkheim. Dans un deuxi&egrave;me temps, nous interrogerons les formes et pratiques sociales &eacute;mergentes, en continuit&eacute; et en rupture avec les formes classiques de socialit&eacute;. Nous analyserons notamment les formes sp&eacute;cifiques de liens sociaux d&eacute;velopp&eacute;s sur les plateformes collaboratives de r&eacute;seau social d&rsquo;entreprise (RSE), en interrogeant la cat&eacute;gorie de &laquo;&nbsp;communaut&eacute; virtuelle&nbsp;&raquo;. Nous nous appuyons, pour ce faire, sur une enqu&ecirc;te qualitative aupr&egrave;s de huit organisations ayant mis en place un RSE.&nbsp;Il s&rsquo;agit d&rsquo;organisations publiques et priv&eacute;es de moyenne et de grande taille, dans des secteurs vari&eacute;s&nbsp;: banque, conseil, pharmaceutique, assurance, grande distribution. Nous avons r&eacute;alis&eacute; une soixantaine d&rsquo;entretiens semi-directifs avec des membres de la direction strat&eacute;gique, des animateurs et des membres de communaut&eacute;s virtuelles.</p> <h1 class="texte">Retour sur deux cat&eacute;gories fondamentales de la sociologie pour comprendre les nouvelles formes sp&eacute;cifiques du lien social&nbsp;: communaut&eacute; et soci&eacute;t&eacute;</h1> <p class="texte">Nous repartons du d&eacute;bat qui a oppos&eacute; deux sociologues &agrave; la fin du XIX<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle, T&ouml;nnies et Durkheim, afin de d&eacute;finir deux formes sociales historiques d&eacute;terminantes pour la pens&eacute;e sociale actuelle. Ce d&eacute;bat se situe &agrave; travers deux &eacute;crits principalement, la publication de <em>Communaut&eacute; et soci&eacute;t&eacute;</em> par T&ouml;nnies en 1887 sous le titre&nbsp;<em>Gemeinschaft und Gesellschaft</em> et la r&eacute;ponse de Durkheim en 1889 dans l&rsquo;article &laquo;&nbsp;Communaut&eacute; et soci&eacute;t&eacute; selon T&ouml;nnies&nbsp;&raquo;. Nous nous int&eacute;ressons &agrave; la compr&eacute;hension essentiellement axiologique de ces deux formes sociales dans l&rsquo;histoire de la sociologie.</p> <h2 class="texte">D&eacute;finitions crois&eacute;es de la communaut&eacute; et de la soci&eacute;t&eacute;</h2> <p class="texte">Dans son texte <em>Gemeinschaft und Gesellschaft</em>, T&ouml;nnies oppose deux formes sociales&nbsp;: la communaut&eacute; (Gemeinschaft) et la soci&eacute;t&eacute; (Gesellschaft). La communaut&eacute; s&rsquo;inscrit dans le contexte de la tradition. Elle nait &agrave; partir de la famille (lien du sang) et du village (lien g&eacute;ographique), puis elle d&eacute;signe par la suite un ensemble &eacute;largi. Le rapport des parties au tout au sein de la communaut&eacute; est celui d&rsquo;une unit&eacute;, d&rsquo;une totalit&eacute; excluant la distinction des parties. La communaut&eacute; se pense sur le mod&egrave;le&nbsp;biologique de l&rsquo;organisme vivant, d&rsquo;une relation essentielle entre les parties ayant chacune une fonction au sein du tout. Le lien entre les membres y est d&rsquo;ordre affectif et sentimental et non rationnel. Le principe d&rsquo;harmonie&nbsp;au sein de la communaut&eacute; est celui du consensus. Il n&#39;est pas le fruit d&rsquo;une discussion pr&eacute;alable, mais la cons&eacute;quence d&rsquo;un accord tacite du fait des traditions, des habitudes, de l&rsquo;histoire commune des membres. La religion (<em>religare</em>, en latin) y est un des fondements du lien social.</p> <p class="texte">La soci&eacute;t&eacute;, quant &agrave; elle, fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la forme du groupe social caract&eacute;ristique de la modernit&eacute;. Elle appara&icirc;t dans le contexte de la grande industrie o&ugrave; les &eacute;changes s&rsquo;intensifient et les regroupements de masse deviennent la r&egrave;gle. L&rsquo;&eacute;change n&#39;est plus spontan&eacute; et naturel, mais se fait sous forme du contrat. La source du lien est rationnelle, elle est celle du calcul et de l&rsquo;utilit&eacute; qui r&egrave;glent les &eacute;changes et les transactions &agrave; son avantage. Le rapport du tout aux parties implique une certaine distance ou s&eacute;paration des individus. Les relations sont donc de nature individuelle et contractuelle. Les principes de l&rsquo;association sont l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t individuel &agrave; s&rsquo;associer, l&rsquo;ind&eacute;pendance garantie et l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; des membres. L&rsquo;association repose sur la garantie de droits individuels et de la s&eacute;paration de droit entre les individus. On d&eacute;signe par l&agrave; un groupe dont les parties priment sur le tout. Les individus sont s&eacute;par&eacute;s et distincts, chacun agit pour soi et est potentiellement hostile aux autres. Au lien religieux vient se substituer la promotion de la pens&eacute;e scientifique qui permet &agrave; chacun d&rsquo;user de son propre entendement. Le regroupement y est volontaire, il r&eacute;sulte d&rsquo;un choix, d&rsquo;une d&eacute;lib&eacute;ration (dans la tradition contractualiste de Rousseau, puis de Rawls).</p> <p class="texte">Outre leur contexte d&rsquo;apparition, leur nature et leur vis&eacute;e pour ainsi dire oppos&eacute;s, les formes sociales de communaut&eacute; et de soci&eacute;t&eacute; se distinguent sur trois caract&eacute;ristiques factuelles&nbsp;: la taille, la spatialit&eacute; et la temporalit&eacute; du groupe concern&eacute;. Au niveau de la taille du groupe,&nbsp;la communaut&eacute; doit comprendre un groupe relativement restreint, au risque que les liens se distendent. Elle est de l&rsquo;ordre du village et non de la ville, trop &eacute;largie pour permettre des relations d&rsquo;intimit&eacute;. La forme soci&eacute;t&eacute; est davantage &eacute;tendue puisqu&rsquo;elle suppose des liens plus souples et plus l&acirc;ches entre ses membres. Au niveau de la spatialit&eacute;, la communaut&eacute; s&rsquo;&eacute;tablit sur des liens de proximit&eacute;, de pr&eacute;sence &agrave; l&rsquo;autre. Elle se d&eacute;finit par un espace commun, une existence commune,&nbsp;un vivre ensemble. L&rsquo;espace de la soci&eacute;t&eacute; est plus flexible, notamment du fait des nouvelles technologies d&rsquo;information et de communication qui permettent des relations &agrave; distance. La pr&eacute;sence, le face-&agrave;-face, la corpor&eacute;it&eacute; n&rsquo;y est plus essentielle, ou tout du moins elle n&#39;est plus la seule forme de mise en relation. Au niveau de la temporalit&eacute;, la communaut&eacute; &eacute;tablit des rapports soutenus, au quotidien, sans d&eacute;sengagement possible, bien loin de formes plus distendues, des liens faibles (Granovetter, 1973) et &eacute;ph&eacute;m&egrave;res que l&rsquo;on peut trouver dans la soci&eacute;t&eacute; moderne. La communaut&eacute; s&rsquo;inscrit dans un temps long fait d&rsquo;histoire, de souvenirs et d&rsquo;habitudes partag&eacute;es.</p> <p class="texte">Pour conclure ce premier point, la communaut&eacute; est la seule forme v&eacute;ritablement sociale c&#39;est-&agrave;-dire int&eacute;gratrice selon T&ouml;nnies&nbsp;: &laquo;&nbsp;tandis que dans la communaut&eacute; ils restent li&eacute;s malgr&eacute; toute s&eacute;paration, ils sont dans la soci&eacute;t&eacute; s&eacute;par&eacute;s malgr&eacute; toute liaison&nbsp;&raquo; (1887, p.&nbsp;81). Au lien affectif fond&eacute; sur la similitude s&rsquo;oppose le lien marchand, fragilis&eacute; par la garantie de la libert&eacute; individuelle. Cependant, la communaut&eacute; int&egrave;gre du m&ecirc;me, du semblable, alors que la forme soci&eacute;t&eacute;, peut-&ecirc;tre moins coh&eacute;rente, permet cependant de garantir des droits et libert&eacute;s individuels, l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; et la diversit&eacute; de ses membres. A contrario, la communaut&eacute; pr&eacute;sente pour limite de vouloir absorber des individualit&eacute;s, des libert&eacute;s individuelles au profit de la coh&eacute;sion, de la coh&eacute;rence du groupe.</p> <h2 class="texte">La compr&eacute;hension des formes sociales est avant tout axiologique</h2> <p class="texte">Certes, la distinction de ces deux types d&rsquo;association rev&ecirc;t une dimension historique et descriptive, la soci&eacute;t&eacute; &eacute;tant la forme sociale paradigmatique de la modernit&eacute;. Mais ils ne peuvent &ecirc;tre compris sans une analyse axiologique, dans une recherche de la forme sociale la plus adapt&eacute;e au d&eacute;veloppement de ses membres. En ce sens, l&rsquo;&eacute;volution historique n&#39;est nullement synonyme de progr&egrave;s moral selon T&ouml;nnies. En effet, il per&ccedil;oit dans la soci&eacute;t&eacute; moderne un affaiblissement de la vitalit&eacute; du fait du rationalisme, de l&rsquo;utilitarisme et de l&rsquo;individualisme qui la caract&eacute;risent. A contrario, l&rsquo;&eacute;paisseur des relations que l&rsquo;on trouve au sein de communaut&eacute;s r&eacute;sulte de la compassion avec autrui, de l&rsquo;identification aux autres, d&rsquo;un m&ecirc;me sentiment d&#39;appartenance. Il s&#39;agit pour T&ouml;nnies d&rsquo;une solidarit&eacute; profonde, d&rsquo;un lien &eacute;troit de l&rsquo;ordre de l&rsquo;union au sein d&rsquo;une totalit&eacute; signifiante. Il identifie en son sein socialit&eacute; et moralit&eacute;.&nbsp;La communaut&eacute; traditionnelle, entendue en ce sens, serait la forme id&eacute;alis&eacute;e de toute vie sociale.</p> <p class="texte">Durkheim replace la dimension morale dans la forme sociale de la modernit&eacute;. Il existe, selon lui, un certain progr&egrave;s de la communaut&eacute; traditionnelle &agrave; la soci&eacute;t&eacute; moderne, alors que T&ouml;nnies y voyait un d&eacute;clin. L&rsquo;opposition th&eacute;orique de Durkheim &agrave; T&ouml;nnies repose en partie sur l&rsquo;influence marxiste de T&ouml;nnies (2012). En effet, selon lui la soci&eacute;t&eacute; moderne est synonyme de rationalisation, de marchandisation et de rupture du lien social. C&#39;est la soci&eacute;t&eacute; capitaliste qu&rsquo;il d&eacute;nonce en trame de fond. Or pour Durkheim, l&rsquo;av&egrave;nement de la modernit&eacute; conjugue progr&egrave;s mat&eacute;riel et technologique avec progr&egrave;s moral. Au fondement historique de la diff&eacute;renciation axiologique des formes sociales &eacute;tablies par T&ouml;nnies, Durkheim r&eacute;pond par une distinction th&eacute;orique, dans son article de 1889, &laquo;&nbsp;Communaut&eacute; et soci&eacute;t&eacute; selon T&ouml;nnies&nbsp;&raquo;, qu&rsquo;il approfondit dans <em>De la division du travail social</em> (1991)&nbsp;: &laquo;&nbsp;&agrave; la repr&eacute;sentation d&rsquo;un agir soci&eacute;taire ayant succ&eacute;d&eacute; &agrave; l&rsquo;agir communautaire, il substitue l&rsquo;opposition entre deux formes de solidarit&eacute; sociale&nbsp;&raquo; (Laville, 2007). Il oppose deux formes de lien social&nbsp;: la solidarit&eacute; m&eacute;canique qui correspond &agrave; ce que T&ouml;nnies entend derri&egrave;re le terme de communaut&eacute; et la solidarit&eacute; organique qui d&eacute;signe la soci&eacute;t&eacute; moderne. La solidarit&eacute; m&eacute;canique ou solidarit&eacute; par similitude est le lien qui unit l&rsquo;individu &agrave; la soci&eacute;t&eacute; sur un mode &laquo;&nbsp;analogue &agrave; celui qui rattache la chose &agrave; la personne. La conscience individuelle, consid&eacute;r&eacute;e sous cet aspect, est une simple d&eacute;pendance du type collectif et en suit tous les mouvements, comme l&rsquo;objet poss&eacute;d&eacute; suit ceux que lui imprime son propri&eacute;taire&nbsp;&raquo; (Durkheim, 1991, p.&nbsp;100). Elle est remplac&eacute;e avec la division du travail par une solidarit&eacute; organique o&ugrave; &laquo;&nbsp;chacun a une sph&egrave;re d&rsquo;action qui lui est propre, par cons&eacute;quent une personnalit&eacute;. [&hellip;] En effet, d&rsquo;une part chacun d&eacute;pend, d&rsquo;autant plus &eacute;troitement, de la soci&eacute;t&eacute; que le travail est plus divis&eacute; et, d&rsquo;autre part l&rsquo;activit&eacute; de chacun est d&rsquo;autant plus personnelle qu&rsquo;elle est plus sp&eacute;cialis&eacute;e&nbsp;&raquo; (<em>ibid.,</em> pp.&nbsp;100-101). La morale ainsi que la solidit&eacute; du lien social se situent bien de ce c&ocirc;t&eacute; pour Durkheim, contrairement &agrave; T&ouml;nnies. Dans son analyse, Durkheim inverse le mod&egrave;le m&eacute;caniste et vitaliste par rapport &agrave; T&ouml;nnies. En effet, il place la vitalit&eacute; du c&ocirc;t&eacute; de la libert&eacute; individuelle et du choix rationnel qui pr&eacute;side &agrave; l&rsquo;association dans sa forme moderne, l&agrave; o&ugrave; T&ouml;nnies reconnaissait la vitalit&eacute; dans le pouvoir des affects partag&eacute;s, de l&rsquo;unit&eacute; du vivre ensemble par ressemblance et de la spontan&eacute;it&eacute; du regroupement.</p> <p class="texte">La modernit&eacute; s&rsquo;annonce comme une lib&eacute;ration de l&rsquo;individu, entendue comme son autonomisation. En effet, le progr&egrave;s de la division du travail se traduit par une sp&eacute;cialisation des fonctions, concomitante au d&eacute;veloppement de personnalit&eacute;s et de singularit&eacute;s, l&agrave; o&ugrave; la communaut&eacute; traditionnelle se faisait sous le signe du m&ecirc;me, du semblable, de l&rsquo;identique.&nbsp;&laquo;&nbsp;L&rsquo;individu moderne est avant tout pour [Durkheim] une&nbsp;personne&nbsp;par opposition &agrave; l&rsquo;individu absorb&eacute; par le groupe des soci&eacute;t&eacute;s ant&eacute;rieures&nbsp;&raquo; (Mesure, 2013).&nbsp;Derri&egrave;re la distinction des formes sociales, il faut opposer deux compr&eacute;hensions ontologiques de l&rsquo;&ecirc;tre humain, l&rsquo;individu comme m&ecirc;me, identique aux autres, r&eacute;uni par similitude et la personne comme singularit&eacute;, autonome par rapport au groupe. Nous reviendrons sur cette distinction par la suite (point 2.1), mais nous pouvons retenir que Durkheim d&eacute;fend alors la libert&eacute; individuelle de la modernit&eacute; non comme un &eacute;go&iuml;sme mais comme le r&egrave;gne d&rsquo;une diversit&eacute; de personnalit&eacute;s. Il n&rsquo;existerait donc pas de hiatus entre individu et soci&eacute;t&eacute;. La question majeure de Durkheim est de savoir comment des personnes diff&eacute;renci&eacute;es peuvent faire soci&eacute;t&eacute;. Paradoxalement, plus l&rsquo;individu est autonome et plus il est solidaire, plus il a besoin de l&rsquo;int&eacute;gration dans un groupe. La division du travail ne constitue pas un obstacle &agrave; la solidarit&eacute;, mais dessine des liens de compl&eacute;mentarit&eacute; entre les personnes et une n&eacute;cessaire coop&eacute;ration. Et la solidarit&eacute; sociale est en m&ecirc;me temps une solidarit&eacute; morale ou plut&ocirc;t l&rsquo;une pr&eacute;suppose l&rsquo;autre. En effet, les rapports contractuels reposent en amont sur une confiance mutuelle. Il s&rsquo;agit donc d&rsquo;&eacute;tablir le primat de la morale sur les &eacute;changes de type &eacute;conomiques pour la possibilit&eacute;, la long&eacute;vit&eacute; et la force d&rsquo;un collectif.</p> <h2 class="texte">Les &eacute;cueils de la soci&eacute;t&eacute; moderne</h2> <p class="texte">Il nous faut pr&ecirc;ter davantage attention &agrave; la superposition du plan descriptif et du plan normatif dans l&rsquo;analyse de la soci&eacute;t&eacute; moderne par Durkheim, du moins dans les deux premiers livres <em>De la division du travail social</em> qui fournissent le mod&egrave;le &laquo;&nbsp;normal&nbsp;&raquo;, dans le sens d&#39;un mod&egrave;le id&eacute;al, de ce qui doit &ecirc;tre la norme dans la soci&eacute;t&eacute; moderne (1991). Le livre III prend de la distance par rapport &agrave; cette forme id&eacute;alis&eacute;e de la division du travail et de la solidarit&eacute; organique qui en r&eacute;sulte par la mise en perspective des &laquo;&nbsp;formes pathologiques&nbsp;&raquo; de la division du travail, autrement dit des formes sociales pathologiques de la modernit&eacute;.</p> <p class="texte">Ainsi, au chapitre I du livre III, &laquo;&nbsp;La division du travail anomique&nbsp;&raquo;, on comprend que la solidarit&eacute; organique, caract&eacute;ristique de la soci&eacute;t&eacute; moderne, pour fonctionner ne va pas sans une prise en compte des r&egrave;gles et des limites n&eacute;cessaires &agrave; la division du travail qui la constitue. En effet, une trop grande division du travail priverait de l&rsquo;&ecirc;tre-avec et de la perception d&rsquo;une finalit&eacute; commune&nbsp;: &laquo;&nbsp;la division du travail, d&egrave;s qu&rsquo;elle a d&eacute;pass&eacute; un certain degr&eacute; de d&eacute;veloppement. Dans ce cas, dit-on, l&rsquo;individu, courb&eacute; sur sa t&acirc;che, s&rsquo;isole dans son activit&eacute; sp&eacute;ciale&nbsp;; il ne sent plus les collaborateurs qui travaillent &agrave; c&ocirc;t&eacute; de lui, &agrave; la m&ecirc;me &oelig;uvre que lui, il n&#39;a m&ecirc;me plus du tout l&#39;id&eacute;e de cette &oelig;uvre commune&nbsp;&raquo;. Durkheim revient alors sur &laquo;&nbsp;un des plus graves reproches qu&rsquo;on ait faits &agrave; la division du travail&nbsp;&raquo;, celui de r&eacute;duire l&rsquo;individu au r&ocirc;le de machine, de rouage d&rsquo;un m&eacute;canisme dont il ne comprend ni la finalit&eacute; ni les m&eacute;canismes de coordination. La division du travail pouss&eacute;e &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me, c&#39;est-&agrave;-dire dans les cas o&ugrave; les fonctions sont tr&egrave;s sp&eacute;cialis&eacute;es, risque de ne plus &ecirc;tre en soi source de solidarit&eacute;. Mais il s&#39;agit bien uniquement de &laquo;&nbsp;circonstances exceptionnelles et anormales&nbsp;&raquo; qui ne correspondent nullement &agrave; la nature propre de la division du travail. Pour que la division du travail soit source de solidarit&eacute;, ce qui est sa fonction &laquo;&nbsp;normale&nbsp;&raquo;, il faut qu&rsquo;un certain corps de r&egrave;gles puisse se d&eacute;gager spontan&eacute;ment entre les diff&eacute;rentes fonctions sociales. Et pour cela, Durkheim met en &eacute;vidence deux conditions essentielles&nbsp;: une condition temporelle et une condition spatiale. Il faut que les diff&eacute;rentes cellules sociales soient r&eacute;guli&egrave;rement en contact et qu&rsquo;elles soient contigu&euml;s pour &eacute;prouver ce sentiment essentiel de solidarit&eacute;. Ainsi, &laquo;&nbsp;on peut dire a priori que l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;anomie est impossible partout o&ugrave; les organes solidaires sont en contact suffisant et suffisamment prolong&eacute;&nbsp;&raquo;. Ce ph&eacute;nom&egrave;ne semble correspondre aux m&eacute;canismes pr&eacute;sent&eacute;s par la th&eacute;orie de la r&eacute;gulation sociale (Reynaud, 1988&nbsp;; Terssac de, 2003), dans le sens d&rsquo;un corps de r&egrave;gles &eacute;mergeant de l&rsquo;activit&eacute; d&rsquo;un groupe, par le simple fait de coop&eacute;rer, d&rsquo;&oelig;uvrer en commun. La th&eacute;orie de la r&eacute;gulation sociale est une th&eacute;orie g&eacute;n&eacute;rale en sciences sociales qui concerne la production de r&egrave;gles comme paradigme de l&rsquo;&eacute;change social. Elle propose &laquo;&nbsp;un sch&eacute;ma g&eacute;n&eacute;ral de l&rsquo;action sociale et de ce qui la contraint, pertinent pour les diff&eacute;rentes disciplines des sciences humaines et sociales (droit, gestion, &eacute;conomie, sciences politiques, ergonomie)&nbsp;&raquo; (idem).</p> <p class="texte">Au chapitre II,&nbsp;&laquo;&nbsp;La division du travail contrainte&nbsp;&raquo;,&nbsp;Durkheim aborde une autre &laquo;&nbsp;forme pathologique&nbsp;&raquo; de la division du travail avec la question des in&eacute;galit&eacute;s et des conflits de classes. Il distingue deux formes de division du travail contrainte&nbsp;: d&rsquo;une part, la r&eacute;partition injuste des fonctions et, d&rsquo;autre part, la r&eacute;tribution injuste des fonctions occup&eacute;es (Mesure, 2013). En effet, si &laquo;&nbsp;une des vari&eacute;t&eacute;s importantes de la solidarit&eacute; organique est ce qu&rsquo;on pourrait appeler la solidarit&eacute; contractuelle&nbsp;&raquo;, cependant toutes les relations sociales ne peuvent se r&eacute;duire au contrat. Il doit exister des &laquo;&nbsp;liens sp&eacute;ciaux&nbsp;&raquo; de type moraux entre les membres contractants, ce que Durkheim nomme &laquo;&nbsp;consensus g&eacute;n&eacute;ral&nbsp;&raquo;. Or le consensus ne peut accompagner le contrat que si la valeur sociale des services &eacute;chang&eacute;s (c&#39;est-&agrave;-dire &laquo;&nbsp;la quantit&eacute; de travail utile&nbsp;&raquo;) est &eacute;quivalente. Ainsi, si la soci&eacute;t&eacute; moderne a montr&eacute; sa capacit&eacute; &agrave; r&eacute;pondre aux exigences de libert&eacute; individuelle, elle doit rendre possible une autre valeur d&eacute;mocratique n&eacute;cessaire &agrave; la solidarit&eacute;, l&rsquo;&eacute;galit&eacute; ou a minima le sentiment de justice face aux situations d&rsquo;in&eacute;galit&eacute;. Cette deuxi&egrave;me exigence est reprise notamment dans le deuxi&egrave;me principe de justice pens&eacute; par Rawls ou &laquo;&nbsp;principe de diff&eacute;rence&nbsp;&raquo; qui consiste &agrave; pr&eacute;venir les in&eacute;galit&eacute;s ou plut&ocirc;t &agrave; ne les accepter qu&rsquo;&agrave; condition qu&rsquo;elles soient au b&eacute;n&eacute;fice des plus d&eacute;savantag&eacute;s et qu&rsquo;elles r&eacute;sultent d&rsquo;un syst&egrave;me d&rsquo;&eacute;galit&eacute; des chances (1973). Les diff&eacute;rences et les in&eacute;galit&eacute;s sont acceptables, mais elles ne doivent pas se transformer en injustice. Durkheim conclut le chapitre II du livre III <em>De la division du travail social</em> en ces termes&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;harmonie des fonctions et, par suite l&rsquo;existence, sont &agrave; ce prix. De m&ecirc;me que les peuples anciens avaient, avant tout, besoin de foi commune pour vivre, nous, nous avons besoin de justice&nbsp;&raquo;. Les deux valeurs d&eacute;mocratiques que sont la libert&eacute; individuelle et l&rsquo;&eacute;galit&eacute; citoyenne sont donc compl&eacute;mentaires pour que la solidarit&eacute; sociale soit &eacute;galement une solidarit&eacute; morale.</p> <p class="texte">Il existe donc une rupture dans <em>De la division du travail social</em> entre les livres I et II d&rsquo;une part et le livre III d&rsquo;autre part, mais l&rsquo;ensemble du livre concourt &agrave; analyser la moralit&eacute; essentielle &agrave; la soci&eacute;t&eacute; moderne, contrairement aux communaut&eacute;s traditionnelles n&eacute;gatrices de l&rsquo;individualit&eacute;. Selon Sylvie Mesure, &laquo;&nbsp;les pathologies modernes d&eacute;crites dans le livre III ne sont que des formes anormales de la division du travail qui, ne lui &eacute;tant pas consubstantielles, sont de toute fa&ccedil;on transitoires et destin&eacute;es &agrave; dispara&icirc;tre&nbsp;&raquo; (2013). Elles ne remettent pas en cause tout ce qui a &eacute;t&eacute; &eacute;tabli pr&eacute;c&eacute;demment sur la forme &laquo;&nbsp;normale&nbsp;&raquo; de la soci&eacute;t&eacute; moderne et de la division du travail. Seulement, le propos doit &ecirc;tre d&eacute;sormais d&rsquo;en assurer les conditions de possibilit&eacute; r&eacute;elles.</p> <h2 class="texte">La n&eacute;cessit&eacute; de repenser le social</h2> <p class="texte">Comme nous l&rsquo;avons vu, les limites de la forme sociale moderne sont d&eacute;j&agrave; annonc&eacute;es par Durkheim lui-m&ecirc;me au livre III <em>De la division du travail social</em>, en nuan&ccedil;ant la forme &laquo;&nbsp;normale&nbsp;&raquo; ou plut&ocirc;t id&eacute;ale d&rsquo;association pr&eacute;sent&eacute;e dans les deux livres pr&eacute;c&eacute;dents.</p> <p class="texte">La plus grande ind&eacute;pendance accord&eacute;e aux individus dans la soci&eacute;t&eacute; moderne suppose comme contrepartie une plus grande flexibilit&eacute; qui se traduit par un engagement seulement &eacute;ph&eacute;m&egrave;re au sein de groupes vari&eacute;s, ce qui requiert une capacit&eacute; &agrave; se d&eacute;sengager facilement, &agrave; cr&eacute;er de nouveaux liens faibles et, pour ceux qui n&rsquo;ont pas les comp&eacute;tences attendues ou pour les moins mobiles, l&rsquo;exclusion de groupes d&rsquo;appartenance potentiels (Boltanski et Chiapello, 1999). La philosophie du sujet, de la libert&eacute; individuelle, de l&rsquo;autonomie sur laquelle repose la soci&eacute;t&eacute; moderne devient alors synonyme de d&eacute;sint&eacute;gration sociale ou de &laquo;&nbsp;d&eacute;saffiliation&nbsp;&raquo; (Castel, 1995). Plut&ocirc;t qu&rsquo;une compl&eacute;mentarit&eacute; entre vie individuelle et socialit&eacute;, comme le pense Durkheim, la modernit&eacute; est bien souvent le lieu d&rsquo;une morale bas&eacute;e sur l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t individuel et non sur l&rsquo;id&eacute;al du bien commun. La socialit&eacute; moderne serait alors caract&eacute;ris&eacute;e par un faible pouvoir de coh&eacute;sion&nbsp;: &laquo;&nbsp;la communaut&eacute; correspond aux liens sociaux caract&eacute;ris&eacute;s par une coh&eacute;sion profonde et enti&egrave;re, de nature durable et affective. La soci&eacute;t&eacute; fait r&eacute;f&eacute;rence aux liens de type impersonnel et contractuel unissant de tr&egrave;s nombreux individus&nbsp;&raquo; (Laville, 2007). La libert&eacute; individuelle gagn&eacute;e dans la soci&eacute;t&eacute; moderne est une &laquo;&nbsp;libert&eacute; n&eacute;gative&nbsp;&raquo; (Berlin, 1969), c&rsquo;est-&agrave;-dire l&rsquo;ind&eacute;pendance vis-&agrave;-vis de la soci&eacute;t&eacute; et non une libert&eacute; positive de s&rsquo;engager, de faire des choix, de d&eacute;cider avec et pour les autres. Dans sa forme lib&eacute;rale, cette pens&eacute;e de la modernit&eacute; n&rsquo;est donc plus celle de la socialit&eacute; et de la moralit&eacute; associ&eacute;e, si ce n&rsquo;est d&rsquo;une morale utilitariste, celle de l&rsquo;agent rationnel, m&ucirc; par son seul int&eacute;r&ecirc;t individuel. A la force des affects qui lie les hommes dans la communaut&eacute; traditionnelle, se substitue une raison instrumentale et calculatrice qui s&eacute;pare, qui divise. La coh&eacute;sion sociale ne repose plus alors que sur la somme des calculs individuels. Certaines versions du lib&eacute;ralisme ont certes cherch&eacute; la possibilit&eacute; d&rsquo;une alliance entre lib&eacute;ralisme et d&eacute;mocratie, tel que Rawls (1973), mais cette option reste insuffisante pour penser la solidarit&eacute; et la coh&eacute;sion d&rsquo;un groupe social, au-del&agrave; de la somme d&rsquo;individualit&eacute;s distinctes.&nbsp;En effet, la th&eacute;orie rawlsienne &eacute;tablit un ordre de priorit&eacute; entre les deux principes de justice fondamentaux&nbsp;: &laquo;&nbsp;le principe de libert&eacute;&nbsp;&raquo; ou la garantie des m&ecirc;mes droits individuels pour tous et &laquo;&nbsp;le principe de diff&eacute;rence&nbsp;&raquo; ou la garantie d&rsquo;une certaine &eacute;galit&eacute; entre les citoyens. Le premier principe est, selon lui, prioritaire dans l&rsquo;ordre d&rsquo;importance des garanties citoyennes. Autrement dit, la garantie des droits individuels prime sur la justice sociale.</p> <p class="texte">La pens&eacute;e de la transformation sociale aujourd&rsquo;hui lie &agrave; nouveau socialit&eacute; et moralit&eacute; dans une critique de la modernit&eacute;. On peut se r&eacute;f&eacute;rer &agrave; la critique anti-utilitariste (Caill&eacute;, 2014), critique du mod&egrave;le &eacute;conomique g&eacute;n&eacute;ralis&eacute; et de l&rsquo;individualisme lib&eacute;ral qui l&rsquo;accompagne, comme conception asociale et d&eacute;sincarn&eacute;e du sujet. Cette pens&eacute;e sociale vise &agrave; &eacute;tablir que les relations humaines ne reposent pas seulement sur un &eacute;change de type marchand, mais reposent en d&eacute;finitive sur un m&eacute;canisme de r&eacute;ciprocit&eacute; morale ou processus de don. Le don renvoie &agrave; une obligation morale et se retrouve dans les diff&eacute;rents univers sociaux (Mauss, 1979), notamment dans le monde professionnel (Caill&eacute; et Gr&eacute;sy, 2014). L&rsquo;obligation est triple, celle de donner, de recevoir et de rendre. Ce processus lie durablement les acteurs dans une relation morale qui ne dit pas qui va donner ni quand, mais la relation d&eacute;termine en quelque sorte la question de savoir &agrave; quelle hauteur donner et rendre. La relation essentielle entre socialit&eacute; et moralit&eacute;, la d&eacute;fense d&rsquo;une ontologie de la relation, de l&rsquo;&ecirc;tre-avec, de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; comme miroir de l&rsquo;&ecirc;tre se situent &eacute;galement dans la continuit&eacute; de l&rsquo;Ecole de Francfort et de la th&eacute;orie critique sous l&rsquo;&eacute;tude du ph&eacute;nom&egrave;ne de la reconnaissance. La reconnaissance de l&rsquo;autre devient un &eacute;l&eacute;ment majeur de la socialit&eacute; &agrave; repenser et &agrave; construire. En effet, les relations interpersonnelles n&rsquo;&eacute;tant pas garanties par un ordre de fait, elles reposent sur des m&eacute;canismes de confiance interindividuels (Honneth, 2000). La reconnaissance ne s&rsquo;arr&ecirc;te pas seulement aux qualit&eacute;s universelles de la personne, selon une acception juridique et &agrave; la garantie d&rsquo;une &eacute;galit&eacute; de traitement entre les personnes, mais elle doit prendre en compte les qualit&eacute;s particuli&egrave;res de la personne, ce qu&rsquo;Axel Honneth comprend sous le terme d&rsquo; &laquo;&nbsp;estime sociale&nbsp;&raquo;. D&rsquo;apr&egrave;s le sous-titre du livre dirig&eacute; par Alain Caill&eacute;, la qu&ecirc;te de reconnaissance&nbsp;devient &laquo;&nbsp;un&nbsp;nouveau ph&eacute;nom&egrave;ne social total&nbsp;&raquo; (2007)&nbsp;: &laquo;&nbsp;nous sommes d&eacute;sormais clairement pass&eacute;s d&rsquo;une conflictualit&eacute; pensable et &eacute;non&ccedil;able prioritairement dans le langage de la redistribution &agrave; des conflits de reconnaissance&nbsp;&raquo; (p. 6). Les revendications sociales contemporaines ne se limitent plus &agrave; la sph&egrave;re de l&rsquo;avoir, de la redistribution des richesses, mais s&rsquo;empare du terrain de l&rsquo;&ecirc;tre, de l&rsquo;&eacute;mancipation de l&rsquo;&ecirc;tre par le regard et la relation &agrave; l&rsquo;autre. Ce besoin de reconnaissance ressort tr&egrave;s nettement de la socialit&eacute; contemporaine au travers de pratiques sur les r&eacute;seaux sociaux num&eacute;riques en termes de r&eacute;cit de soi et de mise en visibilit&eacute; (Cardon, 2009&nbsp;; Casilli, 2010&nbsp;; Poncier, 2012&nbsp;; Granjon, 2012&nbsp;; Voirol, 2013). Nous allons interroger l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; de ces pratiques.</p> <p class="texte">Pour conclure ce premier temps de l&rsquo;analyse, nous retenons du croisement de <em>Communaut&eacute; et soci&eacute;t&eacute;</em> et <em>De la division du travail</em> <em>social</em> une profonde compl&eacute;mentarit&eacute; pour penser la transformation sociale actuelle. En effet, deux dimensions essentielles &agrave; la red&eacute;finition de la pens&eacute;e sociale actuelle r&eacute;sident dans chacune des deux &oelig;uvres. D&rsquo;une part, il s&rsquo;agit de revivifier les espaces communautaires encore pr&eacute;sents au sein des soci&eacute;t&eacute;s modernes en renfor&ccedil;ant les liens affectifs, l&rsquo;harmonie et la coh&eacute;sion de groupes d&rsquo;appartenance. Et, d&rsquo;autre part, il s&rsquo;agit de renforcer la solidarit&eacute;, la compl&eacute;mentarit&eacute; et la moralit&eacute; des relations en garantissant &agrave; chacun le droit de se diff&eacute;rencier, de d&eacute;velopper sa personnalit&eacute; propre, sans devoir &ecirc;tre le m&ecirc;me et l&rsquo;indiff&eacute;renci&eacute;, d&eacute;pendant d&rsquo;un cadre qui le d&eacute;passerait et le nierait en tant que personne et personnalit&eacute;. C&rsquo;est ce que nous allons aborder dans le deuxi&egrave;me temps de l&rsquo;analyse.</p> <h1 class="texte">Comprendre l&rsquo;opportunit&eacute; de nouvelles formes sociales aujourd&rsquo;hui</h1> <h2 class="texte">Postmodernit&eacute; et hypermodernit&eacute;&nbsp;: entre exigence de transformation sociale et exacerbation de l&rsquo;individualisme</h2> <p class="texte">Certes la soci&eacute;t&eacute; moderne, comme le pense Durkheim, rompt avec la repr&eacute;sentation de l&rsquo;individu comme un &ecirc;tre semblable, identique &agrave; n&rsquo;importe quel autre, qui se confond et se fond au sein du groupe social. L&rsquo;homme tend &agrave; ne plus &ecirc;tre cet indiff&eacute;renci&eacute;, cet &eacute;l&eacute;ment homog&egrave;ne d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; sociale surplombante qui le constitue, le d&eacute;termine et le d&eacute;passe. Cependant, pouvons-nous dire pour autant que la modernit&eacute; soit le signe de l&rsquo;av&egrave;nement de la personne humaine, c&rsquo;est-&agrave;-dire de la personne sp&eacute;cifique, singuli&egrave;re, qui se diff&eacute;rencie des autres du fait de son int&eacute;gration dans un groupe&nbsp;? La soci&eacute;t&eacute; moderne permet l&rsquo;autonomisation et la diff&eacute;renciation de l&rsquo;homme, mais celle-ci ne concoure-t-elle pas davantage &agrave; exprimer le primat de l&rsquo;individualit&eacute; d&rsquo;une autre mani&egrave;re, dans le sens de l&rsquo;atome, de l&rsquo;&ecirc;tre isol&eacute;, ind&eacute;pendant, plut&ocirc;t que de l&rsquo;&ecirc;tre int&eacute;gr&eacute; au sein d&#39;un groupe&nbsp;? Nous devons &agrave; pr&eacute;sent insister sur une nouvelle d&eacute;finition de la personne humaine &agrave; assumer, la personne comme sp&eacute;cificit&eacute; au sein d&rsquo;un groupe et non singularit&eacute; par l&rsquo;ind&eacute;pendance et l&rsquo;isolement des autres, dans un d&eacute;passement de la forme sociale de la modernit&eacute;.</p> <p class="texte">En ce sens, le mouvement de la postmodernit&eacute; (Lyotard, 1979&nbsp;; Derrida, 1967&nbsp;; Baudrillard, 1981&nbsp;; Latour, 1991&nbsp;; Maffesoli, 1988, 2017), pense l&rsquo;&eacute;mergence de nouvelles valeurs et plus fondamentalement d&rsquo;une nouvelle dimension ontologique de la personne. L&rsquo;individu n&rsquo;est pas un &laquo;&nbsp;Robinson Cruso&eacute;&nbsp;&raquo; (Flahault, 2005) qui se suffirait &agrave; lui-m&ecirc;me comme substance autot&eacute;lique. La transformation culturelle qui est en train de se produire, donne une place centrale aux relations et aux interactions entre les personnes. Au concept d&rsquo;individu, dans le sens d&rsquo;un &ecirc;tre ind&eacute;pendant,&nbsp;hostile aux autres qui menacent sa sph&egrave;re de libert&eacute;, doit se substituer le concept de personne, &laquo;&nbsp;persona&nbsp;&raquo; &eacute;tymologiquement, dans le sens du masque d&rsquo;un com&eacute;dien qui prend sens et figure dans le regard des spectateurs. La personnalit&eacute; n&rsquo;est pas ant&eacute;rieure &agrave; l&rsquo;interaction, mais ce sont les relations avec autrui qui contribuent &agrave; la construire, sur le fondement d&rsquo;une ontologie relationnelle (Spinoza, 1988&nbsp;; Simondon, 1989&nbsp;; Whitehead, 1979). Il faut tout de m&ecirc;me se m&eacute;fier de l&rsquo;interpr&eacute;tation trop h&acirc;tive que l&rsquo;on pourrait donner &agrave; toute forme de pratiques sociales qui se veulent nouvelles. Ce n&rsquo;est pas syst&egrave;matiquement des pratiques postmodernes correspondant &agrave; une rupture radicale avec la modernit&eacute;, il peut exister et se d&eacute;velopper des formes d&rsquo;individualisme exacerb&eacute;. C&rsquo;est alors de l&rsquo;hypermodernit&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire une exasp&eacute;ration de la modernit&eacute;. Nous voyons se c&ocirc;toyer aujourd&rsquo;hui ces deux dimensions. Ainsi, les discours et les outils mis &agrave; disposition du collaboratif, du lien social, du vivre ensemble permettent de responsabiliser et de rendre visible l&rsquo;individu porteur de collectif. Les usages sur les r&eacute;seaux sociaux num&eacute;riques t&eacute;moignent d&rsquo;une telle ambigu&iuml;t&eacute; dans les pratiques contemporaines puisque le dispositif de m&eacute;diation et de construction en r&eacute;seau permet &eacute;galement d&rsquo;exprimer ses d&eacute;sirs narcissiques de visibilit&eacute; et de se construire une identit&eacute; strat&eacute;gique (Imhoff, 2017A). C&#39;est ce que l&rsquo;on retrouve derri&egrave;re le nouveau concept d&rsquo;&laquo;&nbsp;individualisme coop&eacute;ratif&nbsp;&raquo; (Thuderoz, 1995). Le lien social devient une exigence individuelle, pour la construction et la valorisation de soi. Et r&eacute;ciproquement, la subjectivation, la d&eacute;finition d&rsquo;une identit&eacute; personnelle propre permet d&rsquo;intensifier les interactions au sein d&rsquo;un r&eacute;seau relationnel dense. D&egrave;s lors, comment penser cette difficile conciliation&nbsp;?</p> <p class="texte">Afin de penser une nouvelle forme sociale dans le sens d&rsquo;une plus grande moralit&eacute; ou plut&ocirc;t &eacute;thicit&eacute; comme forme de vie morale, nous devons repartir d&rsquo;une philosophie du sujet en relation. C&rsquo;est ce que fait Ric&oelig;ur en d&eacute;veloppant une pens&eacute;e de l&rsquo;identit&eacute; intrins&egrave;quement li&eacute;e &agrave; la notion d&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; (1990). Ric&oelig;ur entend revenir sur les deux tendances de l&rsquo;histoire de la philosophie, sublimation et d&eacute;construction du sujet, pour adopter une voie moyenne. L&rsquo;identit&eacute; personnelle se d&eacute;finit par une essentielle polarit&eacute; entre m&ecirc;met&eacute;, caract&egrave;res invariants, et ips&eacute;it&eacute;, le propre, l&rsquo;auto-d&eacute;termination d&rsquo;un soi. Il renouv&egrave;le ainsi la dialectique du m&ecirc;me et de l&rsquo;autre, h&eacute;rit&eacute;e de la philosophie platonicienne, notamment dans le <em>Sophiste</em>. Pour comprendre la coh&eacute;rence d&rsquo;un sujet constitu&eacute; par cette polarit&eacute;, il manque un &eacute;l&eacute;ment essentiel&nbsp;: le processus narratif, dans la lign&eacute;e d&rsquo;une pens&eacute;e s&eacute;mantique et pragmatique. L&rsquo;identit&eacute; narrative permet la m&eacute;diation entre les deux p&ocirc;les de l&rsquo;identit&eacute; personnelle, m&ecirc;met&eacute; et ips&eacute;it&eacute;. L&rsquo;identification d&rsquo;un soi se fait &agrave; partir du processus narratif qui &eacute;tablit une coh&eacute;rence entre les diff&eacute;rents &eacute;tats de la personne. La centralit&eacute; du processus narratif dans les modes de subjectivation et de mise en relation devient d&rsquo;autant plus manifeste dans l&rsquo;analyse des r&eacute;cits de soi sur les plateformes num&eacute;riques. Avec la narrativit&eacute;, ce sont les notions de temporalit&eacute;, de disposition plus ou moins durable et d&rsquo;habitude, dans la continuit&eacute; de la pens&eacute;e aristot&eacute;licienne qui deviennent d&eacute;terminantes pour une pens&eacute;e de la subjectivit&eacute; comme personnalit&eacute;. En effet, se raconter c&#39;est toujours en m&ecirc;me temps s&eacute;lectionner ce qui est constitutif par rapport &agrave; l&rsquo;&eacute;piph&eacute;nom&egrave;ne. Ainsi, la narration entrem&ecirc;le histoire et fiction, &laquo;&nbsp;histoire fictionnelle&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;fiction historique&nbsp;&raquo;. Il en r&eacute;sulte que la narrativit&eacute; n&#39;est pas seulement descriptive, mais engage un discours prescriptif&nbsp;: &laquo;&nbsp;la narrativit&eacute; sert de prop&eacute;deutique &agrave; l&rsquo;&eacute;thique&nbsp;&raquo; (V, p.&nbsp;139). Pour comprendre la dimension &eacute;thique de l&rsquo;identit&eacute; personnelle, il faut aborder la notion d&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. Le moi se constitue dans et par la rencontre avec l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, soi-m&ecirc;me comme un autre, d&rsquo;une part, et les autres qui contribuent &agrave; son identification, d&rsquo;autre part. Identit&eacute; individuelle et collective, de la personne et de la communaut&eacute; se comprennent dans la conciliation du m&ecirc;me et de l&rsquo;autre. Dans <em>Parcours de la reconnaissance (</em>2004), Ric&oelig;ur met en &eacute;vidence le processus d&rsquo;identification comme reconnaissance du m&ecirc;me &agrave; travers la diff&eacute;rence (de ses &eacute;tats, des autres). Il pr&eacute;sente &agrave; travers trois &eacute;tudes le lien intrins&egrave;que entre identit&eacute; et processus de reconnaissance&nbsp;: l&rsquo;identification de quelque chose comme m&ecirc;me, la reconnaissance de soi et la reconnaissance mutuelle. Identifier quelque chose ou quelqu&#39;un comme m&ecirc;me c&#39;est interpr&eacute;ter et donner du sens &agrave; la relation entre ses diff&eacute;rents &eacute;tats, &agrave; la diff&eacute;rence constitutive du m&ecirc;me.</p> <h2 class="texte">Repenser le lien social dans l&rsquo;entreprise&nbsp;: entre nouveaux collectifs et nouvelles communaut&eacute;s de travail</h2> <p class="texte">La question qui se pose est de savoir s&rsquo;il est en train de se dessiner de nouvelles formes de communaut&eacute;, de nouvelles fa&ccedil;ons de faire du lien, pas seulement contingentes et guid&eacute;es par l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t individuel &agrave; &eacute;changer, mais essentielles au vivre ensemble, avec le renouveau de la relation affective, des sentiments sociaux.</p> <p class="texte">Dans l&#39;entreprise, lieu central de la soci&eacute;t&eacute; contemporaine, il semble que nous voyons &eacute;merger de nouvelles formes sociales de regroupement de type collectif et communaut&eacute; de travail (Imhoff, 2017B). Le collectif d&eacute;signe un rassemblement &agrave; caract&egrave;re obligatoire, institu&eacute;, formalis&eacute; d&rsquo;individus au sein d&rsquo;une &eacute;quipe de travail, &eacute;quipe fonctionnelle (service ou sous-service) ou &eacute;quipe transverse (&eacute;quipe projet). Le collectif d&eacute;signe des r&ocirc;les, des places et des comp&eacute;tences d&eacute;finies. Les individus y sont interchangeables sur un m&ecirc;me poste. Le collectif de travail d&eacute;signe ainsi une forme de groupe institu&eacute;, organis&eacute; rationnellement, sur le mod&egrave;le de la soci&eacute;t&eacute;. Au contraire, la communaut&eacute; d&eacute;signe un ensemble volontaire, choisi par l&rsquo;ensemble de ses membres&nbsp;: ce qui est commun c&rsquo;est l&rsquo;engagement &agrave; &eacute;changer entre pairs, l&rsquo;interaction, le partage. Il s&rsquo;agit de personnes qui se choisissent. La communaut&eacute; rassemble des personnalit&eacute;s, des personnes sp&eacute;cifiques et non interchangeables. La communaut&eacute; prend la figure de ses contributeurs. Elle se transforme au fil des adh&eacute;sions et des d&eacute;sistements. Le lien se reconstitue autour d&rsquo;affinit&eacute;s communes. Pouvons-nous y voir le d&eacute;clin annonc&eacute; de l&rsquo;individualisme dans les soci&eacute;t&eacute;s contemporaines accompagn&eacute; de nouvelles formes de relations sociales&nbsp;? La cat&eacute;gorie &eacute;mergente de communaut&eacute;, notamment au sein des r&eacute;seaux sociaux num&eacute;riques, d&eacute;signe ainsi la r&eacute;union plus ou moins &eacute;ph&eacute;m&egrave;re d&rsquo;un groupe de personnes fond&eacute;e sur les &eacute;motions, les affects, l&rsquo;imaginaire collectif, contrairement &agrave; la r&eacute;duction des processus de d&eacute;cision &agrave; la seule rationalit&eacute;, principe des collectifs. De nouvelles dimensions de l&rsquo;&ecirc;tre-ensemble apparaissent, comme le plaisir d&rsquo;&ecirc;tre ensemble, le ludique. Nous sommes tent&eacute;s de les d&eacute;signer comme de nouvelles formes de communaut&eacute; parce qu&rsquo;il ne s&rsquo;agit pas d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t &eacute;go&iuml;ste et de calcul, mais de donner du sens et/ou du plaisir en commun, mais aussi de d&eacute;velopper des liens sociaux.</p> <p class="texte">Si la forme &laquo;&nbsp;collectif de travail&nbsp;&raquo; persiste aujourd&rsquo;hui, comme forme institu&eacute;e de la relation avec autrui et comme mode organisationnel institu&eacute;, elle est aliment&eacute;e par l&rsquo;appartenance de ses membres &agrave; diverses communaut&eacute;s qui gravitent autour d&rsquo;elle. Les multiples appartenances de chacun contribuent &agrave; enrichir le collectif en renfor&ccedil;ant le lien social. Il existe plut&ocirc;t aujourd&rsquo;hui une compl&eacute;mentarit&eacute; entre sa place dans un collectif institu&eacute; et son choix d&rsquo;appartenance &agrave; une ou plusieurs communaut&eacute;(s). L&rsquo;appartenance &agrave; un groupe rel&egrave;ve davantage d&rsquo;un choix, d&rsquo;une volont&eacute; de participer &agrave; un objectif commun et non d&rsquo;un cadre impos&eacute;, n&eacute;cessaire, comme le remarque Jean-Louis Laville&nbsp;:</p> <blockquote> <p class="quotation">&laquo;&nbsp;A l&rsquo;inverse de ce qu&rsquo;ont pu faire croire certains &eacute;crits tels ceux de T&ouml;nnies r&eacute;duisant la communaut&eacute; &agrave; la seule communaut&eacute; traditionnelle, la modernit&eacute; ne signifie pas la disparition de la communaut&eacute; mais la possibilit&eacute; de nouvelles communaut&eacute;s, partielles, puisque ne r&eacute;gissant que certains aspects de la vie. A c&ocirc;t&eacute; des communaut&eacute;s traditionnelles dont subsistent de nombreuses manifestations, les communaut&eacute;s modernes prennent la forme d&rsquo;un lien social reliant des individus ind&eacute;pendants et s&eacute;par&eacute;s qui ne s&rsquo;opposent pas &agrave; la libert&eacute; individuelle mais au contraire peuvent la compl&eacute;ter par une libert&eacute; communautaire&nbsp;&raquo; (Laville, 2007, p.&nbsp;8).</p> </blockquote> <p class="texte">Les formes sociales &eacute;mergentes sont &agrave; penser dans le sens d&rsquo;une compl&eacute;mentarit&eacute; des formes sociales h&eacute;rit&eacute;es de soci&eacute;t&eacute; et de communaut&eacute;, telles que nous les avons analys&eacute;es plus haut.</p> <p class="texte">Tentons de caract&eacute;riser ces communaut&eacute;s au sens actuel. Cinq caract&eacute;ristiques principales peuvent &ecirc;tre d&egrave;s lors pos&eacute;es&nbsp;: la libert&eacute; d&rsquo;adh&eacute;sion, l&rsquo;&eacute;volution possible, la pluralit&eacute; d&rsquo;appartenance, le caract&egrave;re partiel et la convivialit&eacute; fondamentale. La premi&egrave;re caract&eacute;ristique est celle du choix essentiel qui pr&eacute;side &agrave; l&rsquo;appartenance communautaire, contrairement au caract&egrave;re obligatoire des formes traditionnelles, fond&eacute;es sur l&rsquo;h&eacute;ritage, les traditions, les habitudes. En ce sens, les possibilit&eacute;s du lien communautaire en ligne entrent en coh&eacute;rence avec les enjeux du management participatif (Galibert <em>et&nbsp;al.</em> 2012, p.&nbsp;197-198). Il s&#39;agit d&#39;impliquer davantage les acteurs dans l&rsquo;activit&eacute; collective et dans les prises de d&eacute;cision. La deuxi&egrave;me caract&eacute;ristique est celle de solidarit&eacute;s construites, dynamiques, &eacute;volutives et pas seulement h&eacute;rit&eacute;es, &laquo;&nbsp;c&rsquo;est-&agrave;-dire l&rsquo;affirmation de biens communs &agrave; travers lesquels des sujets individualis&eacute;s s&rsquo;engagent r&eacute;ciproquement dans des relations d&rsquo;estime&nbsp;&raquo; (Laville, 2007, p.&nbsp;8). La troisi&egrave;me caract&eacute;ristique est la pluralit&eacute; des communaut&eacute;s d&rsquo;appartenances&nbsp;: un &laquo;&nbsp;sujet, inscrit dans une multiplicit&eacute; de relations sociales, membre de nombreuses communaut&eacute;s, et participant de toute une pluralit&eacute; d&rsquo;identifications collectives&nbsp;&raquo; (Mouffe, 1992, p.&nbsp;37). La quatri&egrave;me caract&eacute;ristique est la dimension partielle des communaut&eacute;s contemporaines qui ne se d&eacute;veloppent que dans certaines sph&egrave;res de la vie sociale. Jean-Louis Laville pr&eacute;f&egrave;re &agrave; ce titre parler de solidarit&eacute; que de communaut&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;c&rsquo;est pourquoi le vocable de solidarit&eacute; plus circonscrit est pr&eacute;f&eacute;rable &agrave; celui de communaut&eacute; plus englobant pour bien marquer ce caract&egrave;re partiel&nbsp;&raquo; (2007, p.&nbsp;8). La cinqui&egrave;me caract&eacute;ristique est la recherche de convivialit&eacute; comme condition du vivre ensemble. Selon Roland Barthes (1976), elle int&egrave;gre la n&eacute;cessit&eacute; de vivre selon un rythme et une souplesse diff&eacute;rents pour chacun, contrairement au pouvoir qui impose son propre rythme. La possibilit&eacute; d&rsquo;un vivre ensemble peut alors &eacute;merger sans exclure la possibilit&eacute; d&rsquo;une sph&egrave;re de libert&eacute; individuelle.</p> <p class="texte">Pour comprendre ce que signifie ces nouvelles communaut&eacute;s, plus souples, non exclusives de la soci&eacute;t&eacute;, il faut comprendre leur sens politique (Ferry, 1992), de la simple contractualit&eacute; dans les soci&eacute;t&eacute;s modernes &agrave; la communaut&eacute; d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t&nbsp;: &laquo;&nbsp;la communaut&eacute; des soci&eacute;t&eacute;s traditionnelles est remplac&eacute;e dans la modernit&eacute; par des formes diversifi&eacute;es de solidarit&eacute; destin&eacute;es &agrave; &eacute;tablir ou r&eacute;tablir un lien social entre les personnes au-del&agrave; des contrats&nbsp;&raquo; (Laville, 2007, p.&nbsp;8). Mais surtout ces groupes se construisent sur un commun, non plus au niveau des ressources naturelles sur le mod&egrave;le des biens communs analys&eacute;s par Elinor Ostrom (Ostrom, 1990), mais &agrave; pr&eacute;sent au niveau de ce que nous produisons en commun, les communs de la connaissance et les communs du num&eacute;rique (Hess et Ostrom, 2006). La th&eacute;orie des biens communs permet de penser et de construire des modes de gestion et de gouvernance renouvel&eacute;s, dans le sens d&rsquo;une auto-organisation et d&rsquo;une r&eacute;gulation par les acteurs. En effet, la sp&eacute;cificit&eacute; des communs repose sur la participation de tous les acteurs &agrave; leur gouvernance, leur capacit&eacute; &agrave; &eacute;laborer les r&egrave;gles et &agrave; les faire respecter. Les formes de propri&eacute;t&eacute; et de gestion collective des biens communs offrent d&eacute;sormais un troisi&egrave;me mod&egrave;le &eacute;conomique &agrave; opposer aux th&eacute;ories &eacute;conomiques classiques de l&rsquo;Etat et du march&eacute;.</p> <h2 class="texte">Caract&eacute;ristiques de la &laquo;&nbsp;communaut&eacute; virtuelle&nbsp;&raquo; comme mode social sur le r&eacute;seau social d&rsquo;entreprise</h2> <p class="texte">Avec le d&eacute;veloppement des plateformes num&eacute;riques, nous devons interroger le r&ocirc;le des technologies num&eacute;riques dans l&rsquo;&eacute;mergence de nouvelles formes sociales et de nouveaux modes d&rsquo;activit&eacute;, notamment &agrave; partir de la cat&eacute;gorie de &laquo;&nbsp;communaut&eacute; virtuelle&nbsp;&raquo; (Rheingold, 1995). L&rsquo;interrogation porte sur les &laquo;&nbsp;cons&eacute;quences du d&eacute;veloppement des nouvelles technologies relationnelles sur les structures sociales, [afin] de mieux faire la part des changements r&eacute;ellement imputables &agrave; l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;Internet&nbsp;&raquo; (Merckl&eacute;, 2016). Dans l&#39;entreprise, les salari&eacute;s-internautes vont &laquo;&nbsp;importer leurs pratiques des outils [&hellip;] au sein m&ecirc;me de l&rsquo;organisation. On observe donc une v&eacute;ritable dynamique de convergence ou d&rsquo;hybridation entre les usages de la sph&egrave;re priv&eacute;e et les usages de la sph&egrave;re professionnelle&nbsp;&raquo; (Galibert <em>et&nbsp;al.</em> 2012, p.&nbsp;203). A la suite de Serge Proulx et de Guillaume Latzko-Toth, nous interrogeons le &laquo;&nbsp;recours &agrave; l&rsquo;adjectif &laquo;&nbsp;virtuel&nbsp;&raquo; pour qualifier des entit&eacute;s et ph&eacute;nom&egrave;nes sociaux&nbsp;&raquo; dans la soci&eacute;t&eacute; contemporaine (Proulx et Latzko-Toth, 2000). En effet, si la cat&eacute;gorie de communaut&eacute; d&eacute;signe &laquo;&nbsp;un collectif fond&eacute; sur la proximit&eacute; g&eacute;ographique et &eacute;motionnelle, et impliquant des interactions directes, concr&egrave;tes, authentiques entre ses membres&nbsp;&raquo;, sur le mod&egrave;le de la communaut&eacute; traditionnelle pens&eacute;e par T&ouml;nnies, &laquo;&nbsp;il est donc a priori paradoxal d&#39;y associer le qualificatif &laquo;&nbsp;virtuel&nbsp;&raquo;, qui renvoie dans notre imaginaire &agrave; l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;abstraction, d&rsquo;illusion et de simulation&nbsp;&raquo; (idem).</p> <p class="texte">La cat&eacute;gorie de &laquo;&nbsp;communaut&eacute; virtuelle&nbsp;&raquo; r&eacute;pond, en premier lieu, &agrave; un effet de mode influenc&eacute; par le &laquo;&nbsp;jargon des informaticiens, lui-m&ecirc;me repris par les sp&eacute;cialistes du marketing&nbsp;&raquo; (idem). Pour analyser cette cat&eacute;gorie, Serge Proulx et Guillaume Latzko-Toth partent de l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; de la notion de virtuel, &agrave; partir des analyses de Doel et Clarke (1999). La cat&eacute;gorie de communaut&eacute; virtuelle est &agrave; comprendre paradoxalement comme une &laquo;&nbsp;communaut&eacute; simul&eacute;e ou stimul&eacute;e&nbsp;&raquo; par le virtuel (Proulx et Latzko-Toth, 2000).</p> <p class="texte">Une premi&egrave;re approche li&eacute;e au sens p&eacute;joratif du virtuel comme subordonn&eacute; au r&eacute;el, simulation, double d&eacute;grad&eacute; de la r&eacute;alit&eacute;, encourage &agrave; la critique des communaut&eacute;s virtuelles comme fictives, simulations de communaut&eacute;&nbsp;; ce que Sherry Turkle appelle la &laquo;&nbsp;culture de la simulation&nbsp;&raquo;, l&rsquo; &laquo;&nbsp;effet Disneyland&nbsp;&raquo; (Turkle, 1995) soit des phantasmes communautaires. En ce sens, les communaut&eacute;s fictives, n&rsquo;ont une &laquo;&nbsp;r&eacute;alit&eacute;&nbsp;&raquo;, si on peut dire, que sur ordinateur (Proulx et Latzko-Toth, 2000). Ces communaut&eacute;s virtuelles pourraient m&ecirc;me venir prendre la place des &laquo;&nbsp;vraies&nbsp;&raquo; communaut&eacute;s (Fernback et Thompson, 1995&nbsp;; Weinreich, 1997&nbsp;; Heim, 1993). Cette premi&egrave;re approche s&#39;inscrit dans la perspective d&rsquo;une nostalgie de la communaut&eacute; non virtuelle sur le mod&egrave;le de T&ouml;nnies et d&rsquo;une id&eacute;alisation de la relation en face-&agrave;-face (Wolton, 1999). Dans les ann&eacute;es 2000, on parle en ce sens d&rsquo;un d&eacute;clin de la sociabilit&eacute; (Putnam, 2000), en raison de la &laquo;&nbsp;substituabilit&eacute; entre une sociabilit&eacute; en face &agrave; face d&eacute;clinante et le d&eacute;veloppement de la &laquo;&nbsp;sociabilit&eacute; &agrave; distance&nbsp;&raquo;&nbsp;: courrier &eacute;lectronique, sms, t&eacute;l&eacute;phone, avant le d&eacute;veloppement des r&eacute;seaux&nbsp;&raquo; (Flichy, 2005). Il existerait <span lang="hi" xml:lang="hi">une diff&eacute;rence de nature, essentielle, entre la relation humaine et la relation technologique, la</span> plus grande facilit&eacute; de la relation virtuelle tendant &agrave; remplacer la relation physique plus contraignante et exigeante<span lang="hi" xml:lang="hi"> (Turkle, 2015),</span></p> <p class="texte">Une deuxi&egrave;me approche, correspondant au sens m&eacute;lioratif du virtuel comme ouverture de possibilit&eacute;s in&eacute;dites, encouragerait une vision enthousiaste des communaut&eacute;s virtuelles par le potentiel lib&eacute;rateur et leurs potentialit&eacute;s de nouvelles interactions. Howard Rheingold est ainsi un des premiers &agrave; th&eacute;oriser la &laquo;&nbsp;communaut&eacute; virtuelle&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;des regroupements d&#39;individus socioculturels qui &eacute;mergent du r&eacute;seau lorsqu&#39;un nombre suffisant d&#39;individus participent &agrave; ces discussions publiques pendant assez de temps en y mettant suffisamment de c&oelig;ur pour que des r&eacute;seaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace&nbsp;&raquo; (Rheingold, 1995, p.&nbsp;6). La communaut&eacute; virtuelle se caract&eacute;rise par des crit&egrave;res de taille du groupe, de modalit&eacute;s de participation, de potentiel d&rsquo;ouverture, de temporalit&eacute; et d&rsquo;affectivit&eacute;. Ce qui change principalement c&#39;est le lieu du commun, le lieu de rencontre, en dehors de la r&eacute;alit&eacute; concr&egrave;te, mais non les possibilit&eacute;s attenantes, selon Howard Rheingold&nbsp;: &laquo;&nbsp;les membres des communaut&eacute;s virtuelles font sur le R&eacute;seau tout ce qu&rsquo;on fait &laquo;&nbsp;en vrai&nbsp;&raquo;&nbsp;; il y a juste le corps physique qu&#39;on laisse derri&egrave;re soi&nbsp;&raquo; (Rheingold, 1995, p.&nbsp;3). La pr&eacute;sence, le face-&agrave;-face, la corpor&eacute;it&eacute; n&rsquo;y est plus essentielle, ou tout du moins elle n&#39;est plus la seule forme de mise en relation. A la communaut&eacute; de lieu, g&eacute;ographique, s&rsquo;oppose alors la communaut&eacute; virtuelle comme communaut&eacute; d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t. Le commun ne se limite pas &agrave; la sph&egrave;re de la proximit&eacute;, &agrave; l&rsquo;&ecirc;tre-avec, en pr&eacute;sentiel, mais il peut se trouver &agrave; distance autour d&rsquo;un int&eacute;r&ecirc;t partag&eacute; (par exemple un projet, une pratique, une connaissance). Cette approche permet de d&eacute;construire le mythe du face-&agrave;-face comme id&eacute;al de l&rsquo;&ecirc;tre-ensemble. En ce sens, dans les ann&eacute;es 2010, on parle de l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;une &laquo;&nbsp;nouvelle sociabilit&eacute;&nbsp;&raquo; (Casilli, 2010). Il s&rsquo;agit d&rsquo;une critique du mythe d&#39;un originel rapport imm&eacute;diat &agrave; soi et aux autres. Les outils et techniques sont essentiels &agrave; l&#39;homme, ils sont contemporains de l&#39;humanit&eacute;. La sp&eacute;cificit&eacute; des relations &eacute;lectroniques peut se r&eacute;sumer par trois caract&eacute;ristiques principales (Proulx, 2006). C&rsquo;est une relation d&eacute;sincarn&eacute;e&nbsp;: le corps (les gestes, les expressions, etc.) est absent, m&ecirc;me si les profils mis en ligne peuvent comporter des repr&eacute;sentations photographiques de soi. C&#39;est une relation d&eacute;territorialis&eacute;e&nbsp;: elle ne n&eacute;cessite pas la copr&eacute;sence des interlocuteurs dans un espace topographique d&eacute;termin&eacute;. Mais il existe un espace partag&eacute;, en commun, l&rsquo;appartenance &agrave; une communaut&eacute;. Enfin, c&#39;est une relation pouvant &ecirc;tre aussi bien synchrone qu&rsquo;asynchrone. Cependant ces deux approches du virtuel (critique et enthousiaste), pensent une certaine s&eacute;paration entre le r&eacute;el et le virtuel li&eacute;e &agrave; un d&eacute;terminisme technique puisque le virtuel est li&eacute; soit au progr&egrave;s technologique soit &agrave; un certain d&eacute;clin. Dans les deux cas le sens est contenu dans la technologie et il est univoque. Le virtuel est pens&eacute; comme tributaire d&rsquo;un appareillage technique.</p> <p class="texte">Une troisi&egrave;me approche du virtuel est alors envisageable, d&rsquo;inspiration deleuzienne, selon laquelle il existerait une &laquo;&nbsp;hybridation du r&eacute;el et virtuel ou plus exactement l&rsquo;immanence du virtuel dans le r&eacute;el&nbsp;&raquo; (Doel et Clarke, 1999, p.&nbsp;280). En effet, les formes sociales &eacute;mergentes via les plateformes de r&eacute;seau social ne peuvent pas &ecirc;tre pens&eacute;es ind&eacute;pendamment des formes et pratiques sociales hors ligne puisqu&rsquo;elles se greffent dessus et en prolongent les potentialit&eacute;s. De nouveaux espaces de socialit&eacute; et de proximit&eacute; sont compatibles aujourd&rsquo;hui avec des formes de socialit&eacute; &agrave; distance qui prolongent la relation, &eacute;tendent son champ des possibles. Nous devons alors comprendre la r&eacute;alit&eacute; sociale, ses formes et ses modes de fonctionnement, dans un environnement essentiellement hybride, &agrave; la fois num&eacute;rique et non num&eacute;rique (Vial, 2012).</p> <p class="texte">A partir de notre enqu&ecirc;te sur les plateformes collaboratives de r&eacute;seau social d&rsquo;entreprise, nous avons pu analyser la complexit&eacute; des formes sociales en construction, puisqu&rsquo;il existe &agrave; la fois des groupes &eacute;mergents ou disruptifs de type communaut&eacute; de pratique, d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t et &eacute;pist&eacute;mique qui regroupent les collaborateurs autour de nouveaux champs de pr&eacute;occupation (d&rsquo;ailleurs largement mis en avant et m&eacute;diatis&eacute;s) et &agrave; la fois des groupes traditionnels autour de divisions fonctionnelles (par services) et g&eacute;ographiques (par sites), voire des groupes projet, en parall&egrave;le de l&rsquo;organisation existante et dans le prolongement de groupes institu&eacute;s. La communaut&eacute; virtuelle ne cr&eacute;erait pas un groupe &agrave; part enti&egrave;re, mais elle faciliterait des regroupements d&eacute;j&agrave; existants dans l&rsquo;organisation puisqu&rsquo;elle multiplie les &eacute;changes de contenus, r&eacute;duit les d&eacute;lais, d&eacute;passe les fronti&egrave;res g&eacute;ographiques, accro&icirc;t la taille du groupe. D&rsquo;apr&egrave;s les r&eacute;sultats de l&#39;enqu&ecirc;te 2017 de l&#39;Observatoire e-transformation &amp; intranet, men&eacute;e par le cabinet de conseil Arctus, des &laquo;&nbsp;espaces organisationnels&nbsp;&raquo; s&rsquo;ouvrent dans 71&nbsp;% des intranets et les communaut&eacute;s de projet, les plus repr&eacute;sent&eacute;es sur les intranets, sont disponibles dans pr&egrave;s de 80&nbsp;% des intranets (en hausse de trois points par rapport &agrave; 2016)<a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a>. La communaut&eacute; est alors un prolongement ou un compl&eacute;ment de l&rsquo;organisation, permettant non pas une ouverture extra-institutionnelle mais une plus grande circulation de l&rsquo;information et une diversification des voix au sein de groupes existants. De fait, dans les entreprises partenaires de notre &eacute;tude, les communaut&eacute;s restent encore souvent cantonn&eacute;es &agrave; un service ou &agrave; un d&eacute;partement, plut&ocirc;t que de constituer des groupes transverses. Selon le sponsor du r&eacute;seau social d&#39;une des entreprises &eacute;tudi&eacute;es, directeur des syst&egrave;mes informatiques, les communaut&eacute;s de projet (directement li&eacute;es aux missions) fonctionnent mieux que les communaut&eacute;s de pratique (li&eacute;es au m&eacute;tier ou &agrave; l&rsquo;enrichissement personnel). Ces derni&egrave;res apparaissent encore comme &laquo;&nbsp;facultatives&nbsp;&raquo;. Ainsi, des communaut&eacute;s fonctionnelles (par services) et g&eacute;ographiques (par sites) se d&eacute;veloppent majoritairement sur les plateformes collaboratives, au moins dans les premiers temps. Les communaut&eacute;s de service ou d&rsquo;&eacute;quipe permettent &agrave; des services fonctionnels de prolonger et de consolider leurs &eacute;changes plus ou moins quotidiens. Elles sont le lieu d&rsquo;un &eacute;change de documents et d&rsquo;informations facilit&eacute; et centralis&eacute;, de fa&ccedil;on &agrave; homog&eacute;n&eacute;iser les niveaux d&rsquo;information des diff&eacute;rents membres du service. Elles permettent parfois de diminuer le nombre de r&eacute;unions souvent reproch&eacute;es par les op&eacute;rationnels. Elles permettent enfin d&rsquo;&eacute;viter les doublons dans les missions et t&acirc;ches du fait d&rsquo;une meilleure visibilit&eacute; de l&rsquo;activit&eacute; de chacun sur la plateforme. Au sein d&rsquo;une entreprise &eacute;tudi&eacute;e, il existe par exemple une communaut&eacute; virtuelle extr&ecirc;mement restreinte, r&eacute;duite aux membres d&rsquo;une &eacute;quipe multisites. En effet, l&rsquo;&eacute;quipe se situe sur diff&eacute;rents sites de&nbsp;l&rsquo;entreprise et les collaborateurs ne se rencontrent qu&rsquo;occasionnellement, du fait d&rsquo;une probl&eacute;matique importante de temps de d&eacute;placements. Le manager de l&rsquo;&eacute;quipe utilise alors le r&eacute;seau social d&rsquo;entreprise pour communiquer, mettre en commun et permettre &agrave; tous les membres de son &eacute;quipe d&rsquo;avoir le m&ecirc;me niveau d&rsquo;information. Le r&eacute;seau social apporte une homog&eacute;n&eacute;it&eacute;, une centralit&eacute; de l&rsquo;information et un sentiment d&rsquo;&eacute;quit&eacute; et d&rsquo;unit&eacute; qui n&rsquo;existait pas auparavant au sein de cette &eacute;quipe dispers&eacute;e g&eacute;ographiquement. Des communaut&eacute;s virtuelles qui prolongent des groupes fonctionnels en pr&eacute;sentiel sont assez courantes, sans se restreindre au cas sp&eacute;cifique des &eacute;quipes multisites. Par ailleurs, les communaut&eacute;s par site g&eacute;ographique (pays, r&eacute;gion, magasin par exemple) se constituent sur la base d&rsquo;une proximit&eacute; g&eacute;ographique et de vie locale. Elles peuvent permettre, par exemple pour une grande entreprise pr&eacute;sente sur plusieurs sites, de renforcer les liens et le sentiment d&rsquo;appartenance &agrave; l&#39;entreprise par une pr&eacute;sence ancr&eacute;e dans un territoire. Il peut s&rsquo;agir, pour les collaborateurs d&rsquo;un m&ecirc;me site, d&rsquo;&eacute;changer sur les actualit&eacute;s et sur les probl&eacute;matiques locales&nbsp;: des d&eacute;parts et arriv&eacute;es de collaborateurs, des travaux en cours ou &agrave; venir, des appareils en panne, la distribution de tickets restaurant, les bons restaurants et les bons plans dans le secteur, etc. La plateforme contribue alors &agrave; la vie du site et &agrave; la centralisation et &agrave; l&rsquo;homog&eacute;n&eacute;isation de l&rsquo;information pour l&rsquo;ensemble des collaborateurs du site. Il s&rsquo;agit d&rsquo;un des usages communautaires rencontr&eacute; sur le terrain qui certes n&#39;est pas &agrave; proprement parler l&rsquo;horizon de la communaut&eacute; professionnelle et de l&rsquo;ouverture souhait&eacute;e, mais qui peut pr&eacute;senter l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de faire une transition entre collectif institu&eacute; et communaut&eacute; transverse. L&rsquo;objectif, dans un deuxi&egrave;me temps, est de favoriser l&rsquo;&eacute;mergence de communications transverses, interservices, entre diff&eacute;rentes fonctions, m&eacute;tiers et positions hi&eacute;rarchiques. Il faut bien noter, de l&rsquo;avis de nombreux membres, et notamment d&rsquo;animateurs de communaut&eacute;s, que la communaut&eacute; virtuelle pour fonctionner doit pouvoir prolonger une communaut&eacute; r&eacute;elle d&eacute;j&agrave; existante, elle doit se greffer sur un groupe physique existant,&nbsp;reposant sur l&rsquo;appartenance &agrave; un service, son niveau hi&eacute;rarchique, une similitude de pratiques. Le virtuel permettrait alors seulement de prolonger l&rsquo;exp&eacute;rience de groupe &agrave; distance, une fois le contact &eacute;tabli. La communaut&eacute; virtuelle permet ainsi de cr&eacute;er une continuit&eacute; temporelle au sein du groupe et &eacute;galement de densifier les &eacute;changes. Elle permet aussi de s&rsquo;assurer d&rsquo;un m&ecirc;me niveau d&#39;information de ses membres, en diffusant la m&ecirc;me information au plus grand nombre.</p> <p class="texte">C&rsquo;est finalement la plasticit&eacute; et la complexit&eacute; du mod&egrave;le de la communaut&eacute; virtuelle qui appara&icirc;t, entre id&eacute;al communautaire et logique utilitariste (Galibert, 2014&nbsp;; Galibert, 2015).</p> <p class="texte">Internet et les r&eacute;seaux sociaux ont tout de m&ecirc;me plut&ocirc;t pour cons&eacute;quence de transformer la notion de groupe&nbsp;: d&rsquo;ensembles relativement homog&egrave;nes et unifi&eacute;s, les groupes prennent de plus en plus la forme de r&eacute;seaux sociaux h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes, sp&eacute;cialis&eacute;s, dont les membres sont d&eacute;sormais plus faiblement reli&eacute;s les uns aux autres qu&rsquo;auparavant (Wellman et Hogan, 2006). Mais surtout, cette notion de groupe correspond &agrave; des relations sociales distendues et correspondant &agrave; une faible implication, voire une non implication des personnes par rapport aux autres membres du groupe. &laquo;&nbsp;Le <em>friending</em>, port&eacute; &agrave; son paroxysme par le succ&egrave;s plan&eacute;taire de Facebook, serait donc plut&ocirc;t du c&ocirc;t&eacute; du <em>bridging</em> (la construction de nouveaux liens non redondants) que du <em>bonding</em> (le renforcement des liens existants et de la redondance intra-groupe)&nbsp;&raquo; (Merckl&eacute;, 2016, p.&nbsp;71). Ces &laquo;&nbsp;amis&nbsp;&raquo; Facebook correspondent &agrave; des relations que nous pourrions qualifier de connaissance. Les liens existants entre les personnes n&rsquo;ont pour objectifs qu&rsquo;une recherche d&rsquo;information qui n&rsquo;a rien &agrave; voir avec une volont&eacute; de construire ou d&rsquo;&ecirc;tre en qu&ecirc;te de relations. Les nouvelles formes de sociabilit&eacute; se caract&eacute;riseraient par l&rsquo;extension des r&eacute;seaux d&rsquo;appartenance, de liens faibles (Granovetter, 1973) constitu&eacute;s de connaissances plus ou moins lointaines plut&ocirc;t que de liens forts, c&rsquo;est-&agrave;-dire de cercles ferm&eacute;s constitu&eacute;s de personnes proches.. Mais, comme dans le cas de l&rsquo;&eacute;tude de &laquo;&nbsp;la sociabilit&eacute; t&eacute;l&eacute;phonique&nbsp;&raquo; (Rivi&egrave;re, 2000&nbsp;; Rivi&egrave;re, 2001), la sociabilit&eacute; sur les r&eacute;seaux sociaux ne se caract&eacute;rise-t-elle pas &agrave; la fois par une multiplication des liens faibles et par un renforcement des liens forts, par la construction de nouveaux contacts et par la continuit&eacute; des liens physiques existants&nbsp;? Selon Antonio&nbsp;A.&nbsp;Casilli, &laquo;&nbsp;les liaisons num&eacute;riques permettent justement de trouver et de maintenir la distance optimale avec les personnes qui peuplent notre vie. L&rsquo;enjeu ici est d&rsquo;atteindre le juste &eacute;quilibre entre coh&eacute;sion et autonomie, d&rsquo;arr&ecirc;ter les allers-retours incessants entre conformisme et isolement qui ont caract&eacute;ris&eacute; les soci&eacute;t&eacute;s de masse issues de la modernit&eacute; industrielle&nbsp;&raquo; (Casilli, 2010, p.&nbsp;329). Il semble que les technologies num&eacute;riques de r&eacute;seau social permettent de concilier l&rsquo;expression de sa singularit&eacute;, de son identit&eacute; personnelle, de son autonomie et l&rsquo;inscription dans un r&eacute;seau relationnel. C&#39;est m&ecirc;me l&agrave; tout l&rsquo;enjeu des r&eacute;seaux sociaux num&eacute;riques&nbsp;: faire du lien en rendant visible son identit&eacute;, sa particularit&eacute;. Etre actif sur les r&eacute;seaux sociaux, publier c&#39;est &agrave; la fois se diff&eacute;rencier et permettre de se faire rep&eacute;rer par les autres. Le processus d&rsquo;individuation et de mise en relation r&eacute;side en une seule et m&ecirc;me activit&eacute; sur les r&eacute;seaux num&eacute;riques par le r&eacute;cit et la mise en visibilit&eacute; de soi. Selon Dominique Cardon, &laquo;&nbsp;se publier sous toutes ces facettes sert &agrave; la fois &agrave; afficher sa diff&eacute;rence et son originalit&eacute; et &agrave; accroitre les chances d&rsquo;&ecirc;tre identifi&eacute; par d&rsquo;autres&nbsp;&raquo; ou encore, &laquo;&nbsp;l&rsquo;exposition de soi est la principale technique relationnelle&nbsp;&raquo; (Cardon, 2009). Il faut tout de m&ecirc;me se m&eacute;fier de l&rsquo;effet inverse car celui qui ne parvient pas &agrave; se distinguer, &agrave; montrer sa valeur sp&eacute;cifique dans la constitution strat&eacute;gique d&rsquo;un carnet d&rsquo;adresse, risque par-l&agrave; m&ecirc;me l&rsquo;isolement, la mise &agrave; l&rsquo;&eacute;cart du r&eacute;seau relationnel. Ainsi, la notion d&rsquo; &laquo;&nbsp;identit&eacute; relationnelle&nbsp;&raquo; met en &eacute;vidence le lien intime et strat&eacute;gique entre mise en visibilit&eacute; de soi et construction de son carnet d&rsquo;adresse, qui risque &agrave; tout moment de se traduire en un individualisme connect&eacute;.</p> <p class="texte">D&rsquo;apr&egrave;s notre enqu&ecirc;te, le paradigme du faire est dominant dans les discours d&rsquo;entreprise au sujet de la plateforme collaborative, le RSE est tourn&eacute; vers la production, l&rsquo;action, ce que j&rsquo;&eacute;change, ce que je partage, ce n&rsquo;est pas mon statut qui est int&eacute;ressant, ce n&rsquo;est pas ce que je suis, mais ce que je fais&nbsp;; sauf que le faire devient constitutif de l&rsquo;&ecirc;tre, mon profil est aliment&eacute; par mon activit&eacute; sur le RSE.&nbsp;Je me valorise sur le r&eacute;seau social par mes activit&eacute;s, mes productions, mes commentaires, etc. Au sens large, le profil d&eacute;signe non seulement les informations renseign&eacute;es volontairement, mais &eacute;galement une production automatique de donn&eacute;es ou data &agrave; partir de son activit&eacute; et de ses clics sur le r&eacute;seau, soit les traces num&eacute;riques des contributeurs (Merzeau, 2017&nbsp;; Paloque-Berges et Gu&eacute;guen, 2017). Par ailleurs, derri&egrave;re la mise en avant de la pratique, de l&rsquo;exp&eacute;rience, du savoir-faire, n&rsquo;est-ce pas la capacit&eacute; &agrave; raconter sa pratique, son exp&eacute;rience, son savoir-faire qui domine&nbsp;? Pour exister sur la plateforme, il faut non seulement alimenter les communaut&eacute;s, mais il faut aussi avoir un profil coh&eacute;rent, &ecirc;tre identifiable comme tel professionnel, avec telle expertise, etc. L&rsquo;identit&eacute; num&eacute;rique est une identit&eacute; narrative, racont&eacute;e, entre voilement et d&eacute;voilement (Ricoeur, 1990). La construction de son profil en ligne est faite de s&eacute;lections, de choix voire de strat&eacute;gies identitaires. Derri&egrave;re les r&eacute;cits de soi, l&rsquo;identit&eacute; num&eacute;rique est moins un d&eacute;voilement qu&rsquo;une projection de soi, elle produit moins des informations que des signaux &agrave; d&eacute;crypter. Les opportunit&eacute;s de la visibilit&eacute; supposent une gestion de sa visibilit&eacute;, un contr&ocirc;le de son image. Les processus de subjectivation se jouent entre l&rsquo;&ecirc;tre et le faire, d&rsquo;une part, et entre l&rsquo;&ecirc;tre r&eacute;el et projet&eacute;, d&rsquo;autre part (Cardon, 2008&nbsp;; Cardon, 2009). D&rsquo;apr&egrave;s nos entretiens, la fonctionnalit&eacute; &laquo;&nbsp;Profil&nbsp;&raquo; de l&rsquo;outil de RSE est en train de se d&eacute;velopper actuellement dans les organisations ou tout du moins elle devient un objet nouveau d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, m&ecirc;me si ce n&#39;&eacute;tait pas l&rsquo;intention initiale et m&ecirc;me &agrave; contre-courant des ambitions de collaboration via la plateforme. Cela correspond &agrave; une tendance g&eacute;n&eacute;rale puisque, selon l&rsquo;enqu&ecirc;te 2017 de l&rsquo;Observatoire e-transformation et intranet&nbsp;: 64&nbsp;% des entreprises d&eacute;clarant disposer de fonctionnalit&eacute;s sociales offrent une fiche annuaire enrichie et 19&nbsp;% projettent de la d&eacute;ployer sous deux ans<a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a>. Il existe donc un risque de d&eacute;rive possible du collaboratif &agrave; l&rsquo;&eacute;gocentrisme. La visibilit&eacute; m&eacute;diatis&eacute;e par les plateformes de r&eacute;seau social offre donc une opportunit&eacute; en termes d&rsquo;expression, de r&eacute;seau de relations et de reconnaissance. Le r&eacute;seau social num&eacute;rique donne de la transparence aux activit&eacute;s des uns et des autres&nbsp;: projets, pratiques, centres d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, etc. Il permet de rendre visible son activit&eacute; au sein du service et son service au sein de l&#39;entreprise. Paradoxalement, contrairement &agrave; l&rsquo;esprit initial de la plateforme collaborative, alimenter le plus largement les profils permettrait de mettre en avant les individus et d&rsquo;&eacute;tendre les sph&egrave;res de pouvoir et d&rsquo;influence. Certes, la visibilit&eacute;, l&rsquo;exposition de soi est un ph&eacute;nom&egrave;ne qui existait d&eacute;j&agrave;, mais le RSE amplifie le ph&eacute;nom&egrave;ne et les d&eacute;rives possibles.</p> <p class="texte">En ce sens, les nouveaux dispositifs num&eacute;riques reproduisent des in&eacute;galit&eacute;s d&eacute;j&agrave; existantes (Bouillon, 2015). La participation des acteurs sur le r&eacute;seau social d&rsquo;entreprise repose sur des comp&eacute;tences et des dispositions discriminantes, pour un usage strat&eacute;gique de la plateforme. Des comp&eacute;tences m&eacute;tier ainsi que des comp&eacute;tences communicationnelles distinguent tr&egrave;s nettement les collaborateurs. Pour ce qui est des comp&eacute;tences m&eacute;tier, les capacit&eacute;s en gestion de projet par exemple semblent favorables au d&eacute;veloppement de son activit&eacute; et &agrave; sa pr&eacute;sence sur le r&eacute;seau. Pour ce qui est des comp&eacute;tences communicationnelles, elles d&eacute;passent nettement les seules comp&eacute;tences num&eacute;riques ou la seule ma&icirc;trise des outils. En effet, une posture, un ensemble de capacit&eacute;s transverses sont n&eacute;cessaires pour la visibilit&eacute; et le pouvoir d&rsquo;influence sur la plateforme. Les &laquo;&nbsp;comp&eacute;tences num&eacute;riques&nbsp;&raquo; renvoient &agrave; un ensemble de &laquo;&nbsp;comp&eacute;tences g&eacute;n&eacute;rales n&eacute;cessaires pour travailler avec des TNIC dans un environnement fortement num&eacute;ris&eacute;&nbsp;&raquo; (Bouillon, 2015).</p> <h1 class="texte">Conclusion</h1> <p class="texte">Nous constatons que penser le social aujourd&#39;hui c&#39;est s&rsquo;inscrire dans ce double h&eacute;ritage en le comprenant non pas dans le cadre d&rsquo;une opposition, comme l&rsquo;ont fait Durkheim et T&ouml;nnies, mais en analysant ce qui est essentiel dans chacune de ces formes pour construire la forme sociale de demain. Pour ce faire, la notion de personne s&rsquo;impose, comme nous l&rsquo;avons abord&eacute;, par rapport &agrave; celle d&rsquo;individu. Ce dernier est centr&eacute; sur lui-m&ecirc;me tandis que la personne est dans une posture de relation avec autrui. Elle est en croissance de par les relations et les interactions qu&rsquo;elle a avec autrui au sein d&rsquo;un collectif et d&rsquo;une communaut&eacute; de travail<em>. </em></p> <p class="texte">Notre &eacute;tude permet d&rsquo;inscrire les pratiques sociales &eacute;mergentes au c&oelig;ur de la soci&eacute;t&eacute; contemporaine et des grandes organisations, notamment les pratiques sur les r&eacute;seaux sociaux num&eacute;riques, dans le contexte de l&rsquo;&eacute;volution des formes sociales et de comprendre la sp&eacute;cificit&eacute; de ce qui se joue aujourd&#39;hui. Nous avons vu que les formes sociales &eacute;mergentes s&rsquo;inscrivent dans l&rsquo;histoire des transformations de la socialit&eacute;, permettant la conciliation des apports de deux cat&eacute;gories sociologiques majeures, la communaut&eacute; et la soci&eacute;t&eacute;, plut&ocirc;t que leur opposition cat&eacute;gorique. Ces formes sociales h&eacute;rit&eacute;es ne s&rsquo;inscrivent finalement pas tellement dans une perspective historique, sous la forme d&rsquo;une &eacute;volution et d&rsquo;un possible contenu normatif des cat&eacute;gories.</p> <p class="texte">Nous voyons clairement que la communaut&eacute; ne remplace pas le collectif de base. Mais la communaut&eacute; du 21<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle n&rsquo;est plus celle du 19<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle. Car c&rsquo;est aujourd&rsquo;hui un ensemble de communaut&eacute;s se greffant alors sur le collectif de travail organis&eacute; pour le rendre coh&eacute;rent, int&eacute;grateur et dynamique. Tel est le nouvel id&eacute;al communautaire (Maffesoli, 2017) v&eacute;hicul&eacute; par ces plateformes collaboratives (Galibert, 2014&nbsp;; Galibert, 2015). L&rsquo;id&eacute;al de transformation sociale &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre emprunte, d&rsquo;une part, &agrave; la communaut&eacute; traditionnelle, le haut degr&eacute; d&rsquo;int&eacute;gration des membres dans la totalit&eacute; sociale et, d&rsquo;autre part, &agrave; la soci&eacute;t&eacute; moderne, la garantie de la sp&eacute;cificit&eacute; et de l&rsquo;autonomie de chacune des parties composites. En effet, sans perdre les acquis de l&rsquo;&eacute;mancipation individuelle dans la modernit&eacute; (encore qu&rsquo;il faille r&eacute;fl&eacute;chir au hiatus, pour certaines cat&eacute;gories entre la position de droit et la position de fait), il semble que nous sommes en train de red&eacute;couvrir l&rsquo;exigence de coh&eacute;sion et de solidarit&eacute; fondamentale, comme socle du vivre ensemble. Ces &eacute;volutions sociologiques n&eacute;cessitent de repenser aussi les modes de gouvernance et de d&eacute;cision qui passent par d&rsquo;autres formes que la relation d&rsquo;autorit&eacute; verticale. Avec ces nouveaux collectifs et communaut&eacute;s, nous entrons dans des modes d&eacute;cisionnels nouveaux dans lesquels la r&eacute;gulation, c&rsquo;est-&agrave;-dire l&rsquo;agencement de l&rsquo;activit&eacute; entre pairs, constitue un &eacute;l&eacute;ment central. Mais pour ce faire, il faut construire des relations bas&eacute;es sur le partage d&eacute;cisionnel &eacute;labor&eacute; &agrave; partir d&rsquo;&eacute;changes et d&rsquo;interactions entre les acteurs.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> Enqu&ecirc;te 2017 de l&rsquo;Observatoire e-transformation &amp; intranet, &agrave; travers un questionnaire personnalis&eacute; distribu&eacute; du 16 janvier au 7 avril 2017 et concernant 285 r&eacute;pondants. Source&nbsp;: <a href="http://www.etransformation-intranet.com/">http://www.etransformation-intranet.com/</a></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> Enqu&ecirc;te 2017 de l&rsquo;Observatoire e-transformation &amp; intranet, &agrave; travers un questionnaire personnalis&eacute; distribu&eacute; du 16 janvier au 7 avril 2017 et concernant 285 r&eacute;pondants. Source&nbsp;: <a href="http://www.etransformation-intranet.com/">http://www.etransformation-intranet.com/</a></p> <p class="bibliographie">Barthes R. (2002<em>) Comment vivre ensemble&nbsp;: Cours et s&eacute;minaires au Coll&egrave;ge de France (1976-1977)</em>, Paris, Seuil.</p> <p class="bibliographie">Baudrillard J. (1981) <em>Simulacres et simulation</em>, Paris, Galil&eacute;e.</p> <p class="bibliographie">Becker G. S. 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