<p class="texte">Plusieurs penseurs ont pr&eacute;par&eacute; le terrain et &eacute;labor&eacute; des esquisses d&rsquo;une psychologie de la politique, afin d&rsquo;articuler les &eacute;l&eacute;ments historiques, philosophiques et sociologiques au service d&rsquo;une perspective nouvelle.</p> <p class="texte">La question politique est la pr&eacute;occupation majeure de <strong>Alexis de</strong> <strong>Tocqueville </strong>(1805-1859). La psychologie de la d&eacute;mocratie y trouve de nombreux &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;analyse. Les &eacute;nonc&eacute;s sont si frappants qu&rsquo;ils font penser &agrave; une vision syst&eacute;mique. Or, rien de plus faux&nbsp;: il n&rsquo;y a nullement syst&egrave;me chez cet homme, mais un moralisme dans la belle tradition fran&ccedil;aise. L&rsquo;approche rappelle une boucle ouverte&nbsp;: les actions individuelles sont influenc&eacute;es par les croyances et les motivations des sujets, et celles-ci le sont par les institutions et les &eacute;v&eacute;nements politiques, lesquels sont soumis aux actions des individus. Rappelons que chez Tocqueville ce qui compte n&rsquo;est pas le calcul de la raison, mais l&rsquo;&eacute;nergie de la passion.</p> <p class="texte">Le cas <strong>d&rsquo;Hippolyte Taine</strong> (1828-1893) est tout aussi remarquable. Il reconna&icirc;t&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je n&rsquo;ai jamais fait que de la psychologie appliqu&eacute;e ou de la psychologie pure, chacune des deux aidant l&rsquo;autre.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte">Ses interrogations sur l&rsquo;identit&eacute; psychologique de la France posent sans cesse le rapport entre l&rsquo;identit&eacute; individuelle et l&rsquo;identit&eacute; collective. D&rsquo;o&ugrave; la volont&eacute; d&rsquo;introduire une nuance au lieu de transposer m&eacute;caniquement les proc&eacute;d&eacute;s des sciences naturelles aux affaires sociales&nbsp;: la nature est &agrave; expliquer, l&rsquo;&acirc;me est &agrave; comprendre.</p> <p class="texte">La qu&ecirc;te psychologique l&rsquo;am&egrave;ne &agrave; s&rsquo;attaquer &agrave; un des symboles de la R&eacute;volution&nbsp;: le programme des jacobins. Il tire le portrait psychologique des chefs jacobins. Certes, les traits sont triviaux. Mais les pistes et hypoth&egrave;ses sont nombreuses et suggestives. Le c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;historien est s&ucirc;rement excessif, autant que le c&ocirc;t&eacute; du psychologue est trop empiriste, mais sans doute la mise &agrave; nu des processus psychologiques impliqu&eacute;s, trouvera une confirmation tragique dans les atrocit&eacute;s commises par les totalitarismes presque cent ans plus tard.</p> <p class="texte">Enfin, <strong>Ernest Renan</strong> (1823-1892), adversaire de la violence, oppose par cons&eacute;quent la r&eacute;forme &agrave; la r&eacute;volution. Il se veut penseur de la politique. Les peuples, pense-t-il, ont un temp&eacute;rament assez stable. L&rsquo;exp&eacute;rience historique commune d&eacute;veloppe un principe de continuit&eacute; entre le pass&eacute;, le pr&eacute;sent et l&rsquo;avenir des nations. La mentalit&eacute; des peuples et les valeurs qui sont les leurs, les normes, la perception commune inspirent leurs comportements et leurs logiques.</p> <p class="texte">Il y a aussi la fameuse conf&eacute;rence du 11 mars 1882, o&ugrave; il donne un cadre r&eacute;publicain &agrave; la question&nbsp;: &laquo;&nbsp;Qu&rsquo;est-ce qu&rsquo;une Nation&nbsp;?&nbsp;&raquo; Ces propos font de lui un psychologue politique inattendu, riche et f&eacute;cond. Le raisonnement de Renan &eacute;voque la posture ancienne&nbsp;: &laquo;&nbsp;une nation est une &acirc;me&nbsp;&raquo;. L&rsquo;id&eacute;e nationale s&rsquo;enracine dans la m&eacute;moire collective. C&rsquo;est l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;&laquo;&nbsp;avoir souffert ensemble&nbsp;&raquo;. La nation est une grande solidarit&eacute;. Les volont&eacute;s humaines changent&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les nations ne sont pas quelque chose d&rsquo;&eacute;ternel. Elles ont commenc&eacute;, elles finiront.&nbsp;&raquo; Et, s&rsquo;il voit loin, c&rsquo;est aussi un r&eacute;aliste&nbsp;: &laquo;&nbsp;La conf&eacute;d&eacute;ration europ&eacute;enne, probablement, les remplacera. Mais telle n&rsquo;est pas la loi du si&egrave;cle o&ugrave; nous vivons.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte">A partir de ces pr&eacute;misses, la psychologie politique fran&ccedil;aise va chercher, encore sans succ&egrave;s, une place autonome dans le milieu universitaire de l&rsquo;&eacute;poque. Car la grande influence des positivistes l&rsquo;en emp&ecirc;che.</p> <p class="texte">Certes, les travaux de <strong>Gabriel Tarde </strong>(1843-1904) sont m&eacute;ritoires pour d&eacute;velopper la psychologie sociale, toutefois l&rsquo;aspect politique n&rsquo;est pas rejet&eacute;.</p> <p class="texte">Un peu plus tard, d&rsquo;autres auteurs tentent de comprendre la politique&nbsp;;</p> <p class="texte">Le patrimoine de la psychologie politique, en France, est riche. Mais les auteurs dont le nom s&rsquo;y rattache de pr&egrave;s ou de loin sont rest&eacute;s longtemps en marge o&ugrave; incorpor&eacute;s dans d&rsquo;autres disciplines. Il me semble cependant souhaitable de ne pas les oublier et d&rsquo;en faire mention m&ecirc;me d&rsquo;une mani&egrave;re sommaire.</p> <p class="texte"><strong>Emile Boutmy</strong> (1835-1906) est un des fondateurs de l&#39;&Eacute;cole libre des sciences politiques, ardent promoteur de la r&eacute;forme universitaire, journaliste et essayiste prolixe, politiste de talent, une vie foisonnante qui paradoxalement ne laisse pas une &oelig;uvre fondatrice. L&#39;essayiste politique livre ses r&eacute;flexions sur la France de Guizot et de Napol&eacute;on III comme sur la constitution r&eacute;publicaine et les rapports de l&#39;&Eacute;glise et de l&#39;&Eacute;tat. Concernant la psychologie politique on trouve l&rsquo;essai d&#39;une psychologie politique du peuple anglais au XIXe si&egrave;cle, 1901&nbsp;;et les &Eacute;l&eacute;ments d&#39;une psychologie politique du peuple am&eacute;ricain, 1902)&nbsp;: On y d&eacute;couvre sa m&eacute;thode de travail et d&#39;exposition, &agrave; la fois positiviste et empirique bas&eacute;e sur la compilation des faits, et impressionniste et psychologue dissertant sur l&#39;esprit des peuples.</p> <p class="texte">Or, <strong>Gustave Le Bon</strong> (1841-l931) est sans doute la r&eacute;f&eacute;rence majeure de la psychologie politique fran&ccedil;aise. D&rsquo;une formation pluraliste&nbsp;: m&eacute;decin, anthropologue, psychologue social et sociologue. Le Bon reste une personnalit&eacute; controvers&eacute;e. D&rsquo;une part, &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; la m&eacute;thode devient tr&egrave;s importante, son &laquo;&nbsp;amateurisme&nbsp;&raquo; g&ecirc;ne ses contemporains. D&rsquo;autre part, Le Bon d&eacute;gage une image pseudo-raciste, qui renvoie &agrave; &laquo;&nbsp;l&rsquo;id&eacute;ologie coloniale de son &eacute;poque&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte">Le Bon ne livre pas une th&eacute;orie hi&eacute;rarchique des civilisations, mais admet des diff&eacute;rences au niveau des stades de d&eacute;veloppement, Cependant apr&egrave;s une mission aux Indes, dans un ouvrage majeur, Les Civilisations de l&rsquo;Inde, Il s&rsquo;&eacute;loigne fortement de Gobineau et d&eacute;nonce le &laquo;&nbsp;mythe de la &laquo;&nbsp;race aryenne&nbsp;&raquo;&nbsp;&raquo;, mettant en garde contre les vis&eacute;es racistes du national-socialisme. La Psychologie des foules, reste son livre le plus c&eacute;l&egrave;bre jusqu&rsquo;aujourd&rsquo;hui.</p> <p class="texte"><strong>Augustin Hamon </strong>(1862-1945) reste m&eacute;connu m&ecirc;me des sp&eacute;cialistes de la psychologie politique. Deux livres font sa r&eacute;putation de psychosociologue s&#39;int&eacute;ressant aux ressorts psychologiques des diff&eacute;rentes cat&eacute;gories de population. Son approche est tr&egrave;s originale&nbsp;: la psychologie sociale du militaire professionnel, parue en 1894, avec un succ&egrave;s r&eacute;el, est une &oelig;uvre savante et bien document&eacute;e, bien que l&#39;auteur mette l&#39;accent sur la criminalit&eacute; significative, que l&#39;on peut trouver dans la population &eacute;tudi&eacute;e, mais souvent occult&eacute;e. Un autre ouvrage, dans son essai sur la psychologie du militant anarchiste, se r&eacute;f&egrave;re &agrave; l&#39;id&eacute;al libertaire qui a &eacute;t&eacute; &agrave; l&#39;&oelig;uvre dans la R&eacute;volution fran&ccedil;aise.</p> <p class="texte">Aussi parmi les auteurs associes &agrave; la cristallisation de la psychologie politique fran&ccedil;aise, il faut signaler <strong>Alfred Binet</strong> (1857-1911), ami de Tarde, qui r&eacute;alise certaines &eacute;tudes sur les ph&eacute;nom&egrave;nes de groupe. Le dispositif exp&eacute;rimental est tr&egrave;s proche de celui utilis&eacute; plus tard par S. Asch dans l&rsquo;&eacute;tude du conformisme social.</p> <p class="texte">Le r&ocirc;le <strong>de Charles Blondel </strong>(1876-1939) plong&eacute; dans l&rsquo;oubli, malgr&eacute; la port&eacute;e originale de son &oelig;uvre. Il s&rsquo;appuie sur l&rsquo;id&eacute;e selon laquelle l&rsquo;acte volontaire n&rsquo;est pas un ph&eacute;nom&egrave;ne seulement interne, mais un produit social. L&rsquo;id&eacute;al qui met en marche l&rsquo;action humaine est fourni par la soci&eacute;t&eacute;. Blondel accorde ainsi aux ph&eacute;nom&egrave;nes sociaux une place centrale comme nous estimons actuellement la psychologie politique. Et, bien que l&rsquo;impression de confusion et de d&eacute;sordre soit grande, tant les ph&eacute;nom&egrave;nes psychopolitiques varient d&rsquo;un pays &agrave; l&rsquo;autre, l&rsquo;hypoth&egrave;se int&eacute;grative de Blondel s&rsquo;impose incontestablement. Le but &eacute;pist&eacute;mologique est de lib&eacute;rer l&rsquo;&laquo;&nbsp;homo-psychologique&nbsp;&raquo; des abstractions, vagues et vides, introduites par la m&eacute;taphysique et la th&eacute;orie de l&rsquo;esprit, afin de comprendre les m&eacute;canismes de l&rsquo;influence sociale. En accord avec Espinas pour qui la &laquo;&nbsp;raison est une chose collective&nbsp;&raquo;, Blondel propose une mani&egrave;re m&eacute;thodologique de &laquo;&nbsp;r&eacute;sister au faux mirage de l&rsquo;homme-individu-universel&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte">D&rsquo;ailleurs&nbsp;; &Eacute;voquer <strong>Emile Chartier dit Alain</strong>, &eacute;tonnera certains. Or, ses &laquo;&nbsp;propos&nbsp;&raquo; sont toujours d&rsquo;une grande pertinence psychologique, et se r&eacute;v&egrave;lent indispensables pour analyser les pouvoirs. La citoyennet&eacute; est l&rsquo;ordre par l&rsquo;ob&eacute;issance, et la libert&eacute; par la r&eacute;sistance. Le pouvoir d&eacute;mocratique ne peut bien fonctionner que dans le cadre d&rsquo;une posture r&eacute;publicaine exigeante.</p> <p class="texte">La R&eacute;publique repose sur l&rsquo;interaction de trois pouvoirs&nbsp;:</p> <p class="texte">a) Le pouvoir du gouverneur&nbsp;: il n&rsquo;est jamais parfait, aussi bon soit l&rsquo;homme. Tout pouvoir corrompt, surtout quand il peut agir sans contr&ocirc;le ni limite.<br /> b) Le pouvoir du conseilleur&nbsp;: c&rsquo;est celui des sp&eacute;cialistes. Par d&eacute;finition, ils forment une &eacute;lite, une aristocratie de non-&eacute;lus&nbsp;; ils entourent ceux qui nous gouvernent, mais ne sont pas responsables des d&eacute;cisions qu&rsquo;ils entra&icirc;nent les politiques &agrave; prendre.<br /> c) Le pouvoir des citoyens est de dire non, c&rsquo;est cela qui forge l&rsquo;esprit r&eacute;publicain&nbsp;: la capacit&eacute; de s&rsquo;opposer. Certes, Alain n&rsquo;est pas na&iuml;f, il sait bien que l&rsquo;opinion publique est manipulatrice et manipul&eacute;e, mais il pense qu&rsquo;un dernier recours existe&nbsp;: le vote universel secret.</p> <p class="texte"><strong>Maurice Halbwachs</strong> (1877-1945) est l&rsquo;auteur qui tend un pont entre la psychologie politique et la question sociale. Ses travaux sur la m&eacute;moire collective &eacute;tablissent avec certitude comment les souvenirs varient en fonction du groupe et du temps. Cela forme les &laquo;&nbsp;cadres&nbsp;&raquo; de la m&eacute;moire des peuples et l&rsquo;existence des &laquo;&nbsp;porteurs&nbsp;&raquo; de souvenirs. Dont la dimension politique n&rsquo;y est pas absente.</p> <p class="texte">D&rsquo;origine hongroise, <strong>Georges Politzer</strong> (1903-1942), m&egrave;ne une r&eacute;flexion militante. Bien qu&rsquo;il refuse &agrave; la psychologie un r&ocirc;le autonome dans les sciences sociales, il pense que l&rsquo;homme ne peut &ecirc;tre &eacute;tudi&eacute; hors de ses conditions d&rsquo;existence. Dans une esquisse th&eacute;orique, Politzer fonde sa d&eacute;marche sur trois crit&egrave;res&nbsp;:</p> <p class="texte">a) une p&eacute;tition de principe&nbsp;: l&rsquo;objectivit&eacute; de la psychologie.<br /> b) une constatation&nbsp;: le caract&egrave;re social de l&rsquo;individu.<br /> c) une critique m&eacute;thodologique&nbsp;: le caract&egrave;re mythique des fondements du psychisme.</p> <p class="texte">On peut retrouver dans ses &eacute;crits des pistes utiles qui conduisent vers le probl&egrave;me de l&rsquo;homme politique au sens actif du terme. L&rsquo;homme, au c&oelig;ur de la soci&eacute;t&eacute;, reste une unit&eacute; de r&eacute;f&eacute;rence. Ici et l&agrave;, ses &eacute;crits percent les rapports entre la psychologie et la politique. &Agrave; plusieurs reprises, Politzer d&eacute;monte les th&egrave;ses racistes de M. Rosenberg, l&rsquo;id&eacute;ologue du national-socialisme allemand.</p> <p class="texte">Le nom de <strong>Georges Bataille</strong> (1897-1962) peut figurer aussi dans cette galerie des psychologues politiques. Son texte sur la &laquo;&nbsp;Structure psychologique du fascisme&nbsp;&raquo; &eacute;crit en 1933 reste une r&eacute;f&eacute;rence pour cerner le ph&eacute;nom&egrave;ne du fascisme comme une &laquo;&nbsp;concentration tendancielle achev&eacute;e&nbsp;&raquo;, &agrave; la fois, sur le plan religieux et militaire. C&rsquo;est une brusque formation historique d&rsquo;une puissance totale. Bataille se risque &agrave; faire l&rsquo;analogie avec l&rsquo;Islam. Il y trouve en amont une effervescence sociale p&eacute;n&eacute;tr&eacute;e par l&rsquo;affectif. C&rsquo;est le meneur qui galvanise le d&eacute;sir d&rsquo;identification sur des bases mystiques et hi&eacute;rarchis&eacute;es.</p> <p class="texte">Le fascisme appara&icirc;t donc comme une condensation de tous les pouvoirs&nbsp;: politique, religieux et militaire.</p> <p class="texte">Pour conclure, plus proche de nous, il faudrait ajouter quelques noms et pr&eacute;cisions sur les travaux de psychologie politique francophones plus r&eacute;cents&nbsp;: Moscovici, Larrue , Roussieu, Rouquette, Baugne et nous-m&ecirc;me avec la fondation (de la revue <strong>les cahiers de psychologie politique </strong>(2003) , ainsi que la <strong>association fran&ccedil;aise de psychologie politique</strong> 2002).</p>