<p class="texte"><strong>DOSSIER : L&#39;AVENIR DE LA DEMOCRATIE</strong></p> <p class="texte"><em>Pierre de Senarclens est professeur honoraire &agrave; l&rsquo;universit&eacute; de Lausanne. Il a &eacute;t&eacute; directeur de la division des droits de l&rsquo;homme et de la paix &agrave; l&rsquo;UNESCO et vice-pr&eacute;sident de la Croix Rouge suisse. Il est l&#39;auteur de plusieurs ouvrages portant sur l&#39;histoire des id&eacute;es, sur l&#39;histoire et la sociologie des relations internationales contemporaines. Il a publi&eacute; r&eacute;cemment Les Illusions meurtri&egrave;res. Ethnonationalisme et fondamentalisme religieux en 2016 et Nations et nationalismes en 2018.</em></p> <p class="texte"><strong>SOMMAIRE</strong></p> <p><strong>La n&eacute;buleuse populiste</strong></p> <p><strong>Th&egrave;mes et caract&eacute;ristiques du populisme</strong></p> <p><strong>La fragilit&eacute; des r&eacute;gimes d&eacute;mocratiques</strong></p> <p class="texte">Le principe de la souverainet&eacute; nationale exerce une influence d&eacute;cisive sur les conceptions de la l&eacute;gitimit&eacute; politique. Les &Eacute;tats sont cens&eacute;s incarner des nations. L&rsquo;autorit&eacute; de leurs dirigeants tient au fait, ou &agrave; la fiction, qu&rsquo;ils repr&eacute;sentent le peuple et qu&rsquo;ils agissent en son nom. Il s&rsquo;ensuit que la d&eacute;mocratie est le seul r&eacute;gime traduisant cette conception de la souverainet&eacute;. Elle n&rsquo;est pas dissociable d&rsquo;une anthropologie. Les penseurs des Lumi&egrave;res consid&eacute;raient que les &ecirc;tres humains &eacute;taient capables d&rsquo;autonomie et de raison&nbsp;; ils misaient sur l&rsquo;&eacute;ducation et le d&eacute;veloppement de la science pour combattre l&rsquo;ignorance, pour assurer la libert&eacute; et l&rsquo;&eacute;galit&eacute; entre les citoyens, pour maintenir la paix et am&eacute;liorer les conditions sociales. Ils croyaient au progr&egrave;s de l&rsquo;humanit&eacute;, y compris dans la sph&egrave;re des valeurs, des institutions et de la vie politique.</p> <p class="texte">Leur croyance &agrave; cet &eacute;gard s&rsquo;est r&eacute;v&eacute;l&eacute;e en partie illusoire. Le cours de l&rsquo;histoire n&rsquo;est pas un long fleuve tranquille. Les individus sont dou&eacute;s de raison, mais ils sont aussi tributaires de leurs passions. Ainsi, la R&eacute;volution fran&ccedil;aise d&eacute;boucha sur la terreur et aux &Eacute;tats-Unis l&rsquo;h&eacute;ritage politique des p&egrave;res fondateurs fut partie prenante du racisme et de l&rsquo;injustice sociale. Par la suite, les conqu&ecirc;tes r&eacute;publicaines se firent parfois au d&eacute;triment de la justice, de l&rsquo;&eacute;galit&eacute; et de la libert&eacute;. Le projet national exacerba un peu partout dans le monde occidental les sentiments identitaires, la x&eacute;nophobie et le racisme. Il inspira des politiques agressives, dont l&rsquo;imp&eacute;rialisme de certains &Eacute;tats. Au XX<sup>e</sup> si&egrave;cle, les nations se sont affront&eacute;es dans des guerres d&rsquo;une barbarie croissante, associ&eacute;es &agrave; des g&eacute;nocides.</p> <p class="texte">Les r&eacute;gimes d&eacute;mocratiques contemporains ont des formes institutionnelles et des orientations historiques diverses, mais ils ont pour essence une participation du peuple &agrave; la vie politique. Cependant, la th&eacute;orie politique a toujours eu de la peine &agrave; d&eacute;finir le peuple<strong><span style="text-decoration:underline;"> </span></strong>qui est le fondement de la d&eacute;mocratie, &agrave; d&eacute;terminer les proc&eacute;dures pour assurer sa repr&eacute;sentativit&eacute;. Au lendemain de la R&eacute;volution fran&ccedil;aise, Benjamin Constant, puis Tocqueville et bien d&rsquo;autres penseurs lib&eacute;raux se sont inqui&eacute;t&eacute;s de &laquo;&nbsp;l&rsquo;oscillation fatale entre l&rsquo;anarchie et le despotisme&nbsp;&raquo; induite par la promotion de la souverainet&eacute; nationale.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a></sup> Ils comprirent que le mythe fondateur de cette conception du politique, &agrave; savoir un peuple dou&eacute; d&rsquo;une &acirc;me commune inspirant une &laquo;&nbsp;volont&eacute; g&eacute;n&eacute;rale&nbsp;&raquo;, pouvait &ecirc;tre une source d&rsquo;&eacute;garements id&eacute;ologiques et politiques n&eacute;fastes. La d&eacute;mocratie implique la reconnaissance de la pluralit&eacute; des int&eacute;r&ecirc;ts et des aspirations politiques&nbsp;; elle exige en cons&eacute;quence la protection des partis politiques et le respect des minorit&eacute;s. Elle a pour assise des corps interm&eacute;diaires, l&rsquo;&eacute;quilibre des pouvoirs et des institutions assurant le respect du droit.</p> <p class="texte">Pour r&eacute;aliser leurs objectifs, les &Eacute;tats modernes doivent assumer une grande diversit&eacute; de fonctions impliquant de nombreuses administrations et des processus de d&eacute;cision complexes. Les fonctionnaires et les experts y jouent en cons&eacute;quence un r&ocirc;le important dans la d&eacute;finition et la gestion des politiques publiques. Ils influencent les dirigeants politiques et les opinions des parlementaires, notamment lorsqu&rsquo;ils doivent faire des choix touchant aux questions mon&eacute;taires, financi&egrave;res, commerciales, budg&eacute;taires ou &eacute;ducatives. Or cette influence peut avoir pour effet d&rsquo;amoindrir le r&ocirc;le des citoyens ordinaires. Il arrive qu&rsquo;elle favorise aussi des formes plus ou moins graves de client&eacute;lisme et de pr&eacute;bende. Le ph&eacute;nom&egrave;ne n&rsquo;est pas nouveau, mais il a pris de l&rsquo;ampleur. Il alimente l&rsquo;irritation ou l&rsquo;abstention des &eacute;lecteurs, puisqu&rsquo;une partie importante de la population se sent tenue &agrave; l&rsquo;&eacute;cart des principaux enjeux et d&eacute;cisions de la vie politique.</p> <p class="texte">Cette probl&eacute;matique des institutions d&eacute;mocratiques est aujourd&rsquo;hui compliqu&eacute;e par l&rsquo;&eacute;volution contemporaine de la soci&eacute;t&eacute; internationale. Les &Eacute;tats sont confront&eacute;s &agrave; des probl&egrave;mes qui trouvent leur origine dans la sph&egrave;re tr&egrave;s faiblement r&eacute;gul&eacute;e des interactions transnationales. Leur l&eacute;gitimit&eacute; d&eacute;pend de leur capacit&eacute; &agrave; cr&eacute;er les conditions n&eacute;cessaires &agrave; la s&eacute;curit&eacute; et au bien-&ecirc;tre de leur population, mais ils ne peuvent r&eacute;aliser ces objectifs sans participer &agrave; des m&eacute;canismes de coop&eacute;ration et d&rsquo;int&eacute;gration r&eacute;gionale. C&rsquo;est la raison pour laquelle les conditions d&rsquo;exercice de leur souverainet&eacute; se transforment. Leurs gouvernements doivent en effet s&rsquo;accommoder de processus de n&eacute;gociation et de d&eacute;cision multilat&eacute;rale complexes dont ils ne ma&icirc;trisent pas bien les r&eacute;sultats, ce qui peut avoir pour cons&eacute;quence de miner les choix initiaux de leurs &eacute;lecteurs. Comment contr&ocirc;ler par des proc&eacute;dures d&eacute;mocratiques efficaces&nbsp;ces nouvelles formes de gouvernance dont les incidences &eacute;chappent en partie aux choix des parlements nationaux&nbsp;? On est au c&oelig;ur des difficult&eacute;s que rencontre le processus d&rsquo;int&eacute;gration europ&eacute;enne.</p> <h1 class="texte">La n&eacute;buleuse populiste</h1> <p class="texte">On a vu se d&eacute;velopper dans ces circonstances des partis politiques d&rsquo;orientation diverse que l&rsquo;on rassemble sous la d&eacute;nomination de populistes. Leurs projets politiques sont disparates, puisqu&rsquo;ils s&rsquo;inscrivent dans un large &eacute;ventail de positions, le plus souvent dans les extr&ecirc;mes de droite ou de gauche. Lorsqu&rsquo;ils arrivent au pouvoir, les populistes d&eacute;fendent un r&eacute;gime autoritaire et s&rsquo;orientent m&ecirc;me vers la dictature. C&rsquo;est le cas de Rodrigo Duterte, pr&eacute;sident de la R&eacute;publique des Philippines, de Recep Tayyip Erdoğan. Ce fut le cas d&rsquo;Hugo Chavez au Venezuela, au m&ecirc;me titre que de son successeur Nicola Maduro. En Pologne, le parti conservateur <em>Droit et justice</em>, pr&eacute;sid&eacute; par Jarosław Kaczyński, et la Hongrie, dirig&eacute;e par Victor Orban du parti <em>Fidesz,</em> s&rsquo;en prennent aux fondements de l&rsquo;&Eacute;tat de droit par leur utilisation de la t&eacute;l&eacute;vision publique &agrave; des fins de propagande, par leurs efforts pour d&eacute;truire les m&eacute;dias libres et par leur d&eacute;mant&egrave;lement d&rsquo;institutions judiciaires ind&eacute;pendantes, mais &eacute;galement par leurs pratiques client&eacute;listes visant &agrave; promouvoir leurs partisans au sein des administrations et des entreprises publiques.</p> <p class="texte">Les populistes se r&eacute;clament d&rsquo;une conception absolutiste de la souverainet&eacute; nationale et d&eacute;nigrent les dirigeants &eacute;lus d&eacute;mocratiquement qui pr&eacute;tendent en &ecirc;tre les d&eacute;positaires.</p> <p class="texte">Leurs orientations id&eacute;ologiques sont peu &eacute;labor&eacute;es. Elles n&rsquo;offrent pas de conceptions intellectuelles coh&eacute;rentes ni de visions politiques &agrave; long terme, encore moins d&rsquo;utopie directrice. Elles s&rsquo;accommodent m&ecirc;me de positions contradictoires. Leurs id&eacute;es et leur style politiques se retrouvent dans le cadre d&rsquo;autres configurations partisanes. Certains de leurs dirigeants se situent &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me gauche, par exemple J.-L. M&eacute;lenchon de la <em>France insoumise </em>en France ou Evo Morales en Bolivie, ou Nicolas Maduro au Venezuela. Mais la plupart d&rsquo;entre eux assument des positions d&rsquo;orientation plut&ocirc;t conservatrice, parfois m&ecirc;me r&eacute;actionnaire, tout en avan&ccedil;ant parfois des projets sociaux refl&eacute;tant des id&eacute;es consid&eacute;r&eacute;es comme progressistes. Le <em>mouvement 5 &eacute;toiles</em> dirig&eacute; par Luigi Di Maio en Italie s&rsquo;affiche contre les politiques d&rsquo;aust&eacute;rit&eacute; et d&eacute;veloppe des th&egrave;mes &eacute;cologiques. En &eacute;conomie, le <em>Front national</em> de Marine Le Pen, devenu <em>Rassemblement national</em> depuis le 1er juin 2018, est un adepte du protectionnisme et pourfend les politiques susceptibles de porter atteinte &agrave; la s&eacute;curit&eacute; sociale, des positions qui s&rsquo;inscrivent dans une critique virulente de la mondialisation. Les partis populistes sont g&eacute;n&eacute;ralement hostiles au lib&eacute;ralisme politique, mais en Hollande le <em>PVV</em> (le parti de la libert&eacute;) de Geert Wilders ou le <em>mouvement 5 &eacute;toiles</em> en Italie et m&ecirc;me Marine Le Pen en France ne renient pas certaines &eacute;volutions socioculturelles consid&eacute;r&eacute;es comme progressistes.</p> <p class="texte">Certains dirigeants populistes ne remettent pas en cause la dynamique en cours de l&rsquo;&eacute;conomie de march&eacute; et se mobilisent avant tout contre les d&eacute;penses de l&rsquo;&Eacute;tat et la croissance de sa bureaucratie. En Italie, le gouvernement Berlusconi assumait pleinement la d&eacute;fense du march&eacute; et des positions n&eacute;o-lib&eacute;rales. C&rsquo;est toujours le cas de l&rsquo;UDC en Suisse. En Am&eacute;rique latine, Carlos Menem, A. Fujimori ou Fernando Color ont pr&eacute;conis&eacute; des programmes d&rsquo;inspiration lib&eacute;rale. Les id&eacute;es politiques de Donald Trump sont disparates. Au cours de sa campagne &eacute;lectorale, il a pol&eacute;miqu&eacute; contre Wall Street, les milieux d&rsquo;affaires, les entreprises transnationales et surtout contre la presse, mais une fois &eacute;lu il a soutenu une r&eacute;forme fiscale qui donnait d&rsquo;&eacute;normes avantages aux plus fortun&eacute;s et aux grandes entreprises. Il d&eacute;fend le protectionnisme, parce qu&rsquo;il pr&eacute;tend se consacrer &agrave; la seule d&eacute;fense des int&eacute;r&ecirc;ts am&eacute;ricains. Les positions id&eacute;ologiques des partis d&eacute;finis comme populistes sont donc difficiles &agrave; d&eacute;finir de mani&egrave;re pr&eacute;cise et les tentatives dans ce sens se heurtent &agrave; des controverses. Certains &eacute;lecteurs soutiennent sporadiquement les causes qu&rsquo;ils d&eacute;fendent et r&eacute;sistent &agrave; leur emprise en d&rsquo;autres occasions. Ainsi, en fut-il des partisans du <em>Brexit</em> au Royaume-Uni. Ils ont certes &eacute;t&eacute; s&eacute;duits par le discours de d&eacute;magogues, tels que Boris Johnson et Nigel Farage, mais sans pour autant adh&eacute;rer &agrave; l&rsquo;ensemble de leurs positions politiques et sociales.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a></sup></p> <h1 class="texte">Th&egrave;mes et caract&eacute;ristiques du populisme</h1> <p class="texte">Les sp&eacute;cificit&eacute;s du populisme sont d&rsquo;autant plus difficiles &agrave; d&eacute;finir qu&rsquo;elles appartiennent aux lieux communs des disputes d&eacute;mocratiques et des conflits politiques. Les d&eacute;lib&eacute;rations de la vie publique ont pour &eacute;tayage des logiques rationnelles. Cependant la politique mobilise aussi les &eacute;motions puisqu&rsquo;elle a pour enjeux des rapports d&rsquo;autorit&eacute; et de pouvoir, des conflits d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t et de valeurs. Or les discours et attitudes des populistes sont particuli&egrave;rement charg&eacute;s de ce point de vue. Ils refl&egrave;tent tout l&rsquo;&eacute;ventail de fantasmagories provoqu&eacute;es par les d&eacute;bats de l&rsquo;espace public.</p> <p class="texte">Ils affirment tout d&rsquo;abord une d&eacute;fense intransigeante de la souverainet&eacute; nationale. Le mythe d&rsquo;une souverainet&eacute; inali&eacute;nable et indivisible du peuple, d&rsquo;une communaut&eacute; unie, transparente et sans interm&eacute;diaire proc&egrave;de d&rsquo;une longue tradition doctrinale qui remonte au moins &agrave; la &laquo;&nbsp;volont&eacute; g&eacute;n&eacute;rale&nbsp;&raquo; de Rousseau. C&rsquo;est la raison pour laquelle les dirigeants politiques, comme les partis en qu&ecirc;te de pouvoir, invoquent volontiers une l&eacute;gitimit&eacute; populaire pour justifier leurs engagements. Leur appel &agrave; la souverainet&eacute; s&rsquo;inscrit de plain-pied dans une tradition id&eacute;ologique associant le peuple aux vertus de la libert&eacute; et du bon sens, parfois m&ecirc;me &agrave; l&rsquo;avanc&eacute;e d&rsquo;une r&eacute;demption collective. Les populistes font de la surench&egrave;re &agrave; cet &eacute;gard. Ils affirment repr&eacute;senter &laquo;&nbsp;le vrai peuple&nbsp;&raquo;, surtout lorsqu&rsquo;ils sont dans l&rsquo;opposition, en pr&eacute;tendant que sa volont&eacute; n&rsquo;est pas respect&eacute;e par les sph&egrave;res dirigeantes. M&eacute;lenchon se r&eacute;clame de la &laquo;&nbsp;fraternit&eacute; humaine&nbsp;&raquo; et se dit &laquo;&nbsp;au service du peuple&nbsp;&raquo;, du &laquo;&nbsp;peuple tout entier&nbsp;&raquo;. Nous sommes un &laquo;&nbsp;peuple conscient&nbsp;&raquo;, explique-t-il encore.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn3" id="bodyftn3">3</a></sup> La suspicion des populistes &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des politiciens est intimement associ&eacute;e &agrave; cette revendication de souverainet&eacute;.</p> <p class="texte"><em>Le nationalisme</em></p> <p class="texte">La question du nationalisme doit &ecirc;tre reprise dans ce contexte, car les populistes excitent ses aspects les plus &eacute;motionnels. Ils se pr&eacute;tendent &laquo;&nbsp;souverainistes&nbsp;&raquo;. Ils cultivent un nationalisme de repli et de nostalgie du pass&eacute;. Ils d&eacute;fendent une vision provinciale de leur pays et c&rsquo;est aussi la raison pour laquelle ils se d&eacute;finissent volontiers comme des &laquo;&nbsp;patriotes&nbsp;&raquo;. En Europe, comme aux &Eacute;tats-Unis, les populistes s&rsquo;opposent &agrave; l&rsquo;ouverture des fronti&egrave;res commerciales, &agrave; la finance transnationale et au libre mouvement des personnes. Ils cultivent l&rsquo;id&eacute;al d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; qui n&rsquo;aurait pas &eacute;t&eacute; &eacute;branl&eacute;e par les bouleversements d&eacute;mographiques et technologiques. Ils s&rsquo;accrochent &agrave; des th&egrave;mes essentiels du nationalisme pass&eacute;, tels que l&rsquo;exacerbation des distinctions entre eux et les autres, la m&eacute;fiance &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des &eacute;trangers, la haine de certaines minorit&eacute;s. En outre, leurs positions politiques sont de nature manich&eacute;enne. Ils attribuent les troubles de l&rsquo;harmonie politique et sociale aux forces politiques qu&rsquo;ils combattent. En Europe et aux &Eacute;tats-Unis, l&rsquo;hostilit&eacute; aux mouvements migratoires est le fonds de commerce des partis populistes de droite. Elle est au c&oelig;ur de leur contestation de l&rsquo;ordre &eacute;tabli. Aux &Eacute;tats-Unis, le pr&eacute;sident Trump a fait son succ&egrave;s politique en attaquant les migrants, notamment ceux du Mexique. Il n&rsquo;a pas dissimul&eacute; ses positions racistes, ce qui lui a valu une bonne part de son audience &eacute;lectorale, en particulier dans les milieux nostalgiques de la &laquo;&nbsp;supr&eacute;matie de la race blanche&nbsp;&raquo;. En Suisse, le rejet des migrants, de l&rsquo;Union europ&eacute;enne et m&ecirc;me des travailleurs &eacute;trangers est le th&egrave;me dominant de l&rsquo;<em>Union d&eacute;mocratique du centre </em>(UDC). Cette position explique &eacute;galement l&rsquo;audience du <em>Front national</em> en France comme celle de tous les autres partis populistes en Europe. Elle est associ&eacute;e &agrave; la d&eacute;fense d&rsquo;une identit&eacute; nationale en quelque sorte originelle, qui seraient, en tous les cas, ant&eacute;rieure aux mouvements migratoires et aux dynamiques transnationales de la mondialisation. La probl&eacute;matique ethnique est inh&eacute;rente &agrave; ce rejet des migrants. Il n&rsquo;est pas rare que leur x&eacute;nophobie aille de pair avec des explications conspirationnistes des changements politiques et sociaux qu&rsquo;ils jugent n&eacute;fastes. Les sph&egrave;res dirigeantes en Pologne et en Hongrie voient dans la main de l&rsquo;&eacute;tranger, de l&rsquo;Europe et des &laquo;&nbsp;milieux cosmopolites&nbsp;&raquo; en particulier, la cause de malheurs obscurs, notamment de l&rsquo;&eacute;rosion des valeurs chr&eacute;tiennes et nationales. Ils pr&ecirc;tent &agrave; ces populations &eacute;trang&egrave;res de mani&egrave;re projective des d&eacute;faillances morales et de vell&eacute;it&eacute;s agressives. Ils s&rsquo;inventent &eacute;galement une identit&eacute; sup&eacute;rieure &agrave; celle des groupes qu&rsquo;ils rejettent.</p> <p class="texte">Les populistes de gauche ne sont pas sur la m&ecirc;me longueur d&rsquo;onde &agrave; cet &eacute;gard, mais ils se r&eacute;clament &eacute;galement d&rsquo;un souverainisme exclusif et d&rsquo;une identit&eacute; collective exemplaire, th&egrave;me qui fut r&eacute;current dans la pens&eacute;e nationaliste europ&eacute;enne depuis la fin du XIX<sup>e</sup> si&egrave;cle. M&eacute;lenchon exalte la grandeur de la vocation universaliste de la France&nbsp;: &laquo;&nbsp;Notre pays d&eacute;borde d&#39;&eacute;nergie et de savoir-faire. Il est aux avant-postes des domaines les plus avanc&eacute;s de l&#39;esprit humain. Il regorge de bonnes volont&eacute;s, d&#39;envie de se rendre utile, d&#39;imagination et de capacit&eacute; de cr&eacute;ation. Sa langue est en usage commun dans 29 pays du monde et elle formera le troisi&egrave;me groupe de locuteurs d&#39;ici peu. Avec ses 35 fronti&egrave;res, si la France d&eacute;veloppe son identit&eacute; universaliste, elle peut coop&eacute;rer directement avec les peuples de tous les continents. Si elle se rend ind&eacute;pendante, elle peut contribuer en premi&egrave;re ligne &agrave; la paix du monde&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn4" id="bodyftn4">4</a></sup> Dans la m&ecirc;me logique, il ne cache pas son hostilit&eacute; &agrave; l&rsquo;Allemagne et le d&eacute;go&ucirc;t de Bruxelles, symbole des institutions europ&eacute;ennes.</p> <p class="texte">Leur relation au nationalisme est pourtant plus complexe qu&rsquo;il n&rsquo;y para&icirc;t au premier abord. Il leur manque les exigences d&rsquo;&eacute;l&eacute;vation politique et morale qui ont constitu&eacute; une des caract&eacute;ristiques du nationalisme originel. Leur horizon d&rsquo;esp&eacute;rance n&rsquo;est plus la gloire et la grandeur de l&rsquo;&Eacute;tat, ni la valorisation du sacrifice et de l&rsquo;h&eacute;ro&iuml;sme au service de la nation. Ils se m&eacute;fient des aventures ext&eacute;rieures et n&rsquo;ont aucun go&ucirc;t pour les entreprises belliqueuses. Il n&rsquo;est pas rare que les populistes soient &agrave; contre-courant des int&eacute;r&ecirc;ts de la nation. Certains dirigeants populistes entretiennent aujourd&rsquo;hui une relation ambigu&euml; avec la Russie, une puissance &eacute;trang&egrave;re poursuivant des objectifs susceptibles de porter atteinte &agrave; la souverainet&eacute; de leur nation. Le cas le plus illustre est celui du pr&eacute;sident Trump. En Europe, les partis populistes de droite entretiennent &eacute;galement des liens &eacute;troits avec le gouvernement russe qui soutient la Ligue du Nord en Italie, le parti de la libert&eacute; en Autriche, l&rsquo;AfP en Allemagne. Marine Le Pen a cherch&eacute; des soutiens politiques et financiers &agrave; Moscou.</p> <p class="texte">Le nationalisme d&rsquo;antan avait pris le relais dans le monde occidental des religions jud&eacute;o-chr&eacute;tiennes en d&eacute;veloppant une conception politique qui donnait un sens &agrave; l&rsquo;histoire. Il contenait un r&eacute;cit eschatologique conf&eacute;rant &agrave; l&rsquo;histoire terrestre une port&eacute;e r&eacute;demptrice. Le royaume des cieux avait &eacute;t&eacute; promis aux chr&eacute;tiens, alors que ceux qui &eacute;taient tomb&eacute;s au champ d&rsquo;honneur participaient au destin d&rsquo;une nation &eacute;ternelle.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn5" id="bodyftn5">5</a></sup> Les populistes n&rsquo;entretiennent plus de liens avec ces promesses, ni m&ecirc;me avec les grands r&eacute;cits id&eacute;ologiques qui en furent le reliquat. Aux &Eacute;tats-Unis, l&rsquo;essor des fondamentalismes religieux garde n&eacute;anmoins l&rsquo;esp&eacute;rance d&rsquo;une communaut&eacute; chr&eacute;tienne harmonieuse et prot&eacute;g&eacute;e qui n&rsquo;aurait pas d&eacute;vi&eacute; de la loi du P&egrave;re et qui aurait r&eacute;sist&eacute; &agrave; ses ennemis de l&rsquo;ext&eacute;rieur, &agrave; l&rsquo;ins&eacute;curit&eacute; du monde ambiant et aux changements socioculturels qui lui sont associ&eacute;s.</p> <p class="texte"><em>Les failles de l&rsquo;int&eacute;gration</em></p> <p class="texte">La revendication de souverainet&eacute; nationale et de souverainet&eacute; &eacute;tatique implique la question de l&rsquo;int&eacute;gration politique et sociale. Les pays d&rsquo;Am&eacute;rique latine ont &eacute;t&eacute; souvent d&eacute;faillants &agrave; cet &eacute;gard, leurs sph&egrave;res dirigeantes s&rsquo;employant &agrave; pr&eacute;server des structures &eacute;conomiques, des traditions culturelles et des hi&eacute;rarchies sociales de nature patrimoniale. On retrouve le m&ecirc;me genre de r&eacute;alit&eacute;s en bien d&rsquo;autres pays de la p&eacute;riph&eacute;rie qui ne sont pas parvenus &agrave; d&eacute;velopper les assises socioculturelles favorables au progr&egrave;s &eacute;conomique et &agrave; l&rsquo;essor des institutions d&eacute;mocratiques.</p> <p class="texte">La mont&eacute;e en puissance de partis populistes aux &Eacute;tats-Unis et en Europe est associ&eacute;e au ch&ocirc;mage, &agrave; la pauvret&eacute; et &agrave; l&rsquo;augmentation des in&eacute;galit&eacute;s de revenu.L&rsquo;exclusion sociale est &eacute;galement au c&oelig;ur de cette probl&eacute;matique. La crise financi&egrave;re de 2008 a entra&icirc;n&eacute; des ann&eacute;es de stagnation &eacute;conomique, li&eacute;e aux politiques d&rsquo;aust&eacute;rit&eacute; que les gouvernements ont assum&eacute;es pour endiguer l&rsquo;endettement. En France, les personnes qui soutiennent les partis populistes appartiennent d&rsquo;ordinaire aux couches les plus vuln&eacute;rables de la population. On estime qu&rsquo;une bonne part des membres du Front national provient de milieux ouvriers. Il trouve aussi une audience relativement importante parmi les petits commer&ccedil;ants et les artisans, parmi les individus de peu de formation professionnelle, parmi ceux qui sont sans emploi ou menac&eacute;s de le perdre, autant de cat&eacute;gories sociales durement affect&eacute;es par la crise. Les jeunes constituent une part importante de l&rsquo;&eacute;lectorat de Marine Le Pen et l&rsquo;on peut faire l&rsquo;hypoth&egrave;se que leur ins&eacute;curit&eacute; face &agrave; l&rsquo;emploi explique ce soutien.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn6" id="bodyftn6">6</a></sup> C&rsquo;est aussi dans les p&eacute;riph&eacute;ries et non dans les grandes villes que ce vote populiste est le plus important. En Italie, les mouvements populistes re&ccedil;oivent l&rsquo;appui de gens exasp&eacute;r&eacute;s par leurs conditions de vie, par leur impuissance &agrave; changer le cours des choses et aussi par les affaires de corruption impliquant certains milieux &eacute;conomiques et politiques. Aux &Eacute;tats-Unis, les populations touch&eacute;es par le d&eacute;clin de certains secteurs industriels et par la fermeture de mines de charbon ont vot&eacute; pour Trump, au m&ecirc;me titre qu&rsquo;une partie de la classe moyenne blanche, dont le statut n&rsquo;a cess&eacute; de se d&eacute;grader au cours des derni&egrave;res d&eacute;cennies. Dans les campagnes et certaines villes du nord de l&rsquo;Angleterre dont le tissu industriel s&rsquo;est d&eacute;grad&eacute;, on a vot&eacute; largement pour le Brexit, parce qu&rsquo;un grand nombre d&rsquo;individus avaient connu une d&eacute;t&eacute;rioration de leur statut social et avaient perdu leur emploi. Ils pouvaient avoir le sentiment que plus personne ne les reconnaissait et qu&rsquo;ils &eacute;taient abandonn&eacute;s par les partis et les syndicats. Les d&eacute;fenseurs de cette rupture avec l&rsquo;Union europ&eacute;enne n&rsquo;eurent pas de peine &agrave; leur faire croire que Bruxelles &eacute;tait la cause de leurs probl&egrave;mes.</p> <p class="texte"><em>La contestation des &eacute;lites</em></p> <p class="texte">Les populistes tirent parti du marasme et des d&eacute;r&egrave;glements de la vie d&eacute;mocratique, en particulier des in&eacute;galit&eacute;s croissantes inh&eacute;rentes &agrave; la dynamique n&eacute;o-lib&eacute;rale, aux liens malsains que le monde de la finance entretient avec les dirigeants politiques. Il n&rsquo;est en effet pas rare que l&rsquo;establishment form&eacute; par les &eacute;lites &eacute;conomiques et politiques soit n&eacute;faste et que les politiciens travestissent les esp&eacute;rances des &eacute;lecteurs. Dans une p&eacute;riode de r&eacute;cession ou lorsque la croissance est faible, les avantages mat&eacute;riels ind&eacute;cents des dirigeants des grandes entreprises, en particulier ceux des banques, ceux-l&agrave; m&ecirc;mes qui se rendent au forum de Davos en avions priv&eacute;s pour d&eacute;battre des changements climatiques et d&rsquo;un monde &eacute;quitable, suscitent une col&egrave;re compr&eacute;hensible de gens &eacute;conomiquement vuln&eacute;rables.</p> <p class="texte">Les crises &eacute;conomiques et sociales ont souvent une cause politique, mais en d&eacute;mocratie le peuple n&rsquo;est pas &eacute;tranger au choix de ses dirigeants, de ceux-l&agrave; m&ecirc;mes qui s&rsquo;av&egrave;rent d&eacute;faillants. Par ignorance ou par int&eacute;r&ecirc;t, ils prennent de mauvaises d&eacute;cisions ou refusent d&rsquo;engager des r&eacute;formes que la bonne gestion de l&rsquo;&eacute;conomie imposerait. La souverainet&eacute; populaire n&rsquo;est donc pas infaillible&nbsp;et il n&rsquo;est pas rare que ces crises d&eacute;coulent d&rsquo;un manque de clairvoyance de ceux qui gouvernent, de leur d&eacute;faut de courage, d&rsquo;int&eacute;grit&eacute; et de sens civique. Au d&eacute;but des ann&eacute;es 1990, le PNB de l&rsquo;Italie &eacute;tait &eacute;quivalent &agrave; celui de la Grande-Bretagne. Il est aujourd&rsquo;hui de 36&nbsp;% inf&eacute;rieur, apr&egrave;s 25 ans de r&eacute;cession. Le ch&ocirc;mage affecte plus de 11&nbsp;% de la population, dont 33&nbsp;% des jeunes de moins de 25 ans qui ne sont pas engag&eacute;s dans un cycle d&rsquo;&eacute;tudes. Dans le m&ecirc;me temps, il y aurait quelque 600&nbsp;000 immigrants ill&eacute;gaux.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn7" id="bodyftn7">7</a></sup> Les orientations politiques des gouvernements Berlusconi (pr&eacute;sident du Conseil des ministres de 1994 &agrave; 1995, de 2001 &agrave; 2006 et de 2008 &agrave; 2011) sont en grande partie responsables des faiblesses structurelles de l&rsquo;&eacute;conomie italienne, mais ce dirigeant d&eacute;magogue avait &eacute;t&eacute; pl&eacute;biscit&eacute; par une partie des gens qui soutiennent aujourd&rsquo;hui le parti de la <em>Ligue</em> ou le mouvement <em>5 &eacute;toiles</em>. La stagnation &eacute;conomique et sociale de la France est en partie imputable aux gouvernements qui se sont succ&eacute;d&eacute; dans ce pays au cours des derni&egrave;res d&eacute;cennies, mais il est n&rsquo;est pas contestable qu&rsquo;ils ont &eacute;t&eacute; soutenus par la majorit&eacute; de son corps &eacute;lectoral.</p> <p class="texte"><em>Les revendications identitaires</em></p> <p class="texte">Le ch&ocirc;mage et la pauvret&eacute; n&rsquo;expliquent pas enti&egrave;rement l&rsquo;essor du populisme. Comme le souligne Michel Wierviorka, le FN a obtenu &laquo;&nbsp;des scores &eacute;lev&eacute;s dans des circonscriptions o&ugrave; l&rsquo;on ne rencontre ni d&eacute;sesp&eacute;rance, ni col&egrave;re, ni probl&egrave;me majeur d&rsquo;ins&eacute;curit&eacute;, o&ugrave; le niveau de vie est &eacute;gal ou sup&eacute;rieur &agrave; la moyenne&hellip;&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn8" id="bodyftn8">8</a></sup> Les partis populistes se sont d&eacute;velopp&eacute;s dans nombre de pays europ&eacute;ens dont le niveau moyen de vie est &eacute;lev&eacute;, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Su&egrave;de, Norv&egrave;ge, Danemark, Finlande, Pays-Bas, Suisse, Autriche. Ils ont &eacute;galement le soutien de gens appartenant &agrave; des cat&eacute;gories sociales privil&eacute;gi&eacute;es. Ils sont venus au pouvoir en Pologne et en Hongrie, alors que ces pays avaient connu une croissance &eacute;conomique importante depuis la fin de l&rsquo;empire sovi&eacute;tique. Aux USA, Trump a l&rsquo;appui de milieux ais&eacute;s. Nigel Farage a longtemps milit&eacute; dans le parti conservateur et a obtenu un grand soutien dans les milieux ais&eacute;s de ce parti.</p> <p class="texte">Les populistes r&eacute;agissent &agrave; des changements sociaux qui constituent des facteurs d&rsquo;ins&eacute;curit&eacute; psychologique, ce qui explique leur revendication identitaire et leur qu&ecirc;te d&rsquo;une communaut&eacute; protectrice, qu&rsquo;elle soit nationale ou religieuse. La mondialisation est en cause. Marine Le Pen d&eacute;nonce &laquo;&nbsp;l&rsquo;uniformisation culturelle mondialiste encourag&eacute;e par l&rsquo;oligarchie&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn9" id="bodyftn9">9</a></sup> David Goodhart a soutenu la th&egrave;se selon laquelle les oppositions politiques qui se sont manifest&eacute;es au Royaume-Uni &agrave; l&rsquo;occasion du r&eacute;f&eacute;rendum sur le Brexit refl&eacute;taient celles qui existent entre les personnes &agrave; l&rsquo;aise de l&rsquo;univers de la mondialisation et celles qui lui r&eacute;sistent en exprimant un besoin d&rsquo;enracinement communautaire. Les premi&egrave;res seraient plut&ocirc;t bien &eacute;duqu&eacute;es et mobiles. Elles valoriseraient l&rsquo;autonomie individuelle et seraient port&eacute;es &agrave; d&eacute;fendre des perspectives cosmopolites. Les partisans du Brexit, au contraire, seraient dans l&rsquo;ensemble moins &eacute;duqu&eacute;s, peu &agrave; l&rsquo;aise avec les bouleversements &eacute;conomiques en cours et plus enracin&eacute;s dans leur terroir. Ils trouveraient leur s&eacute;curit&eacute; dans l&rsquo;attachement &agrave; des syst&egrave;mes de r&eacute;f&eacute;rence identitaire traditionnels.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn10" id="bodyftn10">10</a></sup></p> <p class="texte">Les partis populistes de droite trouvent un appui important parmi les personnes &acirc;g&eacute;es. Elles ne sont pas &eacute;trang&egrave;res au <em>Brexit</em> en Grande-Bretagne. Elles ont constitu&eacute; un &eacute;lectorat non n&eacute;gligeable du parti <em>Droit et Justice</em> en Pologne, de <em>Fidesz</em> en Hongrie et de <em>La ligue du Nord</em> en Italie.<a class="footnotecall" href="#ftn11" id="bodyftn11">11</a> Certains courants du populisme se nourrissent d&rsquo;une r&eacute;action &agrave; l&rsquo;avanc&eacute;e de valeurs individualistes et libertaires, notamment en mati&egrave;re sexuelle. On le remarque dans les protestations suscit&eacute;es un peu partout par le mariage homosexuel. La question des migrants s&rsquo;impose &eacute;galement dans ce contexte, puisqu&rsquo;ils sont porteurs de croyances religieuses, de valeurs et des pratiques culturelles diff&eacute;rentes et qui sont souvent per&ccedil;ues comme inqui&eacute;tantes. On ne peut pas exclure que la misogynie de Trump, ses propos grossiers &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des femmes en particulier et ses attaques contre l&rsquo;avortement lui aient valu paradoxalement des soutiens dans les milieux conservateurs qui s&rsquo;adaptent mal aux id&eacute;es d&rsquo;&eacute;galit&eacute; entre les genres et regrettent tout ce qui touche &agrave; la lib&eacute;ration des m&oelig;urs.</p> <p class="texte">Quoi qu&rsquo;il en soit, l&rsquo;hostilit&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des gens en place est un leitmotiv des discours populistes. Leur appel au peuple vise surtout &agrave; d&eacute;consid&eacute;rer les responsables politiques, les dirigeants comme les parlementaires, &laquo;&nbsp;la classe politique&nbsp;&raquo;, comme on les d&eacute;signe parfois. Certains auteurs consid&egrave;rent que le th&egrave;me de l&rsquo;opposition entre &laquo;&nbsp;le peuple pur et les &eacute;lites&nbsp;&raquo; constitue la premi&egrave;re caract&eacute;ristique du populisme, m&ecirc;me s&rsquo;il n&rsquo;envahit pas tous les discours avec la m&ecirc;me intensit&eacute;.<a class="footnotecall" href="#ftn12" id="bodyftn12">12</a> Ses dirigeants affirment d&eacute;fendre les int&eacute;r&ecirc;ts de &laquo;&nbsp;la majorit&eacute; silencieuse&nbsp;&raquo; ou ceux des &laquo;&nbsp;laissez pour compte&nbsp;&raquo; dont les sph&egrave;res dirigeantes ne tiendraient pas compte. Leur contestation prend la forme d&rsquo;attaques irr&eacute;v&eacute;rencieuses contre des leaders d&rsquo;autres partis, des parlementaires, des gouvernants, des journalistes et des &laquo;&nbsp;bureaucrates&nbsp;&raquo; de Bruxelles. Ils incriminent aussi les milieux d&rsquo;affaires. Les discours populistes contre les &eacute;lites visent ceux qui ont les r&ecirc;nes du pouvoir &eacute;conomique et politique, mais aussi ceux qui b&eacute;n&eacute;ficient d&rsquo;une certaine h&eacute;g&eacute;monie socioculturelle, gr&acirc;ce aux m&eacute;dias notamment. Leur pol&eacute;mique s&rsquo;impose comme l&rsquo;expression d&rsquo;un ressentiment &agrave; l&rsquo;encontre des tenants de l&rsquo;ordre &eacute;tabli.</p> <p class="texte">Cependant leurs pol&eacute;miques &agrave; l&rsquo;encontre des &eacute;lites restent souvent ind&eacute;termin&eacute;es. Ils se contentent d&rsquo;affirmer qu&rsquo;elles seraient &eacute;loign&eacute;es du peuple et qu&rsquo;elles le m&eacute;priseraient, qu&rsquo;elles agiraient pour leurs int&eacute;r&ecirc;ts et seraient corrompues. En les d&eacute;signant comme les principaux responsables des malheurs de la nation, ils peuvent esquiver l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; de strat&eacute;gies pr&eacute;cises visant &agrave; provoquer un changement politique. &Agrave; la diff&eacute;rence des projets r&eacute;volutionnaires du pass&eacute;, leur pol&eacute;mique contre les sph&egrave;res dirigeantes n&rsquo;int&egrave;gre aucune vision politique prospective&nbsp;; elle ne comprend pas de projet de soci&eacute;t&eacute; consistant.</p> <p class="texte">Leur pol&eacute;mique alimente &eacute;galement la fascination trouble dont les d&eacute;tenteurs de la puissance sont l&rsquo;objet. Elle alimente le fantasme infantile de la sc&egrave;ne primitive que Freud a mis &agrave; jour. Dans une &eacute;poque o&ugrave; les m&eacute;dias accordent tant d&rsquo;importance aux faits et gestes des personnalit&eacute;s publiques, en particulier aux hommes et aux femmes de la politique et du monde des affaires, cette suspicion &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des &eacute;lites t&eacute;moignerait aussi de fantasmagories qui ne seraient pas &eacute;loign&eacute;es de celles des enfants confront&eacute;s &agrave; la sexualit&eacute; du monde adulte. Ainsi, ces gens, symboles de la puissance, feraient des choses en secret dans le dos du petit peuple. Cette conviction serait d&rsquo;autant plus forte que les affaires dont ils s&rsquo;occupent s&rsquo;av&egrave;rent toujours plus difficiles &agrave; comprendre, puisqu&rsquo;elles exigent des connaissances dans les domaines complexes, notamment ceux de la finance, de la monnaie, du commerce et de la fiscalit&eacute;. En outre, il n&rsquo;est pas rare que la vie de ces d&eacute;tenteurs du pouvoir &eacute;conomique et politique soit associ&eacute;e &agrave; celle des &laquo;&nbsp;people&nbsp;&raquo; en g&eacute;n&eacute;ral, &agrave; la sexualit&eacute; plus ou moins hors normes des stars du cin&eacute;ma et de la t&eacute;l&eacute;vision. Ainsi rien ne sert de contester la pr&eacute;tention des populistes d&rsquo;incarner le peuple et de traduire sa volont&eacute;. Leur revendication traduit des positions &eacute;motionnelles qui se d&eacute;robent aux contradictions fond&eacute;es sur des arguments logiques. On est dans un mode de pens&eacute;e binaire, qui comprend un clivage entre des aspirations id&eacute;ales et des r&eacute;alit&eacute;s n&eacute;fastes, entre des politiciens crapuleux et un peuple rebelle qui cherche &agrave; s&rsquo;en &eacute;manciper.</p> <p class="texte"><em>Tout, tout de suite</em></p> <p class="texte">La qu&ecirc;te d&rsquo;une nation protectrice ou d&rsquo;une communaut&eacute; religieuse int&eacute;grante, aussi bien que le d&eacute;sir d&rsquo;une souverainet&eacute; sans partage et transparente, exprime de mani&egrave;re plus ou moins explicite un refus des contraintes politiques et sociales. En fait, les populistes pr&eacute;tendent offrir tout et tout de suite. Comme le souligne Guy Hermet, le populisme constitue un &laquo;&nbsp;proc&eacute;d&eacute; antipolitique, en ce sens qu&rsquo;il r&eacute;cuse par ignorance ou malhonn&ecirc;tet&eacute; la nature m&ecirc;me de l&rsquo;art de la politique&nbsp;&raquo;. Ses dirigeants encouragent une &laquo;&nbsp;exploitation syst&eacute;matique du r&ecirc;ve&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn13" id="bodyftn13">13</a></sup> Ils sont enclins &agrave; d&eacute;nigrer les obstacles &agrave; la r&eacute;alisation imm&eacute;diate de leurs d&eacute;sirs. Ils flattent ainsi ce qui rel&egrave;ve de la toute-puissance, donc de l&rsquo;infantile. Ils mobilisent ce qui rel&egrave;ve de la pens&eacute;e magique.</p> <p class="texte">Dans cette perspective, ils offrent une manifestation caricaturale de la d&eacute;magogie, une attitude politique qui consiste &agrave; utiliser rationnellement des modes de pens&eacute;e illusoires pour atteindre les marches ou la r&eacute;alit&eacute; du pouvoir. Ils jouent avec les aspirations individuelles et collectives de bien-&ecirc;tre. Ils adoptent ainsi des positions visant &agrave; flatter les convoitises et les aspirations des &eacute;lecteurs, &agrave; leur faire plaisir en leur annon&ccedil;ant des gratifications imm&eacute;diates, telles qu&rsquo;un abaissement de l&rsquo;&acirc;ge de la retraite, une augmentation des salaires et des prestations sociales g&eacute;n&eacute;reuses, m&ecirc;me lorsque ces promesses vont manifestement &agrave; l&rsquo;encontre des contraintes d&eacute;mographiques, des exigences d&rsquo;&eacute;quilibre budg&eacute;taire, des imp&eacute;ratifs de la comp&eacute;titivit&eacute; internationale des entreprises et de l&rsquo;emploi. Leurs discours avancent une repr&eacute;sentation extraordinairement simplifi&eacute;e des enjeux &eacute;conomiques, politiques et sociaux. Suivant cette inclination, ils sont en d&eacute;licatesse avec ce qui rel&egrave;ve des donn&eacute;es et pr&eacute;ceptes les plus &eacute;l&eacute;mentaires de l&rsquo;analyse &eacute;conomique, niant la complexit&eacute; du r&eacute;el, refusant les arguments d&rsquo;ordre technique ou scientifique. Ils expriment souvent une r&eacute;vulsion &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de la finance et du grand capital, dans une rh&eacute;torique qui n&rsquo;est pas sans ressemblance avec celle des ann&eacute;es 1930. Ils contestent les rationalit&eacute;s &eacute;conomiques dominantes, en se gardant d&rsquo;offrir de v&eacute;ritable contrepartie et s&rsquo;emploient &agrave; esquiver les d&eacute;bats touchant aux questions mon&eacute;taires, financi&egrave;res, commerciales et budg&eacute;taires. Les programmes politiques qui en d&eacute;coulent sont une variation sur le th&egrave;me&nbsp;: &laquo;&nbsp;demain on rase gratis&nbsp;&raquo;. Ainsi, Marine Le Pen et M&eacute;lenchon sont hostiles au libre-&eacute;change qui &eacute;branle les &laquo;&nbsp;industries nationales&nbsp;&raquo;. Ils n&rsquo;entrent pas en mati&egrave;re pour contrer les arguments des &eacute;conomistes qui soulignent l&rsquo;imbrication transnationale des syst&egrave;mes de production. Ils demandent d&rsquo;abandonner l&rsquo;Euro, refusant d&rsquo;envisager les probl&egrave;mes qui s&rsquo;en suivraient pour la France, &agrave; savoir une forte augmentation de la dette, des fermetures d&rsquo;usine et la croissance du ch&ocirc;mage. Les id&eacute;es et les attitudes de Trump sont une expression embl&eacute;matique d&rsquo;une pens&eacute;e d&eacute;magogique faite de promesses intenables&nbsp;aux &eacute;lecteurs qui le soutiennent et d&rsquo;appels &agrave; la destruction des principes de l&rsquo;ordre international. Il navigue ainsi dans un univers de toute-puissance qui ne conc&egrave;de aucune place &agrave; la r&eacute;flexion et &agrave; l&rsquo;argumentation.</p> <p class="texte"><em>Le mensonge</em></p> <p class="texte">L&rsquo;utilisation de la d&eacute;magogie n&rsquo;est pas compatible avec la v&eacute;rit&eacute;. Les dirigeants populistes entretiennent avec les faits objectifs une relation conflictuelle. Ils abusent des mots et distordent la r&eacute;alit&eacute; des faits par leurs exag&eacute;rations. Le mensonge est un instrument de s&eacute;duction &agrave; double sens. Il fait plaisir aux gens qui y croient, tout en confortant le sentiment de valeur de celui qui en use. Dans son d&eacute;bat avec le candidat Macron, &agrave; la veille des derni&egrave;res &eacute;lections pr&eacute;sidentielles fran&ccedil;aise, Marine Le Pen ass&egrave;ne des contre-v&eacute;rit&eacute;s et des insinuations sans fondement et flirtant avec la th&eacute;orie du complot. En Suisse, l&rsquo;UDC lance une initiative populaire &laquo;&nbsp;contre l&rsquo;immigration de masse&nbsp;&raquo;, qui finit par l&rsquo;emporter lors d&rsquo;un vote populaire en 2014, alors que la substance de l&rsquo;initiative propos&eacute;e aux &eacute;lecteurs est d&rsquo;une autre nature. Le mensonge joue un r&ocirc;le consid&eacute;rable dans la propagande orchestr&eacute;e par les sph&egrave;res dirigeantes polonaise et hongroise, comme dans les discours des militants populistes dans le reste de l&rsquo;Europe. Les partisans du <em>Brexit</em> en ont beaucoup abus&eacute; &agrave; la veille du referendum. Trump pr&eacute;sente une expression caricaturale de ce genre de falsification. Ses mensonges persistants traduisent un refus de la r&eacute;alit&eacute; qui a des aspects infantiles tout en manifestant les failles narcissiques du personnage. Ils font en effet penser aux contre-v&eacute;rit&eacute;s des petits enfants qui ont tendance &agrave; manipuler la r&eacute;alit&eacute; pour la conformer &agrave; leurs aspirations.</p> <p class="texte">L&rsquo;incompr&eacute;hension et le d&eacute;go&ucirc;t qu&rsquo;ils &eacute;prouvent face &agrave; la marche des affaires publiques expliquent que les populistes soutiennent des positions politiques risquant de p&eacute;jorer leurs propres conditions de vie. Ainsi Trump et le parti r&eacute;publicain d&eacute;fendent des programmes &eacute;conomiques et sociaux qui heurtent de front les besoins des milieux d&eacute;favoris&eacute;s, ceux-l&agrave; m&ecirc;mes qui ont &eacute;t&eacute; s&eacute;duits par leurs discours. Dans le m&ecirc;me sens, les orientations &eacute;conomiques ultra lib&eacute;rales du Pr&eacute;sident Jair Bolsonaro au Br&eacute;sil affecteront rapidement nombre de ses &eacute;lecteurs. Il faut rappeler que la d&eacute;magogie des dirigeants populistes s&rsquo;adresse en priorit&eacute; &agrave; des gens qui n&rsquo;ont pas les aptitudes ou l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t pour la complexit&eacute; des d&eacute;bats de politiques publiques. Dans une &eacute;tude sur l&rsquo;UDC et son &eacute;lectorat, des chercheurs ont montr&eacute; que les gens qui soutiennent ce parti n&rsquo;ont souvent pas les comp&eacute;tences pour comprendre les grands enjeux de la vie politique.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn14" id="bodyftn14">14</a></sup> Une analyse du FN arrive implicitement &agrave; des conclusions analogues&nbsp;: &quot;Hors militant encart&eacute;, quasiment aucun des &eacute;lecteurs frontistes que j&#39;ai interrog&eacute;s n&#39;&eacute;tait capable de citer ne serait-ce qu&#39;une seule proposition&nbsp;d&eacute;fendue par ce parti... Ils expriment une pr&eacute;f&eacute;rence, davantage qu&#39;un choix politique construit.&quot;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn15" id="bodyftn15">15</a></sup> En r&eacute;alit&eacute;, une bonne partie de leurs &eacute;lecteurs sont relativement peu &eacute;duqu&eacute;s, ayant tout au moins une faible qualification professionnelle.<a class="footnotecall" href="#ftn16" id="bodyftn16">16</a> Ils n&rsquo;ont pas acquis les aptitudes intellectuelles ou n&rsquo;ont pas la patience leur permettant de comprendre les enjeux &eacute;conomiques et sociaux des programmes qui leur sont propos&eacute;s. Ils seraient aussi port&eacute;s &agrave; s&rsquo;identifier &agrave; des leaders ayant un bagage culturel limit&eacute;, comme c&rsquo;est notamment le cas de Trump qui trouve l&rsquo;essentiel de ses appuis dans les petites villes et les r&eacute;gions de campagne qui restent en marge des lieux d&rsquo;&eacute;change culturel et de d&eacute;bats intellectuels. Ils auraient tendance &agrave; confondre les id&eacute;es qu&rsquo;ils r&eacute;cusent - ou celles qu&rsquo;ils ne comprennent pas- avec des agressions. Ils vivraient les nuances politiques et les modes de raisonnement &eacute;conomiques complexes comme des menaces. Compte tenu des id&eacute;es et des attitudes qu&rsquo;ils soutiennent, on peut penser que les mouvements populistes comprennent un bon nombre d&rsquo;individus dont la structure psychologique est rigide et qui auraient de la peine &agrave; symboliser, &agrave; reconna&icirc;tre les aspects &eacute;quivoques de la r&eacute;alit&eacute;. Ayant d&rsquo;ordinaire une personnalit&eacute; fragile, ils ont besoin de certitudes massives et sont port&eacute;s &agrave; exacerber l&rsquo;importance de leurs fronti&egrave;res identitaires face &agrave; ceux qu&rsquo;ils per&ccedil;oivent comme &eacute;trangers.</p> <p class="texte"><em>Le d&eacute;nigrement des r&egrave;gles de civilit&eacute;</em></p> <p class="texte">Les dirigeants populistes adoptent un discours et des attitudes d&eacute;bordant de passions et de haine, tout en prenant appui sur des perspectives manich&eacute;ennes et projectives. Leurs supporters se retrouvent dans la rage qu&rsquo;ils manifestent contre l&rsquo;ordre &eacute;tabli, dans le m&eacute;pris qu&rsquo;ils affichent &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de certaines minorit&eacute;s. C&rsquo;est &eacute;galement la raison pour laquelle ils sont mal &agrave; l&rsquo;aise avec les cadres institutionnels et normatifs en vigueur, en particulier ceux de la d&eacute;mocratie qui impliquent de se soumettre &agrave; des proc&eacute;dures d&eacute;lib&eacute;ratives complexes. Leur contestation des normes d&eacute;mocratiques s&rsquo;affirme dans le travestissement des lois et de l&rsquo;ordre juridique. C&rsquo;&eacute;tait le cas du gouvernement Berlusconi qui eut toute sorte de d&eacute;m&ecirc;l&eacute;s judiciaires, puisqu&rsquo;il a &eacute;t&eacute; impliqu&eacute; dans des activit&eacute;s criminelles, des fraudes fiscales et des affaires de m&oelig;urs. Les dirigeants populistes cultivent une forme d&rsquo;encanaillement et d&rsquo;ind&eacute;cence, brisant les conventions et le savoir-vivre n&eacute;cessaires au maintien d&rsquo;un certain ordre social. Ils manquent volontairement de contenance et souvent de dignit&eacute;, puisqu&rsquo;ils aiment les proc&eacute;d&eacute;s rh&eacute;toriques et les attitudes vulgaires. Ils savent jouer sur la sc&egrave;ne publique, exhibant leur go&ucirc;t de la d&eacute;rision, et du persiflage. C&rsquo;est le &laquo;&nbsp;va te faire foutre&nbsp;&raquo; de Beppe Grillo. Matteo Salvini d&eacute;nonce l&rsquo;Euro comme &laquo;&nbsp;un crime contre l&rsquo;humanit&eacute;&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn17" id="bodyftn17">17</a></sup> Ils se caract&eacute;risent par un discours provocateur, d&eacute;sinhib&eacute;, par un langage r&eacute;ducteur, &eacute;maill&eacute; de formules outrageantes vis-&agrave;-vis des femmes et des minorit&eacute;s ethniques ou sexuelles. Ainsi en est-il au Br&eacute;sil du discours ordurier de Jair Bolsonaro visant ces groupes. Les dirigeants populistes encouragent par ce biais les d&eacute;bordements d&rsquo;agressivit&eacute; et l&rsquo;abandon de toute forme de retenue pulsionnelle. Leurs attaques contre la presse en t&eacute;moignent. Le pr&eacute;sident am&eacute;ricain ne cesse d&rsquo;affirmer que les m&eacute;dias diffusent des fausses nouvelles, alors que le dirigeant du parti <em>5 &eacute;toiles</em>, Luigi Di Maio, assimile les journalistes &agrave; des chacals et &agrave; des prostitu&eacute;es.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn18" id="bodyftn18">18</a></sup> Aux &Eacute;tats-Unis, les &eacute;lecteurs populistes se&nbsp;r&eacute;clament de valeurs traditionnelles, chr&eacute;tiennes en particulier, mais ils soutiennent un pr&eacute;sident qui s&rsquo;illustre par un m&eacute;pris assez g&eacute;n&eacute;ral des conventions &eacute;tablies et m&ecirc;me des r&egrave;gles de civilit&eacute;. Il traite les migrants d&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;animaux&nbsp;&raquo; ou de &laquo;&nbsp;violeurs&nbsp;&raquo; en les d&eacute;signant &agrave; la col&egrave;re populaire, autorisant la haine que certains individus portent &agrave; ces &eacute;trangers. Les inepties et blagues insultantes de Boris Johnson s&rsquo;inscrivent dans le m&ecirc;me registre, au m&ecirc;me titre que les propos et les jeux de mots &agrave; consonances antis&eacute;mites de Jean-Marie Le Pen et des dirigeants de la Ligue du nord en Italie. Le drapeau europ&eacute;en fut assimil&eacute; &agrave; un &laquo;&nbsp;torchon oligarchique&nbsp;&raquo; par Florian Philippot, un cadre important du FN. Les diatribes de M&eacute;lenchon contre l&rsquo;Allemagne font remonter la m&eacute;moire d&rsquo;un pass&eacute; douloureux pour les Fran&ccedil;ais. Ses manifestations de haine et ses insultes &agrave; l&rsquo;encontre de la &laquo;&nbsp;caste&nbsp;&raquo; des journalistes sont d&rsquo;autres expressions de ces attitudes pol&eacute;miques.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn19" id="bodyftn19">19</a></sup> Les engagements de campagne &eacute;lectorale de Marine Le Pen manquent &eacute;galement de tenue. Par leur rh&eacute;torique outranci&egrave;re, ces politiciens pr&eacute;tendent ainsi exprimer tout haut ce que tout le monde pense tout bas et tiennent des propos inconvenants au regard des conventions de la sph&egrave;re publique. Ils s&rsquo;emploient aussi &agrave; briser les clivages entre la vie priv&eacute;e et l&rsquo;espace public. La plupart des dirigeants populistes ont paradoxalement un langage de peu de mots. Ils utilisent un vocabulaire et une syntaxe qui est celles de gens qui ma&icirc;trisent mal les outils culturels, en partie pour &laquo;&nbsp;faire peuple&nbsp;&raquo;, mais aussi parce que leurs prises de position refl&egrave;tent leurs raisonnements simplistes. C&rsquo;est notamment le cas de Trump ou de Luigi di Maio. M&eacute;lenchon, qui se compla&icirc;t dans de longs discours &eacute;maill&eacute;s d&rsquo;une rh&eacute;torique didactique, est une exception parmi les leaders populistes.</p> <p class="texte"><em>Des mouvements de masse</em></p> <p class="texte">L&rsquo;emprise &eacute;lectorale des populistes se d&eacute;veloppe dans des mouvements collectifs, dans les grands rassemblements de masse en particulier. Ils pr&eacute;tendent &eacute;tablir une relation imm&eacute;diate avec le peuple, sans la m&eacute;diation des instances interm&eacute;diaires, celles des parlements, de la justice et des administrations. &Agrave; cela s&rsquo;ajoute leur ambition d&rsquo;exister en dehors des partis traditionnels. Ils utilisent &agrave; cette fin la T&eacute;l&eacute;vision et surtout les nouveaux m&eacute;dias sociaux, twitter en particulier. Ces moyens de communication jouent incontestablement un r&ocirc;le consid&eacute;rable dans la propagation des id&eacute;es populistes et favorisent les ph&eacute;nom&egrave;nes d&rsquo;identification collective au leader de ces formations en contribuant &agrave; leur renomm&eacute;e et &agrave; l&rsquo;&eacute;panouissement de leur narcissisme. Ainsi Berlusconi, Trump et Boris Johnson utilisent avec une dext&eacute;rit&eacute; particuli&egrave;re l&rsquo;univers de la parodie m&eacute;diatique. Alors que la qu&ecirc;te du bien commun est un processus laborieux, ils s&rsquo;avancent dans l&rsquo;espace public comme des prestidigitateurs narcissiques. En Italie, Beppe Grillo s&rsquo;est illustr&eacute; par ses bouffonneries et sa verve ironique au th&eacute;&acirc;tre et &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision pour d&eacute;fendre sa contestation de la vie politique italienne. Son parti est &eacute;galement pass&eacute; ma&icirc;tre dans l&rsquo;utilisation de l&rsquo;internet. Geert Wilders se compla&icirc;t &eacute;galement dans le m&ecirc;me registre.</p> <p class="texte">Les liens entre les m&eacute;dias et le march&eacute; accentuent ces d&eacute;rives d&eacute;magogiques, car les faits divers scandaleux ou sensationnels, ayant g&eacute;n&eacute;ralement une forte dimension sexuelle, entretiennent un climat de transgression morale dont se nourrit le populisme. Ce n&rsquo;est pas un hasard si Trump a profit&eacute; de la t&eacute;l&eacute;-r&eacute;alit&eacute;, d&rsquo;un espace qui entretient et vit de personnages d&eacute;risoires mettant en sc&egrave;ne ce qui rel&egrave;ve de la vanit&eacute; &eacute;motionnelle. Il est fortun&eacute; et se compla&icirc;t dans un univers de tocs, tout en incarnant l&rsquo;encanaillement pr&eacute;dateur qui pr&eacute;side parfois &agrave; certaines formes de r&eacute;ussite capitaliste. Ce fut &eacute;galement le cas en Italie, au temps du gouvernement de <em>Forza Italia</em> anim&eacute; par Silvio Berlusconi. <em>Il Cavaliere</em> &eacute;tait alors l&rsquo;un des hommes les plus riches d&rsquo;Italie et ses ressources financi&egrave;res lui ont donn&eacute; le loisir de s&rsquo;investir dans le monde du football, le FC Milan, de contr&ocirc;ler une bonne partie des m&eacute;dias et de prendre une influence d&eacute;terminante dans le cours de la politique italienne, en brisant, tout comme Mussolini l&rsquo;avait fait avant lui, les tabous de la d&eacute;cence et des r&egrave;gles de la morale conventionnelle.&nbsp;&raquo; Pascal Bouvier a justement &eacute;crit que &laquo;&nbsp;Berlusconi risque d&rsquo;&ecirc;tre l&rsquo;aboutissement de notre existence commune faite de t&eacute;l&eacute;vision &agrave; bon march&eacute; et de discours simplistes. Lorsque les grands mythes et les grands projets se taisent, alors surviennent les beaux parleurs et les rois de la communication.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn20" id="bodyftn20">20</a></sup> Pour r&eacute;aliser des profits, les entreprises m&eacute;diatiques doivent s&rsquo;adresser &agrave; la grande masse, qui par d&eacute;finition ne repr&eacute;sente pas la partie la plus &eacute;duqu&eacute;e et s&eacute;lective de la population. Le vote en faveur du Brexit a &eacute;t&eacute; influenc&eacute; par les tablo&iuml;ds.</p> <p class="texte">Comme l&rsquo;a bien soulign&eacute; Cesare Casarino, les m&eacute;dias t&eacute;l&eacute;visuels ont drastiquement r&eacute;duit l&rsquo;autonomie du discours politique en l&rsquo;attachant &agrave; diff&eacute;rents facteurs tels que la dictature de l&rsquo;audience. Elles favorisent un spectacle qui donne l&rsquo;illusion de la transparence, modifiant les formes traditionnelles et les rituels de la d&eacute;mocratie repr&eacute;sentative. Elles contribuent &agrave; fa&ccedil;onner l&rsquo;image du leader et &agrave; entretenir son charisme.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn21" id="bodyftn21">21</a></sup>Aux &Eacute;tats-Unis, une partie des m&eacute;dias, en particulier ceux qui sont soutenus par des milliardaires d&rsquo;extr&ecirc;me-droite comme Charles et David Koch ou la famille Mercer s&rsquo;emploient &agrave; promouvoir une r&eacute;alit&eacute; alternative, faite de mensonge, de n&eacute;gation des acquis scientifiques et de repr&eacute;sentations politiques de nature illusoire, voire m&ecirc;me de type parano&iuml;aque.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn22" id="bodyftn22">22</a></sup></p> <p class="texte">Ce registre &eacute;motionnel s&rsquo;exprime dans la v&eacute;n&eacute;ration du chef. Les partis populistes sont d&rsquo;ordinaire attach&eacute;s &agrave; un leader, et certains auteurs y voient une de leur sp&eacute;cificit&eacute;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn23" id="bodyftn23">23</a></sup> Certains auteurs ont d&eacute;fini le populisme comme une strat&eacute;gie permettant &agrave; des leaders ayant de fortes ambitions personnelles d&rsquo;affirmer leur qu&ecirc;te de pouvoir ou d&rsquo;exercer des fonctions ex&eacute;cutives en s&rsquo;appuyant sur une masse d&rsquo;individus peu organis&eacute;e et sans affiliation politique claire. Cette perspective doit &ecirc;tre nuanc&eacute;e, car certains partis populistes sont bien structur&eacute;s, comme en Argentine et en Bolivie par exemple.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn24" id="bodyftn24">24</a></sup> Quoi qu&rsquo;il en soit, le chef joue un r&ocirc;le consid&eacute;rable dans le succ&egrave;s des mouvements populistes. On peut rappeler que les personnalit&eacute;s qui r&eacute;ussissent en politique doivent pouvoir compter sur une certaine assise narcissique. Les dirigeants des partis populistes ne font pas exception, mais nombre d&rsquo;entre eux semblent manifester leur fragilit&eacute; &agrave; cet &eacute;gard, par leur soif d&rsquo;exhibition, leur vanit&eacute; et leur &eacute;gotisme, par leur tendance &agrave; s&rsquo;affirmer comme des victimes de l&rsquo;establishment ou de la presse, autant de caract&eacute;ristiques qui semblent refl&eacute;ter une grande ins&eacute;curit&eacute; psychologique. C&rsquo;est le cas de Trump, de Boris Johnson, de Nigel Farage et de M&eacute;lenchon. Dans cette m&ecirc;me logique, la personnification du pouvoir est une tendance lourde des partis populistes.</p> <p class="texte">En fait, leurs leaders n&rsquo;ont pas n&eacute;cessairement les qualit&eacute;s d&rsquo;autorit&eacute; naturelle, de s&eacute;duction, ni le rayonnement, l&rsquo;ascendant et la ma&icirc;trise du verbe qui sont associ&eacute;s au charisme - une notion utilis&eacute;e de mani&egrave;re souvent laxiste. Ils ne suscitent pas cette soumission qui rel&egrave;ve de l&rsquo;admiration, de l&rsquo;affection et de la magie. Mais en soutenant un individu qui aspire &agrave; gouverner, les &eacute;lecteurs font aussi un choix identitaire. Les projets de leur candidat comptent, mais sa personnalit&eacute; &eacute;galement. Dans le cas de Trump, les id&eacute;es politiques qu&rsquo;il a exprim&eacute;es au cours de sa campagne &eacute;lectorale ont &eacute;t&eacute; simplistes, outranci&egrave;res et manich&eacute;ennes. En assumant un comportement extravagant, il n&rsquo;a rien cach&eacute; de ses failles intimes. Sa vulgarit&eacute; d&eacute;bordante, son exhibitionnisme, ses incoh&eacute;rences et sa violence verbale ont s&eacute;duit. Il n&rsquo;est pas absurde de penser que son manque de civilit&eacute;, son c&ocirc;t&eacute; grand voyou et son infantilisme ont &eacute;t&eacute; des aspects importants de son emprise sur les foules.</p> <h1 class="texte">La fragilit&eacute; des r&eacute;gimes d&eacute;mocratiques</h1> <p class="texte">Les bouleversements socioculturels de la mondialisation ont entra&icirc;n&eacute; une h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; croissante des r&eacute;seaux de solidarit&eacute; et des syst&egrave;mes de r&eacute;f&eacute;rence identitaires. Ces mutations ont modifi&eacute; les conditions d&rsquo;exerce de la souverainet&eacute; des &Eacute;tats, en m&ecirc;me temps que leurs capacit&eacute;s d&rsquo;int&eacute;gration politique. Les r&eacute;gimes d&eacute;mocratiques ont toujours &eacute;t&eacute; menac&eacute;s par la d&eacute;magogie et le populisme est aujourd&rsquo;hui une expression caricaturale de cette d&eacute;rive. Si l&rsquo;on en croit Montesquieu, l&rsquo;ordre r&eacute;publicain exige des citoyens qu&rsquo;ils aient un certain sens de la responsabilit&eacute; civique fond&eacute; sur le d&eacute;vouement et qu&rsquo;ils partagent un minimum de vertu politique et d&rsquo;accord sur le bien commun. On pourrait ajouter avec Freud que l&rsquo;ordre social est fond&eacute; sur l&rsquo;endiguement et la sublimation des pulsions et qu&rsquo;il requiert en particulier le respect des institutions assurant l&rsquo;emprise des lois et des proc&eacute;dures juridiques. Or le succ&egrave;s des populistes tient au fait qu&rsquo;ils autorisent la transgression de ces contraintes normatives. Le populisme se nourrit du d&eacute;litement des rapports de solidarit&eacute;, puisqu&rsquo;il mobilise des gens qui refusent les contraintes du politique et de la civilit&eacute;. Dans les circonstances de crise &eacute;conomique et sociale, les dirigeants et militants populistes ont beau jeu d&rsquo;exciter les imaginaires collectifs en d&eacute;signant des boucs &eacute;missaires, en articulant des programmes contenant des formules magiques, en assumant des id&eacute;es et des comportements lib&eacute;rant les agressions.</p> <p class="texte">Pendant la Seconde Guerre mondiale George Orwell avait anticip&eacute; que l&rsquo;inaptitude de l&rsquo;humanit&eacute; d&rsquo;imaginer le bonheur autrement que sous la forme d&rsquo;une att&eacute;nuation des efforts ou de la peine constituerait pour les socialistes un s&eacute;rieux probl&egrave;me.<a class="footnotecall" href="#ftn25" id="bodyftn25">25</a> Ils ne sont pas seuls aujourd&rsquo;hui &agrave; manquer d&rsquo;utopie directrice et l&rsquo;on pourrait ajouter que l&rsquo;incapacit&eacute; actuelle des d&eacute;fenseurs du lib&eacute;ralisme de penser l&rsquo;avanc&eacute;e de l&rsquo;humanit&eacute; autrement que sous la forme d&rsquo;une qu&ecirc;te de plaisir, de consommation et de comp&eacute;tition marchande constitue un probl&egrave;me non moins grave. Les id&eacute;aux &laquo;&nbsp;tiers-mondistes&nbsp;&raquo;, qui avaient anim&eacute; certains milieux intellectuels au temps de la d&eacute;colonisation, ont fait long feu, au m&ecirc;me titre que les mobilisations en faveur des droits de l&rsquo;homme et de l&rsquo;humanitaire qui en prirent le relais. La sauvegarde de l&rsquo;environnement plan&eacute;taire, si valable en soit la cause, reste un projet de port&eacute;e id&eacute;ologique limit&eacute;e.</p> <p class="texte">On en revient au th&egrave;me de l&rsquo;&eacute;rosion des doctrines conf&eacute;rant aux soci&eacute;t&eacute;s, sinon une utopie directrice, tout au moins un projet politique porteur d&rsquo;esp&eacute;rances salutaires. Il faut bien admettre que les soci&eacute;t&eacute;s orient&eacute;es par les d&eacute;sirs de consommation sont difficiles &agrave; mobiliser, d&rsquo;autant qu&rsquo;elles se heurtent n&eacute;cessairement &agrave; toutes sortes d&rsquo;apories et de frustrations. L&rsquo;&eacute;rosion de leurs rep&egrave;res id&eacute;ologiques et culturels traditionnels affecte leur capacit&eacute; de transmettre des rep&egrave;res symboliques, des limites et des interdits. C&rsquo;est aussi la raison pour laquelle les partis politiques ont perdu une bonne part de leur assise doctrinale.&nbsp;Ils sont souvent d&eacute;pourvus de grandes perspectives historiques et s&rsquo;emploient &agrave; r&eacute;pondre aux enjeux politiques imm&eacute;diats par un discours opportuniste souvent teint&eacute; de rationalit&eacute; technocratique.</p> <p class="texte">La vie politique contemporaine n&rsquo;est pas bien outill&eacute;e pour entretenir les esp&eacute;rances et les id&eacute;aux qui font &eacute;voluer l&rsquo;ordre politique tout en construisant des convergences sur le domaine du possible. On associe le processus de maturation individuelle &agrave; l&rsquo;acceptation du principe de r&eacute;alit&eacute;, mais les illusions sont n&eacute;cessaires &agrave; la vie politique et &agrave; l&rsquo;avanc&eacute;e de la civilisation. Et pourtant, il est des croyances qui sont n&eacute;fastes parce qu&rsquo;elles sont fausses et qu&rsquo;elles inspirent des convictions d&eacute;lirantes et des mythes mal&eacute;fiques. L&rsquo;histoire contemporaine fourmille d&rsquo;exemples &agrave; cet &eacute;gard. Ainsi en est-il des &eacute;garements collectifs inspir&eacute;s par les id&eacute;ologies totalitaires et par certaines convictions religieuses. Les croyances attribuant &agrave; des groupes minoritaires tous les maux de la soci&eacute;t&eacute; ou la contestation violente et incoh&eacute;rente des affaires publiques proc&egrave;dent du m&ecirc;me genre d&rsquo;illusion n&eacute;faste. On se dispute sur la signification du concept de modernit&eacute;, mais admettons au moins qu&rsquo;elle implique le refus des modes de pens&eacute;e inspir&eacute;s par des conceptions magiques de la politique.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> Pierre Manent, <em>Les Lib&eacute;raux</em>. Gallimard (NRF), 2001, p.&nbsp;479.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> David Goodhart<em>, The Road to Somewhere. The New Tribes Shaping British Politics</em>, London, Penguin books, 2017, p.&nbsp;20.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn3" id="ftn3">3</a> Programme de la France insoumise&nbsp;: https://laec.fr/chapitre/i/introduction-de-Jean-Luc-Melenchon.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn4" id="ftn4">4</a> Idem.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn5" id="ftn5">5</a> Pierre de Senarclens, <em>Nations et nationalismes</em>, Paris Sciences humaines, 2018.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn6" id="ftn6">6</a> <span style="text-decoration:underline;">Financial Times</span> du 18.3. 2018.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn7" id="ftn7">7</a> Alexandre Stille, &laquo;&nbsp;Not So Funny&nbsp;&raquo; in <em>New York Review of Books</em>, May 10-23, 2018, p.&nbsp;40.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn8" id="ftn8">8</a> <em>Le Front national entre extr&eacute;misme, populisme et d&eacute;mocratie,</em> Paris, Ed. de la Maison des sciences de l&rsquo;homme, 2013, p.&nbsp;63.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn9" id="ftn9">9</a> Cit&eacute; par Pascal Perrineau, <em>La France au Front</em>, Paris, Fayard, 2014, p.&nbsp;93.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn10" id="ftn10">10</a> David Goodhart, <em>The Road to Somewhere</em>. <span style="text-decoration:underline;">The New Tribes Shaping British Poltics, London, Penguin Books, 2017</span>.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn11" id="ftn11">11</a> Edoardo Campanella, &ldquo;<em>Le populisme des retrait&eacute;s va-t-il s&rsquo;installer&nbsp;?</em>&rdquo; Oct. 10, 2018 <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/aging-populations-fuel-pensioner-populism-by-edoardo-campanella-2018-10/french">https://www.project-syndicate.org/commentary/aging-populations-fuel-pensioner-populism-by-edoardo-campanella-2018-10/french</a></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn12" id="ftn12">12</a> Voir notamment Jan-Werner M&uuml;ller, <em>What is populism?</em> Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2016 <em>Economist</em> 4 mars 2017.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn13" id="ftn13">13</a> Guy Hermet, <em><span style="text-decoration:underline;">Les populismes dans le monde. Histoire sociologique</span></em><span style="text-decoration:underline;"> XI</span><sup><span style="text-decoration:underline;">e</span></sup><span style="text-decoration:underline;"> et XX</span><sup><span style="text-decoration:underline;">e</span></sup><span style="text-decoration:underline;"> si&egrave;cle</span>, Paris, Fayard, 201.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn14" id="ftn14">14</a> Philippe Gottraux et C&eacute;cile P&eacute;chu, Sous le populisme, la pluralit&eacute;&nbsp;: anti-&eacute;litisme et rapports au leader chez les militants de l&#39;Union d&eacute;mocratique du centre en Suisse, Lausanne&nbsp;: Institut d&#39;&eacute;tudes politiques, historiques et internationales, 2016</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn15" id="ftn15">15</a> Interview de<em> Christ&egrave;le Marchand-Lagier</em> <em>&agrave; propos de son livre </em>Le vote FN&nbsp;: pour une sociologie localis&eacute;e des &eacute;lectorats frontistes<em>, Ed. de Boeck, 2017</em>dans l&rsquo;<em>Obs</em> https://www.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170322.OBS6964/qui-vote-fn-pourquoi-3-idees-recues-sur-les-electeurs-du-front-national.html</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn16" id="ftn16">16</a> Pascal Perrineau,&nbsp;&laquo;&nbsp;La mont&eacute;e en puissance&nbsp;et recomposition de l&rsquo;&eacute;lectorat frontiste&nbsp;&raquo;, in <span style="text-decoration:underline;">Pouvoirs</span>, 2016, vol.&nbsp;157(2), p.&nbsp;68.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn17" id="ftn17">17</a> <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Matteo_Salvini">https://fr.wikipedia.org/wiki/Matteo_Salvini</a></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn18" id="ftn18">18</a> The Guardian, 13 novembre 2018.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn19" id="ftn19">19</a> Le Temps, 22.10. 2018.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn20" id="ftn20">20</a> Pascal Bouvier, <em>D&eacute;mocratie et d&eacute;magogie,</em> Saint-Brieuc, Editions MLD, 2011, p.&nbsp;10.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn21" id="ftn21">21</a> &ldquo;The Crisket&rsquo;s Leap. Post-Oedipal Populism and Neoliberal Democracy in Contemporary Italy&rdquo;, in Cultural Critique 87- Spring 2014, p.&nbsp;177-8.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn22" id="ftn22">22</a> Hilary Clinton, &ldquo;American Democracy is in Crisis&rdquo;, <span style="text-decoration:underline;">The Atlantic</span>, 16 septembre 2018.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn23" id="ftn23">23</a> Kirk Hawkins &ldquo;Populism in Venezuela: the rise of Chavismo&rdquo;, Third World Quarterly, 24:6, 2003, pp.&nbsp;1137-1160.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn24" id="ftn24">24</a> Benjamin Moffitt, The Global Rise of Populism. Performance, Political Style, and Representation, Stanford, Stanford U. P. 2016, p.&nbsp;20.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn25" id="ftn25">25</a> Can Socialists Be Happy? &ldquo;The inability of mankind to imagine happiness except in the form of relief, either from effort or pain, presents Socialists with a serious problem&rdquo; <a href="https://www.orwellfoundation.com/the-orwell-foundation/orwell/essays-and-other-works/can-socialists-be-happ">https://www.orwellfoundation.com/the-orwell-foundation/orwell/essays-and-other-works/can-socialists-be-happ</a></p>