<p class="texte"><strong>DOSSIER : POLITIQUE DE SANTE</strong></p> <p class="texte"><em>Jacques Besson est&nbsp;professeur honoraire, Facult&eacute; de biologie et de m&eacute;decine de l&rsquo;Universit&eacute; de Lausanne. Professeur invit&eacute; &agrave; l&rsquo;Institut des humanit&eacute;s en m&eacute;decine.</em></p> <p class="texte"><strong>SOMMAIRE</strong></p> <p><strong>Le paradigme addictologique</strong></p> <p><strong>Psychiatrie et religion</strong></p> <p><strong>Psychanalyse</strong></p> <p><strong>Salutogen&egrave;se et autotranscendance</strong></p> <p><strong>Neurosciences</strong></p> <p><strong>Neuroth&eacute;ologie</strong></p> <p><strong>Trois ordres en m&eacute;decine</strong></p> <p class="texte">&nbsp;</p> <p class="texte">Les troubles de sant&eacute; mentale sont devenus la premi&egrave;re priorit&eacute; de sant&eacute; publique au niveau mondial, aussi dans les pays &eacute;mergents. Y figurent, au-del&agrave; des probl&egrave;mes li&eacute;s au vieillissement, la d&eacute;pression, l&rsquo;agression et l&rsquo;addiction.</p> <p class="texte">La d&eacute;finition de la sant&eacute; de l&rsquo;OMS en 1948 parle d&rsquo;un &eacute;tat de complet bien-&ecirc;tre physique, mental et social. Mais la d&eacute;finition propos&eacute;e initialement incluait la spiritualit&eacute;, ce qui a fait l&rsquo;objet d&rsquo;un veto du bloc communiste. Il faudra attendre la Charte de Bangkok en 2005 pour que la dimension spirituelle rejoigne la d&eacute;finition de la sant&eacute; de l&rsquo;OMS.</p> <p class="texte">L&rsquo;addiction est une illustration paradigmatique de la complexit&eacute; en termes de sant&eacute;, tant biologique, que psychique, sociale, culturelle et spirituelle.</p> <p class="texte">Dans les ann&eacute;es 80&rsquo;, la Suisse a subi de plein fouet une crise des drogues dans des sc&egrave;nes ouvertes, comme dans le tristement c&eacute;l&egrave;bre Platzspitz &agrave; Zurich. La jeunesse du pays s&rsquo;injectait des drogues dures dans l&rsquo;espace public, au nez et &agrave; la barbe des autorit&eacute;s p&eacute;tries de lib&eacute;ralisme. La cha&icirc;ne de t&eacute;l&eacute;vision am&eacute;ricaine CNN faisait des reportages sur &laquo;&nbsp;Needle park in Switzerland&nbsp;&raquo;. Ce fut un traumatisme psychologique, sanitaire et politique pour toute la Suisse. Quelle r&eacute;ponse apporter &agrave; une catastrophe de cette ampleur&nbsp;? Ce fut la naissance de la politique dite des &laquo;&nbsp;Quatre piliers&nbsp;&raquo; f&eacute;d&eacute;rant la pr&eacute;vention, la r&eacute;pression, la th&eacute;rapie et la r&eacute;duction des risques dans une approche commune. Cette politique a &eacute;t&eacute; inscrite dans la Loi f&eacute;d&eacute;rale apr&egrave;s une votation populaire. La prescription m&eacute;dicale d&rsquo;h&eacute;ro&iuml;ne et les locaux d&rsquo;injections s&eacute;curis&eacute;s datent de cette &eacute;poque.</p> <p class="texte">Pour la psychiatrie, il s&rsquo;est agi d&rsquo;un v&eacute;ritable d&eacute;fi pour adapter les structures de prise en charge &agrave; ces nouvelles directives politiques. L&rsquo;institution psychiatrique &agrave; pr&eacute;dominance asilaire a d&ucirc; s&rsquo;adapter &agrave; ce qui a &eacute;t&eacute; d&eacute;nomm&eacute; le &laquo;&nbsp;virage communautaire&nbsp;&raquo;, alliant structures de r&eacute;duction des risques et &agrave; seuil bas et interdisciplinarit&eacute; m&eacute;dico-psycho-socio-culturelle.</p> <p class="texte">Le soussign&eacute; a particip&eacute; &agrave; ces r&eacute;flexions, &eacute;tant jeune chef de clinique en psychiatrie sociale et sp&eacute;cialis&eacute; dans les urgences psychiatriques et les addictions. Dirigeant une petite &laquo;&nbsp;Alcohol clinic&nbsp;&raquo; de l&rsquo;Arm&eacute;e du salut sur le mod&egrave;le am&eacute;ricain, il a particip&eacute; &agrave; la mise en place de la r&eacute;duction des risques dans les addictions et de la prise en soins des populations vuln&eacute;rables de mani&egrave;re interdisciplinaire. Il a assist&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;mergence de la spiritualit&eacute; dans les addictions, tant par l&rsquo;approche salutiste que par l&rsquo;approche Alcooliques Anonymes/Narcotiques Anonymes, qui offraient leurs prestations &agrave; la Clinique.</p> <h1 class="texte">Le paradigme addictologique</h1> <p class="texte">Les addictions offrent un maximum de l&eacute;gitimit&eacute; pour une approche int&eacute;grative dans le domaine de la sant&eacute;&nbsp;: en effet les mod&egrave;les animaux y sont op&eacute;rationnels, permettant des recherches neuroscientifiques et g&eacute;n&eacute;tiques, ainsi que des recherches sur le neurod&eacute;veloppement dans une perspective biologique. La recherche sur le d&eacute;veloppement cognitif et affectif y a montr&eacute; les effets d&eacute;terminants des psychotraumatismes sur l&rsquo;&eacute;volution &agrave; long terme des individus, tant animaux qu&rsquo;humains. Quant aux d&eacute;terminants socio-culturels, ils ont montr&eacute; la tr&egrave;s large influence de la culture sur les pratiques de consommations, tant l&eacute;gales qu&rsquo;ill&eacute;gales.</p> <p class="texte">Mais qu&rsquo;en est-il de la spiritualit&eacute;&nbsp;?</p> <p class="texte">La spiritualit&eacute; a montr&eacute; son efficacit&eacute;, tant dans la pr&eacute;vention que dans le r&eacute;tablissement des addictions. La litt&eacute;rature scientifique est avant tout anglo-saxonne et evidence based, loin de la litt&eacute;rature francophone&hellip;</p> <p class="texte">A cet &eacute;gard il importe de relever l&rsquo;impact fascinant des Alcooliques Anonymes, mouvement fond&eacute; en 1935 par Bill et le Dr Bob, tous deux alcooliques, et fermement d&eacute;cid&eacute;s &agrave; quitter leur d&eacute;pendance. Bill, en &eacute;tat de conscience modifi&eacute;e (&eacute;criture automatique) a &eacute;crit les Douze &eacute;tapes du r&eacute;tablissement en s&rsquo;en remettant &agrave; une &laquo;&nbsp;puissance sup&eacute;rieure&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;Dieu tel que nous le concevons&nbsp;&raquo;. Ce mouvement a rencontr&eacute; un succ&egrave;s mondial, avec des dizaines de millions de patients r&eacute;tablis, m&ecirc;me dans le cadre d&rsquo;&eacute;tudes randomis&eacute;es le comparant &agrave; des approches psychoth&eacute;rapeutiques, comme l&rsquo;approche motivationnelle ou les th&eacute;rapies cognitivo-comportementales.</p> <p class="texte">Il s&rsquo;agit donc de comprendre au plan scientifique quel est l&rsquo;impact favorable de la spiritualit&eacute; sur la sant&eacute;, notamment dans le domaine des addictions. Quels pourraient en &ecirc;tre les m&eacute;canismes psychiques et biologiques&nbsp;?</p> <h1 class="texte">Psychiatrie et religion</h1> <p class="texte">Psychiatrie et religion ne font pas bon m&eacute;nage. Leur rapport s&rsquo;inscrit dans les tensions entre la Foi et la Science. Le philosophe Ian Barbour a d&eacute;fini une typologie &agrave; cet &eacute;gard en quatre dimensions&nbsp;: 1) Conflit, affrontement d&eacute;nigrant entre les parties. 2) Parall&eacute;lisme, deux voies s&eacute;par&eacute;es qui s&rsquo;ignorent et ne se parlent pas. 3) Zones fronti&egrave;res, quelques terrains favorables &agrave; la discussion, par exemple l&rsquo;effet placebo ou la conscience modifi&eacute;e, comme dans les exp&eacute;riences de mort imminente. 4) Int&eacute;gration, les deux regards sont compl&eacute;mentaires et consid&egrave;rent deux faces de la m&ecirc;me r&eacute;alit&eacute;.</p> <p class="texte">Pourtant, &agrave; l&rsquo;aube de l&rsquo;humanit&eacute;, les chamanes &eacute;taient &agrave; la fois pr&ecirc;tres et m&eacute;decins. A l&rsquo;aide des drogues ils voyaient les esprits et se pr&eacute;sentaient comme des passeurs de mondes. Dans l&rsquo;Antiquit&eacute;, Hippocrate faisait partie de la famille des Ascl&eacute;piades et &eacute;tait donc pr&ecirc;tre du dieu gu&eacute;risseur Ascl&eacute;pios. Il en a retir&eacute; les observations n&eacute;cessaires aux fondements d&rsquo;une m&eacute;decine &laquo;&nbsp;ph&eacute;nom&eacute;nologique&nbsp;&raquo;, anc&ecirc;tre de la m&eacute;decine moderne.</p> <p class="texte">Les Lumi&egrave;res ont jet&eacute; l&rsquo;enfant avec l&rsquo;eau du bain. Le rationalisme est n&eacute; du rejet religieux, donnant naissance &agrave; un XIX&egrave;me si&egrave;cle tout empreint de positivisme et de scientisme, dont est issue notamment la psychanalyse. D&egrave;s lors le XX&egrave;me si&egrave;cle sera le si&egrave;cle du r&eacute;ductionnisme. R&eacute;ductionnisme scientifique avec la psychanalyse&nbsp;: la religion est un stade infantile de l&rsquo;humanit&eacute;, les aspirations de protection de l&rsquo;humain proviennent de l&rsquo;&OElig;dipe infantile. Les ph&eacute;nom&egrave;nes religieux sont des sympt&ocirc;mes psychotiques (d&eacute;lire mystique), hyst&eacute;riques (somatisations), &eacute;pileptiques (temporale chez Saint Paul), etc.</p> <p class="texte">En face, le r&eacute;ductionnisme religieux n&rsquo;est pas en reste&nbsp;: dualisme, cr&eacute;ationnisme, etc.</p> <p class="texte">Mais heureusement, les zones fronti&egrave;res viennent confronter ces oppositions&nbsp;: qu&rsquo;est- ce qu&rsquo;une croyance, comment aborder les exp&eacute;riences de conscience modifi&eacute;e, transe, extase&nbsp;?</p> <h1 class="texte">Psychanalyse</h1> <p class="texte">Freud avait deux taches aveugles&nbsp;: l&rsquo;addiction, li&eacute;e &agrave; sa propre consommation de nicotine et de coca&iuml;ne&nbsp;; et la religion, li&eacute;e &agrave; son propre statut de juif dans la Vienne de 1900. Le mouvement psychanalytique lui sera loyal en ne divulguant rien qui puisse entamer la posture du fondateur. Pourtant une Correspondance de 256 lettres entre 1909 et 1939 avec le pasteur Oskar Pfister, un proche de Carl Gustav Jung &agrave; Zurich, sera la plus longue correspondance de Freud et posera les fondements du rapport entre psychanalyse et religion. La r&eacute;plique de Pfister &agrave; l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;Avenir d&rsquo;une illusion&nbsp;&raquo;, l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;Illusion d&rsquo;un avenir&nbsp;&raquo;, ne sera traduite en fran&ccedil;ais qu&rsquo;en 2014, soit un si&egrave;cle plus tard&nbsp;! Le r&eacute;ductionnisme freudien y est battu en br&egrave;che, montrant son inaccessibilit&eacute; &agrave; &laquo;&nbsp;de plus grands ensembles&nbsp;&raquo;. Freud pour sa part affirme se contenter, en tant que psychanalyste, des joies de la satisfaction, et comme le po&egrave;te Heine, &laquo;&nbsp;laisser le ciel aux anges et aux oiseaux&nbsp;&raquo;. Mais dans une lettre de 1909 d&eacute;j&agrave;, il affirme que n&rsquo;&eacute;tant pas pr&ecirc;tre, il n&rsquo;avait jamais song&eacute; pour sa part &laquo;&nbsp;que l&rsquo;on p&ucirc;t conduire le transfert jusqu&rsquo;&agrave; Dieu&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte">Chez Carl Gustav Jung, au contraire, la dimension religieuse est prioritaire. Ce sera d&rsquo;ailleurs l&rsquo;origine de leur s&eacute;paration en 1912, Jung privil&eacute;giant l&rsquo;origine des pulsions du Moi dans la culture, avec la notion d&rsquo;inconscient collectif et ses arch&eacute;types. Pour Jung, Dieu est dans l&rsquo;inconscient et l&rsquo;on peut y acc&eacute;der par le travail d&rsquo;individuation visant la Totalit&eacute;.</p> <p class="texte">Eugen Drewermann, un th&eacute;ologien catholique allemand fera la synth&egrave;se des rapports entre th&eacute;ologie et psychanalyse, et devra affronter l&rsquo;Eglise catholique pour ses positions critiques (&laquo;&nbsp;Les Fonctionnaires de Dieu&nbsp;&raquo;). Sa th&eacute;ologie de la gu&eacute;rison, objet de sa th&egrave;se sur &laquo;&nbsp;Le Mal&nbsp;&raquo;, r&eacute;concilie la lecture des Ecritures avec la psychologie des profondeurs. Plusieurs ouvrages font des passerelles pr&eacute;cieuses (&laquo;&nbsp;Psychanalyse et ex&eacute;g&egrave;se&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;La Parole et l&rsquo;angoisse&nbsp;&raquo;&hellip;)</p> <h1 class="texte">Salutogen&egrave;se et autotranscendance</h1> <p class="texte">Deux rescap&eacute;s d&rsquo;Auschwitz ont marqu&eacute; la pens&eacute;e de la deuxi&egrave;me moiti&eacute; du vingti&egrave;me si&egrave;cle&nbsp;:</p> <p class="texte">Aaron Antonovsky, un sociologue m&eacute;dical d&eacute;port&eacute;, va observer la vie dans les camps. Il en d&eacute;duit que les humains ont besoin de <em>coh&eacute;rence</em>&nbsp;: celle-ci est fond&eacute;e sur trois axes.</p> <ul class="texte"> <li> <p class="texte">La confiance que le monde est compr&eacute;hensible</p> </li> <li> <p class="texte">La confiance que notre vie est g&eacute;rable (avec l&rsquo;aide de ce monde ou non&hellip;)</p> </li> <li> <p class="texte">La confiance que ce qui arrive a du sens</p> </li> </ul> <p class="texte">La coh&eacute;rence est le fondement de la <em>salutogen&egrave;se</em>&nbsp;: la salutogen&egrave;se est le compl&eacute;ment inverse de la pathogen&egrave;se ch&egrave;re aux m&eacute;decins. Il s&rsquo;agit alors de chercher dans l&rsquo;avenir des patients des attracteurs de sant&eacute;, pour un futur meilleur que le patient va construire avec l&rsquo;aide du th&eacute;rapeute. La salutogen&egrave;se est le socle de la politique de la promotion de la sant&eacute;.</p> <p class="texte">Viktor Frankl, contemporain de Freud, se laisse d&eacute;porter dans les camps par solidarit&eacute; avec sa famille, notamment sa fratrie, ses parents et sa femme enceinte, dont aucun ne survivra &agrave; part lui. Il observe aussi la vie dans le camp et en retire le constat que les humains ont une volont&eacute; de sens. Sans contredire Freud sur l&rsquo;existence d&rsquo;un inconscient sexuel, source des n&eacute;vroses individuelles, il affirme l&rsquo;existence d&rsquo;un inconscient spirituel, qui, s&rsquo;il est refoul&eacute;, sera &agrave; l&rsquo;origine des n&eacute;vroses de civilisation, dont le sympt&ocirc;me principal est le &laquo;&nbsp;vide existentiel&nbsp;&raquo;, dont les sympt&ocirc;mes sont la d&eacute;pression, l&rsquo;agression et l&rsquo;addiction.</p> <p class="texte">Pour Frankl, l&rsquo;humain ne se r&eacute;duit pas &agrave; une dialectique psychosomatique d&eacute;terministe (horizontale), mais est dot&eacute; d&rsquo;une capacit&eacute; d&rsquo;autotranscendance qu&rsquo;il qualifie de no&eacute;tique (rapport au no&ugrave;s de Platon, le divin dans l&rsquo;homme, vertical). Pour Frankl, nos raisons de vivre sont dans les choix uniques de la personne, qui d&eacute;passent largement l&rsquo;individu. Il propose d&egrave;s lors une forme de th&eacute;rapie par le sens, la &laquo;&nbsp;logoth&eacute;rapie&nbsp;&raquo;, qui ne conteste pas la psychanalyse, mais qui l&rsquo;augmente par la clinique du sens, dans une analyse existentielle.</p> <h1 class="texte">Neurosciences</h1> <p class="texte">Les neurosciences constituent un ensemble de sciences autour des rapports entre le cerveau et l&rsquo;esprit, reliant les neurosciences fondamentales et les neurosciences cliniques. On y trouve des travaux aussi bien neurologiques que psychiatriques, tant chez l&rsquo;animal que chez l&rsquo;humain.</p> <p class="texte">La grande d&eacute;couverte des neurosciences au XX<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle consiste sans doute dans la notion de plasticit&eacute; neuronale&nbsp;: en effet, notre cerveau n&rsquo;est pas d&eacute;termin&eacute; par un nombre initial et fig&eacute; de neurones. Ceux-ci peuvent au contraire se multiplier au fil des interactions avec l&rsquo;environnement, et on peut affirmer que &laquo;&nbsp;neurons who fire together, wire together&nbsp;&raquo; (les neurones qui communiquent entre eux se connectent mat&eacute;riellement). Cette d&eacute;couverte est r&eacute;volutionnaire en ceci que les interactions avec l&rsquo;environnement laissent des traces durables dans le cerveau, incluant les efforts li&eacute;s &agrave; la psychoth&eacute;rapie. Il s&rsquo;agit en d&rsquo;autres termes de l&rsquo;&eacute;pig&eacute;n&eacute;tique&nbsp;: nous ne sommes pas uniquement d&eacute;termin&eacute;s par nos g&egrave;nes, mais aussi par leur interaction avec leur environnement. Le d&eacute;terminisme psychosomatique est ainsi battu en br&egrave;che&nbsp;: la singularit&eacute; du sujet s&rsquo;inscrit dans la no&eacute;tique, le &laquo;&nbsp;temps vertical&nbsp;&raquo; unique &agrave; la personne, et &agrave; sa responsabilit&eacute; individuelle.</p> <p class="texte">Une nouvelle science interdisciplinaire &eacute;merge depuis quelques ann&eacute;es&nbsp;: il s&rsquo;agit de la <em>neuroth&eacute;ologie</em>, une nouvelle science interdisciplinaire, au carrefour des sciences humaines, incluant la th&eacute;ologie, et les sciences naturelles, incluant la neurobiologie.</p> <h1 class="texte">Neuroth&eacute;ologie</h1> <p class="texte">Dans la deuxi&egrave;me moiti&eacute; du XX<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle, un neurochirurgien (Sperry) tente de sauver des patients &eacute;pileptiques graves par une op&eacute;ration visant &agrave; s&eacute;parer l&rsquo;activit&eacute; des deux h&eacute;misph&egrave;res c&eacute;r&eacute;braux, dans le but d&rsquo;&eacute;viter la diffusion des crises &agrave; l&rsquo;ensemble du cerveau, ce qui impliquait un risque vital. Les patients op&eacute;r&eacute;s pr&eacute;sentaient alors un &laquo;&nbsp;split brain&nbsp;&raquo;, &agrave; savoir une ind&eacute;pendance des deux h&eacute;misph&egrave;res. Il en est r&eacute;sult&eacute; d&rsquo;importants r&eacute;sultats de recherche sur la dominance h&eacute;misph&eacute;rique. En ce qui concerne les activit&eacute;s spirituelles et religieuses, un &eacute;l&egrave;ve de Sperry (Gazzaniga) a pu d&eacute;montrer que celles-ci relevaient de l&rsquo;h&eacute;misph&egrave;re droit et que l&rsquo;h&eacute;misph&egrave;re gauche n&rsquo;y comprenait rien&nbsp;!</p> <p class="texte">Puis des recherches sur l&rsquo;&eacute;lectroenc&eacute;phalogramme et la spiritualit&eacute; ont montr&eacute; les effets relaxants de la m&eacute;ditation sur les rythmes c&eacute;r&eacute;braux.</p> <p class="texte">D&rsquo;autres recherches ont cibl&eacute; l&rsquo;effet des neurotransmetteurs sur l&rsquo;activit&eacute; spirituelle.</p> <p class="texte">Mais les avanc&eacute;es r&eacute;centes en imagerie c&eacute;r&eacute;brale fonctionnelle ont fait faire un pas de g&eacute;ant sur la connaissance du cerveau spirituel et religieux. La Fondation Mind and Life du Dala&iuml;-Lama a recrut&eacute; les meilleurs neuroscientifiques nord-am&eacute;ricains, et ceux-ci ont pu montrer les circuits c&eacute;r&eacute;braux impliqu&eacute;s dans la m&eacute;ditation. Les bouddhistes ont ainsi fait avancer la connaissance du cerveau spirituel de mani&egrave;re majeure.</p> <p class="texte">Depuis lors des recherches ont pu montrer les circuits mobilis&eacute;s par les circuits de la pri&egrave;re et des croyances religieuses, renfor&ccedil;ant ainsi les travaux de la psychologie de la religion.</p> <p class="texte">La neuroth&eacute;ologie est un chantier en mouvement et pose des questions fondamentales, comme la question de savoir si le divin est h&eacute;rit&eacute; de l&rsquo;&eacute;volution (Dieu est une invention), ou si le myst&egrave;re divin est accessible &agrave; la cr&eacute;ature humaine&nbsp;? (Dieu est une d&eacute;couverte).</p> <p class="texte">Les affrontements sont nombreux&nbsp;: on peut citer ici les travaux de Dammer sur le &laquo;&nbsp;g&egrave;ne de Dieu&nbsp;&raquo; (The God&rsquo;s gene, best seller US), fond&eacute;s sur une &eacute;tude de l&rsquo;auto-transcendance chez des volontaires sains, montrant le d&eacute;ficit de l&rsquo;activit&eacute; du g&egrave;ne du neurotransmetteur s&eacute;rotonine chez les patients anxieux et int&eacute;ress&eacute;s par la spiritualit&eacute;, faisant ainsi l&rsquo;hypoth&egrave;se que l&rsquo;anxi&eacute;t&eacute; motive les personnes &agrave; s&rsquo;int&eacute;resser &agrave; la spiritualit&eacute;.</p> <p class="texte">On citera encore les travaux de Persinger, qui a cr&eacute;&eacute; un casque pour stimuler &eacute;lectriquement le cerveau temporal, pr&eacute;suppos&eacute; si&egrave;ge des &eacute;motions religieuses. Malheureusement pour lui, un casque placebo, mont&eacute; par une &eacute;quipe scientifique adverse, montrera les m&ecirc;mes r&eacute;sultats &laquo;&nbsp;spirituels&nbsp;&raquo;&nbsp;!</p> <h1 class="texte">Trois ordres en m&eacute;decine</h1> <p class="texte">Apr&egrave;s ce p&eacute;riple entre psychiatrie, religion, neurosciences et spiritualit&eacute;, il est temps de s&rsquo;arr&ecirc;ter sur les perspectives offertes sur la sant&eacute; publique de nos soci&eacute;t&eacute;s occidentales.</p> <p class="texte">Le rationalisme et le r&eacute;ductionnisme scientifique contemporain impliquent une interdiction de penser la spiritualit&eacute;, au nom d&rsquo;une la&iuml;cit&eacute; mal comprise. En Suisse, la la&iuml;cit&eacute; donne la garantie de la libert&eacute; d&rsquo;expression &agrave; toutes les religions pr&eacute;sentes dans le pays.</p> <p class="texte">A cet &eacute;gard il importe de d&eacute;finir spiritualit&eacute; et religion&nbsp;:</p> <p class="texte">La <em>spiritualit&eacute; </em>peut &ecirc;tre d&eacute;finie comme un besoin naturel et universel de lien et de sens, religieux ou non.</p> <p class="texte">La<em> religion</em> est la r&eacute;ponse culturelle, traditionnelle et institutionnelle, avec de grands M&eacute;diateurs, &agrave; ce besoin naturel.</p> <p class="texte">La clinique du sens r&eacute;pond &agrave; un besoin de nos contemporains, qui font face au vide existentiel. Celui-ci est d&rsquo;un ordre diff&eacute;rent de celui des n&eacute;vroses individuelles. Face au mat&eacute;rialisme ambiant, la clinique du sens oppose la no&eacute;tique, cette capacit&eacute; de se transcender par un d&eacute;passement de soi-m&ecirc;me.</p> <p class="texte">Nos syst&egrave;mes de sant&eacute;, compl&egrave;tement d&eacute;pass&eacute;s par les d&eacute;bordements m&eacute;dico-technologiques aux co&ucirc;ts exorbitants, sont exsangues face au vieillissement de la population et aux d&eacute;rives de la d&eacute;pression, de la violence et de l&rsquo;addiction. Apr&egrave;s deux mill&eacute;naires de conqu&ecirc;te du monde ext&eacute;rieur, ne s&rsquo;agit-il pas de se recentrer sur notre int&eacute;riorit&eacute;&nbsp;? Une heureuse rencontre possible entre l&rsquo;Orient et l&rsquo;Occident pour le XXI<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle&nbsp;?</p> <p class="texte">Au Centre hospitalier universitaire vaudois &agrave; Lausanne (CHUV), se d&eacute;veloppe depuis plusieurs ann&eacute;es une exp&eacute;rience originale d&rsquo;aum&ocirc;nerie, d&eacute;nomm&eacute;e plus r&eacute;cemment &laquo;&nbsp;accompagnement spirituel&nbsp;&raquo;, au vu des aspects multiconfessionnels de l&rsquo;exp&eacute;rience. Les patients se voient proposer une offre d&rsquo;&eacute;coute face &agrave; leur d&eacute;tresse spirituelle. Celle-ci peut &ecirc;tre mesur&eacute;e et objectiv&eacute;e par de brefs questionnaires d&rsquo;investigation cibl&eacute;e. Cette approche, famili&egrave;re dans le Nord de l&rsquo;Europe, est intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;<em>Spiritual care</em>&nbsp;&raquo;, expression difficile &agrave; traduire en fran&ccedil;ais, au vu de la richesse du mot &laquo;&nbsp;care&nbsp;&raquo;, qui renvoie tant au soin qu&rsquo;&agrave; la pr&eacute;occupation plus large pour autrui.</p> <p class="texte">Le Spiritual care confirme l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;il y aurait trois ordres en m&eacute;decine, conform&eacute;ment &agrave; une affirmation du Dala&iuml; Lama, qui voit dans la sant&eacute; un ordre biologique et psychosocial (ensemble ils forment un ordre psychosomatique), mais aussi un ordre spirituel, fait de sagesse et de compassion (la no&eacute;tique de Frankl). Pour lui, les trois ordres ne font en r&eacute;alit&eacute; qu&rsquo;un&nbsp;: pas de sant&eacute; somatique sans sant&eacute; psychique, et pas de sant&eacute; psychique sans sant&eacute; spirituelle.</p> <p class="texte">La sant&eacute; spirituelle constitue bel et bien un ordre de la sant&eacute;, conform&eacute;ment &agrave; la r&eacute;cente d&eacute;claration de l&rsquo;OMS &agrave; Bangkok. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une v&eacute;ritable urgence au niveau de la politique de sant&eacute; publique. En effet, l&rsquo;&eacute;vitement des questions existentielle et leur raccourci par des solutions bio-m&eacute;dicales envoie le syst&egrave;me de sant&eacute; dans le mur. L&rsquo;aplatissement du spirituel dans le psychique op&eacute;r&eacute; par la psychiatrie et la psychanalyse constitue une grave impasse pour notre civilisation. L&rsquo;ordre psychosomatique est un r&eacute;ductionnisme, s&rsquo;il ne diff&eacute;rencie pas l&rsquo;individu de la personne, une diff&eacute;rence qui redonne de la dignit&eacute; &agrave; l&rsquo;humain en souffrance.</p> <p class="texte">D&egrave;s lors, au-del&agrave; d&rsquo;une certaine m&eacute;decine individualis&eacute;e &agrave; grands frais par la g&eacute;nomique, ne vaudrait-il pas mieux investir dans une m&eacute;decine de la personne&nbsp;? Une m&eacute;decine de l&rsquo;&eacute;coute, qui r&eacute;ponde aux besoins non couverts des patients par la m&eacute;decine contemporaine. Il semble que les neurosciences indiquent une nouvelle voie &agrave; conqu&eacute;rir vers une m&eacute;decine int&eacute;grale.</p>