<p class="texte"><strong>SOMMAIRE</strong></p> <p><strong>I &ndash; L&rsquo;exp&eacute;rience pure</strong></p> <p>a) L&rsquo;exp&eacute;rience pure et l&rsquo;ouvrage de William James &laquo;&nbsp;Essais d&rsquo;empirisme radical&nbsp;&raquo;</p> <p>b) La traduction de &laquo;&nbsp;<em>to experience</em>&nbsp;&raquo;</p> <p>c) Une certaine conception du monde de l&rsquo;exp&eacute;rience pure</p> <p>d) Le &laquo;&nbsp;<em>cela</em>&nbsp;&raquo; de l&rsquo;exp&eacute;rience pure</p> <p>e) Un monde d&rsquo;exp&eacute;riences pure</p> <p>f) En r&eacute;sum&eacute;, ce que l&rsquo;exp&eacute;rience pure remet en lumi&egrave;re</p> <p><strong>II - Le duo d&eacute;mocratie-citoyen, une exp&eacute;rience pure</strong></p> <p>a) Faire l&rsquo;exp&eacute;rience de la d&eacute;mocratie</p> <p>b) L&rsquo;exp&eacute;rience pure de la d&eacute;mocratie</p> <p class="texte">William James a v&eacute;cu de 1842 &agrave; 1910, p&eacute;riode durant laquelle le protocole exp&eacute;rimental en psychologie &eacute;tait influenc&eacute; par la conception behavioriste du monde, consid&eacute;rant que le comportement humain &eacute;tait le fruit d&rsquo;un conditionnement avant tout. La justification de cette option s&rsquo;appuyait sur la volont&eacute; de privil&eacute;gier et de r&eacute;duire l&rsquo;exp&eacute;rience au visible, au tangible, &agrave; l&rsquo;objectivable laissant dans l&rsquo;ombre ce qui ne l&rsquo;&eacute;tait pas, l&rsquo;activit&eacute; cognitive, psychique en l&rsquo;occurrence. Les &eacute;crits de cet auteur concernant l&rsquo;exp&eacute;rience, qu&rsquo;il a qualifi&eacute;e d&rsquo;exp&eacute;rience pure, nous ont paru int&eacute;ressants &agrave; reconsid&eacute;rer principalement pour quatre raisons&nbsp;: la premi&egrave;re nous porte &agrave; nous interroger sur la conception contemporaine du monde qui pr&eacute;side aux protocoles exp&eacute;rimentaux de recherches relatifs &agrave; l&rsquo;individu pour mettre en lumi&egrave;re ce que l&rsquo;objectivit&eacute; radicale peut conduire &agrave; estomper de l&rsquo;exp&eacute;rience concr&egrave;te v&eacute;cue&nbsp;; la seconde r&eacute;side dans le fait que l&rsquo;exp&eacute;rience nous semble &ecirc;tre au c&oelig;ur de l&rsquo;existence quotidienne de l&rsquo;individu, notion et concept m&eacute;ritant un approfondissement, ce que propose William James avec l&rsquo;exp&eacute;rience pure&nbsp;; la troisi&egrave;me se r&eacute;f&egrave;re &agrave; la politique pour sugg&eacute;rer d&rsquo;aborder ce champ sous l&rsquo;angle de l&rsquo;exp&eacute;rience pure, angle de vue peu familier mais qui concerne la psychologie politique&nbsp;; la quatri&egrave;me repose sur le questionnement du duo d&eacute;mocratie-citoyen apr&egrave;s l&rsquo;avoir probl&eacute;matis&eacute; en termes d&rsquo;exp&eacute;rience pure, William James mettant en lumi&egrave;re une d&eacute;marche et une approche utiles pour reconsid&eacute;rer ce tandem.</p> <p class="texte">Tel est l&rsquo;enjeu de cet article qui se donne comme objectif, dans un premier temps, de pr&eacute;senter l&rsquo;exp&eacute;rience pure selon William James avant de pointer ce que cette approche nouvelle pourrait permettre de sortir de l&rsquo;ombre, dans le duo d&eacute;mocratie-citoyen, en soulignant les nouvelles hypoth&egrave;ses possibles l&eacute;gitimant la psychologie politique dans ce nouveau regard. L&rsquo;opportunit&eacute; d&rsquo;une telle r&eacute;flexion est facilit&eacute;e par les actuelles crises diverses et les dysfonctionnements manifestes, mais aussi par la multitude d&rsquo;&eacute;tudes traitant de la d&eacute;mocratie davantage sous l&rsquo;angle th&eacute;orique, conceptuel et social tandis qu&rsquo;il nous semble que tout n&rsquo;est pas r&eacute;ductible &agrave; une explication sociale et que des compl&eacute;ments de r&eacute;flexion peuvent s&rsquo;av&eacute;rer utiles. Enfin, c&rsquo;est parce que le th&egrave;me de la d&eacute;mocratie para&icirc;t avoir presque &eacute;puis&eacute; son sujet tant l&rsquo;impression du familier dans l&rsquo;analyse tend &agrave; clore par lassitude ou crainte de r&eacute;p&eacute;titions que le moment peut &ecirc;tre venu pour essayer d&rsquo;appr&eacute;hender l&rsquo;ensemble, autrement.</p> <p class="texte">Notre sentiment, sur ce point, a &eacute;t&eacute; enrichi par la pertinence du constat de Hegel dans <em>La ph&eacute;nom&eacute;nologie de l&rsquo;Esprit</em>, soulignant que le connu, assimil&eacute; &agrave; l&rsquo;habituel et aux habitudes, ne produit plus l&rsquo;&eacute;tonnement n&eacute;cessaire &agrave; d&eacute;clencher des d&eacute;marches diff&eacute;rentes et nouvelles pour l&rsquo;appr&eacute;hender afin de le conna&icirc;tre. En effet, la certitude de conna&icirc;tre ou de ne pas m&eacute;conna&icirc;tre ou de reconna&icirc;tre induit une absence d&rsquo;&eacute;lan &agrave; envisager d&rsquo;autres prismes, angles de vue et regards pour examiner l&rsquo;hypoth&egrave;se de nouvelles probl&eacute;matisations possibles. La force de l&rsquo;habitude engendre in&eacute;luctablement les certitudes face &agrave; l&rsquo;horizon du connu et les r&eacute;flexes pratiques qui viennent confirmer ces certitudes, et donc la preuve qu&rsquo;une seule d&eacute;marche est intelligible, celle adopt&eacute;e d&rsquo;ordinaire, ce qui a, de plus, l&rsquo;avantage de procurer des satisfactions de s&rsquo;approcher de la v&eacute;rit&eacute; puisqu&rsquo;elle permet de v&eacute;rifier les certitudes.</p> <p class="texte">En effet, un inconv&eacute;nient notoire, majeure, vient interroger ce type de pratique en recherche lorsque le connu domine et que l&rsquo;inconnu est examin&eacute; avec les param&egrave;tres du connu alors qu&rsquo;il est diff&eacute;rent et ne peut qu&rsquo;&ecirc;tre rejet&eacute;. Une question vient ponctuer cette remarque relativement &agrave; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de certaines recherches d&rsquo;une part, et d&rsquo;autre part &agrave; la confusion entre produire et reproduire, consid&eacute;rant que reprendre un m&ecirc;me espace mental pour analyser m&egrave;ne in&eacute;vitablement, &agrave; terme, &agrave; consid&eacute;rer qu&rsquo;en dehors de lui, rien d&rsquo;int&eacute;ressant ne peut exister. La th&eacute;orie de G&ouml;del d&eacute;signe ce fait par l&rsquo;incompl&eacute;tude dans la mesure o&ugrave; l&rsquo;habitude du connu tend &agrave; laisser de c&ocirc;t&eacute; des &eacute;l&eacute;ments ou des pans entiers de la r&eacute;alit&eacute;, m&eacute;sestim&eacute;s, ignor&eacute;s, impens&eacute;s. Leur mise &agrave; l&rsquo;&eacute;cart, justifi&eacute;e a priori, par l&rsquo;impact mineur qu&rsquo;ils sont cens&eacute;s exercer sur l&rsquo;objet de l&rsquo;&eacute;tude, peut s&rsquo;av&eacute;rer dommageable quant aux r&eacute;sultats dans la mesure o&ugrave; le &laquo;&nbsp;hors sujet&nbsp;&raquo; a priori peut se r&eacute;v&eacute;ler porteur soit d&rsquo;innovation possible, soit de remise en question n&eacute;cessaire dont l&rsquo;&eacute;conomie est faite inconsciemment.</p> <p class="texte">Et puis, approfondissant les travaux de William James, il nous a sembl&eacute;, par ailleurs, que l&rsquo;aspect nouveau de sa ou ses d&eacute;marches a &eacute;t&eacute; sacrifi&eacute;, quelque peu, au nom du &laquo;&nbsp;connu&nbsp;&raquo;, ayant &eacute;t&eacute; relativis&eacute; au profit de ce qui apparaissait cat&eacute;gorisable parmi les th&eacute;ories classiques philosophiques en vigueur. L&rsquo;affectation rapide et syst&eacute;matique &agrave; un courant ouvre &agrave; l&rsquo;aisance de pouvoir classer, ordonner, mais peut conduire &agrave; abandonner le &laquo;&nbsp;hors cat&eacute;gorie&nbsp;&raquo; car difficile &agrave; cat&eacute;goriser, sauf &agrave; le faire entrer en force. C&rsquo;est ainsi que, aujourd&rsquo;hui, l&rsquo;&eacute;vocation de William James pose un probl&egrave;me pour le situer, ou bien il figure parmi les pragmatistes ou empiristes, occultant ce que le qualificatif de &laquo;&nbsp;radical&nbsp;&raquo; peut avoir comme incidence sur le prisme par lequel il observe le concret qui, pour lui, correspond au v&eacute;cu. C&rsquo;est ainsi que pour se diff&eacute;rencier de l&rsquo;empirisme humien, William James pr&eacute;cise&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Pour &ecirc;tre radical, un empirisme ne doit admettre dans ses constructions, aucun &eacute;l&eacute;ment dont on ne peut faire directement l&rsquo;exp&eacute;rience, et n&rsquo;en exclure aucun &eacute;l&eacute;ment dont on fait directement l&rsquo;exp&eacute;rience.&nbsp;Pour une telle philosophie, les relations qui relient les exp&eacute;riences doivent elles-m&ecirc;mes &ecirc;tre des relations dont on fait l&rsquo;exp&eacute;rience, et toute relation, de quelque type qu&rsquo;elle soit, dont on fait l&rsquo;exp&eacute;rience, doit &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme aussi &laquo;&nbsp;r&eacute;elle&nbsp;&raquo; que n&rsquo;importe quoi d&rsquo;autre dans le syst&egrave;me.</em><sup><a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a></sup>&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte">Enfin, la qualit&eacute; du parcours personnel de William James pr&eacute;sente l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t d&rsquo;illustrer ce qu&rsquo;est l&rsquo;exp&eacute;rience pure. En effet, ses travaux traduisent l&rsquo;&eacute;volution personnelle inh&eacute;rente &agrave; ses nombreuses formations universitaires, &agrave; savoir la m&eacute;decine, la neurophysiologie, la philosophie, puis la psychologie. Il fut consid&eacute;r&eacute; comme le premier des psychologues &agrave; la parution de son ouvrage <em>The Principles of Psychology</em> en 1890. Cet auteur incarne tout &agrave; la fois l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; et la transdisciplinarit&eacute;, utiles pour envisager de nouveaux axes, au moyen de nouveaux prismes gr&acirc;ce &agrave; la conjugaison des diff&eacute;rentes m&eacute;thodologiques adopt&eacute;es par chaque champ disciplinaire. C&rsquo;est ainsi qu&rsquo;observant d&rsquo;abord l&rsquo;&ecirc;tre humain &laquo;&nbsp;mosa&iuml;que&nbsp;&raquo;, fragment&eacute; selon les diverses sp&eacute;cialit&eacute;s m&eacute;dicales, William James a cherch&eacute;, progressivement, une approche inclusive de toutes ces facettes, afin de rester proche de cette unit&eacute; indivisible comme l&rsquo;&eacute;tymologie d&eacute;finit l&rsquo;individu. Ses options prennent en compte le vivant, le mouvant en train de se d&eacute;rouler comme processus, au d&eacute;triment du fig&eacute;, du statique, de l&rsquo;arr&ecirc;t arbitraire sur images, habituellement utilis&eacute; et devenu seul intelligible.</p> <p class="texte">Pour William James, l&rsquo;exp&eacute;rience pure cherche &agrave; inclure, au maximum, ce qui va contribuer &agrave; cr&eacute;er, au pr&eacute;sent, la singularit&eacute; idiosyncrasique des relations dans la mesure o&ugrave; chacun de nous, dans son existence, exprime un processus vivant, c&rsquo;est-&agrave;-dire mouvant, par lequel il &eacute;crit sa biographie.</p> <h1 class="texte">I &ndash; L&rsquo;exp&eacute;rience pure</h1> <h2 class="texte">a) L&rsquo;exp&eacute;rience pure et l&rsquo;ouvrage de William James &laquo;&nbsp;Essais d&rsquo;empirisme radical&nbsp;&raquo;</h2> <p class="texte">C&rsquo;est dans <em>Essais d&rsquo;empirisme radical</em><sup><a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a></sup>, le dernier ouvrage de William James, compos&eacute; de textes &eacute;crits en six mois, entre Septembre 1904 et F&eacute;vrier 1905 et publi&eacute;s &agrave; titre posthume par l&rsquo;un de ses &eacute;tudiants, R.B. Perry, que nous pouvons d&eacute;couvrir, dans l&rsquo;essai 2 tout particuli&egrave;rement consacr&eacute; &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience pure, mais &eacute;galement tout au long du livre, la fa&ccedil;on dont l&rsquo;auteur d&eacute;veloppe l&rsquo;id&eacute;e de cette notion, pour la concevoir et la caract&eacute;riser avant de l&rsquo;illustrer. Cet ouvrage a &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute; conform&eacute;ment &agrave; ses instructions, a &eacute;t&eacute; publi&eacute; en 1912 et traduit en fran&ccedil;ais en 2005. Bien que constitu&eacute;s d&rsquo;&eacute;crits diff&eacute;rents qui ont donn&eacute; lieu &agrave; de fructueux &eacute;changes de l&rsquo;auteur avec d&rsquo;&eacute;minentes personnalit&eacute;s telles que Bergson, Whitehead et Russell, cet ouvrage pr&eacute;sente une coh&eacute;rence interne. S&rsquo;exprimant sur l&rsquo;&eacute;volution personnelle de sa pens&eacute;e qui a pr&eacute;sid&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;volution de ses recherches, de ses postulats et des sch&eacute;mas explicites ou implicites qui les ont traduits, il dit ceci&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Nous sommes tous influenc&eacute;s par nos sentiments personnels, je le sais et je suis, pour ma part, m&eacute;content des solutions existantes, si bien que je crois lire les signes d&rsquo;un grand chambardement, comme si l&rsquo;&eacute;mergence de conceptions plus r&eacute;elles et de m&eacute;thodes plus fructueuses &eacute;tait imminente, comme si un v&eacute;ritable paysage devait en r&eacute;sulter, moins d&eacute;coup&eacute;, aux ar&ecirc;tes moins vives, et </em><em>moins artificiel..... Pendant de nombreuses ann&eacute;es, un certain-type de conception du monde</em><sup><em><a class="footnotecall" href="#ftn3" id="bodyftn3">3</a></em></sup><em> a m&ucirc;ri dans mon esprit.&nbsp;</em>&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn4" id="bodyftn4">4</a></sup>. C&rsquo;est que ce nous d&eacute;couvrirons dans cet ouvrage mais au pr&eacute;alable, il nous para&icirc;t indispensable de pointer ce qui suit.</p> <h2 class="texte">b) La traduction de &laquo;&nbsp;<em>to experience</em>&nbsp;&raquo;</h2> <p class="texte">Avant que William James ne nous introduise &agrave; sa conception de l&rsquo;exp&eacute;rience pure et imm&eacute;diatement apr&egrave;s la pr&eacute;face r&eacute;dig&eacute;e par les traducteurs, notre attention a &eacute;t&eacute; attir&eacute;e par les notes de ces traducteurs informant sur les traductions adopt&eacute;es par eux pour certains termes. Parmi les huit termes concern&eacute;s, le premier est &laquo;&nbsp;<em>to experience</em>&nbsp;&raquo; et repr&eacute;sente le c&oelig;ur de ce qui est abord&eacute; dans cet ouvrage tout en repr&eacute;sentant la centralit&eacute; du positionnement de chercheur de William James. A ce titre, la traduction de &laquo;&nbsp;<em>to experience</em>&nbsp;&raquo; nous appara&icirc;t comme paradigmatique. Voil&agrave; ce qu&rsquo;il est dit par les traducteurs &agrave; ce sujet&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>exp&eacute;riencer&nbsp;</em>&raquo;, voire &laquo;&nbsp;<em>exp&eacute;riencier</em>&nbsp;&raquo; &eacute;taient difficiles et ne nous ont pas sembl&eacute; suffisamment attest&eacute;s&nbsp;; &laquo;&nbsp;<em>&eacute;prouver&nbsp;</em>&raquo; &eacute;tait un choix s&eacute;duisant mais qui rendait moins nettement la r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience et risquait d&rsquo;induire des connotations subjectivistes&nbsp;; il a &eacute;t&eacute; rendu par &laquo;&nbsp;<em>faire l&rsquo;exp&eacute;rience de</em>&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn5" id="bodyftn5">5</a></sup>.</p> <p class="texte">Dans l&rsquo;&eacute;mergence des questions suscit&eacute;es par ce pr&eacute;ambule, quelques-unes m&eacute;ritent d&rsquo;&ecirc;tre pos&eacute;es clairement&nbsp;: en quoi &laquo;&nbsp;<em>&eacute;prouver</em>&nbsp;&raquo; rendait moins nettement la r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience&nbsp;? En quoi, &laquo;&nbsp;<em>exp&eacute;riencer</em>&nbsp;&raquo; ne semble pas suffisamment attest&eacute; (pourquoi et par qui)&nbsp;? Pourquoi prendre en compte les donn&eacute;es relatives &agrave; &laquo;&nbsp;<em>&eacute;prouver</em>&nbsp;&raquo; repr&eacute;sente-t-il un risque et pour qui ou quoi&nbsp;: l&rsquo;exp&eacute;rience, le chercheur, l&rsquo;exp&eacute;rienceur, la qualit&eacute; de la recherche et en quoi&nbsp;? Traduire ne pr&eacute;sente-t-il pas, lui-aussi, un risque, celui de se situer &agrave; mi-chemin entre l&rsquo;auteur et le traducteur&nbsp;?</p> <p class="texte">Avant de poursuivre, la pr&eacute;cision du sens de &laquo;&nbsp;<em>subjectivistes&nbsp;</em>&raquo; est n&eacute;cessaire en pointant le fait que ce n&rsquo;est pas &laquo;&nbsp;<em>objectiviste</em>&nbsp;&raquo; qui repr&eacute;sente un risque&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>subjectiviste</em>&nbsp;&raquo; fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;&eacute;cole de Vienne, appel&eacute;e &eacute;cole psychologique &eacute;conomique, dont l&rsquo;approche m&eacute;thodologique en &eacute;conomie s&rsquo;est inspir&eacute;e de la th&eacute;orie sociale de Ludwig Lachmann (1906-1990), partie de l&rsquo;individualisme m&eacute;thodologique en &eacute;conomie pour se focaliser sur le sens que les individus attribuent &agrave; leurs actions et aux actions d&rsquo;une part, et d&rsquo;autre part aux situations qu&rsquo;ils ont &agrave; conna&icirc;tre. Tandis que l&rsquo;objectivisme focalise sur ce qui est plac&eacute; devant, sur l&rsquo;objet, le subjectivisme se concentre sur le sens, les pens&eacute;es, les relations, les sensations, les sentiments relatifs au sujet de l&rsquo;exp&eacute;rience, &agrave; l&rsquo;activit&eacute; de son mental et de son psychisme, de ce qui lui est int&eacute;rieur. Ainsi, nous constatons que l&rsquo;objet est plac&eacute; face au sujet et que ce qui va dominer dans l&rsquo;exp&eacute;rience, c&rsquo;est l&rsquo;objet quand bien m&ecirc;me un sujet est n&eacute;cessaire au sens philosophique pour qu&rsquo;une exp&eacute;rience soit. Il est int&eacute;ressant de rechercher quelle a &eacute;t&eacute; la position de William James par rapport &agrave; ce dualisme, ce que nous aborderons plus loin.</p> <p class="texte">Si les traducteurs ont, bien entendu, le choix de leur orientation, guid&eacute;e par la rigueur, tout choix d&eacute;termine une direction en neutralisant les autres. Par ailleurs, toute d&eacute;termination est support&eacute;e par une conception du monde qui fait sens et d&rsquo;o&ugrave; &eacute;merge la direction prise. Ainsi, et si nous avons bien compris les traducteurs, la traduction de &laquo;&nbsp;<em>to experience</em>&nbsp;&raquo; doit &eacute;viter le risque de focaliser sur l&rsquo;exp&eacute;rienceur, celui qui est en train de vivre l&rsquo;exp&eacute;rience dans sa sensibilit&eacute; humaine vivante comme un individu, unit&eacute; qui ne dissocie pas le corps de la psych&eacute; pour le tourner vers l&rsquo;objet de l&rsquo;exp&eacute;rience. Quelle signification peut prendre un objet d&rsquo;exp&eacute;rience sans sujet impliqu&eacute; par la relation d&rsquo;exp&eacute;rience avec lui&nbsp;? Comment un objet peut-il exister sans sujet&nbsp;? Et puis, les traducteurs n&rsquo;ont-ils pas favoris&eacute; eux-m&ecirc;mes c&rsquo;est-&agrave;-dire les sujets, dans l&rsquo;exp&eacute;rience de la traduction en optant pour ce choix&nbsp;?</p> <p class="texte">Si nous assumons que toute d&eacute;cision d&rsquo;orientation est support&eacute;e par une conception du monde qui fait sens et par rapport &agrave; laquelle la d&eacute;cision est prise pour la renforcer, nous dirons que &laquo;&nbsp;<em>faire l&rsquo;exp&eacute;rience de&nbsp;</em>&raquo;, signification arr&ecirc;t&eacute;e pour &laquo;&nbsp;<em>to experience</em>&nbsp;&raquo;, nous para&icirc;t induire une disjonction entre le faire avec l&rsquo;attente du r&eacute;sultat tangible comme cons&eacute;quence du faire, et celui qui fait. Un &eacute;cart est pr&eacute;vu entre le sujet et l&rsquo;objet avec l&rsquo;annonce que l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t sera port&eacute; sur l&rsquo;action de &laquo;&nbsp;<em>faire l&rsquo;exp&eacute;rience&nbsp;de&nbsp;</em>&raquo; et non pas sur &laquo;&nbsp;&ecirc;tre en train de faire l&rsquo;exp&eacute;rience de&nbsp;&raquo;, ce qui peut se r&eacute;sumer par &laquo;&nbsp;<em>&ecirc;tre l&rsquo;exp&eacute;rience en train de la vivre</em>&nbsp;&raquo;. N&rsquo;est-ce pas l&agrave; estomper celui qui est porteur de l&rsquo;&eacute;nergie du faire car s&rsquo;il y a un processus en cours, c&rsquo;est qu&rsquo;il s&rsquo;agit de vivant en train de se vivre&nbsp;? De plus, en dirigeant la lumi&egrave;re sur l&rsquo;exp&eacute;rience en tant qu&rsquo;objet de l&rsquo;exp&eacute;rience, n&rsquo;est-ce pas l&agrave; mettre en place les conditions exp&eacute;rimentales qui, att&eacute;nuant ou dissimulant l&rsquo;&ecirc;tre humain par lequel l&rsquo;exp&eacute;rience advient selon la perspective psychologique, reste la perspective et, en cons&eacute;quence, l&rsquo;explication sociologique &agrave; laquelle se r&eacute;duit toute explication humaine&nbsp;? Comment alors, peut-on illustrer, expliquer ou d&eacute;montrer la neutralit&eacute; dont se r&eacute;clame l&rsquo;objectivit&eacute; en sciences humaines&nbsp;? Poser la question n&rsquo;est-ce pas d&eacute;j&agrave; acter la conjugaison des contraires et se soumettre au principe de contradiction&nbsp;?</p> <p class="texte">Nous aurions sugg&eacute;r&eacute; &laquo;&nbsp;<em>exp&eacute;rimenter&nbsp;</em>&raquo; plut&ocirc;t que &laquo;&nbsp;<em>faire l&rsquo;exp&eacute;rience de</em>&nbsp;&raquo; dans la mesure o&ugrave; la d&eacute;finition du CNRTL propose en amont, pour ce terme, la pr&eacute;cision suivante&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>exp&eacute;rimenter renvoie &agrave;&nbsp;une exp&eacute;rience v&eacute;cue</em>&nbsp;&raquo;, puis compl&egrave;te avec la d&eacute;finition suivante&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>apprendre, &eacute;prouver, d&eacute;couvrir par l&rsquo;exp&eacute;rience personnelle</em>&nbsp;&raquo;. Deux raisons nous poussent vers ce choix&nbsp;: l&rsquo;auteur, son cheminement et la teneur de ses apports d&rsquo;une part et d&rsquo;autre part l&rsquo;autre prisme qu&rsquo;il nous tend.</p> <h2 class="texte">c) Une certaine conception du monde de l&rsquo;exp&eacute;rience pure</h2> <p class="texte">C&rsquo;est ainsi que William James a dessin&eacute; la conception du monde qui s&rsquo;est impos&eacute;e &agrave; lui quant &agrave; la conjoncture pr&eacute;existant au moment o&ugrave; il entreprit ses recherches, le conduisant &agrave; percevoir la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;aller au-del&agrave; des pratiques habituelles de l&rsquo;&eacute;poque, que le moment &eacute;tait venu pour innover. Cet aspect, peu mis en relief d&rsquo;ordinaire, prend tout son sens si nous le rapprochons du &laquo;&nbsp;<em>Kairos</em>&nbsp;&raquo; des Grecs o&ugrave; les relations s&rsquo;&eacute;tablissent au moment opportun, en l&rsquo;occurrence lorsque l&rsquo;&eacute;tat de l&rsquo;exp&eacute;rience pure est compatible avec le d&eacute;clenchement du nouveau, du changement, de la rupture. C&rsquo;est ainsi qu&rsquo;il explicite &laquo;&nbsp;<em>sa conception du monde</em>&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>si l&rsquo;on commence par supposer qu&rsquo;il n&rsquo;y a qu&rsquo;une seule &eacute;toffe primitive dans le monde, un unique mat&eacute;riau dont tout est compos&eacute;, et si l&rsquo;on nomme cette &eacute;toffe &laquo;&nbsp;exp&eacute;rience pure&nbsp;&raquo;, on peut facilement expliquer l&rsquo;acte de connaitre comme un type particulier de relation mutuelle dans laquelle peuvent entrer des portions d&rsquo;exp&eacute;rience pure. La relation elle-m&ecirc;me fait partie de l&rsquo;exp&eacute;rience pure&nbsp;; l&rsquo;un de ses &laquo;&nbsp;termes&nbsp;&raquo; devient le sujet ou le porteur de la connaissance, ce qui conna&icirc;t, l&rsquo;autre devient l&rsquo;objet connu.</em>&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn6" id="bodyftn6">6</a></sup> Mais plus loin, il va exposer en quoi le sujet est lui-m&ecirc;me objet de sa propre pure exp&eacute;rience. Il devient difficile de dissocier sujet et objet, en les opposant. Le processus que caract&eacute;rise l&rsquo;existence de l&rsquo;individu les inclut. C&rsquo;est l&rsquo;exp&eacute;rience pure de l&rsquo;individu qui devient le prisme par lequel tout est analys&eacute; puisque tout est exp&eacute;rience pure, tout est relations.</p> <h2 class="texte">d) Le &laquo;&nbsp;<em>cela</em>&nbsp;&raquo; de l&rsquo;exp&eacute;rience pure</h2> <p class="texte">Ajoutant un aspect suppl&eacute;mentaire &agrave; la notion d&rsquo;exp&eacute;rience pure, le &laquo;&nbsp;<em>cela</em>&nbsp;&raquo;. William James prend l&rsquo;exemple d&rsquo;une exp&eacute;rience pure v&eacute;cue par un individu relativement &agrave; une habitation, pour &eacute;clairer ce qu&rsquo;il entend par &laquo;&nbsp;cela&nbsp;&raquo;&nbsp;: une exp&eacute;rience pure donne naissance &agrave; plusieurs types de processus engag&eacute;s, &agrave; savoir celui relatif &agrave; la biographie personnelle de cet individu et l&rsquo;autre relatif &agrave; l&rsquo;histoire de la maison par exemple. Du point de vue de l&rsquo;individu, le &laquo;&nbsp;<em>cela&nbsp;</em>&raquo; est le dernier terme qui r&eacute;unit, en les synth&eacute;tisant, les sensations, &eacute;motions, d&eacute;cisions, mouvements, classifications, attentes, etc. qui s&rsquo;ach&egrave;vent dans le pr&eacute;sent des relations de l&rsquo;exp&eacute;rience. Mais comme l&rsquo;existence est processuelle, c&rsquo;est &eacute;galement le premier terme de celles qui vont s&rsquo;&eacute;tendre dans le futur puisque l&rsquo;exp&eacute;rience pure est constitu&eacute;e de processus compos&eacute;s de relations incessantes et multiples, toutes ayant pour origine les sensations &eacute;prouv&eacute;es, positivement ou n&eacute;gativement, mais toutes sont davantage que des perceptions mais des percepts, fruit de l&rsquo;appropriation intime par l&rsquo;exp&eacute;rience pure, de l&rsquo;aperception.</p> <p class="texte">Pour ce qui concerne les souvenirs et les r&ecirc;ves, les &laquo;&nbsp;<em>cela</em>&nbsp;&raquo; repr&eacute;sentent tout ce qui vient d&rsquo;&ecirc;tre &eacute;num&eacute;r&eacute;, de mani&egrave;re d&eacute;sorganis&eacute;e, ceci d&rsquo;autant plus que l&rsquo;individu peut avoir v&eacute;cu ou r&ecirc;v&eacute; de vivre dans diff&eacute;rents endroits, de m&ecirc;me que la maison peut avoir accueilli de nombreux r&eacute;sidents. Il ne s&rsquo;agit plus de v&eacute;rifier la v&eacute;racit&eacute; ou l&rsquo;objectivit&eacute; de la pr&eacute;sence des objets d&rsquo;exp&eacute;riences mais de constater que per&ccedil;us directement ou r&ecirc;v&eacute;s, ils appartiennent &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience pure en tant que percepts. De plus, un objet comme la maison t&eacute;moigne d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; objective ext&eacute;rieure en m&ecirc;me temps que d&rsquo;une repr&eacute;sentation int&eacute;rieure, le tout donnant lieu &agrave; de multiples relations.</p> <p class="texte">William James d&eacute;signe par &laquo;&nbsp;<em>exp&eacute;rience pure</em>&nbsp;&raquo;, le champ instantan&eacute; du pr&eacute;sent, en tant que subjectif en disant que l&rsquo;exp&eacute;rience repr&eacute;sente, et en tant qu&rsquo;objectif en disant qu&rsquo;elle est repr&eacute;sent&eacute;e. Ses deux volets sont les m&ecirc;mes sans pr&eacute;senter de dualisme ni d&rsquo;opposition puisqu&rsquo;ils sont des attributs fonctionnels r&eacute;alis&eacute;s quand l&rsquo;exp&eacute;rience est saisie, c&rsquo;est-&agrave;-dire verbalis&eacute;e, &eacute;tudi&eacute;e, analys&eacute;e. Dans cette pr&eacute;sentation du ph&eacute;nom&egrave;ne d&rsquo;exp&eacute;rience pure, la fonction de la conscience va intervenir dans le processus d&rsquo;aperception menant au constat de l&rsquo;exp&eacute;rience r&eacute;alis&eacute;e d&rsquo;une part et d&rsquo;autre part de la participation humaine dans le fait que l&rsquo;exp&eacute;rience r&eacute;alis&eacute;e soit rapport&eacute;e comme telle. Ce qui est important &agrave; retenir de cette exp&eacute;rience pure, ce sont ses multiples composantes en termes de relations de toutes natures exprim&eacute;es comme une intrication sujet-objet, sans s&eacute;paration de l&rsquo;un par rapport &agrave; l&rsquo;autre dans la mesure o&ugrave; une exp&eacute;rience pure est toujours le fruit de cette intrication au minimum ou de plusieurs intrications, cette ou ces intrications introduisant une notion de proximit&eacute; ou d&rsquo;intimit&eacute;.</p> <h2 class="texte">e) Un monde d&rsquo;exp&eacute;riences pure</h2> <p class="texte">Comme cit&eacute; ci-dessus, William James d&eacute;signe par empirisme radical, tout ce qui est exp&eacute;rience v&eacute;cue et exclut ce qui ne l&rsquo;est pas, tout en indiquant que cette ou ces exp&eacute;riences v&eacute;cues se construisent au moyen de relations exp&eacute;riment&eacute;e et, &agrave; ce titre, consid&eacute;r&eacute;es comme r&eacute;elle et appartenant &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience. Et puis, pour pr&eacute;ciser sa d&eacute;marche singuli&egrave;re, W. James la d&eacute;signe sous le vocable de &laquo;&nbsp;<em>philosophie en mosa&iuml;que</em>&nbsp;&raquo; et plus loin, il termine ainsi&nbsp;: l&rsquo;unit&eacute; n&rsquo;est plus l&rsquo;unit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience, elle est unit&eacute; dans l&rsquo;exp&eacute;rience, non unit&eacute; du multiple mais unit&eacute; multiple&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;<em>les parties de l&rsquo;exp&eacute;rience se tiennent ensemble de proche en proche par des relations qui sont elles-m&ecirc;mes des parties de l&rsquo;exp&eacute;rience&nbsp;&raquo;</em><sup><em><a class="footnotecall" href="#ftn7" id="bodyftn7">7</a></em></sup><em>. L&rsquo;empirisme radical, ainsi pr&eacute;sent&eacute;, repose sur la continuit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience, &laquo;&nbsp;ce flux imm&eacute;diat de la vie qui fournit &agrave; la r&eacute;flexion ult&eacute;rieure, ses mat&eacute;riaux&nbsp;</em>&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn8" id="bodyftn8">8</a></sup>, cette r&eacute;flexion finissant par nous masquer ce flux.</p> <p class="texte">Et voil&agrave; comment, selon William James, le r&eacute;el se trouve accommod&eacute; dans la r&eacute;alit&eacute; examin&eacute;e&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>or, bien que les relations conjonctives et disjonctives se pr&eacute;sentent comme des parties de l&rsquo;exp&eacute;rience int&eacute;gralement coordonn&eacute;es, l&rsquo;empirisme ordinaire a toujours manifest&eacute; une tendance &agrave; supprimer les liaisons entre les choses, et &agrave; insister davantage sur les disjonctions</em>.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn9" id="bodyftn9">9</a></sup>&nbsp;&raquo; William James va &eacute;tayer son assertion par quelques exemples emprunt&eacute;s au nominalisme de Berkeley, au jugement de Hume, au refus par James Mill de d&eacute;crire l&rsquo;exp&eacute;rience sans la r&eacute;organiser de mani&egrave;re compatible avec l&rsquo;usage au service de laquelle elle sera cit&eacute;e. &laquo;&nbsp;<em>Une telle image du monde a eu pour r&eacute;sultat de pousser le rationalisme &agrave; en </em><em>corriger les incoh&eacute;rences en ajoutant des agents d&rsquo;unification trans-exp&eacute;rientiels, en ajoutant des substances, des facult&eacute;s ou des cat&eacute;gories intellectuelles, ou encore des Sois</em><sup><a class="footnotecall" href="#ftn10" id="bodyftn10">10</a></sup>&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte">Ceci va le conduire &agrave; intituler certaines des parties de ses Essais ainsi&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Comment deux esprits peuvent connaitre une m&ecirc;me chose&nbsp;; la place des faits affectifs dans un monde d&rsquo;exp&eacute;rience pure&nbsp;; l&rsquo;empirisme radical est-il solipsiste&nbsp;?&nbsp;</em>&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn11" id="bodyftn11">11</a></sup></p> <h2 class="texte">f) En r&eacute;sum&eacute;, ce que l&rsquo;exp&eacute;rience pure remet en lumi&egrave;re</h2> <p class="texte">William James prend des exemples simples pour montrer que l&rsquo;individu est unit&eacute;&nbsp;: dans une pi&egrave;ce ou devant un plat ou face &agrave; une situation de travail ou dans tout autre contexte, le physique et le psychique ne sont pas disjoints et h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes. Ce que nous d&eacute;signons par r&eacute;alit&eacute;, que nous d&eacute;crivons tr&egrave;s scrupuleusement rationnellement en la voulant objective, nous a sensibilis&eacute;s, positivement ou n&eacute;gativement. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; sensible d&rsquo;o&ugrave; d&eacute;pendent nos int&eacute;r&ecirc;ts et sur laquelle, avec toutes ses facettes des quotidiens de notre existence, se portent nos actions et nos r&eacute;actions. Ecarter les sensations que nous &eacute;prouvons (ne serait-ce que de se sentir &agrave; l&rsquo;aise, ou pas, devant un sujet &agrave; traiter par exemple) pour ne faire appara&icirc;tre que ce qui doit &ecirc;tre important et utile par convention, ne conduit pas &agrave; modifier la r&eacute;alit&eacute; vivante dans laquelle chacun de nous est immerg&eacute;, physiquement et psychiquement mais &agrave; en soustraire un aspect.</p> <p class="texte">La pr&eacute;sence de la mat&eacute;rialit&eacute; qui compose les lieux pour chacun de nous, les objets de nos environnements, sont tous empreints d&rsquo;un sens, marque de l&rsquo;intervention de notre psychisme, que nous en soyons conscients ou qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de r&eacute;flexe ou encore, que nous nous refusions &agrave; le reconna&icirc;tre. Ce que nous d&eacute;signons par &laquo;&nbsp;r&eacute;alit&eacute;&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est l&rsquo;aperception m&ecirc;me et chacun de nous, face &agrave; une r&eacute;alit&eacute; en apparence identique, traduira en la cr&eacute;ant pour ensuite la nommer &laquo;&nbsp;sa r&eacute;alit&eacute;&nbsp;&raquo;, son appropriation. Cette derni&egrave;re se produira au moyen des sensations, affects, etc., de toute la manifestation sensible du vivant qu&rsquo;incarne l&rsquo;humain qui n&rsquo;est pas un impassible intime. Et puis, pour compl&eacute;ter, William James insiste&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Tout ce qui arrive-au-dedans de ce corps nous est plus intime et important que ce qui arrive ailleurs. Il s&rsquo;identifie avec notre moi, il se classe avec lui. Ame, vie, souffle&nbsp;: qui saurait bien les distinguer exactement&nbsp;?</em>&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn12" id="bodyftn12">12</a></sup></p> <p class="texte">Par ailleurs, il rappelle sans cesse ce que l&rsquo;empirisme radical pose, &agrave; savoir qu&rsquo;&eacute;tudier le pr&eacute;sent, c&rsquo;est n&eacute;cessairement concentrer l&rsquo;attention sur une s&eacute;quence mouvante d&rsquo;un processus vivant qui se d&eacute;roule vers son devenir, au moyen d&rsquo;exp&eacute;riences incessantes toutes intriqu&eacute;es avec comme fonction de nous constituer, individu en &eacute;volution par transformations silencieuses. Aussi, tout choix de concepts statiques de l&rsquo;entendement repr&eacute;sente une substitution du mouvant par du statique, ce qui pose un probl&egrave;me de fond en raison de la substitution qui, analysant une situation (statique), en extrapolera les r&eacute;sultats &agrave; ce qu&rsquo;elle traduira ensuite par &laquo;&nbsp;le r&eacute;el&nbsp;&raquo; et qui voudra d&eacute;signer le mouvant.</p> <p class="texte">Pour William James, il n&rsquo;est d&rsquo;exp&eacute;rience pure que selon l&rsquo;empirisme radical&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>mais si seulement l&rsquo;empirisme avait &eacute;t&eacute; radical et avait pris sans hostilit&eacute; tout ce qui se pr&eacute;sentait, la conjonction et la s&eacute;paration, chacune au comptant, les cons&eacute;quences n&rsquo;auraient pas demand&eacute; une correction si artificielle.</em><sup><a class="footnotecall" href="#ftn13" id="bodyftn13">13</a></sup>&nbsp;&raquo; Afin d&rsquo;&ecirc;tre plus explicite sur ce qu&rsquo;est l&rsquo;exp&eacute;rience humaine, William James va se reposer sur la description philosophique de ce qui la constitue, en indiquant au pr&eacute;alable que &laquo;&nbsp;<em>les relations comportent diff&eacute;rents degr&eacute;s d&rsquo;intimit&eacute;. &Ecirc;tre simplement les uns &laquo;&nbsp;avec&nbsp;&raquo; les autres dans un univers de discours est la relation la plus externe que les termes puissent entretenir...la simultan&eacute;it&eacute; et l&rsquo;intervalle temporel viennent ensuite puis l&rsquo;adjacence spatiale et la distance&nbsp;; apr&egrave;s elles, la ressemblance et la diff&eacute;rence, qui rendent possibles de nombreuses inf&eacute;rences&nbsp;; puis les relations d&rsquo;activit&eacute;, encha&icirc;nant les termes en s&eacute;ries qui impliquent le changement, la tendance, la r&eacute;sistance et l&rsquo;ordre causal en g&eacute;n&eacute;ral&nbsp;; finalement, la relation dont on fait l&rsquo;exp&eacute;rience entre des termes qui constituent les &eacute;tats d&rsquo;esprit et qui sont imm&eacute;diatement conscients de se continuer l&rsquo;un l&rsquo;autre. L&rsquo;organisation du Soi comme syst&egrave;me de souvenirs, de buts, d&rsquo;efforts, de r&eacute;alisations et de d&eacute;ceptions est accessoire par rapport &agrave; cette relation, la plus intime de toutes, dont les termes semblent effectivement, dans de nombreux cas, se comp&eacute;n&eacute;trer, et envahir leurs existences respectives</em>.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn14" id="bodyftn14">14</a></sup>&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte">L&rsquo;exp&eacute;rience pure est faite d&rsquo;intrications complexes&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>pris comme il appara&icirc;t en fait, notre univers est, dans une large mesure, chaotique. Aucun type de liaison unique ne parcourt toutes les exp&eacute;riences qui le composent. Par exemple, les relations spatiales ne relient pas les esprits selon un syst&egrave;me r&eacute;gulier. Les causes et les buts n&rsquo;adviennent qu&rsquo;au sein de s&eacute;ries particuli&egrave;res de faits. La relation &agrave; Soi</em> <em>semble extr&ecirc;mement limit&eacute;e et ne relie pas deux Sois diff&eacute;rents.</em><sup><a class="footnotecall" href="#ftn15" id="bodyftn15">15</a></sup>&nbsp;&raquo; Et puis, voil&agrave; comment les relations entre les individus s&rsquo;articulent&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>mes exp&eacute;riences et les v&ocirc;tres jouent librement, se balancent et aboutissent, il est vrai, &agrave; un noyau de perception qui leur est commun&nbsp;; mais elles sont, pour la plupart, cach&eacute;es &agrave; la vue et elles sont sans rapport entre elles, inimaginables les unes pour les autres.</em> <em>Cette intimit&eacute; imparfaite, cette pure relation d&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;avec&nbsp;&raquo; entre certaines parties du total de l&rsquo;exp&eacute;rience et d&rsquo;autres, est le fait m&ecirc;me auquel l&rsquo;empirisme ordinaire accorde trop d&rsquo;importance dans son opposition au rationalisme, ce dernier ayant toujours tendance &agrave; l&rsquo;ignorer excessivement. L&rsquo;empirisme radical, au contraire, traite &eacute;quitablement l&rsquo;unit&eacute; et la s&eacute;paration. Il ne trouve </em><em>aucune raison de tenir pour illusoire l&rsquo;une ou l&rsquo;autre. Il alloue &agrave; chacune son domaine propre de description, et accorde qu&rsquo;il para&icirc;t y voir des forces r&eacute;elles &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre qui tendent, au fil du temps, &agrave; accro&icirc;tre l&rsquo;unit&eacute;.</em><sup><a class="footnotecall" href="#ftn16" id="bodyftn16">16</a></sup>&nbsp;&raquo;... &laquo;&nbsp;<em>Mes exp&eacute;riences et vos exp&eacute;riences ont les unes &laquo;&nbsp;avec&nbsp;&raquo; les autres, diverses sortes de relations externes, mais les miennes passent dans les miennes et les v&ocirc;tres passent dans les v&ocirc;tres d&rsquo;une fa&ccedil;on dont les miennes et les v&ocirc;tres ne passent jamais les unes dans les autres. Au sein de nos histoires personnelles, sujet objet, int&eacute;r&ecirc;t et dessein sont continus ou peuvent &ecirc;tre continus. Les histoires personnelles des processus de changement dans le temps et le changement lui-m&ecirc;me est l&rsquo;une des choses dont on fait imm&eacute;diatement l&rsquo;exp&eacute;rience. ..... D&eacute;fendre cette relation signifie la prendre au comptant, ni plus ni moins, et la prendre au comptant signifie en premier lieu la prendre exactement comme nous la ressentons et ne pas nous leurrer avec un discours abstrait &agrave; son sujet en mobilisant des mots qui nous conduiraient &agrave; inventer des conceptions d&eacute;riv&eacute;es afin de neutraliser leurs implications et de permettre &agrave; notre exp&eacute;rience r&eacute;elle de sembler &agrave; nouveau rationnellement possible</em><sup><a class="footnotecall" href="#ftn17" id="bodyftn17">17</a></sup>&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte">En effet, &eacute;changer consiste &agrave; passer en revue des aspects de cette exp&eacute;rience, isol&eacute;s pour &ecirc;tre mis en avant comme th&egrave;me d&rsquo;&eacute;change alors que William James fait remarquer la notion de continuit&eacute; cognitive qui s&rsquo;op&egrave;re &laquo;&nbsp;<em>alors qu&rsquo;en passant de l&rsquo;un de mes propres instants &agrave; un autre, l&rsquo;identit&eacute; de l&rsquo;objet et de l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t est intacte, et les exp&eacute;riences pr&eacute;c&eacute;dente et suivante portent, toutes deux, sur des choses directement v&eacute;cues</em>&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn18" id="bodyftn18">18</a></sup>. En r&eacute;sum&eacute;, il fait remarquer &laquo;&nbsp;<em>il n&rsquo;y a pas d&rsquo;autre nature, ni d&rsquo;autre quiddit&eacute; (whatness) que cette absence de rupture et ce sentiment de la continuit&eacute; dans cette relation conjonctive, la plus intime de toutes, le passage d&rsquo;une exp&eacute;rience &agrave; l&rsquo;autre quand elles appartiennent au m&ecirc;me Soi. Et cette quiddit&eacute; est le &laquo;&nbsp;contenu&nbsp;&raquo; empirique r&eacute;el, tout comme la quiddit&eacute; de la s&eacute;paration et de la discontinuit&eacute; est le contenu r&eacute;el dans l&rsquo;autre cas. En pratique, faire l&rsquo;exp&eacute;rience de son continuum personnel de cette mani&egrave;re vivante, c&rsquo;est conna&icirc;tre les originaux des id&eacute;es de continuit&eacute; et d&rsquo;identit&eacute;, c&rsquo;est savoir ce dont les mots tiennent lieu concr&egrave;tement et poss&eacute;der tout ce qu&rsquo;ils pourront jamais vouloir dire.</em>&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn19" id="bodyftn19">19</a></sup></p> <p class="texte">&laquo;&nbsp;<em>Cette fid&eacute;lit&eacute; radicale &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience nous &eacute;pargnera un premier &eacute;cueil&nbsp;: une conception artificielle des relations entre ce qui conna&icirc;t et ce qui est connu... (sujet et objet ayant &eacute;t&eacute; trait&eacute;s par la philosophie comme des entit&eacute;s absolument s&eacute;par&eacute;es)&nbsp;; et par suite, la pr&eacute;sence du second au premier, ou &ndash;&nbsp;l&rsquo;appr&eacute;hension&nbsp;&ndash; du second par le premier, a rev&ecirc;tu un caract&egrave;re paradoxal qu&rsquo;il a fallu tenter de d&eacute;passer en inventant toutes sortes de th&eacute;ories (repr&eacute;sentationnelles).... Pourtant, au sein m&ecirc;me de l&rsquo;exp&eacute;rience finie, toutes les conjonctions </em><em>n&eacute;cessaires pour rendre la relation intelligible sont donn&eacute;es int&eacute;gralement</em><sup><a class="footnotecall" href="#ftn20" id="bodyftn20">20</a></sup>&nbsp;&raquo;. Ainsi, pour William James, il ne peut &ecirc;tre question de conna&icirc;tre si le ressenti intime est exclu ou pas consid&eacute;r&eacute;. &laquo;&nbsp;<em>La connaissance des r&eacute;alit&eacute;s sensibles vient &agrave; la vie &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du tissu de l&rsquo;exp&eacute;rience. Elle est faite, et faite par des relations qui se d&eacute;ploient dans le temps</em>&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn21" id="bodyftn21">21</a></sup>.</p> <h1 class="texte">II - Le duo d&eacute;mocratie-citoyen, une exp&eacute;rience pure</h1> <p class="texte">Le duo d&eacute;mocratie-citoyen est au c&oelig;ur du r&eacute;gime et du syst&egrave;me politique que constitue la d&eacute;mocratie, par laquelle la responsabilit&eacute; collective est exerc&eacute;e selon des modalit&eacute;s arr&ecirc;t&eacute;es. L&rsquo;id&eacute;e implicite est double&nbsp;: 1) pour la d&eacute;mocratie, celle de la construction d&rsquo;un projet commun, collectif, r&eacute;sum&eacute; par le gouvernement adapt&eacute; de l&rsquo;Etat &agrave; maintenir&nbsp;; 2) pour les citoyens consid&eacute;r&eacute;s collectivement, au moyen d&rsquo;une adaptation individuelle implicite demand&eacute;e et accept&eacute;e a priori, en faveur de ce projet commun, au nom de la majorit&eacute;. Implicitement, chacun des votants, acceptant a priori, de se soumettre au r&eacute;sultat final et d&rsquo;y adh&eacute;rer par principe.</p> <p class="texte">Mais, cet &eacute;tat de fait se prolonge concr&egrave;tement et individuellement, par l&rsquo;exp&eacute;rience de chacun du &laquo;&nbsp;<em>gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple</em>&nbsp;&raquo; sur le plan de ses sensations, peurs, sentiments, d&eacute;ceptions, etc.... et sur le plan objectif des constats d&rsquo;injustice et de r&eacute;gression &eacute;ventuelle de niveau de vie par exemple.</p> <p class="texte">En effet, dans notre soci&eacute;t&eacute; m&eacute;caniste et mat&eacute;rialiste, la d&eacute;mocratie est appr&eacute;hend&eacute;e comme un moyen de n&rsquo;accorder son consensus qu&rsquo;a posteriori, lorsque des r&eacute;sultats concrets, mat&eacute;rialisables et donc objectivables peuvent &ecirc;tre constat&eacute;s. Les m&eacute;dias et, en particulier la t&eacute;l&eacute;vision, n&rsquo;aurait-elle pas pour but de permettre au peuple, de d&eacute;battre sur les cons&eacute;quences concr&egrave;tes subjectives du v&eacute;cu &agrave; c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;application rationnelle et objective des principes politiques.</p> <p class="texte">En d&rsquo;autres termes, si le principe d&rsquo;un peuple relatif &agrave; un Etat peut envisager, en th&eacute;orie, la n&eacute;cessit&eacute; de m&eacute;nager le projet commun de la maintenance de l&rsquo;Etat, et de sa dimension collective, les citoyens qui se r&eacute;v&egrave;lent &ecirc;tre des individus, &ecirc;tres vivants se pr&eacute;sentant comme des unit&eacute;s, se chargent de se saisir, selon leur ressenti de l&rsquo;influence de l&rsquo;application objective des principes politiques, des moyens &agrave; leur disposition pour s&rsquo;exprimer au-del&agrave; du vote&nbsp;; l&rsquo;abstention est un moyen, les manifestations en sont un autre et, &agrave; terme, la possibilit&eacute; de bouleversements plus vastes voire de r&eacute;volutions restent des possibilit&eacute;s comme ph&eacute;nom&egrave;nes qui se sont illustr&eacute;s dans l&rsquo;histoire.</p> <h2 class="texte">a) Faire l&rsquo;exp&eacute;rience de la d&eacute;mocratie</h2> <p class="texte">Il est utile de remonter dans l&rsquo;histoire de la Gr&egrave;ce Antique o&ugrave; la d&eacute;mocratie a ses origines, pour rappeler que ce sont les sensations, les &eacute;motions et la passion traduits par les paysans qui ont conduit Solon, Clysth&egrave;ne, P&eacute;ricl&egrave;s et d&rsquo;autres, comme Mirabeau au temps de la R&eacute;volution Fran&ccedil;aise, &agrave; prendre des positions personnelles apr&egrave;s s&rsquo;&ecirc;tre sentis concern&eacute;s. L&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;in&eacute;galit&eacute;s, de conditions de tyrannies, en d&rsquo;autres termes de conditions inhumaines et invivables, vont conduire &agrave; la r&eacute;daction de lois, apr&egrave;s que des individus, les premiers t&eacute;moignant individuellement de leurs souffrances intimes et les seconds, touch&eacute;s, &eacute;mus, concern&eacute;s puis rationnellement encourag&eacute;s &agrave; agir, se soient articul&eacute;s en vue de cr&eacute;er les conditions d&rsquo;un changement.</p> <p class="texte">Les modalit&eacute;s de la d&eacute;mocratie initiale sont apparues au cours de manifestations li&eacute;es &agrave; des exp&eacute;riences pures intimes de la vie politique tyrannique, dont l&rsquo;expression a suscit&eacute; la mise en place de solutions compatibles, partielles ou globales, avant que n&rsquo;interviennent ensuite, des modalit&eacute;s rationalis&eacute;es de la d&eacute;mocratie, excluant ce versant &laquo;&nbsp;subjectif&nbsp;&raquo; pour se consacrer &agrave; organiser une forme objective de d&eacute;mocratie. Cette derni&egrave;re s&rsquo;appliquait dans la Cit&eacute; d&rsquo;Ath&egrave;nes et, apr&egrave;s avoir d&eacute;fini le cercle des citoyens, en a exclu d&rsquo;autres. Peu &agrave; peu, la d&eacute;mocratie, n&eacute;e pour solutionner les probl&egrave;mes d&rsquo;injustice, n&rsquo;en cr&eacute;ait-elle pas &agrave; son tour, plus l&eacute;gitime car inclus dans l&rsquo;adh&eacute;sion implicite illustr&eacute;e par le suffrage universel dont un pourcentage de plus en plus important de citoyens se dissocie&nbsp;?</p> <p class="texte">La soci&eacute;t&eacute; moderne et la technologie concr&eacute;tis&eacute;e par le progr&egrave;s qui tend &agrave; enfermer les individus dans un monde o&ugrave; l&rsquo;expression de l&rsquo;humain a peu de place, encourage l&rsquo;objectivit&eacute; des expressions rationnelles et l&rsquo;illusion qu&rsquo;il est possible, pour le citoyen de base, de pratiquer la m&ecirc;me rationalit&eacute; verbale et pratique que celle du sommet. D&egrave;s lors o&ugrave; les concepts dessinent le monde en d&eacute;coupant le r&eacute;el objectivement, laissant de c&ocirc;t&eacute; l&rsquo;humain sensible, n&rsquo;est-ce pas le vivant qui est mis de c&ocirc;t&eacute; au profit de ce qui peut &ecirc;tre arr&ecirc;t&eacute;, d&eacute;cid&eacute;, fig&eacute; et appliqu&eacute;&nbsp;? Cette d&eacute;mocratie-l&agrave;, dans laquelle les citoyens s&rsquo;abstiennent de voter, peut, &agrave; juste titre, continuer l&eacute;gitimement sa route processuelle, &eacute;cartant de sa vision, les &eacute;carts de plus en plus manifestes entre les d&eacute;cisions prises, les actes institutionnels pos&eacute;s et l&rsquo;adh&eacute;sion que ces derniers recueillent concr&egrave;tement. Est-il encore possible de parler de relations entre les citoyens et la d&eacute;mocratie et dans ce cas, objectivement, c&rsquo;est le sch&eacute;ma du &laquo;&nbsp;<em>faire l&rsquo;exp&eacute;rience de la d&eacute;mocratie</em>&nbsp;&raquo; qui va permettre de justifier que tout cela continue quand bien m&ecirc;me le nombre des citoyens impliqu&eacute;s d&eacute;croisse&nbsp;? La d&eacute;mocratie, dans ces circonstances, n&rsquo;est-elle pas un syst&egrave;me qui tourne tout seul &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de ses murs en imposant, dans cet espace, le fruit de ce que le syst&egrave;me produit comme d&eacute;cisions auto-g&eacute;n&eacute;r&eacute;es&nbsp;? La d&eacute;mocratie de demain sera-t-elle celle-l&agrave; et ce mod&egrave;le-l&agrave; portera-t-il le nom de &laquo;&nbsp;<em>d&eacute;mocratie universelle</em>&nbsp;&raquo; tandis que les citoyens affirmeront qu&rsquo;ils ne sont plus en d&eacute;mocratie&nbsp;?</p> <h2 class="texte">b) L&rsquo;exp&eacute;rience pure de la d&eacute;mocratie</h2> <p class="texte">En reprenant la notion d&rsquo;exp&eacute;rience pure de la d&eacute;mocratie, sans crainte d&rsquo;inclure ce que la d&eacute;mocratie peut receler de subjectif, toute exp&eacute;rience &eacute;tant un v&eacute;cu unique, n&rsquo;est-elle pas subjective par d&eacute;finition&nbsp;? C&rsquo;est alors que le citoyen n&rsquo;est plus seulement ce porteur de statut r&eacute;duit &agrave; quelques actes mais un &ecirc;tre vivant sensible aux cons&eacute;quences de l&rsquo;organisation sociale et politique prise en son nom, puisqu&rsquo;il s&rsquo;agit de cela en d&eacute;mocratie. Il est vrai que cette d&eacute;marche introduit une extr&ecirc;me complexit&eacute; dans l&rsquo;approche de la d&eacute;mocratie comme une exp&eacute;rience pure de l&rsquo;individu, car finalement, ce n&rsquo;est pas l&rsquo;esth&eacute;tique de la d&eacute;mocratie qui a r&eacute;uni tant d&rsquo;adh&eacute;rents pour la soutenir, mais un certain nombre d&rsquo;aspects subjectifs &agrave; savoir&nbsp;: affects, sensations, sentiments, attentes, d&eacute;ceptions ou espoirs et esp&eacute;rances qui impactent en amont et en aval l&rsquo;adh&eacute;sion &agrave; la d&eacute;mocratie, dans sa seule expression concr&egrave;te relative &agrave; son application et &agrave; ses cons&eacute;quences pour chacun. Dans une soci&eacute;t&eacute; moderne privil&eacute;giant le m&eacute;canisme, la technologie, l&rsquo;imm&eacute;diatet&eacute;, l&rsquo;utilit&eacute;, la mat&eacute;rialit&eacute; et la mat&eacute;rialisation n&eacute;cessaire pour g&eacute;n&eacute;rer des croyances (je ne crois qu&rsquo;&agrave; ce que je vois), les programmes &eacute;lectoraux deviendront inutiles et se transformeront en p&eacute;riode d&rsquo;essai avec constat de l&rsquo;atteinte des objectifs a posteriori.</p> <p class="texte">Il nous semble qu&rsquo;apr&egrave;s avoir mis de c&ocirc;t&eacute; le subjectif du v&eacute;cu de la d&eacute;mocratie dans ses cons&eacute;quences sensibles concr&egrave;tes, le subjectif individuel va tenter de se faire entendre selon le bon principe de la minorit&eacute; qui a d&ucirc; se plier &agrave; la majorit&eacute;&nbsp;: quand la minorit&eacute; devient majoritaire. Pour illustrer ce ph&eacute;nom&egrave;ne, nous recourons &agrave; Castoriadis&nbsp;: <em>&laquo;&nbsp;l&rsquo;institution permet &agrave; la psych&eacute; de survivre en lui imposant la forme sociale de l&rsquo;individu, en lui proposant et imposant une autre source et une autre modalit&eacute; du sens&nbsp;: la signification imaginaire sociale l&rsquo;identification m&eacute;diatis&eacute;e &agrave; celle-ci (&agrave; ses articulations), la possibilit&eacute; de tout rapporter &agrave; elle. La question du sens devait &ecirc;tre ainsi satur&eacute;e, et la qu&ecirc;te de la psych&eacute; se clore. En v&eacute;rit&eacute;, tel n&rsquo;est jamais le cas. D&rsquo;une part, l&rsquo;individu socialement fabriqu&eacute;, aussi solide et structur&eacute; soit-il par ailleurs, n&rsquo;est jamais qu&rsquo;une pellicule recouvrant le Chaos, l&rsquo;Ab&icirc;me, le Sans-Fond de la psych&eacute; elle-m&ecirc;me, qui ne cesse jamais, sous une forme ou une autre, de s&rsquo;annoncer &agrave; lui et d&rsquo;&ecirc;tre pr&eacute;sent pour lui.</em>&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn22" id="bodyftn22">22</a></sup></p> <p class="texte">C&rsquo;est une hypoth&egrave;se de d&eacute;nouement que celle de laisser l&rsquo;individu g&eacute;rer sa dimension humaine dans l&rsquo;inhumaine condition sociale dans laquelle la d&eacute;mocratie se sera install&eacute;e. Mais que vaut une d&eacute;mocratie dans laquelle les citoyens &eacute;prouvent un malaise, o&ugrave; les signes de probl&egrave;mes mentaux ne font que cro&icirc;tre pour engendrer une soci&eacute;t&eacute; malade&nbsp;? N&rsquo;est-ce pas l&agrave;, pour l&rsquo;instant, que nous prenons conscience de nous &ecirc;tre engag&eacute;s&nbsp;?</p> <p class="texte">Aussi, la d&eacute;mocratie doit &ecirc;tre dialectis&eacute;e sans cesse avec la question de l&rsquo;exp&eacute;rience pure de l&rsquo;individu, cette unit&eacute; qui r&eacute;unit et incarne tout &agrave; la fois l&rsquo;ext&eacute;riorit&eacute; et l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute; de lui-m&ecirc;me en m&ecirc;me temps qu&rsquo;elle est intriqu&eacute;e avec les cons&eacute;quences de la mise en &oelig;uvre de la d&eacute;mocratie, dans ses conditions exp&eacute;rientielles. Ceci est d&rsquo;autant plus important de nos jours que, comme le souligne Michael Sandel, philosophe politique am&eacute;ricain, professeur de philosophie morale au d&eacute;partement de science politique &agrave; Harvard, (qui a fait sa th&egrave;se sous la direction de Charles Taylor). Il note, en effet, qu&rsquo;il y a de moins en moins de lieux publics et d&rsquo;espaces partag&eacute;s qui rassemblent des gens venus de milieux diff&eacute;rents, leur permettant de se rencontrer et donc d&rsquo;apprendre &agrave; se conna&icirc;tre et &agrave; accepter les diff&eacute;rences. C&rsquo;est &eacute;galement le constat que faisait Eric Maurin dans son livre &laquo;&nbsp;<em>le ghetto fran&ccedil;ais</em><sup><a class="footnotecall" href="#ftn23" id="bodyftn23">23</a></sup>&nbsp;&raquo;, constat qui impacte la nature m&ecirc;me de ce qui est nomm&eacute; le bien commun, ce qui doit faire l&rsquo;objet de protection et de sauvegarde si nous voulons continuer &agrave; nous c&ocirc;toyer sans haine ni violence. Ceci a, en particulier, pour cons&eacute;quence de minorer la place et le sens accord&eacute;, dans la pratique de la d&eacute;mocratie, &agrave; des crit&egrave;res tels que le capital social, la confiance, communaut&eacute; civique, d&eacute;velopp&eacute;s par R. D. Putman par exemple dans &laquo;&nbsp;<em>Making democracy work</em><sup><a class="footnotecall" href="#ftn24" id="bodyftn24">24</a></sup>&nbsp;&raquo; lequel pr&eacute;tend que pour que la d&eacute;mocratie soit possible, il est n&eacute;cessaire que la confiance r&egrave;gne parmi les citoyens.</p> <p class="texte">Nous laisserons le soin &agrave; John Dewey, de mettre en exergue les id&eacute;es majeures dans cet article&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Il faut prendre soin des cons&eacute;quences, veiller &agrave; elles</em>&nbsp;&raquo;, nous pr&eacute;vient John Dewey. Une action dont on ne consid&egrave;re pas les cons&eacute;quences ne nous livre en elle-m&ecirc;me aucun enseignement. Et les cons&eacute;quences sont d&eacute;pourvues de signification tant qu&rsquo;elles ne sont pas rapport&eacute;es &agrave; l&rsquo;action qui en est l&rsquo;origine. L&rsquo;ensemble constitu&eacute; par l&rsquo;action et ses cons&eacute;quences, seul, constitue une <em>exp&eacute;rience</em>. Il ne suffit pas de <em>faire</em> une exp&eacute;rience&nbsp;: pour &laquo;&nbsp;<em>avoir de l&rsquo;exp&eacute;rience</em>&nbsp;&raquo;, dirait-on trivialement, il faut avoir v&eacute;cu, c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;il faut aussi avoir souffert, avoir endur&eacute; les cons&eacute;quences de ce qu&rsquo;on a fait. &laquo;&nbsp;<em>Ce rapport &eacute;troit entre faire, souffrir et subir forme ce que l&rsquo;on appelle exp&eacute;rience.</em>&nbsp;&raquo; Cette d&eacute;finition de l&rsquo;exp&eacute;rience implique sa localisation. Parce qu&rsquo;il ne peut y avoir de cons&eacute;quences que s&rsquo;il existe un milieu ext&eacute;rieur au sujet agissant dans lequel son action se d&eacute;ploie, le lieu de toute exp&eacute;rience ne peut &ecirc;tre que l&rsquo;interaction proprement dite entre l&rsquo;organisme, la &laquo;&nbsp;cr&eacute;ature vivante&nbsp;&raquo; dirait Dewey, et son environnement.</p> <p class="texte">A la suite de John Dewey, des possibles existent pour une d&eacute;mocratie consensuelle et int&eacute;grative de tous ceux, favoris&eacute;s ou pas, qui d&eacute;cideraient de r&eacute;sister en faveur de l&rsquo;humain afin qu&rsquo;il n&rsquo;abdique pas devant l&rsquo;autorit&eacute; de la technologie pour ne pas se transformer en avatar. Sommes-nous pr&ecirc;ts &agrave; consid&eacute;rer l&rsquo;humanisme non pas comme un &eacute;lan romantique mais comme une propri&eacute;t&eacute; qui nous caract&eacute;rise et dont nous avons la gestion dans notre potentiel&nbsp;? Dans ces conditions, il y aurait la place pour entreprendre une nouvelle configuration de la politique et de la d&eacute;mocratie, en termes d&rsquo;axes nouveaux &agrave; exploiter en commun en vue de produire une soci&eacute;t&eacute; d&eacute;mocratique. Si tel &eacute;tait le projet, c&rsquo;est en amont que les modalit&eacute;s devraient &ecirc;tre discut&eacute;es pour que les percepts puissent s&rsquo;articuler aux concepts, sans se confondre tout en se compl&eacute;tant.</p> <p class="texte">L&rsquo;exp&eacute;rience pure de la d&eacute;mocratie pourrait conduire &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience pure d&rsquo;une nouvelle approche de l&rsquo;humain et donc de l&rsquo;autre, ce qui nous obligera &agrave; d&eacute;construire la haine, la violence refoul&eacute;e qui ne laisse pas de traces objectives et l&rsquo;arrogance path&eacute;tique de vouloir &ecirc;tre reconnus sup&eacute;rieurs pour reconstruire ensemble, faute de quoi la violence int&eacute;rioris&eacute;e ne fera qu&rsquo;exploser. Or, comment la d&eacute;mocratie peut-elle ouvrir &agrave; la violence sinon parce que nous avons ouvert les vannes de l&rsquo;exclusion&nbsp;?</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> William JAMES, <em>Essais d&rsquo;empirisme radical</em>, Paris, Flammarion, Champs Essais, 2017 (pp.&nbsp;58-59)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> William James, <em>Essais d&rsquo;empirisme radical</em>, Paris, Flammarion, Champs Essais, 2017</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn3" id="ftn3">3</a> Conception du monde&nbsp;: en allemand&nbsp;: Weltanschauung</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn4" id="ftn4">4</a> William James, <em>Essais d&rsquo;empirisme radical</em>, 2017, Champs Essais Flammarion (p. 57)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn5" id="ftn5">5</a> Idem (p. 33)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn6" id="ftn6">6</a> William JAMES, <em>Essais d&rsquo;empirisme radical</em>, Paris, Flammarion, Champs Essais, 2017 (p. 37)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn7" id="ftn7">7</a> <span lang="en" xml:lang="en">W. James </span><em><span lang="en" xml:lang="en">Meaning of Truth</span></em><span lang="en" xml:lang="en">, p 16 (p. 25 pour traduct. </span>Fran&ccedil;aise)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn8" id="ftn8">8</a> W. James <em>Essais d&rsquo;empirisme radical</em>, essais 4 et 5, pp.&nbsp;109-127</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn9" id="ftn9">9</a> Idem (p. 59)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn10" id="ftn10">10</a> Idem (p.59)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn11" id="ftn11">11</a> Il s&rsquo;agit des parties ou essais 4, 5 et 9 de ces Essais.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn12" id="ftn12">12</a> Idem (p. 166)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn13" id="ftn13">13</a> Idem (p. 59)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn14" id="ftn14">14</a> Idem (p. 60)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn15" id="ftn15">15</a> (p. 61)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn16" id="ftn16">16</a> (p. 61)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn17" id="ftn17">17</a> (p. 62)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn18" id="ftn18">18</a> (p. 62)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn19" id="ftn19">19</a> (p. 63)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn20" id="ftn20">20</a> (p. 64)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn21" id="ftn21">21</a> (p. 67)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn22" id="ftn22">22</a> C. Castoriadis, Les carrefours du Labyrinthe n&deg;&nbsp;2, Domaines de l&rsquo;homme, Paris, Seuil-Essais 1986 (pp.&nbsp;455-456)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn23" id="ftn23">23</a> Eric Maurin, Le ghetto fran&ccedil;ais &ndash; enqu&ecirc;te sur le s&eacute;paratisme social, Paris Seuil, 2004)</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn24" id="ftn24">24</a> <span lang="en" xml:lang="en">R.D.Putman, </span><em><span lang="en" xml:lang="en">Making Democracy work</span></em><span lang="en" xml:lang="en">, Princeton University Press, 1993</span></p>