<p class="Standard"><strong>DOSSIER : POLITIQUES ET MANIPULATIONS</strong></p> <p align="center" class="Standard" style="text-align:center"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La science politique fran&ccedil;aise et les &eacute;motions</span></span></b></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Christian Le Bart est Professeur des universit&eacute;s en science politique, il a &eacute;t&eacute; directeur du CRAPE-CNRS (2005-2010) puis de la Maison des Sciences de l&#39;Homme en Bretagne de 2010 &agrave; 2015. Enseignant &agrave; l&#39;Institut d&#39;&eacute;tudes politiques de Rennes, il est l&rsquo;un des sp&eacute;cialistes en France de la gouvernance locale, connu pour ses travaux sur la culture et l&rsquo;identit&eacute; politique ou sur le discours et la communication en politique. Il est l&rsquo;auteur de </span></span><i><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&#39;ego-politique&nbsp;; Essai sur l&#39;individualisation du champ politique</span></span></i><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">, Armand Colin, 2013&nbsp;; <i>Les mots de... la vie politique locale</i>, PU Mirail, 2014&nbsp;; <i>Discours, identit&eacute;, et leadership pr&eacute;sidentiel</i>, (dir. avec M. Donot et Y. Serrano), L&#39;Harmattan, 2017&nbsp;; <i>Les &eacute;motions du pouvoir&nbsp;: larmes, rires, col&egrave;res des politiques</i>, A. Colin, 2018</span></span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Depuis son institutionnalisation au fil des d&eacute;cennies 60 et 70, la science politique entretient avec la th&eacute;matique des &eacute;motions une relation complexe. Le d&eacute;ni a longtemps domin&eacute;, dans un contexte de valorisation unilat&eacute;rale d&rsquo;une rationalit&eacute; per&ccedil;ue comme antinomique avec l&rsquo;&eacute;motion, que ce soit sur le terrain scientifique (le bon chercheur n&rsquo;a pas d&rsquo;&eacute;motions) ou sur le terrain politique (le bon gouvernant n&rsquo;a pas d&rsquo;&eacute;motion). Il faut attendre les derni&egrave;res ann&eacute;es pour voir s&rsquo;effectuer un tournant &eacute;motionnel dont la science politique n&rsquo;a &eacute;videmment pas le monopole, mais qui va s&rsquo;y manifester avec une acuit&eacute; particuli&egrave;re. C&ocirc;t&eacute; objets politiques, la proph&eacute;tie w&eacute;berienne de refroidissement du monde et de privatisation des affects semble d&eacute;mentie par la pr&eacute;sence envahissante des &eacute;motions, et pas seulement du c&ocirc;t&eacute; des foules manifestantes. Les grammaires populistes travaillent les institutions politiques, et les chercheurs sont bien oblig&eacute;s de s&rsquo;y confronter. Du c&ocirc;t&eacute; de ces derniers, tout se passe comme si la professionnalisation de la recherche en science politique avait permis de conjurer le risque de contamination &eacute;motionnelle&nbsp;: on peut travailler scientifiquement sur les &eacute;motions, et ce n&rsquo;est pas rompre avec la posture scientifique que de reconna&icirc;tre que la politique se fait aussi avec des larmes, des joies, des d&eacute;ceptions, des peurs&hellip;</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Nous aborderons dans un premier temps les &eacute;volutions de la science politique, pour montrer comment et pourquoi la probl&eacute;matique des &eacute;motions y fut tardive et partielle. Nous reviendrons sur&nbsp; l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie du paradigme strat&eacute;gique au c&oelig;ur d&rsquo;une science politique encore naissante. Nous montrerons<b> </b>ensuite ce que cette m&eacute;connaissance doit aux objets alors privil&eacute;gi&eacute;s par cette discipline, en particulier les institutions politiques qui travaillent pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; la r&eacute;gulation, voire &agrave; l&rsquo;effacement des &eacute;motions. Et nous verrons que c&rsquo;est seulement lorsqu&rsquo;elle s&rsquo;&eacute;loigne des objets politiques les plus institutionnalis&eacute;s, en &eacute;tudiant par exemple les mouvements sociaux, que la sociologie politique rencontre frontalement les &eacute;motions.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Cette mise en r&eacute;cit de la science politique ne suffit pas. Elle croise en effet une autre &eacute;volution propre au champ politique lui-m&ecirc;me, et qui tient en la recevabilit&eacute; croissante des &eacute;motions en politique, y compris cette fois-ci au sein des institutions. L&rsquo;expressivit&eacute; longtemps interdite aux gouvernants est d&eacute;sormais accept&eacute;e, sous certaines conditions sans doute, mais de fa&ccedil;on significative. Ce qui &eacute;tait jadis condamn&eacute; comme &laquo;&nbsp;&eacute;cart&nbsp;&raquo; trahissant une sensibilit&eacute; d&eacute;plac&eacute;e est aujourd&rsquo;hui, dans un contexte d&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie des grammaires m&eacute;diatiques, interpr&eacute;t&eacute; comme gage d&rsquo;authenticit&eacute;, de sinc&eacute;rit&eacute;, de v&eacute;rit&eacute;. La norme d&rsquo;autocontr&ocirc;le s&rsquo;est rel&acirc;ch&eacute;e, au point de peut-&ecirc;tre susciter l&rsquo;&eacute;mergence d&rsquo;une contre-norme qui associerait proximit&eacute;, authenticit&eacute; et expressivit&eacute;.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h2 class="Standard" style="font-style:italic;"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">1- Quand la science politique ignorait les &eacute;motions...</span></span></b></span></span></span></h2> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h3 class="Standard" style="color:#aaaaaa;font-style:italic;"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><i><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">11- l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie scientifique du paradigme strat&eacute;giste</span></span></i></b></span></span></span></h3> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Les premiers chercheurs en science politique vont sauf exception jouer la carte de la distance analytique aux &eacute;motions, pens&eacute;es comme archa&iuml;ques, r&eacute;siduelles, aussi &eacute;loign&eacute;es de la modernit&eacute; politique qu&rsquo;elles le sont de la modernit&eacute; scientifique. Une telle mise &agrave; distance des &eacute;motions trouve par exemple une illustration forte dans le fameux <i>Trait&eacute; de science politique</i> publi&eacute; en 1985 aux PUF sous la double direction de Madeleine Grawitz et de Jean Leca. On chercherait vainement, dans les quatre volumes qui composent cette somme, une entr&eacute;e &laquo;&nbsp;&eacute;motion&nbsp;&raquo;. Il y a bien une contribution &laquo;&nbsp;psychologie&nbsp;et politique&nbsp;&raquo; (sign&eacute;e de Madeleine Grawitz elle-m&ecirc;me), et m&ecirc;me une autre intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;Science politique et psychanalyse&nbsp;&raquo;, mais l&rsquo;attention port&eacute;e aux &eacute;motions demeure, au fil de ces textes, tr&egrave;s modeste. La psychologie de &laquo;&nbsp;l&rsquo;homme politique&nbsp;&raquo; est longuement analys&eacute;e, mais les &eacute;motions retiennent peu l&rsquo;attention. Et si les coordinateurs de ce <i>Trait&eacute;</i> notent d&egrave;s la page XI de l&rsquo;introduction g&eacute;n&eacute;rale que &laquo;&nbsp;la politique est l&rsquo;un des lieux privil&eacute;gi&eacute;s des passions&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est aussit&ocirc;t pour voir dans celles-ci un obstacle &agrave; ce qui constitue selon eux la finalit&eacute; de cette jeune discipline&nbsp;: d&eacute;gager des &laquo;&nbsp;lois g&eacute;n&eacute;rales&nbsp;&raquo; dont la formulation suppose de s&rsquo;&eacute;lever au-dessus desdites &laquo;&nbsp;passions&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Un exemple de ce d&eacute;passement des affects et de ce refroidissement du politique est fourni par les travaux recourant &agrave; l&rsquo;analogie &eacute;conomique pour rendre compte des &eacute;changes politiques. Empruntant &agrave; Schumpeter autant qu&rsquo;&agrave; Bourdieu, Daniel Gaxie et Patrick Lehingue (1984) risquaient les notions d&rsquo;offre politique, d&rsquo;entreprise politique, de march&eacute; politique, d&rsquo;investissement et de capital politiques (Gaxie, 1993). Le paradigme de la rationalit&eacute; impr&eacute;gnait fortement l&rsquo;ensemble des r&eacute;flexions sur les acteurs, que ceux-ci soient saisis &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle collective (partis politiques, groupes de pression, segments de l&rsquo;appareil d&rsquo;&Eacute;tat, institutions en g&eacute;n&eacute;ral) ou bien &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle individuelle (les &eacute;lecteurs, les professionnels de la politique&hellip;). On mentionnera pour m&eacute;moire l&rsquo;article fameux de Daniel Gaxie sur les r&eacute;tributions du militantisme (1977) sugg&eacute;rant que le chercheur gagnerait &agrave; penser le militantisme comme un investissement dont il s&rsquo;agirait de penser les retomb&eacute;es individuelles &laquo;&nbsp;mat&eacute;rielles&nbsp;&raquo; (acc&egrave;s &agrave; des postes et &agrave; des responsabilit&eacute;s). Si l&rsquo;auteur n&rsquo;oublie pas de mentionner les r&eacute;tributions li&eacute;es &agrave; la dimension affective de l&rsquo;entre-soi militant (&laquo;&nbsp;la camaraderie, les plaisirs des &lsquo;collages&rsquo;, des &lsquo;ventes&rsquo; et des &lsquo;porte &agrave; porte&rsquo; (&hellip;), la communaut&eacute; de go&ucirc;ts et de sentiments (&hellip;), les joies de la victoire (&hellip;), l&rsquo;affection, la complicit&eacute;, l&rsquo;amiti&eacute;...&nbsp;&raquo;, p. 137), il ne met pas cette dimension au c&oelig;ur de son analyse.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Mentionnons plus g&eacute;n&eacute;ralement les travaux sur la professionnalisation politique. La rationalit&eacute; strat&eacute;gique en constituait l&agrave; encore le paradigme dominant s&rsquo;agissant de ceux qui, selon la formule de Weber, vivent <i>pour</i> mais aussi <i>de</i> la politique (Weber, 1969). Le premier volet (vivre <i>pour</i> la politique), ouvrant potentiellement la voie &agrave; une analyse fond&eacute;e sur les affects et les passions, fut largement &eacute;clips&eacute; au profit du second (vivre <i>de</i> la politique), celui-ci rabattant au contraire l&rsquo;activit&eacute; politique sur une sociologie aussi froide que possible des carri&egrave;res et des professions. Le mod&egrave;le du &laquo;&nbsp;politicien investisseur&nbsp;&raquo; (Lacam, 1988) s&rsquo;imposait l&agrave; encore, l&rsquo;usage des mots &laquo;&nbsp;m&eacute;tier&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;profession&nbsp;&raquo;, ou &laquo;&nbsp;carri&egrave;re&nbsp;&raquo; suffisant en quelque sorte &agrave; priver le politique de sa singularit&eacute;, de sa sacralit&eacute;, et donc de sa dimension &eacute;motionnelle. La passion de servir, le go&ucirc;t des autres, le d&eacute;vouement, parce qu&rsquo;ils se donnaient &agrave; voir avec ostentation dans un discours politique per&ccedil;u comme obstacle &agrave; d&eacute;passer (et non comme objet &agrave; &eacute;tudier) se trouvaient r&eacute;voqu&eacute;s au profit des cat&eacute;gories de l&rsquo;investissement, du placement, de la strat&eacute;gie. Trop visibles, trop th&eacute;&acirc;tralis&eacute;es, les &eacute;motions ne pouvaient que masquer la r&eacute;alit&eacute; profonde du politique.&nbsp; </span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Cette science politique des ann&eacute;es 80-90 puisait certes plus souvent dans l&rsquo;&oelig;uvre de Pierre Bourdieu que dans celle d&rsquo;un Michel Crozier. Mais de la notion ambivalente d&rsquo;habitus, elle retenait finalement davantage le volet strat&eacute;gique que le volet d&eacute;terministe, en particulier lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agissait d&rsquo;&eacute;voquer les acteurs politiques engag&eacute;s dans la comp&eacute;tition du m&ecirc;me nom. Le paradigme de l&rsquo;acteur-strat&egrave;ge (Crozier et Friedberg, 1977) s&rsquo;imposait y compris s&rsquo;agissant des &eacute;lecteurs, la question &eacute;tant d&rsquo;identifier le type de rationalit&eacute; engag&eacute; dans l&rsquo;acte de vote&nbsp;: int&eacute;r&ecirc;t &agrave; voter plut&ocirc;t qu&rsquo;&agrave; s&rsquo;abstenir, volont&eacute; de faire pr&eacute;valoir un int&eacute;r&ecirc;t de classe d&eacute;fini en termes socio-&eacute;conomiques, vote utile&hellip; (Blondiaux, 1996). Les rationalit&eacute;s convoqu&eacute;es &eacute;taient multiples, changeantes et forc&eacute;ment contradictoires. Mais le paradigme dominant &eacute;tait bien celui de la rationalit&eacute;, conform&eacute;ment &agrave; l&rsquo;id&eacute;al contemporain conditionnant l&rsquo;acc&egrave;s &agrave; la Raison au renoncement aux &eacute;motions.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h3 class="Standard" style="color:#aaaaaa;font-style:italic;"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><i><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">12- De la modernit&eacute; politologique &agrave; la modernit&eacute; politique&nbsp;: les gouvernants contraints &agrave; l&rsquo;auto-contr&ocirc;le</span></span></i></b></span></span></span></h3> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">En d&eacute;laissant ainsi l&rsquo;&eacute;tude des &eacute;motions, les chercheurs participaient d&rsquo;une conception qui se voulait alors tr&egrave;s moderne de la politique. Les &eacute;lites politiques, engag&eacute;es d&egrave;s le d&eacute;but de la 5<sup>e</sup> R&eacute;publique dans un processus tr&egrave;s profond de professionnalisation, avaient elles-m&ecirc;mes tendance &agrave; consid&eacute;rer que la modernit&eacute; politique, au m&ecirc;me titre que les autres modernit&eacute;s, emprunterait toujours davantage &agrave; une rationalit&eacute; entendue comme incompatibles avec les affects. Les d&eacute;cha&icirc;nements passionnels &eacute;taient renvoy&eacute;s &agrave; un imaginaire stigmatis&eacute;, celui de la foule, figure jug&eacute;e historiquement d&eacute;pass&eacute;e. L&rsquo;&eacute;motion &eacute;tait volontiers stigmatis&eacute;e et associ&eacute;e &agrave; des cat&eacute;gories elles-m&ecirc;mes stigmatis&eacute;es (le populaire, le f&eacute;minin, le juv&eacute;nile immature, le pass&eacute;, le non-occidental&hellip;). Au sommet de l&rsquo;&Eacute;tat, les mod&egrave;les technocratiques prolongeaient l&rsquo;id&eacute;al w&eacute;b&eacute;rien d&rsquo;un gouvernement par les donn&eacute;es objectives. Les &eacute;motions &eacute;taient cantonn&eacute;es aux parenth&egrave;ses &eacute;lectorales entendues comme expression irr&eacute;ductible des passions populaires. Le pouvoir d&rsquo;&Eacute;tat, lui, devait s&rsquo;en tenir &agrave; distance tout comme les &eacute;lites politico-administratives. Le mod&egrave;le du gouvernant <i>homme de sang-froid</i> (le masculin a &eacute;videmment son importance), capable de se gouverner lui-m&ecirc;me avant de pr&eacute;tendre gouverner les autres, s&rsquo;imposait alors sur le mode de l&rsquo;&eacute;vidence. Ne pas d&eacute;cider sous le coup de l&rsquo;&eacute;motion, ne pas gouverner sous l&rsquo;emprise des passions, observer aussi froidement que possible les tenants et les aboutissants de chaque d&eacute;cision, peser le pour et le contre&hellip; C&rsquo;est tout un imaginaire du bon gouvernement qui &eacute;tait ici sollicit&eacute;, conjuguant en un saisissant raccourci historique l&rsquo;id&eacute;al sto&iuml;cien du prince ma&icirc;tre de ses &eacute;motions et l&rsquo;exigence plus contemporaine de gouverner en expert, sans &eacute;tats d&rsquo;&acirc;me, chiffres en mains, apr&egrave;s examen clinique des donn&eacute;es objectives.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Cette mise &agrave; distance des &eacute;motions par les politiques eux-m&ecirc;mes participait de la coupure symbolique entre &eacute;lites politiques et foules citoyennes. Face &agrave; des gouvernants tenus &agrave; la sobri&eacute;t&eacute; &eacute;motionnelle, les citoyens sont autoris&eacute;s &agrave; laisser libre cours &agrave; leurs &eacute;motions. Le meeeting &eacute;lectoral est l&rsquo;illustration la plus claire de ce d&eacute;calage. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; des politiques socialis&eacute;s &agrave; la plus parfaire ma&icirc;trise de soi (et de ce point de vue les liens entre classe politique et haute-fonction publiques, dont l&rsquo;ENA est alors le symbole, ne sont pas sans importance), et conscients de l&rsquo;impossibilit&eacute;, sauf &agrave; se faire rappeler &agrave; l&rsquo;ordre par les commentateurs autoris&eacute;s, de se laisser aller&hellip;&nbsp;; de l&rsquo;autre, des militants, des sympathisants, qui conspuent le nom d&rsquo;un adversaire honni, qui acclament le leader &agrave; la tribune, qui applaudissent, bref qui se l&acirc;chent&hellip; Une telle asym&eacute;trie dans le rapport aux &eacute;motions a donn&eacute; lieu &agrave; quelques sc&egrave;nes fameuses de notre histoire politique, de VGE film&eacute; en meeting par Raymond Depardon (<i>1974, Une partie de campagne</i>) &agrave; Edouard Balladur d&eacute;fait en 1995 en demandant fermement &agrave; ses supporters de se taire. Ce d&eacute;calage n&rsquo;est pas alors v&eacute;cu comme probl&eacute;matique&nbsp;: il dit la pr&eacute;gnance d&rsquo;un r&ocirc;le (sans doute soutenu, dans les deux exemples cit&eacute;s, par un habitus de classe), il consacre une division du travail politique qui renvoie aux d&eacute;finitions les plus banales de la d&eacute;mocratie repr&eacute;sentative. On pourrait dire que selon ce sch&eacute;ma, les politiques sont &agrave; la fois spectateurs, orchestrateurs et objets des &eacute;motions populaires, qu&rsquo;ils ne peuvent directement partager celles-ci, mais que le fait d&rsquo;&ecirc;tre en quelque sorte interdits d&rsquo;expressivit&eacute; ne doit pas les emp&ecirc;cher d&rsquo;&ecirc;tre attentifs &agrave; ce qui s&rsquo;accomplit sous leurs yeux.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Confront&eacute;e &agrave; des acteurs politiques soucieux de taire leurs &eacute;motions, elle-m&ecirc;me dispos&eacute;e &agrave; voir dans le d&eacute;passement de celles-ci une n&eacute;cessit&eacute; scientifique, la science politique se trouvait ainsi, y compris dans sa dimension critique, en phase avec son objet (et avec les acteurs politiques eux-m&ecirc;mes) pour renvoyer les &eacute;motions &agrave; l&rsquo;infra-politique. Cette convergence entre chercheurs et acteurs politiques, entre rationalit&eacute; scientifique et rationalit&eacute; technocratique, s&rsquo;explique d&rsquo;autant plus ais&eacute;ment&nbsp;que la science politique, enseign&eacute;e prioritairement au sein de ce que certains ont pu appeler des &laquo;&nbsp;&eacute;coles de pouvoir&nbsp;&raquo; (Sciences Po, ENA, facult&eacute;s de droit), se trouve depuis toujours enr&ocirc;l&eacute;e dans un travail de formation des &eacute;lites selon une perspective de rationalisation politico-administrative et technocratique (Pierre Favre (1989) parle de &laquo;&nbsp;science d&rsquo;&Eacute;tat&nbsp;&raquo;). La proximit&eacute; sociale entre les chercheurs et ces &eacute;lites politico-administratives a de ce fait longtemps &eacute;t&eacute; forte. Une institution comme &laquo;&nbsp;Sciences Po&nbsp;&raquo; t&eacute;moigne sur le mode de l&rsquo;&eacute;vidence de ce que d&rsquo;aucuns consid&egrave;reront de fa&ccedil;on critique comme un m&eacute;lange des genres&nbsp;: &eacute;cole de pouvoir destin&eacute;e &agrave; former les &eacute;lites administratives et politiques d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, mais en m&ecirc;me temps lieu de r&eacute;flexion promouvant une approche scientifique des ph&eacute;nom&egrave;nes sociopolitiques&hellip; (Favre, 1989) D&rsquo;o&ugrave; des proximit&eacute;s, des doubles positionnements, des croyances partag&eacute;es. Au titre de celles-ci, la croyance en une modernit&eacute; politique plac&eacute;e sous le signe de la rationalit&eacute; scientifique a pu nourrir tout &agrave; la fois un id&eacute;al positiviste faisant entrer la science politique dans l&rsquo;&acirc;ge adulte (travail sur donn&eacute;es quantitatives, neutralit&eacute; axiologique&hellip;) et un id&eacute;al politique postulant un gouvernement quasi scientifique des soci&eacute;t&eacute;s modernes. Sans se confondre, technocrates et politologues partageaient une m&ecirc;me conception du &laquo;&nbsp;d&eacute;veloppement politique&nbsp;&raquo; (Badie, 1978) plac&eacute;e sous le signe de la rationalit&eacute;.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Les politistes &eacute;taient donc d&rsquo;autant moins en situation d&rsquo;analyser les &eacute;motions en politique qu&rsquo;ils &eacute;taient confront&eacute;s &agrave; des acteurs politiques fortement incit&eacute;s &agrave; faire taire leurs &eacute;motions. Plus int&eacute;ress&eacute;e par l&rsquo;exercice du pouvoir politique que par les r&eacute;action de ceux sur lesquels celui-ci s&rsquo;exerce (la th&eacute;matique des mouvements sociaux n&rsquo;&eacute;mergera par exemple que dans les ann&eacute;es 90), la premi&egrave;re science politique demeurait tr&egrave;s centr&eacute;e sur les dispositifs institutionnels, ceux-l&agrave;-m&ecirc;mes qui incitent &agrave; la r&eacute;gulation des &eacute;motions. Le citoyen y &eacute;tait d&rsquo;abord pens&eacute; comme &eacute;lecteur, c&rsquo;est-&agrave;-dire comme individu enr&ocirc;l&eacute; dans un dispositif interdisant la manifestation des &eacute;motions (l&rsquo;isoloir comme machine &agrave; r&eacute;primer les &eacute;motions ?) (Ihl, 1996). L&rsquo;entr&eacute;e institutionnelle, d&rsquo;une fa&ccedil;on g&eacute;n&eacute;rale, incitait &agrave; privil&eacute;gier les lieux et les moments de forte r&eacute;gulation institutionnelle, &agrave; l&rsquo;exemple des &eacute;missions politiques &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision tr&egrave;s ritualis&eacute;es qui retinrent l&rsquo;attention des premiers sp&eacute;cialistes de communication politique.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h2 class="Standard" style="font-style:italic;"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">2- Retour des &eacute;motions en science politique&nbsp;</span></span></b></span></span></span></h2> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Un tel contexte ne pouvait que condamner &agrave; une relative marginalit&eacute; ceux des chercheurs qui envisageaient de mettre la question des &eacute;motions au c&oelig;ur de leur travail. Pierre Ansart (1983) puis Philippe Braud (1996) ont ainsi, &agrave; rebours des mod&egrave;les strat&eacute;gistes et des analogies &eacute;conomiques (entreprises politiques, march&eacute; &eacute;lectoral&hellip;), &eacute;rig&eacute; les affects en dimension essentielle de tout pouvoir politique, par-del&agrave; les changements historiques. La peur, le ressentiment, l&rsquo;espoir (pour se contenter de quelques exemples) devaient selon eux &ecirc;tre envisag&eacute;s comme bien davantage que des &eacute;motions ponctuelles et fugaces. Les id&eacute;ologies politiques pouvaient par exemple les cristalliser en sentiments durables&nbsp;: ainsi l&rsquo;esp&eacute;rance s&rsquo;agissant du marxisme-l&eacute;ninisme, ainsi la fiert&eacute; s&rsquo;agissant du gaullisme, le ressentiment en ce qui concerne l&rsquo;extr&ecirc;me-droite x&eacute;nophobe, etc. En mettant l&rsquo;accent sur la dimension symbolique du politique, contre sa r&eacute;duction strat&eacute;giste, ces auteurs inscrivaient les affects au c&oelig;ur d&rsquo;une &eacute;conomie symbolique du politique&nbsp;: gouverner, selon cette perspective, c&rsquo;est d&rsquo;abord faire croire, faire aimer, faire d&eacute;tester&hellip; Ainsi la communication politique m&eacute;ritait-elle la plus grande attention&nbsp;: elle constitue certes un th&eacute;&acirc;tre pour politiques d&eacute;sireux de se mettre en sc&egrave;ne, mais ce th&eacute;&acirc;tre fonctionne, produit des effets sociaux lourds en mobilisant des imaginaires eux-m&ecirc;mes puissants et efficaces. Il est donc, et le jeu des &eacute;motions avec lui, une facette essentielle du politique en ce qu&rsquo;il participe des &eacute;changes symboliques entre gouvernants et gouvern&eacute;s.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h3 class="Standard" style="color:#aaaaaa;font-style:italic;"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><i><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">21- Les &eacute;motions au c&oelig;ur des mouvements sociaux</span></span></i></b></span></span></span></h3> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Le tournant &eacute;motionnel des ann&eacute;es 2000 n&rsquo;est pas propre &agrave; la science politique, ni m&ecirc;me aux sciences sociales fran&ccedil;aises. C&rsquo;est un mouvement de grande ampleur, mais qui a pris dans ce cas particulier une acuit&eacute; particuli&egrave;re tant les r&eacute;ticences, on l&rsquo;a dit, y &eacute;taient fortes. Ce tournant s&rsquo;est op&eacute;r&eacute; &agrave; la faveur d&rsquo;un &eacute;largissement des objets de la science politique. A l&rsquo;origine centr&eacute;e sur l&rsquo;exercice du pouvoir politique, sur ceux concourent &agrave; cet exercice (les gouvernants) et sur ce par quoi ce pouvoir est rendu acceptable (le vote), la science politique a longtemps ignor&eacute; les modalit&eacute;s les moins institutionnalis&eacute;es de la vie politique. Si on accepte, apr&egrave;s une nouvelle fois Max Weber, de consid&eacute;rer les institutions comme des dispositifs visant pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; r&eacute;guler, voire &agrave; &eacute;touffer l&rsquo;expression des &eacute;motions, on comprendra que cette science politique de la premi&egrave;re g&eacute;n&eacute;ration ait au final peu rencontr&eacute; d&rsquo;affects sur son chemin&nbsp;: elle se confrontait &agrave; des gouvernants tr&egrave;s professionnels dans leur ma&icirc;trise d&rsquo;eux-m&ecirc;mes, des fonctionnaires socialis&eacute;s &agrave; taire leurs &eacute;motions pour faire pr&eacute;valoir un int&eacute;r&ecirc;t g&eacute;n&eacute;ral aussi cart&eacute;sien que possible, des &eacute;lecteurs que le dispositif &eacute;lectoral invitait &agrave; d&eacute;cider en toute rationalit&eacute; (individualisation par l&rsquo;isoloir, loin donc des foules passionnelles). C&rsquo;est seulement en s&rsquo;affranchissant des d&eacute;finitions les plus institutionnalis&eacute;es de la politique que les politistes se mirent en mesure de d&eacute;couvrir la place (r&eacute;siduelle&nbsp;?) des &eacute;motions. L&rsquo;exemple le plus r&eacute;v&eacute;lateur tient &agrave; l&rsquo;analyse des mouvement sociaux, eux aussi absents du <i>Trait&eacute;</i> publi&eacute; en 1985, seulement mis &agrave; l&rsquo;agenda &agrave; partir des ann&eacute;es 90 (Neveu, 1996). Les paradigmes mobilis&eacute;s pour en rendre compte furent divers, celui de la rationalit&eacute; individuelle et collective demeurant &agrave; bien des &eacute;gards dominants (mobilisation des ressources&hellip;). Mais le contexte d&rsquo;in&eacute;gale institutionnalisation et d&rsquo;in&eacute;gale professionnalisation des mouvements sociaux ne pouvait manquer de confronter les chercheurs &agrave; une donn&eacute;e incontournable&nbsp;: la place centrale des &eacute;motions dans les mobilisations. Travaillant par exemple sur la d&eacute;fense de la cause animale, Christophe Tra&iuml;ni (2011) mettait en &eacute;vidence la force des dispositifs de sensibilisation visant &agrave; &eacute;mouvoir le public, confirmant au passage la fragilit&eacute; de l&rsquo;opposition entre rationalit&eacute; et &eacute;motions. L&rsquo;appel aux &eacute;motions se trouvait au c&oelig;ur d&rsquo;une rh&eacute;torique mobilisatrice tr&egrave;s strat&eacute;giquement pens&eacute;e.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Col&egrave;re des Gilets jaunes ou des indign&eacute;s, enthousiasme des campagnes &eacute;lectorales, tristesse des soirs de d&eacute;faite&hellip; D&egrave;s lors qu&rsquo;elle saisit la politique sur le terrain, au plus pr&egrave;s des corps qui la font, la science politique devenue sociologie ou ethnographie politiques rencontre les &eacute;motions. Les &eacute;motions sont pr&eacute;sentes dans les interstices institutionnels qu&rsquo;il est possible de mettre en lumi&egrave;re&nbsp;: ainsi Alain Faure (2016) travaillant au plus pr&egrave;s d&rsquo;&eacute;lus locaux&nbsp; certes&nbsp; socialis&eacute;s &agrave; taire leurs affects dans l&rsquo;accomplissement de leur r&ocirc;le mais finalement tr&egrave;s dispos&eacute;s &agrave; laisser d&rsquo;exprimer, par exemple en entretien, ces affects qui font le sel de la vie politique.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h3 class="Standard" style="color:#aaaaaa;font-style:italic;"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><i><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">22- Le travail politique d&rsquo;orchestration des &eacute;motions</span></span></i></b></span></span></span></h3> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Une autre perspective de recherche consistait pour la science politique &agrave; interroger et &agrave; d&eacute;construire l&rsquo;injonction faite aux acteurs institutionnels de taire leurs &eacute;motions. Ces questionnements faisaient &eacute;cho aux travaux de Norbert Elias sur la civilisation ou bien &agrave; ceux de Michel Foucault sur la discipline. L&rsquo;apport d&rsquo;Elias (1973) est sans doute le plus d&eacute;cisif&nbsp;: il permit de penser les &eacute;lites politiques &agrave; partir d&rsquo;un mod&egrave;le d&rsquo;autocontr&ocirc;le op&eacute;rant une forte censure des pulsions de violence et des &eacute;motions en g&eacute;n&eacute;ral. Les travaux de Gofmann (1973) sur les pr&eacute;sentations de soi (les &laquo;&nbsp;identit&eacute;s strat&eacute;giques&nbsp;&raquo; selon Annie Collovald (1988)) compl&eacute;taient le paysage th&eacute;orique&nbsp;: quand la politique devient par la t&eacute;l&eacute;vision un spectacle permanent, le corps des personnalit&eacute;s politiques est strat&eacute;giquement travaill&eacute; pour donner &agrave; voir un contr&ocirc;le de soi aussi impeccable que possible. Ainsi l&rsquo;analyse strat&eacute;gique rencontrait-elle les &eacute;motions&nbsp;: l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t &agrave; se contr&ocirc;ler, qu&rsquo;il soit le produit d&rsquo;un habitus incorpor&eacute; au fil de socialisations ant&eacute;rieures (classe d&rsquo;origine, grandes &eacute;coles&hellip;) ou qu&rsquo;il soit travaill&eacute; aupr&egrave;s des conseillers en communication, devenait un objet de recherche incontournable. A mesure qu&rsquo;il s&rsquo;imposait en politique, l&rsquo;id&eacute;al technocratique du ministre comp&eacute;tent, du maire manager territorial efficace, et m&ecirc;me du pr&eacute;sident moderne &agrave; la VGE suscitait l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t des chercheurs comme matrice de r&ocirc;les &agrave; d&eacute;construire.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">On peut aller plus loin et avancer l&rsquo;id&eacute;e selon laquelle le r&ocirc;le imparti aux politiques est un r&ocirc;le de r&eacute;gulation des &eacute;motions. Canaliser la col&egrave;re, la joie, donner aux sentiments collectifs les aliments qu&rsquo;exige l&rsquo;ordre social, tout cela peut &ecirc;tre lu dans une perspective foucaldienne de gouvernement des subjectivit&eacute;s. Les politiques sportives, les politiques culturelles, les politiques m&eacute;morielles..., les politiques symboliques en g&eacute;n&eacute;ral (et toute politique publique, m&ecirc;me la plus technique, a une dimension symbolique) visent &agrave; susciter des &eacute;motions selon des formats compatibles avec l&rsquo;ordre social. Les gouvernants enferment les &eacute;motions dans des lieux et des moments particuliers (match de foot dans un stade, concert dans une salle de spectacle, manifestation de rue ritualis&eacute;e&hellip;), ils travaillent &agrave; orchestrer les projections d&rsquo;affects sur des figures singuli&egrave;res, tant&ocirc;t positives (victimes d&rsquo;attentats, figures exemplaires de la R&eacute;publique&hellip;), tant&ocirc;t n&eacute;gatives (au risque d&rsquo;enclencher la m&eacute;canique du bouc &eacute;missaire). Le pr&eacute;sident Macron n&rsquo;a pas fait exception &agrave; la r&egrave;gle&nbsp;: il a comme ses pr&eacute;d&eacute;cesseurs impos&eacute; une grammaire &eacute;motionnelle pour faire face aux attentats (minutes de silence), il a distingu&eacute; des individus pour en faire des figures nationales (Jean d&rsquo;Ormesson ou Johnny Halliday) (Le Bart, 2018), en un mot il a tent&eacute; d&rsquo;imposer un cadrage des &eacute;motions.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Une telle ambition de gouvernement des &eacute;motions suppose paradoxalement de la part des gouvernants, on l&rsquo;a dit, un contr&ocirc;le tr&egrave;s ferme de leurs propres &eacute;motions. C&rsquo;est toute l&rsquo;ambivalence de la communication &eacute;motionnelle que de tout &agrave; la fois convoquer les &eacute;motions par le lexique, la syntaxe, le style oratoire, et le langage du corps, sans pour autant que le locuteur cesse d&rsquo;&ecirc;tre ma&icirc;tre de lui-m&ecirc;me. Attentifs aux marqueurs linguistiques des &eacute;motions (le pathos), mais aussi aux marqueurs extralinguistiques (&eacute;locution qui se trouble, d&eacute;bit qui s&rsquo;acc&eacute;l&egrave;re ou se ralentit, palpitations cardiaques et souffle court&hellip;), les commentateurs salueront cet entre-deux que constitue l&rsquo;art de faire surgir l&rsquo;&eacute;motion sans y succomber soi-m&ecirc;me, l&rsquo;art de dominer l&rsquo;&eacute;motion en soi. Le juste milieu &agrave; trouver entre hyper-&eacute;motivit&eacute; (le politique n&rsquo;est pas &agrave; la hauteur) et hypo-&eacute;motivit&eacute; (le politique ne ressent rien) est sans doute une des composantes les plus exigeantes de l&rsquo;art politique contemporain.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&rsquo;analyse du discours politique s&rsquo;est r&eacute;v&eacute;l&eacute;e d&eacute;cisive pour comprendre ce balancement entre impossibilit&eacute; de succomber soi-m&ecirc;me aux &eacute;motions et n&eacute;cessit&eacute; de les susciter pour autrui. En montrant comment les &eacute;motions peuvent tout &agrave; la fois, au c&oelig;ur du discours politique, inspirer le lexique (&eacute;motions <i>dites</i>), le jeu des indices discursifs (&eacute;motions <i>montr&eacute;es</i>) et les argumentaires d&eacute;velopp&eacute;es (&eacute;motions <i>&eacute;tay&eacute;es</i>), les linguistes (Micheli, 2014&nbsp;; Plantin, 2011) analysent l&rsquo;enr&ocirc;lement institutionnel de l&rsquo;&eacute;motion : celle-ci n&rsquo;est plus ce trouble fugace qui s&rsquo;observe au niveau du corps&nbsp;; elle se loge dans le discours, ce qui participe &eacute;videmment de sa r&eacute;gulation. Le discours participe d&rsquo;un travail &eacute;motionnel (Hochschild, 2017) qui n&rsquo;est au fond rien d&rsquo;autre qu&rsquo;une des facettes du r&ocirc;le et du m&eacute;tier politique.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h2 class="Standard" style="font-style:italic;"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">3- Retour des &eacute;motions en politique&nbsp;: le rel&acirc;chement contr&ocirc;l&eacute; des &eacute;motions</span></span></b></span></span></span></h2> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&rsquo;institutionnalisation signifie d&rsquo;autant moins la disparition des &eacute;motions que les soci&eacute;t&eacute;s &eacute;voluent dans le sens d&rsquo;une plus grande permissivit&eacute; dans l&rsquo;affichage de celles-ci. La diffusion des travaux de Cas Wouters (2007) ou de Arlie Hochschild (2017) sur le travail &eacute;motionnel s&rsquo;inscrit dans ce contexte&nbsp;; ils sugg&egrave;rent que notre rapport aux &eacute;motions n&rsquo;est pas celui qui avait cours dans la soci&eacute;t&eacute; victorienne&nbsp;; que nous avons appris &agrave; jouer de la fa&ccedil;ade que nous offrons &agrave; autrui pour donner &agrave; voir des &eacute;motions plus ou moins sinc&egrave;res mais que nous esp&eacute;rons ajust&eacute;es &agrave; la situation du moment.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h3 class="Standard" style="color:#aaaaaa;font-style:italic;"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><i><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">31- Le droit aux &eacute;motions</span></span></i></b></span></span></span></h3> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;une lib&eacute;ration contr&ocirc;l&eacute;e des &eacute;motions ne peut laisser le politiste indiff&eacute;rent&nbsp;: car les gouvernants sont &eacute;videmment impact&eacute;s par de telles &eacute;volutions, qui plus est dans un contexte de personnalisation accrue de la vie politique. Comme tout un chacun, ils sont pris dans les id&eacute;ologies contemporaines de l&rsquo;authenticit&eacute;, de la sinc&eacute;rit&eacute;, de la transparence. Les r&ocirc;les institutionnels ne sont plus synonyme d&rsquo;autocensure &eacute;motionnelle. La force des th&eacute;matiques de l&rsquo;&eacute;panouissement individuel (y compris au travail) conf&egrave;re aux &eacute;motions une recevabilit&eacute; &agrave; laquelle elles ne pouvaient pr&eacute;tendre jadis. Le droit d&rsquo;&ecirc;tre soi jusque dans l&rsquo;accomplissement d&rsquo;un r&ocirc;le social bouleverse tous les champs sociaux, le champ politique comme les autres, au sein duquel les leaders peuvent d&eacute;sormais &ecirc;tre tent&eacute;s de s&rsquo;affranchir des normes institutionnelles de retenue. C&rsquo;est par exemple un point souvent mis en &eacute;vidence dans les travaux portant sur le populisme. Parmi les nombreux (trop nombreux sans doute) crit&egrave;res utilis&eacute;s pour rendre compte des formes contemporaines de leadership, il y a cette question de l&rsquo;expressivit&eacute; franche, de l&rsquo;&eacute;motion exprim&eacute;e sans fard. A rebours du mod&egrave;le de Kantorowicz (1989) &eacute;tablissant une &eacute;troite s&eacute;paration entre les deux corps du roi, le corps impersonnel et sacr&eacute; qui gouverne, le corps profane et r&eacute;el que l&rsquo;on s&rsquo;efforce de neutraliser, notre modernit&eacute; politique, sans doute parce que la sacralit&eacute; des gouvernants y est mise &agrave; mal, voit advenir la revanche du second corps, celui-l&agrave; m&ecirc;me sur lequel se liront les &eacute;motions. Le sang-froid, la placidit&eacute;, tous ces attributs qui firent la l&eacute;gende d&rsquo;un Louis XI, d&rsquo;un Talleyrand, ou d&rsquo;un Mitterrand (le surnom de &laquo;&nbsp;Sphinx&nbsp;&raquo; est sans ambigu&iuml;t&eacute;), ont perdu de leur valeur. Le contr&ocirc;le de soi fonctionnait comme marque d&rsquo;habilet&eacute; tactique (Machiavel), d&rsquo;appartenance &agrave; l&rsquo;&eacute;lite sociale (Elias), et de modernit&eacute; institutionnelle (Weber)&nbsp;: il est aujourd&rsquo;hui stigmatis&eacute; comme marque de distance, de m&eacute;pris, d&rsquo;absence d&rsquo;empathie. Les leaders populistes, comme tout un chacun diront-ils, ressentent des &eacute;motions, et cela doit se voir. Les col&egrave;res et les fous rires trouvent droit de cit&eacute; au sommet de l&rsquo;&Eacute;tat, sur fond de distance critique &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des grammaires institutionnelles en g&eacute;n&eacute;ral (Le Bart, 2018). La compassion devient la posture pr&eacute;sidentielle par excellence, qui peut aller jusqu&rsquo;aux larmes. Celles-ci ne seront pas lues comme marques de faiblesses ou comme &eacute;cart par rapport &agrave; ce que l&rsquo;institution exige ou par rapport &agrave; ce que le r&ocirc;le tol&egrave;re&nbsp;; elles seront interpr&eacute;t&eacute;es comme le signe d&rsquo;une authenticit&eacute; d&rsquo;autant plus pr&eacute;cieuse qu&rsquo;elle est encore exceptionnelle en politique. La hi&eacute;rarchie qui opposait auparavant les deux corps s&rsquo;inverse&nbsp;: le corps institutionnel, sacr&eacute;, tourne &agrave; vide, il n&rsquo;est plus qu&rsquo;artifice et mise en sc&egrave;ne&nbsp;; le corps r&eacute;el, si trivial soit-il, celui qui gaffe, qui se moque, qui s&rsquo;indigne, que saisit le fou rire ou que secouent les larmes, a pour lui d&rsquo;&ecirc;tre un corps vrai, authentique, sinc&egrave;re. La v&eacute;rit&eacute; de l&rsquo;&eacute;motion, si d&eacute;plac&eacute;e soit-elle au regard des grammaires institutionnelles (et peut-&ecirc;tre m&ecirc;me surtout si elle est d&eacute;plac&eacute;e), parle en faveur de celui qui l&rsquo;a v&eacute;cue.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">On peut illustrer ces &eacute;volutions en montrant comment la norme r&eacute;primant l&rsquo;&eacute;motivit&eacute; ou m&ecirc;me l&rsquo;expressivit&eacute; dans la vie politique s&rsquo;est d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on invers&eacute;e. On a pu reprocher &agrave; Simone Veil de s&rsquo;&ecirc;tre effondr&eacute;e en larmes lors de la discussion de la loi sur l&rsquo;IVG en 1974. Une photographie parue dans <i>L&rsquo;Express</i> (29 novembre), et sobrement l&eacute;gend&eacute;e &laquo;&nbsp;elle pleure&nbsp;&raquo;, semblait accr&eacute;diter cette th&egrave;se. L&rsquo;int&eacute;ress&eacute;e se d&eacute;fendit&nbsp;: non en assumant cet &laquo;&nbsp;&eacute;cart&nbsp;&raquo;, mais en r&eacute;cusant la version des faits de <i>L&rsquo;Express</i>, ce qui &eacute;tait &eacute;videmment une fa&ccedil;on d&rsquo;activer la norme interdisant l&rsquo;expressivit&eacute; dans l&rsquo;accomplissement d&rsquo;un r&ocirc;le institutionnel. On peut faire de cette anecdote une lecture genr&eacute;e (domination masculine), mais en soulignant combien cette domination est adoss&eacute;e &agrave; une repr&eacute;sentation tr&egrave;s stigmatisante des &eacute;motions. Renvoy&eacute;es au f&eacute;minin, les &eacute;motions apparaissent d&eacute;plac&eacute;es en politique. Y succomber, c&rsquo;est donc ne pas &ecirc;tre &agrave; la hauteur du r&ocirc;le. On pourrait donner bien d&rsquo;autres exemples, qui tous convergent pour souligner la vigueur de la norme de sang-froid en politique&nbsp;: c&ocirc;t&eacute; &eacute;motions &laquo;&nbsp;masculines&nbsp;&raquo;, la col&egrave;re, le fait de perdre son calme, de ne pas savoir faire preuve de sang-froid, servent depuis longtemps d&rsquo;argument pour discr&eacute;diter l&rsquo;adversaire&nbsp;: Chirac &laquo;&nbsp;facho&nbsp;&raquo;, Sarkozy &laquo;&nbsp;l&rsquo;agit&eacute;&nbsp;&raquo;&hellip; l&rsquo;&eacute;nergie bouillonnante des &laquo;&nbsp;jeunes loups&nbsp;&raquo; heurte elle aussi la norme de sang-froid.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <h3 class="Standard" style="color:#aaaaaa;font-style:italic;"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><i><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">32- L&rsquo;affichage des &eacute;motions comme nouvelle arme politique&nbsp;?</span></span></i></b></span></span></span></h3> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Cette injonction au sang-froid n&rsquo;a &eacute;videmment pas disparu. L&rsquo;invitation faite &agrave; l&rsquo;adversaire de &laquo;&nbsp;garder son calme&nbsp;&raquo; demeure une figure r&eacute;currente des d&eacute;bats politiques. Mais l&rsquo;expressivit&eacute; franche a d&eacute;sormais droit de cit&eacute;. Les larmes de Christine Boutin lors de la discussion du PACS (2 d&eacute;cembre 1998) lui ont certes valu des remarques ironiques de la part des d&eacute;put&eacute;s auxquels elle s&rsquo;opposait. Mais ces larmes parurent sinc&egrave;res, elles &eacute;manaient d&rsquo;une femme menant seule un combat qui sembla d&eacute;sint&eacute;ress&eacute;, en tous cas authentique. Il n&rsquo;en fallut pas plus pour qu&rsquo;une partie de l&rsquo;opinion lui accorde sa sympathie, alors m&ecirc;me que son point de vue sur le mariage homosexuel demeurait ultra-minoritaire. Faut-il en conclure que le panache et l&rsquo;authenticit&eacute; comme nouvelle grammaire m&eacute;diatique s&rsquo;imposaient dans le champ politique&nbsp;? Force est de constater que l&rsquo;affichage des &eacute;motions s&rsquo;est, depuis, syst&eacute;matis&eacute;. Les larmes de Georges W. Bush ou de Barak Obama, la posture compassionnelle syst&eacute;matiquement affich&eacute;e par Nicolas Sarkozy ministre de l&rsquo;Int&eacute;rieur puis pr&eacute;sident, les &laquo;&nbsp;saines col&egrave;res&nbsp;&raquo; de S&eacute;gol&egrave;ne Royal ou de Jean-Luc M&eacute;lenchon&hellip; La campagne de 2007 a incontestablement constitu&eacute; un tournant (Ballet, 2012). Le vocabulaire de Nicolas Sarkozy empruntait par exemple beaucoup plus au lexique des &eacute;motions que celui de ses pr&eacute;d&eacute;cesseurs (Mayaffre, 2012). D&rsquo;une fa&ccedil;on g&eacute;n&eacute;rale la communication politique fait d&eacute;sormais une belle place aux &eacute;motions. Au point d&rsquo;inviter les commentateurs &agrave; changer de posture&nbsp;: il ne s&rsquo;agit plus pour eux de traquer des &eacute;motions d&eacute;plac&eacute;es qu&rsquo;il conviendrait de r&eacute;v&eacute;ler pour d&eacute;monter que tel ou tel n&rsquo;est pas &agrave; la hauteur (comme certains avaient voulu le faire avec Simone Veil)&nbsp;; il s&rsquo;agit de s&rsquo;interroger sur le sinc&eacute;rit&eacute; d&rsquo;&eacute;motions affich&eacute;es avec un peu trop d&rsquo;ostentation. Parce qu&rsquo;elles peuvent &ecirc;tre, aupr&egrave;s de certains publics et dans certains contextes, politiquement rentables, les &eacute;motions deviennent suspectes&nbsp;: larmes de crocodiles, col&egrave;res feintes, indignation de papier&hellip;</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Une autre illustration de ce renversement tient au fait que les postures de sang-froid &agrave; l&rsquo;ancienne sont d&eacute;sormais volontiers stigmatis&eacute;es. Le raideur de l&rsquo;homme d&rsquo;&Eacute;tat, jadis signe de comp&eacute;tence et de contr&ocirc;le de soi, est d&eacute;sormais moqu&eacute;e ou d&eacute;nonc&eacute;e comme insensibilit&eacute;, arrogance, inaptitude &agrave; l&rsquo;empathie. Ces critiques ont particuli&egrave;rement vis&eacute;e la g&eacute;n&eacute;ration des politiques &agrave; cheval sur les deux p&eacute;riodes que l&rsquo;on a cherch&eacute; &agrave; opposer, les ann&eacute;es 1990-2000 constituant sans doute le moment &agrave; partir duquel s&rsquo;amorce ce glissement. Laurent Fabius, Alain Jupp&eacute;, Martine Aubry, tous trois &eacute;narques, tous trois r&eacute;put&eacute;s pour leur haut niveau de comp&eacute;tence, ont tous souffert d&rsquo;une r&eacute;putation de froideur et d&rsquo;indiff&eacute;rence aux malheurs du temps. Jupp&eacute; &laquo;&nbsp;droit dans ses bottes&nbsp;&raquo; face aux manifestants de 1995, Martine Aubry &laquo;&nbsp;dame de fer&nbsp;&raquo; imposant les 35 heures avec poigne, Laurent Fabius indiff&eacute;rent au drame des victimes du sang contamin&eacute;&hellip; L&rsquo;impassibilit&eacute; appara&icirc;t coupable.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Faut-il aller jusqu&rsquo;&agrave; conclure que l&rsquo;empathie et la compassion sont, dans un contexte de crise de l&rsquo;&Eacute;tat providence, les attitudes attendues en priorit&eacute; des politiques&nbsp;? La fonction des politiques est-elle par exemple, face aux attentats, de r&eacute;pondre par la compassion&nbsp;? L&rsquo;hyper-m&eacute;diatisation des gouvernants, conjugu&eacute;e &agrave; leur faible capacit&eacute; &agrave; agir sur les soci&eacute;t&eacute;s qu&rsquo;ils pr&eacute;tendent &laquo;&nbsp;gouverner&nbsp;&raquo;, constitue un paradoxe que notre modernit&eacute; politique n&rsquo;est pas parvenu &agrave; r&eacute;soudre. La posture &eacute;motionnelle, le fait de jouer la carte de la circulation des affects plut&ocirc;t que celle de la circulation des richesses, semble s&rsquo;imposer comme seule r&eacute;ponse.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Sans doute cette nouvelle centralit&eacute; du registre &eacute;motionnel en politique est-elle une composante de ce qu&rsquo;il faut bien se r&eacute;soudre &agrave; appeler le populisme. Si approximatif soit-il, le terme peut toucher juste s&rsquo;il permet de d&eacute;signer, parmi d&rsquo;autres crit&egrave;res &eacute;videmment, un gouvernement par les &eacute;motions qui s&rsquo;affranchit largement des normes de sang-froid longtemps dominantes. Les leaders populistes rient et cherchent &agrave; faire rire, ils moquent leurs adversaires&nbsp;; ils s&rsquo;indignent et expriment sans retenue leurs col&egrave;res&nbsp;; ils disent leurs peurs&hellip;</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><b><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Bibliographie</span></span></b></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">ANSART, Pierre, <i>La gestion des passions politiques</i>, L&rsquo;&acirc;ge d&rsquo;homme, 1983</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">BADIE, Bertrand, <i>Le d&eacute;veloppement politique</i>, Economica, 1978</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">BALLET, Marion, <i>Peur, espoir, compassion, indignation&nbsp;: l&rsquo;appel aux &eacute;motions dans les campagnes pr&eacute;sidentielles</i>, Dalloz, 2012</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">BLONDIAUX, Lo&iuml;c, &laquo; Mort et r&eacute;surrection de l&rsquo;&eacute;lecteur rationnel&nbsp;; les m&eacute;tamorphoses d&rsquo;une probl&eacute;matique incertaine&nbsp;&raquo;, <i>Revue Fran&ccedil;aise de Science Politique</i>, 1996, n&deg; 46-5, p. 753-791.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">BRAUD, Philippe, <i>L&rsquo;&eacute;motion en politique</i>, Presses de Sciences Po, 1993</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">COLLOVALD, Annie, &laquo;&nbsp;Identit&eacute;s strat&eacute;giques&nbsp;&raquo;, <i>Actes de la Recherche en Sciences Sociales</i>, n&deg; 73, 1988, p. 29-40</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, <i>L&rsquo;acteur et le syst&egrave;me</i>, Seuil, 1977</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">ELIAS, Norbert, <i>La civilisation des m&oelig;urs, </i>Calmann-L&eacute;vy, (trad.), 1973 [1939]</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">FAURE, Alain, <i>Des &eacute;lus sur le divan&nbsp;; les passions cach&eacute;es du pouvoir local</i>, PUG, 2016</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">FAVRE, Pierre, <i>Naissances de la science politique en France,</i> Fayard, 1989</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">GAXIE, Daniel, &laquo;&nbsp;&Eacute;conomie des partis et r&eacute;tributions du militantisme&nbsp;&raquo;, <i>Revue Fran&ccedil;aise de Science Politique</i>, 1977, n&deg; 27-1, p. 123-154.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">GAXIE, Daniel, <i>La d&eacute;mocratie repr&eacute;sentative</i>, Montchrestien, 1993</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">GAXIE, Daniel et LEHINGUE Patrick, <i>Enjeux municipaux&nbsp;; la constitution des enjeux politiques dans une &eacute;lection municipale</i>, PUF, 1984</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">GOFMANN, Erving, <i>La mise en sc&egrave;ne de la vie quotidienne&nbsp;; 1- la pr&eacute;sentation de soi</i>, Minuit, (trad.), 1973</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">GRAWITZ, Madeleine et LECA, Jean, (dir.), <i>Trait&eacute; de science politique</i>, 4 vol., PUF, 1985</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">HOCHSCHILD, Arlie, <i>Le prix des sentiments&nbsp;; au c&oelig;ur du travail &eacute;motionnel</i>, La D&eacute;couverte, (trad.), 2017</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">IHL, Olivier, <i>Le vote</i>, Montchrestien, 1996.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">KANTOROWICZ, Ernst, <i>Les deux corps du roi</i>, Gallimard, (trad.), 1989 [1957]</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">LACAM, Jean-Patrice, &laquo;&nbsp;Le mod&egrave;le du politicien-investisseur&nbsp;; un mod&egrave;le d&rsquo;interpr&eacute;tation de la gestion des ressources politiques&nbsp;&raquo;, <i>Revue Fran&ccedil;aise de Science politique</i>, 1988, n&deg; 38-1, p. 23-47</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">LE BART, Christian, <i>Johnny H., construction d&rsquo;une ic&ocirc;ne</i>, Les petits matins, 2018</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">LE BART, Christian, <i>Les &eacute;motions du pouvoir&nbsp;: larmes, rires, col&egrave;res des politiques,</i> A. Colin, 2018</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">MAYAFFRE, Damon, <i>Nicolas Sarkozy, mesure &amp; d&eacute;mesure du discours (2007-2012)</i>, Presses de Sciences Po, 2012</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">MICHELI, Rapha&euml;l, <i>Les &eacute;motions dans le discours</i>, de Boeck, 2014.</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">NEVEU, Erik, <i>Sociologie des mouvements sociaux</i>, La D&eacute;couverte, 1996</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">PLANTIN, Christian, <i>Les bonnes raisons des &eacute;motions&nbsp;; principe et m&eacute;thode pour l&rsquo;&eacute;tude du discours &eacute;motionn&eacute;</i>, Peter Lang, 2011</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">TRAINI, Christophe, <i>La cause animale,</i> PUF, 2011</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">WEBER, Max, <i>Le savant et le politique</i>, Plon, (trad.), 1969 [1919]</span></span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:10.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">WOUTERS, Cas, <i>Informalization&nbsp;: Manners &amp; Emotions since 1890</i>, Sage, 2007</span></span></span></span></span></p>