<p style="text-align: center;"><strong>Langue et&nbsp;politique, enracinement et acquisition</strong></p> <p>&nbsp;</p> <p>Alain Deniau</p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">(...) la perte de la langue en laquelle on a v&eacute;cu et pens&eacute;, et qu&#39;on ne pourra jamais remplacer par une autre, quelques efforts affectifs que l&#39;on fasse.</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><i><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Freud au psychanalyste suisse Raymond de Saussure</span></i></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">On dit que des Ukrainiens russophones exclusifs, en pr&eacute;sence de l&rsquo;&eacute;lan collectif d&rsquo;opposition &agrave; l&rsquo;expansion russe et &agrave; la guerre, ont le d&eacute;sir de s&rsquo;exprimer en ukrainien malgr&eacute; leur maladresse, voire leur incomp&eacute;tence, &agrave; parler cette langue.</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Cette r&eacute;action nous montre que la langue est un support actif et politique d&rsquo;identit&eacute; mais aussi qu&rsquo;elle exige un minimum d&rsquo;amour et de libert&eacute; envers les autres locuteurs pour qu&rsquo;elle devienne un appui identitaire par la langue commune. La masse, ici le peuple, qu&rsquo;&eacute;tudie Freud dans son livre <i>Psychologie des masses et analyse du moi</i></span><i><span lang="DE" new="" roman="" style="font-family:" times="">, </span></i><span new="" roman="" style="font-family:" times="">trouve sa coh&eacute;sion dans l&rsquo;amour et l&rsquo;identification entre les individus de celle-ci. Ces Ukrainiens russophones sont partag&eacute;s entre un sentiment national qui devient vital et une langue devenue celle de l&rsquo;ennemi. L&rsquo;acte politique de refus d&rsquo;une langue &laquo;&nbsp;</span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">maternelle&nbsp;&raquo; </span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">d&eacute;voile l&rsquo;illusion d&rsquo;une double identification qui n&rsquo;est plus unie par une aspiration ou une histoire commune. Choisir de parler une langue est alors un acte politique. A l&rsquo;insu de chacun de nous, l&rsquo;acte politique commence d&egrave;s que nous parlons une langue quand l&rsquo;<i>Umwelt </i>lui est hostile. Ainsi contre l&rsquo;alsacien et contre les restes d&rsquo;allemand persistant apr&egrave;s l&rsquo;occupation nazie, on pouvait voir sur les murs des villes d&rsquo;</span><span lang="NL" new="" roman="" style="font-family:" times="">Alsace</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&nbsp;le slogan &laquo;&nbsp;C&rsquo;est chic de parler fran</span><span lang="PT" new="" roman="" style="font-family:" times="">&ccedil;</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">ais&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Comment la langue porte-t-elle cette charge qui suscite des actes de r&eacute;pression, voire des interdictions&nbsp;? C&rsquo;est dans l&rsquo;identification infantile que se construit le r&eacute;seau qui porte la langue avec les autres qui sont les familiers de l&rsquo;enfant. Aller contre cette langue enracin&eacute;e, c&rsquo;est s&rsquo;opposer &agrave; </span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">la pulsion orale. C</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&rsquo;est obliger l&rsquo;enfant &agrave; &laquo;&nbsp;garder sa langue&nbsp;&raquo;, &agrave; se mettre &agrave; distance de ceux &agrave; qui il doit s&rsquo;identifier pour se d&eacute;velopper. Garder sa langue dans l&rsquo;interdit de se laisser penser par elle, c&rsquo;est cumuler en soi une violence. L&rsquo;issue insurrectionnelle et r&eacute;volutionnaire en est le pire avatar. L&rsquo;histoire montre qu&rsquo;elle est pr&eacute;c&eacute;d&eacute;e par l&rsquo;&eacute;laboration des contes populaires et par la musique intime des po&egrave;mes pendant de tr&egrave;s nombreuses ann&eacute;e</span><span lang="PT" new="" roman="" style="font-family:" times="">s. L</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&rsquo;histoire de chacune des nations europ&eacute;ennes, a minima, en t&eacute;moigne.</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La langue est un lien essentiel, car si dans un premier temps l&rsquo;enfant la re</span><span lang="PT" new="" roman="" style="font-family:" times="">&ccedil;</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">oit, l&rsquo;humain est pouss&eacute; &agrave; la restituer &agrave; d&rsquo;autres &agrave; </span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">qui il s</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&rsquo;identifie. C&rsquo;est comme si chacun percevait la puissance de la pulsion qui le pousse &agrave; laisser parler cette langue intime dont l&#39;exigence et en m&ecirc;me temps la fragilit&eacute; s&rsquo;&eacute;prouvent dans le silence et la solitude. La langue est vivante de cette alternance intime, de cette exp&eacute;rience v&eacute;cue par chacun entre une langue qui, adress&eacute;e &agrave; un proche, &agrave; un identique &agrave; </span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">soi, suscite l</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&rsquo;euphorie de la rencontre et le silence de l&#39;intime impos&eacute; par l&rsquo;interdit, l&rsquo;absence des proches, voir l&#39;exil. Exil bien nomm&eacute; par la langue m&ecirc;me, ex-il, hors de soi parce que hors de l&#39;autre, le proche.</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Les enfants de parents immigr&eacute;s disent tous comment cette situation a produit un intense d&eacute;sir de comprendre l&rsquo;intime de la langue. Quand les parents souhaitaient que l&rsquo;enfant ne comprenne pas, ils usaient de la langue de leur pays d&rsquo;origine. Au bout de quelques ann&eacute;es, l&rsquo;enfant avait un plaisir secret &agrave; comprendre ce que les parents voulaient qu&rsquo;il n&rsquo;entende pas. Les choses sexuelles bien entendu&nbsp;! Cette d&eacute;marche a aussi comme cons&eacute;quence l&rsquo;investissement et l&rsquo;exigence de rigueur et de clart&eacute; sur l&rsquo;autre langue, la langue officielle. Nombreux sont les enfants &eacute;lev&eacute;s dans cette situation contradictoire qui ont port&eacute; leur effort sur la p&eacute;n&eacute;tration de l&rsquo;intime de la langue &laquo;&nbsp;officielle&nbsp;&raquo;</span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">. La langue est en effet pour celui qui la re</span><span lang="PT" new="" roman="" style="font-family:" times="">&ccedil;</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">oit sur le mode, dit maternel, objet d&rsquo;un refoulement que seule sa pratique savante permet de lever. La pratique savante est souvent pouss&eacute;e jusqu&#39;&agrave; une vraie connaissance linguistique, universitaire, et pas seulement une exigence de rigueur et de clart&eacute; dans la langue &eacute;</span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">crite. </span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">R&eacute;duire un opposant politique au silence est une mani&egrave;re de le tuer si ce silence doit &ecirc;tre prolong&eacute; jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;oubli. L&rsquo;oppression contre une langue est une tentative de m&ecirc;me nature mais vou&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;chec. Cet interdit de parler, ce v&oelig;u de mort sur une langue est l&rsquo;illusion d&rsquo;un combat car, comme un fleuve, la langue renait ailleurs, apr&egrave;s un d&eacute;tour ou un parcours souterrain dans le secret des relations intimes et familiales, aussi longtemps que ses locuteurs vivent. L&rsquo;interdit se motive par le refus d&rsquo;une pens&eacute;</span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">e diff</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&eacute;</span><span lang="PT" new="" roman="" style="font-family:" times="">rente. C</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&rsquo;est en cela que toute langue est politique car elle t&eacute;moigne d&rsquo;une autre vision de la vie en collectivit&eacute;. Elle est bien cette </span><i><span lang="DE" new="" roman="" style="font-family:" times="">Masse </span></i><span new="" roman="" style="font-family:" times="">dont nous parle Freud, cette collectivit&eacute; organis&eacute;e et structur&eacute;e par une identification commune. </span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La langue dominante, celle du pouvoir qui voudrait effacer les langues minoritaires, est n&eacute;anmoins, &agrave; </span><span lang="ES-TRAD" new="" roman="" style="font-family:" times="">son insu, contamin</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&eacute;e par celle souterraine qui est refus&eacute;e, r&eacute;</span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">prim</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&eacute;e, refoul&eacute;e. Le catalan a fait entendre d&rsquo;autres mots que l&rsquo;espagnol taisait, de m&ecirc;me le berlinois est tr&egrave;</span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">s infiltr</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&eacute; de mots yiddish venant de la tr&egrave;s importante minorit&eacute; juive berlinoise avant sa criminelle extermination. La langue est donc au c&oelig;ur d&rsquo;un double acte politique, du c&ocirc;t&eacute; du locuteur qui soutient son identit&eacute;, qui transmet de mani&egrave;re consciente ou non les valeurs port&eacute;es par sa langue, et du c&ocirc;t&eacute; de la soci&eacute;t&eacute; qui peut les valoriser ou les r&eacute;</span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">primer. L</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&rsquo;acte anthropologique de ne pas laisser une langue s&rsquo;&eacute;teindre ou perdre de sa vigueur par un amenuisement du nombre de ses locuteurs ou une disparition de ses enjeux sociaux, comme le montre la substitution de l&rsquo;h&eacute;breu au yiddish&nbsp; dans l&#39;Etat d&rsquo;</span><span lang="NL" new="" roman="" style="font-family:" times="">Isra&euml;</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">l, est aussi un acte politique. </span></span></span></span></p> <h2 class="CorpsA" style="border: none; text-align: justify; margin-bottom: 13px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><b><span new="" roman="" style="font-family:" times="">1. Langue et nationalisme</span></b></span></span></span></h2> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">On pourrait dire aussi que notre &eacute;poque se caract&eacute;rise par la diffusion de la parole. Avant que le pouvoir ne change de main, en 1981, il y avait une lutte, qui aujourd&rsquo;hui para&icirc;t d&eacute;risoire, pour les &laquo;&nbsp;</span><span lang="ES-TRAD" new="" roman="" style="font-family:" times="">radios libres</span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&nbsp;&raquo;. Les &eacute;metteurs clandestins &eacute;taient pourchass&eacute;s dans Paris comme ceux de Londres et de la R&eacute;sistance l&rsquo;&eacute;taient autrefois pendant l&rsquo;Occupation. Ce besoin inextinguible et irr&eacute;pressible de s&rsquo;exprimer, de dire ce qui rapproche des autres, &eacute;tait une manifestation anti-&eacute;tatique, donc politique. Que cette r&eacute;sistance de l&rsquo;Etat paraisse aujourd&rsquo;hui d&eacute;risoire d&eacute;montre &agrave; quel point la langue lib&eacute;r&eacute;e transforme un moment probl&eacute;matique d&lsquo;une soci&eacute;t&eacute; en un fossile dont la r&eacute;pression est devenue incompr&eacute;hensible. Les petits transistors ont transform&eacute; les appel&eacute;s en Alg&eacute;rie en citoyens inform&eacute;s, de m&ecirc;me la multiplication des studios de radio clandestins a court-circuit&eacute; l&rsquo;emprise de l&rsquo;ORTF et a concr&eacute;tis&eacute; un appel &agrave; une parole libre dans une langue choisie. En 1981, les </span><i><span lang="PT" new="" roman="" style="font-family:" times="">radios pirates</span></i><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> sont devenues, avec le changement du pouvoir politique, </span><i><span lang="ES-TRAD" new="" roman="" style="font-family:" times="">les radios libres</span></i><span new="" roman="" style="font-family:" times="">. </span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Le <i>parl&ecirc;tre</i>, selon le n&eacute;ologisme invent&eacute; par J. Lacan, est ce qui fonde l&rsquo;humain. Il est ce qui le construit. L&#39;humain n&rsquo;existe que par son aptitude &agrave; </span><span lang="IT" new="" roman="" style="font-family:" times="">la parole, par sa n&eacute;cessit&eacute; </span><span new="" roman="" style="font-family:" times="">de cr&eacute;er des liens avec les autres humains par la parole. L&rsquo;id&eacute;e de nation se construit &agrave; partir de cette identit&eacute; humaine. La politique est le reflet parl&eacute; de ce d&eacute;sir vers l&#39;autre.</span></span></span></span></p> <h2 class="CorpsA" style="border: none; text-align: justify; margin-bottom: 13px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><b><span new="" roman="" style="font-family:" times="">2. Langue et civilisation</span></b></span></span></span></h2> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&nbsp;Les historiens, les sociologues reconstruisent une civilisation comme une sommation de strates culturelles, historiques et id&eacute;ologiques qui ne peuvent exister simultan&eacute;ment que parce qu&rsquo;il y a une langue commune. L&rsquo;infantile, en chacun de nous, nous soude par identification l&rsquo;un &agrave; l&rsquo;autre, ce qui construit une communaut&eacute;. Les exceptions qui viennent &agrave; l&rsquo;esprit ouvrent un champ qui, sans r&eacute;futer cette r&eacute;alit&eacute; infantile, montre que le fait d&#39;existence d&#39;une nation est aussi un processus d&rsquo;adoption. C&rsquo;est particuli&egrave;rement &eacute;clatant pour les Etats recouvrant deux ou plusieurs communaut&eacute;s dont les langues sont bien diff&eacute;rentes. Il faut s&rsquo;interroger alors sur le Canada avec le Qu&eacute;bec, sur la Belgique partag&eacute;e en deux langues, sur la Suisse en quatre langues, et l&rsquo;Espagne avec le catalan ...</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Le sentiment d&#39;appartenir &agrave; une nation devient alors une notion complexe. Il serait fait d&#39;au moins deux niveaux. L&#39;un repose sur l&#39;existence de la langue infantile et l&#39;autre serait un sentiment d&#39;adh&eacute;sion &agrave; une langue certes, mais aussi &agrave; une culture. Ainsi, Stephane Zweig &eacute;prouve une angoisse d&#39;ordre vital quand il per&ccedil;oit qu&#39;&agrave; cause de leur avanc&eacute;e irr&eacute;sistible en Afrique et en Russie, la victoire des nazis, fin 1942, parait une certitude. Il a la certitude qu&#39;il ne pourra plus &eacute;crire, parce qu&#39;il est comme d&eacute;poss&eacute;d&eacute; de l&#39;usage de sa langue. La d&eacute;cision de se suicider s&#39;impose &agrave; lui. Julien Green, exil&eacute; lui aussi, est travers&eacute; par une pulsion identique, li&eacute;e &agrave; la perte identitaire de parler et d&#39;&eacute;crire dans la langue de l&#39;enfance. A la diff&eacute;rence de Zweig, il s&#39;appuie sur sa famille pr&eacute;sente &agrave; Baltimore et sur l&#39;anglais. La perte de la confiance dans la langue &eacute;crite, c&#39;est &agrave; dire la perte d&#39;une &eacute;laboration intellectuelle transmissible, est un ravage vital. Zweig, comme beaucoup d&#39;autres sans d&eacute;fense contre l&#39;invasion nazie, a subi la d&eacute;tresse ultime, la d&eacute;r&eacute;liction, de l&#39;enfant arrach&eacute; &agrave; sa m&egrave;re.</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&#39;adh&eacute;sion &agrave; une langue s&#39;ajoutant &agrave; la langue infantile s&#39;enracine dans une injonction familiale de renoncement &agrave; la langue parentale, jusqu&#39;&agrave; son apparent oubli. Sous la pression familiale ou d&#39;une politique, elle peut &ecirc;tre refoul&eacute;e mais elle peut persister sous la forme d&#39;un accent ou d&#39;une intonation, reflet du rythme de cette langue sous l&#39;autre langue, la langue dominante. La lev&eacute;e de ce refoulement localis&eacute; offre la force d&#39;un d&eacute;sir de savoir.</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Lacan a introduit le mot <i>lalangue</i> pour indiquer ces deux niveaux. En chacun de nous existe une langue infantile, vitale, et une langue d&#39;acquisition consciente construite sur cette <i>lalangue </i>sous-jacente inconsciente. L&#39;ensemble fait la langue.</span></span></span></span></p> <h2 class="CorpsA" style="border: none; text-align: justify; margin-bottom: 13px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><b><span new="" roman="" style="font-family:" times="">3. La volont&eacute; politique de transformer la langue</span></b></span></span></span></h2> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&#39;exemple le plus violent de cette volont&eacute; de transformation a &eacute;t&eacute; &eacute;tudi&eacute;e pendant douze ans par Victor Klemperer. La volont&eacute; des nazis d&#39;investir certains mots pour transformer la perception de la soci&eacute;t&eacute;, d&#39;en interdire donc d&#39;autres, a &eacute;t&eacute; un acte volontaire confort&eacute; par les vocif&eacute;rations de Hitler. Comme une maladie infectieuse, certains mots relev&eacute;s par Klemperer sont devenus des abc&egrave;s dans la langue. Ces mots, transform&eacute;s dans leur sens, r&eacute;v&eacute;laient l&#39;adh&eacute;sion populaire au syst&egrave;me politique. Le syst&egrave;me populiste des nazis pouvait se glorifier de cet usage populaire qui par son effet de foule relevait de l&#39;hypnose collective et de la crainte de se diff&eacute;rencier, comme le montre au quotidien Victor Klemperer dans son<i> Journal</i>.</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Au contraire, la volont&eacute; politique de Louis XIV d&#39;agir sur la langue parait aujourd&#39;hui une m&eacute;thode douce. Son d&eacute;sir d&#39;harmoniser les diff&eacute;rents parlers fran&ccedil;ais est pass&eacute; par la cr&eacute;ation de l&#39;Acad&eacute;mie fran&ccedil;aise qui avait &agrave; d&eacute;terminer le bien parler et le beau langage. Sa politique d&#39;uniformisation des dialectes et d&#39;expansion du fran&ccedil;ais a &eacute;t&eacute; reprise par la volont&eacute; de la R&eacute;publique du XIX&egrave;me si&egrave;cle dans le cadre de l&#39;Instruction Publique.</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&#39;action volontariste sur la langue ne peut s&#39;engager que sur le mode d&eacute;mocratique parce qu&#39;elle exige pour sa r&eacute;alisation l&#39;acceptation et la participation active des citoyens. La langue montre ainsi qu&#39;elle est en permanence &eacute;minemment politique.</span></span></span></span></p> <h2 class="CorpsA" style="border: none; text-align: justify; margin-bottom: 13px;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><b><span new="" roman="" style="font-family:" times="">4. La langue et le genre</span></b></span></span></span></h2> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Aujourd&#39;hui s&#39;engage une pression, qui ne se reconnait pas comme pression politique mais s&#39;identifie comme pression id&eacute;ologique, pour &quot;genrer&quot; les langues, &agrave; la mani&egrave;re de celle qui s&#39;exerce dans la sph&egrave;re anglophone. Cette pression polymorphe s&#39;appuie sur l&#39;ambition de &quot;globalisation&quot; du monde avec une seule langue de r&eacute;f&eacute;rence, l&#39;anglais. Si en anglais les pronoms de genre sont exclusifs d&#39;un seul genre, les autres langues, en particulier romanes, n&#39;ont pas cette fonction univoque.</span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Le refus de cette expansion se heurte &agrave; l&#39;opposition farouche et exacerb&eacute;e des minorit&eacute;s sexuelles qui s&#39;estiment alors ni&eacute;es. Les efforts de transformation de la langue par l&#39;&eacute;criture dite inclusive, par la volont&eacute; de n&#39;exclure personne, quelle que soit son identit&eacute; sexuelle revendiqu&eacute;e, introduit un &eacute;parpillement qui n&#39;ob&eacute;it qu&#39;&agrave; un imp&eacute;ratif imaginaire et non pas &agrave; l&#39;exigence d&#39;un ordre logique. Le choix devient d&egrave;s lors politique et individuel comme le dit Stefan Zweig, lors de sa derni&egrave;re conf&eacute;rence le 15 mai 1941 : </span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Cambria, serif"><span style="color:black"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&quot;<i>Si un &eacute;crivain peut abandonner son pays, il ne peut pas se d&eacute;tacher de la langue dans laquelle il cr&eacute;e et il pense. C&#39;est dans cette langue que durant toute notre vie, nous nous sommes battus contre l&#39;autoglorification du nationalisme etc&#39;est la seule arme qui nous reste pour continuer &agrave; nous battre contre l&#39;esprit criminel et malfaisant qui d&eacute;truit notre monde et traine la dignit&eacute; de l&#39;homme dans la boue</i>.&quot;<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><sup><sup><span style="border:none; font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></sup></a></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify; margin-bottom:13px">&nbsp;</p> <div>&nbsp; <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p class="MsoFootnoteText" style="border:none"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><sup><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><sup><span style="border:none; font-size:11.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></span></sup></a><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> Bona Dominique , <i>Zweig Stefan,</i> Biographie, Grasset, p.404</span></span></span></span></p> </div> </div>