<p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:right"><span style="font-size:12pt">Fanny martinez, &ndash; EA 4582, Universit&eacute; Paul-Val&eacute;ry (Montpellier)</span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:right">&nbsp;</p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><strong>Introduction</strong></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Dans le cadre de ce colloque consacr&eacute; &agrave; &laquo;&nbsp;La guerre et la paix dans les soci&eacute;t&eacute;s des Suds&nbsp;&raquo;, nous allons nous pencher sur un r&eacute;cit qui occupe une place singuli&egrave;re au sein de l&rsquo;&oelig;uvre &eacute;crite de Leonora Carrington&nbsp;: <em>En Bas</em><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span style="font-size:12.0pt">[1]</span></a>, un texte de 1943 qui se pr&eacute;sente comme le r&eacute;cit de la crise psychiatrique dont souffrit la peintre et auteure en 1940 et qui conduisit &agrave; son enfermement dans un asile d&rsquo;ali&eacute;n&eacute;s en Espagne pendant la Seconde Guerre Mondiale, alors qu&rsquo;elle n&rsquo;&eacute;tait &acirc;g&eacute;e que de 23 ans. Leonora Carrington, n&eacute;e en Angleterre au d&eacute;but du xx&egrave;me si&egrave;cle (1917), est consid&eacute;r&eacute;e comme l&rsquo;une des figures majeures du surr&eacute;alisme europ&eacute;en &laquo;&nbsp;<em>transterrado</em>&nbsp;&raquo; <a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><span style="font-size:12.0pt">[2]</span></a>&nbsp;: apr&egrave;s avoir v&eacute;cu en France dans les ann&eacute;es 1930, apr&egrave;s avoir transit&eacute; par l&rsquo;Espagne puis par les &Eacute;tats-Unis, elle finit par s&rsquo;exiler au Mexique au d&eacute;but des ann&eacute;es 1940 o&ugrave; nombre de critiques ont vu dans sa production les traces du surr&eacute;alisme du Vieux Continent acclimat&eacute; aux Am&eacute;riques<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><span style="font-size:12.0pt">[3]</span></a>. Surtout connue pour son &oelig;uvre plastique, empreinte de myst&egrave;re et d&rsquo;&eacute;sot&eacute;risme, Leonora Carrington poss&egrave;de n&eacute;anmoins une &oelig;uvre &eacute;crite importante et vari&eacute;e, qui attira l&rsquo;attention d&rsquo;Andr&eacute; Breton d&egrave;s les ann&eacute;es 1930&nbsp;; il reconnut chez elle &laquo;&nbsp;l&rsquo;illuminisme de la folie lucide&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;la sublime puissance de la conception solitaire &raquo; <a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><span style="font-size:12.0pt">[4]</span></a>&nbsp;, deux dons que Michelet attribuait &agrave; la sorci&egrave;re. C&rsquo;est justement dans <em>En Bas</em> que se produit la rencontre (ou, du moins, une rencontre) entre cet &laquo;&nbsp;illuminisme de la folie lucide&nbsp;&raquo; et ce que l&rsquo;on pourrait appeler &laquo;&nbsp;l&rsquo;ab&icirc;me de la folie aveugle&nbsp;&raquo;, celui dans lequel sont plong&eacute;s les hommes en temps de guerre. Dans <em>En Bas</em>, ces deux folies semblent se r&eacute;pondre, comme si le chaos et la violence int&eacute;rieures faisaient &eacute;cho &agrave; cette guerre du dehors, sans que l&rsquo;on sache vraiment laquelle des deux a pr&eacute;c&eacute;d&eacute; l&rsquo;autre.</span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Ce r&eacute;cit &agrave; la premi&egrave;re personne se distingue des autres &eacute;crits de Leonora Carrington dans la mesure o&ugrave; il est le seul qui affirme l&rsquo;ad&eacute;quation du &laquo;&nbsp;<em>je</em> de l&rsquo;&eacute;nonciation&nbsp;&raquo; au &laquo;&nbsp;<em>je</em>&nbsp;de l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; &raquo; <a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><span style="font-size:12.0pt">[5]</span></a>&nbsp;. Ces deux &laquo;&nbsp;<em>je</em>&nbsp;&raquo; se retrouvent unis dans (ou par) un r&eacute;cit r&eacute;trospectif o&ugrave; se m&ecirc;lent d&egrave;s les premi&egrave;res pages ce qui rel&egrave;ve de l&rsquo;Histoire (avec un grand H) et ce qui rel&egrave;ve de l&rsquo;intime. La narration s&rsquo;ouvre sur l&rsquo;internement de Max Ernst, alors compagnon de Leonora Carrington, dans un camp de la zone libre de la France (il est en effet allemand en territoire fran&ccedil;ais) et se poursuit par la fuite de la protagoniste qui, cherchant &agrave; &eacute;chapper &agrave; l&rsquo;avanc&eacute;e nazie, abandonne Saint-Martin d&rsquo;Ard&egrave;che, se rend en Andorre et finit par atteindre Madrid, tandis que les sympt&ocirc;mes de sa crise s&rsquo;accentuent (visions de cadavres, corps paralys&eacute;, comportements jug&eacute;s antisociaux). Des contacts de ses parents parviendront finalement &agrave; l&rsquo;anesth&eacute;sier et &agrave; la droguer, au cours de ce qui se pr&eacute;sentait comme une promenade, afin de la faire enfermer contre son gr&eacute; sur ordre de sa famille. La narration revient donc sur l&rsquo;&eacute;pisode traumatique de la r&eacute;clusion et des traitements re&ccedil;us dans la &laquo;&nbsp;clinique&nbsp;&raquo; mais se veut, au-del&agrave;, travers&eacute;e des miroirs, comme l&rsquo;&eacute;nonce l&rsquo;ouverture programmatique du r&eacute;cit&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Il y a maintenant exactement trois ans, j&rsquo;&eacute;tais intern&eacute;e dans la clinique du Dr Moral&egrave;s, &agrave; Santander (Espagne), consid&eacute;r&eacute;e par le Dr Pardo, de Madrid, et le consul britannique, comme folle incurable. Depuis ma rencontre fortuite avec vous, que je consid&egrave;re comme le plus clairvoyant, je me suis mise, il y a une semaine, &agrave; r&eacute;unir les fils qui auraient pu m&rsquo;amener &agrave; traverser la premi&egrave;re fronti&egrave;re de la connaissance. Je dois revivre cette exp&eacute;rience, parce que je crois vous &ecirc;tre utile en le faisant, et je crois aussi que vous m&rsquo;aiderez &agrave; voyager de l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute; de cette fronti&egrave;re en me conservant lucide, et en me permettant de mettre et de retirer &agrave; volont&eacute; le masque qui me pr&eacute;servera contre l&rsquo;hostilit&eacute; du conformisme. (EB, p.&nbsp;17)</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Plusieurs &eacute;l&eacute;ments attirent ici notre attention&nbsp;: on peut tout d&rsquo;abord remarquer la pr&eacute;sence d&rsquo;un interlocuteur qui joue un r&ocirc;le fondamental dans cette lib&eacute;ration de la parole. En effet, Leonora Carrington dicta son r&eacute;cit en cinq jours &agrave; Jeanne M&eacute;gnen, qui fut la compagne de Pierre Mabille, appel&eacute; le &laquo;&nbsp;m&eacute;decin des surr&eacute;alistes&nbsp;&raquo;, scientifique, anthropologue, &eacute;galement auteur de l&rsquo;ouvrage <em>Le Miroir du merveilleux</em><em>. </em>Le texte fut ensuite remani&eacute; avant sa premi&egrave;re publication en fran&ccedil;ais en 1945<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><span style="font-size:12.0pt">[6]</span></a>. Ces circonstances sont particuli&egrave;rement signifiantes, car qui mieux que ces deux allocutaires aurait pu aider &agrave; &eacute;tablir le lien entre l&rsquo;univers m&eacute;dical et le monde du merveilleux, entre l&rsquo;imaginaire et la folie clinique&nbsp;? Par ailleurs, <em>En Bas</em> est con&ccedil;u comme une exp&eacute;rience cathartique permettant &agrave; l&rsquo;artiste d&rsquo;engager &laquo;&nbsp;un terrible corps &agrave; corps avec les mots qui aura fini par ouvrir l&rsquo;espace le plus improbable entre la folie et la non-folie&nbsp;&raquo; <a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><span style="font-size:12.0pt">[7]</span></a>&nbsp;, pour reprendre les termes d&rsquo;Annie Lebrun, comme un r&eacute;cit autobiographique tendant vers l&rsquo;exp&eacute;rience po&eacute;tique et visionnaire, &agrave; la fa&ccedil;on d&rsquo;un Nerval ou d&rsquo;un Artaud, au c&oelig;ur duquel &eacute;merge la possibilit&eacute; d&rsquo;un &laquo;&nbsp;embryon de connaissance&nbsp;&raquo; (EB, p.&nbsp;18). Mais quelle connaissance, connaissance de quoi&nbsp;? De soi, puisque le choix de Leonora Carrington de &laquo;&nbsp;voyager <em>[&agrave; nouveau]</em><em> </em>de l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute; de cette fronti&egrave;re&nbsp;&raquo; doit lui permettre d&rsquo;exorciser son passage par le monde de l&rsquo;ali&eacute;nation et par celui des asiles de fous. Mais aussi connaissance de soi dans son interaction avec le monde ext&eacute;rieur et, en l&rsquo;occurrence, avec un contexte de violence permanente dans la France envahie par les nazis puis dans l&rsquo;Espagne de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre civile aux stigmates encore bien visibles.</span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Les questions que suscite ce r&eacute;cit sont les suivantes&nbsp;: comment s&rsquo;&eacute;tablit et se construit au c&oelig;ur du texte cette dialectique entre l&rsquo;int&eacute;rieur et l&rsquo;ext&eacute;rieur, ce brouillage entre l&rsquo;intime et le g&eacute;n&eacute;ral, entre le familial et le mondial&nbsp;? Quelle peut &ecirc;tre la validit&eacute; d&rsquo;une lecture irrationnelle de la guerre, d&rsquo;une interpr&eacute;tation des &eacute;v&egrave;nements au prisme de ce que la psychanalyse appellerait le &laquo;&nbsp;sentiment de toute puissance&nbsp;&raquo; ou les &laquo;&nbsp;d&eacute;lires de pers&eacute;cution&nbsp;&raquo;&nbsp;? Quelle est la place qu&rsquo;y occupe le corps&nbsp;et de quoi cela peut-il &ecirc;tre r&eacute;v&eacute;lateur&nbsp;? Nous tenterons de proposer des pistes de r&eacute;ponse &agrave; ces interrogations en rendant compte de la vision organique et magique de la guerre qui na&icirc;t de la mise en mots effectu&eacute;e par Leonora Carrington dans <em>En Bas&nbsp;</em>; face &agrave; la violence et &agrave; la barbarie extr&ecirc;mes de 38-45, l&rsquo;antirationalisme ne deviendrait-il pas, au final, un humanisme&nbsp;? </span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><strong>1. Guerre et complot mal&eacute;fique</strong></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Comme nous le signalions, nous assistons dans <em>En Bas</em> &agrave; la dissolution des fronti&egrave;res conventionnellement &eacute;tablies entre le familial et le mondial, entre le politique et le m&eacute;taphysique&nbsp;; ces dichotomies s&rsquo;abolissent dans la lecture antirationnelle, presque magique, qu&rsquo;a Leonora du conflit qui embrase l&rsquo;Europe. En effet, la protagoniste, en proie &agrave; des illuminations et visions, d&eacute;veloppe une th&eacute;orie du complot, de la conspiration, qui se cristallise autour du personnage de Van Ghent, un citoyen hollandais rencontr&eacute; &agrave; Madrid qu&rsquo;elle met en lien avec le gouvernement nazi mais aussi avec l&rsquo;<em>Imperial Chemicals</em>, l&rsquo;entreprise dirig&eacute;e par son propre p&egrave;re &ndash;&nbsp;avec lequel elle est en opposition totale&nbsp;&ndash;. Leonora se sent pers&eacute;cut&eacute;e par ce p&egrave;re oppresseur qui cherche &agrave; la ramener en Angleterre pour la faire rentrer dans le droit chemin et la priver de sa libert&eacute; par le biais de Van Ghent, ensorceleur au pouvoir hypnotique lui-m&ecirc;me envoy&eacute; par un Hitler mal&eacute;fique&hellip; Ces trois figures masculines se superposent et les hi&eacute;rarchies, les structures sur lesquelles se b&acirc;tit la raison, volent en &eacute;clat&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:36.0pt"><span style="font-size:10.0pt">Van Ghent &eacute;tait mon p&egrave;re, mon ennemi et l&rsquo;ennemi des hommes [&hellip;].</span></p> <p style="margin-left:36.0pt"><span style="font-size:10.0pt">La suite logique de cette pens&eacute;e fut de mettre les autorit&eacute;s au courant de l&rsquo;horrible domination de Van Ghent et de prendre des mesures pour lib&eacute;rer Madrid. [&hellip;] Je me rendis donc &agrave; l&rsquo;Ambassade d&rsquo;Angleterre o&ugrave; je vis le consul. Je t&acirc;chai de convaincre celui-ci que la guerre mondiale &eacute;tait faite &agrave; base d&rsquo;hypnotisme par un groupe de gens, Hitler et Cie, repr&eacute;sent&eacute;s en Espagne par Van Ghent, qu&rsquo;il suffisait de prendre conscience de ce pouvoir hypnotique pour le vaincre, pour arr&ecirc;ter la guerre et d&eacute;livrer le monde coinc&eacute; [&hellip;], qu&rsquo;au lieu de se perdre dans des labyrinthes politiques et &eacute;conomiques, il fallait croire en cette force m&eacute;taphysique, la distribuer &agrave; tous les humains qui se trouveraient ainsi d&eacute;livr&eacute;s. Ce bon bourgeois britannique constata imm&eacute;diatement que j&rsquo;&eacute;tais folle et t&eacute;l&eacute;phona &agrave; un m&eacute;decin nomm&eacute; Martinez Alonzo, qui fut tout &agrave; fait d&rsquo;accord avec lui lorsqu&rsquo;il connut l&rsquo;expos&eacute; de mes th&eacute;ories politiques. (EB, p.&nbsp;32)</span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Pour Leonora, nourrie de th&eacute;ories psychanalytiques, la lib&eacute;ration personnelle comme celle de l&rsquo;Europe passe par le fait de &laquo;&nbsp;tuer le p&egrave;re&nbsp;&raquo;, le p&egrave;re qui est tout &agrave; la fois Monsieur Carrington, Van Ghent, Hitler et, plus tard, <span style="color:black">le Docteur Luis Moral&egrave;s</span>, psychiatre qui s&rsquo;occupera d&rsquo;elle &agrave; l&rsquo;asile. Non sans humour, Leonora nous expose, &agrave; nous lecteurs, la teneur de ses &laquo;&nbsp;th&eacute;ories politiques&nbsp;&raquo; du moment, dont elle fait part &agrave; divers diplomates en 1940&nbsp;; c&rsquo;est en partie cela qui lui vaudra d&rsquo;&ecirc;tre intern&eacute;e et catalogu&eacute;e comme souffrant d&rsquo;une &laquo;&nbsp;psychose marginale de Kleist &raquo; <a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><span style="font-size:12.0pt">[8]</span></a>&nbsp;, pouvant inclure des manifestations parano&iuml;aques &agrave; type de pers&eacute;cution et supposer des sympt&ocirc;mes de d&eacute;r&eacute;alisation (&agrave; savoir que le patient a l&rsquo;impression que les gens autour de lui sont robotis&eacute;s). Et, effectivement, on peut lire un peu plus loin, alors que la protagoniste est d&eacute;j&agrave; &agrave; la clinique&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Vers huit heures du matin, j&rsquo;entendais de loin la sir&egrave;ne d&rsquo;une usine et je savais qu&rsquo;elle &eacute;tait le signal de Moral&egrave;s et Van Ghent pour appeler au travail les <em>zombies</em> et aussi pour me r&eacute;veiller, moi qui &eacute;tais charg&eacute;e de lib&eacute;rer le jour. (EB, p.&nbsp;60)</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">&laquo;&nbsp;Automates&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;zombies&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;hypnotisme&nbsp;&raquo;, autant de termes qui nous renvoient &agrave; la psychose ou &agrave; la science-fiction. Et pourtant, quand la violence devient norme, quand le respect des r&egrave;gles conduit &agrave; &ecirc;tre l&rsquo;une des pi&egrave;ces consentantes d&rsquo;un rouage meurtrier, quand la logique positiviste conduit &agrave; cr&eacute;er un nouvel ordre criminel, que signifie &ecirc;tre fou ou folle&nbsp;? <span style="color:black">D&egrave;s les ann&eacute;es 1920, les surr&eacute;alistes avaient mis l&rsquo;accent sur les possibilit&eacute;s inou&iuml;es offertes par la folie<a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="color:black">[9]</span></span></a> et avaient soulign&eacute; qu&rsquo;au c&oelig;ur de l&rsquo;antirationalisme peut se nicher la po&eacute;sie brute et pure, l&rsquo;expression alternative d&rsquo;une v&eacute;rit&eacute; enterr&eacute;e par les conventions ou la biens&eacute;ance (d&rsquo;o&ugrave;, d&rsquo;ailleurs, la fascination de Breton et d&rsquo;autres surr&eacute;alistes pour </span><em>En Bas</em><span style="color:black">). Le cri du fou ne serait-il pas alors, et plus encore en temps de guerre, protestation, cri d&rsquo;alarme face &agrave; l&rsquo;aveuglement des hommes&nbsp;? Sans chercher &agrave; inscrire son r&eacute;cit dans la tradition des &eacute;crits du po&egrave;te &agrave; la fois fou et voyant, en se gardant aussi &laquo;&nbsp;d&rsquo;esth&eacute;tiser les gestes de la folie<a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="color:black">[10]</span></span></a>&nbsp;&raquo;, Leonora Carrington nous livre n&eacute;anmoins un texte au sein duquel le cri de la malade se fait cri d&rsquo;insoumission&nbsp;:</span></span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Je sentais que l&rsquo;esprit de don Luis me poss&eacute;dait, que sa domination s&rsquo;enflait en moi comme un pneu g&eacute;ant et j&rsquo;entendais son vaste et immense d&eacute;sir d&rsquo;&Eacute;CRASER l&rsquo;univers. (EB, p.&nbsp;50)</span></span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Je lui criai&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je n&rsquo;accepte pas votre force, &agrave; tous, contre moi&nbsp;; je veux ma libert&eacute; d&rsquo;agir et de penser&nbsp;; je hais et repousse vos forces hypnotiques.&nbsp;&raquo; (EB, p.&nbsp;80)</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">&Agrave; la fa&ccedil;on d&rsquo;un &ecirc;tre poss&eacute;d&eacute;, Leonora sent grandir en elle la force de domination psychique de son psychiatre, qui cherche &agrave; l&rsquo;attirer vers des instincts de destruction absolue&nbsp;; mais, de m&ecirc;me que Van Ghent &eacute;tait son ennemi tout autant que celui de l&rsquo;humanit&eacute;, lutter contre l&rsquo;autorit&eacute; du psychiatre semble revenir &agrave; lutter contre tout un appareil qui nie &agrave; l&rsquo;&ecirc;tre humain son humanit&eacute;. <span style="color:black">Leonora semble presque </span>exprimer ici de fa&ccedil;on po&eacute;tique et magique ce que des philosophes et th&eacute;oriciens comme Hannah Arendt d&eacute;velopperont quelques ann&eacute;es plus tard, notamment le concept de &laquo;&nbsp;d&eacute;responsabilisation<a href="#_ftn11" name="_ftnref11" title=""><span style="font-size:12.0pt">[11]</span></a>&nbsp;&raquo;, soit l&rsquo;absence de pens&eacute;e des ex&eacute;cutants d&rsquo;un syst&egrave;me totalitaire qui, par sens du devoir, en bureaucrates exemplaires, en arrivent &agrave; commettre des crimes contre l&rsquo;humanit&eacute;. Face &agrave; ces &laquo;&nbsp;zombies&nbsp;&raquo;, &agrave; ces &laquo;&nbsp;automates&nbsp;&raquo;, Leonora cherche &agrave; r&eacute;veiller les consciences&nbsp;: dans les rues de Madrid, puis dans la clinique pour ali&eacute;n&eacute;s de Santander, elle crie au danger, elle alerte contre les forces hypnotiques, elle aper&ccedil;oit les montagnes de cadavres qui n&rsquo;existent encore que dans les yeux de son esprit. Elle est persuad&eacute;e de poss&eacute;der une connaissance unique et d&rsquo;avoir un r&ocirc;le fondamental dans la propagation de cette v&eacute;rit&eacute; que personne ne veut voir&nbsp;: dans le fragment cit&eacute; un peu plus haut, elle affirme bien que c&rsquo;est elle qui est &laquo;&nbsp;charg&eacute;e de lib&eacute;rer le jour&nbsp;&raquo;. Dans la logique du r&eacute;cit, c&rsquo;est donc justement parce qu&rsquo;elle s&rsquo;oppose &agrave; ce nouvel ordre mortif&egrave;re, parce qu&rsquo;elle a &laquo;&nbsp;menac&eacute; la puissance de ce groupe&nbsp;&raquo; (EB, p.&nbsp;50) qu&rsquo;on l&rsquo;enferme dans un asile qui prend vite des allures de camp de concentration, m&ecirc;lant &agrave; nouveau la trag&eacute;die personnelle au destin des peuples europ&eacute;ens.</span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><strong>2. &laquo;&nbsp;J&rsquo;essayais comprendre o&ugrave; j&rsquo;&eacute;tais et pourquoi j&rsquo;&eacute;tais l&agrave;. H&ocirc;pital ou camp de concentration ?&nbsp;&raquo; <a href="#_ftn12" name="_ftnref12" title=""><strong><span style="font-size:12.0pt">[12]</span></strong></a>&nbsp;</strong></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Bien que le jardin de l&rsquo;h&ocirc;pital et ses pavillons soign&eacute;s s&rsquo;&eacute;cartent du d&eacute;cor macabre des camps de concentration, la seconde partie de la narration, &agrave; savoir l&rsquo;enfermement qui fait suite &agrave; la fuite, marque pour Leonora l&rsquo;entr&eacute;e dans un univers clos et r&eacute;pressif qui l&rsquo;am&egrave;ne &agrave; s&rsquo;interroger sur la nature de cet endroit. Les &laquo;&nbsp;fils de fer barbel&eacute;s&nbsp;&raquo; (EB, p.&nbsp;47) n&rsquo;entourent la clinique que dans les r&eacute;cits de r&ecirc;ves de l&rsquo;artiste int&eacute;gr&eacute;s &agrave; la narration, mais ils se mat&eacute;rialisent n&eacute;anmoins autour de ses poignets&nbsp;: Leonora sera en effet attach&eacute;e, humili&eacute;e et recevra des traitements &agrave; base de Cardiazol (un traitement pr&eacute;curseur des &eacute;lectrochocs provoquant de terribles crises &eacute;pileptiques). C&rsquo;est parce qu&rsquo;elle devient objet, livr&eacute;e &agrave; la volont&eacute; d&rsquo;autrui, victime d&rsquo;une violence injustifi&eacute;e, que s&rsquo;&eacute;tablit au c&oelig;ur du r&eacute;cit un lien entre clinique et camps, espaces qui, dans les deux cas, semblent &eacute;chapper au temps et nient &agrave; l&rsquo;individu sa condition de sujet en le r&eacute;duisant &agrave; de la mati&egrave;re mall&eacute;able. Ainsi, la premi&egrave;re injection de Cardiazol&nbsp;correspond pour Leonora &agrave; la dissolution la plus absolue de son &ecirc;tre&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:36.0pt">Ils prirent chacun une partie de mon corps et je vis <em>le centre</em> de tous les yeux fix&eacute; sur moi dans un regard AFFREUX, AFFREUX. Les yeux de Don Luis lac&eacute;raient mon cerveau, et moi, je m&rsquo;enfon&ccedil;ais, m&rsquo;enfon&ccedil;ais, m&rsquo;enfon&ccedil;ais, dans un puits&hellip; tr&egrave;s loin&hellip; Le fond de ce puits &eacute;tait <em>l&rsquo;arr&ecirc;t</em>, un arr&ecirc;t &eacute;ternel dans le comble de l&rsquo;angoisse. [&hellip;]</p> <p style="margin-left:36.0pt">Gr&acirc;ce &agrave; une &eacute;trange convulsion de mon centre vital, je remontai avec une rapidit&eacute; vertigineuse &agrave; la surface. Je voyais &agrave; nouveau les yeux fixes, affreux, et je hurlais&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je ne veux pas&hellip; je ne veux pas de cette force immonde. Je voudrais vous lib&eacute;rer mais je ne pourrai pas, parce que cette force astronomique me d&eacute;truira si je ne vous &eacute;crase pas tous&hellip; tous&hellip; tous. Je dois vous d&eacute;truire ainsi que le monde entier, parce que &ccedil;a augmente&hellip; &ccedil;a augmente&hellip; et l&rsquo;univers n&rsquo;est pas assez grand pour ce besoin de destruction. JE GRANDIS&hellip; JE GRANDIS&hellip; et j&rsquo;ai peur, parce qu&rsquo;il ne restera plus rien &agrave; d&eacute;truire.&nbsp;&raquo; (EB, p.&nbsp;57)</p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Si l&rsquo;utilisation des majuscules, les effets de r&eacute;p&eacute;tition et les hyperboles cherchent &agrave; retranscrire le caract&egrave;re paroxystique de l&rsquo;horreur provoqu&eacute;e par le produit &eacute;pileptique, sorte de descente aux enfers infinie o&ugrave; le temps s&rsquo;abolit, ce qui est particuli&egrave;rement frappant est la fa&ccedil;on dont les pronoms personnels se vident peu &agrave; peu de leur substance jusqu&rsquo;&agrave; brouiller le r&eacute;f&eacute;rent auquel ils renvoient. Le &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; de &laquo;&nbsp;je m&rsquo;enfon&ccedil;ais&nbsp;&raquo; est-il le m&ecirc;me que celui de &laquo;&nbsp;je dois vous d&eacute;truire&nbsp;&raquo;&nbsp;? Le &laquo;&nbsp;vous&nbsp;&raquo; s&rsquo;adresse-t-il aux peuples opprim&eacute;s ou aux bourreaux de Leonora&nbsp;? Ce &laquo;&nbsp;vous&nbsp;&raquo; ne finit-il pas par englober tout ce qui n&rsquo;est pas &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo;&nbsp;? <span style="color:black">Il semble qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;instar </span>des exp&eacute;riences de guerre v&eacute;cues en dehors de l&rsquo;asile, l&rsquo;exp&eacute;rience de l&rsquo;h&ocirc;pital psychiatrique provoque une perte des rep&egrave;res identitaires et &eacute;thiques&nbsp;: les glissements r&eacute;f&eacute;rentiels observ&eacute;s dans ce paragraphe et la r&eacute;versibilit&eacute; des pronoms ne sugg&eacute;reraient-ils pas que, dans ce contexte de violence, la distinction entre victime et tortionnaire n&rsquo;a plus cours et que les fronti&egrave;res s&eacute;parant bien et mal, r&eacute;sistance et barbarie sont si mouvantes qu&rsquo;il est impossible de les discriminer&nbsp;? L&rsquo;&eacute;preuve de l&rsquo;asile d&eacute;crite par Leonora oscille donc entre exp&eacute;rience de l&rsquo;essence de la douleur et du chaos int&eacute;rieur, n&eacute;gation de son humanit&eacute;, d&rsquo;une part, et qu&ecirc;te pour donner un sens &agrave; ces souffrances, d&rsquo;autre part. C&rsquo;est ainsi que l&rsquo;h&ocirc;pital devient le lieu d&rsquo;une inversion historique o&ugrave; Leonora Carrington se voit comme un nouveau Christ, qui expie par les tourments endur&eacute;s les injustices faites aux peuples tomb&eacute;s sous le joug du fascisme et du nazisme, Espagnols victimes de la guerre civile et du franquisme et Juifs pers&eacute;cut&eacute;s avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Je ne sais pas pendant combien de temps je restai attach&eacute;e et nue. Plusieurs jours et plusieurs nuits, couch&eacute;e dans mes propres immondices, urine et sueur&nbsp;; tortur&eacute;e par les moustiques dont les morsures rendaient mon corps hideux, je croyais qu&rsquo;ils &eacute;taient les esprits des Espagnols &eacute;cras&eacute;s qui me reprochaient mon internement, mon manque d&rsquo;intelligence et ma passivit&eacute;. (EB, p.&nbsp;45)</span></span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Je les [Don Luis et Don Mariano, les m&eacute;decins] croyais juifs et pensais que moi, aryenne, celtique et saxonne, je subissais ces souffrances pour venger les Juifs des pers&eacute;cutions qu&rsquo;ils subissaient. (EB, p.&nbsp;62)</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Paradoxalement, si Leonora est persuad&eacute;e d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; enferm&eacute;e parce qu&rsquo;elle a os&eacute; s&rsquo;opposer au groupe mal&eacute;fique d&rsquo;&laquo;&nbsp;Hitler et Cie&nbsp;&raquo;, elle con&ccedil;oit sa souffrance comme le r&eacute;sultat de la vengeance l&eacute;gitime des opprim&eacute;s, faisant de son corps le lieu de la r&eacute;demption. Un &eacute;cho subtil, un jeu de miroirs s&rsquo;&eacute;tablit alors entre la description des douleurs v&eacute;cues depuis le corps, &agrave; la vis&eacute;e purificatrice pour Leonora mais aussi pour le genre humain aveugl&eacute;ment plong&eacute; dans la barbarie de la guerre, et la narration elle-m&ecirc;me con&ccedil;ue comme exp&eacute;rience cathartique. Le corps est ainsi le lieu privil&eacute;gi&eacute; au sein duquel se dissolvent les fronti&egrave;res, o&ugrave; s&rsquo;op&egrave;re le ballet incessant qui unit le grand et le petit, l&rsquo;intime et l&rsquo;historique, l&rsquo;exp&eacute;rience personnelle et la guerre et m&ecirc;me, au-del&agrave;, l&rsquo;histoire de l&rsquo;Univers.</span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><strong>3. Le corps miroir de la guerre, miroir du monde</strong></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Si nous nous appuyons sur les apports de la ph&eacute;nom&eacute;nologie, il appara&icirc;t clairement que le corps se constitue en trait d&rsquo;union entre int&eacute;rieur et ext&eacute;rieur&nbsp;; il est l&rsquo;entit&eacute; commune entre &laquo;&nbsp;moi&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;monde pour moi&nbsp;&raquo;, ou encore &laquo;&nbsp;pr&eacute;sence au monde de la vie psychique du sujet&nbsp;&raquo; tout autant que &laquo;&nbsp;v&eacute;hicule de notre &ecirc;tre au monde&nbsp;&raquo; <a href="#_ftn13" name="_ftnref13" title=""><span style="font-size:12.0pt">[13]</span></a>. C&rsquo;est donc ce corps de chair, souffrant, malade, maltrait&eacute;, qui va faire le lien entre &laquo;&nbsp;microscope&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;t&eacute;lescope&nbsp;&raquo; (EB, p.&nbsp;35) &ndash;&nbsp;image utilis&eacute;e dans le r&eacute;cit sur laquelle nous nous arr&ecirc;terons plus en avant&nbsp;&ndash; et notamment l&rsquo;estomac, poche oblongue qui devient, par analogie, &oelig;il, sph&egrave;re, miroir, boule de cristal salie par l&rsquo;angoisse et les horreurs de la guerre et devant &ecirc;tre nettoy&eacute;e. C&rsquo;est pour cette raison que Leonora se provoque, apr&egrave;s l&rsquo;arrestation de Max, bien avant d&rsquo;&ecirc;tre intern&eacute;e dans l&rsquo;asile, des vomissements vingt-quatre heures durant&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">J&rsquo;esp&eacute;rais alors distraire ma souffrance par ces spasmes violents qui &eacute;cartelaient mon estomac comme l&rsquo;auraient fait des tremblements de terre. [&hellip;] J&rsquo;avais compris l&rsquo;injustice de la soci&eacute;t&eacute;, je voulais d&rsquo;abord me nettoyer et passer ensuite au-del&agrave; de sa brutale ineptie. Mon estomac &eacute;tait le si&egrave;ge de cette soci&eacute;t&eacute;, mais aussi le lieu dans lequel les &eacute;l&eacute;ments de la terre s&rsquo;unissaient &agrave; moi. C&rsquo;&eacute;tait, pour employer votre image, le <em>miroir</em> de la terre, dont la r&eacute;flexion contient la m&ecirc;me r&eacute;alit&eacute; que le refl&eacute;t&eacute;. (EB, p.&nbsp;18-19)</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Violence de la </span>guerre et angoisse profonde ne forment alors plus qu&rsquo;un, dans une violence organique qui m&ecirc;le politique et tellurisme, comme si c&rsquo;&eacute;tait l&rsquo;&eacute;quilibre cosmique tout entier qui &eacute;tait menac&eacute; par les exactions et par le d&eacute;cha&icirc;nement des passions humaines. En ces temps sombres de l&rsquo;humanit&eacute;, le monde se voit r&eacute;duit &agrave; une inf&acirc;me bouillie qui viendrait, opaque, t&acirc;cher et obscurcir le miroir int&eacute;rieur ayant besoin d&rsquo;&ecirc;tre &laquo;&nbsp;d&eacute;crass&eacute;&nbsp;&raquo; par les vomissements et coliques, comme l&rsquo;exprime Leonora &agrave; son arriv&eacute;e en Espagne&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Dans la confusion politique et la chaleur terrible, je me convainquis que Madrid &eacute;tait l&rsquo;estomac du monde et que moi j&rsquo;&eacute;tais charg&eacute;e de gu&eacute;rir cet appareil digestif. [...] La dysenterie que j&rsquo;eus par la suite n&rsquo;&eacute;tait que la <em>maladie</em> de Madrid r&eacute;alis&eacute;e dans mon intestin.&nbsp;(EB, p.&nbsp;28) </span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Loin d&rsquo;&ecirc;tre ici une m&eacute;taphore fil&eacute;e, il faut comprendre ce jeu de miroirs, cette identification non comme une exp&eacute;rience po&eacute;tique ou verbale mais comme une exp&eacute;rience vitale et mystique, litt&eacute;rale, qui, bien que consid&eacute;r&eacute;e par un esprit rationnel comme un d&eacute;lire narcissique de toute-puissance, s&rsquo;inscrit dans la droite ligne des th&eacute;ories du macrocosme et du microcosme qui culmin&egrave;rent pendant la Renaissance et fascin&egrave;rent Leonora Carrington. <span style="color:black">Selon ces th&eacute;ories, &laquo;&nbsp;tout est dans tout&nbsp;&raquo; (ou &laquo;&nbsp;tout est tout&nbsp;&raquo;) et les structures du vivant (dans son</span> sens le plus large) se r&eacute;p&egrave;tent &agrave; toutes les &eacute;chelles &ndash;&nbsp;Leonora &eacute;voque ainsi au d&eacute;but du texte le &laquo;&nbsp;syst&egrave;me solaire des microbes&nbsp;&raquo; (EB, p. 19)&nbsp;&ndash;. Le corps de Leonora serait donc, non pas seulement un reflet du monde ext&eacute;rieur manifestant, par un jeu de correspondances, l&rsquo;absurdit&eacute; de la guerre au travers des dysfonctionnements corporels internes, mais un mod&egrave;le r&eacute;duit de l&rsquo;univers, d&eacute;vast&eacute; lui aussi par le chaos<a href="#_ftn14" name="_ftnref14" title=""><span style="font-size:12.0pt">[14]</span></a>. Dans la perspective dynamique h&eacute;rit&eacute;e de Nicolas de Cues, penseur du XV<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">la nature humaine est celle qui a &eacute;t&eacute; plac&eacute;e au-dessus de toutes les &oelig;uvres de Dieu et peu au-dessous des anges, elle qui enferme en elle la nature intellectuelle et la nature sensible et qui resserre en elle l&rsquo;univers&nbsp;: elle est un microcosme, ou petit monde, comme l&rsquo;appelaient les anciens avec juste raison. Elle est celle qui, &eacute;lev&eacute;e a&Igrave;&euro; l&rsquo;union avec la maximit&eacute;, serait la pl&eacute;nitude de toutes les perfections universelles et particuli&egrave;res, de sorte que, dans l&rsquo;humanit&eacute;, tout f&ucirc;t &eacute;lev&eacute; au degr&eacute; supr&ecirc;me. <a href="#_ftn15" name="_ftnref15" title=""><span style="font-size:11.0pt"><span style="color:black">[15]</span></span></a></span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">On comprend donc que, si le </span>corps est champ de bataille, il offre aussi la possibilit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre lieu de la r&eacute;solution du conflit, lieu o&ugrave; essayer de retrouver, de recr&eacute;er la &laquo;&nbsp;pl&eacute;nitude&nbsp;&raquo;. Le corps est bien, comme nous l&rsquo;avons d&eacute;j&agrave; &eacute;voqu&eacute;, con&ccedil;u comme le media de la r&eacute;demption, justement parce qu&rsquo;il est le premier &agrave; &ecirc;tre attaqu&eacute; et d&eacute;truit en temps de guerre, parce qu&rsquo;il est celui par lequel un individu peut perdre toute dignit&eacute; ou toute &eacute;thique, celui qui peut faire d&rsquo;une femme ou d&rsquo;un homme autre chose qu&rsquo;un &ecirc;tre humain. Or, c&rsquo;est l&rsquo;existence m&ecirc;me du corps comme autre chose qu&rsquo;un bout de chair, comme trait d&rsquo;union entre &laquo;&nbsp;moi&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;&ecirc;tre au monde&nbsp;&raquo;, que la guerre cherche &agrave; annihiler&nbsp;: le corps social, tout autant que le corps de l&rsquo;artiste, subit un processus de d&eacute;sint&eacute;gration, et le commentaire que fait Leonora suite &agrave; sa premi&egrave;re injection de Cardiazol est particuli&egrave;rement r&eacute;v&eacute;lateur &agrave; ce sujet&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Il me semblait avoir laiss&eacute; derri&egrave;re moi le sordide et douloureux aspect de la mati&egrave;re et entrer dans un monde qui serait l&rsquo;expression math&eacute;matique de la vie. [&hellip;] Je prenais docilement ma nourriture et ne bougeais plus. (EB, p.&nbsp;59)</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Quel a &eacute;t&eacute; l&rsquo;effet du Cardiazol&nbsp;</span>? Il semble l&rsquo;avoir d&eacute;connect&eacute;e de la mati&egrave;re, du corps, transformant la perception de la r&eacute;alit&eacute; en une abstraction et le sujet en un b&oelig;uf docile. Or, dans un moment historique o&ugrave; c&rsquo;est l&rsquo;ultra-rationalisation, la logique pouss&eacute;e &agrave; son extr&ecirc;me, qui am&egrave;ne &agrave; ne plus consid&eacute;rer l&rsquo;humain que comme un matricule, un chiffre, voire un &eacute;l&eacute;ment ind&eacute;sirable que l&rsquo;on peut supprimer, revendiquer le corps, la place du corps, appara&icirc;t comme une fa&ccedil;on de lutter contre la d&eacute;sincarnation du monde, de lutter contre le monde d&eacute;sincarn&eacute; de la puissance scientifique et technique qui a conduit &agrave; l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;un appareil d&rsquo;extermination parfaitement organis&eacute; &ndash;&nbsp;Leonora ne conna&icirc;t pas encore l&rsquo;existence des camps d&rsquo;extermination lorsqu&rsquo;elle &eacute;crit ce texte, mais elle en a, pourrait-on dire, comme l&rsquo;intuition&nbsp;&ndash;. <em>En Bas</em> devient donc (bien que ce ne soit sans doute pas son propos), depuis la lucidit&eacute; retrouv&eacute;e, un manifeste pour promouvoir une nouvelle raison qui les inclut toutes&nbsp;: </span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">La Raison <em>doit</em> conna&icirc;tre la raison du c&oelig;ur et toutes les autres raisons senties de la pointe des cheveux jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;extr&eacute;mit&eacute; des orteils, contre l&rsquo;opinion de M. Pascal, &laquo;&nbsp;ver solitaire&nbsp;&raquo; de la philosophie. (EB, p.&nbsp;49)</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Ces autres raisons, ce sont toutes celles qui touchent au non-rationnel&nbsp;: perceptions, intuitions, imagination, r&ecirc;ves, sentiments, autant d&rsquo;antidotes &agrave; la barbarie qui rappellent que l&rsquo;&ecirc;tre humain est autre chose qu&rsquo;un simple &laquo;&nbsp;cogito&nbsp;&raquo; cart&eacute;sien. <span style="color:black">Quand le monde </span>se d&eacute;chire, est scission, Leonora aspire &agrave; la r&eacute;int&eacute;gration, &agrave; la r&eacute;union, &agrave; l&rsquo;harmonie. C&rsquo;est son corps, au travers des danses et des rituels mystiques qu&rsquo;elle ex&eacute;cute dans sa chambre &agrave; la clinique, qui devient le lieu de cette totalit&eacute; retrouv&eacute;e, puisque Leonora devient, dans son extase, la synth&egrave;se de l&rsquo;homme et de la femme, du soleil et de la lune, du microcosme et du macrocosme&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">J&rsquo;&eacute;tais [&hellip;] l&rsquo;union de l&rsquo;homme et de la femme avec Dieu et le Cosmos, tous &eacute;gaux entre eux. La bosse de ma cuisse gauche semblait ne plus faire corps avec moi-m&ecirc;me et devenait un soleil dans le c&ocirc;t&eacute; gauche de la lune&nbsp;; toutes mes danses et girations dans la chambre du Soleil prenaient cette bosse comme pivot. Elle cessa de me faire mal car je me sentais int&eacute;gr&eacute;e au soleil. Mes mains&nbsp;: &Egrave;ve (la gauche), Adam (la droite), se comprenaient et leur habilet&eacute; s&rsquo;en trouvait d&eacute;cupl&eacute;e. (EB, p.&nbsp;62-63)</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Leonora se plonge et nous plonge ici dans un moment de retour &agrave; une forme de po&eacute;sie primitive con&ccedil;ue comme union du po&egrave;te avec tout ce qui l&rsquo;entoure&nbsp;; elle proclame l&rsquo;abolition des hi&eacute;rarchies entre transcendance et immanence, entre les genres &ndash;&nbsp;au moment m&ecirc;me o&ugrave; l&rsquo;on affirme l&rsquo;existence de races sup&eacute;rieures et o&ugrave; la vie sociale se con&ccedil;oit comme un syst&egrave;me pyramidal implacable&nbsp;&ndash;, sugg&eacute;rant que lutter contre les forces de destruction implique de rejeter la pens&eacute;e dichotomique qui tend &agrave; s&eacute;parer corps et intellect, bien et mal, int&eacute;rieur et ext&eacute;rieur, Dieu et homme.</span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt">Ainsi, on voit que dans la mise en mots de ce que les psychiatres catalogu&egrave;rent comme une psychose marginale de Kleist, point toutefois la possibilit&eacute; d&rsquo;une autre forme de connaissance, d&rsquo;une autre approche du conflit mondial qui embrase l&rsquo;Europe&nbsp;; une connaissance qui se revendique comme non-lucide, non-rationnelle, comme une lecture historique erron&eacute;e mais qui, dans un moment o&ugrave; la barbarie devient norme et o&ugrave; les rep&egrave;res moraux et &eacute;thiques sont renvers&eacute;s, peut avoir sa validit&eacute;. Le r&eacute;cit semble donc pratiquer une forme de grand &eacute;cart qui trouve n&eacute;anmoins, dans la logique cosmique qui est d&eacute;velopp&eacute;e en son sein, une forme de coh&eacute;rence, figur&eacute;e par le symbole de l&rsquo;&oelig;uf alchimique&nbsp;:</span></p> <p style="margin-left:2cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span style="color:black">Je crains de me laisser aller &agrave; la fiction, v&eacute;ridique, mais incompl&egrave;te, par manque de quelques d&eacute;tails qui ne me viennent pas aujourd&rsquo;hui &agrave; la m&eacute;moire et qui devraient nous apporter plus de lumi&egrave;re. Ce matin, l&rsquo;id&eacute;e de l&rsquo;&oelig;uf me hante et je pense l&rsquo;employer comme un cristal o&ugrave; je verrais Madrid en juillet-ao&ucirc;t 1940&nbsp;; pourquoi ne refl&egrave;terait-il pas ma propre exp&eacute;rience aussi bien que l&rsquo;histoire pass&eacute;e et future de l&rsquo;Univers&nbsp;? L&rsquo;&oelig;uf est le macrocosme et le microcosme, la ligne de partage entre le Grand et le Petit, qui rend impossible la vision du tout. Poss&eacute;der un t&eacute;lescope sans sa contrepartie essentielle &ndash;&nbsp;le microscope&nbsp;&ndash; me semble un symbole de la plus sombre incompr&eacute;hension. Le devoir de l&rsquo;&oelig;il droit est de plonger dans le t&eacute;lescope tandis que l&rsquo;&oelig;il gauche interroge le microscope. (EB, p.&nbsp;35)</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="color:black">Ce paragraphe semble </span>faire &eacute;cho &agrave; l&rsquo;image surr&eacute;aliste de la dissection de l&rsquo;&oelig;il recherch&eacute;e par le po&egrave;te &ndash;&nbsp;il suffit de repenser &agrave; la sc&egrave;ne d&rsquo;ouverture du <em>Chien andalou</em> de Bu&ntilde;uel&nbsp;&ndash;, &agrave; savoir la qu&ecirc;te de l&rsquo;artiste pour avoir un &oelig;il &agrave; la fois ouvert sur le monde, sur la r&eacute;alit&eacute; visible, et regardant en m&ecirc;me temps vers la pens&eacute;e, le r&ecirc;ve, l&rsquo;au-del&agrave;, vers l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. Cette sorte de schizophr&eacute;nie po&eacute;tique assum&eacute;e et revendiqu&eacute;e, consid&eacute;r&eacute;e ici comme v&eacute;ritable d&eacute;marche existentielle, donne &agrave; penser l&rsquo;union des contraires et leur dialogue comme cl&eacute; pour appr&eacute;hender le monde&nbsp;: le r&eacute;cit oscille ainsi entre plong&eacute;e dans la folie (source de connaissances autres) et lucidit&eacute; retrouv&eacute;e de l&rsquo;&eacute;nonciation (l&rsquo;&laquo;&nbsp;illuminisme de la folie lucide&nbsp;&raquo;), il oscille entre les souffrances intimes de l&rsquo;auteure enferm&eacute;e suite &agrave; ses bouff&eacute;es d&eacute;lirantes (le microscope) et celles de l&rsquo;Europe en guerre, elle-m&ecirc;me inscrite dans un mouvement cosmique plus vaste (le t&eacute;lescope), entre la temporalit&eacute; relative v&eacute;cue par l&rsquo;individu et la temporalit&eacute; absolue qui r&eacute;unit pass&eacute;, pr&eacute;sent et futur dans un globe en mouvement. R&eacute;int&eacute;grer la m&eacute;taphysique et l&rsquo;exp&eacute;rience personnelle &agrave; l&rsquo;histoire, nous pousser a&Igrave;&euro; nous interroger sur la ligne de d&eacute;marcation entre folie et lucidit&eacute; en temps de guerre, ou encore replacer la raison du corps et du c&oelig;ur au centre de la pens&eacute;e sur la violence, tels sont quelques-uns des apports ind&eacute;niables de ce r&eacute;cit relativement inclassable qu&rsquo;est <em>En Bas.</em></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify">&nbsp;</p> <div>&nbsp; <hr /> <div id="ftn1"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span style="font-size:10.0pt">[1]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <span style="color:black"> L&rsquo;&eacute;dition &agrave; laquelle nous nous r&eacute;f&eacute;rons pour le pr&eacute;sent article est la suivante&nbsp;: Leonora Carrington, <em>En Bas</em>, Montpellier, L&rsquo;arachno&iuml;de, coll. &laquo;&nbsp;Zakhor&nbsp;&raquo;, 2013. Pour les citations tir&eacute;es de cet ouvrage, la page sera indiqu&eacute;e entre parenth&egrave;ses &agrave; la suite de la citation, pr&eacute;c&eacute;d&eacute;e des initiales du r&eacute;cit (EB). </span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><span style="font-size:10.0pt">[2]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <span style="color:black"> Ce terme, que l&rsquo;on doit au philosophe Jos&eacute; Gaos, a notamment &eacute;t&eacute; repris par Alberto Ruy S&aacute;nchez dans son article &laquo;&nbsp;El volc&aacute;n del surrealismo transterrado&nbsp;&raquo; qui ouvre le num&eacute;ro 64 de la revue de r&eacute;f&eacute;rence <em>Artes de M&eacute;xico</em> (2003) d&eacute;di&eacute; &agrave; la &laquo;&nbsp;Transfusi&oacute;n creativa&nbsp;&raquo; entre le surr&eacute;alisme europ&eacute;en et le Mexique.</span></span></p> </div> <div id="ftn3"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><span style="font-size:10.0pt">[3]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <span style="color:black"> Les liens de Leonora Carrington au surr&eacute;alisme sont n&eacute;anmoins ambigus et complexes&nbsp;: m&ecirc;me si la fr&eacute;quentation des surr&eacute;alistes dans les ann&eacute;es 1930 en France a constitu&eacute; une &eacute;tape de formation essentielle pour la jeune artiste, elle a d&eacute;clar&eacute; d&egrave;s son arriv&eacute;e au Mexique s&rsquo;&ecirc;tre peu &agrave; peu &eacute;loign&eacute;e du mouvement parisien. L&rsquo;interview qu&rsquo;elle accorda &agrave; Paul de Angelis en 1985, empreinte d&rsquo;humour, en est assez r&eacute;v&eacute;latrice&nbsp;:</span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <span style="color:black">&laquo;&nbsp;<em>[P.A.:] &ndash;&nbsp;Algunos cr&iacute;ticos de arte consideran que su primera etapa fue muy surrealista, pero que cuando lleg&oacute; a M&eacute;xico su obra cobr&oacute; un car&aacute;cter muy personal&hellip;</em></span></span></p> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><em><span style="color:black">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; [L.C.:] &ndash;&nbsp;No s&eacute;, quiz&aacute;s se volvi&oacute; m&aacute;s individual, porque aunque estaba en contacto con Remedios [Varo], claro est&aacute;, ya no ten&iacute;a tanta relaci&oacute;n con los &ldquo;surrealistas </span></em><span style="color:black">kosher<em>&rdquo;, por as&iacute; decirlo.&nbsp;</em>&raquo; Interview publi&eacute;e dans Whitney Chadwick, <em>Leonora Carrington: la realidad de la imaginaci&oacute;n</em>, M&eacute;xico, D.F., Era, CONACULTA, 1994, p.&nbsp;153. </span></span></p> </div> <div id="ftn4"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><span style="font-size:10.0pt">[4]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; <span style="color:black"> C&rsquo;est ainsi qu&rsquo;Andr&eacute; Breton pr&eacute;sente Leonora Carrington dans son <em>Anthologie de l&rsquo;humour noir </em>[1940 ; 1950 ; 1966], dans laquelle il choisira d&rsquo;inclure &agrave; partir de 1950 un conte de Leonora Carrington, &laquo;&nbsp;La D&eacute;butante&nbsp;&raquo;. Voir Andr&eacute; Breton, <em>&OElig;uvres compl&egrave;tes</em>, t. II, Paris, Gallimard, coll. &laquo; Biblioth&egrave;que de la Pl&eacute;iade &raquo;, 1992, p. 1168.</span></span></p> </div> <div id="ftn5"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><span style="font-size:10.0pt">[5]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Ce concept est utilis&eacute; tant par <span style="color:black">les th&eacute;oriciens de l&rsquo;autobiographie que par les psychanalystes (comme Jacques Lacan) ou les linguistes (tel &Eacute;mile Benveniste).</span></span></p> </div> <div id="ftn6"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><span style="font-size:10.0pt">[6]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Le r&eacute;cit, dict&eacute; en fran&ccedil;ais &agrave; Jeanne M&eacute;gnen, fut d&rsquo;abord publie&Igrave; en anglais d&egrave;s f&eacute;vrier 1944 dans le num&eacute;ro 4 de la revue <em>VVV</em>, puis en fran&ccedil;ais dans la collection &laquo;&nbsp;L&rsquo;&Acirc;ge d&rsquo;Or&nbsp;&raquo;, dirig&eacute;e par Henri Parisot (Paris, Fontaine, 1945).</span></p> </div> <div id="ftn7"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><span style="font-size:10.0pt">[7]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Annie Lebrun, &laquo;&nbsp;D&eacute;voil&eacute; autant que possible&nbsp;&raquo;, dans Leonora Carrington, <em>op. cit.</em>, p.&nbsp;7.</span></p> </div> <div id="ftn8"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><span style="font-size:10.0pt">[8]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; La &laquo;&nbsp;psychose marginale de Kleist&nbsp;&raquo; est ce que l&rsquo;on appellerait aujourd&rsquo;hui un &laquo;&nbsp;trouble de la d&eacute;personnalisation&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est la pathologie qu&rsquo;&eacute;voque Luis Morales dans un article publi&eacute; en 1993 dans <em>El Pa&iacute;s,</em> dans lequel il revient sur le cas de Leonora Carrington&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>La recuerdo perfectamente, tanto a ella como paciente, como si hoy, ante el progreso de la psiquiatr&iacute;a, me atreviera a pensar si era una enferma. </em><em>Por la ansiedad con que defend&iacute;a su surrealismo podr&iacute;a haber sido calificada de asocial y candidata a una cl&iacute;nica psqui&aacute;trica de Santander. M&eacute;dicos de prestigio, abogados, hombres de negocios y diplom&aacute;ticos, por su anormal conducta, nos la confiaron para que Leonora recuperase un buen y bien vivir. [&hellip;] Volvemos a insistir en que en 1941 Leonora era una paciente de un f&aacute;cil diagn&oacute;stico de psicosis de Kleist o marginal; mas esta enfermedad pod&iacute;a ser sintom&aacute;tica, como protesta de su arte surrealista.&nbsp;</em>&raquo; Voir Luis Morales, &laquo;&nbsp;La enfermedad de Leonora&nbsp;&raquo;, <em>El Pa&iacute;s</em>, 18 avril 1993 [http://elpais.com/diario/1993/04/18/cultura/735084002_850215.html], page consult&eacute;e le 3 janvier 2017.</span></p> </div> <div id="ftn9"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title=""><span style="font-size:10.0pt">[9]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; On peut, &agrave; ce propos, relire le <em>Manifeste du Surr&eacute;alisme</em> (Andr&eacute; Breton, 1924), <em>Nadja</em> (Andr&eacute; Breton, 1928) ou consulter &laquo;&nbsp;Le Cinquantenaire de l&rsquo;Hyst&eacute;rie&nbsp;&raquo; (Louis Aragon et Andr&eacute; Breton, dans <em>La R&eacute;volution Surr&eacute;aliste</em>, 1928). </span></p> </div> <div id="ftn10"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10" title=""><span style="font-size:10.0pt">[10]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Annie Lebrun, <em>op.&nbsp;cit.</em>, p.&nbsp;9. </span></p> </div> <div id="ftn11"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref11" name="_ftn11" title=""><span style="font-size:10.0pt">[11]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; On peut notamment citer son rapport sur le Proc&egrave;s Eichmann, <em>Eichmann &agrave; J&eacute;rusalem. Rapport sur la banalit&eacute; du mal</em>, qui souleva de virulentes pol&eacute;miques suite &agrave; sa parution en<em> </em>1963.</span></p> </div> <div id="ftn12"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref12" name="_ftn12" title=""><span style="font-size:10.0pt">[12]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; EB, p&nbsp;39.</span></p> </div> <div id="ftn13"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref13" name="_ftn13" title=""><span style="font-size:10.0pt">[13]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Voir notamment <em><span style="color:black">Id&eacute;es directrices pour une ph&eacute;nom&eacute;nologie et une philosophie ph&eacute;nom&eacute;nologique pures</span></em><span style="color:black"> (Edmund Husserl, 1913) ou <em>Ph&eacute;nom&eacute;nologie de la perception</em> (Maurice Merleau-Ponty, 1945).</span></span></p> </div> <div id="ftn14"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref14" name="_ftn14" title=""><span style="font-size:10.0pt">[14]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &laquo;&nbsp;Je m&rsquo;adorais &agrave; ce moment-l&agrave;, je m&rsquo;adorais parce que je me voyais compl&egrave;te &ndash; j&rsquo;&eacute;tais tout, tout &eacute;tait moi&nbsp;; je me r&eacute;jouissais de voir mes yeux devenus miraculeusement des syst&egrave;mes solaires, illumin&eacute;s par leur propre lumi&egrave;re [&hellip;]&nbsp;; mes intestins, qui vibraient en accord avec la douloureuse digestion de Madrid, me satisfaisaient tout autant&nbsp;&raquo; (EB, p.&nbsp;37).</span></p> </div> <div id="ftn15"> <p style="margin-left:0cm; margin-right:0cm; text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><a href="#_ftnref15" name="_ftn15" title=""><span style="font-size:10.0pt">[15]</span></a>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Nicolas De Cues, <em>De la docte ignorance</em>, III, Paris, &Eacute;d. De la Maisnie, P.U.F., 1930, p.&nbsp;43.</span></p> </div> </div>