<p>Introduction<br /> Parue en 2000 aux &Eacute;ditions Grasset, Le P&eacute;riple de Baldassare d&rsquo;Amin Maalouf donne &agrave; lire une histoire qui se d&eacute;roule en plein VIIe si&egrave;cle. Le contexte de parution et la soci&eacute;t&eacute; du texte sont a priori fortement diff&eacute;rents, pourtant ils sont analogues en tant que &laquo; p&eacute;riode tr&egrave;s contrast&eacute;e et anim&eacute;e de tensions fortes et souvent violentes dans tous les domaines &raquo; (Alluin, 1998 : 106). En effet, les deux cadres temporels se caract&eacute;risent principalement par une recrudescence importante des guerres, du fanatisme et des dogmes religieux. Les identit&eacute;s collectives sont en effervescence et&nbsp; menacent l&rsquo;&eacute;quilibre social qui peine &agrave; &ecirc;tre maintenue et surtout l&rsquo;int&eacute;grit&eacute; de l&rsquo;individu rejet&eacute; au dernier plan. D&egrave;s lors, dans ce collectivisme identitaire de l&rsquo;Histoire, quel int&eacute;r&ecirc;t y a-t-il &agrave; se raconter ? Cette question est d&rsquo;autant plus pertinente que, malgr&eacute; les grandes pr&eacute;occupations collectives qui d&eacute;finissent le contexte de production et la soci&eacute;t&eacute; textuelle, Amin Maalouf choisit d&rsquo;y th&eacute;matiser un r&eacute;cit de soi dans lequel le sujet s&rsquo;&eacute;tablit progressivement en tant qu&rsquo;&eacute;l&eacute;ment central et indispensable &agrave; la progression du r&eacute;cit, voire &agrave; sa composition. Emport&eacute; par les probl&egrave;mes qui lui sont contemporains, Baldassare entreprend son voyage en vue de retrouver Le Centi&egrave;me nom, le livre qui contient le nom cach&eacute; de Dieu, susceptible de mettre fin &agrave; l&rsquo;apocalypse pr&eacute;vue le six juin de l&rsquo;ann&eacute;e 1666 (ann&eacute;e de ˝la B&ecirc;te˝). Tr&egrave;s rapidement, son aventure devient une occasion de d&eacute;couverte de soi qui bouleverse les perceptions qu&rsquo;il a de lui-m&ecirc;me. Il en d&eacute;coule une d&eacute;construction de l&rsquo;identit&eacute; assign&eacute;e pour une identit&eacute; revendiqu&eacute;e, dont la particularit&eacute; r&eacute;side dans la dialectique constructive qui s&rsquo;op&egrave;re entre identit&eacute; sociale et identit&eacute; personnelle. Nous nous proposons d&rsquo;analyser cette th&eacute;matisation du r&eacute;cit de soi afin d&rsquo;en faire ressortir la port&eacute;e id&eacute;ologique.<br /> 1- Identit&eacute; assign&eacute;e : le soi absent<br /> Dans le domaine des sciences sociales et psychologiques, voire dans certains travaux litt&eacute;raires, la question de l&rsquo;identit&eacute; est g&eacute;n&eacute;ralement abord&eacute;e sous plusieurs approches diff&eacute;rentes parfois divergentes. Toutefois, il demeure qu&rsquo;au premier degr&eacute;, la notion d&rsquo;identit&eacute; d&eacute;signe ce qui est identique et particulier par rapport &agrave; autrui et par rapport &agrave; la diversit&eacute;. Lorsque Paul Ric&oelig;ur affirme que &laquo; &agrave; un niveau encore formel, on peut observer que l&rsquo;identit&eacute; reste une relation de comparaison qui a pour vis-&agrave;-vis la diversit&eacute;, la diff&eacute;rence : l&rsquo;id&eacute;e de quelque chose d&rsquo;autre ne cesse de hanter la r&eacute;f&eacute;rence &agrave; soi-m&ecirc;me &raquo; (2000 : 127), il positionne le soi par rapport &agrave; l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; dans son identification, voire sa d&eacute;finition. D&egrave;s lors, d&rsquo;un point de vue empirique, cette perception de l&rsquo;identit&eacute; la d&eacute;finit comme un produit, comme le r&eacute;sultat d&rsquo;un construit, et non pas comme &eacute;tant en perp&eacute;tuelle construction. En d&rsquo;autres termes, &agrave; un niveau encore formel, le soi n&rsquo;est pas un produisant, un acteur, mais plut&ocirc;t un agi dont l&rsquo;identification et la d&eacute;finition, sont inh&eacute;rentes au positionnement ou &agrave; la position que lui conf&egrave;re autrui. Autrui a la capacit&eacute; d&rsquo;assigner au soi une identit&eacute;, mais ce dernier ne s&rsquo;y d&eacute;finit pas pleinement en tant que sujet.&nbsp;<br /> En effet, selon Ric&oelig;ur,&nbsp;<br /> Chacun de nous porte un nom qu&rsquo;il ne s&rsquo;est pas donn&eacute; &agrave; lui-m&ecirc;me, qu&rsquo;il a re&ccedil;u d&rsquo;un autre : dans notre culture, un patronyme qui me situe sur une ligne de filiation, un pr&eacute;nom qui me distingue dans la fratrie. Cette parole d&rsquo;autrui, d&eacute;pos&eacute;e sur une vie enti&egrave;re, au prix des difficult&eacute;s et des conflits qu&rsquo;on sait, conf&egrave;re un appui langagier, un tour d&eacute;cid&eacute;ment autor&eacute;f&eacute;rentiel, &agrave; toutes les op&eacute;rations d&rsquo;appropriation personnelle gravitant autour du noyau mn&eacute;monique. (2000 : 158-159)<br /> La performance langagi&egrave;re d&rsquo;autrui sur soi se constate chez Baldassare de telle sorte que, de prime abord, il ne se d&eacute;finit que par rapport &agrave; la lign&eacute;e Embriaci &agrave; laquelle il appartient. Comme ses anc&ecirc;tres, il prosp&egrave;re dans le n&eacute;goce et le respect qu&rsquo;il re&ccedil;oit des autres du fait de sa lign&eacute;e lui suffit amplement. Les concepts d&rsquo;identit&eacute; sociale et d&rsquo;identit&eacute; collective ont g&eacute;n&eacute;ralement pour cons&eacute;quence l&rsquo;absorption du soi telle qu&rsquo;on le per&ccedil;oit chez Baldassare. En ne s&rsquo;identifiant qu&rsquo;&agrave; partir d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments de cat&eacute;gorisation qui se r&eacute;f&egrave;rent &agrave; son appartenance filiale, le personnage se pr&eacute;sente comme un soi absent, dilu&eacute; dans l&rsquo;identit&eacute; collective de son groupe familial.<br /> L&rsquo;identit&eacute; sociale se d&eacute;finit comme l&rsquo;ensemble des &eacute;l&eacute;ments permettant de cat&eacute;goriser un individu par rapport aux autres, en se r&eacute;f&eacute;rant aux crit&egrave;res qui d&eacute;finissent ses diff&eacute;rents groupes d&rsquo;appartenance. Elle a la particularit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre un regard ext&eacute;rieur port&eacute; sur le soi. C&rsquo;est dire que l&rsquo;identit&eacute; sociale est g&eacute;n&eacute;ralement superficielle et tr&egrave;s vite sujette aux st&eacute;r&eacute;otypes, aux v&eacute;rit&eacute;s a priori qui peuvent enfermer l&rsquo;individu dans une communaut&eacute; identitaire dans laquelle son soi n&rsquo;est pas perceptible. En outre, l&rsquo;identit&eacute; d&rsquo;un individu peut &ecirc;tre phagocyt&eacute;e par une identit&eacute; collective au point o&ugrave; ce dernier ne s&rsquo;identifie que dans son appartenance &agrave; une secte id&eacute;ologique, ou &agrave; une doctrine qui lui a aussi &eacute;t&eacute; assign&eacute;e. Dans le texte d&rsquo;Amin Maalouf, cette situation est perceptible &agrave; travers le fanatisme, l&rsquo;av&egrave;nement de la d&eacute;raison et le d&eacute;mant&egrave;lement du doute raisonnable par les dogmes religieux. L&rsquo;ann&eacute;e dite de ˝la B&ecirc;te˝ cristallise l&rsquo;effervescence&nbsp; du cafouillage identitaire. Les croyances et mythes collectifs, les rumeurs et superstitions s&rsquo;&eacute;rigent en science exacte, en doctrine dogmatique qui repousse le soi et son individualit&eacute; aux marges de l&rsquo;identit&eacute;.&nbsp;<br /> Par un effet de prisme visionnaire, la situation sociale contemporaine reproduit la situation sociale d&eacute;crite dans le texte : le fanatisme religieux et la la&iuml;cit&eacute; parfois liberticide &eacute;crivent tous deux l&rsquo;Histoire contemporaine par leurs confrontations, au d&eacute;triment des identit&eacute;s individuelles sacrifi&eacute;es au nom de l&rsquo;id&eacute;ologie d&eacute;fendue. Dans un tel contexte, la d&eacute;raison s&rsquo;&eacute;rige en raison et r&eacute;duit en m&ecirc;me temps les perceptions et impressions individuelles au degr&eacute; le plus bas. L&rsquo;univers dans lequel Baldassare &eacute;volue donne &agrave; percevoir le terrorisme existentiel que peut provoquer le collectivisme identitaire sur l&rsquo;individu. Deux situations sont dor&eacute;navant possibles : adh&eacute;rer au groupe des partisans de la fin du monde et &agrave; ses croyances, ou &ecirc;tre contre le groupe. Le juste milieu n&rsquo;existe pas dans cette soci&eacute;t&eacute; textuelle. C&rsquo;est dans ce sens que Baldassare, homme de raison, est pourtant &agrave; la recherche du Centi&egrave;me Nom, le livre qui contient le nom cach&eacute; de Dieu susceptible de sauver l&rsquo;univers de l&rsquo;apocalypse pr&eacute;sag&eacute;. Pourtant, les circonstances de sa qu&ecirc;te sont ind&eacute;pendantes des id&eacute;ologies folles qui caract&eacute;risent le monde qui l&rsquo;entoure. Mais cela s&rsquo;av&egrave;re minime lorsque son ami Ma&iuml;moun le Juif le classe, sans le savoir, dans la cat&eacute;gorie esprit faible. &Agrave; Baldassare de s&rsquo;interroger :&nbsp;<br /> Serais-je devenu moi-m&ecirc;me l&rsquo;un de ces ˝esprits faibles˝ que mon nouvel ami fustige ? Parfois, je me redresse, je maudis la superstition et la cr&eacute;dulit&eacute;, j&rsquo;esquisse un sourire de m&eacute;pris, ou de piti&eacute;&hellip; alors que je suis moi-m&ecirc;me &agrave; la poursuite du Centi&egrave;me Nom ! (PB, 2000 : 79).<br /> Dans cet extrait de texte, on peut clairement voir que Baldassare parle de lui selon la perspective de l&rsquo;image qu&rsquo;il pense renvoyer &agrave; autrui ou encore selon ce qu&rsquo;autrui pense de lui. Une fois de plus, le personnage s&rsquo;identifie &agrave; partir des statuts &eacute;tablis par l&rsquo;identit&eacute; sociale qui le d&eacute;finit. Dans cet extrait, il est bien question d&rsquo;un je qui parle, mais ce dernier ne se r&eacute;f&egrave;re pas &agrave; un soi, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; un sujet en proc&egrave;s (Kristeva, 1977).<br /> De mani&egrave;re paradoxale, l&rsquo;on per&ccedil;oit dans cette technique d&rsquo;&eacute;criture l&rsquo;urgence de la crise du sujet. L&rsquo;absence du soi est trop pr&eacute;sente et conf&egrave;re au r&eacute;cit de soi ainsi th&eacute;matis&eacute; une double symbolique, &agrave; la fois politique et m&eacute;thodologique. Politique dans le sens o&ugrave; cette &eacute;criture est une fa&ccedil;on adroite d&rsquo;inscrire une perspective subjective dans l&rsquo;analyse des discours de nos jours pr&eacute;sent&eacute;s comme &eacute;tant muets, c&rsquo;est-&agrave;-dire appartenant &agrave; des sujets vacants d&eacute;signant tout le monde et personne &agrave; la fois. Autrement dit, le r&eacute;cit de Baldassare doit appartenir &agrave; Baldassare, et son analyse doit d&rsquo;abord se centrer sur son soi, avant d&rsquo;&ecirc;tre r&eacute;f&eacute;r&eacute;e &agrave; quelqu&rsquo;un d&rsquo;autre. Cette politique invite &agrave; reconsid&eacute;rer le personnage en tant que sujet plein, et non plus &agrave; le percevoir uniquement comme un avatar de l&rsquo;auteur ou du lecteur.<br /> M&eacute;thodologique, dans le sens o&ugrave; une telle th&eacute;matisation du r&eacute;cit de soi se lit comme une d&eacute;construction, telle que la con&ccedil;oit Derrida : &laquo; D&eacute;construire n&rsquo;est pas d&eacute;truire, mais comprendre, d&eacute;monter une construction de pens&eacute;e afin d&rsquo;interpr&eacute;ter et d&rsquo;affirmer certaines id&eacute;es et pas d&rsquo;autres &raquo; (2004 : 45). La performance pr&eacute;dicative qui ressort de cette citation&nbsp; annonce d&rsquo;embl&eacute;e un sujet en proc&egrave;s, vu que les actions auxquelles Derrida appelle redonnent au sujet le pouvoir et la l&eacute;gitimit&eacute; de s&rsquo;assumer en tant que produisant, et non plus en tant que produit immuable pouvant &ecirc;tre standardis&eacute;.<br /> Le r&eacute;cit de soi que nous propose le texte de Maalouf est donc le r&eacute;cit d&rsquo;un personnage s&rsquo;accomplissant, un personnage qui apprend &agrave; se construire en tant que soi. Une telle perspective permet de consid&eacute;rer la mouvance m&eacute;morielle comme &eacute;l&eacute;ment primordial du soi se construisant. D&rsquo;un point de vue m&eacute;taphorique, la m&eacute;moire en mouvement d&eacute;crit en tout point ce que Kristeva a conceptualis&eacute; sous le terme de chora qu&rsquo;elle d&eacute;finit ainsi qu&rsquo;il suit :&nbsp;<br /> Il s&rsquo;agit de ce que la psychanalyse freudienne indique en postulant le frayage et la disposition structurante des pulsions, mais des processus dits primaires qui d&eacute;placent et condensent des &eacute;nergies de m&ecirc;me que leur inscription. Des quantit&eacute;s discr&egrave;tes d&rsquo;&eacute;nergies parcourent le corps de ce qui sera plus tard un sujet, et, dans la voie de son devenir, elles se disposent selon les contraintes impos&eacute;es &agrave; ce corps &ndash; toujours s&eacute;miotisant &ndash; par la structure familiale et sociale. Charges ˝&eacute;nerg&eacute;tiques˝ en m&ecirc;me temps que marques ˝psychiques˝, les pulsions&nbsp; articulent ainsi ce que nous appelons une chora : une totalit&eacute; non expressive constitu&eacute;e par ces pulsions et leurs stases en une motilit&eacute; aussi mouvement&eacute;e que r&eacute;glement&eacute;e (1974 : 23).&nbsp;<br /> Les d&eacute;placements et condensations d&rsquo;impressions et des r&eacute;flexions tels qu&rsquo;observ&eacute;s dans les journaux intimes respectifs de Baldassare produisent le mouvement de sa m&eacute;moire individuelle dans laquelle il d&eacute;termine sa position, sa disposition par rapport &agrave; son identit&eacute; sociale. Ce que Kristeva appelle pulsion renvoie &agrave; l&rsquo;ensemble des questionnements n&eacute;s des impressions, perceptions et aperceptions que le personnage a de lui-m&ecirc;me et qu&rsquo;il essaye de comprendre.<br /> Il est &agrave; not&eacute; qu&rsquo;&agrave; cette &eacute;tape, le sujet est encore absent, mais d&eacute;j&agrave; envisag&eacute;. Son &ecirc;tre et son devenir d&eacute;pendent du proc&egrave;s pulsionnel qui les produit et que le sujet renie afin de ne pas &ecirc;tre qu&rsquo;un produit, mais un produisant. Cette coupure du projet &ndash; sa n&eacute;gation &ndash; identifie le sujet dans son positionnement par rapport &agrave; son identit&eacute; sociale, et l&rsquo;&eacute;tablit pleinement dans sa recherche du soi. Dans ce cas, le p&eacute;riple de Baldassare se d&eacute;finit plus comme une aventure m&eacute;morielle &agrave; la recherche de soi-m&ecirc;me. Baldassare le comprend au d&eacute;but de son voyage, guid&eacute; par ces paroles de l&rsquo;imam&nbsp; aveugle, le cheikh Abdel-Bassit :<br /> Ce que l&rsquo;on voit dans les voyages n&rsquo;est jamais qu&rsquo;un trompe-l&rsquo;&oelig;il. Des ombres &agrave; la poursuite d&rsquo;autres ombres. Les routes et les pays ne nous apprennent rien que nous ne sachions d&eacute;j&agrave;, rien que nous ne puissions &eacute;couter en nous-m&ecirc;mes dans la paix de la nuit (PB, 2000 : 36-37).<br /> Le cheikh Abdel-Bassit propose &agrave; Baldassare un voyage vers l&rsquo;intime, susceptible de mieux l&rsquo;enseigner que le monde ext&eacute;rieur. Le r&eacute;cit de soi se pr&eacute;sente ainsi dans sa fonction premi&egrave;re : se raconter, se souvenir. C&rsquo;est dans ce sens que Ric&oelig;ur affirme que : &laquo; en se souvenant de quelque chose, on se souvient de soi &raquo; (2000 : 115).<br /> 2- Aventure m&eacute;morielle et (en)qu&ecirc;te de soi<br /> Le voyage de Baldassare est une aventure au sens plein du terme, telle que d&eacute;finie par Andr&eacute; Marie Ntsob&eacute; : &laquo; L&rsquo;AVENTURE. Il s&rsquo;agit d&rsquo;un mot charg&eacute; d&rsquo;un ˝potentiel explosif˝, et dont le sens est attendant&nbsp; aux notions de nouveaut&eacute;, d&rsquo;incertitude, d&rsquo;ouverture, de danger, d&rsquo;audace, de mutation et de transmutation &raquo; (2001 : 5). Aucune pr&eacute;m&eacute;ditation,&nbsp; des rencontres avec l&rsquo;inconnu, voire un impossible retour : tels sont les crit&egrave;res qui caract&eacute;risent ce voyage qui semble pourtant entrepris pour un but pr&eacute;cis. Or d&egrave;s l&rsquo;incipit du texte, l&rsquo;ascendance qu&rsquo;a le voyage sur Baldassare est d&rsquo;embl&eacute;e pr&eacute;sent&eacute;e :&nbsp;<br /> Jusqu&rsquo;ici j&rsquo;avais v&eacute;cu dans la s&eacute;r&eacute;nit&eacute;. Je prosp&eacute;rais, embonpoint et fortune, un peu plus chaque saison ; je ne convoitais rien qui ne f&ucirc;t &agrave; port&eacute;e de ma main, mes voisins m&rsquo;adulaient plus qu&rsquo;ils ne me jalousaient.<br /> Et soudain tout ce pr&eacute;cipite autour de moi. [&hellip;]<br /> &nbsp;Et ce voyage que je dois entreprendre d&egrave;s lundi, en d&eacute;pit de mes r&eacute;ticences. Un voyage dont il me semble aujourd&rsquo;hui que je ne reviendrai pas (PB, 2000 : 11-12).<br /> Ce discours de Baldassare le positionne comme l&rsquo;agi, et non l&rsquo;acteur, de sa propre existence. Le voyage se per&ccedil;oit aussit&ocirc;t comme l&rsquo;&eacute;l&eacute;ment d&eacute;clencheur tant de la narration que des transformations psychiques prochaines du personnage.<br /> &nbsp;Ainsi, l&rsquo;attention sera moins port&eacute;e sur le compte rendu g&eacute;ographique ou historique que le personnage fait de son exp&eacute;rience de voyage. Nous suivons la perspective de l&rsquo;aventure vers soi que Ntsob&eacute; l&eacute;gitime lorsqu&rsquo;il affirme que : &laquo; chaque individu, chaque &ecirc;tre est-il &agrave; soi-m&ecirc;me une v&eacute;ritable aventure &raquo; (2001 : 3). L&rsquo;aventure m&eacute;morielle qu&rsquo;entreprend Baldassare est un entrecroisement de sa m&eacute;moire collective et de sa m&eacute;moire individuelle. D&egrave;s lors, la m&eacute;moire individuelle y est d&rsquo;une pr&eacute;pond&eacute;rance importante, du fait qu&rsquo;elle est continuellement sollicit&eacute;e, voire hyperm&eacute;diatis&eacute;e &agrave; partir des quatre journaux intimes respectivement tenus par le personnage central du texte.<br /> L&rsquo;&eacute;criture de Baldasare est spontan&eacute;e, saisissante et d&eacute;nu&eacute;e de toute tentative esth&eacute;tique ou de voilement. Une &eacute;criture telle que nous le lisons dans cet extrait : &laquo; &Eacute;crire chaque jour sa peine. Un compte rendu, une date. Sans relire, tourner la page pour qu&rsquo;elle soit pr&ecirc;te &agrave; accueillir les &eacute;tonnements &agrave; venir &raquo; (PB, 2000 : 214). Son &eacute;criture est une th&eacute;rapie doubl&eacute;e d&rsquo;une qu&ecirc;te de soi et d&rsquo;une enqu&ecirc;te sur soi qui l&eacute;gitime son questionnement a priori rh&eacute;torique. Mais dans le parcours scriptural de Baldassare, ce questionnement d&eacute;voile des inqui&eacute;tudes et des zones sombres qui semblent d&eacute;tenir l&rsquo;essence de son identit&eacute; personnelle. Ainsi, le contenu de ses journaux intimes est &agrave; l&rsquo;image de son &eacute;tat d&rsquo;esprit, &agrave; l&rsquo;image de la crise de son soi qui le d&eacute;finit, notamment dans l&rsquo;extrait de texte qui suit :&nbsp;<br /> Pourquoi suis-je en train de dire tout cela et de d&eacute;battre ainsi avec moi-m&ecirc;me ? Sans toute parce que l&rsquo;ami que j&rsquo;ai retrouv&eacute; aujourd&rsquo;hui m&rsquo;a tenu le discours que j&rsquo;aurais tenu moi-m&ecirc;me il y a quelques mois, et j&rsquo;ai honte de le contredire les yeux dans les yeux, lui r&eacute;v&eacute;lant ainsi la faiblesse de mon esprit (PB, 2000 : 191-192).<br /> Dans cet extrait, Baldassare se d&eacute;couvre en pleine mutation identitaire en ayant un discours autre que celui que lui imposait son identit&eacute; sociale. Parler en tant que soi, et non selon le r&ocirc;le social que l&rsquo;on remplit r&eacute;v&egrave;le les pens&eacute;es intimes, souvent diff&eacute;rentes des masques identitaires que la soci&eacute;t&eacute; prescrit &agrave; l&rsquo;individu. Ainsi, Baldassare, descendant direct de la grande dynastie Embriaci, c&eacute;l&egrave;bre par son commerce florissant et son attachement pour la raison, se d&eacute;couvre faible d&rsquo;esprit. Mais la pertinence de la situation se r&eacute;v&egrave;le dans le fait qu&rsquo;il prend connaissance de lui-m&ecirc;me. Cette connaissance de soi est corollaire de la prise de conscience de soi en tant que &laquo; celui dont on parle, qui parle, qui agit, qui se raconte, qui se reconna&icirc;t responsable de ses actes &raquo; (Jacques, 1997 : 192). Le fait que Baldassare tient un journal intime est l&rsquo;un des signes ext&eacute;rieurs de sa prise de conscience de lui-m&ecirc;me.<br /> D&rsquo;apr&egrave;s Kristeva,&nbsp;<br /> La prise de conscience de soi commence &agrave; s&rsquo;articuler lorsqu&rsquo;elle perd l&rsquo;objet &ndash; l&rsquo;autre &ndash; par rapport auquel elle se pose et qui est la ˝substance simple et ind&eacute;pendante˝, fondement de la certitude sensible. Elle le nie pour revenir &agrave; soi, et ne le perd que comme substance simple pour r&eacute;aliser sa propre unit&eacute; avec elle-m&ecirc;me (1974 : 122).<br /> En d&rsquo;autres termes, la conscience de soi est un regard autocentr&eacute; qui part de la relation du soi avec autrui, relation qui n&rsquo;est constructive que lorsque le soi envisage un retour &agrave; lui-m&ecirc;me afin de se r&eacute;aliser dans son unit&eacute;.<br /> &nbsp;D&egrave;s lors, la conscience de soi est moins un repli sur soi qu&rsquo;une intersubjectivit&eacute; s&rsquo;accomplissant avec soi-m&ecirc;me. Dans le texte, cela s&rsquo;observe dans la fonction de diariste de Baldassare. En effet, le journal intime n&rsquo;a de lecteur que soi-m&ecirc;me, ce qui favorise le d&eacute;voilement de soi pour soi. Baldassare en fait le constat dans cet extrait :&nbsp;<br /> Il me suffit d&rsquo;avoir consign&eacute; mon secret dans ces pages. N&rsquo;est-ce pas l&agrave;, d&rsquo;ailleurs, le r&ocirc;le de ce journal ?<br /> C&rsquo;est qu&rsquo;il m&rsquo;arrive parfois de m&rsquo;interroger : pourquoi le tenir, avec cette &eacute;criture voil&eacute;e, quand je sais que jamais personne ne le liras ? Quand, d&rsquo;ailleurs, je souhaite que personne ne le lise ? Parce que, justement, il m&rsquo;aide &agrave; clarifier mes pens&eacute;es ainsi que mes souvenirs sans que j&rsquo;aie &agrave; me trahir en les confiant &agrave; mes compagnons de voyage.<br /> D&rsquo;autres que moi &eacute;crivent comme ils parlent, moi j&rsquo;&eacute;cris comme je me tais. (PB, 2000 : 67-68).<br /> Le journal intime est donc le lieu de r&eacute;v&eacute;lation du soi tel qu&rsquo;il est en r&eacute;alit&eacute;, sans craindre le regard jugeur d&rsquo;autrui.<br /> Par ailleurs, en se consid&eacute;rant soi-m&ecirc;me comme un autre (Ricoeur, 1990), Baldassare accomplit un parcours autor&eacute;flexif dans lequel il construit son ips&eacute;it&eacute;, entendu comme &laquo; la conscience de soi qui accompagne les diff&eacute;rentes p&eacute;riodes d&rsquo;une vie et cr&eacute;e l&rsquo;illusion d&rsquo;une unit&eacute; de la personnalit&eacute; &raquo; (Blanckeman, 2009 : 159). Le terme illusion r&eacute;v&egrave;le la dynamique de la personnalit&eacute; qui, en soi, n&rsquo;est pas fig&eacute;e, mais&nbsp; poss&egrave;de des &eacute;l&eacute;ments dans lesquels le soi s&rsquo;identifie comme identique nonobstant les multiples Moi qui le construisent.&nbsp; D&rsquo;apr&egrave;s Bruno Blanckeman,&nbsp;<br /> Seuls les r&eacute;cits oraux ou &eacute;crits travaillant en permanence la mati&egrave;re biographique permettent &agrave; tout individu de se concevoir comme le sujet de sa propre existence et d&rsquo;acqu&eacute;rir une image clairement identifiable de lui-m&ecirc;me, qui d&eacute;passe les seuls &eacute;v&egrave;nements v&eacute;cus et atteint l&rsquo;&eacute;tat de dur&eacute;e intime (Idem).&nbsp;<br /> C&rsquo;est dire que la fonction de diariste de Baldassare n&rsquo;est pas anodine &agrave; sa d&eacute;finition en tant que sujet en proc&egrave;s et proc&eacute;dant. L&rsquo;acte d&rsquo;&eacute;criture&nbsp; devient dans ce cas bien plus qu&rsquo;une forme de th&eacute;rapie, une possession propre de soi par soi-m&ecirc;me. L&rsquo;intersubjectivit&eacute; s&rsquo;inscrit donc dans la dialectique qui s&rsquo;op&egrave;re entre l&rsquo;acte d&rsquo;auto-&eacute;criture et l&rsquo;acte d&rsquo;auto-lecture. En &eacute;crivant, Baldassare communique son ips&eacute;it&eacute; &agrave; son Moi pr&eacute;sent. Et par la lecture, ce Moi lui communique en retour sa m&ecirc;met&eacute; ou sameness , c&rsquo;est-&agrave;-dire sa m&eacute;moire. En effet, Ric&oelig;ur est d&rsquo;avis que, &laquo; s&rsquo;agissant de l&rsquo;identit&eacute; personnelle, la Sameness vaut m&eacute;moire &raquo; (2000 : 127). Autrement dit, l&rsquo;ips&eacute;it&eacute; d&eacute;coule de la relation que le soi entretient avec sa m&eacute;moire individuelle.&nbsp;<br /> De plus, le r&eacute;cit de soi se th&eacute;matise &eacute;galement &agrave; partir des s&eacute;quences de r&ecirc;ves que le personnage prend le soin de consigner dans son journal intime. Baldassare raconte son r&ecirc;ve ainsi qu&rsquo;il suit : &laquo; Dans mon sommeil, des hommes me poursuivaient, et chaque fois que je croyais leur avoir &eacute;chapp&eacute;, je les retrouvais devant moi, qui me barraient le passage et me montraient des dents de fauves &raquo; (PB, 2000 : 68). Le r&eacute;cit d&rsquo;un r&ecirc;ve est une forme de d&eacute;voilement de l&rsquo;intimit&eacute; qui touche le monde inconscient. Dans son r&ecirc;ve, Baldassare se per&ccedil;oit en &eacute;tat de faiblesse, accul&eacute; par autrui sans avoir de moyen d&rsquo;y &eacute;chapper. Il va s&rsquo;en dire que l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;esprit faible est une fois de plus r&eacute;f&eacute;r&eacute;e. Mais selon Bruno Blanckeman, la pertinence est moins dans le contenu du r&ecirc;ve que dans sa consignation. Il affirme &agrave; cet effet que &laquo; la consignation d&rsquo;une s&eacute;quence de r&ecirc;ve remet en condition le r&eacute;cit, elle permet au narrateur de rendre &eacute;vidente, derri&egrave;re la banalit&eacute; ext&eacute;rieure des &eacute;v&egrave;nements relat&eacute;s, l&rsquo;urgence intime qui en impose le r&eacute;cit &raquo; (2009 : 146-147). Autrement dit, le r&eacute;cit de soi est le r&eacute;cit d&rsquo;une urgence de la subjectivit&eacute; au premier degr&eacute; du terme.<br /> Toutefois, la tenue d&rsquo;un journal intime est inh&eacute;rente &agrave; la relation que le soi entretient avec autrui. Cette relation s&rsquo;institue comme l&rsquo;intersubjectivit&eacute; primaire, indispensable &agrave; la consid&eacute;ration du soi dans son unit&eacute;. On peut dire avec &Eacute;tienne Jacques que le soi s&rsquo;approprie de lui-m&ecirc;me dans &laquo; son rapport dialectique avec l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; &raquo; (1997 : 351). Les conversations qu&rsquo;il a avec les inconnus rencontr&eacute;s pendant son voyage constituent la mati&egrave;re premi&egrave;re qui nourrit son journal intime. En outre, la dialectique &eacute;nonciative du personnage avec autrui lui rend compte de son identit&eacute; personnelle qui s&rsquo;av&egrave;re loin d&rsquo;&ecirc;tre conforme &agrave; celle qui lui a &eacute;t&eacute; assign&eacute;e. On le constate notamment dans cet extrait de texte&nbsp;<br /> &nbsp;Jamais je n&rsquo;aurai cru que je deviendrai l&rsquo;ami d&rsquo;un V&eacute;nitien !<br /> Il est vrai qu&rsquo;en mer, lorsque deux n&eacute;gociants se rencontrent au cours d&rsquo;une longue travers&eacute;e, une conversation s&rsquo;installe. Mais les choses avec lui sont all&eacute;es au-del&agrave;, nous avons trouv&eacute; d&egrave;s les premi&egrave;res phrases tant de pr&eacute;occupations communes que j&rsquo;en oubliai aussit&ocirc;t&nbsp; toutes les pr&eacute;ventions que mon p&egrave;re m&rsquo;avait inculqu&eacute;es (PB, 2000 : 329).<br /> D&eacute;sormais, Baldassare se laisse guider par les pr&eacute;occupations et questionnements qui taraudent son esprit, plut&ocirc;t que par les prescriptions de son p&egrave;re, s&rsquo;agissant de la haine historique que le G&eacute;nois voue au V&eacute;nitien. Dans cette qu&ecirc;te de soi, il se d&eacute;couvre ami d&rsquo;un V&eacute;nitien.<br /> L&rsquo;intersubjectivit&eacute; est une relation dans laquelle le soi ne peut &ecirc;tre vacant. Au contraire, il est celui qui s&rsquo;engage dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute;, &eacute;tant &agrave; la fois actif et passif en ce sens qu&rsquo;il est par rapport &agrave; l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; l&rsquo;affectant et l&rsquo;affect&eacute;. Dans ce sens, Ric&oelig;ur est d&rsquo;avis que &laquo; l&rsquo;homme est propri&eacute;taire de sa propre personne mais c&rsquo;est dans un rapport &agrave; d&rsquo;autres qu&rsquo;il pourrait s&rsquo;en emparer &raquo; (2000 : 131). Le soi se per&ccedil;oit donc dans la capacit&eacute; de l&rsquo;individu &agrave; se d&eacute;finir par rapport &agrave; autrui, sans se (con)fondre &agrave; ce dernier.&nbsp; Dans cette perspective, l&rsquo;aventure m&eacute;morielle de Baldassare se per&ccedil;oit principalement comme une aventure identitaire &agrave; partir d&rsquo;une m&eacute;moire non plus h&eacute;rit&eacute;e, mais se construisant.<br /> En effet, le travail d&rsquo;&eacute;criture de Baldassare consiste &agrave; se raconter et &agrave; se construire une m&eacute;moire en remettant en question sa m&eacute;moire collective, s&rsquo;agissant notamment de son caract&egrave;re mythique, incontestable et fig&eacute;. En outre, le voyage qu&rsquo;il effectue s&rsquo;ach&egrave;ve &agrave; G&ecirc;nes, son pays d&rsquo;origine. &Agrave; la fin de son parcours, il se rend compte du fait que le pass&eacute; glorieux dont il a h&eacute;rit&eacute; ne lui ressemble pas en r&eacute;alit&eacute;. Sa connaissance de soi a conduit &agrave; une rupture &ndash; qui n&rsquo;est pas une coupure mais une transcendance &ndash; entre son pass&eacute; et sa personne. Cette rupture est d&eacute;sormais la marque de la particularit&eacute;&nbsp; de son v&eacute;cu par rapport &agrave; l&rsquo;histoire de son groupe familial, voire ancestral. Baldassare s&rsquo;assume tel qu&rsquo;il est et accepte ses faiblesses et son v&eacute;cu ordinaire, notamment dans le passage suivant : &laquo; Peut-&ecirc;tre deviendrai-je &agrave; G&ecirc;nes le fondateur d&rsquo;une dynastie. Mais j&rsquo;aurai &eacute;t&eacute; le fossoyeur d&rsquo;une autre dynastie, plus glorieuse encore, instaur&eacute;e au commencement des croisades, disparue avec moi, &eacute;teinte &raquo; (PB, 2000 : 472). La situation pr&eacute;sent&eacute;e dans cet extrait rappelle l&rsquo;Histoire dans sa r&eacute;volution, lorsque les changements sont le r&eacute;sultat d&rsquo;une nouvelle perception du monde. Dans ce cas, l&rsquo;oubli est inh&eacute;rent &agrave; tout discours, tant historique qu&rsquo;intime, dans la mesure o&ugrave; il rend possible leur renouvellement, et donc leur survivance.<br /> Le r&eacute;cit de soi th&eacute;matis&eacute; dans Le P&eacute;riple de Baldassare est un exemple de discours se produisant, notamment &agrave; partir du d&eacute;tachement que le sujet op&egrave;re par rapport au mythe familial. Ce d&eacute;tachement influence justement l&rsquo;&eacute;criture de Baldassare, de sorte que le compte rendu de ses exp&eacute;riences v&eacute;cues construit un discours originel, un discours de sa m&eacute;moire, dans lequel il se reconna&icirc;t. Vu que, selon Marc et Jean-Yves Tadi&eacute;, &laquo; la m&eacute;moire construit notre identit&eacute; personnelle &raquo; (1999 : 296), le discours de la m&eacute;moire qu&rsquo;on observe dans le texte s&rsquo;av&egrave;re donc &ecirc;tre en m&ecirc;me temps le discours d&rsquo;une identit&eacute; personnelle. Les fr&egrave;res Tadi&eacute; rench&eacute;rissent en d&eacute;finissant la m&eacute;moire comme lieu de m&eacute;diation entre les diff&eacute;rents Moi qui se succ&egrave;dent lors de l&rsquo;&eacute;tablissement du soi. Ils disent &agrave; cet effet que<br /> &nbsp;La m&eacute;moire est la fonction de notre cerveau qui r&eacute;alise le lien entre ce que nous percevons du monde ext&eacute;rieur et ce que nous cr&eacute;ons, ce que nous avons &eacute;t&eacute; et ce que nous serons. Elle est indissociable de la pens&eacute;e, de la personnalit&eacute; (1999 : 295).&nbsp;<br /> Autrement dit, m&eacute;moire, pens&eacute;e et personnalit&eacute; vont de paire. Le r&eacute;cit de soi est donc un r&eacute;cit m&eacute;moriel, et dans le texte de Maalouf, un r&eacute;cit m&eacute;moriel en train de s&rsquo;&eacute;crire sous la plume de Baldassare. Ainsi, le discours qui en ressort fait &eacute;tat de l&rsquo;identification et de l&rsquo;affirmation identitaire de Baldassare &agrave; partir de ses multiples Moi qui traduisent le caract&egrave;re mall&eacute;able du soi dans son ips&eacute;it&eacute;.&nbsp;&nbsp;<br /> Telle que d&eacute;finie par les fr&egrave;res Tadi&eacute;, la m&eacute;moire n&rsquo;est plus qu&rsquo;un espace de stockage des souvenirs de v&eacute;cus et autres r&eacute;cits, mais est &eacute;galement un lieu de mouvance permanente qui fait du soi une qu&ecirc;te toujours en proc&egrave;s, jamais totalement achev&eacute;e. Elle est l&rsquo;espace dans lequel le personnage rev&ecirc;t plusieurs casquettes, selon la situation sociale ou psychique &agrave; laquelle il est confront&eacute;, tout en se reconnaissant comme &eacute;tant soi-m&ecirc;me dans ses multiples Moi. En d&rsquo;autres termes, par sa m&eacute;moire &ndash; son identit&eacute; personnelle &ndash; Baldassare acquiert la capacit&eacute; d&rsquo;avoir une ascendance sur son identit&eacute; sociale, et m&ecirc;me sur son identit&eacute; assign&eacute;e. Cette ascendance lui conf&egrave;re la libert&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre ou de ne pas &ecirc;tre, d&rsquo;&ecirc;tre plusieurs &agrave; la fois, d&eacute;pendamment de sa propre volont&eacute;. Ainsi trouve-t-il une certaine libert&eacute; identitaire dans le fait de s&rsquo;identifier, de se d&eacute;finir, autrement que descendant direct de la lign&eacute;e des Embriaci.<br /> 3- La libert&eacute; dans la r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration&nbsp;<br /> &laquo; L&rsquo;ann&eacute;e dite ˝de la B&ecirc;te˝ s&rsquo;est achev&eacute;e, mais le soleil se l&egrave;ve sur ma ville de G&ecirc;nes. De son sein je suis n&eacute; il y a mille ans, il y a quarante ans, et &agrave; nouveau ce jour &raquo; (PB, 2000 : 489). Le voyage de Baldassare, tout comme l&rsquo;ann&eacute;e de la B&ecirc;te, s&rsquo;ach&egrave;ve &agrave; G&ecirc;nes. Cette ann&eacute;e, dans laquelle se cristallisaient&nbsp; les d&eacute;bordements et les hyst&eacute;ries que peuvent susciter le fanatisme religieux et le collectivisme identitaire, appartient d&eacute;sormais au pass&eacute;. Et c&rsquo;est &agrave; G&ecirc;nes, sa terre originelle, que Baldassare d&eacute;cide d&rsquo;entamer un nouveau chapitre de son existence. Dans l&rsquo;extrait susmentionn&eacute;, Baldassare fait &eacute;tat de ses naissances multiples. Mais la distanciation qu&rsquo;il &eacute;tablit entre ses trois moments de son histoire marque l&rsquo;&eacute;volution&nbsp; effectu&eacute;e dans la construction de son identit&eacute; personnelle. Baldassare n&rsquo;est plus que l&rsquo;h&eacute;ritier direct d&rsquo;une lign&eacute;e glorieuse, il se reconna&icirc;t aussi en tant que soi, dans sa performance irr&eacute;ductible.<br /> D&egrave;s lors, la rupture qui s&rsquo;op&egrave;re entre l&rsquo;identit&eacute; sociale et l&rsquo;identit&eacute; personnelle n&rsquo;est pas une coupure vive. Elle marque plut&ocirc;t les changements successifs qui d&eacute;montrent la discontinuit&eacute; de l&rsquo;identit&eacute; et donc son impossible fixit&eacute;.&nbsp; En effet, la (re)connaissance de soi n&rsquo;oppose pas l&rsquo;identit&eacute; personnelle &agrave; l&rsquo;identit&eacute; sociale, mais offre plut&ocirc;t &agrave; l&rsquo;individu un &eacute;ventail identitaire plus large, une libert&eacute; de se d&eacute;finir et de s&rsquo;identifier au-del&agrave; de la cat&eacute;gorisation sociale. C&rsquo;est du moins ce qu&rsquo;affirme Baldassare dans le passage suivant : &laquo; je comprends ais&eacute;ment ceux qui quittent un jour leur pays et leurs proches, et qui changent m&ecirc;me de nom, pour commencer une nouvelle vie dans un pays sans limites &raquo; (PB, 2000 : 331). On peut y lire que Baldassare opte pleinement pour la libert&eacute; identitaire et est r&eacute;ticent aux carcans sociaux souvent assign&eacute;s, notamment le pays, les proches et surtout le nom. Le personnage rel&egrave;ve donc la fragilit&eacute; de l&rsquo;identit&eacute; sociale et sa superficialit&eacute; par rapport &agrave; l&rsquo;identit&eacute; personnelle dont les changements touchent l&rsquo;intime.&nbsp;<br /> Il est en effet question de la r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration, entendue comme la naissance nouvelle ou renouvel&eacute;e du soi, corollaire au champ vaste et extensif des multiples Moi qui font et d&eacute;font le soi. La r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration ne se situe pas dans le fait d&rsquo;appartenir &agrave; un groupe social ou d&rsquo;en sortir selon sa volont&eacute; ou ses choix sociaux, elle se situe plus en profondeur, en ce sens qu&rsquo;elle fait intervenir le soi dans son intimit&eacute;, dans sa d&eacute;finition profonde. En d&rsquo;autres termes, la transcendance de l&rsquo;identit&eacute; assign&eacute;e sollicite une performance identitaire av&eacute;r&eacute;e, qui va au-del&agrave; de l&rsquo;image de soi que l&rsquo;on renvoie &agrave; la soci&eacute;t&eacute;. Elle modifie aussi l&rsquo;image qu&rsquo;on a de soi-m&ecirc;me ainsi que l&rsquo;id&eacute;al de soi qu&rsquo;on s&rsquo;est construit mentalement. C&rsquo;est dans ce sens que la dialectique entre l&rsquo;identit&eacute; sociale et l&rsquo;identit&eacute; personnelle est dite constructive.&nbsp;<br /> Dans les travaux de Kristeva, la r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration correspond &agrave; ce qu&rsquo;elle appelle le rejet :<br /> Le rejet n&rsquo;est pas destruction simple : il est re-jet, o&ugrave; le pr&eacute;fixe ˝re˝ indique non pas une r&eacute;p&eacute;tition d&rsquo;une identit&eacute; constante, mais un renouvellement de la division &agrave; travers un nouvel arr&ecirc;t unifiant o&ugrave; cristallisera enfin plus qu&rsquo;une marque : in representamen et un˝ moi˝, pour &ecirc;tre &agrave; nouveau re-jet&eacute;s. Cette cristallisation d&rsquo;une unit&eacute; essentielle mais provisoire, &agrave; nouveau &eacute;clat&eacute;e, puisque inh&eacute;rente au rejet lui-m&ecirc;me constant, fonde la logique d&rsquo;un renouvellement &ndash; et non pas d&rsquo;une r&eacute;p&eacute;tition (1974 : 156)<br /> Autrement dit, le rejet est le fait d&rsquo;un mouvement dynamique en continu, tout comme la r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration. La logique du renouvellement vise la pratique du sujet, en ce sens que c&rsquo;est dans la pratique, c&rsquo;est-&agrave;-dire dans sa socialisation, que ce dernier rend possible la r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration identitaire, le rejet. Kristeva d&eacute;crit la phase du rejet ainsi qu&rsquo;il suit :&nbsp;<br /> Un sujet en proc&egrave;s qui arrive &ndash; pour des raisons biographiques ou historiques &ndash; &agrave; remodeler le dispositif signifiant historiquement accept&eacute;, en proposant la repr&eacute;sentation d&rsquo;un autre rapport aux objets naturels, aux appareils sociaux et au corps propre. Un tel sujet traverse le r&eacute;seau linguistique et se sert de lui pour indiquer &ndash; comme pour une anaphore ou un hi&eacute;roglyphe &ndash; qu&rsquo;il ne repr&eacute;sente pas un r&eacute;el pos&eacute; d&rsquo;avance et d&eacute;tach&eacute; &agrave; jamais du proc&egrave;s pulsionnel, mais qu&rsquo;il exp&eacute;rimente ou pratique le proc&egrave;s objectif en s&rsquo;immergeant en lui et en &eacute;mergeant de lui &agrave; travers les pulsions (1974 : 116).<br /> En effet, par sa fonction de diariste, Baldassare se construit et du m&ecirc;me coup d&eacute;construit l&rsquo;identit&eacute; collective des Embriaci qui l&rsquo;a assign&eacute; au service de ce nom prestigieux et respect&eacute;. L&rsquo;&laquo; anaphore &raquo; qui indique la pratique du sujet est une m&eacute;taphore des journaux intimes qu&rsquo;&eacute;crit successivement Baldassare. L&rsquo;entame de chacun de ces journaux marque &agrave; la fois le d&eacute;but d&rsquo;un nouveau tournant d&eacute;cisif de son p&eacute;riple et de sa qu&ecirc;te identitaire, notamment dans l&rsquo;extrait suivant :<br /> Voil&agrave; que ma plume a repris ses habitudes, et qu&rsquo;elle recommence bravement &agrave; tenir un journal de voyage, comme si je n&rsquo;avais pas perdu mes trois cahiers pr&eacute;c&eacute;dents, comme si Londres n&rsquo;avait pas br&ucirc;l&eacute;, comme si l&rsquo;ann&eacute;e funeste n&rsquo;&eacute;tait pas en train d&rsquo;avancer inexorablement vers son accomplissement.&nbsp;<br /> Comment faire ? La plume que je manie me manie tout autant ; je dois suivre son cheminement de m&ecirc;me qu&rsquo;elle suit le mien (PB, 2000 : 433)<br /> Pour la quatri&egrave;me fois, Baldassare commence un journal de voyage. Le fait que les trois autres ont &eacute;t&eacute; perdus signale la rupture de la continuit&eacute; et de la lin&eacute;arit&eacute; de ses &eacute;crits. La logique du renouvellement&nbsp; caract&eacute;rise donc le parcours de Baldassare et le rend signifiant. Par ailleurs, on per&ccedil;oit dans cet extrait de texte la dialectique qui s&rsquo;op&egrave;re entre le soi et l&rsquo;&eacute;crivant, repr&eacute;sent&eacute; par l&rsquo;all&eacute;gorie de la plume, t&eacute;moigne de la pratique signifiante en proc&egrave;s dans l&rsquo;acte d&rsquo;&eacute;criture du personnage.<br /> En outre, l&rsquo;anaphorique conteste une possible ponctualit&eacute; du sujet, c&rsquo;est-&agrave;-dire sa fixit&eacute; dans une situation. Elle traduit plut&ocirc;t sa capacit&eacute; d&rsquo;adaptation, de transmutation ou de r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration face aux d&eacute;viations de l&rsquo;existence qui, selon Baldassare, peuvent &ecirc;tre r&eacute;v&eacute;latrices du soi : &laquo; certains diront que c&rsquo;est en d&eacute;viant qu&rsquo;une existence rejoint le cours qui, de temps en temps, devrait &ecirc;tre le sien. Sans doute&hellip; &raquo; (Ibid. : 241). Cette anaphore revient &eacute;galement dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; &laquo; De son sein je suis n&eacute; il y a mille ans, il y a quarante ans, et &agrave; nouveau ce jour &raquo; (Ibid. : 489), avec l&rsquo;actant temporel r&eacute;p&eacute;t&eacute; trois fois. Ces trois commencements traduisent la continuit&eacute; de la qu&ecirc;te de soi &agrave; travers les multiples Moi qui d&eacute;finissent Baldassare dans le temps et au-del&agrave; de son temps.<br /> D&egrave;s lors, par la r&eacute;g&eacute;n&eacute;ration, le sujet exp&eacute;rimente la libert&eacute; identitaire dans la relation du soi avec lui-m&ecirc;me, avec autrui et avec la soci&eacute;t&eacute;. De prime abord, le sujet exp&eacute;rimente la libert&eacute; identitaire dans sa relation avec lui-m&ecirc;me par le fait de se reconnaitre responsable de ses actes. Une identit&eacute; est pleinement revendiqu&eacute;e lorsque le sujet assume les cons&eacute;quences de ses mouvements identitaires. Assumer ses actes &eacute;vite le malaise identitaire intime, dans la mesure o&ugrave; les actions du sujet d&eacute;voilent un aspect de son soi, c&rsquo;est-&agrave;-dire une facette de son intimit&eacute; profonde. Dans ce cas de figure, Baldassare a v&eacute;cu des exp&eacute;riences qui d&eacute;montrent les effets des actes pos&eacute;s sur la d&eacute;finition du soi et surtout la libert&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre qu&rsquo;il d&eacute;couvre dans le fait de r&eacute;pondre de ses actes, notamment dans le passage suivant, dans lequel il raconte son ressenti suite &agrave; la r&eacute;action qu&rsquo;il a affich&eacute; concernant la c&eacute;l&eacute;bration de la f&ecirc;te de la Croix :<br /> Je ne cesse de penser &agrave; l&rsquo;incident d&rsquo;hier. Il est rare que je r&eacute;agisse avec tant de v&eacute;h&eacute;mence, et j&rsquo;ai un serrement dans le ventre, mais je ne regrette pas ma t&eacute;m&eacute;rit&eacute; [&hellip;]<br /> Cela dit, il y a eu &eacute;galement un moment o&ugrave; je n&rsquo;avais plus peur. Un moment o&ugrave; j&rsquo;avais quitt&eacute; mon &acirc;me de marchand pour endosser celui de dompteur. Et de cet instant-l&agrave;, f&ucirc;t-il des plus fugaces, je suis fier. (Ibid. : 74-75).<br /> Se reconnaitre responsable de ses actes c&rsquo;est accomplir ce que Ric&oelig;ur appelle &laquo; l&rsquo;attitude &eacute;thique &raquo; qu&rsquo;il d&eacute;finit comme &laquo; la vis&eacute;e de ˝la vie bonne˝ avec et pour autrui dans les institutions justes &raquo; (1990 : 202). En d&rsquo;autres termes, la libert&eacute; identitaire s&rsquo;approprie dans l&rsquo;interaction avec autrui et avec la soci&eacute;t&eacute; dans sa globalit&eacute;. L&rsquo;extrait du corpus susmentionn&eacute; est un exemple de cette interaction ave l&rsquo;Autre, bien qu&rsquo;on n&rsquo;y per&ccedil;oive que les r&eacute;sultats sur Baldassare. Red&eacute;finir l&rsquo;image qu&rsquo;autrui a de soi n&rsquo;est possible que dans un acte social. Le excipit du texte &eacute;tudi&eacute; est tr&egrave;s r&eacute;v&eacute;lateur &agrave; ce sujet, dans la mesure o&ugrave; la sc&egrave;ne finale pr&eacute;sente une po&eacute;tique de la socialisation qui augure pour Baldassare une libert&eacute; identitaire heureuse : &laquo; Il est midi sur le clocher de l&rsquo;&eacute;glise voisine. Je vais poser ma plume pour la derni&egrave;re fois, refermer ce cahier, replier mon &eacute;critoire, puis ouvrir grande cette fen&ecirc;tre pour que le soleil m&rsquo;envahisse avec les bruits de G&ecirc;nes &raquo; (PB, 2000 : 490). Refermer le cahier pour la derni&egrave;re fois est moins la fin de l&rsquo;intersubjectivit&eacute; avec soi qu&rsquo;une action pour signifier l&rsquo;&eacute;tablissement d&eacute;finitif de Baldassare &agrave; G&ecirc;nes. Laisser entrer le soleil et les bruits de G&ecirc;nes sonne comme une invitation &agrave; l&rsquo;interrelation adress&eacute;e &agrave; autrui, &agrave; la soci&eacute;t&eacute;. La prise de conscience de soi est donc une arme permettant dor&eacute;navant au sujet d&rsquo;entreprendre des relations identitaires en toute libert&eacute; et de maintenir son &eacute;quilibre identitaire.<br /> L&rsquo;&eacute;quilibre identitaire est justement l&rsquo;appel lanc&eacute; &agrave; la soci&eacute;t&eacute; du texte, et par ricochet aux soci&eacute;t&eacute;s contemporaines, s&rsquo;agissant notamment du domaine religieux. Le parcours de Baldassare pendant l&rsquo;ann&eacute;e de la B&ecirc;te a &eacute;t&eacute; l&rsquo;occasion d&rsquo;observer les d&eacute;r&egrave;glements soci&eacute;taux qu&rsquo;engendrent le fanatisme religieux et les dogmes qui falsifient les textes sacr&eacute;s. Au d&eacute;clin de l&rsquo;ann&eacute;e pr&eacute;sag&eacute;e funeste, Baldassare remet en question les id&eacute;ologies visionnaires qui nuisent tant &agrave; la soci&eacute;t&eacute; qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;int&eacute;grit&eacute; de l&rsquo;individu. Le discours qu&rsquo;il &eacute;met &agrave; cet effet invite &agrave; plus amples r&eacute;flexions : &laquo; Il se peut que le Ciel ne nous ait rien promis. Ni le meilleur, ni le pire. Il se peut que le Ciel ne vive qu&rsquo;au rythme de nos propres promesses &raquo; (Ibid. : 489). Ces propos de Baldassare s&rsquo;adresse aussi bien aux fanatiques religieux qu&rsquo;&agrave; la soci&eacute;t&eacute; toute enti&egrave;re, et &agrave; cette derni&egrave;re, ils sollicitent des &laquo; institutions justes &raquo; (Ric&oelig;ur, 1990 :202) inh&eacute;rentes &agrave; l&rsquo;attitude &eacute;thique.<br /> Cette attitude &eacute;thique se cristallise justement en la personne de Fran&ccedil;ois d&rsquo;Assise auquel Baldassare fait r&eacute;f&eacute;rence au sortir de l&rsquo;an 1666 :&nbsp;<br /> Nous sommes le premier janvier de l&rsquo;an mil six cent soixante sept.<br /> Depuis l&rsquo;aube je suis dans l&rsquo;all&eacute;gresse, et j&rsquo;ai envie de regarder le soleil et de lui parler comme Fran&ccedil;ois d&rsquo;Assise. On devrait se r&eacute;jouir chaque fois qu&rsquo;il recommence &agrave; nous &eacute;clairer, mais aujourd&rsquo;hui, les hommes ont honte de parler au soleil (PB, 2000 : 489).<br /> &nbsp;La r&eacute;f&eacute;rence &agrave; Fran&ccedil;ois d&rsquo;Assise, le pr&eacute;curseur du dialogue interreligieux, est un appel &agrave; la discussion, sinon scientifique, rationnelle et logique du discours religieux et des interpr&eacute;tations fantaisistes des textes sacr&eacute;s qui peuvent &eacute;garer plus d&rsquo;un. En outre, cet extrait met en exergue le sujet parlant, comme pour le r&eacute;tablir dans la sc&eacute;nographie de l&rsquo;actualit&eacute;. Comme le postule Ric&oelig;ur, le retour du sujet est une urgence. Le consid&eacute;rer pleinement peut :<br /> &Eacute;viter un double &eacute;cueil, celui de l&rsquo;universalisme qui r&eacute;cuse par principe les particularit&eacute;s et celui du contextualisme qui, mettant toutes les particularit&eacute;s sur le m&ecirc;me plan, aboutit &agrave; une apologie de la diff&eacute;rence qui, &agrave; la limite, rend toutes les diff&eacute;rences indiff&eacute;rentes, dans la mesure o&ugrave; elle rend vaine toute discussion. (1990 :331)<br /> Ainsi, Le p&eacute;riple de Baldassare raconte les p&eacute;rip&eacute;ties du retour du sujet &agrave; sa place originelle.<br /> Conclusion<br /> En d&eacute;finitive, le voyage vers soi a &eacute;t&eacute; une aventure tr&eacute;pidante dans laquelle Baldassare a rencontr&eacute; certains de ces Moi au d&eacute;but inconnus. Toutefois, cette aventure ne s&rsquo;ach&egrave;ve pas, dans la mesure o&ugrave; elle est toujours en tension, toujours port&eacute;e vers, mais jamais totalement accomplie. Par ailleurs, Le P&eacute;riple de Baldassare a remis au centre des r&eacute;flexions la place et la consid&eacute;ration du sujet dans la soci&eacute;t&eacute; et par rapport &agrave; la soci&eacute;t&eacute;. Dans ce sens, ce texte est un r&eacute;cit de soi qui revendique le r&eacute;tablissement du personnage en tant que sujet irr&eacute;ductible, et par ricochet, le r&eacute;tablissement de l&rsquo;individu dans son individualit&eacute; et dans ses diff&eacute;rences par rapport &agrave; autrui. Au final, l&rsquo;intersubjectivit&eacute; avec soi-m&ecirc;me et avec autrui est inh&eacute;rente &agrave; la socialisation de l&rsquo;individu et &agrave; sa construction identitaire dans la libert&eacute; de son autod&eacute;finition, ceci dans une dialectique constructive entre son identit&eacute; sociale et son identit&eacute; personnelle.</p> <p>Ouvrages cit&eacute;s<br /> Alluin, Bernard (Dir). 1998. Anthologie de textes litt&eacute;raires. Du moyen &Acirc;ge au XXe si&egrave;cle. Paris : Hachette Livre.&nbsp;<br /> Blanckeman, Bruno. 2009. Lire Patrick Modiano. Paris : Armand Colin.<br /> Derrida, Jacques. mai 2004. &laquo; La V&eacute;rit&eacute; blessante. Ou le corps &agrave; corps avec les langues &raquo;. Grossman, &Eacute;velyne et Derrida, Jacques (Dir). In Europe. Jacques Derrida. N&deg;901. 8-28.<br /> &Eacute;tienne, Jacques.&nbsp; 1997. &laquo; La Question de l&rsquo;intersubjectivit&eacute;. Une lecture de Soi-m&ecirc;me comme un autre de Paul Ric&oelig;ur &raquo;. In Revue th&eacute;ologique de Louvain. (http://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1997_num_28_2_2882.&nbsp; Acc&eacute;d&eacute; le13 janvier 2022).<br /> Kristeva, Julia. 1977. Polylogue. Paris : Seuil.&nbsp;<br /> ____________.1974. La R&eacute;volution du langage po&eacute;tique. L&rsquo;avant-garde &agrave; la fin du XIXe si&egrave;cle : Lautr&eacute;amont et Mallarm&eacute;. Paris : Seuil.&nbsp;<br /> Maalouf, Amin. 2000. Le P&eacute;riple de Baldassare. Paris : Grasset.<br /> Ntsob&eacute;, Andr&eacute; Marie. 2001. &laquo; La Quadrature de l&rsquo;aventure &raquo;. In Ntsob&eacute;, Andr&eacute; Marie (Dir). &Eacute;critures VIII. Yaound&eacute; : Cl&eacute;. 3-6.<br /> Ric&oelig;ur, Paul. 2000. La M&eacute;moire, l&rsquo;histoire, l&rsquo;oubli. Paris : Seuil.<br /> __________.1990. Soi-m&ecirc;me comme un autre. Paris : Seuil.<br /> Tadi&eacute;, Marc et Tadi&eacute;, Jean-Yves. 1999. Le Sens de la m&eacute;moire. Paris : Gallimard.&nbsp;</p>