<p>Aujourd&rsquo;hui, le camp de Rivesaltes est un r&eacute;f&eacute;rent historique auquel certains historiens, comme Nicolas Lebourg, donnent le nom de &laquo;&nbsp;Tour de Babel&nbsp;&raquo; (Le Monde, 15 octobre 2015), car il porte une pluralit&eacute; m&eacute;morielle tr&egrave;s douloureuse. Qu&rsquo;il s&rsquo;agisse des R&eacute;publicains espagnols ayant fui Franco, des Juifs ou des Tsiganes ; toutes ces populations ont v&eacute;cu, de janvier 1941 &agrave; novembre 1942 l&rsquo;exp&eacute;rience concentrationnaire au camp de Rivesaltes. Comment les t&eacute;moins parlent-ils du camp de Rivesaltes dans leurs discours ? Quelles valeurs affectives, m&eacute;morielles et existentielles lui associent-ils &agrave; la lumi&egrave;re de leur exp&eacute;rience en tant qu&rsquo;anciens intern&eacute;s ?</p> <p>Pour appr&eacute;hender les diff&eacute;rentes nominations attribu&eacute;es &agrave; ce r&eacute;f&eacute;rent, nous aborderons une s&eacute;rie d&rsquo;entretiens, r&eacute;alis&eacute;s et transcrits dans le cadre de l&rsquo;&eacute;quipex Matrice, port&eacute; par Denis Peschanski, lequel a permis de recueillir entre 2007 et 2014 les t&eacute;moignages de personnes intern&eacute;es au Camp de Rivesaltes. On propose d&rsquo;analyser un corpus de vingt-huit t&eacute;moignages de r&eacute;fugi&eacute;s espagnols et de d&eacute;port&eacute;s juifs, d&eacute;tenus entre 1941 et 1942. Ce corpus, compos&eacute; de 883&nbsp;095 mots, sera trait&eacute; &agrave; l&rsquo;aide du logiciel textom&eacute;trique TXM dans une perspective d&rsquo;analyse lexico-s&eacute;mantique destin&eacute;e &agrave; rep&eacute;rer, &agrave; recenser et &agrave; caract&eacute;riser les items en lien avec l&rsquo;espace d&rsquo;internement que repr&eacute;sente le camp de Rivesaltes aux yeux Des personnes intern&eacute;es.</p> <p>Cette contribution se propose donc de d&eacute;crire une activit&eacute; de nomination ayant pour objet un r&eacute;f&eacute;rent atypique qui renvoie &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience concentrationnaire : &nbsp;le camp de Rivesaltes. Nous tenterons de mettre en lumi&egrave;re l&rsquo;atypicit&eacute; qui s&rsquo;est cristallis&eacute;e dans la nomination de ce r&eacute;f&eacute;rent, en explorant le corpus des t&eacute;moignages de Rivesaltes<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[1]</a>. On montrera que c&rsquo;est l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue, l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;internement, qui est hors-norme dans notre cas et non le discours lui-m&ecirc;me.&nbsp;</p> <p>Ce travail sera r&eacute;parti en deux grandes parties&nbsp;: apr&egrave;s avoir d&eacute;fini la notion de nomination en analyse du discours, on rel&egrave;vera les diff&eacute;rentes nominations du camp de Rivesaltes dans les t&eacute;moignages en distinguant nominations communes et nominations divergentes.</p> <h2>D&eacute;finition de la nomination&nbsp;</h2> <p>La nomination est un proc&eacute;d&eacute; discursif tr&egrave;s &eacute;tudi&eacute; par les analystes du discours, notamment &agrave; travers les travaux pionniers de Paul Siblot qui consid&egrave;re que la nomination permet au locuteur de se positionner par rapport &agrave; l&rsquo;objet nomm&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;en m&ecirc;me temps qu&rsquo;elle cat&eacute;gorise l&rsquo;objet nomm&eacute;, positionne l&rsquo;instance nommante &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de ce dernier&nbsp;&raquo; (1997, p. 42), c&rsquo;est-&agrave;-dire que la nomination peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme une forme de marquage identitaire.&nbsp;</p> <p>Produire un discours n&eacute;cessite une s&eacute;lection de mots qui correspondent au contexte et au message que le locuteur souhaite transmettre &agrave; son interlocuteur. Autrement dit, pour nommer, il faut puiser dans son r&eacute;pertoire lexical dans le but de cat&eacute;goriser un objet du monde. Nommer un r&eacute;f&eacute;rent peut ainsi se faire par s&eacute;lection ou par invention d&rsquo;un nouveau signe (Siblot et Steuckardt, 2017, p. 304-308). La premi&egrave;re op&eacute;ration renvoie l&rsquo;existence d&rsquo;une cat&eacute;gorie socialement approuv&eacute;e, la seconde consiste en l&rsquo;invention d&rsquo;une nouvelle cat&eacute;gorie. Cette derni&egrave;re op&eacute;ration consiste soit &agrave; engendrer de nouveaux signifiants, soit &agrave; attribuer un nouveau signifi&eacute; &agrave; un r&eacute;f&eacute;rent d&eacute;j&agrave; existant. Par exemple, le mot&nbsp;pied&nbsp;signifie &agrave; l&rsquo;origine&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Partie&nbsp;inf&eacute;rieure&nbsp;articul&eacute;e &agrave;&nbsp;l&#39;extr&eacute;mit&eacute;&nbsp;de&nbsp;la jambe, pouvant reposer &agrave; plat sur le sol et&nbsp;permettant&nbsp;la&nbsp;station&nbsp;verticale et la marche&nbsp;&raquo; (Le Petit Robert, 2021). Par la suite, un autre signifi&eacute; s&rsquo;est ajout&eacute; &laquo;&nbsp;Unit&eacute; de mesure&nbsp;&raquo;, attest&eacute; depuis le XIe&nbsp;si&egrave;cle selon le&nbsp;Petit Robert, et un autre vers le milieu du XIIe&nbsp;&laquo;&nbsp;Base, support&nbsp;&raquo;, attest&eacute; depuis le XIIe&nbsp;si&egrave;cle. Le locuteur peut aussi inventer un nouveau signifiant, comme c&rsquo;est le cas pour le mot&nbsp;covidiot<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a>&nbsp;cr&eacute;&eacute; pendant la crise sanitaire (la COVID), et qui a int&eacute;gr&eacute; l&rsquo;Urban Dictionary<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a>. Il est employ&eacute; pour d&eacute;finir les personnes qui ne respectent pas et qui ignorent le protocole sanitaire, il s&rsquo;est vite r&eacute;pandu sur la toile gr&acirc;ce aux r&eacute;seaux sociaux.&nbsp;</p> <p>La nomination peut donc &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e non seulement comme une activit&eacute; linguistique, mais aussi comme une activit&eacute; sociale car elle d&eacute;pend d&rsquo;un choix, des repr&eacute;sentations du locuteur, de param&egrave;tres sociaux&nbsp;: la famille, l&rsquo;&acirc;ge, la profession, etc.&nbsp;</p> <h3>Nommer, c&rsquo;est actualiser et cat&eacute;goriser</h3> <p>L&rsquo;actualisation est un processus de contextualisation, car actualiser un mot est une op&eacute;ration linguistique qui permet de &laquo;&nbsp;passer des potentialit&eacute;s de la langue &agrave; la r&eacute;alit&eacute; d&rsquo;un discours&nbsp;&raquo; (Bres, D&eacute;trie, Siblot, Verine et Steuckardt, 2017, p. 16). Autrement dit, on passe du virtuel au r&eacute;el. Actualiser un nom revient &agrave; lui attribuer un marquage grammatical par l&rsquo;emploi des d&eacute;terminants. Par ces marqueurs, le locuteur d&eacute;termine son positionnement vis-&agrave;-vis du r&eacute;f&eacute;rent en partant du postulat que chaque d&eacute;terminant a un sens, a une valeur bien significative. Margot Wicki-Schwarzschild (une intern&eacute;e juive), dans son &eacute;nonc&eacute; &laquo;&nbsp;Oui, vraiment c&#39;&eacute;tait une femme courageuse. Et c&#39;&eacute;tait une femme formidable, jusqu&#39;&agrave; sa fin o&ugrave; elle est morte ici dans cette chambre et qu&#39;on l&#39;a vue, qu&#39;on a fait les adieux avec elle, en 2001&nbsp;&raquo; (Margot, 2007), actualise le nom&nbsp;<em>femme</em>&nbsp;par le d&eacute;terminant ind&eacute;fini&nbsp;<em>une</em>. L&rsquo;actualisation par l&rsquo;ind&eacute;fini appr&eacute;hende le groupe nominal&nbsp;une femme&nbsp;comme un exemplaire ind&eacute;termin&eacute; de la cat&eacute;gorie &laquo;&nbsp;des femmes courageuses&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;des femmes formidables&nbsp;&raquo;. Donc, quand un locuteur actualise un nom, il actualise tout un programme de sens.&nbsp;</p> <h3>Nommer, c&rsquo;est repr&eacute;senter</h3> <p>Le nom attribu&eacute; au r&eacute;f&eacute;rent d&eacute;pend du v&eacute;cu et de l&rsquo;exp&eacute;rience personnelle du locuteur. Si le r&eacute;f&eacute;rent est nomm&eacute; par exemple par un axiologique d&eacute;pr&eacute;ciatif, cela supposerait que le locuteur aurait eu une mauvaise exp&eacute;rience, et c&rsquo;est cette exp&eacute;rience qui aurait construit sa repr&eacute;sentation. Dans les t&eacute;moignages de Rivesaltes, le camp fait l&rsquo;objet de plusieurs repr&eacute;sentations li&eacute;es intrins&egrave;quement au v&eacute;cu concentrationnaire des intern&eacute;s. En ce qui concerne l&rsquo;espace, certains t&eacute;moins, comme Norbert, consid&egrave;rent le camp comme un endroit qui provoque la peur.</p> <blockquote> <p>&nbsp;Je me rappelle &eacute;galement que dans l&#39;&icirc;lot, il y avait un homme et une femme qui &eacute;taient gardiens, c&#39;&eacute;tait des Fran&ccedil;ais. C&#39;&eacute;tait des Fran&ccedil;ais. Elle, je la vois toujours elle &eacute;tait &eacute;lanc&eacute;e, svelte, blonde et lui il &eacute;tait plut&ocirc;t petit. Ils se promenaient toujours ensemble et les gens disaient qu&#39;ils &eacute;taient fr&egrave;re et s&oelig;ur, mais ne se ressemblaient pas. Et euh, mais lui il avait un &hellip;, je ne sais pas comment on dit en fran&ccedil;ais, un kn&uuml;ppel ? Une cravache. Une cravache dans la main,&nbsp;je crois qu&#39;il frappait les gens. Et, euh, et, et eux, ils surveillaient. Et elle &eacute;tait toujours v&ecirc;tue d&#39;une, d&#39;une sorte de, comme une infirmi&egrave;re, d&#39;une sorte de manteau blanc. Et ce dont je me rappelle encore c&#39;est de, ce sont des, des, des impressions d&#39;enfants, ce sont, c&#39;&eacute;tait ses sandales, c&#39;&eacute;tait des sandales que je n&#39;avais pas vues avant alors &ccedil;a m&#39;est rest&eacute; dans la m&eacute;moire alors mais ils, ils, ils, marchent, ils marchaient dans l&#39;&icirc;lot toujours ensemble et ce dont je me rappelle aussi c&#39;est que le soir, la nuit quand on &eacute;tait couch&eacute;, oui, ils venaient inspecter qu&#39;on &eacute;tait tous l&agrave;. Mais elle &eacute;tait garde ou elle &eacute;tait infirmi&egrave;re ? Elle &eacute;tait probablement garde &eacute;galement oui. Vous aviez peur d&#39;eux ? Oui, c&#39;&eacute;tait un camp o&ugrave; on avait peur. Et il &eacute;tait possible &hellip; voil&agrave; (Norbert, 2008).&nbsp;</p> </blockquote> <p>&nbsp;Lors de son &eacute;change avec son interlocuteur Jos&eacute; Jornet, le locuteur embraye plusieurs s&eacute;quences de souvenirs autour du camp de Rivesaltes ou plus particuli&egrave;rement autour des gardiens par le verbe de la m&eacute;moire <em>je me rappelle</em>. Par l&rsquo;affirmation, Norbert d&eacute;crit l&rsquo;espace concentrationnaire par la circonstancielle de lieu &laquo;&nbsp;o&ugrave; on avait peur&nbsp;&raquo;. Cette repr&eacute;sentation de l&rsquo;espace se rapporte &agrave; son v&eacute;cu de jeune enfant intern&eacute; qui avait peur des deux gardiens qui passaient la nuit &agrave; inspecter les &icirc;lots avec leur cravache. Son souvenir des gardiens en train de cravacher les intern&eacute;s, d&eacute;crit par le verbe modalisateur <em>croire</em> &laquo;&nbsp;je crois qu&#39;il frappait les gens&nbsp;&raquo; comme incertain, a fait na&icirc;tre en lui cette peur. Ce ressenti et cette appr&eacute;hension ont forg&eacute; sa vision de l&rsquo;espace concentrationnaire qui devient, par le v&eacute;cu, un espace hostile o&ugrave; la peur r&egrave;gne.</p> <p>Dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; de Josefa</p> <blockquote> <p>&nbsp;Je me faisais une illusion &agrave; Rivesaltes, que j&#39;allais sortir de ce camp, de cette mis&egrave;re parce que c&#39;&eacute;tait une mis&egrave;re &eacute;pouvantable !&nbsp; (Josefa, 2008).&nbsp;</p> </blockquote> <p style="text-align:justify; margin-bottom:11px">on retrouve le m&ecirc;me processus de repr&eacute;sentation de l&rsquo;espace li&eacute; au v&eacute;cu de l&rsquo;intern&eacute;. Cependant,&nbsp;l&rsquo;espace concentrationnaire n&rsquo;est plus un espace qui favorise la crainte des intern&eacute;s, mais un espace de &laquo;&nbsp;mis&egrave;re &eacute;pouvantable&nbsp;&raquo;. Le substantif f&eacute;minin&nbsp;mis&egrave;re&nbsp;renforc&eacute; par le superlatif intensif<span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif">&nbsp;</span></span></span><em>&eacute;pouvantable</em>, attribuent &agrave; l&rsquo;espace un caract&egrave;re d&eacute;valorisant. L&rsquo;emploi de l&rsquo;imparfait suivi du groupe nominal <em>une illusion </em>d&eacute;clenche un processus de prise de conscience. La locutrice rejette sa premi&egrave;re appr&eacute;ciation m&eacute;liorative du camp qu&rsquo;elle consid&egrave;re aujourd&rsquo;hui comme fausse [j&rsquo;allais sortir du camp], et la remplace par une autre appr&eacute;ciation p&eacute;jorative.</p> <p>Ces passages montrent que la nomination de l&rsquo;espace est une sorte d&rsquo;&eacute;tiquette qui d&eacute;pend &eacute;troitement du statut et du v&eacute;cu du locuteur. Dans notre travail, nous chercherons &agrave; identifier les diff&eacute;rentes repr&eacute;sentations que les locuteurs portent sur le camp de Rivesaltes.</p> <h2>Rep&eacute;rage des &eacute;nonc&eacute;s et des concordances : le camp de Rivesaltes, C.C.L dans le discours</h2> <p>Dans le cadre de cet article, on travaillera non seulement sur des &eacute;nonc&eacute;s comportant le groupe nominal&nbsp;camp de Rivesaltes&nbsp;(146 occurrences), mais aussi sur tous les &eacute;nonc&eacute;s faisant r&eacute;f&eacute;rence au camp de Rivesaltes sans que le groupe nominal&nbsp;camp de Rivesaltes soit employ&eacute;. Nous avons relev&eacute; 21 &eacute;nonc&eacute;s de ce type. Ce sont le contexte et le cotexte qui nous ont permis de les rep&eacute;rer, comme par exemple dans cet &eacute;nonc&eacute; de Margot&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&nbsp;Je sais que tout &agrave; coup on a fait nos bagages et qu&#39;on nous a dit qu&#39;on allait &agrave; Rivesaltes, que c&#39;&eacute;tait un camp de famille (Margot, 2007).&nbsp;</p> </blockquote> <p>Le r&eacute;f&eacute;rent <em>camp de Rivesaltes</em> n&rsquo;est pas cit&eacute; comme tel, la locutrice parle du camp en utilisant le toponyme <em>Rivesaltes</em>. C&rsquo;est l&rsquo;extension &laquo;&nbsp;que c&rsquo;&eacute;tait un camp de famille&nbsp;&raquo; qui a dress&eacute; le contexte r&eacute;f&eacute;rentiel&nbsp;: il s&rsquo;agit du camp de Rivesaltes et non de la ville de son emplacement.</p> <p>La requ&ecirc;te a fait ressortir plusieurs fonctions endoss&eacute;es par le groupe nominal. Nous avons identifi&eacute; six fonctions<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title="">[4]</a>, mais la plus fr&eacute;quente est celle de compl&eacute;ment circonstanciel de lieu avec un pourcentages de 36 %, comme dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; de Margot.</p> <blockquote> <p>Et nous, comme enfants, nous n&#39;&eacute;tions pas encore baptis&eacute;s ; c&#39;est seulement apr&egrave;s, dans un camp, dans le camp de Rivesaltes que nous avons &eacute;t&eacute; baptis&eacute;es par un cur&eacute; catholique (Margot, 2007).</p> </blockquote> <p>Dans ce passage, le camp de Rivesaltes est employ&eacute; en tant que compl&eacute;ment circonstanciel de lieu pr&eacute;c&eacute;d&eacute; de l&rsquo;adverbe dans. Le camp se d&eacute;crit ainsi par sa spatialit&eacute; comme &eacute;tant un lieu o&ugrave; on peut baptiser les enfants intern&eacute;s. Notre analyse repose essentiellement sur cette fonction. Que disent les autres emplois&nbsp;?</p> <h2>Les nominations du r&eacute;f&eacute;rent<em> camp de Rivesaltes&nbsp;</em></h2> <p>Quand il s&rsquo;agit de parler du camp de Rivesaltes, les locuteurs lui attribuent soit des nominations/des &eacute;tiquettes communes, soit des nominations distinctes. Cela nous renseigne sur le rapport que ces derniers entretiennent ou entretenaient avec l&rsquo;espace concentrationnaire (d&rsquo;internement). Ce rapport varie d&rsquo;un groupe de locuteurs &agrave; un autre.</p> <h3>Les repr&eacute;sentations communes</h3> <p>La majorit&eacute; des locuteurs attribuent des valeurs communes au r&eacute;f&eacute;rent camp de Rivesaltes. Ces valeurs n&rsquo;ont pas n&eacute;cessairement une orientation axiologique. Ce sont des valeurs qui reposent sur leur quotidien, et plus particuli&egrave;rement sur le fonctionnement du camp.</p> <ul> <li> <p>Un lieu de c&eacute;l&eacute;brations religieuses</p> </li> </ul> <p>Le camp de Rivesaltes est d&eacute;crit par les t&eacute;moins comme un espace o&ugrave; la pratique religieuse &eacute;tait permise.&nbsp; En effet, dans le camp, les c&eacute;l&eacute;brations religieuses &eacute;taient tr&egrave;s pr&eacute;sentes, ainsi que le pr&eacute;cise Boitel&nbsp;: &laquo; L&rsquo;activit&eacute; religieuse au sein du camp est assez vivace et cela est valable pour chaque confession&nbsp;&raquo; (2001, p. 160).&nbsp;</p> <p>Voici quelques passages qui en t&eacute;moignent&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Et nous, comme enfants, nous n&#39;&eacute;tions pas encore baptis&eacute;s ; c&#39;est seulement apr&egrave;s, dans un camp, dans le camp de Rivesaltes que nous avons &eacute;t&eacute; baptis&eacute;es par un cur&eacute; catholique (Margot, 2007).</p> </blockquote> <blockquote> <p>Il y avait une chapelle, au camp de Rivesaltes, y&#39;avait une chapelle, comme il y a eu le, le temple (Antonio, 2008).</p> </blockquote> <p>Dans les &eacute;nonc&eacute;s ci-dessous, les t&eacute;moins sacralisent l&rsquo;espace concentrationnaire, notamment par l&rsquo;acte de baptiser. Les s&egrave;mes de la religion se trouvent prolong&eacute;s par le verbe&nbsp;<em>baptiser</em>&nbsp;conjoint aux groupes nominaux&nbsp;<em>cur&eacute; catholique,&nbsp;une chapelle,&nbsp;le temple,</em> ce qui forme l&rsquo;isotopie de la religion.&nbsp;</p> <p>La religion se forme &eacute;galement autour de noms propres, comme Bar Mitzvah, qui se trouve employ&eacute; 9 fois par les locuteurs juifs.</p> <blockquote> <p>[&hellip;] on a fait la Bar Mitzvah &agrave; Rivesaltes. Et du monde y en avait suffisamment pour pouvoir faire la Bar Mitzvah c&#39;est &agrave; dire les hommes, on a donc r&eacute;uni, on a &hellip;, j&#39;ai fait ma Bar Mitzvah au camp de Rivesaltes. Et la seule chose que je n&#39;oublierai jamais c&#39;est mon cadeau de Bar Mitzvah (L&eacute;on, 2009).</p> </blockquote> <p>L&rsquo;activit&eacute; de c&eacute;l&eacute;bration se cristallise dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; de L&eacute;on par le verbe&nbsp;<em>r&eacute;unir</em>&nbsp;qui sous-tend la pr&eacute;sence d&rsquo;une collectivit&eacute; juive argument&eacute;e par le compl&eacute;ment d&rsquo;objet du <em>monde</em>. Au-del&agrave;&nbsp;du contexte de guerre et d&rsquo;exclusion, le locuteur d&eacute;crit ce moment de mani&egrave;re appr&eacute;ciative comme &eacute;tant festif appuy&eacute; par le substantif&nbsp;<em>cadeau</em> et le groupe verbale [faire la Bar Mitzvah] qui renvoie &agrave; l&rsquo;action de f&ecirc;ter ou de c&eacute;l&eacute;brer. La n&eacute;gation <em>je n&rsquo;oublierai jamais</em> marque la persistance du souvenir du cadeau dans la m&eacute;moire du t&eacute;moin.</p> <p>Donc, l&rsquo;activation du processus de rem&eacute;moration du camp de Rivesaltes r&eacute;veillent des souvenirs que nous pouvons d&eacute;crire comme festifs li&eacute;s aux f&ecirc;tes et aux c&eacute;l&eacute;brations religieuses v&eacute;cues par les t&eacute;moins &eacute;tant enfants.</p> <ul> <li>Un lieu de circulation</li> </ul> <p>L&rsquo;analyse des occurrences a permis de relever une autre cat&eacute;gorisation de l&rsquo;espace. En effet, les t&eacute;moins ont plus tendance &agrave; cat&eacute;goriser le camp de Rivesaltes comme un lieu o&ugrave; on arrive que comme un lieu d&rsquo;o&ugrave; on part, ce qui n&rsquo;a rien d&rsquo;&eacute;tonnant dans ce contexte concentrationnaire, o&ugrave; l&rsquo;id&eacute;ologie vichyste cherchait &agrave; exclure tous les &eacute;trangers nomm&eacute;s les &laquo;&nbsp;ind&eacute;sirables&nbsp;&raquo; du reste de la soci&eacute;t&eacute; et non de les lib&eacute;rer, c&rsquo;est ainsi que l&rsquo;affirme Joutard&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mais, jamais, un camp n&rsquo;a subsist&eacute; sur une aussi longue dur&eacute;e comme lieu d&rsquo;enfermement de mise &agrave; l&rsquo;&eacute;cart&nbsp;&raquo; (2015, p. 5). Les femmes privil&eacute;gient les verbes&nbsp;s<em>ortir (3),&nbsp;aller&nbsp;(2),&nbsp;retourner (1),&nbsp;quitter (1),&nbsp;arriver (1),&nbsp;d&eacute;m&eacute;nager (1), interner (1) et ramener (1),</em> alors que les hommes ont plus tendance &agrave; employer les verbes&nbsp;<em>arriver (4),&nbsp;envoyer (4),&nbsp;sortir (2), mettre (2),&nbsp;r&eacute;int&eacute;grer (1),&nbsp;emmener (1), interner (1), transf&eacute;rer (1), transporte (1) et venir (1). </em>Le d&eacute;placement &eacute;tait de mise au camp de Rivesaltes.</p> <p>Le chef du camp de Rivesaltes recevait, lib&eacute;rait et attribuait des permissions de d&eacute;placement aux intern&eacute;s. Dans les t&eacute;moignages, la th&eacute;matique du d&eacute;placement repr&eacute;sente un quart des &eacute;nonc&eacute;s. Nous la retrouvons dans les passages ci-dessous&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Donc votre p&egrave;re est, est venu travailler sur Vierzon ? Oui. Il est sorti du camp de Rivesaltes &hellip; Oui, il est, il est sorti du camp de Rivesaltes et il a &eacute;t&eacute; travailler dans une ferme hein (Julia, 2014).</p> </blockquote> <blockquote> <p>Alors, euh, je reviens &agrave; mon, mon &eacute;vasion du camp de Rivesaltes. Nous, c&#39;&eacute;tait, c&#39;&eacute;tait pas du tout l&eacute;gal parce que on n&#39;avait pas de famille, personne ne pouvait nous recevoir, y&#39;avait absolument personne, pas de famille (Paul, 2008).</p> </blockquote> <p>Le d&eacute;placement dans les camps est signifi&eacute; par l&rsquo;emploi des verbes de mouvement, comme <em>sortir</em>. Deux &eacute;tiquettes se superposent&nbsp;: dans le premier &eacute;nonc&eacute;, par le verbe <em>sortir</em>, la locutrice d&eacute;termine l&rsquo;espace concentrationnaire comme un espace duquel on peut sortir&nbsp;sous conditions, comme pour aller travailler. Dans le second &eacute;nonc&eacute;, Paul appr&eacute;hende le camp comme un espace clos par le mot &eacute;vasion, une analogie avec une prison o&ugrave; le prisonnier n&rsquo;a qu&rsquo;un seul souhait : retrouver sa libert&eacute;&nbsp;; et qu&rsquo;il d&eacute;crit par l&rsquo;adjectif n&eacute;gatif <em>pas du tout l&eacute;gal</em>. Il &eacute;tend la pr&eacute;dication par les n&eacute;gations successives, des s&eacute;quences de nature argumentative.</p> <p>Le camp, c&rsquo;est aussi un lieu d&rsquo;entr&eacute;e ou un lieu o&ugrave; on peut se retrouver par contrainte.</p> <blockquote> <p>Alors l&agrave;, encore une fois, je ne sais pas exactement comment nous avons voyag&eacute; &agrave; Rivesaltes, que &ccedil;a ait &eacute;t&eacute; par camion, &ccedil;a a &eacute;t&eacute; par train, mais nous sommes all&eacute;s &agrave; &hellip; nous, nous, on nous a mis dans le camp de Rivesaltes, dans l&#39;&icirc;lot K (Norbert, 2008).</p> </blockquote> <blockquote> <p>C&rsquo;est pour &ccedil;a qu&#39;on est de nouveau all&eacute; dans ce camp de Rivesaltes et c&#39;est l&agrave; qu&#39;il y a eu ce triage (Margot, 2007).</p> </blockquote> <p>Par le verbe <em>mettre</em>, Norbert repr&eacute;sente le camp de Rivesaltes comme un lieu dans lequel les intern&eacute;s sont plac&eacute;s sans qu&rsquo;ils aient le choix. Autrement dit, ils se sont retrouv&eacute;s au camp de Rivesaltes sans qu&rsquo;ils ne puissent rien faire.&nbsp; En effet, le verbe <em>mettre</em> suppose un acte volontaire, un acte de force r&eacute;alis&eacute; par l&rsquo;agent ind&eacute;fini <em>on</em>, mais aussi un acte de contrainte subi par le patient <em>nous</em> [les intern&eacute;s]. Quant &agrave; Margot, elle emploie le verbe <em>aller</em> suivi de la locution adverbiale&nbsp;<em>de nouveau</em> comme pour signaler un acte volontaire r&eacute;alis&eacute; cette fois-ci par l&rsquo;agent on [les intern&eacute;s]. Dans cet &eacute;nonc&eacute;, ils n&rsquo;ont plus le r&ocirc;le du patient qui subit mais le r&ocirc;le de l&rsquo;agent, celui qui r&eacute;alise l&rsquo;action.</p> <p>Le camp appara&icirc;t ainsi comme un lieu vers lequel on peut retourner. On sort, on s&rsquo;&eacute;vade, on y acc&egrave;de et on y retourne.</p> <ul> <li>Un lieu o&ugrave; on reste&nbsp;</li> </ul> <p>Dans un peu plus d&rsquo;un dixi&egrave;me des &eacute;nonc&eacute;s, les locuteurs configurent le camp par le locatif <em>&ecirc;tre</em>, comme un camp o&ugrave; on reste. Ces derniers se situent et se localisent dans l&rsquo;espace concentrationnaire.</p> <blockquote> <p>Y a que les hommes que c&#39;&eacute;tait, on sentait que c&#39;&eacute;taient des hommes qui avaient beaucoup souffert et qui, qui &eacute;taient d&eacute;j&agrave; depuis tr&egrave;s longtemps au camp de Rivesaltes (L&eacute;on, 2009).</p> </blockquote> <blockquote> <p>Est-ce que vous avez d&#39;autres souvenirs de Rivesaltes, en g&eacute;n&eacute;ral, d&#39;autres anecdotes ? Non. Seulement ce, ce, ce, ce camp atroce qui ,... o&ugrave; on &eacute;tait enferm&eacute;&nbsp;(Norbert, 2008).</p> </blockquote> <p>Dans le premier &eacute;nonc&eacute;, L&eacute;on indique par le locatif <em>&ecirc;tre</em> la pr&eacute;sence des hommes en souffrance dans le camp de Rivesaltes. Cette souffrance, intensifi&eacute;e par l&rsquo;adverbe <em>beaucoup</em>, est la cons&eacute;quence d&rsquo;une longue p&eacute;riode d&rsquo;internement <em>depuis tr&egrave;s longtemps.</em> Le compl&eacute;ment circonstanciel de temps, transforme le camp en un espace difficile &agrave; quitter. Dans le second &eacute;nonc&eacute;, quand l&rsquo;interviewer interroge Norbert sur ses souvenirs de Rivesaltes, sa r&eacute;ponse fut imm&eacute;diatement n&eacute;gative. Toutefois, le locuteur d&eacute;clenche par l&rsquo;adverbe restrictif <em>seulement</em> une sorte de rectification de l&rsquo;assertion n&eacute;gative. Il indique une exception&nbsp;: son souvenir se construit autour du camp qu&rsquo;il d&eacute;crit p&eacute;jorativement par l&rsquo;adjectif <em>atroce</em> et l&rsquo;expansion par la subordonn&eacute;e relative <em>o&ugrave; on &eacute;tait enferm&eacute;.</em></p> <p>M&ecirc;me si les locuteurs reviennent sur la th&eacute;matique du d&eacute;placement, ils n&rsquo;oublient pas pour autant la premi&egrave;re fonction du camp de Rivesaltes&nbsp;: interner et exclure.&nbsp;</p> <ul> <li>Un lieu o&ugrave; se d&eacute;roule l&#39;activit&eacute; des t&eacute;moins&nbsp;</li> </ul> <p>Dans d&rsquo;autres discours, le camp de Rivesaltes appara&icirc;t comme un lieu o&ugrave; les intern&eacute;s pouvaient travailler<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title="">[5]</a>. Par-l&agrave;, les locuteurs &eacute;voquent le travail des membres des &oelig;uvres de secours, du personnel du camp ou encore de leurs activit&eacute;s (ou celle des parents), comme dans les passages ci-dessous&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Andr&eacute;e Salomon. Je sais qu&#39;elle travaillait au camp de Rivesaltes, euh, de la part de l&#39;OSE, et euh, j&#39;ai fait sa connaissance apr&egrave;s la guerre, finalement (Hilda, 2009).</p> </blockquote> <blockquote> <p>Euh &hellip; lui, il avait &hellip; moi, j&#39;avais onze ans, lui il avait treize ans, il a deux ans de plus que moi, il travaillait &agrave; l&#39;entretien du camp : arracher de l&#39;herbe, parce que le camp de Rivesaltes y&#39;avait pas un arbre,&nbsp;il n&#39;y avait rien, pas une touffe d&#39;herbe. Parce qu&#39;il fallait que &ccedil;a disparaisse dans la journ&eacute;e m&ecirc;me, hein (Antonio, 2008).</p> </blockquote> <p>Par l&rsquo;emploi de l&rsquo;imparfait de narration, les deux locuteurs se placent dans un contexte r&eacute;f&eacute;rentiel pass&eacute;, celui de leur internement. Ils d&eacute;terminent l&rsquo;activit&eacute; professionnelle par le verbe&nbsp;<em>travailler</em> &agrave; l&rsquo;imparfait.&nbsp;Dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; de Hilda, il s&rsquo;agit de l&rsquo;activit&eacute; d&rsquo;Andr&eacute;e Salomon, membre de l&rsquo;OSE<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title="">[6]</a>. La locutrice d&eacute;termine l&rsquo;activit&eacute; d&rsquo;Andr&eacute;e Salomon par le verbe savoir que comme une sorte d&rsquo;affirmation certaine (elle se porte garante). Dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; d&rsquo;Antonio, il s&rsquo;agit de l&rsquo;activit&eacute; exerc&eacute;e par son fr&egrave;re&nbsp;: entretien du camp. Ce groupe nominal est sp&eacute;cifi&eacute; par le groupe verbal <em>arracher l&rsquo;herbe</em>. Il introduit par la locution conjonctive <em>parce que </em>deux relations causales comme pour justifier l&rsquo;activit&eacute; de son fr&egrave;re <em>y&#39;avait pas un arbre</em> et <em>il fallait que &ccedil;a disparaisse dans la journ&eacute;e m&ecirc;me.</em></p> <p>Les activit&eacute;s dont il s&rsquo;agit sont aussi celles que les &oelig;uvres d&rsquo;enfants ont mis en place pour aider et &eacute;gayer le quotidien des enfants du camp, comme Delmas, membre de la CIMADE<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title="">[7]</a> qui a permis aux enfants de rejoindre des groupes de scoutisme les &laquo;&nbsp;louveteaux&nbsp;&raquo; et les &laquo;&nbsp;&eacute;claireurs&nbsp;&raquo;.</p> <blockquote> <p>Bon, au camp de Rivesaltes, y&#39;a eu d&#39;autres activit&eacute;s. Par exemple &hellip; &hellip; organis&eacute;es par qui ? Alors, organis&eacute;es par les Eclaireurs de France. Les &eacute;claireurs unionistes, qu&#39;on appelait. Qui &eacute;taient &agrave; ob&eacute;dience protestante. Y&#39;avait un monsieur, qui s&#39;appelait M. Delmas. Qui venait de la r&eacute;gion de Tautavel, par-l&agrave;, de Mont-Agel, et qui &hellip; avait organis&eacute; ce qu&#39;on appelait les louveteaux, les plus jeunes, et puis les &eacute;claireurs. Donc mon fr&egrave;re en faisait partie. Moi, j&#39;avais &eacute;t&eacute; dans les louveteaux, ma s&oelig;ur, plus jeune, et mon fr&egrave;re, ils n&#39;y &eacute;taient pas (Antonio, 2008).</p> </blockquote> <p>Le locuteur Antonio pr&eacute;sente, par l&rsquo;emploi&nbsp;du pass&eacute; compos&eacute;, les activit&eacute;s comme &eacute;tant des actions achev&eacute;es. Les activit&eacute;s dont il s&rsquo;agit (qui ne sont pas pr&eacute;cis&eacute;es) d&eacute;pendent du verbe <em>organiser</em> (le pr&eacute;dicat)&nbsp;; le proc&egrave;s est r&eacute;alis&eacute; par l&rsquo;agent M. Delmas. Le souvenir d&rsquo;Antonio est prolong&eacute; par un autre souvenir&nbsp;: le souvenir de sa participation ainsi que celle de son fr&egrave;re et de sa s&oelig;ur aux activit&eacute;s propos&eacute;es par l&rsquo;agent.</p> <ul> <li>Un lieu de vie commune&nbsp;: rencontre, accouchement, cuisine, organisation</li> </ul> <p>La rem&eacute;moration qui s&rsquo;est cristallis&eacute;e autour du r&eacute;f&eacute;rent comporte des passages descriptifs o&ugrave; le camp est d&eacute;crit par <em>grand</em>&nbsp;ou&nbsp;<em>immense</em>, ou encore <em>tr&egrave;s grand, si grand.&nbsp;</em></p> <blockquote> <p>Le camp &eacute;tait grand tr&egrave;s grand. Je ne sais pas combien de baraques par c&oelig;ur je ne pourrais pas vous dire combien de baraques (Margot, 2007).</p> <p>Ont &eacute;t&eacute; emmen&eacute;s &agrave; Rivesaltes. Pas toutes. Les baraques, les, celles qui &eacute;taient pr&egrave;s du camp de &hellip;. Parce que le camp &eacute;tait immense hein ! (Antonio, 2010).</p> </blockquote> <p>Margot insiste sur l&rsquo;&eacute;tendue de l&rsquo;espace concentrationnaire par la r&eacute;p&eacute;tition de l&rsquo;adjectif <em>grand</em> qu&rsquo;elle accentue, par la suite, par le superlatif&nbsp;<em>tr&egrave;s</em> <em>grand</em>. La premi&egrave;re assertion est renforc&eacute;e par les verbes modalisateurs <em>savoir</em> et <em>pouvoir</em> &agrave; la forme n&eacute;gative qui t&eacute;moignent de l&rsquo;incapacit&eacute; de Margot &agrave; pr&eacute;ciser le nombre de baraques. Antonio, quant &agrave; lui, pr&eacute;f&egrave;re utiliser le superlatif <em>immense</em> employ&eacute; en tant qu&rsquo;attribut du sujet <em>camp</em>.</p> <p>Le quotidien concentrationnaire est tr&egrave;s pr&eacute;sent dans la narration des locuteurs. Cet espace appara&icirc;t comme un lieu de vie ordinaire o&ugrave; on peut cuisiner, faire des rencontres ou encore construire de petites anecdotes.</p> <blockquote> <p>Je vais vous raconter une autre anecdote, l&agrave;, sur le camp de Rivesaltes. Donc, le camp de Rivesaltes, &ccedil;a changeait compl&egrave;tement et en plus, il y avait des classes, il y avait, ils ont fait &hellip; tous les enfants qui &eacute;taient au camp allaient &agrave; l&#39;&eacute;cole. Il y avait des institutrices qui faisaient les &hellip; des Fran&ccedil;aises, hein, qui faisaient les cours. Et un jour, je m&#39;en rappelle, parce que on a bien rigol&eacute;, il y avait une institutrice qui dit : &laquo; Bon, les enfants, on va faire un petit tour dans le camp, on va se promener un peu, pour sortir un peu, pas rester tout le temps &hellip; &raquo;&nbsp;(Florentino, 2009).</p> </blockquote> <blockquote> <p>J&#39;ai m&ecirc;me rencontr&eacute; les Gitans au camp de Rivesaltes. Elles &eacute;taient belles ces filles. Elles avaient encore de, des robes de couleur sur elles. Elles &eacute;taient magnifiques et puis elles dansaient, elles chantaient (Ir&egrave;ne, 2013).</p> </blockquote> <p>Le G.N. <em>camp de Rivesaltes</em> est employ&eacute; dans un sch&eacute;ma narratif introduit par une prolepse. En effet, le locuteur Florentino utilise le futur proche pour contextualiser son anecdote. L&rsquo;expansion du nom <em>anecdote</em> est d&eacute;sign&eacute;e par le compl&eacute;ment du nom <em>sur le camp de Rivesaltes</em>. Avant d&rsquo;introduire son souvenir, il d&eacute;crit le r&eacute;f&eacute;rent en se pla&ccedil;ant dans un contexte r&eacute;f&eacute;rentiel pass&eacute;, celui de la Seconde Guerre mondiale, comme le signale l&rsquo;imparfait <em>changeait</em>,<em> avait, &eacute;tait et faisait</em>. Son souvenir est d&eacute;clench&eacute; par le verbe de la m&eacute;moire <em>je me rappelle</em> pr&eacute;c&eacute;d&eacute; par le compl&eacute;ment circonstanciel de temps <em>un jour </em>qui signale la mise en introduction d&rsquo;un &eacute;l&eacute;ment nouveau, qui dans ce passage est une anecdote d&rsquo;enfance de son passage &agrave; l&rsquo;&eacute;cole du camp. Dans le dernier &eacute;nonc&eacute;, il s&rsquo;agit d&rsquo;une anecdote portant sur la rencontre que le t&eacute;moin a fait lors de son internement. La locutrice Ir&egrave;ne se souvient des filles gitanes qu&rsquo;elle a crois&eacute;es dans le camp de Rivesaltes. Son anecdote se construit autour de l&rsquo;intensit&eacute; de leur beaut&eacute; qu&rsquo;elle d&eacute;crit par l&rsquo;adjectif&nbsp;<em>belle</em>&nbsp;et le superlatif&nbsp;<em>magnifique</em>, de leurs robes, de leur danse, et enfin de leurs activit&eacute;s par les verbes <em>danser</em> et <em>chanter</em>.</p> <ul> <li>Un lieu gard&eacute;&nbsp;</li> </ul> <p>Dans quelques-uns des &eacute;nonc&eacute;s, les locuteurs pr&eacute;sentent le camp de Rivesaltes comme un camp ayant un dispositif de surveillance important. Ainsi, dans ces passages&nbsp;:</p> <blockquote> <p>Ce dont je me rappelle et je ne sais pas si c&#39;est juste, je crois que au d&eacute;but le camp &eacute;tait gard&eacute; par des Indochinois (Norbert, 2008).</p> <p>Donc ils sont retourn&eacute;s au camp de Rivesaltes. Et l&agrave;, un soir, un officier fran&ccedil;ais faisait le tour du camp, il surveillait le camp, et il a vu une poubelle bouger. Il a cru que c&#39;&eacute;tait un chien qui &eacute;tait dedans, un animal. Et en fait c&#39;&eacute;tait moi qui mangeais un morceau de chou cru. Comme c&#39;&eacute;tait un homme tr&egrave;s bon, il m&#39;a emmen&eacute;e au mess des officiers o&ugrave; il m&#39;a nourrie. Il s&#39;est ensuite renseign&eacute; qui j&#39;&eacute;tais (Pilar, 2009).</p> </blockquote> <p>Les t&eacute;moins Norbert et Pilar utilisent respectivement les verbes <em>garder</em> et <em>surveiller</em> pour &eacute;voquer le dispositif de surveillance du camp de la Seconde Guerre. Dans le premier &eacute;nonc&eacute;, dans un processus de rem&eacute;moration embray&eacute; par le verbe m&eacute;moriel <em>je me rappelle</em>, Norbert d&eacute;clare, sous forme d&rsquo;assertion pr&eacute;dicative incertaine modalis&eacute;e par le verbe <em>savoir</em> &agrave; la forme n&eacute;gative et le verbe <em>croire</em>, que le camp de Rivesaltes &eacute;tait sous la surveillance du compl&eacute;ment d&rsquo;agent <em>des Indochinois</em>. Dans le second &eacute;nonc&eacute;, Pilar revient sur les rondes et les contr&ocirc;les r&eacute;guliers que faisaient les surveillants du camp de Rivesaltes. Elle introduit son souvenir par le compl&eacute;ment circonstanciel de temps <em>un soir </em>qui d&eacute;termine la temporalit&eacute; approximative de l&rsquo;action. L&rsquo;agent de l&rsquo;action de surveillance est nomm&eacute; par le G.N. <em>officier fran&ccedil;ais </em>qu&rsquo;elle d&eacute;crit dans une construction attributive par l&rsquo;adjectif <em>bon</em> pr&eacute;c&eacute;d&eacute; de l&rsquo;adverbe d&rsquo;intensit&eacute; <em>tr&egrave;s</em>, ce qui renforce le trait m&eacute;lioratif qui rejaillit sur l&rsquo;agent.</p> <p>D&rsquo;autres cat&eacute;gorisations apparaissent dans des sous-corpus bien diff&eacute;rents. Qu&rsquo;il s&rsquo;agisse des femmes ou des hommes, des R&eacute;publicains espagnols ou des d&eacute;port&eacute;s juifs, ils cat&eacute;gorisent le r&eacute;f&egrave;rent selon leur v&eacute;cu personnel.</p> <h3>Les repr&eacute;sentations divergentes&nbsp;</h3> <p>Nous recenserons dans cette sous-partie les cat&eacute;gorisations sp&eacute;cifiques &agrave; chaque groupe d&rsquo;intern&eacute;s. Nous nous int&eacute;resserons aux discours des hommes et des femmes afin d&rsquo;identifier les traits de valeurs attribu&eacute;s respectivement au r&eacute;f&eacute;rent <em>camp de Rivesaltes</em>.</p> <h4>Dans le discours des femmes juives</h4> <ul> <li>Un lieu de s&eacute;paration</li> </ul> <p>Dans les camps d&rsquo;internement, y compris dans le camp de Rivesaltes, la s&eacute;paration des familles, des m&egrave;res de leur(s) enfant(s), &eacute;tait une pratique r&eacute;currente. Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, la s&eacute;paration consistait &agrave; s&eacute;parer les hommes des femmes et des enfants dans des &icirc;lots diff&eacute;rents, comme le pr&eacute;cise Boitel&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les femmes, jeunes filles et enfants de moins de 16 ans sont s&eacute;par&eacute;s des hommes (de plus de 16 ans)&nbsp;&raquo; (2001, p. 148), mais aussi &agrave; s&eacute;parer les enfants de leur m&egrave;re afin de les sauver de la vie d&rsquo;internement. La s&eacute;paration &eacute;tait tr&egrave;s difficile pour l&rsquo;enfant qu&rsquo;on arrache &agrave; sa m&egrave;re et pour la m&egrave;re qui doit se s&eacute;parer de son enfant afin de lui sauver la vie au risque de ne plus le revoir. Cette op&eacute;ration de sauvetage &eacute;tait men&eacute;e sous l&rsquo;&eacute;gide des autorit&eacute;s des Secours pour enfants, comme l&rsquo;OSE&nbsp;: &laquo;&nbsp;N&eacute;anmoins, la t&acirc;che la plus d&eacute;licate pour l&rsquo;OSE est de convaincre les parents de se s&eacute;parer de leurs enfants &raquo; (Boitel, 2001, p. 124).</p> <p>Les locutrices juives ont tendance &agrave; &eacute;voquer &agrave; faible fr&eacute;quence<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title="">[8]</a> la souffrance qu&rsquo;elles ont v&eacute;cue ainsi que leurs m&egrave;res lors de la s&eacute;paration, comme le t&eacute;moigne Frida qui se rappelle encore la douleur ressentie.</p> <blockquote> <p>Une m&egrave;re, une m&egrave;re, c&#39;est la principale chose de, de tout enfant. Et apr&egrave;s avoir pass&eacute; de temps tellement difficile pendant, pendant tout le temps jusqu&#39;&agrave; nous, nous sommes s&eacute;par&eacute;es dans, dans le camp de Rivesaltes, alors c&#39;est, c&#39;est incroyable, incroyable. Et jusqu&#39;&agrave;, jusqu&#39;&agrave; maintenant que je suis d&eacute;j&agrave; une vieille femme, quand j&#39;y pense, les, les larmes sont l&agrave; et mais, mais &ccedil;a fait mal d&#39;y penser [Elle a les larmes aux yeux] et de savoir comment est-ce que ma m&egrave;re a support&eacute; de, de, la de, d&#39;&eacute;lever, de faire quelque chose avec sa petite fille sous des conditions comme &ccedil;a (Frida, 2012).</p> </blockquote> <p>Par l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; <em>une m&egrave;re, c&#39;est la principale chose de, de tout enfant,</em> le mot <em>m&egrave;re</em> cit&eacute; en mention est &eacute;tendu par la pr&eacute;dication <em>c&rsquo;est la principale chose de, de tout enfant,</em> ce qui lui attribue une valeur appr&eacute;ciative. Par l&rsquo;emploi des indicateurs temporels apr&egrave;s, <em>pendant</em> et <em>jusqu&rsquo;&agrave;</em>, la locutrice se place dans un contexte r&eacute;f&eacute;rentiel pass&eacute; qui renvoie au temps de son internement avec sa m&egrave;re. Cette situation <em>temps</em> est d&eacute;crite par l&rsquo;adjectif <em>difficile</em> dont il est &eacute;pith&egrave;te. Le moment de s&eacute;paration est d&eacute;crit par l&rsquo;adjectif <em>incroyable</em> qui, dans ce contexte bien particulier, contient une forte charge &eacute;motionnelle&nbsp;: l&rsquo;intensit&eacute; de la douleur. Par le terme temporel <em>jusqu&rsquo;&agrave; maintenant</em> suivi de l&rsquo;indicateur &acirc;ge &laquo;&nbsp;<em>je suis d&eacute;j&agrave; une vieille femme&nbsp;</em>&raquo;, Frida se replace cette fois-ci dans un contexte r&eacute;f&eacute;rentiel pr&eacute;sent. Les mots <em>larmes</em> et <em>mal</em> dressent l&rsquo;isotopie de la souffrance et de la tristesse qu&rsquo;elle continue &agrave; &eacute;prouver aujourd&rsquo;hui encore.</p> <ul> <li>Un lieu administratif&nbsp;</li> </ul> <p>Le camp en tant que lieu administratif<a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title="">[9]</a> est pr&eacute;sent seulement dans deux &eacute;nonc&eacute;s des femmes juives&nbsp;: Hilda et Ir&egrave;ne, ce qui repr&eacute;sente 1 % des &eacute;nonc&eacute;s recens&eacute;s.</p> <blockquote> <p>Mais euh, non, je n&#39;ai pas de haine contre quelqu&#39;un non. Personnellement, non certainement pas. M&ecirc;me pas contre le directeur du camp de Rivesaltes. Vous connaissez le nom du directeur de Rivesaltes ? Non. Euh et m&ecirc;me pas, contre lui, parce qu&#39;apr&egrave;s tout, s&#39;il avait pas permis qu&#39;on nous sorte, Friedel n&#39;aurait pas pu nous lib&eacute;rer, apr&egrave;s. Quand le convoi est parti, il lui a quand m&ecirc;me donn&eacute; un laissez-passer, pour pouvoir sortir du camp, autrement on n&#39;aurait pas pu quitter le camp pour retourner &agrave; Pringy (Hilda, 2009)<q><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:107%">.</span></span></span></span></span></q></p> </blockquote> <blockquote> <p>Mais il n&#39;est pas descendu comme cela, il a voulu que le chef du camp de Rivesaltes lui fasse la promesse, s&#39;il accepte de descendre dans la mine, que ma maman puisse le rejoindre, qui &eacute;tait au camp de Gurs, elle est repartie, ils sont repartis au camp de Gurs (Ir&egrave;ne, 2013).</p> </blockquote> <p>Dans l&rsquo;extrait de Hilda, l&rsquo;autorit&eacute; du chef du camp se pr&eacute;cise par les permissions et les laisser-passer qu&rsquo;il attribuait aux intern&eacute;s. Par la n&eacute;gation et la condition <em>si</em>, la locutrice restreint l&rsquo;action de Friedel Bohny-Reiter et &eacute;largit celle du chef du camp. Autrement dit, sans l&rsquo;intervention de ce dernier, Friedel n&rsquo;aurait pas pu la faire sortir du camp. Par <em>quand le convoi est parti</em>, la locutrice redresse le contexte r&eacute;f&eacute;rentiel de l&rsquo;action dans lequel le chef de camp est le premier &agrave; endosser la fonction d&rsquo;agent, celui qui initie l&rsquo;action de donner des permissions, suivi de Friedel en second plan [celle qui a fait sortir Hilda du camp avec l&rsquo;appui du directeur]. Quant &agrave; l&rsquo;extrait d&rsquo;Ir&egrave;ne, on retrouve l&rsquo;&eacute;nonciation d&rsquo;une demande de promesse de la part du destinateur [le p&egrave;re d&rsquo;Ir&egrave;ne] au destinataire [le chef du camp] par <em>lui fasse la promesse,</em> car il &eacute;tait le seul &agrave; pouvoir permettre &agrave; sa m&egrave;re de quitter Rivesaltes et de rejoindre son mari au camp de Gurs. Cette promesse est &eacute;tendue par la condition si qui introduit des actions potentiellement r&eacute;alisables&nbsp;: la premi&egrave;re action sera r&eacute;alis&eacute;e par le p&egrave;re d&rsquo;Ir&egrave;ne [accepter de descendre dans la mine], et la deuxi&egrave;me action par la m&egrave;re [rejoindre son mari] avec la permission du directeur du camp.</p> <p>Le dispositif administratif du camp de Rivesaltes regroupait d&rsquo;autres fonctionnaires, cependant l&rsquo;analyse des occurrences et des cooccurrences nous a permis d&rsquo;identifier uniquement le statut du chef de camp.&nbsp;</p> <ul> <li>Un camp de famille</li> </ul> <p>L&rsquo;analyse des cooccurrences a permis de relever, &agrave; trois reprises, le groupe nominal <em>camp de famille</em> employ&eacute; dans des discours rapport&eacute;s indirectes.</p> <blockquote> <p>Et apr&egrave;s quelques mois &agrave; Gurs, c&rsquo;est fait d&eacute;j&agrave; en 41, enfin la moiti&eacute; de 41, on pouvait aller dans des camps de famille et Rivesaltes &eacute;tait annonc&eacute; comme un camp de famille&nbsp;(Amira, 2012).</p> </blockquote> <blockquote> <p>Je sais que tout &agrave; coup on a fait nos bagages et qu&#39;on nous a dit qu&#39;on allait &agrave; Rivesaltes, que c&#39;&eacute;tait un camp de famille (Margot, 2007).</p> </blockquote> <p>Dans les deux &eacute;nonc&eacute;s, les locuteurs proposent une d&eacute;finition naturelle du G.N. <em>camp de Rivesaltes</em>. Dans le premier &eacute;nonc&eacute;, dans <em>Rivesaltes &eacute;tait annonc&eacute; comme un camp de famille</em>, Amira met&nbsp;en &eacute;quivalence le mot <em>Rivesaltes</em> [camp de Rivesaltes] avec <em>camp de famille</em>. Cependant, cette &eacute;quivalence garde un caract&egrave;re dialogique par le verbe de parole <em>annoncer</em> au plus-que-parfait qui pourrait renvoyer aux autorit&eacute;s de l&rsquo;&eacute;poque. Autrement dit, cette mise en &eacute;quivalence n&rsquo;est pas celle de la locutrice Amira, elle se trouve dans un discours rapport&eacute;&nbsp;; et entre en &eacute;cho avec une voix ant&eacute;rieure, ce que Bakhtine appelle le&nbsp;<em>dialogisme interdiscursif</em><a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title="">[10]</a>.&nbsp;Dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; de Margot, on retrouve la m&ecirc;me mise en &eacute;quivalence attributive associ&eacute;e &agrave; un tiers non d&eacute;fini par <em>on nous as dit.</em></p> <ul> <li>Un camp dit &laquo;diff&eacute;rent&raquo;</li> </ul> <p>Dans quelques-uns des &eacute;nonc&eacute;s, les t&eacute;moins d&eacute;crivent le camp de Rivesaltes par l&rsquo;adjectif&nbsp;<em>diff&eacute;rent</em>.&nbsp;Ce dernier&nbsp;est souvent pr&eacute;c&eacute;d&eacute; ou suivi d&rsquo;un adverbe d&rsquo;intensit&eacute;, comme <em>compl&eacute;tement</em>&nbsp;ou&nbsp;<em>vraiment</em>, comme dans ces &eacute;nonc&eacute;s.</p> <blockquote> <p>De Brens et en, envoy&eacute;s &agrave; Rivesaltes. Euh, je ne me rappelle pas que je &hellip; Seulement ce qui m&#39;&eacute;claire main &hellip; jusqu&#39;&agrave; maintenant, c&#39;est que tout le monde avait l&#39;impression et &agrave; la fin du compte c&#39;est, c&#39;&eacute;tait vraiment la v&eacute;rit&eacute;, que euh, Rivesaltes &eacute;tait quelque chose d&#39;autre. C&#39;&eacute;tait un camp diff&eacute;rent, c&#39;&eacute;tait un camp vraiment qui, euh, qui &eacute;tait &hellip;, ou il y avait tr&egrave;s, tr&egrave;s peu &agrave; manger, o&ugrave; il y avait des gens qui, qui volaient et parce que pour rester en vie, il fallait faire des, des choses atroces (Frida, 2012).</p> </blockquote> <blockquote> <p>Je me rappelle pas combien d&#39;heures ou combien de jours mais &agrave; la fin du compte nous sommes arriv&eacute;s &agrave; Rivesaltes et c&#39;&eacute;tait un camp diff&eacute;rent de Brens et c&#39;&eacute;tait un camp, un camp qui ne laissait pas les gens sortir et il y avait des, des &icirc;lots pour chaque &hellip; (Frida, 2012).</p> </blockquote> <p>Les locutrices d&eacute;crivent le camp de Rivesaltes par des constructions attributives. Dans le premier &eacute;nonc&eacute;, Frida d&eacute;crit le camp par l&rsquo;emploi de l&rsquo;attribut du sujet <em>quelque chose d&rsquo;autre,</em> en le mettant implicitement en relation avec d&rsquo;autres camps notamment le camp de Brens. Par la pr&eacute;dication attributive <em>c&rsquo;&eacute;tait un camp diff&eacute;rent,</em> la locutrice introduit une sorte de reformulation du G.N. pr&eacute;c&eacute;dent. L&rsquo;adjectif &eacute;pith&egrave;te <em>diff&eacute;rent</em> met en relation le camp de Rivesaltes avec d&rsquo;autres entit&eacute;s. Elle sp&eacute;cifie et explicite les groupes nominaux descriptifs par la locution pr&eacute;positive <em>il y a, </em>r&eacute;p&eacute;t&eacute;e 2 fois. Puis, elle &eacute;largit sa description par &laquo;&nbsp;avoir tr&egrave;s peu &agrave; manger&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;avoir des gens qui voulaient&nbsp;&raquo;. Dans le second &eacute;nonc&eacute;, le processus est identique, cependant la locutrice propose un &eacute;largissement du G.N. <em>un camp diff&eacute;rent </em>par la relative <em>qui ne laissait pas les gens sortir</em>, ce qui met en &eacute;vidence une des particularit&eacute;s du camp de Rivesaltes, laquelle consiste &agrave; le pr&eacute;senter comme un espace &agrave; la fois clos et surveill&eacute;.</p> <p>D&rsquo;autres cat&eacute;gorisations communes sont &eacute;galement rep&eacute;rables dans le discours des locutrices juives et espagnoles. Nous les verrons dans cette deuxi&egrave;me sous-partie.</p> <h4>Dans le discours des femmes juives et espagnoles</h4> <ul> <li>Un lieu de mis&egrave;re&nbsp;</li> </ul> <p>La mis&egrave;re du camp de Rivesaltes est souvent relat&eacute;e par les locutrices juives et espagnoles (elle repr&eacute;sente 6 % des &eacute;nonc&eacute;s), comme l&rsquo;explique Boitel&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;On voyait le voisin regardant dans l&rsquo;assiette de celui qui allait mourir. La faim faisait perdre toute dignit&eacute; aux hommes&nbsp;&raquo; (Bohny-Reiter dans Boitel, 2001, p. 182). Dans ces &eacute;nonc&eacute;s :</p> <blockquote> <p>&Ccedil;a m&#39;a fait plaisir que vous &ecirc;tes venu me voir. Pourquoi ? Ben pour parler de du camp de Rivesaltes et de la mis&egrave;re qu&#39;on a eue. Ben &eacute;coutez, merci &agrave; vous. J&#39;esp&egrave;re que les gens de Rivesaltes euh, que si, comme eux ils disent qu&#39;ils ont eu la mis&egrave;re plus que dans les camps, que je voudrais bien en voir un pour lui dire la v&eacute;rit&eacute; (Julia, 2014).</p> </blockquote> <blockquote> <p>On est parti en janvier 41. Et ma grand-m&egrave;re est morte avant. Elle est partie avant &agrave; Lannemezan. Comme beaucoup de personnes &acirc;g&eacute;es on l&#39;a d&eacute;plac&eacute;e parce que c&#39;&eacute;tait impossible, il y avait pas de m&eacute;dicaments au camp de Rivesaltes. Je vous ai dit une camarade qui est morte diab&eacute;tique. (&hellip;) Il y avait pas de m&eacute;dicaments. Et moi, on me faisait des enveloppements de savon noir avec un linge autour pour attirer, pour tirer dehors la, les, les, la maladie des poumons : la pleur&eacute;sie. J&#39;avais la pleur&eacute;sie au camp de Rivesaltes (Ir&egrave;ne, 2013).</p> </blockquote> <p>Julia revient sur la mis&egrave;re qu&rsquo;elle a v&eacute;cue par l&rsquo;emploi du pass&eacute; compos&eacute; qui indique un &eacute;tat pass&eacute; achev&eacute;. La mis&egrave;re dont il s&rsquo;agit a &eacute;t&eacute; v&eacute;cue par toute une collectivit&eacute; concentrationnaire, comme le pr&eacute;cise le pronom ind&eacute;fini <em>on</em>. Elle cl&ocirc;ture son &eacute;nonciation par une sorte de rectification ou une remise en cause du discours de l&rsquo;instance &eacute;nonciative <em>les gens de Rivesaltes </em>par <em>comme eux ils disent qu&#39;ils ont eu la mis&egrave;re plus que dans les camps, que je voudrais bien en voir un pour lui dire la v&eacute;rit&eacute;. </em>Le verbe modalisateur <em>vouloir</em> au conditionnel renforce le positionnement de rejet de la locutrice par rapport aux propos tenus par l&rsquo;instance pr&eacute;c&eacute;demment cit&eacute;e et sa volont&eacute; &agrave; vouloir faire conna&icirc;tre la r&eacute;alit&eacute; v&eacute;cue. Dans le premier temps de sa narration, Ir&egrave;ne restreint la souffrance v&eacute;cue au camp de Rivesaltes &agrave; la cat&eacute;gorie des personnes &acirc;g&eacute;es, puis &agrave; sa grand-m&egrave;re morte l&agrave;-bas et &agrave; sa camarade diab&eacute;tique. La n&eacute;gation <em>il y avait pas de m&eacute;dicaments au camp de Rivesaltes </em>introduit un rapport cause/cons&eacute;quence&nbsp;: l&rsquo;absence de soin et de m&eacute;dicaments &eacute;tait &agrave; l&rsquo;origine du transfert de sa grand-m&egrave;re et de la mort de sa camarade. Dans un second temps, elle restreint encore la cat&eacute;gorie des gens qui ont souffert dans le camp &agrave; sa propre personne [moi]. Cette restriction comporte en soi une forte charge argumentative&nbsp;: elle utilise son v&eacute;cu [le processus de soin pour sa pleur&eacute;sie] comme un argument d&rsquo;exp&eacute;rience.</p> <h4>Dans le discours des d&eacute;port&eacute;s juifs et des r&eacute;fugi&eacute;s espagnols&nbsp;&nbsp;</h4> <ul> <li>Un lieu d&rsquo;appartenance&nbsp;</li> </ul> <p>Dans 2 % de &eacute;nonc&eacute;s, les t&eacute;moins masculins, et plus particuli&egrave;rement les d&eacute;port&eacute;s juifs et les r&eacute;fugi&eacute;s espagnols, pr&eacute;sentent le camp de Rivesaltes comme une sorte de demeure, un espace d&rsquo;identification, tel est la cas des t&eacute;moins Antonio et L&eacute;on.</p> <blockquote> <p>Et l&agrave;, y&#39;avait des enfants juifs avec moi qui venaient aussi du camp de Rivesaltes ou d&#39;autres camps et nous avons v&eacute;cu quelques, quelques semaines l&agrave; (Antonio, 2008).</p> </blockquote> <blockquote> <p>Donc notre lieu de r&eacute;sidence c&#39;&eacute;tait le camp de Rivesaltes, voil&agrave; (L&eacute;on, 2009).</p> </blockquote> <p>Antonio marque son appartenance spatiale ainsi que celle des enfants juifs du camp [camp de Rivesaltes] par les verbes&nbsp;<em>venir</em>&nbsp;et&nbsp;<em>vivre</em>, ce qui renforce le sentiment de proximit&eacute; des intern&eacute;s &agrave; l&rsquo;espace concentrationnaire. L&eacute;on va encore plus loin dans sa cat&eacute;gorisation du camp&nbsp;: il d&eacute;signe le camp de Rivesaltes par la p&eacute;riphrase <em>lieu de r&eacute;sidence</em>, sans connotation p&eacute;jorative apparente. Dans ce cas, le locuteur s&rsquo;identifie &agrave; une collectivit&eacute; signal&eacute;e par le pronom possessif <em>notre</em>&nbsp;[les intern&eacute;s]. Cette mise en lien appara&icirc;t ainsi comme une fatalit&eacute; ou une sorte de r&eacute;signation introduite par la conjonction de coordination <em>donc</em>.</p> <h4>Dans le discours des locuteurs masculins espagnols</h4> <ul> <li>Un lieu o&ugrave; on peut s&rsquo;instruire&nbsp;</li> </ul> <p>La scolarisation des enfants faisait partie du programme de Vichy. C&rsquo;&eacute;tait les &OElig;uvres comme L&rsquo;ORT qui s&rsquo;occupaient de l&rsquo;&eacute;ducation des enfants du camp, comme l&rsquo;indique Boitel&nbsp;: &laquo;&nbsp;Sur ce point, le camp de Rivesaltes est tout &agrave; fait original. La forte pr&eacute;sence infantile va contribuer &agrave; l&rsquo;engagement intense des &OElig;uvres. Gr&acirc;ce &agrave; leur t&eacute;nacit&eacute;, Vichy d&eacute;cide d&rsquo;ouvrir des &eacute;coles&nbsp;&raquo; (2001, p. 151). M&ecirc;me si l&rsquo;&eacute;ducation a jou&eacute; un r&ocirc;le important dans la vie concentrationnaire, Florentino est le seul t&eacute;moin espagnol parmi les 14 t&eacute;moins interrog&eacute;s qui revient sur la scolarisation des enfants du camp de Rivesaltes. Cela ne repr&eacute;sente que 1 % des &eacute;nonc&eacute;s.</p> <blockquote> <p>Donc, le camp de Rivesaltes, &ccedil;a changeait compl&egrave;tement et en plus, il y avait des classes, il y avait, ils ont fait... tous les enfants qui &eacute;taient au camp allaient &agrave; l&#39;&eacute;cole. Il y avait des institutrices qui faisaient les ... des Fran&ccedil;aises, hien, qui faisaient les cours (Florentino, 2009).</p> </blockquote> <p>Par le pr&eacute;sentatif <em>il y a</em> &agrave; l&rsquo;imparfait, le locuteur introduit l&rsquo;isotopie de l&rsquo;&eacute;cole. Cette derni&egrave;re est prolong&eacute;e par les mots <em>classes, &eacute;cole, institutrices </em>et<em> cours</em>. La cat&eacute;gorie concern&eacute;e par l&rsquo;instruction est signal&eacute;e par le d&eacute;terminant <em>tous</em> suivi du G.N. <em>les enfants</em> et pr&eacute;cis&eacute;e par la subordonn&eacute;e relative <em>qui &eacute;taient au camp.</em></p> <p>De ce fait, le camp de Rivesaltes n&rsquo;&eacute;tait pas seulement un lieu d&rsquo;internement, il &eacute;tait aussi un lieu o&ugrave; les enfants intern&eacute;s avaient la possibilit&eacute; d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; l&rsquo;&eacute;ducation.&nbsp;</p> <ul> <li>Un lieu d&rsquo;occupation&nbsp;</li> </ul> <p>La th&eacute;matique de l&rsquo;occupation ne revient que rarement dans les t&eacute;moignages. On la retrouve dans le t&eacute;moignage d&rsquo;Antonio qui &eacute;voque l&rsquo;occupation du camp de Rivesaltes en novembre 1942 par les Allemands.</p> <blockquote> <p>Voil&agrave;. Donc, les Allemands occupent le camp de Rivesaltes, le 12, euh, novembre 1942. Euh, et l&agrave;, forc&eacute;ment, avant cette occupation, nous avons connu, par simplement, par le bruit qu&#39;il y avait, les d&eacute;portations, que nous savions pas &agrave; quoi &ccedil;a correspondait, le mouvement des trains qui rentraient dans le camp puisque nous &eacute;tions &agrave; l&#39;&icirc;lot, (&hellip;) (Antonio, 2008).</p> </blockquote> <blockquote> <p>Eh non ! Nous &eacute;tions totalement s&eacute;par&eacute;s. Parce que nous avions v&eacute;cu dans les camps, et ailleurs, alors &hellip;&nbsp; &nbsp;Euh, les autorit&eacute;s allemandes d&eacute;cident d&#39;occuper le camp de Rivesaltes (Antonio, 2008).</p> </blockquote> <p>Dans ces &eacute;nonc&eacute;s, la th&eacute;matique de l&rsquo;occupation se pr&eacute;cise par l&rsquo;emploi&nbsp;du verbe <em>occuper</em> et le substantif <em>occupation</em>. Dans le premier extrait, Antonio reconstruit le contexte r&eacute;f&eacute;rentiel par l&rsquo;emploi du pr&eacute;sent de l&rsquo;indicatif [l&rsquo;occupation du camp de Rivesaltes]. Par l&rsquo;adverbe <em>avant</em> suivi du G.N. anaphorique <em>cette occupation</em>, le t&eacute;moin renvoie vers un autre contexte r&eacute;f&eacute;rentiel&nbsp;: celui qui pr&eacute;c&egrave;de l&rsquo;occupation du camp de Rivesaltes par les Allemands, celui de la d&eacute;portation. L&rsquo;agent de l&rsquo;action d&rsquo;occupation est indiqu&eacute; par les G.N. les allemands dans un premier temps, puis dans un second temps par un autre r&eacute;f&eacute;rent &eacute;tendu d&rsquo;un point de vue s&eacute;mantique <em>les autorit&eacute;s allemandes. </em>Dans le dernier extrait, l&rsquo;occupation rel&egrave;ve d&rsquo;une prise de d&eacute;cision appuy&eacute;e par le verbe <em>d&eacute;cider</em>.</p> <ul> <li> <p>Un camp militaire</p> </li> </ul> <p>L&rsquo;histoire du camp militaire Joffre est &eacute;troitement li&eacute;e &agrave; l&rsquo;histoire de l&rsquo;arm&eacute;e fran&ccedil;aise, et plus largement &agrave; l&rsquo;histoire tourment&eacute;e de la France du XXe si&egrave;cle (Leboug &amp; Moumen, 2015, p. 5). La derni&egrave;re cat&eacute;gorisation identifi&eacute;e dans le discours des locuteurs espagnols est celle qui pr&eacute;cise la vocation militaire du camp. En effet, avant qu&rsquo;il devienne un camp d&rsquo;internement &agrave; l&rsquo;aube de la Seconde Guerre mondiale, le camp de Rivesaltes &eacute;tait un camp militaire qui est rest&eacute; un chantier en &laquo;&nbsp;permanente construction&nbsp;&raquo; (Husser, 2014, p. 30).</p> <p>Cependant, mise &agrave; part dans cet extrait d&rsquo;Antonio, la cat&eacute;gorisation dont il s&rsquo;agit ici est absente dans les autres discours recens&eacute;s.</p> <blockquote> <p>Eh bon, les lits, Rivesaltes &eacute;tait, les baraquements de Rivesaltes &eacute;taient tr&egrave;s confortables par rapport &agrave; Argel&egrave;s-sur-Mer. Euh les, c&#39;&eacute;tait de la vraie charpente, c&#39;&eacute;tait des, des briques, elles &eacute;taient construites les baraques. D&#39;ailleurs c&#39;&eacute;tait un camp militaire et des militaires avaient v&eacute;cu l&agrave; lorsque c&#39;&eacute;tait en bon &eacute;tat&nbsp;(Antonio, 2010).</p> </blockquote> <p>Dans l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; d&rsquo;Antonio, le r&eacute;f&eacute;rent latent [camp de Rivesaltes] est mis en &eacute;quivalence par le biais d&rsquo;une construction attributive avec <em>camp</em> <em>militaire</em>. Il s&rsquo;agit pour le t&eacute;moin de mettre en avant la fonction militaire du camp, et non d&rsquo;attribuer une valeur p&eacute;jorative ou m&eacute;liorative &agrave; l&rsquo;espace. Cette mise en &eacute;quivalence, qui sert de rappel, a &eacute;t&eacute; d&eacute;clench&eacute;e par la description entam&eacute;e par le locuteur <em>des baraquements du camp de Rivesaltes</em> qu&rsquo;il d&eacute;crit par &laquo;&nbsp;tr&egrave;s confortables&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;vraie charpente&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;c&rsquo;&eacute;tait des briques&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;&eacute;taient construites&nbsp;&raquo;. Ici, on rel&egrave;ve deux p&eacute;riodes diff&eacute;rentes&nbsp;: le camp avant et pendant l&rsquo;internement.</p> <h4>Dans le discours des locuteurs masculins juifs&nbsp;</h4> <ul> <li>Un lieu qui attise la peur</li> </ul> <p>L&rsquo;internement en tant que pratique de domination &eacute;tait &agrave; l&rsquo;origine de plusieurs tourments, dont la <em>peur</em> est, avec 224 occurrences recens&eacute;es, la manifestation la plus embl&eacute;matique. Les locuteurs juifs ont particuli&egrave;rement tendance &agrave; se souvenir de ce sentiment &eacute;prouv&eacute; quand ils &eacute;taient enfants intern&eacute;s au camp de Rivesaltes. Cette peur est exprim&eacute;e directement par l&rsquo;emploi du mot <em>peur</em>, ou par l&rsquo;emploi d&rsquo;adjectifs ayant un fort s&eacute;mantisme similaire, comme <em>atroce</em>.</p> <blockquote> <p>Et ce dont je me rappelle encore c&#39;est de, ce sont des, des, des impressions d&#39;enfants, ce sont, c&#39;&eacute;tait ses sandales, c&#39;&eacute;tait des sandales que je n&#39;avais pas vu avant alors &ccedil;a m&#39;est rest&eacute; dans la m&eacute;moire alors mais ils, ils, ils, marchent, ils marchaient dans l&#39;&icirc;lot toujours ensemble et ce dont je me rappelle aussi c&#39;est que le soir, la nuit quand on &eacute;tait couch&eacute;, oui, ils venaient inspecter qu&#39;on &eacute;tait tous l&agrave;. Mais elle &eacute;tait garde ou elle &eacute;tait infirmi&egrave;re ? Elle &eacute;tait probablement garde &eacute;galement oui. Vous aviez peur d&#39;eux ? Oui, c&#39;&eacute;tait un camp o&ugrave; on avait peur (Norbert, 2008).</p> </blockquote> <blockquote> <p>Est-ce que vous avez d&#39;autres souvenirs de Rivesaltes, en g&eacute;n&eacute;ral, d&#39;autres anecdotes ? Non. Seulement ce, ce, ce, ce camp atroce qui &hellip;, o&ugrave; on &eacute;tait enferm&eacute; (Norbert, 2008).</p> </blockquote> <p>Dans le premier &eacute;nonc&eacute;, le locuteur Norbert embraye son souvenir par le verbe m&eacute;moriel <em>je me rappelle</em>. Le sentiment de peur dont il s&rsquo;agit ici remonte &agrave; son enfance, ou plus pr&eacute;cis&eacute;ment <em>&agrave; des impressions d&rsquo;enfants</em>. La peur &eacute;voqu&eacute;e a &eacute;t&eacute; d&eacute;clench&eacute;e par des &eacute;l&eacute;ments visuels et auditifs v&eacute;cus dans le camp de Rivesaltes, comme la vue des sandales, les bruits de pas des gardiens et les inspections du soir. En effet, quand son interlocuteur lui demande s&rsquo;il avait peur d&rsquo;eux [des gardiens], sa r&eacute;ponse est affirmative. Par la proposition relative, il cat&eacute;gorise le camp de Rivesaltes parmi les camps <em>o&ugrave; on avait peur.</em> Dans le deuxi&egrave;me &eacute;nonc&eacute;, il d&eacute;crit le r&eacute;f&eacute;rent par le superlatif atroce ce qui lui attribue une valeur p&eacute;jorative. L&rsquo;expansion introduite par la relative <em>o&ugrave; on &eacute;tait enferm&eacute; </em>a une valeur argumentative&nbsp;: elle explicite l&rsquo;adjectif &eacute;pith&egrave;te.</p> <h2>Conclusion&nbsp;</h2> <p>Le t&eacute;moignage appara&icirc;t comme un lieu propice &agrave; la nomination, sans que cette derni&egrave;re soit une caract&eacute;ristique propre &agrave; ce genre discursif. M&ecirc;me si on retrouve des nominations communes aux groupes d&rsquo;intern&eacute;s, certaines divergent d&rsquo;un groupe &agrave; un autre : la nomination du camp de Rivesaltes varie selon l&rsquo;instance locutrice.</p> <p>La repr&eacute;sentation de l&rsquo;espace concentrationnaire chez les femmes juives se construit essentiellement autour de la s&eacute;paration, de l&rsquo;enfermement et de la mis&egrave;re. Cette derni&egrave;re cat&eacute;gorisation, pr&eacute;sente &eacute;galement dans le discours des R&eacute;publicains espagnols, repr&eacute;sente 6 % des &eacute;nonc&eacute;s. D&rsquo;autres &eacute;nonc&eacute;s sont plus neutres&nbsp;; les locutrices nomment le camp par sa fonctionnalit&eacute; administrative, par son statut de camp de famille ou encore par ce qui fait sa singularit&eacute; [un camp diff&eacute;rent]. En parall&egrave;le, les hommes se d&eacute;tachent l&eacute;g&egrave;rement de cette souffrance du v&eacute;cu qu&rsquo;on retrouve dans le discours des femmes. On peut relever toutefois une sorte de fatalit&eacute; dans les mots de l&rsquo;appartenance. Ils parlent du camp comme si c&rsquo;&eacute;tait un &laquo;&nbsp;lieu de r&eacute;sidence&nbsp;&raquo; ou &laquo; une maison&nbsp;&raquo;. Et m&ecirc;me si les locuteurs juifs ont plus tendance &agrave; mettre l&rsquo;accent sur l&rsquo;aspect lugubre du camp engendr&eacute; par la peur, les hommes espagnols le repr&eacute;sentent d&rsquo;une fa&ccedil;on beaucoup plus neutre. Ils passent&nbsp;d&rsquo;un lieu o&ugrave; les enfants pouvaient s&rsquo;instruire &agrave; un ancien camp militaire et &agrave; un camp anciennement occup&eacute; par les forces allemandes.</p> <p>Le recensement des diff&eacute;rentes cat&eacute;gorisations, nous a donc permis de voir comment le r&eacute;f&eacute;rent <em>camp de Rivesaltes</em> est repr&eacute;sent&eacute; par les locuteurs plus de soixante ans apr&egrave;s leur internement, apr&egrave;s leur passage au camp de Rivesaltes. L&rsquo;atypicit&eacute; abord&eacute;e dans ce travail ne rel&egrave;ve aucunement des discours tenus, mais de l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue.</p> <h2>Bibliographie&nbsp;</h2> <p>Bakhtine, M. (1975).&nbsp;<em>Esth&eacute;tique et th&eacute;orie du roman</em>, traduit du russe par Daria Olivier, pr&eacute;face de Michel Aucouturier. Paris&nbsp;: Gallimard.</p> <p>Bres, J. (2017). Dialogisme, &eacute;l&eacute;ments pour l&rsquo;analyse. R<em>echerches en didactique des langues et des cultures</em> [En ligne], 14-2, consult&eacute; le 19 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/rdlc/1842 ; DOI : 10.4000/rdlc.1842</p> <p>Bres, J. (2017), &laquo;&nbsp;Actualisation&nbsp;&raquo;, C. D&eacute;trie, P. Siblot, B. Verine, A. Steuckardt,&nbsp;T<em>ermes et concepts pour l&rsquo;analyse du discours. Une approche prax&eacute;matique</em>, Paris, Champion, p.&nbsp;17-21.</p> <p>Bres, J., Nowakovska, A., &amp; Sarale, J-M. (2019).&nbsp;<em>Petite grammaire alphab&eacute;tique du dialogisme.</em> Paris&nbsp;: Garnier.</p> <p>Gary-Prieur, M.-N. (1991).&nbsp;<em>Grammaire du nom propre.</em> Paris : PUF</p> <p>Gary-Prieur, M.-N. (1989). Quand le r&eacute;f&eacute;rent d&rsquo;un nom propre se multiplie.&nbsp;<em>Mod&egrave;les linguistiques</em>&nbsp;II-2. p. 119-133.</p> <p>Husser, B. (2014). <em>Histoire du camp de Joffre de Rivesaltes</em>. Paris&nbsp;: Lienart.</p> <p>Kripke, S. (1982).&nbsp;<em>La logique des noms propres. </em>Paris : Minuit.</p> <p>Lebourg, N., &amp; Moumen, A.&nbsp; (2015). <em>Rivesaltes. Le camp d&rsquo;internement de la France 1939 &agrave; nos jours. </em>Canet-en-Roussillon&nbsp;: &Eacute;ditions Trabucaire.</p> <p>Siblot, P. (1987). Signifiance du nom propre.&nbsp;<em>Cahiers de prax&eacute;matique&nbsp;</em>8, Montpellier : Publications de l&rsquo;Universit&eacute; de Montpellier III. p. 97-116.</p> <p>Siblot, P. (1999). Appeler les choses par leur nom, in Akin S. (&eacute;d.).&nbsp;<em>Noms et re-noms,</em> Rouen, Publications de l&rsquo;universit&eacute; de Rouen. p.&nbsp;12-31.</p> <p>Siblot P., Steuckardt A. (2017). &laquo;&nbsp;N&eacute;ologie&nbsp;&raquo;, C. D&eacute;trie, P. Siblot, B. Verine, A. Steuckardt,&nbsp;<em>Termes et concepts pour l&rsquo;analyse du discours. Une approche prax&eacute;matique,</em> Paris, Champion, p.&nbsp;304-308.</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> Le camp de Rivesaltes a regroup&eacute;&nbsp;16 nationalit&eacute;s diff&eacute;rentes.</p> </div> <div id="ftn2"> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> Il s&rsquo;agit d&rsquo;un mot-valise impliquant le proc&eacute;d&eacute; de t&eacute;lescopage.</p> </div> <div id="ftn3"> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a> <a href="https://www.urbandictionary.com/">https://www.urbandictionary.com/</a>.</p> </div> <div id="ftn4"> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title="">[4]</a> Parmi ces fonctions, on trouve&nbsp;: la fonction CCL, compl&eacute;ment d&rsquo;objet direct et indirect, compl&eacute;ment du nom, locatif et sujet. D&rsquo;autres fonctions &agrave; tr&egrave;s faible fr&eacute;quence ont &eacute;t&eacute; recens&eacute;es.</p> </div> <div id="ftn5"> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title="">[5]</a> Il englobe des travailleurs administratifs et du gardiennage, des travailleurs des &OElig;uvres de Secours et des travailleurs intern&eacute;s, etc. Selon Boitel, ces derniers s&rsquo;occupaient de l&rsquo;entretien du camp impos&eacute; par le chef du camp : &laquo;&nbsp;La vie quotidienne au camp est th&eacute;oriquement codifi&eacute;e et r&eacute;gl&eacute;e. Chaque intern&eacute; se doit de respecter les horaires et les consignes du chef du camp du lever au coucher &raquo; (2001, p. 127).</p> </div> <div id="ftn6"> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title="">[6]</a> &OElig;uvre de secours aux enfants. C&rsquo;est une association destin&eacute;e au secours des enfants juifs pers&eacute;cut&eacute;s durant la Seconde Guerre mondiale.</p> </div> <div id="ftn7"> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title="">[7]</a> C&rsquo;est une organisation caritative de confession protestant qui aidait les intern&eacute;s dans les camps d&rsquo;internement sous diverses formes&nbsp;: enseignement, aide m&eacute;dicale et sauvetage des enfants.</p> </div> <div id="ftn8"> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title="">[8]</a> Ces &eacute;nonc&eacute;s repr&eacute;sentent 1% du corpus.</p> </div> <div id="ftn9"> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title="">[9]</a> Le camp de Rivesaltes a un dispositif administratif qui comprend en premier lieu le responsable du camp que les t&eacute;moins nomment ici&nbsp;<em>directeur</em>&nbsp;ou&nbsp;<em>chef</em> <em>du camp</em>. Le chef du camp avait l&rsquo;autorit&eacute; absolue sur l&rsquo;ensemble du camp, comme le souligne Boitel&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le chef de camp est charg&eacute; de commander l&rsquo;ensemble du camp. Il a autorit&eacute; sur les fonctionnaires et employ&eacute;s du camp, en particulier sur le ou les commissaires de police sp&eacute;ciale. Le service de sant&eacute; &eacute;galement (&hellip;)&nbsp;&raquo; (Boitel, 2000, p. 51).</p> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10" title="">[10]</a> Selon Bres, ce sont&nbsp;: &laquo;&nbsp;des discours r&eacute;alis&eacute;s ant&eacute;rieurement par des tiers, le plus souvent sur le m&ecirc;me objet&nbsp;&raquo; (Bres, 2017,&nbsp;p.3).</p> </div> </div>